Alfred Tennyson (1809-1892) - Percy Bysshe Shelley (1792-1822) - Mary Shelley (1797-1851) - Thomas Love Peacock (1785-1866)  - Samuel Palmer (1805-1881) - William Turner (1775-1851) - Richard Doddridge Blackmore (1825-1900) - Richard Parkes Bonington (1802-1828) ...

Last update 12/19/2016

Shelley, more than any other, and even though she is accused of being a pure, totally disembodied poet, seems haunted by the need to explain evil in the world; and it is her short poems, whose powerful images naturally serve as a prophetic idealism, that will make her extremely famous.... Shelley, más que ningún otro, y aunque es acusada de ser una poetisa pura, totalmente desencarnada, parece atormentada por la necesidad de explicar el mal en el mundo; y son sus poemas cortos, cuyas poderosas imágenes sirven naturalmente como idealismo profético, los que la harán extremadamente famosa...


Percy Bysshe Shelley (1792-1822)
De Tennyson à Swinburne et à Yeats, Shelley fut le plus admiré des poètes anglais, et des romantiques tant son destin est tragiquement emblématique de ce mouvement : révolutionnaire dans sa jeunesse, accusé d'athéisme et d'immoralité, contraint à l'exil, son corps sans vie est rejeté par les flots du golfe de La Spezia, en 1822 et sera brûlé sur un bûcher face à la mer en présence de son ami, Byron. Shelley, plus que tout autre, et bien qu'on lui ait le reproche d'être un pur poète totalement désincarné, semble hanté par le besoin de s'expliquer le mal dans le monde; et ce sont ses courts poèmes, dont les puissantes images servent comme naturellement un idéalisme prophétique, qui feront son extrême notoriété. Sa pensée religieuse et politique, ardente, impatiente et peut-être naïve, rejoint le rationalisme libertaire de Godwin, le père de Mary,se définira comme "atheist, democrat, philanthropist" en 1816, la régénération de l'homme est possible, mais son athéisme se transforme en un panthéisme exalté ("Queen Mab, A Philosophical Poem", 1813).

Percy naquit à Field Place, dans le comté de Sussex, dans une famille aristoctatique. Non conformiste et déjà révolté, il est exclu d'Oxford en 1811 pour avoir publié "The Necessity of Atheism". Il épouse à dix-neuf ans une amie de ses sœurs, Harriet Westbrook, qui en a seize, et eut d'elle deux enfants : après trois ans de mariage malheureux, il rencontre Mary Goldwin et s'enfuit avec elle. Le décès de son grand-père, en 1815, lui permet de compter sur une certaine fortune, mais, ainsi que le fut Byron, la justice anglaise le contraint à un exil définitif et à la perte de la garde de ses enfants. Mary et Percy s'installent alors en diverses villes d'Italie, le plus durablement à Pise. Mais cette vie errante (Venise, Florence, Naples..) et la mort de ses enfants, en bas-âge (1818, 1819), creusèrent un fossé entre celle-ci et son mari...
(Portrait of Jane Williams, George Clint)
En 1821, une passion nouvelle, Jane Williams (1798-1884), lui suggère un hymne à l'amour platonique, "Epipsychidion", et nombre de poèmes, l'élégie sur la mort de Keats, "Adonaïs", célèbre le triomphe de la poésie sur la mort, et c'est à cette époque qu'il produit ses poèmes les plus connus : "Ozymandias", "Ode to the West Wind", "To a Skylark", "Music", "When Soft Voices Die", "The Cloud", "The Masque of Anarchy", "Men of England".

En juillet 1822, Shelley et un de ses proches, Edward Ellerker Williams, font naufrage à bord du "Don Juan", et quelques dix jours plus tard son corps est retrouvé sur la plage non loin de Viareggio. Byron et Leigh Hunt, qui en 1816 fit connaître Percy Bysshe Shelley and John Keats à un très large public (cf l'article ‘Young Poets" dans The Examiner), assistent à cette scène que le peintre Louis Édouard Fournier (1857-1917) a tenté d'immortaliser en 1889 dans "The Cremation of Percy Bysshe Shelley" (Liverpool Walker Gallery). Keats venait de mourir l'année précédente, deux ans plus tard Byron décédait à Missolonghi, un mythe pouvait naître et se développer.

Shelley avait singulièrement anticipé sa fin dans la dernière "last stanza" de son "Adonais" (1821) :
"The breath whose might I have invok'd in song
 Descends on me; my spirit's bark is driven,
 Far from the shore, far from the trembling throng
 Whose sails were never to the tempest given;
 The massy earth and sphered skies are riven!
 I am borne darkly, fearfully, afar;
 Whilst, burning through the inmost veil of Heaven,
The soul of Adonais, like a star,
Beacons from the abode where the Eternal are."

"Stanzas Written in Dejection near Naples"

En 1818, après la publication de "Frankenstein" par Mary Shelley et des poèmes de Percy, "The Revolt of Islam" et "Ozymandias", le couple s'installe en Italie, mais la tragédie s'installe avec la mort de leur fille. La dépression transparaît dans "Julian and Maddalo", poème-conversation entre Shelley et Byron écrit à Venise, et  ses célèbres "Stanzas Written in Dejection near Naples" de décembre 1818.

The sun is warm, the sky is clear,
The waves are dancing fast and bright,
Blue isles and snowy mountains wear
The purple noon's transparent light
Around its unexpanded buds;
Like many a voice of one delight,
The winds, the birds, the ocean floods,
The City's voice itself is soft, like Solitude's.

I see the Deep's untrampled floor,
With green and purple seaweed strown;
I see the waves upon the shore,
Like light dissolved in star-showers, thrown:
I sit upon the sands alone,
The lightning of the noon-tide ocean
Is flashing round me, and a tone
Arises from its measured motion,
How sweet! did any heart now share in my emotion.

Alas! I have nor hope nor health,
Nor peace within nor calm around,
Nor that content surpassing wealth
The sage in meditation found,
And walked with inward glory crown'd —

 

Nor fame, nor power, nor love, nor leisure,
Others I see whom these surround—
Smiling they live and call life pleasure;—
To me that cup has been dealt in another measure.

Yet now despair itself is mild,
Even as the winds and waters are;
I could lie down like a tired child,
And weep away the life of care
Which I have borne and yet must bear,
Till death like sleep might steal on me,
And I might feel in the warm air
My cheek grow cold, and hear the sea
Breathe o'er my dying brain its last monotony.

Some might lament that I were cold,
As I, when this sweet day is gone,
Which my lost heart, too soon grown old,
Insults with this untimely moan;
They might lament — for I am one
Whom men love not — and yet regret,
Unlike this day, which, when the sun
Shall on its stainless glory set,
Will linger, though enjoyed, like joy in memory yet.

 


"Prometheus Unbound" (Prométhée délivré, 1819)
En 1819, Shelley admire pour se consoler la splendeur des ruines antiques de Rome, les vestiges des bains de Caracalla, et passe de longues heures à écrire son grand drame lyrique, "Prometheus Unbound" : adaptant très librement Eschyle (525-456 av. J.-C.) et le mythe de Prométhée (le Titan qui, pour avoir dérobé le feu du ciel, l'étincelle symbolique de l'intelligence, afin de l'offrir aux hommes, est châtié par Jupiter), Shelley en renverse la conclusion, Jupiter est entraîné dans l'abîme, Prométhée est délivré et le monde régénéré. Prométhée n'est plus ici un être déchiré entre orgueil et soumission, mais l'incarnation de ces hautes qualités de l'âme qui seules peuvent triompher du mal absolu que représente le pouvoir tyrannique et répressif de Jupiter. L'histoire politique, a-t-on dit, n'est pas très éloignée des intentions de Shelley : comment réintégrer son idéal de régénération personnelle et de foi en l'humanité après l'échec de la Révolution française et la constitution de la Sainte-Alliance, pacte conclu en septembre 1815 par les souverains prussien, russe et autrichien?

"It interpenetrates my granite mass,
Through tangled roots and trodden clay doth pass,
Into the utmost leaves and delicatest flowers ;
Upon the winds, among the clouds 'tis spread,
It wakes a life in the forgotten dead,
They breathe a spirit up from their obscurest bowers.
And like a storm bursting its cloudy prison
With thunder, and with whirlwind, has arisen
Out of the lampless caves of unimagined being :
With earthquake shock and swiftness making shiver
Thought's stagnant chaos, unremoved for ever,
Till hate, and fear, and pain, light-vanquished shadows,fleeing,
Leave Man, who was a many sided mirror,
Which could distort to many a shade of error,
This true fair world of things, a sea reflecting love ;
Which over all his kind as the sun's heaven
Gliding o'er ocean, smooth, serene, and even
Darting from starry depths radiance and life, doth move,
Leave Man, even as a leprous child is left,
Who follows a sick beast to some warm cleft
Of rocks, through which the might of healing springs is poured
Then when it wanders home with rosy smile,
Unconscious, and its mother fears awhile
It is a spirit, then, weeps on her child restored.
Man, oh, not men ! a chain of linked thought,
Of love and might to be divided not,
Compelling the elements with adamantine stress ;
As the Sun rules, even with a tyrant's gaze,
The unquiet republic of the maze
Of planets, struggling fierce towards heaven's free wilderness.
Man, one harmonious soul of many a soul.."

 

LA TERRE
L'amour pénètre mon corps massif de granit ; il passe à travers les racines enchevêtrées, et l'argile tassée jusqu'aux dernières feuilles et aux fleurs les plus délicates; répandu sur les vents, au milieu des nuages ; il éveille une vie dans les morts oubliés, qui exhalent une âme de leurs retraites les plus obscures.
Et, comme un ouragan faisant éclater sa prison de nuages avec tonnerre et avec tourbillon, il s'est élancé hors des cavernes ténébreuses de l'être non imaginé, avec la force et la rapidité d'un tremblement de terre, il secoue d'un frisson le chaos stagnant de la pensée, contre lequel rien n'avait jamais prévalu, jusqu'à ce que la haine, la crainte, et la douleur, ombres vaincues par la lumière, prenant la fuite,
Laissant l'Homme, naguère miroir aux mille facettes, qui pouvait altérer en maintes images trompeuses ce monde vrai et beau des choses, devenu aujourd'hui une mer réfléchissant l'amour; l'amour qui baigne toute la race humaine, comme le ciel ensoleillé glisse sur l'océan, uni, serein, et calme, et rayonne de ses profondeurs étoilées une splendeur vivante;
Laissant I'Homme, comme on laisse un enfant lépreux,poursuivant une bête malade en quelque fissure tiède des rocs, où se déverse la vertu des sources vivifiantes ; puis erre bientôt jusque dans sa demeure avec un visage souriant et rosé, innocent de tout; et sa mère craint un instant qu(il ne soit un esprit , puis pleure sur son enfant rendu à la vie
L'Homme ; ah non pas les hommes ! Chaîne de pensée entrelacée, d'amour et de puissance inséparables, imposant sa loi aux éléments avec une force que rien ne peut vaincre; ainsi le Soleil régit d'un regard qui sait être tyrannique, la république indocile du labyrinthe des planètes, luttant farouchement pour gagner les libres solitudes du ciel ..."


"Ode to the West Wind"
Son ode la plus célèbre, "Au vent d'ouest", est une prière au lyrisme puissant que le poète adresse au souffle de l'esprit, présence invisible et sauvage qui agite la vie terrestre, pour recevoir l'inspiration qui fera de lui le prophète d'un monde régénéré.

 

O wild West Wind, thou breath of Autumn's being,
Thou, from whose unseen presence the leaves dead
Are driven, like ghosts from an enchanter fleeing,
Yellow, and black, and pale, and hectic red,
Pestilence-stricken multitudes: O thou,
Who chariotest to their dark wintry bed
The winged seeds, where they lie cold and low,
Each like a corpse within its grave, until
Thine azure sister of the Spring shall blow
Her clarion o'er the dreaming earth, and fill
(Driving sweet buds like flocks to feed in air)
With living hues and odours plain and hill:
Wild Spirit, which art moving everywhere;
Destroyer and preserver; hear, oh hear!

Thou on whose stream, mid the steep sky's commotion,
Loose clouds like earth's decaying leaves are shed,
Shook from the tangled boughs of Heaven and Ocean,
Angels of rain and lightning: there are spread
On the blue surface of thine aëry surge,
Like the bright hair uplifted from the head
Of some fierce Maenad, even from the dim verge
Of the horizon to the zenith's height,
The locks of the approaching storm. Thou dirge
Of the dying year, to which this closing night
Will be the dome of a vast sepulchre,
Vaulted with all thy congregated might
Of vapours, from whose solid atmosphere
Black rain, and fire, and hail will burst: oh hear!

 

Sauvage vent d’Ouest, souffle même de l’automne
Toi qui chasses, invisible, les feuilles mortes,
Comme fantômes fuyant devant un enchanteur,
Jaunes et noires, pâles et rouges de fièvre,
Multitudes frappées de la peste ! O Toi
Qui charries jusqu'à leur sombre lit d’hiver
Les graines ailées où, froides et prostrées,
Elles gisent comme cadavres dans leur tombe
Jusqu’au jour où ta sœur azurée du printemps
Sur la terre endormie sonnera ses clairons
Et (paissant ses bourgeons dans les prairies du ciel)
Emplira la nature de couleurs et de senteurs de vie
Esprit sauvage, toi qui te meus partout
Destructeur et ange gardien, écoute ô écoute!
Toi qui, dans le déchirement du ciel vertical, emportes
Comme les feuilles pourries de la terre les nuages défaits
Arrachés aux branches mêlées du Ciel et de l’Océan.
Anges de la pluie, de l’éclair; là-haut s’étalent
Sur le flot bleu de ta houle aérienne
Comme les cheveux d’or dressés sur la tête
D’une folle Ménade, des confins embrumés
De l’horizon jusqu’aux hauteurs du zénith
Les boucles de la tempête proche. Chant funèbre
De l’année qui se meurt, que la nuit refermée
Viendra couvrir d’un vaste dôme sépulcral
Tendu de toute la puissance amoncelé
De ce mur de vapeurs d'où jailliront
La pluie noire et la foudre et la grêle,Ô écoute!



Mary Shelley (1797-1851)
Née à à Somers Town, un faubourg de Londres, fille unique de deux écrivains, William Godwin, pamphlétaire libertaire et romancier à succès de "Caleb Williams" (1794), et Mary Wollstonecraft, féministe à la vie tumultueuse, qui meurt peu après sa naissance, Mary vit en Ecosse jusqu'en 1814, retourne à Londres et rencontre Percy Bysshe Shelley, déjà marié : elle a dix-huit ans, il a vingt-trois ans, tous s'enfuient en Europe et se marient en 1816. Leur destin est marqué par le drame et la passion, un seul de leurs quatre enfants survit et Percy meurt noyé en 1822. C'est au cours de l'été 1816 qu'elle passe au bord du lac Léman en compagnie de Percy, de lord Byron et du Dr Polidori, et suite à des lectures communes d'histoires allemandes de revenants, qu'elle imagine "Frankenstein, or the Modern Promethus", qui sera publié en 1818. L'ouvrage possède tous les ingrédients du roman gothique, mais l'horreur et la terreur ne résident pas ici dans le monstre lui-même, mais dans l'esprit de son créateur, l'homme qui donne vie à une "cadavre démoniaque". On oubliera très vite la filiation de Frankenstein avec ce courant littéraire qui, à travers Shelley (Prometheus Unbound, 1820), Coleridge (The Rime of the Ancient Mariner, 1798), Byron Manfred, 1816), s'interroge avec angoisse sur sa condition humaine dans un monde qui semble le rejeter tant au niveau social qu'au niveau de l'imagination, et qui ne conçoit, pour y répondre, que tragédie et horreurs, dans le secret de son "laboratoire" intellectuel.. A la mort de Percy, Mary Shelley quittera l'Italie pour revenir en Angleterre et se consacrer à la littérature: "Valperga; or, The Life and Adventures of Castruccio, Prince of Lucca" (1823), Posthumous Poems of Percy Bysshe Shelley (1824), "The Last Man" (1826), "The Fortunes of Perkin Warbeck" (1830)..

Frankenstein; or, The Modern Prometheus (1818)
Victor Frankenstein défit l'ordre du monde et la loi divine en s'arrogeant la capacité de créer un homme : " Frightful must it be; for supremely frightful would be the effect of any human endeavour to mock the stupendous mechanism of the Creator of the world", écrira Mary Shelley. Mais la créature fait très rapidement horreur à son créateur et le monstre sans nom se retrouve condamné à la solitude, à la vengeance et à l'anéantissement final dans les glaces. Le 1er août 17.., alors qu'il effectue un voyage d'exploration dans l'océan Arctique, le capitaine R. Walton, commandant l'"Albatros", recueille à son bord un naufragé à demi-mort de froid, dérivant sur un banc de glace. Le rescapé lui fait le récit de sa vie et lui confie son terrible secret…

"When I recovered, I found myself surrounded by the people of the inn their countenances expressed a breathless terror : but the horror of others appeared only as a mockery, a shadow of the feelings that oppressed me. I escaped from them to the room where lay the body of Elizabeth, my love, my wife, so lately living, so dear, so worthy. She had been moved from the posture in which I had first beheld her ; and now, as she lay, her head upon her arm, and a handkerchief thrown across her face and neck, I might have supposed her asleep.

I rushed towards her, and embraced her with ardour ; but the deadly languor and coldness of the limbs told me, that what I now held in my arms had ceased to be the Elizabeth whom I had loved and cherished. The murderous mark of the fiend's grasp was on her neck, and the breath had ceased to issue from her lips.

While I still hung over her in the agony of despair, I happened to look up. The windows of the room had before been darkened., and I felt a kind of panic on seeing the pale yellow light of the moon illuminate the chamber. The
shutters had been thrown back ; and, with a sensation of horror not to be described, I saw at the open window a figure the most hideous and abhorred. A grin was on the face of the monster ; he seemed to jeer, as with his fiendish finger he pointed towards the corpse of my wife. I rushed towards the window, and drawing a pistol from my bosom, fired ; but he eluded me, leaped from his station, and, running with the swiftness of lightning, plunged into the lake."

"Lorsque je retrouvai mes esprits, les gens de l'auberge m'entouraient. Leur physionomie exprimait une indicible terreur mais cette terreur-là me semblait une caricature, l'ombre des sentiments qui m'accablaient. Je m'écartai d'eux et gagnai la chambre où gisait le corps d'Élisabeth, mon amour, mon épouse, si vivante, si douce, si belle, il y a quelques minutes à peine. Elle n'était plus dans la position dans laquelle je l'avais découverte la première fois. À présent, elle avait la tête appuyée sur un bras. Un mouchoir lui couvrait le visage et le cou. J'aurais pu croire qu'elle dormait.
Je me ruai sur elle et l'enlaçai avec ardeur mais la rigidité de ses membres et le froid de sa chair me disaient que je ne tenais plus entre mes bras cette Élisabeth que j'avais tant aimée et tant chérie. Sur son cou apparaissaient les traces de doigt criminelles et aucun souffle ne s'échappait de ses lèvres.

Tandis que je me tenais penché sur elle, dans l'agonie du désespoir, je levai les yeux. Jusqu'à cet instant, les fenêtres de la chambre étaient sombres et j'éprouvai une espèce de panique en voyant la lueur jaune et pâle de la lune illuminer la pièce. À l'extérieur, les volets n'étaient pas mis. Avec une sensation d'horreur indescriptible, je vis à travers la fenêtre ouverte la plus hideuse, la plus abominable des figures. Une grimace tordait les traits du
monstre. Il semblait se moquer et, d'un doigt immonde, me désigner le corps de ma femme. Je me précipitai vers la fenêtre, tirai mon pistolet de ma poitrine et fis feu. Mais il m'évita, changea de place et alla, à la vitesse de l'éclair, plonger dans le lac."



Thomas Love Peacock (1785-1866)
Natif de Weymouth, dans le Dorset, Thomas Love Peacock est un grand auteur de romans satiriques, des "conversation novels" qui restituent  nombre de discussions intellectuelles et sociales du début du XIXe siècle en Angleterre : les personnages qui prennent part à ces diverses "conversations" sont pour la plupart des personnages bien réels de la société de l'époque (William Wordsworth, Samuel Taylor Coleridge, Walter Scott), mais des personnages qui sont en perpétuel désaccords et argumentent sur des futilités ("All philosophers, who find Some favourite system to their mind, In every point to make it fit, Will force all nature to submit"). Ses amis furent souvent ses cibles favorites, mais les différents évènements de sa vie constituent aussi une trame significative quant à son activité poétique : "Palmyre", son premier recueil de poèmes (1805), une incursion dans la poésie savante, sa rupture avec Fanny Falkner (Newark Abbey, 1842), ses fonctions à bord du HMS Venerable en 1808 ("The Genius of the Thames", 1810), un voyage au Pays de Galles, où il rencontre Jane Gryffydh, fille d'un pasteur gallois. En 1812, alors qu'il vient de publier son grand poème," The Philosophy of Melancholy", Peacock se lie d'amitié avec Percy Bysshe Shelley  dont il deviendra très proche, autant critique littéraire qu'assistant, partageant un même amour du grec. Il accompagna le poète et sa maîtresse, Mary Wollstonecraft Godwin, à Édimbourg au cours de l'hiver 1813, fut un visiteur assidu de l'appartement londonien de Shelley pendant l'hiver 1814-1815, et leur trouva un logement en 1816, non loin du sien, à Great Marlow. Mais Shelley ne tarda pas à quitter définitivement l'Angleterre et les deux amis ne se revirent plus.

Entre-temps, Peacock entrait en littérature avec "Headlong Hall" (1816), le prototype de ses romans ultérieurs, des personnages réunis dans une maison de campagne et  incarnant des opinions ( la soif de connaissance de Squire Headlong, le maître de maison, le conduit à réunir des hommes de lettres ou apparentés), puis "Melincourt" (1817), plus étoffé que son précédent roman, et surtout , "Nightmare Abbey" (L'Abbaye de Cauchemar), son oeuvre la plus connue et qui paraît la même année que "Frankenstein", en 1818. Satire et comédie centrée sur les amours malheureux d'un certain Scythrop Glowry, qui rappelle Shelley, et met en scène des caricatures de Byron et de Coleridge, en fond de critique du mouvement romantique. L'époque de la régence de George IV représente alors un tournant pour la fiction anglaise, le prince régent apprécie les œuvres de Jane Austen et la classe moyenne devient un lectorat d'importance. Mais en 1819 Peacock s'éloigne quelque temps de la littérature, travaillant pour l'East India Company (il y rencontrera James Mill et le philosophe Jeremy Bentham) et épousant Jane Gryffydh. En 1820 paraît “The Four Ages of Poetry” , suivi de son quatrième roman, "Maid Marian" (1822) : c'est aussi l'année de la disparition de Percy Bysshe Shelley au large des côtes italiennes. "The Misfortunes of Elphin" en 1829 aborde les rivages du réformisme social, mais sans aller au-delà de l'évocation. "Crotchet Castle" (1831) marque le retour de Peacock au monde de la satire et de la conversation caricaturale, mais l'activité littéraire n'est plus à proprement parler sa préoccupation fondamentale et ce n'est que dans la toute dernière partie de sa vie qu'il entreprend d'alimenter des "Memoirs of Percy Bysshe Shelley"...

"Nightmare Abbey" (1818) met en scène avec une ironie mordante les traits exacerbés du romantisme britannique, Christopher Glowry, propriétaire de l'abbaye, se nourrit des débats interminables qui opposent ses convives, des personnages qui évoquent  Lord Byron (Mr. Cypress) et Samuel Taylor Coleridge (Mr. Flosky, "a very lachrymose and morbid gentleman"), tandis que son fils, Scythrop, inspiré de Percy Bysshe Shelley, s'enferme dans une tour où il lit les tragédies allemandes et la philosophie transcendantale,  développe une "passion pour réformer le monde" et ne sait que faire entre ses deux amours, Marionetta et Stella, Harriet Westbrook et Mary Godwin....

"Nightmare Abbey, a venerable family-mansion, in a highly picturesque state of semi-dilapidation, pleasantly situated on a strip of dry land between the sea and the fens, at the verge of the county of Lincoln, had the honour to be the seat of Christopher Glowry, Esquire. This gentleman was naturally of an atrabilarious temperament, and much troubled with those phantoms of indigestion which are commonly called blue devils. He had been deceived in an early friendship: he had been crossed in love; and had offered his hand, from pique, to a lady, who accepted it from interest, and who, in so doing, violently tore asunder the bonds of a tried and youthful attachment. Her vanity was gratified by being the mistress of a very extensive, if not very lively, establishment; but all the springs of her sympathies were frozen. Riches she possessed, but that which enriches them, the participation of affection, was wanting. All that they could purchase for her became indifferent to her, because that which they could not purchase, and which was more valuable than themselves, she had, for their sake, thrown away. She discovered, when it was too late, that she had mistaken the means for the end--that riches, rightly used, are instruments of happiness, but are not in themselves happiness. In this wilful blight of her affections, she found them valueless as means: they had been the end to which she had immolated all her affections, and were now the only end that remained to her. She did not confess this to herself as a principle of action, but it operated through the medium of unconscious self-deception, and terminated in inveterate avarice. She laid on external things the blame of her mind's internal disorder, and thus became by degrees an accomplished scold. She often went her daily rounds through a series of deserted apartments, every creature in the house vanishing at the creak of her shoe, much more at the sound of her voice, to which the nature of things affords no simile; for, as far as the voice of woman, when attuned by gentleness and love, transcends all other sounds in harmony, so far does it surpass all others in discord, when stretched into unnatural shrillness by anger and impatience.
Mr Glowry used to say that his house was no better than a spacious kennel, for every one in it led the life of a dog. Disappointed both in love and in friendship, and looking upon human learning as vanity, he had come to a conclusion that there was but one good thing in the world, _videlicet_, a good dinner; and this his parsimonious lady seldom suffered him to enjoy: but, one morning, like Sir Leoline in Christabel, 'he woke and found his lady dead,' and remained a very consolate widower, with one small child.
This only son and heir Mr Glowry had christened Scythrop, from the name of a maternal ancestor, who had hanged himself one rainy day in a fit of tædium vitæ, and had been eulogised by a coroner's jury in the comprehensive phrase of felo de se; on which account, Mr Glowry held his memory in high honour, and made a punchbowl of his skull.
  When Scythrop grew up, he was sent, as usual, to a public school, where a little learning was painfully beaten into him, and from thence to the university, where it was carefully taken out of him; and he was sent home like a well-threshed ear of corn, with nothing in his head: having finished his education to the high satisfaction of the master and fellows of his college, who had, in testimony of their approbation, presented him with a silver fish-slice, on which his name figured at the head of a laudatory inscription in some semi-barbarous dialect of Anglo-Saxonised Latin.
  His fellow-students, however, who drove tandem and random in great perfection, and were connoisseurs in good inns, had taught him to drink deep ere he departed. He had passed much of his time with these choice spirits, and had seen the rays of the midnight lamp tremble on many a lengthening file of empty bottles. He passed his vacations sometimes at Nightmare Abbey, sometimes in London, at the house of his uncle, Mr Hilary, a very cheerful and elastic gentleman, who had married the sister of the melancholy Mr Glowry. The company that frequented his house was the gayest of the gay. Scythrop danced with the ladies and drank with the gentlemen, and was pronounced by both a very accomplished charming fellow, and an honour to the university.
  At the house of Mr Hilary, Scythrop first saw the beautiful Miss Emily Girouette. He fell in love; which is nothing new. He was favourably received; which is nothing strange. Mr Glowry and Mr Girouette had a meeting on the occasion, and quarrelled about the terms of the bargain; which is neither new nor strange. The lovers were torn asunder, weeping and vowing everlasting constancy; and, in three weeks after this tragical event, the lady was led a smiling bride to the altar, by the Honourable Mr Lackwit; which is neither strange nor new.
  Scythrop received this intelligence at Nightmare Abbey, and was half distracted on the occasion. It was his first disappointment, and preyed deeply on his sensitive spirit. His father, to comfort him, read him a Commentary on Ecclesiastes, which he had himself composed, and which demonstrated incontrovertibly that all is vanity. He insisted particularly on the text, 'One man among a thousand have I found, but a woman amongst all those have I not found.'
  'How could he expect it,' said Scythrop,' when the whole thousand were locked up in his seraglio? His experience is no precedent for a free state of society like that in which we live.'
  'Locked up or at large,' said Mr Glowry, 'the result is the same: their minds are always locked up, and vanity and interest keep the key. I speak feelingly, Scythrop.'
  'I am sorry for it, sir,' said Scythrop. 'But how is it that their minds are locked up? The fault is in their artificial education, which studiously models them into mere musical dolls, to be set out for sale in the great toy-shop of society.'
  'To be sure,' said Mr Glowry, 'their education is not so well finished as yours has been; and your idea of a musical doll is good. I bought one myself, but it was confoundedly out of tune; but, whatever be the cause, Scythrop, the effect is certainly this, that one is pretty nearly as good as another, as far as any judgment can be formed of them before marriage. It is only after marriage that they show their true qualities, as I know by bitter experience. Marriage is, therefore, a lottery, and the less choice and selection a man bestows on his ticket the better; for, if he has incurred considerable pains and expense to obtain a lucky number, and his lucky number proves a blank, he experiences not a simple, but a complicated disappointment; the loss of labour and money being superadded to the disappointment of drawing a blank, which, constituting simply and entirely the grievance of him who has chosen his ticket at random, is, from its simplicity, the more endurable.' This very excellent reasoning was thrown away upon Scythrop, who retired to his tower as dismal and disconsolate as before.
  The tower which Scythrop inhabited stood at the south-eastern angle of the Abbey; and, on the southern side, the foot of the tower opened on a terrace, which was called the garden, though nothing grew on it but ivy, and a few amphibious weeds. The south-western tower, which was ruinous and full of owls, might, with equal propriety, have been called the aviary. This terrace or garden, or terrace-garden, or garden-terrace (the reader may name it ad libitum), took in an oblique view of the open sea, and fronted a long tract of level sea-coast, and a fine monotony of fens and windmills.
  The reader will judge, from what we have said, that this building was a sort of castellated abbey; and it will probably, occur to him to inquire if it had been one of the strong-holds of the ancient church militant. Whether this was the case, or how far it had been indebted to the taste of Mr Glowry's ancestors for any transmutations from its original state, are, unfortunately, circumstances not within the pale of our knowledge.
  The north-western tower contained the apartments of Mr Glowry. The moat at its base, and the fens beyond, comprised the whole of his prospect. This moat surrounded the Abbey, and was in immediate contact with the walls on every side but the south.
  The north-eastern tower was appropriated to the domestics, whom Mr Glowry always chose by one of two criterions,---a long face, or a dismal name. His butler was Raven; his steward was Crow; his valet was Skellet. Mr Glowry maintained that the valet was of French extraction, and that his name was Squelette. His grooms were Mattock and Graves. On one occasion, being in want of a footman, he received a letter from a person signing himself Diggory Deathshead, and lost no time in securing this acquisition; but on Diggory's arrival, Mr Glowry was horror-struck by the sight of a round ruddy face, and a pair of laughing eyes. Deathshead was always grinning,---not a ghastly smile, but the grin of a comic mask; and disturbed the echoes of the hall with so much unhallowed laughter, that Mr Glowry gave him his discharge. Diggory, however, had staid long enough to make conquests of all the old gentleman's maids, and left him a flourishing colony of young Deathsheads to join chorus with the owls, that had before been the exclusive choristers of Nightmare Abbey...."


William Turner (1775-1851)
Turner est le peintre des effets lumineux naturels dans les paysages et les marines, du soleil pour ses reflets à surface de l'eau pour son éblouissement qui le fascine et dont il fait un sujet à part entière, au même titre que feux et flammes.

Né à Londres, Turner voyagea beaucoup tout au long de sa carrière, en Angleterre, en Ecosse, et, après la paix d'Amiens en 1802, en France et en Suisse, en Italie, Rhénanie, Pays-Bas, passant et repassant fréquemment la Manche entre 1817 et 1845. On distingue généralement dans son oeuvre trois périodes. Sa première période (1800-1820) le montre sensible aux variations atmosphériquesdu peintre paysagiste français du XVIIe siècle, Claude le Lorrain, dont il a vu à Londres deux tableaux et qu'il tente en vain de reproduire : "Study of the Composition of Claude's Landscape with the Landing of Aeneas in Latium" (1799, Tate Britain - London), "The Sun Rising through Vapour" (1807, National Gallery, Londres). Les œuvres de la seconde période (1820-1835) accentuent couleurs et lumière : "The Bay of Baiae, with Apollo and the Sibyl" (1823, Tate, London), "Ulysses Deriding Polyphemus" (1829, National Gallery). La troisième période (1835-1845) est considérée comme l'apogée du peintre, vision contemporaine : désormais les objets vont être restitués comme des "masses indistinctes à l'intérieur d'un halo de couleurs chaudes", les détails du sujet disparaissent dans des atmosphères colorées, et du même coup vont particulièrement déconcerter le public et les critiques : "Snow Storm - Steam-Boat off a Harbour's Mouth Making Signals in Shallow Water, and Going by the Lead" (1842, Tate Gallery, Londres), "Peace - Burial at Sea" (1842, Tate Gallery) et "Rail, Steam and Speed - the Great Western Railway" (1844, National Gallery), "The Fighting 'Temeraire' Tugged to Her Last Berth to be Broken Up" (1838, National Gallery, London), le Combat du « Téméraire » (1839, National Gallery), "Approach to Venice" (1844, National Gallery of Art, Washington), "The Burning of the Houses of Lords and Commons, 16th October 1834" (1835, Philadelphia Museum of Art), "Fire at Sea" (1835,Tate Britain - London)

Volontairement très isolé, dépourvu de toutes contraintes matérielles et sociales, sa très grande renommée dans l'Europe entière résidera principalement dans ses recueils de gravures sur acier ou sur cuivre et dans ses aquarelles de voyage publiées à partir de 1826 dans ses fameux "Keepsake", livres de luxe tant prisés par la bourgeoisie anglaise depuis 1820 et qui mobilisèrent artistes et écrivains de renom (Bonington, Cruikshank, Leech, Dickens, Shelley, Ruskin). Il meurt à Londres (Chelsea) le 19 décembre 1851 laissant un fonds d’atelier de plus de vingt mille peintures, aquarelles, dessins, carnets, estampes.


Alfred Tennyson (1809-1892)
De 1850 à 1892, lord Tennyson incarne à lui seul toute la poésie victorienne, une poésie qui, sous le vernis de la grandeur, abrite une absolue mélancolie. Après sa mort, on moqua son sentimentalisme et la médiocrité de sa pensée. Il donna pourtant au conformisme victorien ce qu'il attendait, des mélodrames populaires à l'épopée arthurienne, et sut traduire les émotions collectives de tout un peuple : "Britons, guard your own" (1852), "Ode on the Death of the Duke of Wellington" (1852), "The Charge of the Light Brigade" (1854).
Mais en son for intérieur, il resta tourmenté par les sombres appels du cœur et du désespoir qui ne le quittèrent jamais. "Maud" (1855) et les "Idylls of the King" (1859-1888) mettent en évidence les deux tendances profondes du poète, le retrait sur soi et le rejet du monde pour ces seules joies cérébrales de la passion sensuelle qui nourrissent l'âme, d'une part; sa volonté, d'autre part, d'encourager cette nation britannique en pleine mutation et qui ne peut échapper à cette nostalgie du passé dont témoignent ses récits en vers sur des thèmes arthuriens (la Mort d'Arthur,1842, Geraint et Enid, Merlin et Viviane, Lancelot et Elaine, Guenièvre, 1859) et ses drames historiques (Queen Mary, 1875 ; Becket, 1884); il va nourrir ainsi tout un courant artistique caractéristique de cette époque, Ruskin, E. G. Bulwer-Lytton et les préraphaélites.

Quatrième des douze enfants du révérend Charles Tennyson, Alfred Tennyson naquit au presbytère de Somersby, comté de Lincoln, connut une enfance difficile dans une atmosphère tendue et triste. Son père, pasteur à son corps défendant, peu argenté, ne lui permit pas de recevoir l'éducation espérée : frustré, c'est vers la nature, la littérature, et dans la solitude qu'il passa son enfance, et se tourne vers la poésie  (Poems by Two Brothers, 1827) : fort mal reçu par lepublic. De 1830 à 1850, la mort de son père l'appauvrit un peu plus et la mort de son ami Arthur Hallam le plonge dans un sentiment de désespoir éternel que reflètent ses différents recueils: "Claribel et Mariana" (1830), bien reçu par Samuel Taylor Coleridge, "The Lady of Shalott" (1833), mal acceptée par le public. Après la publication de "The Princess"(1847) et de "In memoriam" (1850), il épouse Emily Sellwood et succède à Wordsworth comme poète lauréat grâce à Gladstone. Ses poèmes (Maud, 1855 ; les Idylles du roi, 1859, Enoch Arden, 1864) et ses drames (la Reine Marie, 1875) font de lui le chantre aristocratique et national de l'ère victorienne. « ... Puisse-t-il ne pas y avoir de tristesse d’adieu, / quand j’embarquerai ; / (...) J’espère voir mon pilote face à face / quand j’aurai passé la barre. » (Crossing the Bar, 1889).

 

The Charge of the Light Brigade (1855)
C'est l'un des textes les plus connus de Tennyson, poème dramatique en hommage aux cavaliers britanniques entraînés dans une charge insensée le 25 octobre 1854, durant la guerre de Crimée : "Theirs not to make reply, / Theirs not to reason why, / Theirs but to do and die" ("Il n'y a pas à discuter / Il n'y a pas à s'interroger / Il n'y a qu'à agir et mourir"). C'est avec cette oeuvre de Tennyson et le rythme de ses vers qui expriment tant cette progression de la cavalcade vers l'horreur, que le sacrifice aveugle de ces "noble six hundred" entra dans la mémoire collective britannique.
(The Charge of the Light Brigade, the Battle of Balaclava, 15th October 1854, with Godfrey Charles Morgan, 1st Viscount Tredegar, Astride His Horse, 'Sir Briggs' - John Charlton (1849–1917) - National Trust, Tredegar House - The Charge of the Light Brigade - Thomas Jones Barker (1815–1882) - Defence Academy of the United Kingdom )

Half a league, half a league,
    Half a league onward,
All in the valley of Death
    Rode the six hundred.
"Forward, the Light Brigade!
"Charge for the guns!" he said:
Into the valley of Death
    Rode the six hundred.

"Forward, the Light Brigade!"
Was there a man dismay'd?
Not tho' the soldier knew
    Someone had blunder'd:
Theirs not to make reply,
Theirs not to reason why,
Theirs but to do and die:
Into the valley of Death
    Rode the six hundred.

Demi-lieue par demi-lieu,
Par demi-lieue de l'avant!
Tous dans la vallée de la Mort
Chevauchaient les six-cents.
Il dit: "En avant, la Brigade légère!
A la charge de cette batterie!"
Et dans la vallée de la mort
Chevauchèrent les six-cents.

"En avant, la Brigade légère!"
Fut-il, celui que l'ordre consterna?
Non! Pourtant il savait, le soldat,
Il savait que c'était insensé.
Pas un mot, pas une question.
A eux d'agir et de mourir :
Et dans la vallée de la mort
Chevauchèrent les six-cents.


Cannon to right of them,
Cannon to left of them,
Cannon in front of them
    Volley'd and thunder'd;
Storm'd at with shot and shell,
Boldly they rode and well,
Into the jaws of Death,
Into the mouth of Hell
    Rode the six hundred.
(...)
When can their glory fade?
O the wild charge they made!
All the world wondered.
Honour the charge they made!
Honour the Light Brigade,
Noble six hundred!

Pour eux les canons, à droite,
Pour eux les canons, à gauche,
Pour eux les canons, droit devant,
Pour eux les rafales et le grondement,
Pour eux l'orage des balles et des obus.
Hardis ils chevauchèrent bellement,
Jusque dans les mâchoires de la Mort
Jusque dans la gueule de l'Enfer.
(...)


Leur gloire ne sera pas ternie,
Ô! Quelle équipée sauvage!
Le monde entier en fut frappé.
Honneur à la Brigade légère,
Ces valeureux six-cents!



Les Idylles du Roi (1885)

" I am half sick of shadows" said The Lady of Shalott.
Série de poèmes narratifs basés entièrement sur le Roi Arthur et la Légende arthurienne. Il y reprend sa célèbre "The Lady of Shalott", l'histoire d'une princesse qui ne peut être vue du monde, hormis à travers le reflet d'un miroir : un jour, pourtant, elle se laisse gagner par le désir d'apercevoir Lancelot, mais brise son miroir et n'est plus que ce corps à jamais inerte dérivant au gré du courant sur une barque vers Camelot. Quelque part, le Dame de Shalott, en quittant le monde de l'illusion pour s'abandonner à la réalité de son désir, rencontre son destin...

(John William Waterhouse The Lady of Shalott - Tate, London 1888)

On either side the river lie
Long fields of barley and of rye,
That clothe the wold and meet the sky;
And thro' the field the road runs by
To many-tower'd Camelot;
And up and down the people go,
Gazing where the lilies blow
Round an island there below,
The island of Shalott.
Willows whiten, aspens quiver,
Little breezes dusk and shiver
Thro' the wave that runs for ever
By the island in the river
Flowing down to Camelot.
Four gray walls, and four gray towers,
Overlook a space of flowers,
And the silent isle imbowers
The Lady of Shalott.
By the margin, willow-veil'd
Slide the heavy barges trail'd
By slow horses; and unhail'd
The shallop flitteth silken-sail'd
Skimming down to Camelot:
But who hath seen her wave her hand?
Or at the casement seen her stand?
Or is she known in all the land,
The Lady of Shalott?
Only reapers, reaping early
In among the bearded barley,
Hear a song that echoes cheerly
From the river winding clearly,
Down to tower'd Camelot:
And by the moon the reaper weary,
Piling sheaves in uplands airy,
Listening, whispers "'Tis the fairy
Lady of Shalott".(...)

De chaque côté de la rivière s'étendent
De longs champs d'orge et de seigle,
Qui couvrent les plateaux et rejoignent le ciel ;
Et à travers les champs la route mène
Au très imposant Camelot ;
Et les gens vont et viennent,
Regardant où poussent les lys
Autour d'une île là en bas,
L'île de Shalott
Saules blanchis, trembles frissonnants,
Petite brise, obscurité et frisson
A travers l'onde qui passe pour toujours
Près de l'île dans la rivière
Coulant vers Camelot.
Quatre murs gris et quatre tours grises
S'ouvrent sur un espace de fleurs,
Et l'île silencieuse garde dans sa chaumière
La dame de Shalott
Seuls les moissonneurs fauchant de bonne heure,
Une partie de l'orge produit,
Entendent une chanson qui fait écho joyeusement
Venant clairement de la rivière
En bas, vers l'imposant Camelot ;
Et près de la lune le moissonneur épuisé,
Entassant les bottes de céréales sur les hauteurs dégagées,
Ecoutant, murmure : c'est la fée
La Dame de ShalottLà, elle tisse de nuit et de jour
Un tissu magique aux couleurs éclatantes,
Elle a entendu une rumeur dire
Qu'une malédiction s'abattrait sur elle si elle restait
A regarder en bas vers Camelot.
Elle ne sait pas ce que peut être la malédiction
Et alors, elle tisse encore plus,
Et pense rarement à autre-chose,
La Dame de Shalott.