Ferdinand Tönnies (1855-1936), "Gemeinschaft und Gesellschaft" (1887) - Georg Simmel (1858-1918), "Einleitung in die Möralwissenschaft" (Introduction aux science morales, 1892-1893), "Philosophie des Geldes" (1900), "Die Großstädte und das Geistesleben" (1903), "Soziologie" (1908), "Leebensanschauung, vier metaphysischeKapitel" (L'Intuition de la vie, 1918) -  .....

Last update: 31/11/2016


C'est la révolution industrielle qui a drainé vers les villes et leurs usines, aux Etats-Unis comme en Europe, des millions de travailleurs, industrialisation, essor du capitalisme et vie urbaine constituent les dimensions essentielles de cette modernité qui se construit au tout début du XXe siècle entraînant dans leur sillage nombre de mutations. Karl Marx attribue ces mutations de l'ordre social au capitalisme, Emile Durkheim à l'industrialisation, - la division du travail instaure une "soldiraté organique" qui rend les individus interdépendants (1893), Max Weber à la rationalisation, - tout en s'alarmant de ses effets déshumanisants (1904-1905). Alors que Ferdinand Tönnies, en 1887, déplore le déclin des liens communautaires au profit des relations impersonnelles qui caractérisent la société moderne, Georg Simmel est le premier à pousser l'hypothèse que c'est l'urbanisation elle-même qui modifie les interactions sociales entre les individus. C'est dans "Les Grandes Villes et la vie de l'esprit" que Georg Simmel, en 1903, décrira la ville comme une source d'aliénation et d'indifférence, étudiant tant les formes d'ordre social qui s'y constituent que les effets sur l'existence des individus  plongés dans une vie collective d'autant plus vaste qu'ils se retrouvent le plus souvent coupés de leur communauté d'origine et de leur famille. Vingt ans plus tard, dans les années 1920, Robert Ezra Park et ses confrères de l'école de Chicago se consacreront à l'étude de la "vie urbaine" et à celle des structures sociales de la ville ...

- Ludwig Meidner (1884-1966), "Ich und die Stadt" (1913) - 


Georg Simmel (1858-1918)

Né à Berlin, élève du grand historien allemand Theodor Mommsen, puis professeur de philosophie dont les idées furent peu partagées par les autorités de l'université de Berlin, malgré le soutien de Weber et de Tönnies, Simmel rejette la conception de Kant qui aboutit à maintenir comme un absolu les formes de la pensée, des catégories. Pour Simmel, il n'y a pas un "esprit" mais autant de conception du monde que d'individus. Et plus encore, il n'y a pas "une" philosophie, mais des contenus de pensée générés par des circonstances individuelles ou collectives, et qui n'ont donc de valeur que comme des témoignages historiques de l'humanité. Comment donc appréhender ces réalités sociales qui résultent d'une multitude d'actions individuelles, si ce n'est en s'appuyant des "formes", des constructions mentales : Simmel apparaît ainsi comme le fondateur de la "sociologie formelle". Il est assez proche de l' "idéal-type" qu'utilise Max Weber, mais aux antipodes d'un Durkheim qui entend dégager des sociologiques universelles. Par le biais de ces "formes", Simmel va tenter de rendre compréhensibles certaines situations sociales , mais il lui paraît inutile de chercher à reproduire une réalité qui reste inaccessible par sa complexité. Et plus encore, cette recherche de régularités sociales macroscopiques universelles est totalement sans intérêt. C'est avec cette démarche intellectuelle que Simmel construit sa fameuse "Philosophie de l'argent"(Philosophie des Geldes, 1900)... 


"Philosophie de l'argent"(Philosophie des Geldes, 1900) 

"Die Ordnung der Dinge, in die sie sich als natürliche Wirklichkeiten einstellen, ruht auf der Voraussetzung, daß alle Mannigfaltigkeit ihrer Eigenschaften von einer Einheit des Wesens getragen werde: die Gleichheit vor dem Naturgesetz, die beharrenden Summen der Stoffe und der Energien, die Umsetzbarkeit der verschiedenartigsten Erscheinungen ineinander versöhnen die Abstände des ersten Anblicks in eine durchgängige Verwandtschaf, in eine Gleichberechtigtheit aller."

Simmel, dans cet ouvrage, entend répondre à deux questions fondamentales, comment l'échange monétaire entre les hommes a-t-il été rendu possible, quelles sont les conséquences de l'invention et de la généralisation de l'argent comme intermédiaire universel des échanges entre les hommes? Il engage ainsi une réflexion philosophique sur la culture, empreinte de cette nostalgie que l'on retrouve chez Oswald Spengler : Les hommes et les valeurs se sont effacés au profit des objets, de la quantité, la spécificité de l'argent est bien cette indifférence à toute valeur, ce n'est qu'un modèle de l'enchaînement des moyens et des fins.

« Il y a société, au sens large du mot, partout où il y a action réciproque des individus. Depuis la réunion éphémère de gens qui vont se promener ensemble jusqu’à l’unité intime d’une famille ou d’une ghilde du moyen âge, on peut constater les degrés et les genres les plus différents d’association. Les causes particulières et les fins, sans lesquelles naturellement il n’y a pas d’association, sont comme le corps, la matière du processus social ; que le résultat de ces causes, que la recherche de ces fins entraîne nécessairement une action réciproque, une association entre les individus, voilà la forme que revêtent les contenus. Séparer cette forme de ces contenus, au moyen de l’abstraction scientifique, telle est la condition sur laquelle repose toute l’existence d’une science spéciale de la société. Car il apparaît tout de suite que la même forme, la même espèce d’association peut s’adapter aux matières, aux fins les plus différentes. Ce n’est pas seulement l’association d’une façon générale qui se trouve aussi bien dans une communauté religieuse que dans une conjuration, dans une alliance économique que dans une école d’art, dans une assemblée du peuple que dans une famille, mais des ressemblances formelles s’étendent encore jusqu’aux configurations et aux évolutions spéciales de ces sociétés. Dans les groupes sociaux, que leurs buts et leurs caractères moraux font aussi différents qu’on peut l’imaginer, nous trouvons par exemple les mêmes formes de la domination et de la subordination, de la concurrence, de l’imitation, de l’opposition, de la division du travail, nous trouvons la formation d’une hiérarchie, l’incarnation des principes directeurs des groupes en symboles, la division en partis, nous trouvons tous les stades de la liberté ou de la dépendance de l’individu à l’égard du groupe, l’entrecroisement et la superposition des groupes mêmes, et certaines formes déterminées de leur réaction contre les influences extérieures. Cette ressemblance des formes et des évolutions qui se produit souvent au milieu de la plus grande hétérogénéité des déterminations matérielles des groupes, y révèle, en dehors de ces déterminations, l’existence de forces propres, d’un domaine dont l’abstraction est légitime ; c’est celui de l’association en tant que telle et de ses formes. Ces formes se développent au contact des individus, d’une façon relativement indépendante des causes matérielles (actuelles, singulières) de ce contact, et leur somme constitue cet ensemble concret qu’on appelle, par abstraction, société.

A vrai dire, dans les phénomènes historiques particuliers, le contenu et la forme sociale constituent en fait une combinaison indissoluble ; il n’y a pas de constitution ou d’évolution sociale qui soit purement sociale, et qui ne soit pas en même temps constitution ou évolution d’un contenu. Ce contenu peut être d’espèce objective : la production d’une œuvre, le progrès de la technique, le règne d’une idée, la prospérité ou la ruine d’un groupe politique, le développement du langage ou des mœurs. Il peut être aussi de nature subjective, c’est-à-dire concerner les innombrables parties de la personne que la socialisation renforce, satisfait, développe dans la direction de la moralité ou de l’immoralité. Mais cette pénétration absolue du contenu et de la forme, telle qu’elle se présente dans la réalité historique, n’empêche pas la science de les dissocier par l’abstraction; c’est ainsi que la géométrie ne considère que la forme spatiale du corps, qui, cependant, n’existe pas pour elle seule, mais toujours dans et avec une matière, laquelle est l’objet d’autres sciences. Même l’historien, au sens étroit du mot, n’étudie qu’une abstraction des événements réels. Lui aussi, il détache de l’infinité des actions et des paroles réelles, de la somme de toutes les particularités intérieures et extérieures les processus qui rentrent sous des concepts déterminés. Ce n’est pas tout ce que Louis XIV ou Marie-Thérèse ont fait du matin au soir, ce ne sont pas tous les mots de hasard dont ils ont couvert leurs résolutions politiques, ni tous les innombrables événements psychiques qui les ont précédés, rattachés à elles par une nécessaire liaison de fait, mais non par un rapport objectif, ce n’est pas tout cela qui entrera dans l’« histoire » ; mais le concept de l’importance politique sera appliqué aux événements réels, on ne recherchera et on ne racontera que ce qui lui appartient, ce qui, à vrai dire, en fait, n’a pas été ainsi réel, c’est-à-dire n’est pas arrivé selon cette pure cohérence intérieure et conformément à cette abstraction. De même l’histoire économique isole en quelque sorte tout ce qui concerne les besoins corporels de l’homme et les moyens d’y satisfaire de la totalité des événements, quoique, peut-être, il n’y ait pas un seul de ceux-ci qui n’ait, en réalité, quelque rapport à ces besoins. La sociologie comme science particulière ne procédera pas autrement. Elle abstrait, pour en faire l’objet d’une observation spéciale, les éléments, le côté purement social de la totalité de l’histoire humaine, c’est-à-dire de ce qui arrive dans la société - autrement dit, pour l’exprimer avec une concision un peu paradoxale, elle étudie dans la société ce qui n’est que « société ». ( "Comment les formes sociales se maintiennent", Article de l'Année sociologique, 1896-1897) 


"Les grandes Villes et la vie de l'esprit" (Die Großstädte und das Geistesleben, 1903)

"Die tiefsten Probleme des modernen Lebens quellen aus dem Anspruch des Individuums, die Selbständigkeit und Eigenart seines Daseins gegen die Übermächte der Gesellschaft, des geschichtlich Ererbten, der äußerlichen Kultur und Technik des Lebens zu bewahren – die letzterreichte Umgestaltung des Kampfes mit der Natur, den der primitive Mensch um seine leibliche Existenz zu führen hat.

"Le citadin type se crée un organe protecteur contre le déracinement dont le menacent les courants divergents de son milieu externe". La révolution industrielle du XIXe siècle entraîne une forte urbanisation, et la ville porte en elle un nouvel environnement paradoxal, un moyen de s'affranchir des contraintes sociales traditionnelles mais aussi division et spécialisation du travail et nouvelles formes d'aliénation. Simmel tente de comprendre comment l'être humain de la cité parvient à maintenir son autonomie et la singularité de son existence. Face au rythme de cette nouvelle vie urbaine, le citadin doit réagir non plus avec le "coeur" mais avec "l'intellect", il doit ériger autour de lui un rempart d'indifférence affectée qui permet la survie sociale. Et c'est au détour de cette analyse que surgit la célèbre digression de Simmel sur la figure de l'étranger qu'il développera dans "Soziologie" (1908) : l' "étranger" est désormais une figure incontournable du paysage urbain qui s'installe, il est "celui qui vient aujourd'hui et qui reste demain", à la fois proche et éloigné, analysé par Simmel non comme un  "individu" mais comme un "type social" (Exkurs über den Fremden, 1908).

"Les problèmes les plus profonds de la vie moderne découlent de la tentative de l'individu de maintenir l'indépendance et l'individualité de son existence contre les puissances souveraines de la société, contre le poids du patrimoine historique et la culture et la technique extérieures de la vie. L'antagonisme représente la forme la plus moderne du conflit que l'homme primitif doit exercer sur la nature pour sa propre existence corporelle. Le dix-huitième siècle peut avoir appelé à la libération de tous les liens qui ont grandi historiquement dans la politique, la religion, la morale et l'économie, pour permettre à la vertu naturelle originelle de l'homme, égale en chacun, de se développer sans inhibition; Le dix-neuvième siècle a pu chercher à promouvoir, outre la liberté de l'homme, son individualité (qui est liée à la division du travail) et ses réalisations qui le rendent unique et indispensable, mais qui le rend d'autant plus dépendant L'activité complémentaire des autres; Nietzsche peut avoir vu la lutte acharnée de l'individu comme la condition préalable à son développement complet, tandis que le socialisme a trouvé la même chose dans la suppression de toute concurrence - mais dans chacun d'eux le même motif fondamental était à l'œuvre, à savoir la résistance de l'individu à être nivelé, englouti dans le mécanisme socio-technologique..."


"Soziologie" (1908) 

C'est dans "Soziologie" que Georg Simmel présente ses fameuses "digressions sur l'étranger", une figure qui n'est plus, en milieu urbain, aussi rare er passagère qu'elle le fut en milieu rural, une figure qui se lie à la communauté plus spatialement que socialement. C'est ainsi que se constitue le "type social" de l' "étranger" : on voit ainsi le citadin-type se créer un "organe protecteur contre le déracinement dont le menacent les courants divergents de son milieu externe..."

Principal représentant du relativisme philosophique contemporain, Simmel aboutit, dans la dernière partie de son œuvre, à une philosophie de l`existence considérée comme synthèse dynamique des rapports qui déterminent le réel. Le relativisme en tant que méthode consiste essentiellement à substituer à la définition, conception abstraite et unilatérale d'un domaine ou d'un aspect de la réalité, une analyse des structures complexes des rapports qui le constituent et le déterminent. Ainsi dans son Introduction aux sciences morales (Einleitung in die Moralwissenschaft, 1892), Simmel renonce-t-il à toutes les idéologies simplificatrices de l`expérience morale et aux concepts qui les expriment, pour n'examiner que les rapports diversement articulés qui déterminent la structure de cette expérience et qui constituent la sígnification intuitive de ces concepts. 

Dans le domaine de la sociologie, Simmel rejette la conception positiviste de cette discipline en tant que théorie de la société et de tous ses contenus. ou en tant qu'explication des événements historiques d`après les forces et la configuration d`une société. Il estime qu'elle implique. d`une part, une indétermination foncière et, de l`autre, une idée tout à la fois abstraite et partielle de la société et de ses structures. A ses yeux, "la sociologie, en tant que science particulière, trouve son objet en considérant les faits selon un plan", selon un système de rapports qui est loin de les résumer tous, mais qui en détermine quelques aspects typiques. Ce plan est celui de la sociabilité...

"Une sociologie proprement dite étudiera uniquement ce qui est proprement social, la forme et les formes de l'association en tant que telle, abstraction faite des intérêts et des objets particuliers qui se réalisent dans l`association et grâce à l`association". Le concept de société est pris ici en une acception purement formelle, puisqu`il y a société "partout où plusieurs individus entrent en relation mutuelle". La sociologie étudie les formes de cette association, les divers types de rapports par lesquels les individus entrent en contact et constituent une unité. Une sociologie ainsi conçue, pure et formelle, est indépendante aussi bien de la philosophie que de l`histoire. 

 

"Lebensanschauung, vier metaphysische Kapitel" (L'intuition de la vie, quatre chapitres métaphysiques, 1918)

Considéré comme la plus représentative, avec les "Problèmes fondamentaux de la philosophie", de la pensée de Georg Simmel, elle sera publiée l'année même de la mort de l`auteur. Le thème central est celui de la "transcendance de la vie". La vie est toujours enserrée dans des limites qu`elle franchit sans cesse, donnant lieu à des créations qui échappent à son propre flux et, de ce fait. la transcendent ; ainsi en va-t-il de toutes les formes spirituelles (science, art, religion. loi morale, etc.), surgies du flux concret de la vie qui conditionne leur actualisation. Mais elles échappent ensuite à ce flux, acquièrent une complète autonomie idéale, et retournent enfin dans la vie en tant que conscience directrice. La vie est donc "plus vie", par sa capacité d`assimiler des contenus qui ne lui appartiennent pas en propre, du moins à l`origine : et "plus que vie", parce que capable de se transcender elle-même. Une des limites rencontrées et surmontées par la vie est constituée par la mort : la mort est étroitement rattachée à l'individualité et même, métaphysiquement, s`identifie à elle ; seul l`individu meurt, et il meurt dans la mesure où son individualité est forte et bien marquée. Mais les contenus typiques et universels qu`il a produits lui survivent, d`où il semble que doit survivre l`essentiel de l`individualité : un tel fait trouve son expression dans le mythe de l`immortalité de l'âme. L`individu ne doit pas être entendu comme sujet biologique car il constitue lui-même une forme d`auto-transcendance de la vie, un universel typique, c`est-à-dire concret : la loi morale n'est donc pas une norme qui le transcende, mais un élément constitutif de son être propre; aussi, dire avec Simmel que la loi morale est individuelle ne signifie nullement qu'elle dépend de l'arbitraire des sujets empiriques, mais de l'essence même de la personnalité.

Simmel surmonte ainsi l`opposition entre vitalisme et intellectualisme ; s'il est vrai que les valeurs et la vérité dépendent et naissent de la vie, il n`en est pas moins vrai qu'elles se développent, selon leurs lois propres, sur un plan de complète autonomie, dont elles tirent des normes pour la vie elle-même.

 


Ferdinand Tönnies (1855-1936)

"La communauté est par essence plus ancienne que ses sujets ou que ses membres".

Né à Riep (Schesweig), agrégé de philosophie de l'université de Kiel en 1881, il n'est âgé que de ving-deux ans lorsqu'il fit paraître son ouvrage le plus connu, "Communauté et Société", dans lequel il replace au devant de la réflexion la notion de "communauté", notion jadis familière aux philosophes de l’Antiquité et aux théologiens de l’époque médiévale. Partant du constat de la destruction du lien social liée à la montée de l’individualisme, Tönnies porte une vision qui influencera tant Max Weber que Georg Simmel. Mais la vision de Tönnies est très conservatrice, il déplore la disparition de la communauté au profit de la modernité, il revient à Weber de développer à partir de ses intuitions le rôle de la volonté et de l'intuition.

Par la suite, il devint président de la société allemande de sociologie (Deutsche Gesellschaft für Soziologie, 1909) avec Werner Sombart et Max Weber, et en 1933, son opposition au national-socialisme lui valut d'être déchu de la dignité de professeur émérite. Son itinéraire spirituel est remarquablement restitué dans "Die Philosophie der Gegenwart in Selstdarstellungen" (1822). 

 

Dans "Communauté et société" (Gemeinschaft und Gesellschaft, 1887), Tönnies, le premier, propose une analyse des formes d'appartenance aux groupes et de leurs fondements en partant des conséquences au niveau humain du passage de l'ère préindustrielle à l'ère industrielle. Les liens de nature individuelle, fondés sur le sang, l'affection, le respect et la crainte de la communauté traditionnelle, ont été remplacé par des liens d'ordre rationnel fondés sur le contrat et l'intérêt de la société moderne. Et tout concourt pour prévoir une société future, certes économiquement plus efficace, mais psychologiquement déprimante. C'est dans ce cadre qu'il élabore donc sa célèbre distinction entre "Gemeinschaft" et "Gesellschaft", au fond entre société traditionnelle et société moderne. La Gemeinschaft ("communauté") décrit tout groupement "naturel", à forte dimension émotionnelle, fondé sur des liens objectifs (famille, ethnie, religion, appartenance villageoise, traditions, langue, références historiques...), et basée sur une "volonté organique". La communauté forme ainsi un tout homogène, un ensemble de consciences fortement dépendantes les unes des autres, une unité harmonieuse et spontanée où se réalise la fusion des membres, la communauté des traditions s’ajoutant à la communauté de sang, exprimant ainsi une morale "spontanée". La Gesellschaft ("société") est un groupement fondé sur le consentement et l'adhésion volontaire, un pur "produit de la pensée" (Gedankenprodukt),  au fond une juxtaposition d’individus différents qui ne peuvent constituer une réelle unité que par suite d’un contrat ou d’un accord réfléchi. Le fait que cette repose désormais sur un lien rationnel et individualiste, permet de s'interroger sur sa solidité et sur l'organisation juridique qui le sous-tend, en comparaison du lien de solidarité ancré dans la Gemeinschaft.