Hunter S. Thompson (1937?-2005), "Fear Loathing in Las Vegas : A Savage Journey to the Heart of the American Dream" (1972) - Charles Bukowski (1920-1994), "Notes of a dirty old man" (1969), "Erections, ejaculations, exhibitions and general tales of ordinary madness", "The most beautiful woman in town" (1972) - .....
Lastupdate: 31/12/2016


Hunter Stockton Thompson est un îcone de la contre-culture américaine, par sa vie foncièrement mouvementée et par son inventivité littéraire particulièrement déjantée : il est un adepte du journalisme "gonzo", un type de reportage totalement subjectif, en immersion complète, à l'image de cette légende du journalisme d'investigation, Nellie Bly, qui, en 1887, se fait internée à 23 ans dans un asile. L'alibi littéraire de ce style puise dans Faulkner pour qui la fiction est bien plus réelle qu'une réalité qui ne peut intégrer en l'état l'existence, existence de celui qui écrit ou du personnage lui-même : mais avec ici une déformation assumée de la réalité, encouragée par une consommation proportionnée d'alcool ou de drogue (gonzo, l'homme qui résiste à toutes les cuites). "Hell's Angels: The Strange and Terrible Saga of the Outlaw Motorcycle Gangs" (1967) devient ainsi l'emblématique support de ce type de journalisme, que prolonge le fameux "Fear and Loathing in Las Vegas: a Savage Journey to the Heart of the American Dream" (1972); Terry Gilliam adaptera ce dernier au cinéma en 1988 sous le titre de "Las Vegas Parano" avec Johnny Depp et Benicio del Toro.

Hunter S. Thompson (1937?-2005)
 Né à Louisville (Kentucky), Hunter Stockton Thompson est un icône de la contre-culture américaine, par sa vie foncièrement mouvementée et par son inventivité littéraire particulièrement déjantée : il est un adepte du journalisme "gonzo", un type de reportage totalement subjectif, en immersion complète, à l'image de cette légende du journalisme d'investigation, Nellie Bly, qui, en 1887, se fait internée à 23 ans dans un asile. L'alibi littéraire de ce style puise dans Faulkner pour qui la fiction est bien plus réelle qu'une réalité qui ne peut intégrer en l'état l'existence, existence de celui qui écrit ou du personnage lui-même : mais avec ici une déformation assumée de la réalité, encouragée par une consommation proportionnée d'alcool ou de drogue (gonzo, l'homme qui résiste à toutes les cuites). "Hell's Angels: The Strange and Terrible Saga of the Outlaw Motorcycle Gangs" (1967) devient ainsi l'emblématique support de ce type de journalisme, que prolonge le fameux "Fear and Loathing in Las Vegas: a Savage Journey to the Heart of the American Dream" (1972); Terry Gilliam adaptera ce dernier au cinéma en 1988 sous le titre de "Las Vegas Parano" avec Johnny Depp et Benicio del Toro. Quant à la vie chaotique de Thompson, elle débute lorsqu'il s’engage  dans l’U.S. Air Force (1956) pour échapper à la prison, partage la vie d’une communauté de motards, les Hell’s Angels (1965),  se fait virer de nombre de petits emplois de toute sorte, est candidat en 1970 à l'élection du shérif du comté de Pitkin et remporte presque la moitié des suffrages, collabore à Esquire, Harper’s et Rolling Stone, et traduit par l'écriture toute une existence traversée par la drogue, l’alcool et sa haine de l’autorité. Il publie " The Rum Diary" (écrit en 1961), "Gonzo Highway", recueil de deux cents lettres envoyées de 1955 à 1976 à ses employeurs, ses amis, ses créanciers, des politiciens plus ou moins connus. En 1972, Hunter S. Thompson suit les élections présidentielles pour Rolling Stone, d'abord lors des primaires démocrates, puis le face à face entre George McGovern et Richard Nixon, ses dépêches, à des années-lumière des conventions journalistiques et des pseudo obligations d'objectivité,  seront reprises dans "Fear and Loathing: On the Campaign Trail '72" et inaugurent un façon bien particulière de couvrir une campagne présidentielle. Puis "The Great Shark Hunt" (1979, La Grande Chasse au requin), "Better Than Sex" (1994), "Kingdom of Fear" (2003), ... et  se suicide le 20 février 2005, à Woody Creek (Colorado): il avait 67 ans et derrière lui une vie d’écriture et d’excès en tout genre ...

 

"Fear Loathing in Las Vegas : A Savage Journey to the Heart of the American Dream" (1972,  Las Vegas Parano)
Le livre, qui devient un classique du journalisme dit "gonzo",  décrit le voyage entrepris par Raoul Duke (un journaliste, alter ego de l'auteur) et son avocat (le Dr Gonzo) pour couvrir une course de motos à Las Vegas. Au départ, il s'agissait d'une commande de Sports Illustrated, qui avait demandé à Thompson de se rendre à Las Vegas pour rédiger une légende de 250 mots sur une course de motos, la Mint 400. Se présentant comme un "doctor of journalism", il décrit le carburant qu'il a apporté : "two bags of grass, 75 pellets of mescaline, five sheets of high-powered blotter acid, a salt shaker half full of cocaine, and a whole galaxy of multicolored uppers, downers, screamers, laughers . . . and also a quart of tequila, a quart of rum, a case of Budweiser, a pint of raw ether and two dozen amyls… Not that we needed all that for the trip, but once you get locked into a serious drug collection, the tendency is to push it as far as you can" (deux sacs d'herbe, 75 boulettes de mescaline, cinq feuilles d'acide pour buvard, une salière à moitié pleine de cocaïne et toute une galaxie d'amphétamines multicolores, d'amphétamines, d'amphétamines, d'amphétamines et d'amphétamines. et aussi un quart de tequila, un quart de rhum, une caisse de Budweiser, une pinte d'éther brut et deux douzaines d'amyls... Non pas que nous ayons eu besoin de tout cela pour le voyage, mais une fois que vous êtes enfermé dans une collection de drogues sérieuse, la tendance est de la pousser aussi loin que possible  ..). Un reportage qui s'avère en fait l'occasion de s'adonner à toutes sortes de drogues (mescaline, LSD, cocaïne, marijuana, éther) pour retrouver le véritable esprit du "rêve américain" des années soixante. Le texte est accompagné d’illustrations délirantes de Ralph Steadman (1936), qui a collaboré avec l’auteur dans plusieurs ouvrages. 

"We were somewhere around Barstow on the edge of the desert when the drugs began to take hold. I remember saying something like "I feel a bit lightheaded; maybe you should drive...." And suddenly there was a terrible roar all around us and the sky was full of what looked like huge bats, all swooping and screeching and diving around the car, which was going about a hundred miles an hour with the top down to Las Vegas. And a voice was screaming "Holy Jesus! What are these goddamn animals?" Then it was quiet again. My attorney had taken his shirt off and was pouring beer on his chest, to facilitate the tanning process. "What the hell are you yelling about?" he muttered, staring up at the sun with his eyes closed and covered with wraparound Spanish sunglasses. "Never mind," I said. "It's your turn to drive." I hit the brakes and aimed the Great Red Shark toward the shoulder of the highway. No point mentioning those bats, I thought. The poor bastard will see them soon enough...

"Nous étions quelque part dans le coin de Barstow aux abords du désert quand les drogues ont commencé à nous travailler. Je me souviens que j 'ai dit quelque chose du genre : "Je me sens la tête un peu vide ; tu ferais peut-être mieux de prendre le volant..." Puis tout d'un coup il y a eu un énorme grondement tout autour de nous, et le ciel était empli de choses ressemblant à de gigantesques chauves-souris qui fondaient et piquaient sur la voiture avec des cris perçants, tandis que nous foncions sur Las Vegas, capote baissée à 160 et des poussières. Et il y avait une voix qui hurlait : "Doux Jésus ! Mais d'où sortent ces satanés oiseaux?" Et puis le calme est revenu. Mon avocat avait retiré sa chemise et s'aspergeait la poitrine de bière pour faciliter le processus de bronzage. "Qu'est-ce qui te prend de gueuler comme ça ?" grommela-t-il en fixant vers le soleil ses yeux fermés que recouvraient des lunettes fumées espagnoles couvre-tout. "Te tracasse pas, lui dis-je ; c'est ton tour de conduire." J'écrasai le frein et rangeai la Great Red Shark contre le talus bordant l'autoroute. Pas la peine de lui parler des chauves-souris, me suis-je dit; ce pauvre couillon ne va pas tarder à les voir venir. Il était presque midi, et il nous restait pas loin de deux cents kilomètres à faire. Partis comme ça, il allait falloir qu'on avale du pneu enragé. Je savais qu'on allait pas tarder à être aussi déglingués l'un que l'autre:  mais il n'était pas question qu'on fasse demi-tour, et on n'avait pas le temps de se reposer. Faudrait tenir jusqu'au bout.

Les réservations de presse pour le fantastique Mint 400 étaient déjà ouvertes, et il fallait absolument qu'on arrive avant quatre heures pour avoir droit à une suite insonorisée. C'était un luxueux magazine de sport new-yorkais qui s'était occupé de nos réservations, ainsi que de cette énorme Chevrolet décapotable rouge fraîchement louée sur Sunset Strip... et après tout, j'étais journaliste de métier, j'étais donc dans l'obligation de couvrir l'événement, vaille que vaille. Les rédacteurs m'avaient également donné trois cents dollars en liquide que nous avions déjà presque entièrement dépensés pour acheter des drogues extrêmement dangereuses. Le coffre de la voiture ressemblait à un labo ambulant de la brigade des stupéfiants: nous avions deux sacoches d'herbe, soixante-quinze pastilles de mescaline, cinq feuilles d'acide-buvard carabiné, une demi-salière de cocaïne, et une galaxie complète et multicolore de remontants, tranquillisants, hurlants, désopilants... sans oublier un litre de tequila, un litre de rhum, un carton de Budweiser, un demi-litre d'éther pur et deux douzaines d°ampoules de nitrite d'amyle. On s'était levé ce gentil petit arsenal la veille au soir, en courant frénétiquement aux quatre coins du district de Los Angeles - de Topanga à Watts, on a raflé tout ce qui nous tombait sous la main. C'est pas qu'on avait besoin de tout ça pour notre petit voyage, mais une fois qu'on commence sérieusement une collection de drogues, on a tendance à vouloir la pousser jusqu'au bout.

La seule chose qui m'inquiétait vraiment, c'est l'éther. Il n'est rien au monde de plus désemparé et de plus irresponsable et de plus dépravé qu'un homme qui est dans l'éther jusqu'aux mirettes. Or, je me doutais bien qu'on ne tarderait pas à passer à cette saleté - dès la prochaine station-service, probablement. Nous avions goûté presque tout le reste, et ma foi ! l'heure était venue de se renifler un bon coup d'éther. Après, on ferait les cent soixante bornes qui nous restaient dans un abominable état d'abrutissement entre-coupé de spasmes et de coulées de bave. La seule façon de rester éveillé à l'éther, c'est de s'envoyer un tas d'amyles - pas tout d'un seul coup, mais régulièrement, juste assez pour pas bouger du 140 en traversant Barstow.

"Ça, c'est la seule manière de voyager, mon pote", déclara mon avocat. Il se pencha pour augmenter le volume de la radio, marmonnant de concert avec la section rythmique ou fredonnant les paroles : "Il a suffi d'un clin d'œil, doux Jésus... L'a suffi d'un clin d'oeil.."  Bougre d'andouille ! Attends un peu de voir ces satanées chauves-souris, et tu vas en faire, un drôle de clin d'œil ! D'ailleurs, j'entendais à peine la radio... écroulé tout au bout du siège et aux prises avec un magnétophone qui sortait "Sympathy for the Devil" à plein volume. Nous n'avions que cette seule bande, alors nous la passions et la repassions sans interruption, pour faire un contrepoint dément à la radio. Et aussi pour maintenir notre allure sur la route. Une vitesse constante est bonne pour la consommation d'essence - et il faut croire que ça nous paraissait important sur le coup. Et comment ! Dans ce genre de voyage, il faut absolument veiller à la consommation d'essence. Il faut éviter d'accélérer avec des cahots brusques qui entraînent le sang à l'arrière de la tête. Mon avocat aperçut l'auto-stoppeur bien avant moi. "On va prendre ce garçon", déclara-t-il ; et avant que j'aie pu rassembler mes objections, il s'était arrêté et le pauvre môme arrivait à la voiture en courant avec un sourire large comme la figure et s'exclamant : Nom d'un chien ! C'est la première fois que je monte dans une décapotable !..."

"Fear and Loathing in Las Vegas" a été publié en deux parties en novembre 1971, avec des illustrations de Ralph Steadman, puis sous forme de livre l'année suivante., et en 1998, est devenu un film réalisé par Terry Gilliam, avec Johnny Depp dans le rôle principal, un flop au box-office mais qui devient immédiatement un film culte...


"I am not aiming high, / I am only trying to keep myself alive / just a little longer"  -  Bukowski appartient à cette génération d'écrivains américains qui éprouvent l'irrésistible urgence de transcrire immédiatement tout ce qu'ils peuvent éprouver, dans une quotidien et une intimité qui bien entendu sont délibérément des contextes limites, la gueule de bois, dégueuler dans une ruelle obscure, réveiller la putain ramenée dans son lit la veille au soir, les descentes de Budweiser, etc.


Charles Bukowski (1920-1994)

Romancier et poète américain, né à Andernach, d'un père américain d'origine allemande et d'une allemande, Katherine Fett. Il est âgé de deux ans lorsque ses parents décident d’aller vivre à Los Angeles pour y faire fortune. Mais la crise économique les plongera dans la pauvreté. Il découvre l’alcool aux alentours de 1929, son père le frappe jusqu’à ses 17 ans, jusqu’au jour où, après être rentré complètement ivre, il répondra aux coups, et mettra son père K.-O. Plus tard, il quittera le domicile familial, logera dans des chambres d’hôtels et des appartements miteux, tout en écrivant et en se saoulant. Pour vivre, il exerça divers petits boulots, dont il se fit renvoyer assez rapidement, magasinier, expéditionnaire, linotypiste, gardien de nuit, employé de bureau. C'est à 40 ans, le 14 octobre 1960, qu'il publie son premier livre, un recueil de poèmes, "Flower, Fist and Bestial Wail "(Fleur, Poing et Gémissement Bestial) . Il fut postier pendant 11 années au bout desquelles il démissionna, le 2 janvier 1970, à 49 ans, pour se consacrer à l’écriture. Ses écrits sont souvent autobiographiques. Il y parle de son alcoolisme, de ses errances, de ses angoisses, de sa misanthropie, des femmes, de son désespoir. Son style est direct, parfois cru, mais, à l'image de sa vision de la vie, sans concessions, sans illusions, d'une grande lucidité sur ce qui l’entoure, comme sur lui-même : "Erections, ejaculations, exhibitions and general tales of ordinary madness et The most beautiful woman in town", 1972; Notes of a dirty old man, 1969; South of no North: stories of the buried life, 1973; Post office, 1971; Factotum, 1975; Love is a dog from hell, 1977;  Women, 1978).

 

Journal d'un vieux dégueulasse (Notes of a dirty old man, 1969)

C’est en 1967, dans le magazine anticonformiste Open City, qu’un poète presque inconnu commença de publier une chronique régulière. Avec une brutalité rarement égalée, doublée d’une superbe indifférence au scandale, il y exprimait sa révolte contre la société américaine, le pouvoir, l’argent, la famille, la morale. L’alcool, le sexe, les échos d’une vie marginale et souvent misérable y étaient brandis comme autant de signes de rupture… Ce Journal, ici édité dans une nouvelle traduction et dans sa version intégrale, n’est pas seulement un des sommets de son œuvre, c’est un classique de la littérature contestataire, qui conserve, aujourd’hui encore, toute sa fraîcheur.

 

"il y avait un fils de pute qui ne voulait pas les lâcher, tandis que les autres gueulaient qu'ils étaient raides, la partie de poker était terminée, j'étais sur ma chaise avec mon pote Elf à mes côtés, en voilà un qui a mal démarré dans l'existence, enfant il était tout malingre, des années durant il a dû garder le lit passant le plus clair de son temps à malaxer des balles de caoutchouc, le genre de rééducation complètement absurde, et quand, un jour, il a émergé de son pieu, il était aussi large que haut, une masse musculeuse rigolarde qui n'avait qu'un but; devenir écrivain, hélas pour lui son style ressemble trop à celui de Thomas Wolfe qui est, si l'on excepte Dreiser, le plus mauvais écrivain américain de tous les temps, moyennant quoi j'ai frappé Elf derrière l'oreille, si fort que la bouteille m'a échappé (il avait dit quelque chose qui m'avait déplu), mais quand il s'est redressé, j'ai récupéré la bouteille, du bon scotch, et je lui en ai remis un coup quelque part entre la mâchoire et la pomme d'Adam, de nouveau il a mangé la table, je dominais le monde, moi l'émule de Dostoïevski qui écoute du Mahler à la nuit tombée, de sorte que j'ai eu le temps de m'en jeter un à même le goulot, de reposer la bouteille, avant de lancer ma droite pour le sécher de la gauche..."

 

Contes de la folie ordinaire (Erections, ejaculations, exhibitions and general tales of ordinary madness et The most beautiful woman in town, 1972)

La folie ordinaire des personnages de Buk c'est la misère, l'ivresse, la défonce ou le sexe à outrance. Mais est-elle folle, la plus jolie fille de la ville qui se tranche la gorge parce qu'aucun homme n'a vu en elle autre chose que sa beauté? Est-elle folle aussi celle qui libère les animaux du zoo voisin, singe, tigre et serpent, et vit avec eux dans la plus exaltante intimité? Ils sont très ordinaires ces chercheurs d'or qui se cuitent tellement qu'ils passent la nuit en taule ou ratent l'embauche au petit matin. Certains contes mettent en scène Buk lui-même. L'illustre poète buveur de bière, collabore au journal underground Open Pussy. Il dit sa haine de la guerre, du sexisme et de la violence. D'autres contes sont fantastiques comme "Le petit ramoneur" dans lequel un homme est réduit, par sa femme, à la taille d'un doigt pour mieux ramoner son sexe, ou "La machine à baiser Tania" inventée par un savant allemand.

 

"De ses cinq soeurs, Cass était la plus jeune et la plus jolie. D'ailleurs, Cass était la plus jolie fille de la ville. Cinquante pour cent de sang indien dans les veines de ce corps étonnant, vif et sauvage comme un serpent, avec des yeux assortis. Cass était une flamme mouvante, un elfe coincé dans une forme incapable de la retenir. Longs, noirs, soyeux, ses cheveux tournoyaient comme tournoyait son corps. Tantôt déprimée, tantôt en pleine forme, avec Cass c'était tout ou rien. On la disait cinglée. On : les moroses, les moroses qui ne comprendront jamais Cass. Pour les mecs, elle n'était qu'une machine baiseuse. Cinglée ou pas, ils s'en moquaient. Cass aimait la danse, le flirt, embrasser les hommes, mais sauf pour deux ou trois, au moment où les types allaient se la faire, Cass leur avait toujours filé entre les pattes, salut les mecs. 

Ses soeurs lui reprochaient de mal utiliser a beauté, et de ne pas se servir assez de sa tête. Pourtant, Cass était intelligente, et elle avait une âme. Elle aimait la peinture,la danse, le chant, la poterie, et quand les gens souffraient, allaient mal, Cass avait vraiment de la peine pour eux. C'est bien simple: Cass ne ressemblait à personne; Cass n'avait pas l'esprit pratique.Ses soeurs étaient jalouses parce qu'elle séduisait leurs bonshommes, et puis elles lui en voulaient de ne pas mieux les exploiter. C'est avec les laids qu'elle se montrait la plus gentille, les soi-disant beaux mâles lui répugnaient ..."

 

Au sud de nulle part (South of no North: stories of the buried life, 1973)

27 nouvelles - "Le bar était correct. Je me suis assis à côté de Vicki et je lui ai annoncé que j'allais tout casser dans le bar. J'ai démoli pas mal de bars dans ma jeunesse. Maintenant, je me contentais d'annoncer que j'allais tout casser. Il y avait un orchestre. Je me suis levé et j'ai dansé. Y a pas plus facile que la danse moderne. Suffit de balancer les bras et les jambes en tous sens, de garder la tête droite ou de la faire tourner comme un malade, et tout le monde vous trouve formidable. Ce que les gens peuvent être cons. Je dansais tout en me faisant du mouron pour ma machine à écrire. Je suis retourné m'asseoir à côté de Vicki et j'ai commandé la même chose. J'ai saisi la tête de Vicki et je l'ai montrée au barman. "Vise un peu, elle est belle, non? Hein qu'elle est belle?"   A ce moment-là, Ernie Hemingway s'est pointé ..."

 

Women (Women, 1978)

Henry Chinaski, c'est Bukowski lui-même, un écrivain alcoolique et grand amateur de femmes.

Elles défilent dans ce récit, véritables créatures felliniennes, Lydia Vance qui se révèle d'une jalousie féroce, Mercédès la capiteuse, Dee Dee la mère célibataire, Joanna la camée, Katherine la Texane incendiaire, et bien d'autres encore ; les occasions pleuvent sur un poète en vogue ! La norme est triste pour Bukowski, alors vive les mots orduriers, l'ivresse et la débauche sexuelle. Le célèbre auteur des Contes de la folie ordinaire crie à nouveau son mal de vivre, son désir sans cesse renaissant de tendresse et de sexe.