Octave Mirbeau (1850-1917), "Le Calvaire" (1886), "L'Abbé Jules" (1888), "Sébastien Roch" (1890), "Le Jardin des supplices" (1898), "Le Journal d'une femme de chambre" (1900), "Les affaires sont les affaires" (1903) - ......

Last Update: 12/11/2016


Auteur de romans et de pièces de théâtre, Mirbeau dressa un réquisitoire impitoyable contre le clergé ainsi que contre les inégalités sociales de son époque. Il fut l'un des dix premiers membres de l'Académie Goncourt, fondée en 1903. Ayant commencé sa carrière comme journaliste dans la presse bonapartiste et royaliste, il établit sa réputation de conteur avec des histoires de paysans normands : "Lettres de ma chaumière" (1885) ; "Le Calvaire" (1886). Dans ce dernier ouvrage, un chapitre sur la défaite de 1870 souleva contre lui une forte hostilité. Il écrivit en 1888 l'histoire d'un prêtre fou, "L'Abbé Jules", et, en 1890, "Sébastien Roch", une description sans pitié de l'école des Jésuites qu'il avait fréquentée. Tous ses romans, depuis "Le Jardin des supplices" (1898) et "Le Journal d'une femme de chambre" (1900) jusqu'à "La 628-E8" (1907) et "Dingo" (1912), sont d'âpres satires de la société. Sa production dramatique était d'une belle qualité, et on a comparé "Les Mauvais Bergers" (1897) à l'œuvre d'Henry Becque. Il a obtenu son plus grand succès avec "Les affaires sont les affaires" (1903)....

Octave Mirbeau (1850-1917)

Journaliste, pamphlétaire, romancier et auteur dramatique, Octave Mirbeau est une des figures les plus originales de la littérature de la Belle Époque. Après une jeunesse passée dans un bourg du Perche où il étouffe, Rémalard, et des études secondaires médiocres au collège des jésuites de Vannes, il répond à l'appel du  leader bonapartiste Dugué de la Fauconnerie qui l'embauche comme secrétaire particulier, l'emmène à Paris et l'introduit à L'Ordre de Paris, l'organe officiel de l'Appel au Peuple. Dès lors commence une longue période de prolétariat de la plume. C'est seulement au cours de l'année 1884 que, à l'occasion d'une liaison dévastatrice avec une prostituée, Judith Vimmer, il tire de sa vie un bilan négatif, rentre à Paris. Le premier volume qu'il publie sous son nom en novembre 1885, les "Lettres de ma chaumière", recueil de nouvelles,  se veut l'antithèse de la gentillesse d'Alphonse Daudet et donne de l'homme et de la société une image fort noire, que les trois romans suivants, plus ou moins autobiographiques, vont renforcer : "Le Calvaire" (1886), où il romance à peine sa liaison avec Judith ; "L'Abbé Jules" (1888), où, sous la le coup de la révélation de Dostoïevski, il met en œuvre une psychologie des profondeurs pour évoquer le personnage d'un prêtre catholique dont la chair et l'esprit sont en révolte contre l'oppression sociale et la pourriture de l'Église ; "Sébastien Roch" (1890), où il raconte avec émotion "le meurtre d'une âme d'enfant" par un jésuite violeur et qu'il situe au collège Saint-François-Xavier de Vannes. Parallèlement, sous son nom ou sous divers pseudonymes, il collabore au Gaulois, à La France, à L'Événement, au Matin, au Gil Blas, au Figaro et à L'Écho de Paris : il y entame des combats artistiques et des combats politiques (il se rapproche des anarchistes, pourfend le boulangisme, le nationalisme, le colonialisme, le militarisme, et les "mauvais bergers" de toute obédience qui se servent du suffrage universel pour mieux tondre le troupeau et planifier l'écrasement et l'abêtissement des individus). 

Dans les années 1890, il traverse une longue crise existentielle, doublée d'une grave crise conjugale (il a épousé en 1887, en dépit du qu'en dira-t-on, une ancienne théâtreuse et femme galante, Alice Regnault) et se croit frappé d'impuissance. C'est pourtant au cours de ces douloureuses années qu'il publie en feuilleton "Journal d'une femme de chambre" et le "Jardin des supplices". En avril 1903, il connaît un triomphe avec la création, à la Comédie-Française, d'une grande comédie classique de mœurs et de caractères, "Les affaires sont les affaires", où il pourfend la classe des parvenus et dénonce la toute-puissance de l'argent-roi à travers le personnage d'un brasseur d'affaires devenu un type, Isidore Lechat. 

 

1900 - Le journal d’une femme de chambre 

Que trouvera Célestine au Mesnil-Roy, en Normandie. oit elle vient d'être engagée comme femme de chambre ? Elle avait accepté cette place avec l'espoir de se reposer, étant lasse de la vie agitée de Paris. Mais la province réserve parfois aussi des surprises, elle en a fait l'expérience. Entre les événements de sa nouvelle existence, Célestine note ses souvenirs en y mettant « toute la franchise qui est en elle et quand il le faut toute la brutalité qui est dans la vie ». Ce qui nous vaut une curieuse galerie de portraits - satire virulente des mœurs parisiennes ou provinciales de la Belle Epoque vue du côté de l'office. 

"Aujourd'hui, 14 septembre, à trois heures de l'après-midi, par un temps doux, gris et pluvieux, je suis entrée dans ma nouvelle place. C'est la douzième en deux ans. Bien entendu, je ne parle pas des places que j'ai faites durant les années précédentes. Il me serait impossible de les compter. Ah ! je puis me vanter que j'en ai vu des intérieurs et des visages, et de sales âmes... Et ça n'est pas fini... A la façon, vraiment extraordinaire, vertigineuse, dont j'ai roulé, ici et là, successivement, de maisons en bureaux et de bureaux en maisons, du Bois de Boulogne à la Bastille, de l'Observatoire à Montmartre, des Ternes aux Gobelins, partout, sans pouvoir jamais me fixer nulle part, faut-il que les maîtres soient difficiles à servir maintenant !... C'est à ne pas croire.

L'affaire s'est traitée par l'intermédiaire des Petites Annonces du Figaro et sans que je voie Madame. Nous nous sommes écrit des lettres, ç'a été tout : moyen chanceux où l'on a souvent, de part et d'autre, des surprises. Les lettres de Madame sont bien écrites, ça c'est vrai. Mais elles révèlent un caractère tatillon et méticuleux... Ah ! il lui en faut des explications et des commentaires, et des pourquoi, et des parce que... Je ne sais si Madame est avare ; en tout cas, elle ne se fend guère pour son papier à lettres... Il est acheté au Louvre... Moi qui ne suis pas riche, j'ai plus de coquetterie... J'écris sur du papier parfumé à la peau d'Espagne, du beau papier, tantôt rose, tantôt bleu pâle, que j'ai collectionné chez mes anciennes maîtresses... Il y en a même sur lequel sont gravées des couronnes de comtesse... Ça a dû lui en boucher un coin.

Enfin, me voilà en Normandie, au Mesnil-Roy. La propriété de Madame, qui n'est pas loin du pays, s'appelle le Prieuré... C'est à peu près tout ce que je sais de l'endroit où, désormais, je vais vivre...

Je ne suis pas sans inquiétudes ni sans regrets d'être venue, à la suite d'un coup de tête, m'ensevelir dans ce fond perdu de province. Ce que j'en ai aperçu m'effraie un peu, et je me demande ce qui va encore m'arriver ici... Rien de bon sans doute et, comme d'habitude, des embêtements... Les embêtements, c'est le plus clair de notre bénéfice. Pour une qui réussit, c'est-à-dire pour une qui épouse un brave garçon ou qui se colle avec un vieux, combien sont destinées aux malchances, emportées dans le grand tourbillon de la misère ?... Après tout, je n'avais pas le choix ; et cela vaut mieux que rien.

Ce n'est pas la première fois que je suis engagée en province. Il y a quatre ans, j'y ai fait une place... Oh ! pas longtemps... et dans des circonstances véritablement exceptionnelles... Je me souviens de cette aventure comme si elle était d'hier... Bien que les détails en soient un peu lestes et même horribles, je veux la conter... D'ailleurs, j'avertis charitablement les personnes qui me liront que mon intention, en écrivant ce journal, est de n'employer aucune réticence, pas plus vis-à-vis de moi-même que vis-à-vis des autres. J'entends y mettre au contraire toute la franchise qui est en moi et, quand il le faudra, toute la brutalité qui est dans la vie. Ce n'est pas de ma faute si les âmes, dont on arrache les voiles et qu'on montre à nu, exhalent une si forte odeur de pourriture.

Voici la chose :

J'avais été arrêtée, dans un bureau de placement, par une sorte de grosse gouvernante, pour être femme de chambre chez un certain M. Rabour, en Touraine. Les conditions acceptées, il fut convenu que je prendrais le train, tel jour, à telle heure, pour telle gare ; ce qui fut fait selon le programme.

Dès que j'eus remis mon billet au contrôleur, je trouvai, à la sortie, une espèce de cocher à face rubiconde et, ornée d'un double galon d'or. Non vrai ! ils retardent, dans ce patelin-là. Avec cela, un air renfrogné, brutal, mais pas méchant diable au fond. Je connais ces types. Les premiers jours, avec les nouvelles, ils font les malins, et puis après ça s'arrange. Souvent, ça s'arrange mieux qu'on ne voudrait.

Nous restâmes longtemps sans dire un mot. Lui faisait des manières de grand cocher, tenant les guides hautes et jouant du fouet avec des gestes arrondis... Non, ce qu'il était rigolo !... Moi, je prenais des attitudes dignes pour regarder le paysage, qui n'avait rien de particulier ; des champs, des arbres, des maisons, comme partout. Il mit son cheval au pas pour monter une côte et, tout à coup, avec un sourire moqueur, il me demanda :

— Avez-vous au moins apporté une bonne provision de bottines ?

— Sans doute ! dis-je, étonnée de cette question qui ne rimait à rien, et plus encore du ton singulier sur lequel il me l'adressait... Pourquoi me demandez-vous ça ?... C'est un peu bête ce que vous me demandez-là, mon gros père, savez ?...

Il me poussa du coude légèrement et, glissant bourrue, qui m'interpella :

— C'est-y vous qu'êtes la nouvelle femme de chambre de M. Rabour ?

— Oui, c'est moi.

— Vous avez une malle ?

— Oui, j'ai une malle.

— Donnez-moi votre bulletin de bagages, et attendez-moi là...

Il pénétra sur le quai. Les employés s'empressèrent. Ils l'appelaient «Monsieur Louis» sur un ton d'amical respect. Louis chercha ma malle parmi les colis entassés et la fit porter dans une charrette anglaise, qui stationnait près de la barrière.

— Eh bien... montez-vous ?

Je pris place à côté de lui sur la banquette, et nous partîmes.

Le cocher me regardait du coin de l'oeil. Je l'examinais de même. Je vis tout de suite que j'avais affaire à un rustre, à un paysan mal dégrossi, à un domestique pas stylé et qui n'a jamais servi dans les grandes maisons. Cela m'ennuya. Moi, j'aime les belles livrées. Rien ne m'affole comme une culotte de peau blanche, moulant des cuisses nerveuses. Et ce qu'il manquait de chic, ce Louis, sans gants pour conduire, avec un complet trop large de droguet gris bleu, et une casquette plate, en cuir vernis jeta sur moi un regard étrange dont je ne pus m'expliquer la double expression d'ironie aiguë et, ma foi, d'obscénité réjouie, il dit en ricanant :

— Avec ça !... Faites celle qui ne sait rien... Farceuse va... sacrée farceuse !

Puis il claqua de la langue, et le cheval reprit son allure rapide.

J'étais intriguée. Qu'est-ce que cela pouvait bien signifier ? Peut-être rien du tout... Je pensai que le bonhomme était un peu nigaud, qu'il ne savait point parler aux femmes et qu'il n'avait pas trouvé autre chose pour amener une conversation que, d'ailleurs, je jugeai à propos de ne pas continuer.

La propriété de M. Rabour était assez belle et grande. Une jolie maison, peinte en vert clair, entourée de vastes pelouses fleuries et d'un bois de pins qui embaumait la térébenthine. J'adore la campagne... mais, c'est drôle, elle me rend triste et elle m'endort. J'étais tout abrutie quand j'entrai dans le vestibule où m'attendait la gouvernante, celle-là même qui m'avait engagée au bureau de placement de Paris, Dieu sait après combien de questions indiscrètes sur mes habitudes intimes, mes goûts ; ce qui aurait dû me rendre méfiante... Mais on a beau en voir et en supporter de plus en plus fortes chaque fois, ça ne vous instruit pas... La gouvernante ne m'avait pas plu au bureau ; ici, instantanément, elle me dégoûta et je lui trouvai l'air répugnant d'une vieille maquerelle. C'était une grosse femme, grosse et courte, courte et soufflée de graisse jaunâtre, avec des bandeaux plats grisonnants, une poitrine énorme et roulante, des mains molles, humides, transparentes comme de la gélatine. Ses yeux gris indiquaient la méchanceté, une méchanceté froide, réfléchie et vicieuse. A la façon tranquille et cruelle dont elle vous regardait, vous fouillait l'âme et la chair, elle vous faisait presque rougir.

Elle me conduisit dans un petit salon et me quitta aussitôt, disant qu'elle allait prévenir Monsieur, que Monsieur voulait me voir avant que je ne commençasse mon service.

— Car Monsieur ne vous a pas vue, ajouta-t-elle. Je vous ai prise, c'est vrai, mais enfin, il faut que vous plaisiez à Monsieur...

J'inspectai la pièce. Elle était tenue avec une propreté et un ordre extrêmes. Les cuivres, les meubles, le parquet, les portes, astiqués à fond, cirés, vernis, reluisaient ainsi que des glaces. Pas de flafla, de tentures lourdes, de choses brodées, comme on en voit dans de certaines maisons de Paris ; mais du confortable sérieux, un air de décence riche, de vie provinciale cossue, régulière et calme. Ce qu'on devait s'ennuyer ferme, là-dedans, par exemple !... Mazette !

Monsieur entra. Ah ! le drôle de bonhomme, et qu'il m'amusa !... Figurez-vous un petit vieux, tiré à quatre épingles, rasé de frais et tout rose, ainsi qu'une poupée. Très droit, très vif, très ragoûtant, ma foi ! il sautillait, en marchant, comme une petite sauterelle dans les prairies. Il me salua et avec infiniment de politesse :

— Comment vous appelez-vous, mon enfant ?

— Célestine, Monsieur.

— Célestine... fit-il... Célestine ?... Diable !... Joli nom, je ne prétends pas le contraire... mais trop long, mon enfant, beaucoup trop long... Je vous appellerai Marie, si vous le voulez bien... C'est très gentil aussi, et c'est court... Et puis, toutes mes femmes de chambre, je les ai appelées Marie. C'est une habitude à laquelle je serais désolé de renoncer... Je préférerais renoncer à la personne...

Ils ont tous cette bizarre manie de ne jamais vous appeler par votre nom véritable... Je ne m'étonnai pas trop, moi à qui l'on a donné déjà tous les noms de toutes les saintes du calendrier... Il insista :

— Ainsi, cela ne vous déplaît pas que je vous appelle Marie ?... C'est bien entendu ?...

— Mais oui, Monsieur...

— Jolie fille... bon caractère... Bien, bien !

Il m'avait dit tout cela d'un air enjoué, extrêmement respectueux, et sans me dévisager, sans fouiller d'un regard déshabilleur mon corsage, mes jupes, comme font, en général, les hommes. A peine s'il m'avait regardée. Depuis le moment où il était entré dans le salon, ses yeux restaient obstinément fixés sur mes bottines.

— Vous en avez d'autres ?... me demanda-t-il, après un court silence, pendant lequel il me sembla que son regard était devenu étrangement brillant.

— D'autres noms, Monsieur ?

— Non, mon enfant, d'autres bottines...

Et il passa, sur ses lèvres, à petits coups, une langue effilée, à la manière des chattes.

Je ne répondis pas tout de suite. Ce mot de bottines, qui me rappelait l'expression de gouaille polissonne du cocher, m'avait interdite. Cela avait donc un sens ?... Sur une interrogation plus pressante, je finis par répondre, mais d'une voix un peu rauque et troublée, comme s'il se fût agi de confesser un péché galant :

— Oui, Monsieur, j'en ai d'autres... "

 


"Le Journal d'une femme de chambre" fut adapté au cinéma par Luis Buñuel en 1964, avec Jeanne Moreau, dans le rôle de Célestine, la nouvelle femme de chambre, Georges Géret, ou Joseph, le palefrenier, militant extrémiste, et Michel Piccoli, M. Monteil, le maître de maison et l'obsédé sexuel ...

 


Les 21 jours d'un neurasthénique , 1901

Georges Vasseur, qui fait une cure de trois semaines dans une ville d’eaux des Pyrénées, projette sur le monde qui l'entoure et au hasard de ses rencontres sa propre neurasthénie: avec férocité, Mirbeau fait défiler sous nos yeux toute une série d’imbéciles, les uns fictifs, tel  le docteur Triceps, qui incarne les dangers du scientisme, ou le politicien véreux au nom wagnérien, Parsifal, les autres des crapules patentées directement puisées dans le personnel de la Troisième République. 

" L’été, la mode, ou le soin de sa santé, qui est aussi une mode, veut que l’on voyage. Quand on est un bourgeois cossu, bien obéissant, respectueux des usages mondains, il faut, à une certaine époque de l’année, quitter ses affaires, ses plaisirs, ses bonnes paresses, ses chères intimités, pour aller, sans trop savoir pourquoi, se plonger dans le grand tout. Selon le discret langage des journaux et des personnes distinguées qui les lisent, cela s’appelle un déplacement, terme moins poétique que voyage, et combien plus juste !… Certes, le cœur n’y est pas toujours, à se déplacer, on peut même dire qu’il n’y est presque jamais, mais on doit ce sacrifice à ses amis, à ses ennemis, à ses fournisseurs, à ses domestiques, vis-à-vis desquels il s’agit de tenir un rang prestigieux, car le voyage suppose de l’argent, et l’argent toutes les supériorités sociales. Donc, je voyage, ce qui m’ennuie prodigieusement, et je voyage dans les Pyrénées, ce qui change en torture particulière l’ennui général que j’ai de voyager. Ce que je leur reproche le plus aux Pyrénées, c’est d’être des montagnes… Or, les montagnes, dont je sens pourtant, aussi bien qu’un autre, la poésie énorme et farouche, symbolisent pour moi tout ce que l’univers peut contenir d’incurable tristesse, de noir découragement, d’atmosphère irrespirable et mortelle… J’admire leurs formes grandioses, et leur changeante lumière… Mais c’est l’âme de cela qui m’épouvante… Il me semble que les paysages de la mort, ça doit être des montagnes et des montagnes, comme celles que j’ai là, sous les yeux, en écrivant. C’est peut-être pour cela que tant de gens les aiment. 

La particularité de cette ville où je suis, et dont l’excellent Baedecker, pince-sans-rire allemand, chante en des lyrismes extravagants « la sublime beauté idyllique », tient en ceci, qu’elle n’est pas une ville. En général, une ville se compose de rues, les rues de maisons, les maisons d’habitants. Or, à X…, il n’y a ni rues, ni maisons, ni habitants indigènes, il n’y a que des hôtels… soixante-quinze hôtels, énormes constructions, semblables à des casernes et à des asiles d’aliénés, qui s’allongent les uns les autres, indéfiniment, sur une seule ligne, au fond d’une gorge brumeuse et noire, où toussote et crachote sans cesse, ainsi qu’un petit vieillard bronchiteux, un petit torrent. Ça et là, quelques étalages installés au rez-de-chaussée des hôtels, boutiques de librairies, de cartes postales illustrées, de vues photographiques de cascades, de montagnes et de lacs, assortiments d’alpenstocks et de tout ce qu’il faut aux touristes. Puis, quelques villas, éparpillées sur les pentes… et, au fond d’un trou, l’établissement thermal qui date des Romains… ah ! oui… des Romains !… Et c’est tout. En face de soi, la montagne haute et sombre ; derrière soi, la montagne sombre et haute… À droite, la montagne, au pied de laquelle un lac dort ; à gauche, la montagne toujours, et un autre lac encore… Et pas de ciel… jamais de ciel, au-dessus de soi ! De gros nuages qui traînent d’une montagne à l’autre leurs pesantes masses opaques et fuligineuses…

Si la montagne est sinistre, que dire de ces lac – oh ! ces lacs ! – dont le bleu faux et cruel, qui n’est ni le bleu d’eau, ni le bleu de ciel, ni le bleu de bleu, ne s’accorde avec rien de ce qui les entoure et de ce qu’ils reflètent ?… Ils semblent peints – ô nature ! – par M. Guillaume Dubufe, quand cet artiste, aimé de M. Leygues, s’élève jusqu’aux vastes compositions symboliques et religieuses…

Mais peut-être pardonnerais-je aux montagnes d’être des montagnes et aux lacs des lacs si, à leur hostilité naturelle, ils n’ajoutaient cette aggravation d’être le prétexte à réunir, dans leurs gorges rocheuses et sur leurs agressives rives, de si insupportables collections de toutes les humanités.

À X…, par exemple, les soixante-quinze hôtels sont surbondés de voyageurs. Et c’est à grand-peine que j’ai pu, enfin, trouver une chambre. Il y a de tout, des Anglais, des Allemands, des Espagnols, des Russes, et même des Français. Tous ces gens viennent là, non pour soigner leurs foies malades, et leurs estomacs dyspeptiques, et leurs dermatoses… ils viennent là – écoutez bien ceci – pour leur plaisir !… Et du matin au soir, on les voit, par bandes silencieuses ou par files mornes, suivre la ligne des hôtels, se grouper devant les étalages, s’arrêter longtemps à un endroit précis, et braquer d’immenses lorgnettes sur une montagne illustre et neigeuse qu’ils savent être là, et qui est là, en effet, mais qu’on n’aperçoit jamais, sous l’épaisse muraille plafonnante de nuages qui la recouvre éternellement… Tout ce monde est fort laid, de cette laideur particulière aux villes d’eaux. À peine, une fois par jour, au milieu de tous ces masques épais et de tous ces ventres pesants, j’ai la surprise d’un joli visage et d’une svelte allure. Les enfants eux-mêmes ont des airs de petits vieillards. Spectacle désolant, car on se rend compte que partout les clauses bourgeoises sont en décrépitude ; et tout ce qu’on rencontre même les enfants, si pauvrement éclos dans les marais putrides du mariage… c’est déjà du passé !…

Hier soir, j’ai dîné sur la terrasse de l’hôtel… À une table voisine de la mienne, un monsieur causait bruyamment. Il disait :

— Les ascensions ?… Eh bien, quoi, les ascensions… je les ai toutes faites, moi qui vous parle… et sans guide !… Ici, c’est de la blague… Les Pyrénées, ça n’est rien du tout… ça n’est pas des montagnes… En Suisse, à la bonne heure !… Je suis allé trois fois au Mont-Blanc… comme dans un fauteuil… en cinq heures. Oui, en cinq heures, mon cher monsieur.

Le cher monsieur ne disait rien, il mangeait, le nez sur son assiette. L’autre reprenait :

— Je ne vous parle pas du Mont-Rose… ni du Mont-Bleu… ni du Mont-Jaune… ce n’est pas malin… Et tenez, moi qui vous parle, une année, au grand Sarah-Bernhardt, j’ai sauvé trois Anglais perdus dans la neige. Ah ! si j’avais prévu Fachoda…

Il disait encore des choses que je n’entendais pas bien, mais où revenait sans cesse « Moi ! moi ! moi ! » Puis il invectivait le garçon, renvoyait les plats, discutait sur la marque d’un vin, et, s’adressant de nouveau à son compagnon :

— Allons donc, allons donc !… Moi, j’ai fait plus fort. Moi, j’ai traversé, à la rame, en quatre heures, le lac de Genève, de Territet à Genève… Oui, moi… moi… moi !…

Ai-je besoin de vous dire que ce monsieur était un vrai Français de France ?

La musique des Tsiganes m’empêcha d’en entendre davantage, car il y a aussi la musique des Tsiganes… Vous voyez que c’est complet…

Alors que puis-je faire de mieux, sinon vous présenter quelques-uns de mes amis, quelques-unes des personnes que je coudoie ici, tout le jour ? Ce sont, pour la plupart, des êtres, ceux-ci grotesques, ceux-là répugnants ; en général, de parfaites canailles, dont je ne saurais recommander la lecture aux jeunes filles. J’entends bien que vous direz de moi : « Voilà un monsieur qui a de drôles de connaissances », mais j’en ai d’autres qui ne sont pas drôles du tout, et dont je ne parle jamais, parce que je les chéris infiniment. Je vous prie donc, chers lecteurs, et vous aussi, lectrices pudiques, de ne pas m’appliquer le célèbre proverbe : « Dis-moi qui tu hantes… » Car ces âmes dont je vous montrerai les physionomies souvent laides, dont je vous raconterai les peu édifiantes histoires et les propos presque toujours scandaleux, je ne les hante pas, au sens du proverbe… Je les rencontre, ce qui est tout autre chose, et n’implique de ma part aucune approbation, et je fixe cette rencontre, pour votre amusement et pour le mien, sur le papier… Pour le mien !…

Ce préambule, afin de vous expliquer que mon ami Robert Hagueman n’est pas mon ami. C’est quelqu’un que j’ai connu, jadis, qui me tutoie, que je tutoie, et que je revois, de loin en loin, par hasard et sans plaisir.

Vous le connaissez aussi, d’ailleurs. Mon ami n’est pas un individu, mais une collectivité. Large feutre gris, veston noir, chemise rose et col blanc, pantalon blanc avec le pli médian bien marqué, souliers de cuir blanc, ils sont sur les plages et dans les montagnes ; ils sont, en ce moment, trente mille comme Robert Hagueman, dont on peut croire que le même tailleur a façonné les habits et les âmes – les âmes par-dessus le marché, bien entendu, car ce sont des âmes d’une coupe facile et d’une étoffe qui ne vaut pas cher.

Ce matin, comme je sortais de la buvette, j’aperçus mon ami Robert Hagueman. Toilette matinale d’une irréprochable correction, et qui n’étonnait pas les admirables platanes de l’allée, arbres éminemment philosophes, et qui en ont vu bien d’autres, depuis les Romains, fondateurs de bains élégants et capteurs de sources mondaines. Je feignis, tout d’abord, de m’intéresser passionnément aux manœuvres d’un cantonnier qui, armé d’une casserole, puisait de l’eau dans le ruisseau et la répandait ensuite à travers l’allée, sous le prétexte fallacieusement municipal de l’arroser… Et même, afin de donner à mon ami le temps de s’éloigner, j’engageai avec le cantonnier une conversation sur l’étrangeté pré-édilitaire de son appareil, mais Robert Hagueman m’avait aperçu, lui aussi.

— Ah ! par exemple ! fit-il.

Il vint à moi, plein d’effusion, et me tendant ses mains gantées de peau blanche :

— Comment, c’est toi ?… Et qu’est-ce que tu fais par ici ?

Il n’y a rien tant que je déteste comme de mettre les gens dans la confidence de mes petites infirmités. Je répondis :

— Mais je viens me promener… Et toi ?

— Oh ! moi ! je viens suivre un traitement… C’est le médecin qui m’envoie ici… je suis un peu démoli, tu comprends…

L’entretien prit, tout de suite, un tour banal. Robert me parla de Paul Deschanel, qu’on attendait pour le lendemain ; du Casino, qui n’était pas brillant cette année ; du tir aux pigeons, qui ne marchait pas…, etc.

— Et pas de femmes, mon vieux, pas de femmes !… conclut-il. Où sont-elles, cette année ? On ne sait pas… Sacrée saison, tu sais !…

— Mais tu as la montagne ! m’écriai-je… dans un enthousiasme ironique… c’est admirable, ici… c’est le Paradis terrestre. Regarde-moi cette végétation… ces phlox, ces leucanthèmes qui atteignent la hauteur des hêtres… et ces rosiers gigantesques qui semblent avoir été rapportés d’on ne sait quel pays de rêve, dans le chapeau de M. de Jussieu !

— Ah ! que tu es jeune !

Je m’exaltai :

— Et les torrents, et les glaciers… Alors, tout cela ne te dit rien ?…

— Tu m’amuses… répondit Robert… Est-ce que vraiment j’ai l’air d’un bonhomme qui donne dans ces bateaux-là ? On ne me monte pas le coup avec les torrents !… Et qu’est-ce qu’elle a d’épatant, la montagne ?… C’est le Mont-Valérien, en plus grand, voilà tout, et en moins rigolo…

— Tu aimes mieux la mer, alors ?…

— La mer ? Ah ! qu’est-ce que tu dis là ?… Mais, mon petit, depuis quinze ans, tous les étés, je vais à Trouville… Eh bien, je peux me vanter d’une chose, c’est… de ne pas avoir regardé la mer une seule fois… Ça me dégoûte… Ah ! non… Je crois que j’ai autre chose dans la cervelle, que d’aller m’épater à ce que tu appelles les spectacles de la nature… J’en ai soupé, tu sais ?

— Enfin, tu es venu ici pour ta santé ?… Suis-tu, au moins, un traitement ?

— Sévèrement… fit Robert… Sans ça !…

— Et qu’est-ce que tu fais ?

— Comme traitement ?

— Oui.

— Eh bien, voilà… Je me lève à neuf heures. Promenade dans le parc autour de la buvette… Rencontre de celui-ci et de celle-là… on respire un peu… on raconte qu’on s’embête… on débine les toilettes… Cela me mène jusqu’au déjeuner… Après le déjeuner, partie de poker chez Gaston… À cinq heures, Casino… station autour d’un baccara sans entrain… des pontes de quat’ sous, une banque de famille… dîner… re-Casino… Et c’est tout… Et, le lendemain, ça recommence… Quelquefois un petit intermède avec une Laïs de Toulouse, ou une Phryné de Bordeaux… Oh ! là, là ! mon pauvre vieux !… Eh bien, le croirais-tu ? cette station si vantée, qui guérit toutes les maladies… ça ne me produit aucun effet… Je suis aussi démoli qu’à mon arrivée… De la blague, ces eaux thermales…

Il renifla l’air et il dit :

— Et toujours cette odeur !… Sens-tu ? C’est ignoble…

Une odeur d’hyposulfite, échappée de la buvette, circulait parmi les platanes…

Mon ami reprit :

— Ça sent comme… pardié !… ah ! quel souvenir… ça sent comme chez la marquise…

Et il se mit à rire bruyamment.

— Figure-toi… un soir… nous devions, la marquise de Turnbridge et moi, dîner au restaurant… Tu te rappelles la marquise… cette grande blonde avec qui j’ai été deux ans ?… Non ?… Tu ne te rappelles pas ?… Mais, mon vieux, tout le monde sait ça, à Paris. Enfin, n’importe !…

— Qu’est-ce que c’était que cette marquise ? demandai-je. — Une femme très chic… mon vieux… Ancienne blanchisseuse à Concarneau, elle était devenue, par la grâce de je ne sais plus qui, marquise, et marquise de Turnbridge, encore… Et une intellectuelle, je ne te dis que ça !… Eh bien, donc, au lieu de dîner au restaurant, comme c’était tout d’abord convenu, la marquise – une lubie – aima mieux dîner chez elle… Soit !… Nous rentrons chez elle… Mais, à peine la porte refermée, une odeur épouvantable nous suffoque dans l’antichambre : « Nom de Dieu !… dit la marquise… c’est encore ma mère… Jamais je ne la déshabituerai de ça… » Et, furieuse, elle se dirige vers la cuisine. La noble mère était là qui trempait une soupe aux choux… « Je ne veux pas que tu fasses la soupe aux choux chez moi… Je te l’ai dit vingt fois… ça empeste l’appartement… Et si j’avais ramené un autre homme que mon amant, de quoi aurais-je eu l’air, avec cette puanteur de cabinets ?… Est-ce compris, enfin ? » Et se retournant vers moi, elle ajouta : « On dirait, nom de Dieu que tout un régiment de cuirassiers est venu péter ici… »

 

Le calvaire (1887)

Mirbeau eut une longue liaison avec Judith Vimmer et cette liaison fut pour lui un très long «calvaire» : il fut de 1880 à 1884 son esclave consentant, s'endettant lourdement et multipliant des travaux littéraires alimentaires pour l'entretenir, supportant ses aventures et autres turpitudes. L'écriture de son récit, "Le calvaire", et la liaison dans laquelle il s'engage avec Alice Regnault, lui permettront de surmonter l'épreuve. Dans le roman, le personnage de Juliette Roux, demi-mondaine vicieuse et méprisable à souhait, entraîne un jeune écrivain, tourmenté et craignant les femmes, Jean-François Marie Mintié, dans l'enfer de la passion dévastatrice...

"...Ce frottement léger de la brosse de peau, cet imperceptible craquement du divan, les réflexions de Juliette, ses conversations

avec Spy, suffisaient à mettre en déroute le peu d’idées que je tentais de rassembler. Ma pensée revenait aussitôt aux préoccupations

ordinaires, et je rêvais des rêves pénibles, je vivais des vies douloureuses… Juliette !… L’aimais-je ?… Bien des fois cette question se dressait devant moi, grosse d’un doute affreux ? N’avais-je point été dupe d’un étonnement des sens ?… Ce que j’avais pris pour de l’amour, n’était-ce point l’éphémère et fugitive révélation d’un plaisir non encore goûté ?… Juliette !… Certes, je l’aimais… Mais cette Juliette que j’aimais, n’était-ce point celle que j’avais créée, qui était née de mon imagination, sortie de mon cerveau, celle à qui j’avais donné une âme, une flamme de divinité, celle que j’avais pétrie impossiblement, avec la chair idéale des anges ?… Et encore ne l’aimais-je point comme on aime un beau livre, un beau vers, une belle statue, comme la réalisation visible et palpable d’un rêve d’artiste!… Mais l’autre Juliette !… celle qui était là ?… Ce joli animal inconscient, ce bibelot, ce bout d’étoffe, ce rien ?… Je la considérais avec attention, tandis qu’elle lissait ses ongles !… Oh ! j’aurais voulu déboîter ce crâne et en sonder le vide, ouvrir ce coeur et en mesurer le néant ! Et je me disais : « Quelle existence sera la mienne avec cette femme qui n’a de goût que pour le plaisir, qui n’est heureuse que dans les chiffons, dont chaque désir coûte une fortune, qui, malgré son apparence chaste, va au vice instinctivement ; qui, du soir au lendemain, sans un regret, sans un souvenir, a quitté ce misérable Malterre ; qui me quittera demain, peut-être ; cette femme qui est la négation vivante de mes aspirations, de mes admirations ; qui jamais, jamais, n’entrera dans ma vie intellectuelle ; cette femme enfin qui, déjà, pèse sur mon intelligence comme une folie, sur mon coeur comme un remords, sur tout moi comme un crime ? »… J’avais des envies de fuir, de dire à Juliette : « Je sors, mais je serai revenu dans une heure, » et de ne pas rentrer dans cette maison où les plafonds m’étaient plus écrasants que des couvercles de cercueil, où l’air m’étouffait, où les choses elles-mêmes semblaient me dire : « Va-t’en. » Eh bien, non !… Je l’aimais ! Et c’était cette Juliette que j’aimais, non l’autre, qui était allée où vont les chimères !… Je l’aimais de tout ce qui faisait ma souffrance,

je l’aimais de son inconscience, de ses futilités, de ce que je soupçonnais en elle de perverti ; je l’aimais de ce torturant amour des mères pour leur enfant malade, pour leur enfant bossu… Avez-vous rencontré, par un jour glacé d’hiver, avez-vous rencontré, accroupi dans l’angle d’une porte, un pauvre être dont les lèvres sont gercées, dont les dents claquent, dont la peau tremble, sous les guenilles déchirées ?… Et si vous l’avez rencontré, n’avez-vous pas été envahi par une pitié poignante, et n’avez-vous pas eu la pensée de le prendre, de le réchauffer contre vous, de lui donner à manger, de couvrir ses membres frissonnants de vêtements chauds ? J’aimais Juliette ainsi ; je l’aimais d’une pitié immense… ah ! ne riez pas !… d’une pitié maternelle, d’une pitié infinie !…

– Est-ce que nous n’allons pas sortir, mon chéri ?… Ce serait si gentil de faire un tour de Bois.

Et jetant les yeux sur le papier blanc, où je n’avais pas écrit une ligne :

– C’est tout ça ?… Vrai !… tu ne t’es pas foulé la rate… Et moi qui suis restée pour te faire travailler !… Oh ! d’abord, je

sais que tu n’arriveras jamais à rien… Tu es bien trop mou !…"

 

"L’Amour de la femme vénale" (1912)

Octave Mirbeau semble avoir écrit un essai réhabilitant les prostituées, victimes sociales, économiques et morales d'une société foncièrement hypocrite hantée par la frustration sexuelle. Six chapitres compose cet essai - « Origine de la prostituée », « Le corps de la prostituée », « La visite », « La haine et le courage de la prostituée », « L’amour de la prostituée » et « Son avenir » - qui est, à sa manière le prolongement de la pourriture de ces nantis qu'affronte la soubrette Célestine dans son "Journal d'une femme de chambre" : "si infâmes que soient les canailles, ils ne le sont jamais autant que les honnêtes gens.."