Antipsychiatrie - Ronald D. Laing (1927-1989), "The Divided Self: An Existential Study in Sanity and Madness" (1960), "The Self and Others" (1961), "The Politics of Experience and the Bird of Paradise" (1967), "The Voice of Experience: Experience, Science and Psychiatry" (1982) - Aaron Esterson (1923-1999), "Sanity, Madness, and the Family" (1964), - David Cooper (1931-1986), "Psychiatry and Anti-psychiatry" (1971), "The Death of the Family" - David Rosenhan (1929-2012), « On Being Sane in Insane Places » (1973) - Thomas Szasz (1920-2012), "The myth of mental illness; foundations of a theory of personal conduct" (1961), "Schizophrenia : the sacred symbol of psychiatry" (1988) - .

Last update : 11/11/2016


C'est en 1908 que le psychiatre Eugen Bleuler forge le terme de "schizophrénie" pour qualifier la scission des fonctions mentales. En 1911, Sigmund Freud affirme que la schizophrénie est purement psychologique et ne peut être traitée par la psychanalyse. En 1960, Ronald D. Laing affirme dans "Le Moi divisé" que la famille est une source de maladie mentale. En 1961, Thomas Szasz publie "Le Mythe de la maladie mentale" et devient une figure célèbre et controversée. En 1978, la topographie du cerveau révèlera des différences physiques entre schizophrènes chroniques et non schizophrènes... 

"Jamais la psychologie, a écrit Michel Foucault, ne pourra dire la vérité sur la folie puisque c'est la folie qui détient la vérité de la psychologie." Et Laing de surenchérir par sa fameuse remarque : "Je pense que les schizophrènes ont plus de choses à apprendre aux psychiatres sur le monde intérieur que les psychiatres à leurs malades."  Nous savons que durant les décennies 1960-1970, des psychanalystes (reprenant au fond l'orientation initiale de Freud) et des psychiatres ( Jacques Lacan, Thomas Szasz, Giorgio Antonucci, R. D. Laing, Franco Basaglia, Theodore Lidz, Silvano Arieti, David Cooper), des philosophes (Michel Foucault), des sociologues (Erving Goffman) remettent en cause les méthodes de la psychiatrie classique, jugées répressives. Thomas Szasz (1920-2012) affirme en 1961 que la maladie mentale n'existe pas (The Myth of Mental Illness: Foundations of a Theory of Personal Conduct). Le psychiatre Franco Basaglia (1924-1980) se tourne la même année vers Sartre pour lui demander "quels sont, d'après vous, les problèmes théoriques et pratiques du technicien en face de la réalité, compte tenu de ce que la réalité elle-même dans laquelle nous vivons n'est que l'idéologie ?", ce qui sous-tend sa remise en question de l'institution asilaire. David Cooper (1931-1986) invente en 1967 le terme "antipsychiatrie" et écrit en 1971 "Psychiatry and Antipsychiatry".

Progressivement l'antipsychiatrie s'engage dans un projet politique de remise en question plus global, la répression exercée par la psychiatrie s'articule avec la répression générale qui sévit dans toutes les sociétés capitalistes. Le contexte est alors aux débats, l'esprit versus le cerveau, l'inné versus l'acquis, la liberté individuelle et le droit d'être différent. De ce mouvement, il ne reste rien si ce n'est des lieux de vie, des communautés, mais rattachées à la psychiatrie dite traditionnelle. Si l'antipsychiatrie fut un moment important d'interrogation et de vérité de la psychiatrie, au-delà du cadre strict de cette discipline, nous reste des concepts, des notions, des axes de réflexion qui pour certains ont enrichis nos représentations possibles de l'existence.. 

 

"Vol au dessus d'un nid de coucou"

( One Flew Over the Cuckoo's Nest, Milos Forman, with Jack Nicholson, 1976)

"Dans un hôpital psychiatrique, le refus d'être un patient docile - par exemple, le refus de travailler ou d'être poli avec le personnel - a tendance à être considéré comme la preuve que l'on n'est pas "prêt" pour la liberté et que l'on a besoin de poursuivre le traitement. La question n'est pas de savoir si l'hôpital est un endroit détestable pour les patients, mais si, pour le patient, exprimer la haine de cet endroit, c'est prouver qu'il s'y trouve à juste titre et qu'il n'est pas encore prêt à le quitter."

(Erving Goffman, Asylum)

 

Pour faire simple, l'antipsychiatrie part du postulat que l'individu, à un moment de son parcours, affrontant une situation familiale ou sociale qui lui paraît intolérable, se laisse emporter par ce quasi voyage intérieur qu'est la psychose, entre en dépression et retrouve ainsi une nouvelle situation existentielle d'équilibre et de contact avec lui-même : mais cette nouvelle situation se révèle très rapidement en décalage avec le monde social ou familial environnant; l'antipsychiatrie, respectant l'autonomie et encourageant la responsabilité du prétendu "malade", lui propose alors une nouvelle expérience pour l'aider à assumer ses difficultés, à atteindre par lui-même le chemin de la "guérison", quitter son monde familial et social pour s'engager dans ces nouvelles instances autorégulatrices que sont les "communautés thérapeutiques" et  "lieux de vie".

En 1965, Ronald Laing, Aaron Esterson et David Cooper fondent ainsi la "Philadelphia Association" pour créer des lieux d'accueil originaux, comme à "Kingsley Hall". C'est alors l'époque des thérapies de groupe et des techniques de résolution des problèmes à base de psychodrame, mais au-delà ces praticiens entendent agir sur l'environnement institutionnel, la psychose n'est que le reflet d'un processus social qui dévaste l'existence, et l'orientation foncière de cette nouvelle thérapie est bien de supprimer, loin des techniques médicales chimiques,  toutes ces contraintes sociales vécues alors comme aliénantes, ... et le regard institutionnel qui schématise avec outrance la "folie" et ses "fous". 

Mary Barnes (1923-2001), une des patientes de Ronal Laing, a décrit son expérience  dans un ouvrage bien connu, "Un voyage à travers la folie" (Two Accounts of a Journey Through Madness, 1991, with Joseph Berke) : c'est en 1965, à 42 ans, éprouvant des symptômes semblant relever de la schizophrénie, après avoir lu le livre de Laing, "The Divided Self", qu'elle entra en thérapie au Kingsley Hall (London) : elle y accepte d'entrer en régression totale de sa vie affective, traverse une mort symbolique qui la délivre, raconte-t-elle, des conflits relationnels qui l'emprisonnaient, pour réapprendre à vivre et à s'épanouir en tant qu'artiste peintre renommée à partir de 1969 ... 



 

"Mad To Be Normal", Robert Mullan,

with David Tennant, Elisabeth Moss, 2017

The story of the Scottish psychiatrist RD Laing and his unique community at Kingsley Hall, East London, during the 1960's...

 


Ronald Laing (1927-1989) 

C'est à Glasgow que Ronald D. Laing naquit et obtint  son doctorat en médecine, puis servit comme psychiatre dans l'armée britannique (1951 à 1953), poursuivit en suite ses travaux à Londres, à la Tavistock Clinic (1957-1961) : à partir de 1960, il renonce à "soigner" selon la tradition psychiatrique du terme et conçoit la maladie mentale comme une réaction à l'environnement familial ou social, mais plus encore... 

En 1964, Ronald Laing (1927-1989) publient avec Aaron Esterson (1923-1999) un ouvrage alors controversé, "Sanity, Madness, and the Family", synthèse de l'expérience vécue par onze familles, considérées comme emblématiques, de London's East End comportant un des leurs diagnostiqué schizophrène. Au fond, s'interrogeaient-ils, la schizophrénie existe-t-elle? ("Our question is: are the experience and behavior that psychiatrists take as symptoms of schizophrenia more socially intelligible than has come to be supposed?"). La psychiatrie et la psychanalyse apposent une grille de référence et d'interprétation à un prétendu patient qui en fait subit au bout du compte une "insécurité ontologique fondamentale" : à un instant donné, nous nous sentons subitement étranger à nous-même et au monde dans lequel nous vivons.

Laing partage en fait les positions existentielles de Martin Heidegger, Ludwig Binswanger et Jean-Paul Sartre (Ronald Laing et David Cooper, Reason and Violence: A Decade of Sartre's Philosophy, 1964) : les individus n'ont de cesse de chercher à améliorer leur "pour-soi", et lorsque nous posons notre regard sur les autres, nous les voyant comme des objets situés dans notre propre intentionnalité, dans leur "en-soi". "La conscience de soi, écrit Laing, implique deux choses, la conscience que l'on a de soi-même et la conscience de soi en tant qu'objet de l'observation d'autrui". Les interactions sociales sont en fait un combat permanent que nous livrons pour affirmer la dynamique de notre propre existence, alors qu'autrui se livre à d'incessantes tentatives pour nous objectiver. La conception scientifique qui prédomine dans notre temps est d'une incommensurable violence psychologique : elle est par nature objectifiante, le raisonnement analytique nous réduit à de simples éléments interprétables. Pour Laing, la psychiatrie contemporaine a faussement objectivé nos états psychiques Le psychotique qui cherchent de l'aide parce qu'il a le sentiment d'être un objet brisé, se sent encore davantage paralysés par les interprétations des psychiatres. Le "patient" est examiné par le psychiatre à travers un écran de catégories  objectives, et ce psychiatre peut ainsi effectivement maîtriser parfaitement le domaine de la schizophrénie sans comprendre un seul schizophrène : "comment m'approcher des patients si le langage psychiatrique dont je disposais les tenait à l'écart de moi? Comment démontrer la signification humaine générale de leur état si les mots dont on use sont spécifiquement conçu pour isoler et circonscrire la signification de la vie d'un patient en en faisant une entité clinique particulière?"

Le patient, venu chercher de l'aide, ressort désintégré d'une analyse la plus souvent réductrice de sa souffrance. Le "patient" ajoute ainsi à sa propre psychose un "faux soi" lui permettant de survivre dans un milieu hostile, alors qu'au dedans de lui-même vit un "vrai soi", mais un "soi compensateur" qui risque de plonger progressivement dans l'irréalité et la contradiction. "C'est terrible de réaliser que le médecin ne peut pas voir celui que vous êtes vraiment, qu'il ne ne peut pas comprendre ce que vous ressentez et qu'il va continuer simplement à poursuivre son idée à lui". Ce constat va en fait au-delà de la relation psychiatre-patient, elle concerne tout processus de relation et de communication dans lequel un des protagonistes est détenteur d'un pouvoir ou d'un savoir...

 

Dans "The Divided Self" (Le Moi divisé, 1960), Laing tente d'expliquer le processus par lequel on devient schizophrène. "Le terme de schizoïde s'applique à un individu dont la totalité de l'expérience a subi un double éclatement. Il y a, d'une part, rupture dans les rapports avec le monde qui l'entoure et, d'autre part, rupture de ses rapports avec lui-même. Un tel individu n'est pas capable de se sentir en harmonie avec les autres ou "chez lui" dans le monde, mais au contraire il éprouve un sentiment de solitude et d'isolement désespérants. " Laing utilise dans son approche ce qu'il appelle la "phénoménologie existentielle" qui, non seulement "tente de préciser la nature de l'expérience qu'un individu a de son univers et de lui-même", mais surtout permet une "remise en question de toutes les expériences particulières de cet individu dans le contexte de son être-dans-le-monde, dans son monde. Les choses folles dites ou faites par le schizophrène resteront incompréhensibles si on ne les considère pas dans leur contexte existentiel. En analysant une manière de "devenir fou", j'essayerai de montrer qu'il y a une transition compréhensible entre la façon "sainement" schizoïde et la façon psychotique d'être-dans-le-monde."

Ainsi, un individu, frappé d'une interdiction morale lors d'une expérience de sa relation au monde, se voit plongé dans cette fameuse insécurité ontologique qui le divise en deux, l'individu se sent étranger à la fois à lui-même et aux autres : l'une est structurée autour de faux aspects du "soi", qui se présentent au monde extérieur masqués, et une intériorité plus authentique mais qui ne se révèle pas autres. Plus simplement, nous avons tous découvert, dans notre enfance, que nous pouvions dissimuler à nos parents ce que nous savions. Cette division devient permanente lorsque le "faux soi"  devient la structure habituelle de l'existence. Se diviser permet de gérer l'angoisse de la relation avec autrui, mais si le "vrai soi" n'affronte jamais la réalité, à l'angoisse existentielle succède rapidement les angoisses névrotiques. On retrouve Sartre et son "huit clos", nous offrons aux autres avec la "mauvaise foi" des versions falsifiées de ce que nous sommes. Le comportement schizoïde ne mène pas directement à la schizophrénie, mais c'est lorsque le "soi inauthentique" se laissent totalement envahir par les structures familiales, sociales ou psychiatriques, fait corps avec eux, leur langage, leurs attentes, le "vrai soi" se tourne vers l'imaginaire. Quelque part, sous-jacent, hors de l'interprétation qui fut faite de Laing - "the counterculture rebel, mentor and mystic" -, la psychose réside dans la division entre des catégories de comportements jugés bons ou mauvais, encouragés ou frappés d'interdit, affirmation et soumission, obéissance et révolte. Enfin, la conscience humaine est menacée dès lors qu'elle fait l'impasse sur le "soi réel", le "pour-soi", pour ne devenir rien de plus qu'une chose appartenant au monde des autres..

 Dans son autobiographie, "Wisdom, Madness and Folly: The Making of a Psychiatrist 1927-1957", Ronald D. Laing revient sur son parcours, avec humilité, sans au bout du compte de réelles certitudes si ce n'est d'avoir tenter d'être authentique : "I am not trying to justify myself, or prove that I am right ...''

 

La voix de l'expérience (The Voice of Experience, 1982)

"Qu'est-ce que l'expérience? De quoi avons nous l'expérience? Sommes nous capables de comprendre ce que nous ressentons? Sommes-nous même capables de l'accepter? ..". Nous avons besoin, écrit Laing pour éclairer le "regard objectif" de la science, "des réalités ou fictions de notre monde vécu, ne serait-ce que pour les explications que nous en donnons dans les termes dépourvus de vie des mécanismes de la mathématique et de la physique, qui ne sont vécus par personne". Vient ensuite "le regard diagnostique", via lequel "l'ensemble de notre cycle vital, de la conception jusqu'à la mort, que nous soyons en bonne santé ou malades, est maintenant soumis à cette surveillance scrutatrice." 

"Bien des patients sont "traités" par le corps médical, enfermés dans des asiles, parce qu'ils éprouvent des sentiments jugés inappropriés, anormaux. Or, leurs expériences ont leur validité, obéissent à une logique qui leur est propre; et la réponse qu'elles appellent, voire l'aide qu'elles nécessitent sont peut-être d'un tout autre ordre. Laing rejoint ici Foucault, dans la description de ceux qui veulent contrôler nos sentiments. Enfin, ce livre explore certaines expériences limites qui ne doivent pas être a priori refusées comme impossibles (car qui décrétera du possible et de l'impossible?) : ce que nous éprouvons à la naissance par exemple, et même dans la vie intra-utérine; Laing essaye de nous ouvrir à la compréhension de ce qui semble de prime abord étrange ou menaçant, et surtout de nous mettre en garde sur ce qui pourrait bien nous arriver si, renonçant à notre propre expérience, nous laissons d'autres statuer sur elle." (Editions du Seuil) 

"Que nous pensions en termes de liens accidentels ou signifiants, ou en termes de corrélations statistiques, intuitivement nous savons que tous les liens et types de liens s'entremêlent tous dans la trame dynamique d'un même univers qui est un. Et notre pensée est impuissante à jeter un pont sur le gouffre qui la sépare de notre intuition. Mais ce sont justement ce gouffre et cette impuissance qui peuvent produire en nous une humilité salutaire. Quand nous contemplons l'insondable, la stupéfiante, la prodigieuse antinomie qui existe entre ce qui se passe en nous, entre nous et autour de nous et notre aptitude à le concevoir, notre esprit se sent humilié. Nous cherchons gauchement des métaphores et des paradigmes qui présentent moins d'analogie avec les processus de la réalité que le chien qui aboie ne ressemble à la constellation du Chien ou le hurlement du loup n'est identique à la lune.

Hier, tout était machine. Aujourd'hui, ça ressemble à un hologramme. Qui sait quel hochet intellectuel nous agiterons demain pour apaiser notre terreur du vide de notre compréhension des explications de nos corrélations dénuées de sens? Les vibrations cosmiques, les biorythmes, l'harmonie synchrone de tout cela, la déconcertante correspondance ou même l'identité des formes les plus fondamentales des mathématiques et de la matière, etc.. nous rappellent que nous ne pouvons espérer saisir ce qui nous tient dans son étreinte. 

Il ne nous est pas nécessaire, pour être déconcertés, d'aller vers les atomes ou les étoiles. Les événements les plus ordinaires de l'ordinaire humain nous dépassent. Nous voyons bien que nos destinées individuelles s'entremêlent et s'interpénètrent, que d'autres figurent dans nos rêves et nos drames tour comme nous-mêmes jouons un rôle, peut-être méconnaissable, dans les rêves et les drames de ceux-là avec lesquels nos vies se confondent.."

 

"Nous coupons la réalité en tranches intérieures-psychologiques et extérieures-objectives, et pouvons seulement espérer que la réalité se conformera obligeamment à nos divisions. Mais c'est le contraire qui se passe. Ni le morceau subjectif ni le morceau objectif ne veulent rester dans les domaines séparés que nous leur assignons. Chaque morceau est toujours impossible sans l'autre et pour l'autre. La condition de possibilité des deux doit être antérieure à chacun et elle se situe entre, derrière et au-delà de chacun..."


Laing travailla donc essentiellement sur la schizophrénie, psychose délirante et chronique qu'il chercha à mieux comprendre et qu'il fit ainsi connaître au grand public. La schizophrénie, pour lui, n'est pas un mal héréditaire, mais une réaction compréhensible à des situations que l'on ne parvient plus à vivre. ll invoqua, pour la décrire, la fameuse théorie de la «double contrainte» de l'anthropologue Gregory Bateson, selon laquelle certaines situations nous placent devant des injonctions paradoxales: quoi que nous fassions, notre geste aura des conséquences négatives, ce qui est source d'une grande détresse mentale.

Et c'est ainsi que Laing révolutionna la pratique psychiatrique en considérant les anomalies de comportement et de langage des schizophrènes comme l'expression légitime d'un état de détresse ...

Pour lui, les épisodes psychotiques sont des tentatives de communiquer un mal-être, qu'il faut assimiler à une expérience cathartique susceptible d'éclairer des pans entiers de la personnalité, Laing admet que ces messages soient difficiles à interpréter, mais cela tient uniquement, selon lui, au fait qu'ils sont enveloppes dans un langage symbolique individuel et hermétique au monde extérieur. La psychothérapie non médicamenteuse de Laing tente donc de décrypter le symbolisme du patient par une écoute attentive forte empathie. L'idée sous-jacente est que les individus sont naturellement en bonne santé mentale et que ce qu'on appelle «maladie mentale» n'est qu`une tentative visant à se réapproprier cet état ..

 

Famille et thérapie familiale ? La psychothérapeute américaine Virginia Satir (1916-1988), associée à l'aventure  du Mental Research Institut of Palo Alto(MRI), qui ouvrira en 1959, créa le premier programme officiel américain de formation de thérapie familiale  ("Conjoint Family Therapy", 1964, "Peoplemaking", 1972, "The New Peoplemaking", 1988).

Pour elle, la famille est une véritable petite "usine" à fabriquer les individus. C'est face aux membres de notre famille que nous apprenons à réagir de certaines façons, et par nos réactions, nous nous forgeons un rôle que nous jouerons particulièrement et pleinement en situation de stress. Un rôle qui peut ainsi en venir à submerger notre véritable moi et nous accompagner toute notre vie d'adulte jusqu'à l'étouffer. Virginia Satir en vient donc à définir ce qu'est une vie familiale "saine" : elle est nourrie par des témoignages d'affection sincères et réciproquement dans un contexte de respect mutuel et de compassion. Et c'est pour compenser l'absence de cette dynamique "saine" que les membres d'une même famille vont concevoir et s'attribuer différents rôles. Virginia Satir en retient cinq, le "réprobateur" (le critique systématique), "l'ordinateur" (l'intellectuel froid), "le distracteur" (celui qui passe sont temps à détourner les charges émotionnelles en cherchant à plaire à tout le monde), "le conformiste" et le 'niveleur" (le seul à assumer une position saine).  La voie qui s'ouvre alors pour sortir de cette dynamique familiale totalement dysfonctionnelle passe par l'établissement d'une communication ouverte et sincère et l'apprentissage de liens émotionnels positifs. Une thérapie familiale à l'américaine, bien loin du combat pour l'existence de l'antipsychiatrie ...


Mettant principalement l'accent sur les structures familiales, Laing voit dans certaines formes de schizophrénie I'expression d'une révolte contre la fonction répressive de la famille. Dans «La Politique de I'Expérience» (The Politics of Experience and The Bird of Paradise, 1967), il avance I'idée que le schizophrène serait simplement un individu incapable de refouler des instincts "normaux" et de se conformer à une société "anormale". Ronald Laing se déclare convaincu que la psychose porte en elle les germes de sa guérison. ll va même jusqu'à la considérer comme une expérience enrichissante pour l'individu et propose I'usage de drogues psychédélique: pour faciliter le « voyage » dans le « moi intérieur ». Accusé par certains de rendre en quelque sorte un culte à la folie, Ronald Laing a réussi, selon d'autres, à faire mieux comprendre la signification des maladies mentales. Par sa capacité à faire vivre concrètement un être humain à travers le langage du malade, il serait parvenu à faire entrer le profane dans le monde angoisse et aliéné du schizophrène...


David Rosenhan (1929-2012), « On Being Sane in Insane Places » (1973)

Fondateur du Trial Analysis Group, grand défenseur des droits des patients souffrant de troubles mentaux, le psychologue américain David Rosenhan, professeur de droit et de psychologie à l'école de droit de l'université Stanford, se fait connaître en 1973 avec une étude retentissante portant tout simplement sur la validité du diagnostic psychiatrique...

Les psychiatres prétendent que les troubles mentaux peuvent être diagnostiqués avec précision, et cela par l'intermédiaire de symptômes qui peuvent être classés en "maladies". Il est donc concevable de penser qu'un psychiatre est en capacité de distinguer les individus reconnus comme sains des malades mentaux. David Rosenham va donc se livrer à deux expériences...

La première lui montrera que des individus sains d'esprit ont été considérés comme des malades mentaux...

Rosenhan constitua un groupe de 9 hommes et femmes mentalement sains (dont lui-même), d'âge et de profession variés, qui devaient se faire admettre dans divers hôpitaux psychiatriques, répartis dans cinq États américains, après avoir pris rendez-vous par téléphone sous un faux nom. Au bureau des admissions, les pseudo-patients devaient se plaindre d'hallucinations auditives en prétendant entendre des mots comme "vide", "bruit sourd" supposés suggérer une crise existentielle. En dehors de leur nom - et de leur profession, ils ne dissimulèrent rien de leur histoire personnelle. Tous furent admis à l'hôpital psychiatrique avec un diagnostic de schizophrénie (bien que n'en manifestant aucun symptôme). Leur séjour dura en moyenne dix-neuf jours durant lesquels ils se comportèrent normalement et tinrent ouvertement un journal, - Rosenhan découvrit que la rédaction de ce journal était mentionnée dans les dossiers médicaux comme une manifestation de la maladie mentale.

En décrivant leur expérience personnelle, les pseudo-patients rapportèrent tous une importante dépersonnalisation et une ingérence dégradante dans leur vie privée, La moyenne de leurs contacts avec un médecin fut de 7 minutes par jour, et aucun membre du personnel hospitalier ne soupçonna l'imposture. Pour obtenir leur libération, ils durent accepter le verdict du psychiatre - reconnaître donc être mentalement malade - et s'engager à prendre des antipsychotiques ..

Une deuxième expérience livrera que des individus souffrant de réels troubles mentaux ont été considérés comme des simulateurs...

Rosenhan propose ainsi au personnel d'un hôpital universitaire, au courant des résultats de la première expérience, d'identifier les pseudo-patients qui allaient tenter de se faire admettre au cours des trois mois suivants. En fait, aucun faux patient ne se présenta. Et pourtant, sur 193 admissions, 41 malades furent considérés comme des imposteurs et 42 comme suspects...

Rosenhan en vint ainsi à la conclusion qu'on ne savait pas en fait distinguer les individus sains des malades mentaux dans les hôpitaux psychiatriques et que l'objectivité des diagnostics psychiatriques n'était en fait une réalité avérée que dans l'esprit des observateurs. Une étude qui déclencha une très vive controverse mais conduisit de nombreuses institutions à prendre des mesures pour améliorer leurs soins ...