Biosphere ecology - Charles Keeling (1928-2005) - James Lovelock (1919) - Lewis Thomas (1913-1993) - Lynn Margulis (1938-2011) - Land Art (1967-1977) -  ...

Last update: 09/09/2017

Alexander von Humboldt (1769-1859) écrit en 1805 que la nature est la diversité des phénomènes, l'harmonie entre les choses créées, qui diffèrent par leur forme, par leur constitution propre, par les forces qui les animent, au fond c'est "le Tout pénétré d'un souffle de vie". * . Charles Darwin (1809-1882), en 1859, énonce que les formes de vie sont façonnées par leur environnement et sonne la fin de la théorie de l'immuabilité du monde. * . Ernst Haeckel (1834-1929) reprend les idées de Humboldt, adhère au concept de Gestalt du monde vivant et inanimé, et forge en 1866 le terme d' "écologie", la nature est appréhendée comme un tout, un ensemble de relations entre les êtres vivants et leur environnement, qui déterminent leur nombre et leur répartition. * .En 1935, un certain Arthur Tansley (1871-1955) décrit les formes de vie, les paysages et le climat de la Terre comme un quasi "écosystème" global. * . Entre 1946 et 1957, Fred Hoyle (1915-2001) développe l'idée, que les éléments indispensables à la vie proviennent des étoiles. * . En 1952, Stanley Miller (1930-2007) et Harold Urey (1893-1981) tentent de prouver, via une expérience célèbre mais qui n'est sans poser question (la fameuse "soupe prébiotique"), que la vie n'est pas un miracle, que la vie peut avoir une origine chimique. * . En 1953, James Watson (1928) et Francis Crick (1916-2004) décrive la structure en double hélice de l'acide désoxyribonucléique (ADN), , la molécule porteuse de l'information génétique : étonnamment, les 20 acides aminés et les 4 bases qui la composent sont, à de rares exceptions, les mêmes partout dans la nature. * . En 1972, dans "The Limits To Growth", Dennis & Donella Meadows prédisent l'épuisement des ressources limitées de la Terre. * . En 1987, R.Cann, M.Stoneking et A.Wilson découvrent que les échantillons d'ADN mitochondrial humain, transmis uniquement par les mères, d'une génération à l'autre, sont plus semblables que ceux provenant d'autres primates : nous descendrions tous d'une "Eve mitochondriale", une seule femme ayant vécu il y a 150000 ans. * . En 1997, le géochimiste américain Charles Keeling (1928-2005) énonce que nous sommes la cause du réchauffement climatique (Climate Change and Carbon Dioxide) : mesurant le CO2, gaz à effet de serre qui piège la chaleur dans l'atmosphère, en divers endroits du monde, révèle que sa concentration dans l'air augmente avec la consommation de combustibles fossiles...

 

James Lovelock (1919)

L'Hypothèse Gaïa (1972) : une nouvelle conception de la Terre et du maintien des conditions de vie : "le système terrestre est un organisme vivant, il se comporte comme un système unique autorégulateur doté d'éléments physiques, chimiques, biologiques et humains..."

"De toutes les récompenses qu'on gagne à survivre plus de cinquante ans, la plus belle est la liberté d'être excentrique. Quelle joie que de pouvoir explorer les limites physiques et mentales de l'existence confortablement et sans risque, sans m'inquiéter de savoir si mon apparence ou mon discours sont ridicules! Les jeunes trouvent habituellement les contraintes de la convention trop lourdes pour qu'on y échappe, sauf quand elles font partie d'un culte. Les hommes d'âge mûr n'ont pas de temps à perdre, occupés qu'ils sont à suivre la routine de la vie. Seuls les vieux peuvent gaiement se rendre ridicules. L'idée que la Terre est vivante est à l'extrême limite de la crédibilité scientifique. J'ai commencé à y songer, puis à écrire sur le sujet au début de ma cinquantaine. J'étais juste assez vieux pour être anticonformiste sans être soupçonné de délinquance sénile. Le romancier William Golding, mon contemporain et voisin, suggéra que tout ce qui est vivant mérite d'avoir un nom - quoi de mieux pour une planète vivante que Gaïa, le nom donné par les Grecs à la déesse de la Terre? Le concept selon lequel la Terre est activement entretenue et régulée par la vie à sa surface a pour origine la recherche de la vie sur Mars. Tout a commencé un beau matin de printemps.." (1988)

Dans les années 1950, James Lovelock est chimiste au Jet Propulsion Laboratory à Pasadena, Califomie. Il invente un détecteur électronique capable de repérer d'infimes quantités de substance chimique dans un gaz, et utilise cet appareil pour rechercher la présence de pesticides: il découvre que ces produits se sont répandus sur la planète tout entière. On trouve du DDT chez les pingouins de l'Antarctique, ainsi que dans le lait maternel en Amérique. Les relevés effectués conduiront à un effort mondial pour interdire le DDT, et seront à l'origine d'une campagne pour la protection de l'environnement. Impressionnée par l'inventivité de ce non conformiste, la Nasa lui demande de participer au projet de sonde Viking à destination de Mars pour y détecter la vie. Cette proposition va déclencher une réflexion qui amène Lovelock à porter sur notre planète un regard différent:  si j'étais sur la planète Mars, comment pourrais-je dire qu'il y a de la vie sur Terre ? Tout d'abord, toute forme de vie sur Terre est tributaire de l'eau, et depuis quelque 3,5 millions d'années, la température moyenne à la surface de la Terre oscille entre 10 et 16 °C, ce qui permet de maintenir un volume suffisant d'eau à l'état liquide. Les cellules nécessitent un niveau de salinité constant et ne survivent en général pas à des taux supérieurs à 5 %. La salinité des océans se maintient plus ou moins à 3,4 %. Depuis l'apparition de l'oxygène dans l'atmosphère il y a 2 milliards, d'années, sa concentration s'est maintenue aux environs de 20 %. Mais a contrario, sans vie, l'atmosphère d'une planète se trouverait dans un état d'équilibre chimiquement mort ; mais les planètes habitées, elles, présentent des atmosphères vivantes et dynamiques. L'atmosphère sur Mars est composée à 95,3 % de dioxyde de carbone, à 2,7 % d'azote et à 1,6 % d'argon, le reste étant constitué de traces d'oxygène et d'eau : cela présente vraiment tous les signes d'une atmosphère morte. L'atmosphère terrestre, quant à elle, présente une composition très différente, 77 % d'azote, 21 % d'oxygène, et seulement des traces de dioxyde de carbone, de méthane et d'argon. Un tel mélange est bien loin de l'équilibre chimique, et c'est le signe qu'il existe un processus actif qui est à la base de son existence.

De ses travaux avec Lynn Margulis (1938), une microbiologiste américaine, Lovelock conclut que les microbes, les végétaux et les animaux utilisent l'énergie solaire pour créer une atmosphère convenant à la vie. Il est donc passablement incorrect de prétendre que la Terre n'est qu'un véhicule inerte transportant dans l'espace les espèces vivantes : notre planète est un biosystème vivant intégré. "Nous avons regardé la Terre avec notre imagination, et donc avec un regard neuf, et nous avons trouvé beaucoup de choses, et notamment l'émission par la Terre d'un signal infrarouge caractéristique de la composition chimique anormale de notre atmosphère."

De là est née l'idée de la Terre comme "planète vivante" et en 1972, l'hypothèse de Lovelock selon laquelle la Terre constitue un unique organisme autorégulateur capable d'entretenir la vie ("Gaia as Seen Through the Atmosphere") : les preuves étaient alors essentiellement tirées de la composition de l'atmosphère terrestre et de son état de déséquilibre chimique. Baptisée Gaïa en hommage a la divinité personnifiant la Terre dans la mythologie grecque (choix suggéré par l'auteur William Golding (1911-1993), alors le voisin de Lovelock), l'hypothèse pose que la Terre est contrôlée par les organismes vivants qui l'habitent, en interaction constante au sein d'un système autorégulateur. La planète prend soin d'elle-même a travers l'évolution de sa biosphère, atmosphère, hydrosphere et pédosphère. Ce système régule la salinité des océans et l'oxygene de l'atmosphere pour offrir le meilleur environnement possible aux diverses formes de vie. Cela ne signifie pas nécessairement que Gaia sauvera l'humanité. Au contraire «Gaia prendra soin d'elle-même. Et la meilleure façon d'y parvenir est peut-être de se débarrasser de nous", averti Lovelock en 1987.

"La théorie Gaïa impose une perspective planétaire. C'est la santé de la planète qui compte, et non celle de quelques espèces ou organismes individuels. C'est ici que Gaïa et le mouvement écologiste, qui se préoccupe au premier chef de la santé des humains, se séparent. La santé de la Terre est essentiellement menacée par de grands changements dans les écosystèmes naturels. L'agriculture, l 'exploitation des forêts et, dans une moindre mesure, la pêche sont considérées comme les sources les plus préoccupantes de ce genre d'atteinte, avec en seconde position l'inexorable augmentation de la concentration du gaz carbonique, du méthane et d'autres gaz à effet de serre. Les géophysiologistes n'ignorent pas la dégradation de la couche d'ozone stratosphérique avec le risque associé d'un accroissement du rayonnement ultraviolet de courte longueur d'onde, ni le problème des pluies acides. Ils font figure de dangers réels et potentiellement graves, mais ils menacent principalement les gens et les écosystèmes du monde industrialisé - région qui, d'un point de vue gaïen, peut très bien disparaître. Il y a seulement 10 000 ans, c'était une toundra gelée là où elle n'était pas ensevelie sous des glaciers. Quant à ce qui semble causer le plus d'inquiétude, les radiations nucléaires, elles ne représentent pas grand-chose pour Gaia, même si elles font peur aux individus humains. De nombreux lecteurs ont peut-être l'impression que je tourne en dérision tous ces savants spécialistes de l'environnement qui consacrent leur vie à l'étude de ce qui menace la vie des hommes. Telle n'est pas mon  intention. Je ne désire que parler au nom de Gaïa, parce que très peu de gens le font, comparés aux multitudes qui s'expriment au nom des humains. A cause de l'accent mis moins sur notre bien-être que sur celui de la planète, j'ai fini par me rendre compte qu'il faudrait peut-être créer une nouvelle profession, la médecine planétaire..."

"Gaia: A New Look at Life on Earth" (Gaïa : un nouveau regard sur la vie sur Terre, 1979)

"La panoplie entière de matière vivante sur Terre, depuis les baleines jusqu'aux virus et des chênes aux algues, peut être considérée comme constituant une seule entité vivante capable de maintenir l'atmosphère terrestre dans des conditions convenant à ses besoins généraux". Et l'hypothèse Gaïa décrit le processus de contrôle par lequel les organismes vivants créent un environnement physique et chimique qui soit optimal pour leur propre existence. Certes, les opposants à cette hypothèse sont nombreux : nous sommes à l'encontre de la pensée évolutionniste, - Darwin considérant que les organismes s'adaptent à un environnement sur lequel ils n'ont pas le pouvoir d'influer et combattent pour leur survie individuelle -. Lovelock souligne que l'histoire de la science fourmille d'exemples montrant qu'il faut du temps pour qu'une idée nouvelle soit communément acceptée.

 

"The Ages of Gaia" (Les âges de Gaïa, 1988)

Au début des armées 70, James Lovelock, médecin, ingénieur et conseiller de la NASA, se demanda pourquoi la Terre différait à ce point des autres planètes intérieures du système solaire, Mars et vénus. Elle possède une atmosphère riche en oxygène (21%), elle est couverte aux trois quarts d'océans et sa température moyenne n'a varié que de quelques degrés depuis des milliards d'années. Mars ne possède qu'une  atmosphère ténue, pauvre en oxygène et peu ou pas d'eau  apparente, tandis que Vénus est un enfer torride sous un manteau de gaz carbonique. L'idée vint à Lovelock que la Terre différait aussi des autres mondes par un aspect très particulier : elle porte, depuis près de quatre milliards d'années. de la vie. La richesse en oxygène et en eau et la température relativement stable de notre planète pourraient être directement liées à la présence de la vie et à son interaction avec l'environnement physique terrestre. Ainsi naquit l'hypothèse Gaïa, au moment où savants et écologistes s'interrogeaient sur l'avenir de notre monde et sur es blessures que nous lui infligeons. Métaphore ou hypothèse scientifique, Gaia renoue avec une mythologie ancienne, celle de la Terre considérée comme un être vivant. Les scientifiques s'insurgèrent contre un point de vue aussi mystique qui prêtait des intentions à Gaïa, considérée comme un seul être immense. Vingt ans après ses premiers articles et dix ans après son premier livre sur le sujet, James Lovelock revient sur |'hypothèse Gaïa, enrichie de ses propres recherches mais aussi des propos de ses détracteurs et de ses disciples parfois trop zélés.

James Lovelock montre que, si la Terre n'a pas toujours eu le visage que nous lui connaissons, c'est qu'il y a eu plusieurs âges de Gaïa, correspondant à la dominance d'espèces très différentes : d'abord les anaérobies s'alimentant de méthane, puis les aérobies (dont nous sommes) qui consomment de l'oxygène, poison violent pour les premiers. James Lovelock nous décrit l'histoire de notre Terre dans une perspective globale, très différente de celle qui sépare sans appel géologie et biologie. ll conclut à notre responsabilité : en trois siècles, l'humanité a davantage modifié le visage de Gaïa que l'évolution naturelle en des centaines de milliers d'années. Lovelock ne doute pas que la Terre - Gaïa - retrouvera un équilibre, mais cet équilibre à long terme sera-t-il favorable aux êtres humains ? Les Ages de Gaïa passionneront ceux qui s'intéressent à l'histoire de la Terre, les écologistes militants, comme les scientifiques sceptiques. Ce livre nous concerne tous puisqu'il porte sur notre habitat commun et que nous n'en avons pas de rechange.

 

"La vie a commencé il y a longtemps. La date de cet événement n'est pas connue, mais c'était au moins trois milliards six cents millions d'années avant notre naissance. Des chiffres aussi grands sont peu esthétiques et paralysent l'imagination. Une échelle différente pour l'évaluation du temps serait nécessaire pour remonter à ces bactéries, nos ultimes grands-parents. En science, la manière habituelle de domestiquer des chiffres scandaleux est de les exprimer en puissances de dix. Chaque degré est dix fois plus grand ou plus petit que le précédent. Dans "La Durée : un atlas de la quatrième dimension", Nigel Calder illustre ainsi l'histoire de la Terre. Il nous rappelle la faculté qu'a cette temporalité logarithmique de nous empêcher de reconnaître depuis combien de temps la vie occupe la Terre; il ne sert à rien de dire que la vie a commencé il y a 3,6 × 109 années. Sur une échelle de mesure linéaire, l'origine de la vie est environ mille fois plus lointaine que l'origine des humains. Dans le présent ouvrage je me servirai de milliards d'années. La vie a commencé il y a au moins 3,6 milliards d”années, durant la période que les géologues appellent l'Archéen, période qui va de la formation de la Terre il y a 4,5 milliards d°années à 2,5 milliards d'années - lorsque l'oxygène a pour la première fois dominé la chimie de l'atmosphère. 

Gaïa est aussi vieille que la vie; et, de fait, si le Big Bang par lequel l'univers a commencé date de 15 milliards d”années, Gaïa a déjà vécu un quart de la vie du temps lui-même. Elle est tellement vieille que sa naissance a eu lieu dans ces parages du temps où l'ignorance est un océan et où le territoire de la connaissance se limite à quelques petites îles, dont la possession donne une impression illusoire de certitude. Dans ce chapitre, je vous invite à me rejoindre dans mes spéculations sur la petite enfance de Gaïa et les problèmes qu'elle a affrontés lorsqu'elle a reçu la Terre en héritage. Quand nous regardons la période archéenne à la lumière de la théorie Gaïa, nous voyons une planète radicalement différente de celle décrite par la sagesse conventionnelle de la science actuelle. C'est une planète où la vie ne se contente pas de s'adapter à la Terre sur laquelle elle se trouve, mais qui adapte aussi la Terre pour y élire domicile. Le meilleur moyen d'illustrer la puissante présence de Gaïa est d'envisager ce que serait la Terre en l'absence de vie. On avancera que la Terre actuelle pourrait être une planète aride comme Mars ou Vénus si la vie n'était pas apparue à sa surface. Nous ne pouvons faire pareille comparaison pour l'Archéen parce que nous savons trop peu de choses sur la Terre telle qu'elle était alors. Par conséquent, ce que nous devons faire, c'est d'essayer de deviner au mieux ce qu'était l'état de la Terre avant la vie, puis d'envisager les changements qu'il y aurait eus lorsque la vie a pris les choses en main. En nous demandant comment la Terre était avant l'apparition de la vie, nous installons en quelque sorte une toile de fond neutre devant laquelle les changements dus à la vie apparaîtront dans toute leur richesse multicolore. 

L'ennui, c'est que cette toile de fond est tellement vieille qu'elle est pratiquement réduite en poussière. Regarder vers le passé équivaut à se servir d'un télescope pour observer les limites de l'univers. On y voit des objets faiblement lumineux. Les astronomes ont démontré que ces objets sont tellement éloignés que la lumière que nous voyons actuellement a commencé son voyage vers la Terre il y 3,8 milliards d'années. Ce qui se rapproche de l'époque où, d'après les géologues, les premières cellules bactériennes sont apparues. Ils ont probablement raison, mais la seule certitude qui nous reste concernant ces lieux et ces époques reculés vient du fameux second principe de la thermodynamique, lequel déclare énigmatiquement qu'il est impossible de connaître le commencement et la fin de l'univers. A mesure qu'augmente l'éloignement temporel et spatial, le beau visage jadis intact du savoir se creuse de cratères d'ignorance, jusqu'au moment où ses traits finissent par être méconnaissables. 

La théorie de l'information nous enseigne qu'en présence d'une quantité de bruit constante, la puissance requise pour faire traverser à un signal le gouffre de l'espace et du temps croît d'une manière exponentielle avec la distance à parcourir. Plus simplement, lorsque le temps ou la distance augmente, il faut beaucoup plus de puissance pour transmettre le même message. Les événements qui se sont produits sur Terre il y a seulement 5 000 ans sont loin d'être connus avec certitude. Essayez donc d'imaginer la puissance qu'il faudrait à un signal pour transmettre des informations sur le commencement de l'univers il y a 15 milliards d'années. C'est peut-être pourquoi la théorie du Big Bang qui fait commencer l'univers par l'explosion d'une particule initiale est inévitable. Rien de moins que l'explosion de l'univers lui-même pourrait envoyer un signal si éloigné dans le temps. Actuellement, il n'en reste plus que le faible bruit de fond du rayonnement cosmique à micro-ondes. Et aucune autre théorie de l'origine de l`univers n'a reçu de preuves.

Il y a un moyen astucieux de recueillir des informations sur des événements aussi anciens que l'apparition de la vie et qui échappe à la tendance par ailleurs universelle qu'ont les messages à vieillir et mourir. Il découle de la propriété quasi miraculeuse qu`a la matière vivante de surmonter la tendance atténuatrice du temps. Gaïa ne s'est pas contentée de rester en vie depuis le début; elle a aussi fourni un canal dépourvu de bruit pour des messages chimiques remontant à ces époques reculées. Si vous montez au sommet d'une colline pour crier, votre voix ne portera pas à plus d'un kilomètre et demi. En utilisant un système d'amplification, vous pourriez peut-être faire entendre votre message à huit kilomètres. Et même si vous faisiez exploser une bombe H, vous ne seriez pas compris à plus de quelques centaines de kilomètres à la ronde. L'autre solution est de dire votre texte à un ami qui se chargera de faire passer le message de bouche à oreille. Par ce moyen, le message pourrait sans problème faire le tour du monde. De même, les organismes vivants transmettent les programmes inscrits dans leurs cellules d'une génération à l'autre. On a toutes les raisons de croire que nous avons toute une chimie en commun avec les bactéries primitives, et les restrictions naturelles portant sur l'existence de ces bactéries primitives nous indiquent ce qu'était l'environnement de la Terre à ses débuts. En transmettant des messages codés dans le matériau génétique des cellules vivantes, la vie agit comme un relais, et chaque génération restaure et renouvelle le message spécifiant les caractéristiques chimiques de la Terre des premiers âges. Ce canal d'information est très supérieur aux archives des roches. Il est précis, mais il est malheureusement inexact à la manière d'un message transmis de bouche à oreille qui est précis et doué de sens, mais qui se déforme inévitablement. C'est ainsi que le message "Mieux vaut tard que jamais" peut devenir "Vieux motard que j'aimais". Il y a du vrai derrière cette plaisanterie de collégien. Si nous désirons connaître les origines de la vie à partir de l'information génétique, nous devons nous préparer à reconstituer la vérité à partir d'erreurs de ce genre..."

 

Le but inconscient de Gaïa est d'être une planète propre à la vie : "si les humains lui font obstacle, nous serons éliminés.."

"Il y a de nombreuses manières de garder le contact avec Gaïa. Si les individus humains sont des collectivités cellulaires et endosymbiotiques densément peuplées, il est clair qu'ils sont aussi des identités. Les individus interagissent avec Gaïa dans les cycles élémentaires et dans la régulation climatique, tout comme une cellule le fait à l'intérieur du corps. Vous interagissez aussi individuellement, sur le mode spirituel, au travers d'un sens de l'émerveillement devant le monde naturel et l'impression que vous avez d'en faire partie. A certains égards, cette interaction se rapproche de l'étroit appariement entre l'esprit et le corps. Une autre connexion s'établit au travers des puissantes infrastructures de la communication et du transfert de masse humains. En tant qu'espèce, nous transportons actuellement autour de la Terre une masse plus grande de certains matériaux que ne le fit l'ensemble du biote de Gaïa avant notre apparition. Notre bavardage est si bruyant qu'on peut l'entendre jusque dans les profondeurs de l'univers. Et comme c'est le cas d'autres espèces, ou d'espèces plus anciennement implantées sur Gaïa, c'est l'activité de quelques individus qui est à l'origine de tout un développement. La nidification urbaine, les écosystèmes agricoles - les bons comme les mauvais - dérivent tous d'une rétroaction positive rapide déclenchée par l'action de quelque individu inspiré.."

 

Lewis Thomas (1913-1993)

"The Lives of a Cell : Notes of a Biology Watcher" (1974)

"Vue à la distance de la Lune, la Terre a quelque chose d'étonnant, à vous couper le soufle : elle est vivante. Les photographies montrent la surface sèche, criblée d'impacts, de la Lune au premier plan, aussi morte qu'un vieil os. En plein espace, flottant librement sous la membrane humide et luisante d'un éclatant ciel bleu voici la Terre à son lever, unique objet exubérant de cette partie du cosmos. Si vous pouviez regarder assez longtemps, vous verriez tourbillonner les grands courants nuageux, qui couvrent et découvrent alternativement les masses terrestres à moitié cachées. Si vous aviez regardé pendant la durée quasi infinie des temps géologiques, vous auriez pu voir les continents eux-mêmes en mouvement dériver sur les plaques de l'écorce terrestre, soulevés par le feu interne. La Terre a l 'apparence organisée et autonome d'une créature vivante, pleine d'informations, merveilleusement habile à tirer partie du Soleil." Lewis Thomas, immunologiste et pathologiste célèbre pour son style de vulgarisateur imaginatif, suggère que pour mieux comprendre la Terre, il est nécessaire de se l'imaginer comme une cellule. C'est ainsi que les virus ne sont plus ici décrits comme des propagateurs mortels, mais comme des gènes mobiles qui jouent un rôle essentiel dans l'évolution des espèces, ne serait-ce que par leur capacité à déplacer des segments d'ADN d'un individu ou d'une espèce à l'autre...

 

Lynn Margulis (1938-2011)

"On the Origin of Mitosing Cells" (1967)

Lynn Margulis étudie la relation symbiotique entre microbes et atmosphère terrestre et est ainsi amenée à soutenir l'hypothèse Gaïa formulée par James Lovelock : pour elle, les êtres vivants doivent être considérés comme des systèmes autorégulés, et dans ce cadre les interactions coopératives ont autant d'importance dans l'évolution que les interactions conflictuelles. En 1967, avec "On the Origin of Mitosing Cells", puis en 1970, avec "Origin of Eukaryotic Cells", Lynn Margulis, forte des avancées fournies par  le microscope électronique et les progrès en biochimie, développe le concept d'évolution par coopération, des organites tels que le noyau (siège du contrôle de la cellule), les mitochondries (productrices énergétiques des cellules eucaryotes) ou les chloroplastes (siège de la photosynthèse) ont pu exister de manière autonome avant de s'assembler par "endosymbiose". L'hypothèse serait qu'il y a deux milliards d'années, la profusion d'organismes photosynthétiques provoque l'empoisonnement de nombreux microbes de l'époque, seuls survivent les plus prédateurs d'entre eux qui, en ingérant d'autres microbes et produire de l'énergie par absorption d'oxygène, deviennent mitochondries. Et dans les années 1970, Carl Woese découvre que l'ADN du chloroplaste s'apparente à celui des bactéries…


Non seulement la Nature peut s'approprier nos oeuvres d'humain (Earthworks),  mais notre esprit, tout comme la Terre, subissent une semblable "érosion" - Prenant acte de la destruction croissante de notre environnement par l'être humain, un groupe d'artistes dans les années 1960, anglais et américains, souvent associés au courant dit minimaliste, entreprennent de travailler directement avec la nature, poursuivant en quelque sorte les intentions supposées de ceux qui élaborèrent les mégalithiques en cercles concentriques de Stonehenge, les configurations géométriques du désert de Nazca au Pérou (500 av./500 ap.JC), ou les dessins gravés dans le sol calcaire des collines anglaises d'Uffington, dans l'Oxforshire. L’exposition Earthworks, à New York en octobre 1968, marque le début du Land Art, une pratique plus qu'un véritable mouvement, loin des galeries et des musées. L’essai de Robert Smithson, "Sedimentation of the mind : earth projects", écrit en 1968, en est considéré comme le manifeste. La plupart de ces réalisations seront effectuées dans les grands déserts américains, ou dans des carrières abandonnées, s’inscrivant dans l’espace et ne faisant plus qu’un avec celui-ci. Quant au spectateur, le voici arpentant une oeuvre qui le désarçonne quelque peu...

En 1967, Richard Long, natif de Bristol (1945), crée un sentier en foulant obstinément le sol d'un pré, "A Line Made by Walking" (Tate, London). La marche est en effet le medium de cet artiste, le désert, la toile, et la photographie, l'empreinte mémorisée. Richard Long ne peint pas, ne sculpte pas, il marche, et toutes les rencontres peuvent ainsi structurer des combinatoires infinis d'éléments naturels (A Ten Mile Walk England, 1968, Sahara Circle, 1988, Tate London). Incidemment, l'artiste fait allusion à la peinture de Van Gogh de 1886, "A Pair of Shoes", qui montre une paire de bottes de colporteur, usées par l'usage. "Nature has always been recorded by artists, from prehistoric cave paintings to twentieth-century landscape photography. I too wanted to make nature the subject of my work, but in new ways. I started working outside using natural materials like grass and water, and this evolved into the idea of making a sculpture by walking … My first work made by walking, in 1967, was a straight line in a grass field, which was also my own path, going nowhere" (La nature a toujours été enregistrée par les artistes, des peintures rupestres préhistoriques à la photographie de paysage du XXe siècle. Moi aussi, j'ai voulu faire de la nature le sujet de mon travail, mais d'une manière nouvelle. J'ai commencé à travailler à l'extérieur en utilisant des matériaux naturels comme l'herbe et l'eau, et cela a évolué vers l'idée de faire une sculpture en marchant...).

En 1968, Walter De Maria, natif de Californie (1935-2013), remplit de terre le sol de la galerie Heiner Friedrich4 à Munich, et conçoit "Mile Long Drawing" dans le Désert des Mojaves. C'est en 1969 qu'il s'impose avec "The Lightning Field", une œuvre achevée finalement en 1977 dans la plaine désertique de Quemado, au Nouveau-Mexique, et qui expose près de 400 poteaux en acier inoxydables, régulièrement répartis sur une surface rectangulaire d'un kilomètre par un mile : le spectateur est dans l'obligation d'y séjourner pendant 24 heures, dans une cabane en rondins, pour en vivre complètement  l'expérience artistique.

En 1968/1969, Dennis Oppenheim (1938-2011), natif d'Electric City (Washington), artiste qui par ailleurs pratique le conceptuel,  le corporel, l'engagement, se focalise sur l'intervention de l'homme dans la nature en dessinant des cercles concentriques sur la glace (Annual Rings ,1968),  en creusant celle-ci pour faire jaillir de l'eau (Boudary Split, 1968), ou creusant le sol dans "Directed seeding" (1969) ou "Cancelled Crop" (1969). 

Entre 1969 et 1970, Michael Heizer (1944), natif de Berkeley (Californie), déplace 240 000 tonnes de roches dans le désert du Nevada pour composer une "sculpture" faite d'une longue tranchée dans la terre d'un plateau, large de 13 mètres, profonde de 15 mètres et longue de 457 m,  intitulée "Double Negative", pour marquer l'aspect à la fois naturel et artificiel.

En 1970, Robert Smithson (1938-1973), natif d'Amarillo (Texas) construit avec de la boue et du basalte une spirale, "Spiral Jetty" de 457m de long et 4,6m de large, qui s'enroule dans le Grand Lac Salé d'Utah. Et la roche, à l'origine noire de Spiral Jetty va évoluer à mesure que le sel va s'y incruster. En 1969, il avait, avec "Asphalt Rundown" déchargé des camions d'asphalte dans la banlieue de Rome, le matériau typique de l'absorption d'énergie et des voies de passage.

En 1977, James Turrell (1943) transforme un cratère éteint d'Arizona en observatoire "de la lumière, du temps et du paysage" et poursuit une esthétique basée sur la mise en architecture de la lumière et des mises en expériences sensorielles (Shallow Space Constructions, 1968, série des Skyspaces, espace clos ouvrant sur le ciel, dans les années 1970)... En 2012, le Museum of Contemporary Art (ou MOCA) de Los Angeles présenta "Ends of the Earth : Land Art", la première exposition thématique historique à grande échelle traitant du land art.…