Eudora Welty (1909-2001), "Death of a Traveling Salesman" (1936), "A Curtain of Green" (1941, L'Homme pétrifié), "The Golden Apples" (1949)," Delta Wedding" (1946), "The Ponder Heart" (1954), "Where Is the Voice Coming From ?" (1963), "The Demonstrators" (1966), "Losing Battles" (1970), "The Optimist’s Daughter", "The Eye of the Story" (1978), "One Writer’s Beginnings" (1984) - ...

Last update: 12/12/2017 


Bien qu'elle ait écrit des romans remarquables (La Fille de l'Optimiste - Pulitzer 1973), Welty est considérée comme l'une des plus grandes nouvellières américaines du XXe siècle. Elle a poussé ce format à sa perfection, créant des microcosmes d'une intensité et d'une richesse extraordinaires en quelques pages....

Toute l'œuvre d'Eudora Welty est profondément ancrée dans le Mississippi, ses petites villes, ses paysages, sa société complexe post-Guerre de Sécession. Pourtant, elle ne se limite jamais au simple régionalisme. Sa maîtrise réside dans sa capacité à transformer les détails les plus concrets, les accents, les manières d'être spécifiques au Sud profond, en révélateurs de vérités universelles sur la condition humaine : la solitude, la communauté, la mémoire, l'amour, la perte, la résilience. Avant d'être écrivaine, Welty fut photographe pour la WPA pendant la Grande Dépression. Cette expérience à voir avec précision et compassion se retrouve dans ses descriptions d'une richesse sensorielle exceptionnelle (lumière, sons, textures, odeurs). Elle capte l'indicible dans un geste, une expression. Elle approche ses personnages (souvent ordinaires, marginaux, excentriques) sans jugement, avec une curiosité et une tendresse profondes. Elle pénètre leurs complexités intérieures, révélant leur dignité et leurs contradictions sans jamais tomber dans le sentimentalisme ou la caricature....


C'est avec la publication en 1980 du recueil de ses nouvelles ("The Collected Stories of Eudora Welty") puis plus tard avec ses Mémoires "A Writer's Beginning" (1984), que Eudora Welty est devenue la grande dame de la littérature du Sud des Etats-Unis : elle le devint en libérant le Sud du poids de la culpabilité  et des clichés et faisant de la "nouvelle" un extraordinaire monde d'expérimentation. Elle naquit au début du XXe siècle, à Jackson, dans le Mississippi, et découvrit très tôt, dans une famille cultivée où le racisme n'avait pas cours, le goût de l'aventure intellectuelle et la force du langage qui fonde les rapports humains (le sentiment de n'être là que parce qu'on le dit et que d'autres personnes le disent aussi), et au sein de ces rapports, « l'ambiguïté qui est un fait de la vie ». Dans l'écriture comme dans la vie, il faut apprendre à regarder une "chose de tous les côtés", l'infinie diversité des générations et des sensibilités, avec un style richement évocateur et souvent teinté d'humour. Elle publia son premier recueil, "A Curtain of Green" (1941), à 32 ans. Ses récits ne sont pas des histoires au sens classique du terme, ce qui lui permettra, écrira-t-elle,  « de se concentrer sur les gens sans subir d'influences indues, d'écrire une histoire qui montrait la vie qui se déroulait à sa propre petite échelle ». Cependant, sous la surface des événements, ou plutôt l'absence d'événements, c'est une histoire très différente qui est racontée, celle de « nombreuses petites vies vécues en privé » : des personnes vivant seules, menant des vies d'une solitude extraordinaire, et même mystérieuses. « Plus différents et plus éloignés les uns des autres que les étoiles, toute communauté qu'ils partagent est partielle, tout ordre ou cérémonie qu'ils accomplissent semble fugace, provisoire. C'est comme si, malgré la chaleur de la famille et de la compagnie, ils habitaient ce que le narrateur appelle à un moment donné « une forêt sans nom »...



Eudora Welty (1909-2001)

Nouvelliste et romancière américaine née à Jackson (Mississippi), Eudora Welty y a vécu toute sa vie - au moins depuis 1931, après ses études à l'université du Wisconsin et à

Columbia (New York). Sa première nouvelle, "Mort d'un commis voyageur", parut dans "Manuscript" en 1936; en 1941, une autre nouvelle intitulée "Sentier battu" la fit reconnaître et elle publia dans la foulée son premier recueil, "L'Homme pétrifié". En 1942, elle publie un court roman féerique, "Le Forban de mon cœur" (The Robber Bridegroom) et, en 1943, un second recueil de nouvelles, "Le Chapeau violet" (The Wide Net). En 1946, elle revient au roman avec "Mariage au delta" (Delta Wedding), mais c'est en tant que nouvelliste à la réputation bien établie, surtout dans le Sud, qu'elle atteint à une sorte de perfection, comme le prouve son troisième recueil, "Les Pommes d'or" (1949), et "La Fiancée de l'lnnisfallen" (The Bride of the lnnisfallen, 1954). Cependant, la même année, elle publie un nouveau bref roman sous forme de monologue et sur le mode comique, "Le Cœur méditatif" (The Ponder Heart). 

Les quinze années qui suivent sont relativement silencieuses (à part un livre pour enfants il quelques essais critiques), puis, en 1970, elle donne l'impressionnant et vibrant roman intitulé "Batailles perdues" (Losing Battles]). Comme tout le reste de son œuvre située dans le Mississipi, ce livre, qui étudie avec beaucoup de lucidité et non moins de subtilité l'état d'une famille réunie pour le quatre-vingt-dixième anniversaire de la grand-mère, a incontestablement ajouté une dimension nationale à la stature de son auteur, souvent jusqu'alors considérée comme une merveilleuse miniaturiste mais dans le genre régionaliste. "La Fille de l'optimiste" (The Optimist's Daughter, 1972], qui lui valut le prix Pulitzer en 1973, se situe exactement à mi-chemin de ces deux genres. 

Eudora Welty a réuni ses essais et compte-rendus critiques sous le titre "L'Oeil de la nouvelle" (The Eye of the Story. Selected Essays and Reviews, 1977). Elle y reprend la Préface d'un recueil de photos intitulé "Un temps, un lieu" (One Time, one Place : A Snapshot Album, 1970) : Eudora Welty fut en effet aussi, à l'époque de la Dépression, une excellente photographe. Ses "Nouvelles complètes" (Collected Stories) ont été recueillies en 1981. En 1984, "Les Débuts d'un écrivain" (One Writers Beginnings), constituera un essai autobiographique en trois courts chapitres tirés de conférences et intitulés respectivement "Ecouter", "Apprendre à voir", "Trouver une voix" ... 


"A Curtain of Green" (1941, L'Homme pétrifié)

Dans son introduction désormais célèbre à cette première collection par un jeune écrivain alors inconnu du Mississippi nommé Eudora Welty, Katherine Anne Porter écrivit "il y a même dans la plus petite histoire un sentiment de puissance en réserve qui me fait croire fermement que, splendide début qu’il est, ce n’est que le début» ("there is even in the smallest story a sense of power in reserve which makes me believe firmly that, splendid beginning that it is, it is only the beginning"). Le jugement de Porter était bien sûr prophétique ...

Dans son premier recueil de nouvelles (17), publié en 1941, Eudora Welty choisit le Sud où elle est née comme toile de fond, on pourrait presque dire comme protagoniste. La nature du Sud, avec ses fleuves lents, sa chaleur, ses plantes, joue un rôle essentiel et Welty a ainsi pu passer pour un écrivain d'atmosphère sudiste. Tout en posant le rythme alangui, la température écrasante, le foisonnement des plantes ou l'aridité des champs, Welty fait surgir et parler des personnages variés, paysans, notables de petite ville, mères de famille, ils sont jeunes ou vieux, noirs ou blancs. La diversité des tons utilisés par Welty pour raconter leur vie ou un épisode clef de celle-ci est grande, la touche d'humour ou d'ironie toujours présente et va jusqu`au comique, (par exemple dans le monologue de "Pourquoi j`habite au bureau de poste"), ou au satirique (une mentalité provinciale mesquine est esquissée dans "L'Homme pétrifié"), mais c`est au fond une tristesse grise ou noire qui colore toutes les nouvelles.

Celles-ci s'organisent autour de préoccupations semblables : le sentiment douloureux d'un écart entre le protagoniste et le monde qui l'entoure. L'agression que représente le monde est souvent figurée comme étant de nature sexuelle. Dans "Un souvenir", une très jeune fille observe sur la plage des baigneurs répugnants et tente de concilier cette vision d`une chair dégradée et son pur amour pour un camarade d'école. Le timide protagoniste de "Des fleurs pour Marjorie"  tue sa femme enceinte. Dans "La mort d'un voyageur de commerce" (la première nouvelle qu'ait publiée Welty), un homme meurt seul en pleine cambrousse, après avoir trouvé refuge dans une cabane dont une très symbolique occupante est une femme enceinte occupée à nettoyer une vieille lampe à pétrole. La mort, comme la sexualité, apparaît donc aussi très souvent à l'arrière-plan de tous les mouvements fugitifs de l'âme. Indirectement, mais de manière constante, ce que Welty suggère c'est la douleur de se sentir séparé. Ce sentiment. qui va de l'ulcération au désespoir, est présent obliquement parce qu'il est voilé par le lyrisme. des métaphores multiples. une préciosité grande, parce que les symboles, les ellipses, les euphémismes, les silences garantissent, dans les meilleures nouvelles en tout cas, une élégante ambiguïté. (Trad. Flammarion. 1986). 

 

 "A Curtain of Green" - Mrs. Larkin est une femme vivant seule dans une maison entourée d’un grand jardin luxuriant. Depuis la mort tragique de son mari dans un accident, elle s’est isolée de tout et a trouvé refuge dans le soin obsessionnel de son jardin. La nature est devenue son seul lien avec le monde extérieur, un espace débordant de vie, presque sauvage. Elle y travaille sans relâche, se protégeant derrière un "rideau de verdure" qui la sépare du reste de la communauté et symbolise son retrait psychologique. Mais bien qu'elle évite tout contact humain, elle interagit brièvement avec un ouvrier noir qui l’aide dans le jardin, alternant gratitude et accès de colère. Lorsqu’un orage menace de détruire son jardin, Mrs. Larkin sera rapidement submergée par des émotions conflictuelles. Elle se tient immobile sous la pluie, au milieu de ses plantes, comme si elle cherchait une sorte de catharsis ou de communion avec la nature. Un moment de tension où elle semble être au bord de l’effondrement ou d’une révélation, la fin reste non explicite ...

 

" ... La vie et la mort, songeait-elle en étreignant sa lourde houe, la vie et la mort, qui maintenant n'avaient plus de signification pour elle, mais qu'elle était contrainte de tenir à la force des bras, en se demandant sans cesse: n'est-il pas possible de réparer cela ? de punir ? de protester ? Une ombre légère voilà un instant le soleil, comme une feuille allongée qu'une rafale soulève dans le jardin.

A cet instant précis survint la pluie. La première goutte tomba sur son bras levé. Le bruit sourd et proche, la fraîcheur la touchèrent.

Avec un soupir, Mrs. Larkin baissa la houe vers le sol, et la déposa avec soin au milieu des plants. Elle demeura immobile, là où elle se trouvait, près de Jamey, et écouta la pluie qui tombait. Le bruit était si doux, si dense - le bruit de la fin de l'attente. 

Dans la lumière voilée par la pluie, différente d'un clair soleil, tout paraissait luire de l'intérieur, sans éclat, dans la sphère sereine de son identité. Le vert des petites pousses de zinnias était très pur, presque rayonnant. L'une après l'autre, dès que la pluie les atteignait, chacune des petites plantes luisait, et puis c'était le tour des plantes grimpantes. Dans le poirier, ce fut un léger bruissement, comme les ailes d'un oiseau qui se pose.

Elle pouvait sentir derrière elle, comme une lampe qu'on aurait allumée dans la nuit, la blancheur de la maison, tel un signal. Jamey, alors, comme s'il venait de prendre brusquement conscience de l'arrivée de la pluie, tourna franchement son visage vers elle; avec un sourire que les questions et le plaisir rendaient plus intense, il se mit debout, en restant ramassé sur lui-même. Il bégaya timidement quelques mots sans suite. Elle ne répondit pas à Jamey, elle ne fit pas un geste.

Rien ne l'affectait maintenant, excepté la pluie qui tombait. Elle écouta les gouttes légères tomber par intervalles entre chacune des paroles de Jamey, elle écouta leur chute silencieuse sur les glaives des feuilles d'iris, et leur tintement cristallin, comme celui d'une cloche, à l'intérieur d'une cruche que la cuisinière avait posée sur le seuil. 

Enfin, Jamey s'immobilisa, comme s'il attendait qu'on le paie, et essayait de dissiper, d'un geste de la main, l'embarras qui se lisait sur son visage. La pluie tombait à un rythme régulier. Une haleine parfumée, humide et profonde frémissait autour de Mrs. Larkin. Alors, comme une vague qui grossit et déferle sur une digue élevée chaque jour, un flot de tendresse se fraya un chemin dans son corps fatigué.

"Ça revient", pensa-t-elle, presque inconsciente, la tête et les yeux levés vers le ciel où les nuages se mirent à glisser, et à évoluer plus bas en se dissipant mollement. Il faisait presque nuit. Bientôt allait commencer une nuit de pluie, légère et bruissante. Elle allait tambouriner sur le toit à pente rapide de la maison blanche. Dans sa chambre, elle serait dans son lit, et elle entendrait la pluie. La pluie qui allait tambouriner sans cesse, à un rythme incessant. La journée de travail au jardin serait achevée. Elle serait étendue dans son lit, les bras allongés, fatigués; immobile et en paix : contre ce qui ne se tarit jamais, on était toujours sans défense.

Alors Mrs. Larkin tomba tout d'un coup au milieu des fleurs et demeura là, sans connaissance, le corps strié par la pluie. A terre parmi les plantes, son visage était tourné vers le ciel, les cheveux écartés de son front, et ses yeux se fermèrent aussitôt que la pluie les toucha. Lentement, ses lèvres s'entrouvrirent...."

 

"Lily Daw and the Three Ladies" - Lily Daw, une jeune femme avec un léger handicap mental, mais vive et joyeuse, et "trois dames" - Mrs. Watts, Mrs. Carson, et Aimee Slocum – des femmes influentes de la petite communauté où elle vit. Ces "dames" se considèrent comme responsables de son bien-être et prennent des décisions en son nom. L’histoire commence lorsque Lily annonce qu’elle a reçu une proposition de mariage d’un employé itinérant d’un spectacle ambulant. Cela provoque une crise chez les trois dames, qui estiment que cet homme est une menace pour Lily et que son mariage pourrait être une erreur. Elles décident que la meilleure solution pour garantir sa sécurité est de l’envoyer dans une institution pour les personnes atteintes de troubles mentaux. Mais cependant Lily est ravie de l’idée de se marier et insiste sur le fait qu’elle aime cet homme. Face à ces "dames" qui l'écoutent tout de même, Lily entend faire prévaloir son choix, la fin nous laisse à ce sujet dans l'ambiguïté ...

 

"A Piece of News"- Du besoin de valorisation. Ruby Fisher, une femme au foyer vivant dans une région rurale du Sud, est enfermée dans une vie monotone avec son mari, Clyde. Elle passe ses journées seule, peu sollicitée et insatisfaite.  Elle découvre un article de journal qui affirme qu’une femme nommée "Mrs. Ruby Fisher" a été abattue par son mari, et bien que l’article ne la  concerne pas réellement, elle s’identifie immédiatement à la victime mentionnée. L'article va déclencher chez elle une série de fantasmes : elle imagine notamment ce que sa mort signifierait pour Clyde et comment il réagirait. Elle se plaît à s’imaginer comme le centre d’attention, suscitant la sympathie des autres. La nouvelle se terminera sans que rien n'est véritablement changé dans sa situation si ce n'est  qu'ont été révélés frustrations émotionnelles et désirs refoulés qui hantaient sa vie...

 

"Petrified Man" - Une nouvelle presque entièrement composée de dialogues, de l’égoïsme et de la petitesse des interactions humaines. Dans un salon de beauté, Leota, une coiffeuse bavarde et curieuse, discute avec une cliente régulière, Mrs. Fletcher, d’une variété de sujets, souvent futiles ou scandaleux.  Leota raconte ainsi à Mrs. Fletcher des détails sur ses autres clientes et des nouvelles locales. La conversation tourne autour de la grossesse de Mrs. Fletcher, qu’elle essaie de cacher, et d’un couple étrange qui vit dans la pension où Leota réside. Elle en vient à évoquer un spectacle itinérant, où un homme prétendument "pétrifié" est exposé. Une cliente, Mrs. Pike, identifie l'homme comme étant un criminel recherché pour des viols en série, et revendique la récompense offerte pour sa capture. Cet événement provoque des jalousies et des tensions entre Leota et Mrs. Pike. L’histoire se termine sans véritable résolution, laissant le lecteur contempler l’absurdité et la superficialité des préoccupations des personnages... 

"Reach in my purse and git me a cigarette without no powder in it if you kin, Mrs. Fletcher, honey," said Leota to her ten o'clock shampoo-and-set customer. "I don't like no perfumed cigarettes."

 Mrs. Fletcher gladly reached over to the lavender shelf under the lavender-framed mirror, shook a hair net loose from the clasp of the patentleather bag, and slapped her hand down quickly on a powder puff which burst out when the purse was opened.

 "Why, look at the peanuts, Leota!" said Mrs. Fletcher in her marvelling voice.

 "Honey, them goobers has been in my purse a week if they's been in it a day. Mrs. Pike bought them peanuts."

 "Who's Mrs. Pike?" asked Mrs. Fletcher, settling back. Hidden in this den of curling fluid and henna packs, separated by a lavender swing-door from the other customers, who were being gratified in other booths, she could give her curiosity its freedom. She looked expectantly at the black part in Leota's yellow curls as she bent to light the cigarette.

 "Mrs. Pike is this lady from New Orleans," said Leota, puffing, and pressing into Mrs. Fletcher's scalp with strong red-nailed fingers. "A friend, not a customer. You see, like maybe I told you last time, me and Fred and Sal and Joe all had us a fuss, so Sal and Joe up and moved out, so we didn't do a thing but rent out their room. So we rented it to Mrs. Pike. And Mr. Pike." She flicked an ash into the basket of dirty towels. "Mrs. Pike is a very decided blonde. She bought me the peanuts."

 "She must be cute," said Mrs. Fletcher.

 "Honey, 'cute' ain't the word for what she is. I'm tellin' you, Mrs. Pike is attractive. She has her a good time. She's got a sharp eye out, Mrs. Pike has."

She dashed the comb through the air, and paused dramatically as a cloud of Mrs. Fletcher's hennaed hair floated out of the lavender teeth like a small storm-cloud.

 "Hair fallin'."

 "Aw, Leota."

 "Uh-huh, commencin' to fall out," said Leota, combing again, and letting fall another cloud.

 "Is it any dandruff in it?" Mrs. Fletcher was frowning, her hair-line

 eyebrows diving down toward her nose, and her wrinkled, beady-lashed eyelids batting with concentration.

 "Nope." She combed again. "Just fallin' out."

 "Bet it was that last perm'nent you gave me that did it," Mrs. Fletcher said cruelly. "Remember you cooked me fourteen minutes."

 "You had fourteen minutes comin' to you," said Leota with finality.

 "Bound to be somethin'," persisted Mrs. Fletcher. "Dandruff, dandruff. I couldn't of caught a thing like that from Mr. Fletcher, could I?"

 "Well," Leota answered at last, "you know what I heard in here yestiddy, one of Thelma's ladies was settin' over yonder in Thelma's booth gittin' a machineless, and I don't mean to insist or insinuate or anything,

 Mrs. Fletcher, but Thelma's lady just happ'med to throw out—I forgotten what she was talkin' about at the time—that you was p-r-e-g., and lots of times that'll make your hair do awful funny, fall out and God knows what all. It just ain't our fault, is the way I look at it."

 There was a pause. The women stared at each other in the mirror.

 

« Fouille dans mon sac et attrape-moi une cigarette sans poudre parfumée, si tu peux, ma chère Mrs. Fletcher », dit Leota à sa cliente de dix heures pour un shampooing-mise en plis. « J’aime pas les cigarettes parfumées. »

Mrs. Fletcher se pencha volontiers vers l’étagère lavande sous le miroir au cadre lavande, fit tomber un filet à cheveux de la boucle du sac en similicuir, et tapota vivement sa main sur une houppette qui s’envola quand le sac s’ouvrit.

« Tiens, regarde les cacahuètes, Leota ! » s’exclama Mrs. Fletcher d’une voix émerveillée.

« Ma chérie, ces cacahuètes traînent dans mon sac depuis une semaine, c’est sûr. C’est Mrs. Pike qui les a achetées.

— Qui est Mrs. Pike ? » demanda Mrs. Fletcher, se rasseyant. Dissimulée dans cet antre de lotions à friser et de masques au henné, séparée des autres clientes par une porte battante lavande – chacune comblée dans son box –, elle pouvait laisser libre cours à sa curiosité. Elle regarda avec attente la raie noire dans les boucles blondes de Leota tandis que celle-ci se penchait pour allumer sa cigarette.

« Mrs. Pike, c’est une dame de La Nouvelle-Orléans », dit Leota en expirant la fumée, tout en massant vigoureusement le cuir chevelu de Mrs. Fletcher avec ses doigts aux ongles rouges. « Une amie, pas une cliente. Tu vois, comme je t’ai peut-être dit la dernière fois, Fred, Sal, Joe et moi, on s’est disputés. Alors Sal et Joe ont déguerpi. On a rien trouvé de mieux que de louer leur chambre. On l’a louée à Mrs. Pike. Et à Mr. Pike. » Elle secoua sa cendre dans le panier de serviettes sales. « Mrs. Pike est décidément blonde. C’est elle qui m’a acheté les cacahuètes.

— Elle doit être mignonne », dit Mrs. Fletcher.

« Ma chérie, “mignonne” est un bien petit mot pour elle. Je te le dis, Mrs. Pike, elle est attirante. Elle sait s’amuser. Et elle a l’œil, Mrs. Pike, ça oui. »

Elle fit virevolter son peigne dans l’air et marqua une pause théâtrale tandis qu’un nuage des cheveux hennaés de Mrs. Fletcher s’envolait des dents lavande comme un petit orage.

« Ça tombe.

— Oh, Leota.

— Ouaip, ça commence à tomber », dit Leota en reprenant son peignage, laissant s’échapper un autre nuage.

« Est-ce qu’il y a des pellicules ? » Mrs. Fletcher fronça les sourcils, ses sourcils fins plongeant vers son nez, et ses paupières ridées aux cils en perles clignotant de concentration.

« Nan. » Elle peigna encore. « Ça tombe, c’est tout.

— Je parie que c’est la dernière permanente que vous m’avez faite », dit Mrs. Fletcher avec méchanceté. « Vous vous souvenez ? Vous m’avez cuite quatorze minutes.

— Ces quatorze minutes, vous les aviez bien méritées », rétorqua Leota, péremptoire.

« Ça doit être quelque chose », insista Mrs. Fletcher. « Les pellicules, les pellicules… C’est pas possible que j’aie attrapé un truc pareil de Mr. Fletcher, si ?

— Eh bien… », finit par répondre Leota, « vous savez ce que j’ai entendu ici hier ? Une des clientes de Thelma était installée dans son box pour une mise en plis sans bigoudis, et je veux pas insister ou insinuer, Mrs. Fletcher, mais la cliente de Thelma, comme ça, elle a lâché – j’ai oublié le contexte – que vous étiez e-n-c-e-i-n-t-e. Et souvent, ça peut faire des trucs bizarres à vos cheveux, les faire tomber et Dieu sait quoi encore. C’est vraiment pas de notre faute, c’est comme ça que je le vois. »

Il y eut un silence. Les deux femmes se dévisagèrent dans le miroir.

(...)

 

"The Key" - Comment le plus petit événement peut perturber le quotidien et révéler des émotions bien enfouies. Dans une gare bondée, deux personnages principaux, Albert et Ellie Morgan, un couple âgé assis ensemble en silence, chacun enfermé dans une incompréhension mutuelle. Mais voici qu'Albert trouve une clé, la montre la clé à Ellie, espérant engager une conversation ou provoquer une réaction : Ellie répond avec indifférence. La clé va devenir le catalyseur d’émotions refoulées, obsédant Albert tandis qu’Ellie, en reste distante, accentuant leur opposition. La clé finalement rendue ou laissée de côté, le couple revient à son silence habituel ...  

 

"... Assis sur un banc comme les autres, Ellie et Albert Morgan attendaient le train; ils n'avaient rien à se dire. Leurs noms s'étalaient en gros caractères consciencieusement écrits sur une grande valise havane maladroitement fermée par une courroie: il y manquait une boucle, de sorte qu'elle avait fini par bâiller comme une bouche stupide. "Albert et Ellie Morgan, Yellow Leaf, Mississippi". On avait dû les conduire à la ville en charrette, car une fine poussière jaune s'était déposée çà et là sur eux et sur leur valise, comme des marques de doigts.

Ellie Morgan était une grande femme, au visage aussi coloré et chargé qu'une rose surannée. Elle devait avoir dans les quarante ans. A son poignet raide et robuste pendait un de ces sacs noirs en forme de bourse. C'était probablement ses économies qui rendaient possible le voyage qu'ils entreprenaient. Et pour quelle destination, se demandait-on, car elle était assise là, rigide et massive comme un cube, comme pour lutter contre une appréhension indéfinissable qui montait en elle et l'inondait à l'idée de voyager. Son visage crispé se creusait de rides qui le durcissaient, comme s'il y avait eu un deuil : preuve par trop évidente de la souffrance qui accompagne le désir de communiquer.

Albert faisait une impression moins nette, plus douce. Il était assis, immobile, à côté d'Ellie, et il tenait, à deux mains, sur ses genoux, un chapeau qu'il n'avait sûrement jamais porté. Il avait l'air d'un objet fait main, comme si sa femme l'avait consciencieusement tricoté, ou comme si elle s'était confectionné un mari quand elle restait à veiller seule, la nuit. Il avait une tignasse de beaux cheveux jaune paille brûlés par le soleil. Il était manifestement trop timide pour ce monde. Repliées sur le chapeau, ses mains semblaient de carton, tant elles étaient immobiles, et pourtant, comme ses yeux se posaient avec douceur sur la calotte, glissant sur la surface brune d'un air rêveur et néanmoins craintif! Il était plus petit que sa femme. Son costume aussi était brun, et il le portait bien proprement, soigneusement, comme en murmurant : "Ne me regardez pas, cela ne vaut pas la peine, je suis falot". 

Vous avez sûrement trouvé cette expression chez ces enfants silencieux qui vous racontent leurs rêves de la nuit précédente dans de brusques élans de confiance, presque d'exultation.

De temps à autre, comme s'il avait remarqué quelque chose d'imperceptible, une expression très vive de frustration passait soudain sur le visage du petit homme aux aguets, et il jetait lentement autour de lui un regard plein de malice. Puis il baissait de nouveau la tête, et cette expression disparaissait : un certain apaisement intérieur lui avait été refusé. 

Derrière lui, à la hauteur de sa tête, il y avait sur le mur une grande affiche salie par le temps. Elle représentait une vieille locomotive prête à percuter une torpédo chargée de femmes voilées. Mais les voyageurs n'étaient pas plus effrayés par l'affiche, qui leur était familière, qu'ils n'étaient intrigués par le petit homme dont la tête, alternativement levée et penchée, s'y encadrait. Pourtant l'espace d'un instant, on aurait pu croire qu'il était plein d'un grand espoir...."

 

"Keela, the Outcast Indian Maiden" - Un homme revient dans une petite ville où il avait exploité un homme handicapé comme un spectacle de foire, autrefois connu sous le nom de "Keela", un homme noir utilisé et abusé pour attirer la curiosité morbide du public :  souffrant à la fois physiquement et psychologiquement, il était forcé de mordre les spectateurs pour ajouter à l’illusion de sa "sauvagerie". Steve, ancien employé du spectacle, est rongé par la culpabilité, bien qu’il tente de minimiser sa responsabilité, tandis que Max, jadis spectateur, montre une indifférence qui révèle une acceptation tacite de la cruauté et de l’injustice sociale. Tous deux croiseront à nouveau leur victime, désormais libre mais visiblement marqué par son passé : chacun retournera à son existence sans la moindre apparente évolution ... Comment des individus vulnérables peuvent être réduits à des objets de divertissement, dépouillés de leur dignité et de leur humanité, sans que rien ne semble en mesure de s'y opposer..

 

"Why I Live at the P.O." - Une narratrice à forte personnalité et préjugés, qui reste anonyme mais est simplement appelée "Sister", explique pourquoi elle a décidé de quitter la maison familiale pour vivre au bureau de poste local, où elle travaille. Elle accuse sa famille, - en particulier sa sœur Stella-Rondo, qui a quitté son mari, Mr. Whitaker, emmenant avec elle une petite fille qu’elle prétend avoir adoptée, Shirley-T -, d’être responsable de son départ. Shirley-T serait en réalité la fille biologique de Stella-Rondo. La tension monte rapidement entre Sister et les autres membres de la famille. Stella-Rondo manipule leur père, leur mère, et leur oncle Rondo pour se retourner contre Sister. Chaque conflit est exacerbé par les rivalités et les malentendus familiaux, et des désaccords sur des sujets les plus insignifiants. Sister en vient à décider qu’elle ne peut plus tolérer les injustices de sa famille, emporte ses affaires et s’installe au bureau de poste, où elle trouve un refuge symbolique et physique. Sister conclut son récit en affirmant qu’elle est satisfaite de son choix, une satisfaction qui reste ambigüe ...

 

"I WAS getting along fine with Mama, Papa-Daddy and Uncle Rondo until my sister Stella-Rondo just separated from her husband and came back home again. Mr. Whitaker! Of course I went with Mr. Whitaker first, when he first appeared here in China Grove, taking “Pose Yourself” photos, and Stella-Rondo broke us up. Told him I was one-sided. Bigger on one side than the other, which is a deliberate, calculated falsehood: I’m the same.

 Stella-Rondo is exactly twelve months to the day younger than I am and for that reason she’s spoiled.

 She’s always had anything in the world she wanted and then she’d throw it away. Papa-Daddy gave her this gorgeous Add-a-Pearl necklace when she was eight years old and she threw it away playing baseball when she was nine, with only two pearls.

 So as soon as she got married and moved away from home the first thing she did was separate! From Mr. Whitaker! This photographer with the popeyes she said she trusted. Came home from one of those towns up in Illinois and to our complete surprise brought this child of two.

 Mama said she like to made her drop dead for a second. “Here you had this marvelous blonde child and never so much as wrote your mother a word about it,” says Mama. “I’m thoroughly ashamed of you.” But of course she wasn’t.

 Stella-Rondo just calmly takes off this hat, I wish you could see it. She says, “Why, Mama, Shirley-T.’s adopted, I can prove it.”

 “How?” says Mama, but all I says was, “H’m!” There I was over the hot stove, trying to stretch two chickens over five people and a completely unexpected child into the bargain, without one moment’s notice.

“What do you mean—‘H’m!’?” says Stella-Rondo, and Mama says, “I heard that, Sister.”

 I said that oh, I didn’t mean a thing, only that whoever Shirley-T. was, she was the spit-image of Papa-Daddy if he’d cut off his beard, which of course he’d never do in the world. Papa-Daddy’s Mama’s papa and sulks.

 Stella-Rondo got furious! She said, “Sister, I don’t need to tell you you got a lot of nerve and always did have and I’ll thank you to make no future reference to my adopted child whatsoever.”

 “Very well,” I said. “Very well, very well. Of course I noticed at once she looks like Mr. Whitaker’s side too. That frown. She looks like a cross between Mr. Whitaker and Papa-Daddy.”

 “Well, all I can say is she isn’t.”

 “She looks exactly like Shirley Temple to me,” says Mama, but ShirleyT. just ran away from her.

 So the first thing Stella-Rondo did at the table was turn Papa-Daddy against me.

 “Papa-Daddy,” she says. He was trying to cut up his meat. “PapaDaddy!” I was taken completely by surprise. Papa-Daddy is about a million years old and’s got this long-long beard. “Papa Daddy, Sister says she fails to understand why you don’t cut off your beard.”

 

« Je m’entendais à merveille avec Maman, Papa-Chéri et Oncle Rondo, jusqu’à ce que ma sœur Stella-Rondo se sépare justement de son mari et revienne à la maison. M. Whitaker ! Bien sûr, je suis d’abord sortie avec M. Whitaker quand il est apparu pour la première fois ici, à China Grove, pour prendre des photos « Posez-Vous », et Stella-Rondo nous a séparés. Elle lui a dit que j’étais asymétrique. Plus grosse d’un côté que de l’autre, ce qui est un mensonge délibéré et calculé : je suis pareille des deux côtés. Stella-Rondo a exactement douze mois de moins que moi, jour pour jour, et pour cette raison, elle est gâtée.

Elle a toujours eu tout ce qu’elle voulait au monde, et puis elle le jetait. Papa-Chéri lui a offert ce magnifique collier « Perle-à-ajouter » quand elle avait huit ans, et elle l’a perdu en jouant au base-ball à neuf ans, alors qu’il ne portait plus que deux perles.

Alors, dès qu’elle s’est mariée et a quitté la maison, la première chose qu’elle a faite a été de se séparer ! De M. Whitaker ! Ce photographe aux yeux exorbités en qui elle disait avoir confiance. Elle est revenue d’une de ces villes de l’Illinois et, à notre grande surprise, a ramené cette enfant de deux ans.

Maman a dit qu’elle avait bien failli la tuer sur le coup. « Tu as cette merveilleuse enfant blonde et tu n’as même pas écrit un mot à ta mère à ce sujet », dit Maman. « J’ai honte de toi. » Mais bien sûr, ce n’était pas vrai.

Stella-Rondo enlève calmement ce chapeau – si seulement vous pouviez le voir. Elle dit : « Mais, Maman, Shirley-T. est adoptée, je peux le prouver. »

« Comment ? » dit Maman, mais tout ce que moi je dis, c’est : « Hum ! » Me voilà devant le fourneau brûlant, à essayer d’étirer deux poulets pour cinq personnes et, en prime, pour un enfant complètement inattendu, sans avoir eu une seconde pour me préparer.

« Qu’est-ce que tu veux dire par “Hum !” ? » dit Stella-Rondo, et Maman dit : « J’ai entendu, Sœur. »

J’ai dit que oh, je ne voulais rien dire de particulier, seulement que qui que soit Shirley-T., elle était le portrait craché de Papa-Chéri s’il se rasait la barbe, ce qu’il ne ferait bien sûr jamais au grand jamais. Papa-Chéri, c’est le papa de Maman, et il boude.

Stella-Rondo est devenue furieuse ! Elle a dit : « Sœur, je n’ai pas besoin de te dire que tu as un sacré culot, tu en as toujours eu, et je te saurai gré de ne plus jamais faire la moindre allusion à mon enfant adoptée. »

« Très bien », dis-je. « Très bien, très bien. Bien sûr, j’ai tout de suite remarqué qu’elle ressemblait aussi à la famille de M. Whitaker. Ce froncement de sourcils. Elle ressemble à un croisement entre M. Whitaker et Papa-Chéri. »

« Eh bien, tout ce que je peux dire, c’est que non. »

« Pour moi, elle ressemble exactement à Shirley Temple », dit Maman, mais Shirley-T. venait justement de s’enfuir loin d’elle.

Alors la première chose que fit Stella-Rondo à table fut de monter Papa-Chéri contre moi.

« Papa-Chéri », dit-elle. Il était en train de couper sa viande. « Papa-Chéri ! » J’étais complètement surprise. Papa-Chéri doit avoir environ un million d’années et il porte cette très longue barbe. « Papa-Chéri, Sœur dit qu’elle ne comprend pas pourquoi tu ne te rases pas la barbe. »

(...)

Personne ne devrait fermer le livre sur une vie de lecture sans avoir apprécié l’histoire la plus célèbre d’Eudora Welty, « Why I Live at the P.O., » un monologue dansant dans la voix de Sister, la postière de China Grove, Mississippi (« Bien sûr, il n’y a pas beaucoup de courrier », admet-elle). En une douzaine de pages, Sœur explique sa sortie du 4 juillet de la maison familiale, provoquée par le feu d’artifice déclenché par le retour inattendu de son frère gâté, Stella-Rondo, avec un enfant précédemment annoncé. L’accueil réservé à la fille prodigue par Maman, Papa-Papa et Oncle Rondo alimente l’indignation qui culmine dans l’exil auto-imposé de Sœur à son lieu de travail. Imaginez un sketch de Carol Burnett calibré par Tchekhov et vous aurez une idée de la comédie humaine révélatrice de l’histoire....

 

"The Hitch-Hikers" - Comment la violence peut émerger d'interactions apparemment banales - Tom Harris, un chauffeur de camion, voyage à travers le Sud américain, un homme simple et pragmatique, habitué aux longues routes solitaires. Sur sa route, il prend à bord deux auto-stoppeurs, un homme nommé Sobby et un jeune homme plus discret, Sanford. Sobby est bavard, imprévisible, et légèrement menaçant, tandis que Sanford est réservé et mal à l’aise. Progressivement s'installe une atmosphère de malaise, de Sobby à l'encontre de Sanford, tout en essayant de tester les limites de Tom. Une altercation éclate lorsque Sobby vole un couteau dans une station-service. Lors d’un arrêt dans un hôtel, Sobby, devenu de plus en plus agressif, attaque Tom avec le couteau volé. Sanford intervient pour sauver Tom : les auto-stoppeurs disparaissent rapidement l'abandonnant à un sentiment que le récit laisse ouvert ..

 

"A Memory" - La narratrice, une jeune fille, se remémore un moment particulier de son enfance, alors qu'elle se trouvait seule, plongée dans ses pensées, dans un monde encore marqué par l'innocence de son jeune âge : l'incursion d'un groupe de personnes aux comportements qui lui semblent grossiers et d'une sensualité confuse vient envahir ce moment de paix introspective, elle éprouve un mélange de honte et de fascination face à ce qu’elle voit. Un souvenir marquant parce qu’il symbolise la rupture entre la pureté de son imaginaire d'enfant et la réalité émotionnellement abrupte du monde adulte, un thème récurrent dans l’œuvre de Welty...

 

"Clytie" - Clytie Farr est une vieille fille qui vit dans la maison familiale délabrée avec son père malade, son frère Herbert, et sa sœur Octavia, tous trois reclus et déconnectés du reste de la société. Clytie passe ses journées à accomplir des tâches domestiques monotones et à faire de rares excursions en ville, des sorties qui sont autant de tentatives de briser son isolement, mais qui se soldent toujours par des échecs. Clytie en vient à développer une véritable obsession pour les visages des gens qu’elle croise, cherchant désespérément un visage ami, une quête quasi pathologique dont l'apogée est ce moment où elle croise son reflet dans l’eau d’un baril de pluie et voit son propre visage déformé : une vision qu'elle ne peut surmonter, et dans un acte désespéré, plonge sa tête dans le baril et se noie...

 

"Old Mr. Marblehall" - Un comptable respecté d’une petite ville du Sud, un homme perçu par ses collègues et ses voisins comme ordonné, prévisible, et moralement irréprochable, entretient en fait une double vie : il a une maîtresse et se rend régulièrement dans une autre ville pour la voir, et maintient soigneusement une séparation entre ces deux mondes. Mr. Marblehall tire une certaine fierté de sa capacité à jongler avec les apparences, mais à mesure que l’histoire progresse, commence à éprouver une tension intérieure entre ses deux identités. Ces deux mondes vont bientôt s’effondrer l’un sur l’autre, son double jeu est découvert, et il perd la maîtrise de son illusion si soigneusement construite ...

 

"Flowers for Marjorie" - Un couple marié, Howard et Marjorie, vivant dans des conditions particulièrement modestes, probablement dans une ville du Sud des États-Unis. Howard est au chômage et désespéré, accablé par l’incapacité de subvenir aux besoins de sa femme et par sa propre impuissance. Marjorie, bien que dévouée et aimante, devient involontairement une cible de ce ressentiment. Et le drame survient. Poussé par une colère et une frustration grandissantes, Howard tue Marjorie dans un moment de rage mais point culminant d’une tension sous-jacente bien plus ancienne. Ayant commis son crime,  Howard sombre dans une forme de déni ou de détachement psychologique, continue sa journée comme si rien ne s’était passé, errant dans la ville, achetant des fleurs, qu’il destine à Marjorie : à mesure qu’Howard progresse dans sa journée, des pensées et des images fragmentées de Marjorie et de leur vie commune viennent le hanter, la culpabilité et le chagrin semble commencer à percer son déni, l'histoire nous laisse sans que nous sachions ce qui va advenir de lui ...

 

"He was one of the modest, the shy, the sandy haired—one of those who would always have preferred waiting to one side. . . . A row of feet rested beside his own where he looked down. Beyond was the inscribed base of the drinking fountain which stemmed with a troubled sound up into the glare of the day. The feet were in Vs, all still. Then down at the end of the bench, one softly began to pat. It made an innuendo at a dainty pink chewing-gum wrapper blowing by.

 He would not look up. When the chewing-gum wrapper blew over and tilted at his foot, he spat at some sensing of invitation and kicked it away. He held a toothpick in his mouth.

 Someone spoke. “You goin’ to join the demonstration at two o’clock?”

 Howard lifted his gaze no further than the baggy corduroy knees in front of his own.

 “Demonstration . . . ?” The tasteless toothpick stuck to his lips; what he said was indistinct.

 But he snapped the toothpick finally with his teeth and puffed it out of his mouth. It landed in the grass like a little tent. He was surprised at the sight of it, and at his neatness and proficiency in blowing it out. And that little thing started up all the pigeons His eyes ached when they whirled all at once, as though a big spoon stirred them in the sunshine. He closed his eyes upon their flying opal-changing wings.

 And then, with his eyes shut, he had to think about Marjorie. Always now like something he had put off, the thought of her was like a wave that hit him when he was tired, rising impossibly out of stagnancy and deprecation while he sat in the park, towering over his head, pounding, falling, going back and leaving nothing behind it.

He stood up, looked at the position of the sun, and slowly started back to her.

 He was panting from the climb of four flights, and his hand groped for the knob in the hall shadows. As soon as he opened the door he shrugged and threw his hat on the bed, so Marjorie would not ask him how he came out looking about the job at Columbus Circle; for today, he had not gone back to inquire.

 Nothing was said, and he sat for a while on the couch, his hands spread on his knees. Then, before he would meet her eye, he looked at the chair in the room, which neither one would use, and there lay Marjorie’s coat with a flower stuck in the buttonhole. He gave a silent despairing laugh that turned into a cough.

 

C'était l'un de ces êtres modestes, timides, aux cheveux de sable – de ceux qui auraient toujours préféré attendre en retrait... Son regard baissé croisa une rangée de pieds posés près des siens. Plus loin, la base gravée de la fontaine d'eau potable jaillissait avec un gargouillis troublé dans l'éclat aveuglant du jour. Les pieds formaient des V, tous immobiles. Puis, à l'extrémité du banc, l'un d'eux se mit à tapoter doucement. Ce geste semblait faire un sous-entendu à l'égard d'une délicate feuille de papier gomme rose qui passait en voltigeant.

Il refusait de lever les yeux. Lorsque le papier à chewing-gum vint tournoyer contre sa chaussure, il cracha, comme s'il pressentait une invitation importune, et l'envoya d'un coup de pied. Il gardait un cure-dent entre les lèvres.

Une voix s'éleva. « Tu vas participer à la manifestation à deux heures ? »

Howard ne leva son regard que jusqu'aux genoux d'un pantalon de velours côtelé trop large, face aux siens.

« Manifestation... ? » Le cure-dent insipide collait à ses lèvres ; ses paroles étaient indistinctes.

Mais il finit par le casser net entre ses dents et le chassa d'une bouffée. Il atterrit dans l'herbe comme une petite tente. Il fut surpris par ce spectacle, par sa propre adresse et la précision de ce geste. Et ce minuscule événement fit s'envoler tous les pigeons. Ses yeux le firent souffrir lorsque les oiseaux tourbillonnèrent d'un seul coup, comme remués à la cuiller dans la lumière crue. Il ferma les paupières sur le vol nacré, aux ailes changeantes.

Alors, dans l'obscurité de ses yeux clos, il dut penser à Marjorie. Désormais, comme une chose sans cesse remise à plus tard, l'évocation d'elle le frappait telle une vague quand il était fatigué, surgissant de façon impossible de la stagnation et du mépris de soi tandis qu'il était assis dans le parc – une vague qui se dressait au-dessus de sa tête, déferlait, retombait, se retirait sans rien laisser derrière elle.

Il se leva, regarda la position du soleil, et reprit lentement le chemin qui le ramènerait à elle.

Il haletait après avoir gravi les quatre étages, et sa main tâtonna pour trouver la poignée dans la pénombre du palier. Dès qu'il eut ouvert la porte, il haussa les épaules et jeta son chapeau sur le lit, afin que Marjorie ne lui demande pas comment s'était passée la démarche pour l'emploi à Columbus Circle ; car aujourd'hui, il n'était pas retourné s'enquérir.

Aucun mot ne fut prononcé, et il resta un moment assis sur le canapé, les mains à plat sur les genoux. Puis, avant d'affronter son regard, il porta son attention vers la chaise de la pièce, que ni l'un ni l'autre n'utilisait jamais, et où gisait le manteau de Marjorie, une fleur piquée à la boutonnière. Il eut un rire silencieux et désespéré qui se transforma en quinte de toux.

 

 Marjorie said, “I walked around the block—and look what I found.” She too was looking only at the pansy, full of pride. It was bright yellow. She only found it, Howard thought, but he winced inwardly, as I hough she had displayed some power of the spirit. He simply

 had to sit and stare at her, his hands drawn back into his pockets, feeling, a match.

 Marjorie sat on the little trunk by the window, her round arm on the sill, her soft cut hair now and then blowing and streaming like ribbon-ends over her curling hand where she held her head up. It was hard to remember, in this city of dark, nervous, loud-spoken women, that in Victory, Mississippi, all girls were like Marjorie—and that Marjorie was in turn like his

 home. . . . Or was she? There were times when Howard would feel lost in the one little room. Marjorie often seemed remote now, or it might have been the excess of life in her rounding body that made her never notice any more the single and lonely life around her, the very pressing life around her.

 He could only look at her. . . . Her breath whistled a little between her parted lips as she stirred in some momentary discomfort.

 Howard lowered his eyes and once again he saw the pansy. There it shone, a wide-open yellow flower with dark red veins and edges. Against the sky-blue of Marjorie’s old coat it began in Howard’s anxious sight to lose its identity of flower-size and assume the gradual and large curves of a mountain on the horizon of a desert, the veins becoming crevasses, the delicate edges the giant worn lips of a sleeping crater. His heart jumped to his mouth. . . 

 

Marjorie dit : « J’ai fait le tour du pâté de maisons — et regarde ce que j’ai trouvé. » Elle aussi ne regardait que la pensée, pleine de fierté. Elle était d’un jaune éclatant. Elle l’a simplement trouvée, songea Howard, mais il tressaillit intérieurement, comme si elle avait exhibé quelque puissance de l’esprit. Il n’eut d’autre choix que de rester assis à la contempler, les mains enfoncées dans ses poches, se sentant, lui, à l’étroit comme une allumette dans sa boîte.

Marjorie était assise sur la petite malle près de la fenêtre, son bras rond posé sur le rebord, ses cheveux coupés courts et doux voltigeant par instants comme des rubans effilochés au-dessus de sa main recourbée où elle appuyait sa tête levée. Il était difficile de se souvenir, dans cette ville de femmes sombres, nerveuses et au verbe haut, qu’à Victory, Mississippi, toutes les filles étaient comme Marjorie — et que Marjorie était à son tour comme son

foyer. . . . Ou l’était-elle encore ? Il arrivait que Howard se sentît perdu dans cette unique petite pièce. Marjorie paraissait souvent distante désormais, ou peut-être était-ce l’excès de vie qui gonflait son corps arrondi qui la rendait aveugle à la vie solitaire et singulière autour d’elle, à cette vie même qui la pressait de toutes parts.

Il ne pouvait que la regarder. . . . Son souffle sifflait légèrement entre ses lèvres entrouvertes alors qu’elle bougeait dans un inconfort passager.

Howard baissa les yeux et revit la pensée. Là, elle brillait, une large fleur jaune toute ouverte aux nervures et liserés d’un rouge sombre. Sur le fond bleu ciel du vieux manteau de Marjorie, elle commença, sous le regard anxieux de Howard, à perdre son identité de fleur à taille humaine pour revêtir les courbes graduelles et massives d’une montagne à l’horizon d’un désert, les nervures se muant en crevasses, les délicats contours devenant les lèvres géantes et érodées d’un cratère endormi. Son cœur lui monta à la gorge. . .

 

"A Visit of Charity" - Analyse ironique du sentiment de bienveillance et d'une certaine inconscience de la jeunesse. Marian, une jeune fille membre d’un groupe caritatif, rend visite à deux résidentes d'une maison de retraite, froide et impersonnelle, pour obtenir des points ou une récompense. Marian est prise en charge par une infirmière peu engageante jusqu’à une petite chambre où résident ces deux femmes, âgées, la pièce décrite comme sombre, étouffante, le comportement des deux femmes contradictoire, l’une est bavarde, agressive et critique, l'autre, silencieuse et mystérieusement triste. Marian est rapidement mal à l’aise et ne sait pas comment réagir : à vrai dire, elle semble plus préoccupée par l’idée d’obtenir des points que par l’expérience humaine qu'elle doit traverser. Marian finira par quitter précipitamment la maison de retraite, sans avoir véritablement accompli un acte de charité ou d’empathie, mais récupère une pomme, symbole ironique de la "récompense" de sa visite...

 

"Death of a Traveling Salesman", la première nouvelle publiée par Eudora Welty en 1936 dans Manuscript - R.J. Bowman, un vendeur itinérant qui traverse la campagne du Mississippi après avoir été malade pendant plusieurs jours, se perd sur un chemin de campagne isolé et trouve refuge dans la maison modeste d’un couple, Mr. et Mrs. Beecher. Les Beechers vivent dans une simplicité presque primitive, mais ils partagent une complicité silencieuse qui intrigue Bowman, une relation qu'il n'a jamais connu, celui d'un amour simple et authentique. Il en vient à réfléchir à sa propre vie marquée par la solitude et se rend compte que ses années de travail itinérant l’ont privé de tout véritable lien humain ou sentiment d’appartenance. Bowman est soudain pris d’un malaise grave, probablement une crise cardiaque. Alors qu’il lutte pour comprendre ce qui lui arrive, il prend conscience de toute l’ironie de sa situation : seul et loin de tout, il va mourir dans une maison remplie de la chaleur humaine qui lui a manqué toute sa vie ...

 

" R. J. BOWMAN, who for fourteen years had traveled for a shoe company through Mississippi, drove his Ford along a rutted dirt path. It was a long day! The time did not seem to clear the noon hurdle and settle into soft afternoon. The sun, keeping its strength here even in winter, stayed at the top of the sky, and every time Bowman stuck his head out of the dusty car to stare up the road, it seemed to reach a long arm down and push against the top of his head, right through his hat—like the practical joke of an old drummer, long on the road. It made him feel all the more angry and helpless. He was feverish, and he was not quite sure of the way.

 This was his first day back on the road after a long siege of influenza. He had had very high fever, and dreams, and had become weakened and pale, enough to tell the difference in the mirror, and he could not think, clearly. . . . All afternoon, in the midst of his anger, and for no reason, he had thought of his dead grandmother. She had been a comfortable soul.

 Once more Bowman wished he could fall into the big feather bed that had been in her room. . . . Then he forgot her again.

 This desolate hill country! And he seemed to be going the wrong way—it was as if he were going back, far back. There was not a house in sight. . . .

 There was no use wishing he were back in bed, though. By paying the hotel doctor his bill he had proved his recovery. He had not even been sorry when the pretty trained nurse said good-bye. He did not like illness, he distrusted it, as he distrusted the road without signposts. It angered him. He had given the nurse a really expensive bracelet, just because she was packing up her bag and leaving.

 But now—what if in fourteen years on the road he had never been ill before and never had an accident? His record was broken, and he had evenbegun almost to question it. . . . He had gradually put up at better hotels, in the bigger towns, but weren’t they all, eternally, stuffy in summer and drafty in winter? Women? He could only remember little rooms within little

 rooms, like a nest of Chinese paper boxes, and if he thought of one woman he saw the worn loneliness that the furniture of that room seemed built of.

 And he himself—he was a man who always wore rather wide-brimmed black hats, and in the wavy hotel mirrors had looked something like a bullfighter, as he paused for that inevitable instant on the landing, walking downstairs to supper. . . . He leaned out of the car again, and once more the sun pushed at his head.

 Bowman had wanted to reach Beulah by dark, to go to bed and sleep off his fatigue. As he remembered, Beulah was fifty miles away from the last town, on a graveled road. This was only a cow trail. How had he ever come to such a place? One hand wiped the sweat from his face, and he drove on.

 He had made the Beulah trip before. But he had never seen this hill or this petering-out path before—or that cloud, he thought shyly, looking up and then down quickly—any more than he had seen this day before. Why did he not admit he was simply lost and had been for miles? . . . He was not in the habit of asking the way of strangers, and these people never knew where the very roads they lived on went to; but then he had not even been close enough to anyone to call out. People standing in the fields now and then, or on top of the haystacks, had been too far away, looking like leaning sticks or weeds, turning a little at the solitary rattle of his car across their countryside, watching the pale sobered winter dust where it chunked out behind like big squashes down the road. The stares of these distant people had followed him solidly like a wall, impenetrable, behind which they turned back after he had passed.

 The cloud floated there to one side like the bolster on his grandmother’s bed. It went over a cabin on the edge of a hill, where two bare chinaberry trees clutched at the sky. He drove through a heap of dead oak leaves, his wheels stirring their weightless sides to make a silvery melancholy whistle as the car passed through their bed. No car had been along this way ahead of him. Then he saw that he was on the edge of a ravine that fell away, a red erosion, and that this was indeed the road’s end.

 He pulled the brake. But it did not hold, though he put all his strength into it. The car, tipped toward the edge, rolled a little. Without doubt, it was going over the bank ..."

 

"« R. J. Bowman, qui pendant quatorze ans avait parcouru le Mississippi comme représentant pour une marque de chaussures, conduisait sa Ford sur un chemin de terre creusé d'ornières. La journée était longue ! Le temps semblait incapable de franchir l'obstacle de midi pour s'installer dans la douceur de l'après-midi. Le soleil, conservant sa force ici même en hiver, restait au zénith, et chaque fois que Bowman passait la tête hors de la voiture poussiéreuse pour scruter la route, il semblait tendre un long bras pour pousser contre son crâne, à travers son chapeau – comme la farce d'un vieux représentant de commerce, un routard. Cela le rendait d'autant plus furieux et impuissant. Il avait de la fièvre, et n'était plus très sûr de son chemin.

C'était son premier jour de route après une longue attaque de grippe. Il avait eu une fièvre très élevée, des rêves, et en était sorti affaibli et pâle, au point de voir la différence dans le miroir, et il ne parvenait pas à réfléchir clairement... Tout l'après-midi, au milieu de sa colère, et sans raison, il avait pensé à sa grand-mère défunte. Elle avait été une âme réconfortante.

Une fois de plus, Bowman souhaita qu'il puisse s'effondrer dans le grand lit à baldaquin qui se trouvait dans sa chambre... Puis il l'oublia de nouveau.

Ces collines désolées ! Et il semblait aller dans la mauvaise direction – c'était comme s'il retournait en arrière, très loin en arrière. Pas une maison en vue...

Il était inutile de souhaiter être de retour au lit. En réglant la note du médecin de l'hôtel, il avait prouvé sa guérison. Il n'avait même pas été triste lorsque la jolie infirmière diplômée lui avait dit au revoir. Il n'aimait pas la maladie, il s'en méfiait, tout comme il se méfiait des routes sans panneaux. Cela le mettait en colère. Il avait offert à l'infirmière un bracelet vraiment coûteux, simplement parce qu'elle bouclait sa sacoche et s'en allait.

Mais maintenant – qu'importait si en quatorze ans de route il n'avait jamais été malade auparavant et jamais eu d'accident ? Son sans-faute était rompu, et il avait même commencé presque à le remettre en question... Il avait progressivement pris l'habitude de descendre dans de meilleurs hôtels, dans les grandes villes, mais n'étaient-ils pas tous, éternellement, étouffants en été et pleins de courants d'air en hiver ? Les femmes ? Il ne pouvait se souvenir que de petites chambres dans des petites chambres, comme un jeu de boîtes chinoises, et s'il pensait à une femme, il voyait la solitude usée dont semblait faite le mobilier de cette pièce.

Et lui-même – c'était un homme qui portait toujours des chapeaux noirs à larges bords, et dans les miroirs ondulés des hôtels, il ressemblait un peu à un torero, lorsqu'il s'arrêtait cet instant inévitable sur le palier, descendant dîner... Il se pencha à nouveau hors de la voiture, et une fois de plus, le soleil poussa contre sa tête.

Bowman avait voulu atteindre Beulah avant la nuit, pour aller se coucher et dormir afin de chasser sa fatigue. De ce dont il se souvenait, Beulah était à cinquante miles de la dernière ville, sur une route gravillonnée. Ceci n'était qu'un sentier à vaches. Comment avait-il bien pu arriver dans un tel endroit ? D'une main, il essuya la sueur de son visage et continua à conduire.

Il avait déjà fait le trajet vers Beulah. Mais il n'avait jamais vu cette colline ni ce sentier qui s'évanouissait auparavant – ni ce nuage, pensa-t-il timidement, levant les yeux puis les baissant rapidement – pas plus qu'il n'avait vu ce jour auparavant. Pourquoi n'admettait-il pas qu'il était tout simplement perdu et l'était depuis des kilomètres ?... Il n'avait pas l'habitude de demander son chemin à des inconnus, et ces gens ne savaient jamais où menaient les routes mêmes sur lesquelles ils vivaient ; mais de plus, il n'avait même pas été assez près de qui que ce soit pour appeler. Les gens debout dans les champs de temps en temps, ou au sommet des meules de foin, avaient été trop loin, ressemblant à des bâtons ou des mauvaises herbes penchés, tournant légèrement la tête au bruit solitaire de sa voiture traversant leur campagne, regardant la poussière hivernale, pâle et assagie, là où elle jaillissait par gros morceaux derrière lui, comme de gros potirons sur la route. Les regards de ces gens lointains l'avaient suivi solidement comme un mur, impénétrable, derrière lequel ils se détournaient après son passage.

Le nuage flottait là, sur le côté, comme la traversin du lit de sa grand-mère. Il passa au-dessus d'une cabane en bordure de colline, où deux micocouliers nus agrippaient le ciel. Il traversa un tas de feuilles de chêne mortes, ses roues soulevant leurs flancs sans poids pour produire un sifflement mélancolique et argenté tandis que la voiture traversait leur couche. Aucune voiture n'était passée par là devant lui. Puis il vit qu'il était au bord d'un ravin qui s'effondrait, une érosion rouge, et que c'était bien là la fin de la route.

Il tira le frein à main. Mais il ne mordait pas, bien qu'il y mît toute sa force. La voiture, penchée vers le bord, roula un peu. Sans aucun doute, elle allait basculer par-dessus le talus... »

(...)

 

"Powerhouse" - Récit d’un concert que donne un certain Powerhouse, pianiste et chanteur noir excentrique, et talentueux, et son orchestre dans une salle de danse d’une petite ville du Sud. Le public est principalement blanc, l’atmosphère marquée par une distance raciale implicite. Son jeu est intense, imprévisible, mêlant habilement musique, humour, et narration, marquée l' histoire énigmatique d'un télégramme qui lui annonce la mort de sa femme, Gypsy : narration et musique de Powerhouse vont transcender les barrières raciales et sociales, mais cette communion du public et de l'artiste, si intense soit-elle, est éphémère, du moins ce que le récit nous laisse penser à l'issu du concert ...

 

"A Worn Path",  une des nouvelles les plus célèbres d’Eudora Welty, publiée pour la première fois en 1941 dans The Atlantic Monthly - Phoenix Jackson, une femme noire âgée et pauvre, vêtue de façon modeste mais avec dignité, entreprend un voyage ardu à pied vers la ville à travers des champs, des forêts, et des collines, un chemin truffé d'obstacles naturels, dont la rencontre avec un chasseur blanc, qui semble pouvoir la décourager mais sa détermination ne faiblit pas. Au contraire, lorsqu’il laisse tomber une pièce, Phoenix la ramasse discrètement. Une fois parvenue à la clinique, Phoenix demande des médicaments pour son petit-fils, qui souffre de la gorge, et l'on se doute qu'il ne s'agit pas de sa première fois. Les médicaments en main et des friandises achetées avec l’argent qu’elle a ramassé, Phoenix reprend le chemin du retour. L’histoire nous révèle ainsi une héroïne silencieuse, dont la détermination et l’amour transcendent les barrières du temps, du lieu, et du contexte culturel....

 


"The Wide Net and Other Stories" (1943)

Ce recueil est une célébration des particularités culturelles, sociales, et géographiques du Sud, tout en explorant des thèmes universels qui transcendent ce cadre régional. Dans "The Wide Net", le protagoniste William Wallace part à la recherche de sa femme Hazel, qui a apparemment disparu, une quête qui devient celle de son propre rôle dans leur relation et une plongée dans la nature, qui agit comme une force de réconciliation. Dans "First Love", l’histoire raconte un amour innocent et naissant, tout en s'interrogeant sur la manière dont les souvenirs et les émotions en viennent à façonner notre compréhension des relations. Dans "A Still Moment", trois personnages – un prêcheur, un naturaliste, et un meurtrier – se rencontrent, révélant des perspectives profondément différentes sur la vie, la foi, et la nature. Dans "Asphodel", la nature devient un lieu d’exploration poétique et mythologique, rattachant le passé et le présent, et donnant un sens plus profond aux expériences humaines. Dans "Livvie", une jeune femme mariée se trouve tiraillée entre ses responsabilités et son désir de liberté ...

 


"The Golden Apples" (1949)

"I doubt that a better book about ‘the South’-one that more completely gets the feel of the particular texture of Southern life and its special tone and pattern-has ever been written" (New Yorker). - Recueil de sept nouvelles de l'écrivain Eudora Welty qui forment un tout, chacune s'attachant à présenter la vie ou un épisode de la vie d'un des habitants de la petite ville imaginaire de Morgana, Mississippi, les MacLains, les Starks, les Moodys et autres familles, un peu dans la tradition de Winesburg-en-Ohio de Sherwood Anderson. 

L'originalité c'est qu`ici l'intention n`est pas directement réaliste. Le désir de Welty est plutôt de créer une mythologie, ou tout du moins de donner une épaisseur folklorique à l`univers d'une bourgade de province. Le projet est donc à la fois ambitieux et ironique. Welty nous présente King MacLain et Snowdie MacLain, leurs fils jumeaux Ran et Eugene. les Rayneys et nous conte leurs aventures, les rattachant à des épisodes de la mythologie grecque ou à des récits folkloriques irlandais et américains. La première histoire du recueil parle de rencontres amoureuses et de la naissance de jumeaux, la dernière - qui se passe des années plus tard - parle de la mort et l'enterrement d`une vieille dame tandis que sa fille évoque une image centrale à sa vie et aux préoccupations d'Eudora Welty. Son professeur de piano avait accroché à son mur un tableau représentant Persée brandissant la tête de Méduse : un héros, une victime...

 

"Shower of Gold" - L'imaginaire collectif - Le narrateur, King MacLain, est un voisin de Snowdie MacLain, tout deux habitants de Morgana, petite ville fictive du Mississippi : c'est une femme solitaire et discrète, perçue comme quelque peu marginale dans une communauté dans laquelle personnages et événements sont souvent interprétés à travers le prisme des rumeurs et des imaginaires collectifs. Snowdie MacLain est mariée à King MacLain, - un autre personnage, distinct du narrateur -, un homme charismatique mais infidèle. Mais ce qui alimente bien des rumeurs c'est le fait que Snowdie semble accepter avec résignation, mais dignité, le comportement de son mari, des spéculations qui vont augmentant avec la naissance, "quasi miraculeuse", de compte tenu de sa situation, de jumeaux ...

 

"June Recital" - Un récit structuré via les souvenirs entrecroisés de plusieurs personnages, autour d'un événement marquant pour l'ensemble d'une petite communauté  : un récital de piano donné par les élèves d'une certaine Miss Eckhart dans une église de la ville, un grand moment censé être de célébration artistique et qui se transforme en un véritable désastre. Les enfants jouent mal, le public est mal à l’aise, et Miss Eckhart elle-même dévastée par l’échec apparent de ses efforts. D'autant que celle-ci est décrite comme étrangère et isolée, à la fois par son origine et par sa dévotion à la musique, une passion que la communauté ne comprend ni ne valorise...

 

"Sir Rabbit" - Quelque part dans le Sud des Etats-Unis, "Sir Rabbit", un homme d'apparence inoffensive mais grand et subtil manipulateur, se trouve impliqué dans une situation qu'il va résoudre en évitant toute confrontation directe et en jouant sur la perception qu’ont les autres de lui ...

 

"Moon Lake" - Dans un camp de vacances pour jeunes filles organisé par l’église, près d’un lac connu sous le nom de Moon Lake, un lieu, à la fois idyllique et mystérieux, des tensions et des rivalités alimentées par des personnalités très différentes, Nina Carmichael, une jeune fille de bonne famille, introvertie et sensible, Jinny Love Stark, plus superficielle mais plus extravertie, Miss Moody, une adulte responsable du camp, pragmatique et autoritaire, et deux visages masculins, Loch Morrison et Exum, et qui interviennent dans l'évènement central du récit : lors d’une baignade dans le lac, Loch semble se noyer, les filles, sous la supervision de Miss Moody, assistent avec horreur à cet événement, et c'est Exum, figure mythique ou symbolique qui va le sauver. L’accident et son dénouement vont pousser les filles, en particulier Nina, à réfléchir sur des concepts comme la vie, la mort, et leur propre vulnérabilité. Moon Lake est devenu un lieu de confrontation avec des émotions profondes et complexes qu’elles ne comprennent pas encore pleinement...

 

"The Whole World Knows" - Emma, une femme au passé jugé ambigu, revient dans sa ville natale après un mariage tumultueux. Sa relation avec son ex-mari, Julian, est marquée par une trahison qui l'a profondément marquée et qui fut amplifiée par les rumeurs et les jugements de la communauté, transformant un drame intime en un spectacle livré au public. La nouvelle s’ouvre sur son arrivée, avec une tension palpable entre son besoin de se reconstruire et le poids des regards extérieurs ... 

 

"Music from Spain" - A New York, Eugene MacLain, un homme originaire du Sud, un personnage introspectif, hanté par des souvenirs personnels, notamment des tensions familiales et des pertes passées, marche seul dans les rues, cherchant à échapper à lui-même dans l’anonymat et la foule. En chemin, il entend une musique vibrante et passionnée provenant d’un musicien de rue espagnol jouant de la guitare : cette musique va déclencher en lui bien des émotions, le ramenant à des souvenirs profondément enfouis. Un pur instant d'évasion mais qui n'est, par nature, qu'éphémère ...

 

"The Wanderers" - Point culminant du recueil, au détour duquel Welty tisse une réflexion sur le passage du temps et le lien entre les individus et leurs origines, un bilan de la vie à Morgana. Virgie Rainey, figure récurrente du recueil, revient à Morgana après avoir passé du temps loin de la ville : elle est maintenant adulte, son retour coïncide avec la mort de sa mère, vieille et malade, elle reste cette figure rebelle en décalage avec les attentes de sa communauté. Autre personnage, Mattie Will Sojourner, mariée sans passion à Law Sojourner, un homme qui lui assure stabilité : elle interrogera un temps sa vie de couple mais sans véritablement la remettre fondamentalement en question. Cassie Morrison, une amie d’enfance de Virgie, sert de médiatrice entre le lecteur et l’univers de Morgana : moins rebelle que Virgie, mais partage son esprit introspectif, elle observe les dynamiques sociales qui agitent la communauté et réfléchit à la manière dont les vies des habitants sont influencées par leurs choix, leurs origines, et leurs relations. Virgie, après avoir enterré sa mère, se tourne vers l’avenir, nostalgique certes mais déterminée, prête à continuer son chemin comme une "vagabonde" (wanderer) ...

 


"The Ponder Heart" (1954)

C'est l’un des romans jugés les plus légers et humoristiques d’Eudora Welty, une œuvre qui raconte, à travers une narration décalée, tant les événements entourant la riche famille Ponder dans une petite ville fictive du Mississippi, Clay, que les mésaventures d’un personnage excentrique, Uncle Daniel Ponder. Edna Earle Ponder, la nièce de ce dernier, assume le rôle de narratrice, elle est attachée aux traditions mais est pragmatique, son ton ironique et bavard.

Uncle Daniel, l’oncle d’Edna Earle, est donc un personnage innocent et excentrique. D’une gentillesse presque naïve, il est connu pour donner sans compter et distribuer généreusement les richesses familiales à quiconque en a besoin. Sa générosité inquiète profondément Edna Earle et son père, une réelle menace pour la fortune familiale. Voici que Uncle Daniel décide d’épouser Bonnie Dee Peacock, une jeune femme de dix-sept ans d’origine modeste, mais un mariage qui va déclencher une série d’événements dramatiques marqué par sa mystérieuse disparition mystérieuse. Daniel est accusé de sa mort, et un procès farfelu s’ensuit, devenant le point culminant de l’histoire : un procès qui est à la fois un drame et une farce, illustrant les absurdités de la justice et les préjugés tenaces du Sud des Etats-Unis. Finalement, Daniel sera acquitté, mais la véritable cause de la mort de Bonnie Dee restera ambiguë, ajoutant une note de mystère au récit. Les tensions entre tradition, excentricité, et pression communautaire continueront de planer encore longtemps ...


"Bride of the Innisfallen : And Other Stories" (1955)

Un recueil de sept nouvelles d’Eudora Welty qui explore des thèmes variés tels que l’identité, l’isolement, la mémoire, et les relations humaines. Contrairement à ses récits profondément ancrés dans le Sud américain, certaines histoires de ce recueil élargissent le champ géographique et thématique, notamment avec un cadre européen dans la nouvelle qui donne son titre au recueil...

 

 "The Bride of the Innisfallen" - L’histoire commence dans une gare où un train s’apprête à partir pour Cork, en Irlande. Les passagers montent à bord, chacun avec son propre bagage émotionnel et ses particularités, un véritable microcosme de la diversité humaine. La narratrice, une femme américaine voyageant seule, observe attentivement les autres passagers. Son regard mélancolique et curieux donne le ton introspectif de la nouvelle. Chacun des personnages incarne un aspect de la vie en Irlande ou de la condition humaine : un groupe de religieuses, symbolisant la foi et la tradition; une jeune femme qui semble être une mariée, vêtue de manière élégante mais discrète ("the bride"); des travailleurs, des familles, et d’autres voyageurs anonymes. La narratrice, observatrice et participante, réfléchissant sur son propre statut d’étrangère dans un pays qui n’est pas le sien, se sent à la fois attirée et détachée des gens qui l’entourent. La mariée de l’Innisfallen, bien qu’elle ne soit pas au centre de l’action, représente un idéal ou une figure mythique, un symbole de renouveau et de transition. Son silence et son mystère ajoutent une dimension poétique à l’histoire. L’île d’Innisfallen elle-même, située sur un lac près de Killarney, est évoquée comme un lieu de beauté et de légende, renforçant le caractère presque mystique du voyage. Le train va traverse des paysages irlandais, décrits avec une poésie évocatrice, les interactions entre les passagers restent, elles, superficielles mais chargées de sous-entendus émotionnels...

 

"No Place for You, My Love" - Lors d’un dîner à La Nouvelle-Orléans, un homme et une femme, tous deux étrangers dans la ville, se rencontrent, elle est mariée et originaire du Nord, tandis que l’homme est également un visiteur, bien qu’il ait des liens avec le Sud. Un singulier attrait les poussent à quitter ensemble la ville, en voiture, pour une journée, et gagner le delta du Mississippi, une région sauvage, vaste et mystérieuse. Pendant leur voyage, ils échangent peu de mots mais partagent relation implicite, renforcée par le paysage environnant, le delta, ses marécages, ses rivières, et sa végétation luxuriante, symbolisant à la fois le désir, le mystère, et l’inconnu. Ils évoquent leurs origines, leurs vies respectives, et leurs réflexions personnelles, mais évitent des sujets trop intimes ou explicites. Les silences sont entre eux tout aussi significatifs que leurs paroles. À la fin de la journée, les deux personnages retournent à La Nouvelle-Orléans. Ils se séparent sans promesse ni résolution, laissant leur rencontre comme un moment suspendu dans le temps, à la fois significatif et insignifiant dans leurs vies respectives ...

 

"The Burning" - Un récit qui se déroule pendant les derniers jours de la guerre de Sécession, à un moment où les troupes de l’Union traversent le Sud, brûlant et pillant les grandes plantations. La protagoniste est une femme sudiste, noble et fière, vivant seule dans son domaine familial isolé après que les hommes de sa famille aient rejoint les forces confédérées ou aient disparu. Lorsque des soldats de l’Union envahissent sa propriété, elle se voit confronter à leur officier commandant, confrontation et rencontre humaine marquée par une étrange ambiguïté. Les soldats incendient sa maison et détruisent les possessions familiales : elle assiste à la scène avec un mélange de douleur et de résignation, consciente qu’elle ne peut rien faire pour arrêter cette destruction. L’histoire se garde bien de présenter une opposition simpliste entre bons et méchants. Elle restera seule dans un paysage désolé, à reconstruire ...

 

"Ladies in Spring" - L’histoire est racontée par une narratrice adulte qui se remémore un printemps de son enfance dans une petite ville du Sud des Etats-Unis : deux figures féminines excentriques vont jouer un rôle central dans ses souvenirs, deux femmes qui ,bien que très différentes, représentent des aspects contrastés de la féminité et de la vie cette région : Mrs. Henchbrough, sévère et pragmatique, attachée aux conventions sociales et au maintien des apparences, un pilier de la communauté obsédé par le respect des normes; à l'opposé, Miss Arabelle, perçue par la communauté comme extravagante, voire scandaleuse. La nouvelle tourne autour d’un incident humoristique impliquant les deux femmes et leurs interactions avec la narratrice. Cet événement sert de catalyseur pour les réflexions de l’enfant sur la manière dont les adultes vivent leurs contradictions et leurs désirs...

 

"Circe" - Une réinterprétation moderne et originale du mythe grec de Circé racontée du point de vue de la magicienne elle-même : une femme puissante et vulnérable souvent réduite à un archétype dans les récits classiques, et qui ici devient une figure d’émancipation et de réflexion sur la condition féminine. L’un des éléments centraux du récit, hautement symbolique, est la capacité de la magicienne à transformer les hommes en animaux, comme elle l’a fait avec les compagnons d’Ulysse, les changeant en porcs. Elle considère cette magie non comme un acte de cruauté, mais comme une réponse à la brutalité et à la voracité des hommes qui envahissent son espace... 

 

"Kin" - Welty a toujours excellé à décrire les subtilités des relations au sein d'une famille, révélant les non-dits, les malentendus, les émotions complexes et souvent contradictoires qui les sous-tendent. Et loin de glorifier ces relations familiales, "Kin" nous révèlent toutes leurs ambiguïtés, tant les obligations tacites, les frustrations, que les moments de véritable compréhension. La nouvelle débute avec une réunion familiale organisée chez un des membres aînés de la famille. La narratrice, une observatrice empathique mais critique, agit ici comme un guide pour le lecteur. Les conversations vont tourner le plus souvent autour des ancêtres et des possessions héritées, comme des objets précieux ou des terres. A cela s'ajoute, en contexte, une maison remplie d’objets anciens qui symbolise à la fois la richesse de l’histoire familiale et l’impossibilité de s’en détacher entièrement. Un moment clé survient lorsque l’un des personnages plus jeunes propose de vendre une partie de la propriété familiale pour des raisons pratiques, ce qui choque les aînés attachés à la symbolique de ces terres. Et l’un des axes principaux de l’histoire est justement la manière dont les différentes générations perçoivent leur rôle au sein de la famille et leur rapport à l’héritage commun ...

 

"Going to Naples" - Un groupe de touristes américains voyagent ensemble en Italie, et notamment à Naples. Chacun d'eux incarne un stéréotype propre à la culture américaine de l’époque (une mère autoritaire qui surprotège sa fille, un couple marié aux frustrations contenues, des individus pétri d'une convivialité qui n'est qu'apparente). Ils vont suivre un itinéraire typique, visitant des lieux emblématiques et participant à des activités touristiques le plus souvent standardisées : mais Naples est dépeinte comme une ville à la fois chaotique, belle et authentique, en contraste avec les attentes soigneusement calibrées des touristes américains. Fête locale et procession religieuse côtoient des moments surprise d’interaction avec les habitants ou d'incidents inattendus, autant de situations révélatrices de tensions et de rivalités subtiles, qui mêlent humour, ironie, et introspection. Comme toujours, un fin ambigüe, que reste-t-il pour ces touristes d'une expérience comme celle-ci, une fois regagné la terre ferme de leurs vies routinières?

 


La nouvelle "Where Is the Voice Coming From?" d'Eudora Welty a été initialement publiée dans The New Yorker le 6 juillet 1963, peu après l’assassinat de Medgar Evers, militant des droits civiques, survenu à Jackson, Mississippi, le 12 juin. Elle sera intégrée au recueil "The Collected Stories of Eudora Welty", publié en 1980, un recueil qui compte des textes provenant de ses cinq recueils précédents, ainsi que "The Demonstrators" (1966) qui porte sur les tensions raciales et sociales du Sud alors exacerbées par les manifestations pour les droits civiques : le Doc Pritchard,  un médecin blanc en charge de soigner un membre de la communauté noire poignardé par un homme blanc, permet à Welty d'expose les préjugés subtils et explicites, et parfois contradictoires, qui marquent les relations entre deux communautés dans une société en pleine transition ...

 

"Where Is the Voice Coming From?"

une évocation, à chaud, audacieuse et brutale, du climat social tendu du Sud ségrégationniste des années 1960.

Et une critique incisive des mentalités racistes de l'époque. Pour tenter de saisir les mécanismes de haine et les motivations sous-jacentes à de telles expressions de violence raciste, - et forçant le lecteur à affronter directement la haine et la violence, sans détour ni embellissement -, Welty nous raconte la nouvelle à la première personne : un narrateur anonyme, un homme blanc du Sud dont le racisme se nourrit de peur, d’ignorance, et de pauvreté. Son extrême ressentiment à l'égard de ceux qu’il perçoit comme ses "rivaux", noirs, se nourrit du sentiment qu'il est lui-même victime d'un système social injuste. Il confesse avec une froideur glaçante avoir assassiné un leader noir local des droits civiques, qu’il nomme Roland Summers, parce qu’il le considère comme une menace insoutenable vis-à-vis de sa propre existence, et tente de justifier son acte en se posant comme un défenseur ou protecteur de la "suprématie blanche" : luttant pour que des Blancs comme lui ne perdent pas leur peu de privilèges qu'ils possèdent encore. Il racontera comment il a attendu Summers devant sa maison, armé d'un fusil, l’a abattu, puis a fui la scène ... 

 

"I was on top of the world myself. For once. I stepped to the edge of his light there, where he's laying flat. I says, "Roland? There was one way left, for me to be ahead of you and stay ahead of you, by Dad, and I just taken it. Now I'm alive and you ain't. We ain't never now, never going to be equals and you know why? One of us is dead...."

 

J'étais moi-même au sommet du monde. Pour une fois. J'ai marché jusqu'au bord de sa lumière, là où il est allongé. J'ai dit : « Roland ? Il ne me restait qu'un moyen de te devancer et de rester devant toi, par papa, et je l'ai pris. Maintenant, je suis en vie et toi non. Nous ne sommes plus jamais égaux, nous ne le serons jamais, et tu sais pourquoi ? L'un de nous est mort.  »

 

Le récit, glacial et sans émotion, montre l’influence d’une culture raciste profondément ancrée dans le Sud. Après le meurtre, le narrateur rentre chez lui, satisfait mais anxieux, et s’assied pour écouter les informations à la radio, curieux de l’impact de son acte. S'il ne montre aucun remords explicite, son monologue trahit une peur sous-jacente d’être découvert et se demande si les autorités, les voisins, ou même les membres de la communauté noire pourraient le dénoncer. Ses pensées deviennent de plus en plus chaotiques, illustrant une personnalité rongée par la haine et l’insécurité, mais incapable de véritablement comprendre les conséquences de son acte.  Le titre même de l’histoire, "Where Is the Voice Coming From?", suggère l'intensité d'une haine irrationnelle et destructrice que rien ne semble pouvoir véritablement expliqué : d'où provient cette voix haineuse dans la tête de l’assassin ? Est-ce une voix intérieure, un produit de son environnement social, ou un mélange des deux ? ..


"The Optimist’s Daughter" (1972)

Ce roman, lauréat du Prix Pulitzer de la fiction en 1973, se veut une méditation sur la manière dont le deuil nous oblige à revisiter nos souvenirs et à réévaluer nos relations avec les êtres aimés disparus. L’histoire commence à La Nouvelle-Orléans, où Laurel Hand, une architecte vivant à Chicago, revient pour être aux côtés de son père, le juge Clint McKelva, qui subit une opération de la cornée. À l’hôpital, elle observe l’état de santé fragile de son père et dialogue avec sa seconde épouse, Fay McKelva, une femme beaucoup plus jeune, superficielle, et égocentrique. Le père ne se rétablit pas après l’opération et finit par mourir, laissant Laurel et Fay face aux conséquences de ce drame intime.  Laurel accompagne alors Fay dans la petite ville de Mount Salus, Mississippi, là où le juge était une figure respectée. Les funérailles révèlent les tensions entre Fay, perçue comme une étrangère par la communauté, et les amis et voisins qui étaient proches du juge, la mémoire collective. Mais plus encore, Laurel doit non seulement gérer son propre deuil, mais aussi la présence oppressante de Fay, qui semble incapable de comprendre ou de respecter ses émotions et ses souvenirs tant elles diffèrent l'une de l'autre. Après les funérailles, Laurel reste quelques jours dans la maison de son enfance, revisitant des souvenirs de sa mère décédée et de sa propre jeunesse : elle y découvre aussi  des lettres, des objets, et des souvenirs qui lui permettent de mieux comprendre ses parents, leurs forces, leurs vulnérabilités, et leur amour. La confrontation entre Fay et Laurel se soldera au bénéfice de la première, du moins en terme de patrimoine, - Laurel acceptera de laisser Fay partir avec ce qui lui reste du patrimoine familial -, celle-ci préférant préserver ses souvenirs intacts plutôt que de se battre pour quelques biens matériels...

"A NURSE held the door open for them. Judge McKelva going first, then his daughter Laurel, then his wife Fay, they walked into the windowless room where the doctor would make his examination. Judge McKelva was a tall, heavy man of seventy-one who customarily wore his glasses on a ribbon. Holding them in his hand now, he sat on the raised, thronelike chair above the doctor’s stool, flanked by Laurel on one side and Fay on the other.

Laurel McKelva Hand was a slender, quiet-faced woman in her middle forties, her hair still dark. She wore clothes of an interesting cut and texture, although her suit was wintry for New Orleans and had a wrinkle down the skirt. Her dark blue eyes looked sleepless.

Fay, small and pale in her dress with the gold buttons, was tapping her sandaled foot.

It was a Monday morning of early March. New Orleans was out-of-town for all of them.

Dr. Courtland, on the dot, crossed the room in long steps and shook hands with Judge McKelva and Laurel. He had to be introduced to Fay, who had been married to Judge McKelva for only a year and a half. Then the doctor was on the stool, with his heels hung over the rung. He lifted his face in appreciative attention: as though it were he who had waited in New Orleans for Judge McKelva—in order to give the Judge a present, or for the Judge to bring him one.

“Nate,” Laurel’s father was saying, “the trouble may be I’m not as young as I used to be. But I’m ready to believe it’s something wrong with my eyes.”

As though he had all the time in the world, Dr. Courtland, the well-known eye specialist, folded his big country hands with the fingers that had always looked, to Laurel, as if their mere touch on the crystal of a watch would convey to their skin exactly what time it was.

“I date this little disturbance from George Washington’s Birthday,” Judge McKelva said.

Dr. Courtland nodded, as though that were a good day for it. “Tell me about the little disturbance,” he said.

“I’d come in. I’d done a little rose pruning—I’ve retired, you know. And I stood at the end of my front porch there, with an eye on the street—Fay had slipped out somewhere,” said Judge McKelva, and bent on her his benign smile that looked so much like a scowl.

“I was only uptown in the beauty parlor, letting Myrtis roll up my hair,” said Fay.

(...)

 

"Une INFIRMIÈRE leur tint la porte. Le juge McKelva passa le premier, suivi de sa fille Laurel, puis de son épouse Fay. Ils entrèrent dans la pièce sans fenêtre où le médecin allait procéder à l’examen. Le juge McKelva, un homme grand et corpulent de soixante-et-onze ans, portait habituellement ses lunettes attachées à un ruban. Les tenant à la main, il s’installa sur la chaise surélevée, telle un trône, dominant le tabouret du médecin, flanqué de Laurel d’un côté et de Fay de l’autre.

Laurel McKelva Hand était une femme mince au visage paisible, dans la quarantaine, ses cheveux encore foncés. Elle portait des vêtements d’une coupe et d’un tissu intéressants, bien que son tailleur fût trop hivernal pour La Nouvelle-Orléans, et qu’une ride parcourût sa jupe. Ses yeux bleu foncé semblaient épuisés.

Fay, menue et pâle dans sa robe aux boutons dorés, tapotait du pied chaussé de sandales.

C’était un lundi matin, début mars. La Nouvelle-Orléans n’était pas leur ville, à aucun d’eux.

Le Dr Courtland, à l’heure pile, traversa la pièce à grandes enjambées et serra la main du juge McKelva puis de Laurel. Il fallut lui présenter Fay, mariée au juge depuis seulement un an et demi. Puis le médecin s’installa sur le tabouret, les talons accrochés à la barre. Il leva son visage dans une attention appréciative : comme s’il était celui qui avait attendu le juge McKelva à La Nouvelle-Orléans – pour lui offrir un cadeau, ou pour que le juge lui en apportât un.

« Nate, disait le père de Laurel, le problème est peut-être que je ne suis plus aussi jeune qu’avant. Mais je suis prêt à croire que c’est quelque chose qui ne va pas avec mes yeux. »

Comme s’il avait tout son temps, le Dr Courtland, le célèbre ophtalmologue, croisa ses grandes mains campagnardes – des doigts qui avaient toujours semblé à Laurel capables, par leur seul contact avec le cristal d’une montre, de transmettre à leur peau l’heure exacte.

« Je date ce petit trouble du Jour des Présidents », dit le juge McKelva.

Le Dr Courtland hocha la tête, comme si c’était un bon jour pour cela. « Parlez-moi de ce petit trouble », dit-il.

« J’étais rentré. J’avais fait un peu de taille de rosiers – j’ai pris ma retraite, vous savez. Et je me tenais au bout de ma véranda, un œil sur la rue – Fay était sortie je ne sais où », dit le juge McKelva, en adressant à sa femme un sourire bénin qui ressemblait tant à une grimace.

« J’étais juste en ville chez la coiffeuse, à me faire faire des bigoudis par Myrtis », dit Fay.

(...)


"One Writer’s Beginnings" (1983)

"One Writer’s Beginnings" est une œuvre autobiographique exceptionnelle, basée sur une série de conférences qu’elle a données à l’université de Harvard en 1983, et qui révèle comment Eudora Welty a transformé les expériences ordinaires de sa vie en une oeuvre littéraire singulière. ses influences, ses souvenirs, son enfance, sa famille, et son environnement. Comment souvenirs et réflexions, viennent nourrir une imagination créative ...

L’autobiographie est structurée en trois parties principales, chacune se concentrant sur un aspect particulier de la formation de Welty en tant qu’écrivaine...

 

1) "Listening" (Écouter) : 

L’impact de son enfance à Jackson, Mississippi, où elle a grandi dans une famille aimante et intellectuelle. Ses parents, très différents dans leurs personnalités, ont joué un rôle clé dans son développement : Sa mère, Chestina, était passionnée par la lecture et partageait cet amour des livres avec sa fille, instillant en elle une fascination pour les histoires. Son père, Christian, était un homme pratique et méthodique, qui a transmis à Welty un sens de la curiosité et de l’observation. Welty évoque l’importance des voix qu’elle a entendues en grandissant : celles des membres de sa famille, des voisins, et des figures locales. Ces voix ont alimenté son sens aigu du dialogue et son intérêt pour les dynamiques humaines. Elle insiste sur la manière dont l’écoute active – des conversations, des récits oraux, et même des silences – a formé la base de sa compréhension des histoires.

 

2) "Learning to See" (Apprendre à voir)

Comment son environnement, à la fois familial et géographique, a nourri son imagination visuelle : le paysage du Sud des Etats-Unis, et ses villes chargées d’histoire furent source constante d’inspiration pour son écriture. Elle décrit des moments spécifiques de son enfance où elle a appris à observer les gens, les lieux, et les détails avec une acuité particulière, et insiste  sur l’importance de voir au-delà de l’évidence, de percevoir les émotions et les significations cachées derrière les apparences. La photographie, un autre de ses talents, est évoquée comme une discipline qui l’a aidée à affiner son regard, en capturant des moments éphémères et en reconstituant les histoires implicites des scènes qu’elle observait (cf. "Eudora Welty: Photographs" (1989), qui rassemble dans un volume environ 250 photographies représentatives des quelques milliers qu’elle a prises dans les années 1930, 1940 et 1950) ...

 

3) "Finding a Voice" (Trouver une voix)

Comment a-t-elle a trouvé sa propre voix en tant qu’écrivaine. Elle reconnaît que cette quête a été influencée par ses lectures, ses expériences personnelles, et sa compréhension de la culture du Sud. Elle revient sur ses premières tentatives d’écriture, souvent maladroites, mais toujours marquées par un désir sincère de capturer la vérité émotionnelle et humaine. Elle nous montre aussi combien les souvenirs, fussent-ils les plus simples, peuvent devenir de grandes sources d’inspiration riches. L’importance de la famille, sa relation avec ses parents et leur influence sur sa sensibilité artistique sont au cœur de son récit. 

Pour Welty, le processus de créativité peut être décrit comme une accumulation de détails, d'attention aux petites choses – un mot, un geste, une scène ordinaire. Enfin, elle rappelle que son amour des livres et son aptitude à écouter les histoires des autres ont nourri sa passion pour raconter elle-même des histoires...


"Eudora Welty: Photographs" (1989)

Un livre qui rassemble en un volume environ 250 photographies représentatives des quelques milliers qu’Eudora Welty a prises dans les années 1930, 1940 et 1950, du Mississippi rural à la Nouvelle-Orléans, en passant par Charleston, New York et Yaddo, puis l’Irlande, l’Angleterre et le continent. C'est dans le cadre de la Works Progress Administration (W.P.A.), mise en place par le New Deal de Roosevelt, qu'elle découvrit les coins les plus reculés du Mississippi et entreprit de photographier Noirs et petits Blancs avec la passion de percer les secrets de l'âme sans céder à la mise en scène idéologique ...

 

"What did the pictures teach you about writing fiction? Did they teach you anything?

Nothing consciously, I guess, or specifically. I was writing all this time, but I think perhaps a kindred impulse made me attempt two unrelated things – an inquiring nature, and a wish to respond to what I saw, and to what I felt about things, by something I produced or did.

Did they teach you anything about perception or anything about technique?

I’m sure they taught me about the practice of perception and about technique, but the lessons were not in the abstract. Some perception of the world and some habit of observation shaded into the other, just because in both cases, writing and photography, you were trying to portray what you saw, and truthfully. Portray life, living people, as you saw them. And a camera could catch that fleeting moment, which is what a short story, in allits depth, tries to do. If it’s sensitive enough, it catches the transient moment..."

 Day’s end / Jackson / 1930 -  Window shopping / Grenada / 1930 - Jackson / 1930 - ...

 


"On Writing" (2002)

Une méditation sur l’écriture et un guide pratique pour les écrivains. Eudora Welty y partage sa vision de l’art littéraire, privilégiant l’observation, l’empathie, et l’attention aux détails. Des écrivains en herbe se sont tournés vers elle pour s'interroger sur ce qui fait qu’une histoire est bonne, qu’un roman a du succès, qu’un écrivain est un artiste. On Writing présente les réponses dans sept chapitres concis discutant des sujets les plus importants pour l’art narratif, et que chaque auteur de fiction devrait connaître, tels que le lieu, la voix, la mémoire et le langage. Mais ce qui est encore plus important, c’est ce que Welty appelle le « mystère » de l’écriture de fiction : la façon dont l’écrivain assemble le langage et les idées pour créer une œuvre d’art. À l’origine une partie de son œuvre plus vaste "The Eye of the Story", mais jamais publié dans un volume autonome ...

 

"Looking at Short Stories" - L'écriture de la nouvelle, un défi artistique unique, une forme d’art à part entière, avec ses propres règles. - Welty fera allusion à plusieurs de ses propres nouvelles pour illustrer ses points de vue, "A Worn Path" (l’atmosphère et les détails du voyage de Phoenix Jackson jouent un rôle essentiel dans la révélation du caractère et des thèmes), "Why I Live at the P.O." (l’unité de ton et l’humour noir donnent une cohérence et une puissance à l’histoire). - Réussir à écrire de bonnes nouvelles nécessite une lecture attentive de celles des autres, ainsi les auteurs qu’elle admire particulièrement : Anton Tchekhov, Katherine Mansfield, et James Joyce, des maîtres du genre à étudier.

Pour Welty, une bonne nouvelle repose sur une unité de ton, d’atmosphère, et de propos. Tous les éléments – personnages, décor, intrigue – doivent fonctionner ensemble pour servir un but commun, un seul événement ou une seule émotion, sans dispersion. - Les personnages sont le cœur de toute nouvelle réussie : même dans un espace limité, les personnages doivent être suffisamment complexes pour capter l’attention du lecteur. - Chaque détail dans une nouvelle compte, et Welty souligne l’importance de choisir des éléments significatifs qui enrichissent le récit. Elle considère les détails comme des "fenêtres" à travers lesquelles le lecteur peut voir les vérités plus larges d’une histoire. - L’un des défis du format court, selon Welty, est de trouver le bon équilibre entre ce qui est dit et ce qui est laissé à l’imagination du lecteur. Une bonne nouvelle suggère souvent plus qu’elle n’explique, laissant le lecteur participer à l’interprétation. - les nouvelles ne nécessitent pas toujours un point culminant dramatique ou une résolution claire. L’essence d’une nouvelle réside souvent dans les moments de révélation subtile, les aperçus émotionnels ou psychologiques qui laissent une impression durable...

 

"Writing and Analyzing a Story" - Eudora Welty évoque ici les deux aspects essentiels du processus narratif, la création d’une histoire et son analyse. Ce Comment les écrivains construisent leurs récits et quels sont les outils nécessaires pour comprendre et interpréter une œuvre littéraire, que l’on soit écrivain ou lecteur. En reliant écriture et analyse, Welty met en lumière l’importance de comprendre comment les histoires fonctionnent à tous les niveaux. Welty utilisera des exemples tirés de ses propres œuvres, comme "A Worn Path" et "The Wide Net", pour montrer comment elle a intégré ces principes dans sa pratique. -

Welty commence par détailler les éléments fondamentaux nécessaires pour écrire une histoire. Elle met l’accent sur les interactions entre ces éléments que sont le point de départ (une histoire commence souvent par un moment de curiosité, une image frappante, une émotion forte, ou une phrase qui émerge spontanément), les personnages (Que veulent mes personnages ? Pourquoi agissent-ils ainsi ?), le cadre (un bon cadre peut agir comme un "personnage silencieux", renforçant l’atmosphère et les thèmes de l’histoire), la structure et le rythme (le rythme narratif est comme une mélodie, il doit captiver, retenir l’attention, et créer une progression fluide), le langage (à chaque mot une finalité).

L’analyse d’une histoire - Une fois une histoire écrite, l’analyse devient une étape cruciale pour comprendre ce qui fonctionne (ou non) dans le texte. Tout écrivain doit être à la fois créatif et critique. L’écrivain doit être capable de prendre du recul pour voir l’histoire dans son ensemble, en évaluant la cohérence de ses thèmes, de sa structure, et de ses personnages. Les questions clés à poser : Quels sont les thèmes principaux de l’histoire ? Sont-ils exprimés de manière claire et cohérente ? Les personnages sont-ils authentiques et consistent-ils dans leurs actions et dialogues ? Le rythme et la structure de l’histoire permettent-ils une lecture fluide et engageante ? Le langage et le style servent-ils l’atmosphère et les émotions de l’histoire ?

Welty examine également la manière dont un lecteur peut aborder une histoire. Des lecteurs qui peuvent se demander comment et pourquoi une histoire les affecte émotionnellement.

Enfin, Welty montre que l’écriture et l’analyse ne sont pas des processus séparés, mais interdépendants. Un écrivain doit être capable d’analyser son propre travail pour améliorer ses compétences narratives, tandis qu’un lecteur attentif peut développer une compréhension plus profonde de la littérature en se posant les mêmes questions que celles qu’un écrivain se pose pendant la création...

 

"Place in Fiction" - Le lieu n'est pas seulement un décor ou un cadre, mais il est intrinsèquement lié aux personnages, à l’intrigue, et aux thèmes d’une œuvre. Welty nous explique comment le lieu façonne non seulement l’histoire, mais aussi l’identité de ses habitants et leur perception du monde. Un lieu peut fonctionner comme un symbole ou un miroir des conflits internes des personnages. Par exemple, un lieu isolé peut représenter la solitude ou l’introspection, tandis qu’une ville animée peut refléter des tensions sociales ou personnelles. L'accent est mis sur l’importance de l’observation précise pour capturer l’essence d’un lieu, les détails sensoriels – sons, couleurs, textures, odeurs – sont essentiels pour rendre un lieu crédible et immersif...

 

"Words into Fiction" - La fiction est faite de mots soigneusement choisis et arrangés. Chaque mot doit être porteur de sens et doit contribuer à l’atmosphère, aux personnages, et à l’intrigue. L’écriture d'une fiction transforme les mots en expériences tangibles et émotionnelles pour le lecteur, et cette transformation passe par l’imagination de l’écrivain et sa capacité à combiner observation et créativité. Pour écrire des mots qui résonnent, l’écrivain doit d’abord être un auditeur attentif. Welty insiste sur l’importance d’écouter les voix réelles, les rythmes du langage parlé, et les nuances de la communication humaine...

 

"Must the Novelist Crisade?" -  Les romanciers n'ont pas à "croisader" pour une cause, cette attitude peut limiter la liberté artistique et détourner l’écrivain de son rôle principal qui est de scruter la condition humaine.  - Si la fiction est un moyen de révéler la vérité humaine à travers des histoires, des personnages et des émotions, elle n'est pas outil de propagande ou manifeste politique. Certes, tout auteur est influencé par ses convictions morales, sociales, et politiques, mais cet engagement personnel ne doit pas nécessairement se traduire par un militantisme explicite dans ses œuvres : de l’importance de laisser les histoires se développer organiquement, plutôt que de forcer un message ou une idéologie dans le récit. En représentant des expériences humaines authentiques, la fiction peut révéler des injustices, des dilemmes moraux, et des vérités complexes de manière plus subtile et plus durable qu’un plaidoyer explicite...

 

"Is Phoenix Jackson Grandson Really Dead?" - De la tension entre engagement moral et intégrité artistique, bien que les écrivains puissent être influencés par leurs convictions, leur priorité doit être de créer des œuvres sincères et authentiques. Eudora Welty répond ici à une question fréquemment posée par les lecteurs de sa célèbre nouvelle "A Worn Path". Cet essai se concentre sur l’ambiguïté du récit et sur l’importance de la perception du lecteur face à une œuvre littéraire. Welty utilise cette interrogation comme point de départ pour réfléchir sur la nature des histoires qu’elle écrit et sur la relation entre l’écrivain, le texte, et le lecteur.  La littérature n'a pas à fournir toutes les réponses, mais inciter à la réflexion et à l’interprétation...

 

"Some Notes on Time in Fiction"  - Le temps n’est pas un simple cadre chronologique, mais un élément fluide et vivant qui agit comme une force narrative essentielle. Toute fiction est ancrée dans le temps, que ce soit de manière explicite (par un ordre chronologique clair) ou implicite (par des allusions, des souvenirs, ou des sauts temporels). Le temps est cette force invisible qui façonne l’histoire, les personnages, et leur monde. Les flashbacks (pour révéler le passé des personnages), les ellipses (pour sauter des événements non essentiels), le ralentissement ou l’accélération du rythme (pour intensifier ou réduire l’impact émotionnel) permettent de créer une structure narrative dynamique et immersive...