Jacques Lacan (1901-1981), "De la psychose paranoïaque dans ses rapports avec la personnalité" (1932), "Ecrits" (1960), "Séminaire" (1953-1980 ) - ...

Last update : 11/11/2016


Voulant défendre Freud contre les propagateurs patentés de son enseignement, Jacques Lacan s'en retrouve exclu, il n'en domine pas moins pendant une trentaine d'années la scène médiatisée de la psychanalyse, une scène qui s'éclipsera avec lui. L'oeuvre sans doute durable, peut-être, de Lacan a été de nous conduire vers une interprétation de Freud à un ou plusieurs niveaux de langage, dont la "parole", la dimension fondamentale dans laquelle s'accomplit l'analyse. Le désir incestueux, la peur de la castration, l'envie du pénis sont entrés sans effraction dans bien des discussions de salons, sérieuses autant que possible, et ont cessé d'être vus comme des signes, c'est-à-dire des mots se trouvant en relation directe avec les choses, mais comme des symboles, des métaphores, c'est-à-dire des mots à propos des mots, et non la chose elle-même. Et la culture impose en effet une signification aux différentes parties notre anatomie.

 

Lacan "pense" que l'inconscient est structuré comme le langage, mais par l'intermédiaire d'associations, et non de liens de causalité. Ces associations vont apparaître dans les images et les nombreux jeux de mots qu'il utilise pour exprimer ses idées ont laissé sans voix bien de ses admirateurs. L'ordre symbolique peut en effet avoir différents liens supplémentaires puisque les langages vivants ajoutent symbole sur symbole, métaphore sur métaphore. L'analyse va donc progresser en utilisant, le long des chaînes symboliques, une "chaîne de significations" pour atteindre l'imaginaire et, de là, le réel, en se servant du symbole comme d'un chemin.... 


Inconscient et langage - Soutenant que "l'inconscient est structuré comme un langage", Jacques Lacan, dans son style si personnel, pose la célèbre question, "QUI PARLE?", quand il s'agit du sujet de l'inconscient, et répond, "ÇA PARLE" !

 

".. L'inconscient, à partir de Freud, est une chaîne de signifiants qui quelque part (sur une autre scène, écrit-il) se répète et insiste pour interférer dans les coupures que lui offre le discours effectif et la cogitation qu'il informe.

Dans cette formule,  qui n'est nôtre que pour être conforme aussi bien au texte freudien qu'à l'expérience qu'il a ouverte, le terme crucial est le signifiant, ranimé de la rhétorique antique par la linguistique moderne, en une doctrine dont nous ne pouvons marquer ici les étapes, mais dont les noms de Ferdinand de Saussure et de Roman Jakobson indiqueront l'aurore et l'actuelle culmination, en rappelant que la science pilote du structuralisme en Occident a ses racines dans la Russie où a fleuri le formalisme. Genève 1910, Pétrograd 1920 disent assez pourquoi l'instrument en a manqué à Freud. Mais ce défaut de l'histoire ne rend que plus instructif le fait que les mécanismes décrits par Freud comme ceux du processus primaire, où l'inconscient trouve son régime, recouvrent exactement les fonctions que cette école tient pour déterminer les versants les plus radicaux des effets du langage, nommément la métaphore et la métonymie, autrement dit les effets de substitution et de combinaison du signifiant dans les dimensions respectivement synchronique et diachronique où ils apparaissent dans le discours.

La structure du langage une fois reconnue dans l'inconscient, quelle sorte de sujet pouvons-nous lui concevoir?

On peut ici tenter, dans un souci de méthode, de partir de la définition strictement linguistique du Je comme signifiant : où il n'est rien que le shifter ou indicatif qui dans le sujet de l'énoncé désigne le sujet en tant qu'il parle actuellement.

C'est dire qu'il désigne le sujet de l'énonciation, mais qu'il ne le signifie pas. Comme il est évident au fait que tout signifiant du sujet de l'énonciation peut manquer dans l'énoncé, outre qu'il y en a qui différent du Je, et pas seulement ce qu'on appelle insuffisamment les cas de la première personne du singulier, y adjoignît-on son logement dans l'invocation plurielle, voire dans le Soi de l'auto-suggestion.

Nous pensons par exemple avoir reconnu le sujet de l'énonciation dans le signifiant qu'est le "ne" dit par les grammairiens "ne" explétif, terme où s'annonce déjà l'opinion incroyable de tels parmi les meilleurs qui en tiennent la forme pour livrée au caprice. Puisse la charge que nous lui donnons, les faire s'y reprendre, avant qu'il ne soit avéré qu'ils n'y comprennent rien (retirez ce "ne-ci", mon énonciation perd sa valeur d'attaque, Je m'élidant dans l'impersonnel).

Mais je crains ainsi qu'ils n'en viennent à me honnir (glissez sur cet "n' " et son absence ramenant la crainte alléguée de l'avis de ma répugnance à une assertion timide, réduit l'accent de mon énonciation à me situer dans l'énoncé).

Mais si je dis « tue », pour ce qu'ils m'assomment, où me situé-je sinon dans le "tu" dont je les toise?

Ne boudez pas, j'évoque de biais ce que je répugne à couvrir de la carte forcée de la clinique.

A savoir, la juste façon de répondre à la question : Qui parle ? quand il s'agit du sujet de l'inconscient. Car cette réponse ne saurait venir de lui, s'il ne sait pas ce qu'il dit, ni même qu'il parle, comme l'expérience de l'analyse tout entière nous l'enseigne.

Par quoi la place de l'inter-dit, qu'est l'intra-dit d'un entre-deux-sujets, est celle même où se divise la transparence du sujet classique pour passer aux effets de "fading" qui spécifient le sujet freudien de son occultation par un signifiant toujours plus pur : que ces effets nous mènent sur les confins où lapsus et mot d'esprit en leur collusion se confondent, ou même là où l'élision est tellement la plus allusive à rabattre en son gîte la présence, qu'on s'étonne que la chasse au "Dasein" n'en ait pas plus fait son profit.

Pour que ne soit pas vaine notre chasse, à nous analystes, il nous faut tout ramener à la fonction de coupure dans le discours, la plus forte étant celle qui fait barre entre le signifiant et le signifié. Là se surprend le sujet qui nous intéresse puisque à se nouer dans la signification, le voilà logé à l'enseigne du pré-conscient. Par quoi l'on arriverait au paradoxe de concevoir que le discours dans la séance analytique ne vaut que de ce qu'il trébuche ou même s'interrompt : si la séance elle-même ne s'instituait comme rupture dans un faux

discours, disons dans ce que le discours réalise à se vider comme parole, à n'être plus que la monnaie à la frappe usée dont parle Mallarmé, qu'on se passe de main à main «en silence».

Cette coupure de la chaîne signifiante est seule à vérifier la structure du sujet comme discontinuité dans le réel. Si la linguistique nous promeut le signifiant à y voir le déterminant du signifié, l'analyse révèle la vérité de ce rapport à faire des trous du sens les déterminants de son discours." (Écrits, Éd. du Seuil.)


Les analyses de Lacan le rangent dans le camp du « structuralisme », il est de ceux qui, avec Michel Foucault, Claude Lévi-Strauss et, dans un autre domaine, Louis Althusser, refusent de donner un statut privilégié au sujet dans la formation de la connaissance et même dans l'histoire. L'une des formules les plus discutées de Jacques Lacan est « ça parle », analogue au « ll y a de la pensée » de Michel Foucault. Le sujet est "décentré" au profit d'un système, d'une structure qui le modèle, aussi bien dans l'ordre de l'inconscient que dans celui de la conscience. Ce sont de telles implications philosophiques qui opposent, par exemple,  les conceptions de Jacques Lacan à celles de Jean-Paul Sartre pour qui l'initiative du sujet reste primordiale. Lacan, pour Lacan, c'est donc le sens d'un retour à Freud, c'est-à-dire le retour "au sens de Freud". Les psychanalystes se voient reprocher d'avoir méconnu Freud ou de prétendre le dépasser. Les postfreudiens seraient retombés dans la psychologie traditionnelle en objectivant des notions (le ça, le mol, le surmoi et surtout les instincts) qui pour Freud n'avaient que valeur de symbole. La psychanalyse est une conscience qui' porte sur le langage de l'lnconscient non sur des phénomènes biologiques ou psychologiques individuels observables. La tâche du psychanalyste est celle d'un déchiffreur. La découverte de Freud n'est pas celle de la sexualité, le plaisir dont il parle est avant tout plaisir au niveau des représentations. C'est pourquoi la pratique psychanalytique ne porte que sur des "représentants", des "signifiants" de types

divers (images de rêves, lapsus, etc.). Dans les manifestations de l'inconscient, la psychanalyse retrouve des lois analogues à celles de la linguistique, car l'inconscient est «structuré comme un langage»... 


Jacques Lacan (1901-1981) 

Elevé dans un milieu bourgeois, catholique et conservateur, Jacques Lacan intègre le milieu médical, soutient sa thèse 'De la psychose paranoïaque dans ses rapports avec la personnalité' en 1932 et obtient son diplôme de médecin légiste. Il adhère à la Société Psychanalytique de Paris (SPP) et élabore sa célèbre théorie sur le 'Stade du miroir'. Au discours de Rome, auprès de Dolto, Pontalis et Jean Laplanche, il investit l'espace structuraliste et linguistique et écrit dans la revue 'La Psychanalyse'.  Après avoir rompu avec la Société française de psychanalyse, Lacan fonde sa propre institution, l'Ecole freudienne de Paris au début des années 60. Lacan entend effectuer un "retour à Freud". Il a peu écrit mais beaucoup enseigné et un certain nombre de ses séminaires ont été retranscris et édités. Le volume "Ecrits" (1966) regroupe l'essentiel de ses publications.  C'est l'apport de la linguistique qui l'a amené à réinterpréter la pensée de Freud en mettant particulièrement l'accent sur le langage et en privilégiant le symbolique dans l'étude du fonctionnement psychique. D'où une nouvelle conception du sujet qui participe au structuralisme.

Lacan restera assez méprisant à l'égard des psychologues américains et de leur "moi autonome" : le moi est pour lui source d'aliénation, source de névrose, cherchant indéfiniment des substituts pour "l'objet du désir perdu", enseveli dans l'inconscient.

L'apport théorique de Lacan tient en deux énoncés qui se complètent, « l'inconscient est le discours de l'Autre » et "l'inconscient est structuré comme un langage". C'est à partir du "stade du miroir" (mise en évidence par Wallon pour traduire le moment où le petit enfant perçoit enfin son corps dans sa totalité), que Lacan en vient à distinguer le "moi" et le "sujet", ce dernier appartenant au champ du langage.

"Le désir est le désir de l'Autre, mais l'Autre n'est pas une autre personne que moi-même, il n'est pas situé hors de moi, l'Autre est d'abord le langage, le lieu du code reconnu par une communauté linguistique dans lequel, dès sa naissance, l'enfant est baigné, et par lequel il est également obligé de se couper de lui-même pour « se dire », « parler de lui ».  C'est seulement dans la dimension du symbolique que l'Autre peut trouver sa place. Mais c'est aussi un autre lieu, l'inconscient, du fait de l'intervention d'une métaphore, la métaphore du Nom-du-Père, qui intervient dans le discours de la mère : le père, comme père symbolique (« la métaphore paternelle »), lui apparaît progressivement comme celui qui lui interdit de jouir de sa mère. Il installe pour l'enfant l'ordre du langage qui nomme les liens de parenté et l'interdit de l'inceste. Cette opération fait basculer dans l'inconscient le désir qu'avait l'enfant de capter pour lui seul le désir de la mère. Ainsi se constitue le refoulé originaire." 


La psychanalyse à l'américaine, celle de Karen Horney (1885-1952, The Neurotic Personality of Our Time, 1937), d'Erich Fromm (1900-1980, The Fear of Freedom, 1941), de Jules Masserman (1907-1994, The Principles of Dynamic Psychiatry, 1946, 1961, The Practice of Dynamic Psychiatry, 1955), loin de prolonger la théorie analytique de Freud, l'ont altéré et déformée.

La préoccupation du modèle de comportement a pris le pas sur la "parole", Lacan entend engager un retour à l'étude du signifiant chez l'être humain qui l'abrite, c'est là toute son originalité, avec, 

- l'étude des conditions d'émergence de la parole à travers la construction du sujet dans le "stade du miroir",

- l'approche du phénomène psychotique,

- la définition de l'inconscient comme discours de l'Autre.


Les quatres concepts fondamentaux de la psychanalyse, Livre XI, 1964, éditions de Seuil, 1973
".... La majorité de cette assemblée a quelques notions de ce que j'ai avancé ceci - l'inconscient est structuré comme un langage - qui se rapporte à un champ qui nous est aujourd'hui beaucoup plus accessible qu'au temps de Freud. Je l'illustrerai par quelque chose qui est matérialisé sur un plan assurément scientifique, par ce champ qu'explore, structure, élabore Claude Lévi-Strauss, et qu'il a épinglé du titre de "Pensée sauvage". Avant toute expérience, avant toute déduction individuelle, avant même que s'y inscrivent les expériences collectives qui ne sont rapportables qu'aux besoins sociaux, quelque chose organise ce champ, en inscrit les lignes de force initiales. C'est la fonction que Claude Lévi-Strauss nous montre être la vérité de la fonction totémique, et qui en réduit l'apparence - la fonction classificatoire primaire. Dès avant que des relations s'établissent qui soient proprement humaines, déjà certains rapports sont déterminés. Ils sont pris dans tout ce que la nature peut offrir comme supports, supports qui se disposent dans des thèmes d'opposition. La nature fournit, pour dire le mot, des signifiants, et ces signifiants organisent de façon inaugurale les rapports humains, en donnent les structures, et les modèlent.
L'important, pour nous, est que nous voyons ici le niveau où - avant toute formation du sujet, d'un sujet qui pense, qui s'y situe - ça compte, c'est compté, et dans ce compté, le comptant, déjà, y est. C'est ensuite seulement que le sujet a à s'y reconnaître, à s'y reconnaître comme comptant. Rappelons l'achoppement naïf où le mesureur de niveau mental s'esbaudit de saisir le petit homme qui énonce - J'ai trois frères, Paul, Ernest et moi. Mais c'est tout naturel - d'abord sont comptés les trois frères, Paul, Ernest et moi, et puis il y a moi au niveau où on avance que j'ai à réfléchir le premier moi, c'est-à-dire moi qui compte.
De nos jours, au temps historique où nous sommes de formation d'une science, qu'on peut qualifier d'humaine mais qu'il faut bien distinguer de toute psycho-sociologie, à savoir, la linguistique, dont le modèle est le jeu combinatoire opérant dans sa spontanéité, tout seul, d'une façon présubjective, - c'est cette structure qui donne son statut à l'inconscient. C'est elle, en tout cas, qui nous assure qu'il y a sous le terme d'inconscient quelque chose de qualifiable,
d'accessible et d'objectivable. Mais quand j'incite les psychanalystes à ne point ignorer ce terrain, qui leur donne un solide appui pour leur élaboration, est-ce à dire que je pense tenir les concepts introduits historiquement par Freud sous le terme d'inconscient?
Eh bien, non! je ne le pense pas. L'inconscient, concept freudien, est autre chose, que je voudrais essayer de vous faire saisir aujourd'hui. Il ne suffit certes pas de dire que l'inconscient est un concept dynamique, puisque c'est substituer l'ordre de mystère le plus courant à un mystère particulier - la force, ça sert en général à désigner un lieu d'opacité. C'est à la fonction de la cause que je me référerai aujourd'hui.
Je sais bien que j'entre là sur un terrain qui, du point de vue de la critique philosophique, n'est pas sans évoquer un monde de références, assez pour me faire hésiter parmi elles - nous en serons quittes pour choisir. Il y a au moins une partie de mon auditoire qui restera plutôt sur sa faim, si j'indique simplement que, dans l'Essai sur les grandeurs négatives de Kant, nous pouvons saisir combien est serrée de près la béance que, depuis toujours, la fonction de la cause offre à toute saisie conceptuelle. Dans cet essai, il est à peu près dit que c'est un concept, en fin de compte, inanalysable -impossible à comprendre par la raison - si tant est que la règle de la raison, la Vernunftsregel, c'est toujours quelque Vergleichung, ou équivalent - et qu'il reste essentiellement dans la fonction de la cause une certaine béance, terme employé dans les Prolégomènes du même auteur.
Je n'irai pas à faire remarquer que depuis toujours le problème de la cause est l'embarras des philosophes, et qu'il n'est pas aussi simple qu'on peut le croire à voir s'équilibrer dans Aristote les quatre causes - car je ne suis pas ici philosophant, et ne prétends pas m'acquitter d'une aussi lourde charge avec ces quelques références, qui suffisent à rendre sensible simplement ce que veut dire ce sur quoi j'insiste. La cause, pour nous, toute modalité que Kant l'inscrive dans les catégories de la raison pure - plus exactement il l'inscrit au tableau des relations entre l'inhérence et la communauté - la cause n'en est pas pour autant plus rationalisée.
Elle se distingue de ce qu'il y a de déterminant dans une chaîne, autrement dit de la loi. Pour l'exemplifier, pensez à ce qui s'image dans la loi de l'action et de la réaction. Il n'y a ici, si vous voulez, qu'un seul tenant. L'un ne va pas sans l'autre. Un corps qui s'écrase au sol, sa masse n'est pas la cause de ce qu'il reçoit en retour de sa force vive, sa masse est intégrée à cette force qui lui revient pour dissoudre sa cohérence par un effet de retour. Ici, pas de béance, si ce n'est à la fin.
Au contraire, chaque fois que nous parlons de cause, il y a toujours quelque chose d'anticonceptuel, d'indéfini. Les phases de la lune sont la cause des marées - ça, c'est vivant, nous savons à ce moment-là que le mot cause est bien employé. Ou encore, les miasmes sont la cause de la fièvre - ça aussi, ça ne veut rien dire, il y a un trou, et quelque chose qui vient osciller dans l'intervalle. Bref, il n'y a de cause que de ce qui cloche. Eh bien! l'inconscient freudien, c'est à ce point que j'essaie de vous faire viser par approximation qu'il se situe, à ce point où, entre la cause et ce qu'elle affecte, il y a toujours la clocherie. L'important n'est pas que l'inconscient détermine la névrose - là-dessus Freud a très volontiers le geste pilatique de se laver les mains. Un jour ou l'autre, on trouvera peut-être quelque chose, des déterminants humoraux, peu importe - ça lui est égal. Car l'inconscient nous montre la béance par où la névrose se raccorde à un réel - réel qui peut bien, lui, n'être pas déterminé.
Dans cette béance, il se passe quelque chose. Cette béance une fois bouchée, la névrose est-elle guérie ? Après tout, la question est toujours ouverte. Seulement, la névrose devient autre, parfois simple infirmité, cicatrice, comme dit Freud - non pas cicatrice de la névrose, mais de l'inconscient. Cette topologie, je ne vous la ménage pas très savamment, parce que je n'ai pas le temps -je saute dedans, et je crois que vous pourrez vous sentir guidé des termes que j'introduis quand vous irez aux textes de Freud. Voyez d'où il part -- de l'Etiologie des névroses - et qu'est-ce qu'il trouve dans le trou, dans la fente, dans la béance caractéristique de la cause? Quelque chose de l'ordre du non-réalisé...."



Écrits, éditions du Seuil, deux volumes, Paris, 1966

Regroupe notamment Le séminaire sur la "Lettre volée", De nos antécédents , Le stade du miroir comme formateur de la fonction du Je, L’agressivité en psychanalyse, Fonction et champ de la parole et du langage en psychanalyse, La chose freudienne ou sens du retour à Freud en psychanalyse, L’instance de la lettre dans l’inconscient ou la raison depuis Freud.

"L'imaginaire", ou "stade du miroir", atteste du désir de la mère chez l'enfant. Lacan utilise un jeu de mot puisque l'expression peut signifier désir ressenti "pour" la mère et désir ressenti "par" la mère. L'enfant souhaite compléter la mère, être, symboliquement, son phallus et il se reflète dans le regard de sa mère. Cette phase va se terminer lorsque l'enfant prend le "nom" de son père dans un acte d'identification qui est aussi son "non", c'est-à-dire la prohibition de l'inceste avec elle. La société et l'ordre symbolique réclament alors l'enfant et s'en saisissent, bouclant la chaîne signifiante qui de va de la conscience à l'inconscient... Le refoulement sera défini comme la mise à l'écart d'un niveau symbolique par le niveau supérieur suivant. L'analyse aura donc à retracer cette chaîne à l'envers en descendant vers ce "réel" qui, au-delà du langage, est en fait un besoin douloureux.

La parution de ce volume de 900 pages, qui rassemble les principaux travaux de Lacan, a étendu largement son audience en dehors des cercles d'initiés. L'un des thèmes essentiels de la théorie lacanienne exposée ici est le "stade du miroir et la constitution du Je". Pour souligner le caractère radical de cette découverte, l'auteur précise qu`elle s'oppose à toute "philosophie issue directement du cogito".

Pour Lacan en effet, l'homme n'est pas maître de l`ordre du signifiant, et l'ordre qui le constitue en tant qu`homme est décentré au profit d`un monde qui lui échappe. L'affirmation selon laquelle dans l'homme "ça parle", en tant que «l'inconscient est le discours de l`Autre» , semble déjà préfigurée dans cette critique du cogito....

 

La conversion freudienne du Cogito - A la lumière de Freud, les rapports de la pensée et de l'être prennent une tout autre signification que dans la perspective cartésienne ...

 

"Je pense, donc je suis (cogito ergo sum), n'est pas seulement la formule où se constitue, avec l'apogée historique d'une réflexion sur les conditions de la science, la liaison à la transparence du sujet transcendantal de son affirmation existentielle.

Peut-être ne suis-je qu'objet et mécanisme (et donc rien de plus que phénomène), mais assurément en tant que je le pense, je suis - absolument. Sans doute les philosophes avaient apporté là d'importantes corrections, et nommément que dans cela qui pense (cogitans), je ne fais jamais que me constituer en objet (cogitatum). Il reste qu'à travers cette épuration extrême du sujet transcendental, ma liaison existentielle à son projet semble irréfutable, au moins sous la forme de son actualité, et que : 

«cogito ergo sum», ubi cogito, ibi sum,

surmonte l'objection.

Bien entendu ceci me limite à n'être là dans mon être que dans la mesure où je pense que je suis dans ma pensée ; dans quelle mesure je le pense vraiment, ceci ne regarde que moi, et, si je le dis, n'intéresse personne. 

L'éluder pourtant sous le prétexte de ses semblants philosophiques, est simplement faire preuve d'inhibition. Car la notion de sujet est indispensable au maniement d'une science comme la tragédie au sens moderne, dont les calculs excluent tout « subjectivisme ».

C'est aussi s'interdire l'accès à ce qu'on peut appeler l'univers de Freud, comme on dit l'univers de Copernic. C'est bien en effet à la révolution dite copernicienne que Freud lui-même comparaît sa découverte, soulignant qu'il y allait une fois de plus de la place que l'homme s'assigne au centre de l'univers.

La place que j'occupe comme sujet de signifiant est-elle, par rapport à celle que j'occupe comme sujet du signifié, concentrique ou excentrique? Voilà la question.

Il ne s'agit pas de savoir si je parle de moi de façon conforme à ce que je suis, mais si, quand j'en parle, je suis le même que celui dont je parle. Et il n'y a ici aucun inconvénient à faire intervenir le terme de pensée. Car Freud désigne de ce terme les éléments en jeu dans l'inconscient; c'est-à-dire dans les mécanismes signifiants que je viens d'y reconnaître. 

Il n'en reste pas moins que le cogito philosophique est au foyer de ce mirage qui rend l'homme moderne si sûr d'être soi dans ses incertitudes sur lui-même, voire à travers la méfiance qu'il a pu apprendre dès longtemps à pratiquer quant aux pièges de l'amour-propre.

Aussi bien si, retournant contre la nostalgie qu'elle sert, l'arme de la métonymie, je me refuse à chercher aucun sens au-delà de la tautologie et si, au nom de « la guerre est la guerre » et « un sou est un sou », je me décide à n'être que ce que je suis, comment ici me détacher de cette évidence que je suis dans cet acte même? 

Non moins qu'à me porter à l'autre pôle, métaphorique, de la quête signifiante et me vouer à devenir ce que je suis, à venir à l'être, - je ne puis douter qu'à m'y perdre même, j'y suis.

Or c'est sur ces points mêmes, où l'évidence va être subvertie par l'empirique, que gît le tour de la conversion freudienne.

Ce jeu signifiant de la métonymie et de la métaphore, jusque et y compris sa pointe active qui clavette mon désir sur un refus du signifiant ou sur un manque de l'être et noue mon sort à la question de mon destin, ce jeu se joue, jusqu'à ce que la partie soit levée, dans son inexorable finesse, là où je ne suis pas parce que je ne peux pas m'y situer.

C'est-à-dire que c'est peu de ces mots dont j'ai pu interloquer un instant mes auditeurs : je pense où je ne suis pas, donc je suis où je ne pense pas. Mots qui à toute oreille suspendue rendent sensible dans quelle ambiguïté de furet fuit sous nos prises l'anneau du sens sur la ficelle verbale.

Ce qu'il faut dire, c'est : je ne suis pas, là où je suis le jouet de ma pensée; je pense à ce que je suis, là où je ne pense pas penser.

Ce mystère à deux faces rejoint ce fait que la vérité ne s'évoque que dans cette dimension d'alibi par où tout « réalisme » dans la création prend sa vertu de la métonymie, comme cet autre que le sens ne livre son accès qu'au double coude de la métaphore, quand on a leur clef unique : le S et le s de l'algorithme saussurien ne sont pas dans le même plan, et l'homme se leurrait à se croire placé dans leur commun axe qui n'est nulle part.

Ceci du moins jusqu'à ce que Freud en ait fait la découverte. Car si ce que Freud a découvert n'est pas cela même, ce n'est rien."


LE STADE DU MIROIR

Lacan choisit par ailleurs l'exemple de l'enfant qui se regarde dans un miroir et qui apprend, petit à petit, à contempler son image. L'enfant n'a pas primitivement l'expérience de son corps comme totalité unifiée....

Placé face à un miroir, un enfant de l'âge de six mois réagit à la vue de son image par une mimique jubilatoire. Il esquisse toute une série de gestes qui s`adressent à cette image. «Il éprouve, écrit Lacan, ludiquement la relation des mouvements assumés de l'image à son environnement reflété et de ce complexe virtuel à la réalité qu'il redouble, soit à son propre corps et aux personnes, voire aux objets, qui se tiennent à ses côtés». 

L'auteur souligne que l'expérience du stade du miroir conserve tout son sens jusqu'à l'âge de dix-huit mois. Elle révèle un dynamisme libidinal resté inaperçu jusqu`alors. Le stade du miroir est l'expérience d`une identification fondamentale et de la conquête d'une image, celle du corps, qui structure le «Je» avant que le sujet ne s'engage dans la dialectique de l'identification à autrui par la médiation du langage. Le stade du miroir est ainsi présenté par Lacan comme une dialectique temporelle qui structure fondamentalement l'histoire de l'individu.

Il semblerait donc que l'enfant n`ait pas primitivement l'expérience de son corps comme une totalité unifiée. Il le perçoit comme dispersion de tous ses membres, d'où l'expression de «fantasme de corps morcelé». Il faut par conséquent admettre que l`unité du corps n'est pas première, mais l'aboutissement d'une longue conquête. Ce qui paraît être premier, c`est l`angoisse du corps morcelé. La fonction du miroir et de la phase qui s'y rattache sera de mettre fin à cette dispersion panique, en intégrant l'enfant dans une dialectique qui le constituera comme sujet. 

Ainsi, le stade du miroir peut se décomposer en trois étapes.

Dans un premier temps, l'enfant perçoit l'image que lui renvoie le miroir comme un être réel qu'il tente de saisir ou d'approcher. Il réagit à cette image par une mimique jubilatoire, mais tout semble indiquer que cette présence du miroir, cette image qui est la sienne, est reconnue comme étant celle d'un autre et qu'inversement, l'image de l'autre est perçue connue celle de son propre corps.

Dans un deuxième temps, l'enfant va comprendre que l'autre du miroir (en l`occurrence la mère) n'est qu`une image et non un être réel, Il ne cherche plus à saisir l'image, à chercher l'autre derrière le miroir, car il sait à présent qu'il n`y a rien.

La troisième étape sera marquée par la reconnaissance, non seulement de l'autre comme image mais aussi de l`autre comme étant sa propre image. Dès lors l'enfant sait que le reflet du miroir est une image et que cette image est la sienne. 

C'est à partir de cette dialectique de l'être et de l'apparence que s`effectue la conquête de l'identité du sujet par une image totale anticipant l'unité de son corps.

 

Autre thème que Lacan privilégie dans son ouvrage: I`ordre du symbolique. 

«Le stade du miroir donne la règle de partage entre l'imagination et le symbolique à ce moment de la capture par une inertie historique dont tout ce qui s`autorise d'être psychologie porte la charge, fût-ce par des voies à prétendre s`en dégager.» Si l`homme pense l`ordre du symbolique, c'est qu'il y est pris dans son être. Aussi est-ce la suprême illusion pour l'individu que de croire qu'il a constitué cet ordre, car c`est seulement en tant qu'il y participe que le sujet peut aussi faire son entrée dans le «défilé radical de la parole»›. La dialectique de l'intersubjectivité qui régit tous les phénomènes, du transfert à la paranoïa, doit se comprendre à partir de ce moment où le sujet s'adresse à l`Autre comme Absolu, à travers la béance spécifique de la relation imaginaire à son semblable....


Reprenons l'agumentaire. Dans le stade dit du miroir, un mouvement dialectique de l'être et de l'apparence traduit la conquête de l'identité du sujet grâce à l'image qui anticipe l'unité de son corps à une époque antérieure à la notion de schéma corporel. C'est en s'identifiant à une image qui n'est pas lui que l'enfant parvient à se reconnaître, et l'on a situé cet évènement entre seize et dix-huit mois cet événement.

Mais qu'advient-il si une rupture se produit, dans le déroulement de ce processus? C'est toute la dialectique de la constitution s'effondre et c'est l'apparition de la psychose chez l'enfant. Affecté son rapport à son propre corps, le sujet retombe dans le fantasme primitif du corps morcelé et risque de n'en plus sortir. Ce sera plus tard la destruction psychotique ou tout au moins le délabrement de l'être non parvenu à l'état de sujet....

 

Mais QU'EST-CE QUE LE SUJET ? Est-il «ce mannequin dont le rejet est le pont-aux-ânes de toute expérience psychologique, ce sujet verbal donné pour support à la synthèse des fonctions les plus hétéroclites» (Ecrits), c'est-à-dire le «moi» ? ...

Mais LE MOI N'EXISTE PAS ... 

L'homme ne parle que parce que LE SYMBOLE l'A FAIT HOMME, avait enseigné Freud. La toute-puissance de l'imaginaire qui a déjà constitué l'homme dans la phase du miroir va devenir une sorte de frange derrière laquelle se cache l'ordre du symbolique qui le domine tout entier. La puissance du signifiant sur le sujet qui l'exprime est totale. Lacan prolonge Freud en montrant que l'inconscient est structuré comme un langage et que le matériel symbolique qu'il contient y joue selon les lois «qui sont celles que découvre l'étude des langues positives, des langues effectivement parlées» (Ecrits)....

On comprendra mieux le mécanisme en écoutant l'homme malade, car il existe des maladies qui parlent, et c'est cette parole dont précisément l'analyse est l'écoute...

Freud, on le sait, a constitué la psychanalyse en se posant le problème de l'expression symbolique dans les rêves, les lapsus, les paroles qui échappent... 

Mais d'où elles s'échappent ? Lacan répond, on connaît sa réponse, «Ça parle». 

Si cet inconscient qui parle est structuré comme un langage, c'est l'utilisation de modèles linguistiques qui permettra de rendre compte de ses lois...

De même que Lévi-Strauss se penchait sur les structures de parenté, Lacan va démonter l'inconscient du psychotique. Et pas plus que l'Indien ne se rendait compte des règles de son système de parenté, - puisqu'il ne les avait pas inventées et qu'il les vivait sans les voir - , nous ne sommes témoins des actes et manifestations qu'il semble impossible de relier à notre vie psychique consciente. Freud disait qu'il fallait les juger comme s'ils venaient d'une «autre personne», affirmant que le fonctionnement de celle-ci possède la structure d'un langage, Lacan soulève des difficultés d'une immense portée. Les deux figures centrales de ce langage sont pour lui la METONYMIE et la METAPHORE (cf. le texte célèbre de R. Jakobson, "Essai de linguistique générale, 1963, Ed. de Minuit).

 

"Par l'effet de la parole, le sujet se réalise toujours plus dans l'Autre, mais il ne poursuit déjà plus là qu'une moitié de lui-même. Il ne trouvera son désir que toujours plus divisé, pulvérisé, dans la métonymie de la parole" (Séminaire, Livre XI)

 

La métonymie signifie la désignation d'un objet par l'une de ses parties. La métaphore consiste à remplacer un terme par un autre. Ces deux figures correspondent respectivement au déplacement (Verschiebung), et au refoulement (Verdrangung) selon Freud, qui fondent avec quelques autres concepts (transposition, condensation...) une véritable rhétorique de l'inconscient qui lui donne sa "signifiance". 

L'application qu'en fait Lacan à partir du signifiant fondamental, le phallus, à la suite de Freud, élargit le thème du désir et son interprétation..

"Le phallus est un signifiant, un signifiant dont la fonction dans l'économie intra-subjective de l'analyse soulève peut-être le voile de celle qu'il tenait dans ces systèmes, car c'est le signifiant destiné à désigner dans leur ensemble les effets du signifié, en tant que le signifiant les conditionne par sa présence de signifiant" (Ecrits)

"Ce moment de coupure est hanté par la forme d'un lambeau sanglant : la livre de chair que paie la vie pour en faire le signifiant des signifiants, comme telle impossible à restituer au corps imaginaire; c'est le phallus d'Osiris embaumé" (Ecrits)

 

On prend en général, pour illustrer ce propos, l'exemple de la formulation lacanienne du complexe d'OEdipe...

Dans un premier temps, l'enfant veut attirer à lui sa mère et la satisfaire. Il croit pouvoir s'identifier à l'objet de son désir : le phallus du père. Il se voit lui-même le phallus manquant à la mère, que le père peut lui donner ou lui refuser. Mais cette identification ne satisfait pas la mère; l'enfant comprend qu'il ne pourra pas réussir. La seconde étape est alors marquée par l'expérience d'un désir visant un au-delà qui lui échappe. La troisième étape voit l'enfant refuser d'être le phallus qui manque à la mère et s'affirmer comme celui qui le porte ou celle qui l'attendra d'un autre.

Ici encore, en cas de rupture dans l'évolution, il y aura court-circuit entre désir et demande qui risquera de faire du sujet un névrosé obsessionnel. Un mur infranchissable va séparer l'obsessionnel de l'objet de son désir, et quel que soit le nom qu'il en donne, jamais il ne le franchira : paradoxe d'un désir qui s'annule sitôt né, que l'analyste doit saisir dans sa spécificité...

"La condition du désir qui retient éminemment l'obsessionnel, c'est la marque même dont il le trouve gâté, de l'origine de son objet : la contre-bande". (Ecrits)

En somme, l'obsessionnel ne demande pas à la femme de satisfaire un désir, comme elle le croit ; il réclame qu'elle le reconnaisse comme un homme, qu'elle le confirme dans son existence de sujet. Il y a eu interférence évolutive entre désir et demande: l'obsessionnel est resté, depuis l'enfance, prisonnier de la première identification ; il est toujours le phallus, il ne l'a pas. Tout accès au désir lui demeure interdit.


Affirmer avec Lacan que «ça parle», c'est faire le constat que «celui» qui parle est le pathologique, le névrotique, la misère... Plus «ça»  a mal, plus «ça»  parle, et l'écoute de ce «ça» chaotique et bavard semble pouvoir nous livrer les clefs de la structure de l'inconscient.

Mais le grouillement des désirs, les balbutiements nés de leur entrave obéissent-ils vraiment à un tel schéma harmonique?

La linguistique nous assure qu'il y a sous le terme d'inconscient quelque chose de qui peut être cerné, qualifié, accessible et objectivable. Il reste cependant que cet «accessible» ne l'est qu'au prix d'une somme d'efforts intellectuels et de paradoxes qui ont, qui vont écarter de Lacan beaucoup de lecteurs de bonne volonté. A propos de son livre XI du Séminaire, Lacan écrira, "Ainsi se lira - ce bouquin je parie. Ce ne sera pas comme mes Ecrits dont le livre s'achète: dit-on, mais c'est pour ne pas le lire ..."