Graham Sutherland (1903-1980) - Francis Bacon (1909-1992) - Lucian Freud (1922-2011) - Frank Auerbach (1931) - Leon Kossoff (1926)  -  Mervyn Peake (1911-1968) - Malcolm Lowry (1909-1957), "Under the Volcano" (1947) - .....

Last update: 12/29/2016

 


La Figuration de l'après-guerre en Angleterre

La violence de la Seconde Guerre mondiale et l'angoisse qu'elle a entraînée se reflètent dans l'art. La peinture figurative recueille l'héritage de l'expressionnisme et du surréalisme, associant l'âpreté de l'un et l'ambiguïté de l'autre. Les artistes se tournent vers les aspects les plus sombres de l'existence humaine : les artistes représentatifs de la figuration ne peuvent pas retrouver le visage d'avant-guerre de ce mouvement. En Angleterre, Graham Sutherland, Francis Bacon, Lucian Freud manifestent, chacun dans son style propre, les ravages psychologiques provoqués par la guerre.

(Walter Nessler (1912-2001) - "Premonition", 1937, Royal Air Force Museum, Hendon) 

 


Graham Sutherland (1903-1980)

La Seconde Guerre mondiale semble avoir détruit tout espoir de représentation humaine, reste un cri de douleur à tenter de restituer dans les décombres de l'existence ...

Au sortir de la guerre, la figure humaine semble avoir disparu (The Laughing Woman, 1946, New Walk Museum & Art Gallery - Leicester) dans un  chaos organique aux couleurs éclatantes, une sorte de nature instable et menaçante impose ses entrelacs végétaux et animaux (Horned Forms, 1944, Tate Britain - London & Museum of Modern Art - New York) * Green Tree Form: Interior of Woods (1940, Tate Britain, London) * Horned Forms (1944, Tate Britain), Welsh Landscape with Roads (1936, Tate Britain),*  Devastation, 1941: East End, Wrecked Public House (Tate Britain), * Devastation, 1941: East End, Burnt Paper Warehouse (Tate Britain), * Tapping a Blast Furnace (1942, Tate Britain), Feeding a Steel Furnace (1942, Tate Britain), * Furnaces (1944, Tate Britain)...

 

A partir des années 1950, Graham Sutherland réalise de nombreuses œuvres religieuses, et la figure du Christ constitue pour ce catholique converti en 1926 une préoccupation de base :  "The Crucifixion" (1946, St Matthew's church,  Northampton), sorte d'interprétation moderne de la Crucifixion de Matthias Grünewald, dont elle rappelle les distorsions et les audaces de couleur, et une tapisserie, "Christ in Glory in the Tetramorph", dessinée pour la cathédrale de Coventry (1962).

Réapparaissent dans les années 1950 des portraits, œuvres de circonstance commandées par des personnalités célèbres, sobres, réalistes mais visant à restituer la vérité humaine à travers une intense pénétration psychologique : "Graham Vivian Sutherland" (1977, National Portrait Gallery - London; "Edward Sackville-West" (1954, coll. part.), "Helena Rubinstein" (1957, Museum of Modern Art, New York), "Cuthbert Aikman Simpson" (1967, University of Oxford - Christ Church College), "Milner Gray" (1979, National Portrait Gallery - London), "Lord Goodman" (1974, Tate Britain), "Portrait of Somerset Maugham" (1949, Tate Britain - London), "Sir Winston Churchill" (1954, destroyed)...


Les tableaux des années 1960 de Sutherland semblent enfin s'apaiser, la lumière estompe les contours heurtés d'hallucinations ou de formes inanimées restaurées dans un milieu naturel (Form over River, 1972, Tate Britain) . Néo-romantique, "War painter", Sutherland est alors l’un des artistes de l’ Ecole de Londres avec Lucian Freud, Ronald B. Kitaj , Michael Andrews , Frank Auerbach , Leon Kossoff et Francis Bacon.


... at Wheeler's Old Compton Street, London, 1963, Lucian Freud, Francis Bacon, Frank Auerbach, Michael Andrews  (The John Deakin Archive)


Francis Bacon (1909-1992)

Les personnages de Bacon, à la limite de la désagrégation ou de la déformation d'un phénomène optique, incarnent des forces vitales invisibles à partir de postures paradoxalement quotidiennes...

 

Bacon peint d'étranges métamorphoses, préludant à l'apparition de quelque chose de monstrueux. Dans son "Etude d'après le portrait du pape Innocent X par Vélasquez" (1953, DesMoines, Art Center), la figure du pontife est comme traversée de courants d'énergie destructeurs qui semblent la promettre à la dissolution. C'est une composition d'esprit surréaliste, mais toute chargée d'une angoisse expressionniste poussée à l'extrême. Autant la douleur du cri du peintre Edvard Munch paraissait intériorisée, autant celle de Bacon est dotée d'une puissance sonore lancinante. "Ce pape, déclare-t-il au critique anglais D.Sylvester, me hante et m'ouvre à toutes sortes d'impressions et même, allais-je dire, de domaines de l'imagination. » Le pape, bizarrement affublé des lunettes de Pie XII est enserré à la fois par le dossier et les côtés rigides du siège pontifical et, comme souvent les sujets de Bacon, par une cage transparente. Ces cages sont destinées, selon le peintre lui-même, à « enfermer le modèle pour mieux le saisir ». 

L’expression du pape a été inspirée par une image cinématographique puissante – un plan rapproché d’une infirmière hurlante à lunettes du film de Sergei Eisenstein Battleship Potemkin (1925). Ce même cri apparaît dans tout le travail de Bacon : sur les visages des hommes d’affaires, des politiciens et des figures semi-humaines. Il incarne l’horreur que le monde a ressentie à la suite de l’Holocauste nazi après la Seconde Guerre mondiale. Peintre engagé et passionné, Bacon est l’un des artistes britanniques les plus réussis du XXe siècle, produisant de nombreuses images puissantes de l’humanité traumatisée de l’après-guerre...


Figures in a Garden (1936, Tate Britain - London), Painting (1946, Museum of Modern Art - New York), Study of a Dog (1952, Tate Modern - London), Study for Portrait VII (1953, Museum of Modern Art - New York), Figure with Meat (1954, Art Institute of Chicago), Seated Figure (1961, Tate Britain - London), Portrait of George Dyer in a Mirror (1968, Museo Thyssen-Bornemisza), Study for Bullfight No.1 (1971, Museo de Bellas Artes de Bilbao), Triptych - August 1972 (1972, Tate Britain - London), Three Figures and Portrait (1975, Tate Modern - London), Second Version of Triptych 1944 (1988, Tate Britain - London)...


Three Studies for the Portrait of Henrietta Moraes (1963, Museum of Modern Art - New York), Three Studies for a Self-Portrait (1979-1980, Metropolitan Museum of Art - New York, NY), Three Studies of Isabel Rawsthorne (1965, Sainsbury Centre for the Visual Arts (University of East Anglia) - Norwich) ...


Lucian Freud (1922-2011)

Lucian Freud semble esquisser un monde humain essentiellement érotique, mais ce qu'il restitue avec une puissance d'expression inégalable, c'est l'usure inexorable que produit le simple fait d'habiter son corps...
Dans de multiples portraits de Lucian Freud, des yeux effrayés animent des visages durs, comme façonnés par l'angoisse (John Minton, 1952, London, Royal College of Art; Girl with Roses, 1948, London, The British Council). "Je peins des gens non pas à cause de ce qu'ils sont, ni tout à fait en dépit de ce qu'ils sont, mais selon la manière dont ils sont." Visible dans ses tableaux, on prend souvent comme une forme de cruauté l'intensité du regard scrutateur du peintre anglais, petit-fils du fondateur de la psychanalyse, Sigmund Freud et dont le talent ne sera reconnu que dans les années 1970–1980 avec, en 1974, l'exposition rétrospective de ses œuvres à la Hayward Gallery (London). Au milieu des années 1960, c'est principalement le corps féminin qui anime ses nombreuses oeuvres, et ce sont plus des portraits dénudés que des nus que Freud exécute.

Girl with a White Dog (1951-1952, Tate Britain - London), Girl in a Dark Dress (1951), Francis Bacon (1952, Tate Modern - London), John Minton (1952, Royal College of Art), Painter Working, Reflection (1957), A Young Painter (1958), The Painter's Mother II (1972), Frank Auerbach (1976), Susie(1988, Museum of Fine Arts - Boston), Queen Elizabeth II (2000-2001, Royal Collection Trust, Buckingham Palace)...

Figure with Bare Arms (1962), Naked Portrait (1972-1973, Tate Modern - London), Portrait of Rose (1978-1979), Naked Girl with Egg (1980), Naked Portrait with Reflection (1980), Naked Portrait (1980-1981), Reflection (Self Portrait, 1985), Girl with Closed Eyes (1987), Blonde Girl on a Bed (1987), Naked Man Back View (1992, Metropolitan Museum of Art - New York), Evening in the Studio (1993), Small Naked Portrait (1993-1994, Ashmolean Museum - University of Oxford), Big Sue (1995), Naked Portait and a Green Chair (1995), Sleeping by the Lion Carpet (Sue Tilley, 1996), Night Portrait Face Down (1999-2000)...


Frank Auerbach (1931)

Peintre anglais appartenant au groupe de peintres dit de « l'École de Londres », avec Francis Bacon, Lucian Freud, Leon Kossoff et Michael Andrews, Auerbach pratique une technique de lourds empâtements pour peindre des portraits de relations très proches et des paysages urbains londoniens. 

Frank Auerbach - Self-portrait, 1958 (Daniel Katz Gallery, London and Marlborough Fine Art) - Half-length Nude (1963, Tate) - The Sitting Room (1964, Tate Modern - London) - The Origin of the Great Bear (1967-1968, Tate Modern - London) - Bacchus and Ariadne (1971, Tate Modern - London) - Rimbaud (1976, Tate Modern - London) - JYM1 (1981, Southampton City Art Gallery) - Interior Vincent Terrace (1982-1984, Tate) - Hampstead Road, High Summer (2010, Tate) - Head of William Feaver (2003 - Tate)...


Cette période d'après-guerre est incontestablement une nouvelle période pour la littérature anglaise, l'école dite moderniste anglaise qui rassemblait les écrivains de Conrad à Woolf, cède à de nouvelles techniques d'écriture, plus proches du cinéma, moins indifférentes à la réalité sociale, plus engagées à tenter de comprendre le désastre moral et existentiel qui s'empara graduellement des esprits les plus éclairés à l'issu de la Seconde Guerre mondiale. Evelyn Waugh, Graham Greene, George Orwell, Anthony Burgess, Malcolm Lowry sont aux antipodes les uns des autres, mais tous posent désormais au centre de leurs interrogations la question du libre-arbitre dans une société qui semble par nature annuler toute possibilité de choix des individus .. "What's it going to be then, eh?"


Mervyn Peake (1911-1968)

Mervyn Peake est né et a vécu en Chine jusque dans les années 1920. Il poursuit à partir de 1939, en Angleterre, une activité d'illustrateur tant d'ouvrages qu'il rédige lui-même (Captain Slaughterboard, Rhymes without Reason) que de classiques de la littérature (Les contes de Grimm, Alice au Pays des Merveilles, L’Île au trésor). En 1945, alors qu'il est peintre de guerre pour une revue anglaise, il est un des premiers à découvrir l'horreur des camps de concentration en Allemagne et cette expérience ne sera pas sans influence sur ces oeuvres à venir. Il débute véritablement en 1946  sa carrière d'écrivain et rejoint le courant littéraire de la "fantasy" dont J. R. R. Tolkien sera dans les années 1950 le représentant le plus connu (Le Seigneur des anneaux, archétype du roman médiéval-fantastique). Il publie "Titus Groan" (Titus d'Enfer), puis "Gormenghast", en 1950, Boy in Darkness (Titus dans les ténèbres) en 1956.  


Malcolm Lowry (1909-1957)

Né dans le port anglais de Birkenhead, Malcolm Lowry s'engage à dix-huit ans comme steward pour aller jusqu'en Chine, puis comme chauffeur sur un cargo, d'où il ramène un roman, "Ultramarine" (1933) et son alcoolisme. C'est au Mexique, en 1939,  qu'il débute son roman "Au-dessous du volcan" (Under the Volcano, 1947), roman qu'il remanie pendant dix ans, et qui décrit sur onze chapitres la dernière journée du consul anglais Geoffrey Firmin et de sa femme, Yvonne, qu'il retrouve après une pénible séparation, et ce jusqu'au terrible ravin de Parián où il meurt. Entretemps, il a fréquenté un hôpital psychiatrique, vu sa première femme, Jan Gabrial, le quitter, et rencontré Margerie Bonner (1939), actrice et écrivain elle-même, qui le stabilise un peu et avec qui il vit dans une cabane, sur un bras de mer non loin de Vancouver. En 1955, ils quittent le Canada pour l'Europe, mais son alcoolisme devient dipsomanie, et le 27 juin 1957, à 46 ans, il est retrouvé mort dans la maison que le couple occupait dans le Sussex.

 

"Au-dessous du volcan" (Under the Volcano, 1947)

C’est la vie d’un homme en perdition, celle d’un alcoolique, d’un Consul britannique démissionnaire, Geoffrey Firmin, exilé au Mexique. C'est un roman maintes fois révisé et qui s'est ainsi enrichi de mille pensées et correspondances symboliques. C'est aussi une histoire d'amour désespérée,  Yvonne, sa femme,  et Geoffrey s’aiment encore, et n’ont jamais cessé de s’aimer mais ne parviennent pas à se rejoindre, ils s'aiment, se trahissent, se détestent, se retrouvent, se perdent : la séparation n’est pas entre eux, elle est en chacun d’eux... Se déroulant entre le lever et le coucher du soleil, le roman est divisé en douze chapitres, comme les douze heures d'un cadran d'horloge, et se déroule simultanément à Quauhnahuac, au Mexique, sur la route menant à Tomalin, sur le chemin de Parian, et dans un bar mal famé. Le premier chapitre est à la fois prologue et épilogue. Le roman débute véritablement au deuxième chapitre, le jour de la fête des morts en 1938. Le consul retrouve sa femme, qui l’avait quitté neuf mois plus tôt et avec qui il est en instance de divorce. Yvonne a trompé Firmin il y a un an avec Jacques Laruelle, un résident de Quauhnahuac. Pendant toute une année, elle n'a cessé de lui écrire, et elle revient au Mexique au moment même sa première lettre arrive à  Quauhnahuac...  John Huston réalisa en 1984 une adaptation du roman, "Under the Volcano", avec Albert Finney, Jacqueline Bisset et Anthony Andrews.

 

«Aussi quand tu partis, Yvonne, j'allai à Oaxaca. Pas de plus triste mot. Te dirai-je, Yvonne, le terrible voyage à travers le désert, dans le chemin de fer à voie étroite, sur le chevalet de torture d'une banquette de troisième classe, l'enfant dont nous avons sauvé la vie, sa mère et moi, en lui frottant le ventre de la tequila de ma bouteille, ou comment, m'en allant dans ma chambre en l'hôtel où nous fûmes heureux, le bruit d'égorgement en bas dans la cuisine me chassa dans l'éblouissement de la rue, et plus tard, cette nuit-là, le vautour accroupi dans la cuvette du lavabo ? Horreur à la mesure de nerfs de géant !»