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Last update : 10/10/2021

 

Le XVIIe siècle vit triompher en Allemagne, comme dans le reste de l'Europe, les principes du gouvernement absolu. Mais ce qui rendait l'application de ces principes plus dangereuse que partout ailleurs, c'était le morcellemènt du pays. Chaque souverain exerçait un pouvoir sans contrôle dans les limites de son territoire, et l`Allemagne, au lieu d'un seul despote, avait cinquante tyrans. En outre, les chefs du Saint-Empire romain ,dépendaient de leurs vassaux par l'élection et par les gages qu'ils donnaient à leur avènement; et l'on vit s'élever ainsi, dans le sein de l'Allemagne, deux puissances rivales entre lesquelles un conflit sanglant était inévitable: les empereurs, d'un côté, fondant leur autorité sur le prestige d'un nom sur la lettre morte d'un contrat, et, de l'autre,les princes, qu'une entente même passagère pouvait rendre redoutables, et qui empruntaient une force réelle à la stabilité de leurs droits hétéditaires. 

La Guerre de Trente ans (1618-1648) - Ce conflit qui ravagea l'Europe, particulièrement le Saint Empire, de 1618 à 1648, et qui se prolongea entre la France et l'Espagne jusqu'en 1659, ne fut pas seulement la dernière guerre de religion qui mit aux prises catholiques, luthériens et calvinistes dans toute l'Europe centrale et occidentale. Ce n'est que par commodité que l'on divise en général ce conflit en une série de guerres où jouèrent successivement le rôle principal l'Electeur palatin, le Danemark, la Suède, et enfin la France. Phénomène complexe,  la guerre de Trente Ans marqua le passage des derniers Etats de type médiéval, ceux d'Allemagne, dont la structure en 1618 était encore caractéristique du Moyen Age, à ce que l'on appelle encore aujourd'hui les Temps modernes. L'Allemagne, qui constitua le principal champ de bataille que dévastèrent les armées des puissances en conflit, fut également la principale perdante des traités de Westphalie, qui mirent fin à la guerre.

L'instabilité politique et religieuse du Saint Empire fut à l'origine du conflit : pour résister aux progrès de la Réforme catholique, les princes protestants, dont certains ont adhéré au calvinisme, confession non reconnue par la paix d'Augsbourg (1555), se regroupèrent en une « Union évangélique » (1608). Les princes catholiques leur opposèrent la « Sainte Ligue allemande » (1609), dirigée par le duc Maximilien Ier de Bavière. Les protestants de Bohême se rebellèrent contre l'autorité des Habsbourg en 1618 (c'est la défenestration de Prague déclenche la guerre de Trente Ans, 1618). 

Après les fermentations de la Réforme s'ouvre en Allemagne une longue période de stabilisation confessionnelle, de restauration politique, de régression sociale et de récession économique, d'assoupissement intellectuel.

La guerre de Trente Ans (1618-1648), va transformer le pays en un champ de ruines et accentuer cet abaissement de l'Empire et le prolonger de plus d'un siècle. Pour les deux partis, celui des empereurs et celui des princes, un point commun, l'absence de toute idée patriotique. Quant à la cause- protestante, qui semblait perdue après la défaite de l'électeur palatin Frédéric, elle ne se releva que par le secours du Danemark et de la Suède, et l'armée impériale se recrutait tout en ltalie et en Espagne. Ces troupes étrangères traitaient l`Allemagne en pays conquis. Les chroniques du temps, rapportent des traits de barbarie qui aujourd'hui nous paraissent incroyables. Des villages disparurent, sans qu'il en restât aucune trace. Les champs furent convertis en déserts. La famine dépeupla des cantons entiers. La population générale diminua d'un tiers...

 

L'Allemagne perdit toute sa mémoire littéraire, de la grande épopée Nibelingen, les fabuleuses légendes de la chevalerie à la poésie bourgeoise du XVe siècle. Ce qui restait d`esprits libres en Allemagne se tournèrent vers l'étranger. Dans les pays catholiques, on étudiait l'Espagne et l'Italie. Les populations protestantes, qui avaient conservé la suprématie íntellectuelle, penchaient vers la France, L'influence française s'étendait alors sur l'`Europe entière, même sur les contrées qui avaient déjà une littérature. Comment l'Allemagne, privée de toute direction, et ne trouvant en elle-même aucun point d'appui, aurait-elle pu s'y soustraire? Elle fut complètement dominée par le goût français. Mais le contraste était trop sensible entre l'état moral de la nation et le genre de modèles qu'on se proposait. On tentait de restructurer une vie littéraire mais c'était pour la plonger d'emblée dans une élégance châtiée et raffinée. Si en d'autres lieux, l'influence française fut positive,  En Allemagne,compte tenu de l'état des lieux, elle fut à peu près stérile. Les écrivains allemands du XVIIe siècle ne produisirent en fin de compte qu'une littérature factice, artificielle, qui resta sans influence populaire et qui disparaîtra dès le premier réveil de l'esprit national..

La plus belle création littéraire de XVIe siècle, la langue de Luther, se dégénéra au sein d'une barbarie nouvelle. Le haut enseignement se faisait en latin. Dans les réunions mondaines, dans le commerce épistolaire, il 'était de bon ton d'employer le français. Le vieil allemand fut abandonné à la multitude illettrée. La nation se divisa peu à peu en plusieurs fractions, qui vivaient séparées l'une de l'autre et qui se connaissaient à peine. L'université se confina dans une enceinte sacralisée. Et la bourgeoisie qui avait inspiré toute la littérature du XVe siècle, et qui avait soutenu la Réforme dès ses débuts, se sentait reléguée, méprisée par une aristocratie engoncée dans ses "manières" et cessa, pour un temps, peu à peu de participer à la  vie nationale. 

La littérature de l'époque baroque, si elle est donc largement ouverte aux influences étrangères, restera malgré tout provinciale, liée aux villes et aux cours où s'est concentrée la vie culturelle. C'est une littérature très diverse reflétant les coupures qui partagent l'Allemagne, notamment la coupure confessionnelle. Elle est pleine de contradictions parce que l'homme baroque lui-même est multiple et divisé. Poétologues et grammairiens cherchent à fixer les règles de la poésie comme celles de la langue et s'érigent volontiers en dictateurs des lettres. Le XVIIe siècle est dominé, à cet égard, par Martin Opitz (1597-1639), le « Malherbe allemand ». Puis, au début du XVIIIe siècle, Johann Christoph Gottsched (1700-1766) s'élèvera contre les outrances du baroque et imposera un nouveau dogmatisme au nom de la raison et du classicisme français. Il sera à son tour contesté par les Suisses Johann Jakob Bodmer (1698-1783) et Johann Jakob Breitinger (1701-1776) au nom d'Homère et de John Milton. Toutes ces doctrines sont propagées, dans un premier temps, par les sociétés littéraires, puis, au XVIIIe siècle, par les revues....

 

Der Oder das Barock - On qualifie de baroque cette longue et noire période allant de 1600 à 1720, une période indissociable de la Contre-Réforme et des efforts de re-catholisation de l'Empire, dont les jésuites sont les principaux artisans. Mais le baroque est le reflet des conflits confessionnels entre luthériens, calvinistes et catholiques, avec, nous l'avons vu, l'événement marquant de cette période la guerre de Trente Ans (1618-1648).

Il faudra attendre la fin du XVIII° siècle pour voir l'Allemagne se relever. La paix de Westphalie (1648) renforcera le morcellement de l'Empire et l'absolutisme princier. En raison du principe « cujus regio, ejus religio ›› (« un roi, une religion ››), les sujets doivent soit se convertir à la religion de leur suzerain, soit émigrer dans une autre principauté.

Ce morcellement territorial est un frein à l'épanouissement de la culture. Désireuses d'imiter le modèle français et la cour de Versailles, les multiples cours allemandes rivalisent en pompe et en apparat. La plus ancienne et le modèle de ces académies allemandes qui se créent à l'instar des académies italiennes, fut la Fruchtbringende Gesellschaft (la Société fructifère), en 1617, fondée par quelques princes de Weimar et d'Anhalt, "Alles mit Nutzen": on y pratique sans distinction de rang la langue mère, la grammaire, l'orthographe ou la versification, son influence s'étendit jusqu'aux contrées du Centre et du Nord, pour disparaître avec la mort de son dernier protecteur, Auguste de Saxe, en 1680. La Société germanophile de Hambourg, die Deutschegesinnte Genossenschaft durera quant à elle plus d'un demi-siècle grâce à l'activité de Philipp von Zesen (1619-1689), grand réformateur du langage et auteur sous le nom de Ritterhold von Blauen, d'un roman autobiographique, "Die Adriatische Rosemund" (La Rosemonde de l'Adriatique, 1645), considéré comme le premier grand roman allemand de la littérature baroque. La Gesellschaft der Pegnitzschäfer (les Bergers de la Pegnitz) portée par le poète Georg Philipp Harsdörffer (1607-1658) reprenait en 1644 à Nuremberg les thèmes champêtres de l'Arcadia, de Philip Sidney (1554-1586), un roman pastoral écrit pour la comtesse de Pembroke, qui venait d'être traduit. L'unique apport de ces Sociétés littéraires fut de créer un lien entre noblesse et gens de lettres, leurs tentatives de réforme du langage resta sans suite...

D'autres événements alimentèrent également le pessimisme ambiant, la guerre contre les Turcs (le siège de Vienne s'achève en 1683), la chasse aux sorcières et les multiples procès en sorcellerie, dénoncés par le jésuite Friedrich von Spee von Langenfeld (1591-1635) dans un ouvrage publié anonymement en 1631 Cautio criminalis, les famines, les épidémies de peste (Spee en est victime en 1635, Opitz en 1639), la cherté de la vie, les jacqueries, les querelles autour des statuts des cités. 

 

La première école de Silésie - Une sorte de réveil se manifesta dans une province éloignée, l`une des plus riches de l'Allemagne, mais qui avait peu contribué jusqu'alors au mouvement littéraire. La Silésie était, parmi les États de l'Autriche, l'un de ceux qui avaient le moins souffert de la guerre. Beaucoup de seigneurs de la cour de Vienne y avaient leurs domaines. Les institutions communales, qui remontaient au XIIIe siècle, les écoles fondées par la Réforme, avaient survécu. aux troubles civils. Une certaine aisance et une relative tranquillité avaient développé chez les habitants l`amour des arts. Melanchthon leur avait attribué une aptitude singulière pour la poésie et pour l'éloquence. C'est ainsi que la Silésie devint le point de départ de la nouvelle littérature nouvelle. La vie reprenait à l'une de ses frontières en attendant de gagner le centre. Et la vie des poètes silésiens est le meilleur commentaire de leurs oeuvres, ne serait-ce que par cette curiosité inquiète, préoccupée avant tout de ce qui se passe hors de l'Allemagne...


Martin Opitz (1597-1639), né à Bunzlau, de petite bourgeoisie luthérienne, d'abord connu par un recueil de poésies latines écrites lors de ses études à Breslau et à Beuthen, en devint le chef d'école. C'est avec son traité "Aristarque, ou du mépris de la langue allemande", qu'il entend montrer à ses contemporains que l'allemand à toutes les qualités requises d'une langue littéraire. Après une année passée à l'université de Francfort-sur-l'Oder, il voyagea, à Heidelberg, à Strasbourg, et se trouve ainsi pour la première fois en contact presque immédiat avec la littérature française. La guerre et l'armée espagnole l'ayant éloigné du Palatinat, il visita la Hollande, où il connut Daniel Heinsius (1580-1655), un autre imitateur de la France, éditeur de textes classiques, poète, philologue et figure marquante des Belles-Lettres du siècle d'or néerlandais. De retour dans son pays natal, en 1621, il passa par divers emplois de cour. Le duc de Liegnitz lui confia une mission à Vienne, où il reçut de l'empereur Ferdinand II le titre de poète lauréat. Il fut même anobli, et prit le nom de Boberfeld, de la petite rivière, la Boher, qui arrose Bunzlau. Il fut membre de la Société fructifère. Un de ses derniers voyages, qu`il fit pour le compte du burgrave de Dohna, et peut-être avec une mission diplomatique de la cour de Vienne, le conduisità Paris, où il fut en relation avec le jurisconsulte néerlandais Hugo Grotius (1583-1645), le jeune prodige intellectuel de l'université de Leyde et avec De Thou, le fils de l'historien français Jacques Auguste de Thou. Après la mort de Dohna, il entra au service du roi Ladislas de Pologne, et il n'avait que quarante-deux ans, lorsqu'il mourut, victime de la peste, à Dantzig, le 20 août 1639.

Opitz fut surnommé le Malherbe allemand, le théoricien de la poésie baroque, le « père de la poésie allemande ». Il est en 1621 l'auteur de "Trostgedicht", un long poème épique sur les horreurs de la guerre. En 1624, il publie le fameux "Buch von der deutschen Poeterey" (Traité de la poésie allemande), la première poétique baroque qui donne une impulsion décisive à la poésie allemande moderne : il va construire le vers allemand en se fondant non pas sur la quantité des syllabes comme dans les langues romanes, mais sur leur poids, donné par l'accentuation. Lorsqu'il arriva à Paris, en 1630, Malherbe venait de mourir, mais son autorité était plus grande qu'elle n'avait jamais été de son vivant. Opitz put constater que la Pléiade pâlissait devant l'astre nouveau et, dans une épître en vers à son ami Zincgref, le premier éditeur de son oeuvre en 1624, il parle du changement qui s'est opéré dans l'esprit du public parisien, avec un étonnement qui ne paraît pas exempt de regret, et presque sur le ton d'un homme qui renonce avec peine à oublier un Ronsard ou un Du Bellay qu'il n'a cessé d'admirer : "il ne suffit pas ici de rimer des pensées au hasard, et d'être le bourreau des mots"...

 

"Es ist hier nicht genug, die arme Rede zwingen,

« Die Sinne über Hals und Kopf in Reime bringen,

« Der Wörter Henker sein,...

« Hier sah ichs zu Pariss, da Ronsard nicht Poete

« Mehr heisset, wie vorher, da Bellay betteln geht,

« Da Bartas unklar ist, da Marot nicht versteht

« Was recht französisch sei, da Jodel, da Baïf

« Nicht also reine sind, wie jetzt der neue Grieff

« Und Hofemuster will. "

 

Un Ronsard qu'il continue à invoquer dans son Livre de la Poésie allemande tout en insistant sur l'importance des poètes : en la matière, pour être bon poète, l'inspiration ne peut suffire, faut-il encore en connaître les règles et puiser celles-ci dans l'étude persévérante des auteurs grecs et latins, ceux-là même qui ont qui ont donné toutes leur puissance aux poètes français et italiens. Et pour la langue, il veut qu'on s'en tienne au haut-allemand, tel que fixé par Luther. Opitz fit ainsi pour la poésie ce que Luther avait fait pour la prose. Le haut allemand fut désormais la langue poétique de l'Allemagne...

Martin Opitz souhaite doter les pays allemands d'une littérature comparable à celles de l'Antiquité grecque et romaine, de l'Angleterre et de la France et qui, pour ce faire, traduisit de nombreuses œuvres étrangères en allemand, dont deux tragédies antiques, "Trojanerinnen" (Les Troyennes) de Sénèque en 1525 et "Antigone" de Sophocle en 1636. Le théâtre, nous le savons, est une forme qui convient bien à la conception baroque du monde comme scène. 

En 1633, Opitz chanta une éruption du Vésuve et joignit un commentaire à son oeuvre, la clarté de son style suscita l'admiration et créa un public. Parmi ceux qui lui succédèrent, Paul Fleming (1609-1640), fils d'un pasteur luthérien, natif de Hartenstein, en Saxe, mourut très tôt, en 1640, à l'âge de trente et un ans, mais dans ce bref moment, il est celui qui redonne à la poésie allemande une partie de son éclat du XIIIe siècle. Ce fut Georg Gloger, de six ans son aîné, mort prématurément en 1631, qui l'encouragea dans ses premiers essais poétiques et lui fit rencontrer Opitz qui deviendra son modèle. Chassé de Leipzig par la guerre de Trente Ans et l'épidémie de peste, Fleming se réfugie dans le Holstein. La recommandation de son ami, le savant Adam Olearius, lui permet d'être attaché à une mission diplomatique organisée par le duc Frédéric III de Holstein-Gottorp qui le mènera jusqu'en Russie et en Perse. Cette expédition, qui durera six ans, sera pour Fleming l'occasion d'expériences nouvelles qui féconderont sa création poétique.  Malheureusement il n'eut aucune influence et son génie ne fut pas reconnu par ses contemporains...

"Itzt fällt man ins Confect, in unsre vollen Schalen,

Win man uns längst gedräut. Wo ist nun unser Muth?

Der ausgestählpe Sinn? das kriegerische Blut?

Es fällt kein Unger nicht von unserm eiteln pralen.

Kein Pusch, kein Schützen-Rock, kein buntes Fahnenmalen

Schreckt den Krabaten ab. Das ansehn ist sehr gut, 

Das ansehn mein'ch nur, das nichts zum schlagen thut,

Wir feigsten Krieger wir, die Phöbus kan bestrahlen.

Was ängsten wir uns doch und legen Rüstung an,

Die doch der weiche Leib nicht um sich leiden kan?

Des grossen Vaters Helm ist viel zu weit dem Sohne!

Der Degen schändet ihn! Wir Männer ohne Mann, 

Wir starcken auf den Schein, so ist's um uns gethan, 

Uns Nahmens-Deutsche nur! Ich sag's auch mir zum Hohne."

(Nous sommes Allemands par nom seulement ! Je me le dis aussi à moi-même par dérision)


Andreas Gryphius (Greif) (1616-1664) fu le seul poète qui fut jugé comme l'égal d'Opitz, mais l'Allemagne du XVIIe ne possède encore aucune tradition littéraire suffisante pour que naisse un Corneille ou un Shakespeare. Gryphius sera plus érudit que poète. Il naquit à Glogau, en Silésie, fils de pasteur maisorphelin de bonne heure que les bouleversements de la guerre de Trente Ans obligent à parcourir l'Allemagne orientale, fuyant une ville pour l'autre. Après avoir terminé ses études, il séjourne à Dantzig où se trouve alors Opitz. Il débute vers 1635 par un drame sur le roi des Juifs Hérode, aujourd'hui perdu, "Erneuerter Parnassus". il entre comme précepteur chez son bienfaiteur, le comte palatin Georg de Schönborn, dont il accompagne les enfants en Hollande. Pendant son séjour à Leyde, de 1638 à 1643, Gryphius enseigne autant qu'il apprend : les œuvres de Pieter Corneliszoon Hooft  (1581-1647) et de Joost van den Vondel (1587-1679), auteurs dramatiques hollandais, exerceront sur lui une grande influence. C'est à Leyde qu'il écrit ses "Sonnets pour dimanches et jours fériés" (Sonn- und Feiertagssonette, 1639). En 1636, Gryphius dédie à la ville de Magdebourg, ravagée par les troupes impériales catholiques, le sonnet "Thränen des Vaterlandes" (Pleurs de la patrie : Les tours sont enflammées, l'église est détruite, La maison de la cour gît dans l'horreur, les puissants sont détruits, Les jeunes filles sont souillées, et où que nous regardions, il y a le feu, la peste et la mort dans nos cœurs et nos esprits....)

 

"Wir sind doch nunmehr ganz, ja mehr den ganz verheeret l

Der frechen Völker Schar, die rasende Posaun

Das vom Blut fette Schwert, die donnernde Karthaun

Hat aller SchweiB, und Fleilš, und Vorrat auf gezehret.

Die Türme stehn in Glut, die Kirch' ist umgekehret.

Das Rahthaus liegt im Graus, die Starken sind zerhaun,

Die Jungfern sind geschänd`t, und wo wir hin nur schaun,

lst Feuer, Pest, und Tod, der Herz und Geist durchtähret.

Hier durch die Schanz und Stadt, rinnt allzeit lrisches Blut.

Dreimal sind schon sechs Jahr, als unser Ströme Flut,

Von Leichen fast verstopfft, sich langsam fort gedrungen,

Doch schweig ich noch von dem, was ärger als der Tod,

Was grimmer den die Pest, und Glut und Hungersnot,

Das auch der Seelen Schatz so vielen abgezwungen."

 

Les voyages d'études qu'il effectue ensuite à travers la France et l'Italie accélèrent sa formation : il rencontre Corneille à Paris et on relève des traces de la commedia dell'arte dans son œuvre. Mais il ne se borne pas au seul rôle d'auditeur : en 1646, un poème épique sur la Passion, Olivetum, est dédié à la République de Venise. Il se marie à son retour au pays et, de 1649 à sa mort, remplira la charge de syndic des états provinciaux. En 1656, il écrit "Pensées dans un cimetière" (Kirchlofsgedanken). Ses pièces se distinguent par un profond sentiment de mélancolie et de pessimisme et sont traversées par une ferveur religieuse qui, face à la fugacité des choses terrestres et à la lutte pour la survie dans l'Allemagne ravagée de l'époque, frise le désespoir : "Leo Armenius oder Fürstenmord "(Léon l'Arménien ou le meurtre d'un prince, 1646), - tragédie dans laquelle I'empereur Léon V de Byzance, usurpateur du trône, est renversé et assassiné, et juste avant de mourir s'en remet à Dieu en saisissant un crucifix -; "Catharina von Georgien. Oder bewehrete Beständigkeit" (Catherine de Géorgie ou la constance éprouvée, 1647), - tragédie dans laquelle Catherine, dont la foi chrétienne est inébranlable, est faite prisonnière puis exécutée au bout de huit années d'emprisonnement par le chah Abbas de Perse, éperdument amoureux d'elle -; "Ermorderte Majestät oder Carolus Stuardus König von Gross Britanien" (Charles Stuart, roi de Grande-Bretagne ou le souverain assassiné) - défense de la théorie du pouvoir temporel et de I'obéissance à l'autorité civile exposée par Luther, "Herr der die Fürsten selbst an deine stat gesetzet / Wie lange sihst du zu ? / Wird nicht durch unsern Fall dein heilig Recht verletzet ? / Wie lange schlummerst du ?" -; "Cardenio und Celinde", que l'on dit la meilleure, toutes imprimées en 1657, et "Papinianus" (1659), ), tragédie dans laquelle Papinius s'oppose à l'Empereur dans sa volonté de justifier I'injustifiable, le massacre de chrétiens innocents.

Parmi ses comédies (Die Komödie besteht in schlechtem Wesen und Personen), les meilleures sont "Die geliebte Dornrose" (1660 ; La Hedgerose bien-aimée) et "Herr Peter Squentz" (1663), la reproduction libre d'un intermède du Songe d'une nuit d'été que les comédiens anglais avaient rendus populaires en Allemagne.

"Es ist alles eite" (Tout est vain, Tout n'est que vanité), "Was dieser heute baut, reifät jener Morgen ein ; Wo itzund Städte stehn, wird eine Wiesen sein". Ce que montre André Gryphius dans ses tragédies, ce n'est pas l'homme luttant contre la destinée, c'est plutôt la vertu qui souffre et qui se résigne. Ses comédies offrent l'image d'une société que le découragement livre aux plus mauvais instincts. Il épanche sa tristesse dans ses poésies lyriques, qui plaisent par la sincérité du ton, malgré la rudesse du style et la pompe des épithètes. Il termine un sonnet, où il peint les ravages de la guerre par ces mots : "Je n'ai point parlé de ce qui est pire que la mort, plus cruel que la peste, l'incendie et la famine : beaucoup d`entre nous se sont laissé ravir jusqu'aux trésors de l'âme." 

Dans un autre sonnet, qui a pour titre "Dominus de me cogitat", il songe aux malheurs de sa vie et à la seule consolation qui lui reste:  "Dans ma première fleur, dans les tendres jours de mon printemps, - la mort implacable m'a rendu orphelin, - Je me suis vu entouré d'une nuit de tristesse, et la maladie - a étendu sur moi son pouvoir dévorant. Je languissais dans une peine incessante. Les soupirs et les gémissements remplissaient mes jours - Les colonnes sur lesquelles maintes fois je m'appuie - se sont ébranlées, hélas! et ont craqué sur leur base. - Et le chagrin que je porte, je le porte seul. Mais non, le Dieu fidèle me tend sa main; il a les yeux ouverts sur moi; - son cœur s'embrase pour moi d'une tendresse paternelle. - Ne suis-je pas son enfant confié à sa garde?"


Paul Gerhardt (1607-1676) - "Dess, der den Himmel lenkt : / Der Wolcken, Luft und Winden / Gibt Wege, Lauf und Bahn, / Der wird auch Wege finden, / Da dein Fuss gehen kann." - Le cantique protestant, en langue vulgaire, devint au XVIIe siècle une branche de la poésie populaire et source de consolation pour supporter la détresse commune. Si Jean Heerman applique au cantique les réformes poétiques d'Opitz, c'est Paul Gerhardt (1607-1676) qui devient, après Luther, le second créateur de cantique religieux, et Johann Sebastian Bach repris dans ses cantates nombre de ses textes. Il naquit dans l'humble village de Gräfenhainichen, en Saxe et fut formé au ministère pendant la période calamiteuse de la guerre de Trente Ans. Vers la fin de l'année 1651, alors âgé de quarante-cinq ans, il obtient l'humble pastorat de Mittenwalde puis fut ordonné à Berlin le 18 novembre 1651. Attaché à l'église Saint-Nicolas de Berlin, en 1657, les foules se pressaient pour l'entendre prêcher, et ses hymnes étaient chantés avec enthousiasme. Mais en 1664, il devait démissionner de sa charge, n'ayant pas voulu reconnaître l'Edit de religion par lequel le Grand Electeur préparait la fusion des communautés luthériennes et calvinistes. 

Son "Chant du soir" est resté dans la mémoire populaire  ....

Nun ruhen alle Wälder, 

Vieh, Menschen, Stadt und Felder,

Es schläft die gantze Welt :

Ihr aber, meine Sinnen,

Auf, auf, ihr solt beginnen

Was eurem Schöpfer  wolgefällt.

Wo bîst du, Sonne, blieben?

Die Nacht hat dich vertrieben, 

Die Nacht, des Tages Feind : 

Fahr hin, ein ander Sonne, 

Mein Jesus, meine Wonne, 

Gar hell in meinem Hertzen scheint.

Der Tag ist nun vergangen,

Die güldnen Sternlein prangen

Am blauen Himmels-Saal ;

Also werd ich auch stehen, 

Wann wird mich heissen gehen

Mein Gott aus diesem Jammerthal. 

 

Les forêts entrent dans le repos. 

Les animaux et les hommes, la ville et les champs, -

Tout l'univers s'endort.

Levez-vous; `ô` mes pensées, 

Car c'est l'heure d'entreprendre 

Ce qui plaît à votre Créateur! 

Soleil, qu'es-tu devenu? 

La nuit t'a chassé, 

La nuit l'ennemie du jour; 

Qu'ímporte`! Un autre soleil, 

Mon Jésus, ma joie, 

Luit au fond de mon cœur. 

Le jour s'est évanouit;

 Les étoiles d'or scintillent 

Sur le dôme bleu du ciel.  

Ainsi je me tiendraí devant toi, - 

Quand tu m'ordonneras de sortir, 

Seigneur, de cette vallée de larmes.

 



Angelus Silesius (1624-1677) - Le poète catholique, à la différence du poète protestant qui n'est que l'interprète d'une communauté, écrit d'abord pour lui-même et n'hésite pas à s'abandonner aux écarts de son imagination. Le jésuite Frédéric Spee (1591-1635), qui s'éleva contre les procès de sorcellerie et mourut lors de la prise de Trèves par les troupes impériales en 1635. Le "Trutznachtigall" (Le Rossignol combatif), mélange de sacré et de profane, qui sera publié en 1649, eut une grande influence sur romantisme allemand. L'union intime de l'âme avec son fiancé céleste, cette image que Frédéric Spee avait empruntée au Cantique des cantiques, séduisit un grand nombre de ses contemporains et devint le thème de fastidieuses paraphrases. Il y eut pourtant, parmi les imitateurs de Spee, un homme de talent qui aurait pu devenir un écrivain, c'est Jean Scheffler, nommé Angelus Silesius. Né à Breslau,- où le philosophe mystique Jacques Bœhme, mort en 1624, avait gardé des adhérents -,  sa famille, d'ascendance allemande, avait émigré en Pologne, mais son père, né à Cracovie en 1562, fit retour au pays de ses ancêtres vers 1618. Il avait passé la soixantaine lorsqu'il épousa Marie Hennemann, qui avait trente-huit ans de moins que lui. Il mourut en 1637, et sa femme, après avoir donné le jour à deux garçons et à une fille, mourut elle-même en 1639. La famille était luthérienne et pourvue de quelque fortune. Johannes, mis au gymnase Sainte-Élisabeth, y resta jusqu'en 1643, et son maître préféré fut Christoph Köler, ami de Martin Opitz dont il écrivit la première biographie. Köler avait étudié cinq ans à Strasbourg, et, suivant ses traces, le jeune Scheffler se rendit lui-même dans cette ville en 1643 pour s'initier à la médecine, à la politique et à l'histoire, puis l'année suivante à Leyde, où il vécut jusqu'à l'automne de 1647 ; il gagna alors l'Italie pour s'inscrire à l'université de Padoue. En juillet 1648, âgé de vingt-quatre ans, il rentra en Silésie pourvu du titre de docteur en philosophie et en médecine. En 1652, il se sépare de l'Église protestante, alors livrée au dogmatisme, et où son imagination se trouvait à` l'étroit. Il entre, neuf ans après, dans l'ordre des Frères mineurs, et mourut, chanoine de Saint-Mathias, à Breslau, en 1677.

 

Chez Angelus Silesius, le mysticisme lyrique semble parfois dégénérer en fadeur sentimentale ou maniériste dans le goût de la Trutznachtigall de Friedrich Spee, ainsi ses "Saintes Délices", ou "Heilige Seelen-Lust, oder geistliche Hirten-Lieder der in ihren Jesum verliebten Psyche".

Son œuvre capitale, la plus originale et la plus forte, reste "Le Pèlerin angélique" (Johannis Angeli Silesii Cherubinischer Wandersmann", six livres de sentences en vers alexandrins, quelque par l'aboutissement de la grande tradition mystique allemande et néerlandaise, de Tauler, Eckhart, Ruysbroeck, Suso et tant d'autres, mais condensé par lui en aphorisme-proverbe avec intention mnémotechnique. Ici la rêverie panthéiste atteint ses ultimes limites. Non seulement l'être humain ne vit qu'en Dieu, mais Dieu lui-même n'exíste que par le lien d'amour qui l'unit à la créature. "La rose que contemple ton œil mortel a fleuri de toute éternité en Dieu." - "Je suis aussi grand que Dieu, il est aussi petit que moi; il ne peut être au-dessus de moi, je ne puis être au-dessous de lui." - "Je suis aussi riche que Dieu; il n'y a pas en moi un atome qui ne me soit commun avec lui."  - "Je sais que, sans moi, Dieu ne saurait vivre un instant; si je cessais d'être, il s'évanouirait aussitôt". La véritable condition du bonheur, d`après Angelus Sîlesius, est le repos absolu. Ne plus agir, ne plus vouloir, ne plus désirer,  ouvrir son âme au rayonnement de l'amour divin. L'esprit semble ainsi se perdre comme toute énergie vitale dans le vague de la contemplation infinie...

L'influence d'Angelus Silesius et de Frédéric Spee se prolongea jusqu'au milieu du XVIIIe siècle, et s'étendit même sur la littérature protestante, sans qu'on puisse dire quelle fût véritablement féconde. Encore tous ces poètes ont-ils entretenu une flamme littéraire jusqu'au milieu du XVIIIe siècle, jusqu'au moment où Klopstock reprit et ranima dans la littérature allemande la tradition religieuse inaugurée par la Réforme. 


La seconde école de Silésie - Le point de départ de tout poète silésien est la poétique d'Opitz et l'imitation. Deux écrivains vont tenter de compléter cette histoire, Christian Hoffmann von Hoffmannswaldau (1616-1679), "Helden-Briefe" (1673), et Daniel-Gaspard von Lohenstein (1635-1683). Ce dernier écrit tragédies (Cleopatra (1661), Agrippine, Sophonisbe (1669), Epicharis) et poésies, et enfin un roman sur le sujet d'Arminius et Thusnelda, qu'il laisse inachevé, mais rien de véritablement convaincant tant son unique préoccupation est de frapper par de grands effets. La vertu de l'imitation et le respect des règles assèchent toutes les tentatives de l'école de Silésie. Seules les poésies de Jean-Christian Günther (1695-1723), publiées après sa mort, en 1724-1727 furent reconnues au XVIIIe siècle. Il faut dire que les amours de cet éternel étudient, Leonore Jachmann ou Johanna Barbara Littmann, alimentent son inspiration et qu'il disparaîtra très jeune, à vingt-huit ans, il meurt à Iéna des suites d'une longue maladie. Goethe lui reprocha de n'avoir pas su dompter ses passions. Mais tant Fleming que Günther, certes isolés, restent les créateurs les plus originaux de cette école de Silésie.