Nelly Sachs (1891-1970), "In den Wohnungen des Todes" (1946), "Sternverdunkelung" (1949) - Ingeborg Bachmann (1926-1973), "Anrufung an den grossen Bären" (1956), "Malina" (1971) - Paul Celan (1920-1970), "Todesfuge" (1945), "Mohn und Gedächtnis" (1952, Pavot et Mémoire) - Ilse Ainchinger (1921-2016), "Dasvierte Tor" (1945), "Die grössereHoffnung" (1948), "Der Gefesselte" (1953), "ZukeinerStunde" (1957), "Eliza Eliza" (1965),

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Last update: 12/31/2016


La fin de la guerre laisse l'Allemagne en ruines et en phase de liquidation de son héritage nazi : en littérature, la langue allemande se reconstruit autour d'écrivains suisses ou autrichiens. Les circonstances de cette guerre, les crimes sans mesure au XXe siècle qu'elles ont générés, semble générer de nouvelles conditions existentielles, le temps d'une longue et difficile interrogation sur le pourquoi et le comment. Mais les générations suivantes persisteront-elles dans ce questionnement? On ne lit déjà plus ces auteurs dont l'oeuvre personnelle atteint parfois d'une si grande mysticité dans un souci paradoxal de réconciliation universelle ...

Böll et Grass furent tous deux membres du Groupe 47, une association littéraire d'écrivains fondée en 1947 qui s'étaient fixée comme but de réinventer et encourager la nouvelle culture allemande confrontée aux séquelles de la Seconde Guerre mondiale. La poétesse autrichienne lngeborg Bachmann (1929-1973), aux œuvres d'une nature profondément philosophique, et l'écrivain juive viennoise Ilse Aichinger (née en 1921), dont l'oeuvre reflète son vécu pendant la persécution nazie, étaient des membres importants de ce groupe, au sein duquel elles participaient aux séminaires et discussions. Le chroniqueur le plus célèbre de l'holocauste fut toutefois la poétesse et dramaturge allemande Nelly Sachs (1891-1970), dont l'oeuvre personnelle intense et souvent mystique réunit d'autres éléments de sa vie privée, comme une histoire d'amour qui se termina mal. Elle travailla pendant longtemps en étroite collaboration avec le poète et traducteur juif roumain Paul Celan (1920-1970), dont la majeure partie de l'oeuvre raconte en détail sa vie pendant son incarcération au camp d'Auschwitz. L'écrivain juif italien Primo Levi (1919-1987), également emprisonné à Auschwltz, décrit cette expérience dans "Se questo è un uomo" (Si C'est un homme, 1947). Anne Frank (19291945) est vraisemblablement la plus célèbre des victimes de l'holocauste Son journal est toujours le Journal intime de l'holocauste le plus lu au monde.

Toute la poésie de Nelly Sachs est liée au calvaire du peuple juif qu'elle a partage. Mais ce lien est de nature particulière, d'essence beaucoup plus profonde que la simple relation autobiographique : il ne s`agit pas seulement de se raconter, ni même de raconter le destin de ses frères de souffrance, mais, à l'instar de Paul Celan, l'autre grand poète juif d'expression allemande de l'après-guerre, de l'après-Auschwitz, de tenter d'écrire dans la langue de "ceux par qui la mort est venue", une situation historique qui ne se dénoue pas par la haine ou la vengeance, mais qui fait que la mort est inscrite irrémédiablement au cœur du langage : la poésie devient ainsi prière, prière pour que l'exil, l'errance puissent être enfin saisis comme conditions d'une métamorphose ...



Chor der Geretteten (1946) ...

Comme le raconte Nelly Sachs dans ce poème, de nombreux survivants, bien que secourus, ne seront plus jamais les mêmes ...

Nous, les rescapés, Sur les os creux où la mort avait commencé à tailler ses flûtes, Et sur les nerfs desquels il avait déjà caressé son arc, Nos corps continuent de se lamenter Avec leur musique mutilée, Nous, les sauvés, Les nœuds coulants enroulés autour de nos cous pendent encore devant nous dans l'air bleu, Les sabliers se remplissent encore de notre sang qui coule. Nous, les rescapés, Les vers de la peur se nourrissent encore de nous...

Nous, les rescapés, vous supplions : Montrez-nous votre soleil, Conduisez-nous d'étoile en étoile, mais très graduellement, pas à pas, Soyez doux quand vous nous apprendrez à revivre, De peur que le chant d'un oiseau, ou d'un seau que l'on remplit au puits, ne laisse éclater à nouveau notre douleur mal scellée et nous emporter...

Nous vous en supplions : Ne nous montrez pas un chien en colère, pas encore. Nous pourrions nous dissoudre dans la poussière, Se dissoudre en poussière sous vos yeux, Car qu'est-ce qui lie notre tissu ensemble, Nous dont le souffle nous a quittés, Dont l'âme s'est enfuie vers Lui dans ce minuit Bien avant que nos corps ne soient sauvés..

Nous, les sauvés, Nous pressons votre main, Nous regardons dans vos yeux, Mais tout ce qui nous lie maintenant, c'est un prochain départ, dans la poussière, et ce qui nous lie à vous ..

 

Wir Geretteten,

Aus deren hohlem Gebein der Tod schon seine Flöten schnitt,

An deren Sehnen der Tod schon seinen Bogen strich -

Unsere Leiber klagen noch nach

Mit ihrer verstümmelten Musik.

Wir Geretteten,

Immer noch hängen die Schlingen für unsere Hälse gedreht

Vor uns in der blauen Luft -

Immer noch füllen sich die Stundenuhren mit unserem tropfenden Blut.

Wir Geretteten,

Immer noch essen an uns die Würmer der Angst.

Unser Gestirn ist vergraben im Staub.

Wir Geretteten

Bitten euch:

Zeigt uns langsam eure Sonne.

Führt uns von Stern zu Stern im Schritt.

Laßt uns das Leben leise wieder lernen.

Es könnte sonst eines Vogels Lied,

Das Füllen des Eimers am Brunnen

Unseren schlecht versiegelten Schmerz aufbrechen lassen

Und uns wegschäumen -

Wir bitten euch:

Zeigt uns noch nicht einen beißenden Hund -

Es könnte sein, es könnte sein

Daß wir zu Staub zerfallen -

Vor euren Augen zerfallen in Staub.

Was hält denn unsere Webe zusammen?

Wir odemlos gewordene,

Deren Seele zu Ihm floh aus der Mitternacht

Lange bevor man unseren Leib rettete

In die Arche des Augenblicks.

Wir Geretteten,

Wir drücken eure Hand,

Wir erkennen euer Auge -

Aber zusammen hält uns nur noch der Abschied,

Der Abschied im Staub

Hält uns mit euch zusammen.

 


Ingeborg Bachmann (1926-1973)
"Ingeborg Bachmann est la première femme de la littérature de l'après-guerre des pays de langue allemande qui, par des moyens radicalement poétiques, a décrit la continuation de la guerre, de la torture, de l'anéantissement, dans la société, à l'intérieur des relations entre hommes et femmes", écrira Elfriede Jelinek. Tant dans sa poésie que dans ses nouvelles, Ingeborg Bachmann vit dans sa chair, dans le quotidien de l'existence, une véritable obsession, comment affronter l'insurmontable passé nazi qui détruisit son enfance et sa féminité, comment reconstruire un langage avili par les nazis, ce langage qu'utilisent les hommes pour parler des femmes en leur nom, usurper leur place, travestir leurs passions. La Guerre a laissé le monde en l'état, la fameuse "reconstruction" de l'Autriche n'est qu'un leurre, la guerre, les Nazis, n'ont pas disparu pour autant, la cruauté est toujours présente dans son travail de destruction, tapie dans ses esquisses d'interrogations que nous laissent poser, incomprises, la Mort et la féminité. "Le fascisme ne commence pas avec la première bombe larguée, il ne commence pas avec la terreur, sur laquelle vous pouvez écrire dans chaque journal. Il commence dans les relations entre les peuples. Le fascisme est la première chose qui s'établit entre la relation d'un homme avec une femme...."

Née à Klagenfurt (Carinthie, Autriche), la ville de Robert Musil, Ingeborg Bachmann passe son enfance et son adolescence dans un milieu pro-nazi dont elle tentera d'assumer et de surmonter avec douleur une véritable répugnance charnelle et intellectuelle. Ingeborg Bachmann a 12 ans lorsque les troupes nazies pénètrent en Autriche et arrivent à Klagenfurt: les Slovènes sont alors nombreux dans cette région frontalière, passage entre monde germanique et monde slave, et font l'objet d'une persécution systématique. Dans son "Journal de guerre", rédigé dans les derniers mois du second conflit mondial, à Klagenfurt, en Carinthie, elle décrit alors âgée de 18 ans ce "si bel été de ma vie", où, loin du fanatisme de son éducation nazie, elle rencontre le soldat Jack Hamesh, juif viennois revenu combattre en Autriche sous l'uniforme britannique. À la fin des années 1940, étudiante à Vienne, de 1945 à 1950 (sa thèse s'intitulera "Die kritische Aufnahme der Existenzphilosophie Martin Heideggers"), Ingeborg Bachmann écrit un roman, "Stadt ohne Namen" (Ville sans nom), dans lequel elle essaie de rendre compte de la vérité sur son père, Mathias Bachmann, entré au parti national-socialiste en 1932.

En 1953, Ingeborg Bachmann reçoit le prix du Groupe 47 pour son premier recueil de poèmes, "Die Gestundete Zeit" et quitte l'Autriche pour l'Italie, l'île d'Ischia d'abord, où réside le compositeur Hans Werner Henze, puis Rome qui sera sa résidence privilégiée jusqu'à sa mort. Elle y écrira la plupart des poèmes qui paraîtront en 1956 sous le titre "Anrufung an den grossen Bären" (Incantation à la grande ourse) et des pièces radiophoniques dont "Die Zikaden" (Les Cigales, diffusée en 1955 avec une musique de H. W. Henze). Ses poèmes,  pièces radiophoniques et nouvelles reçoivent à la fois un succès critique et un engouement du public. Sa renommée est importante dans le monde germanophone et lui permet de vivre de sa plume. De 1958 à 1962, Ingeborg Bachmann partage sa vie avec l'écrivain suisse allemand Max Frisch entre Rome et Francfort où elle assume une chaire de poétique.Elle ne cessera jamais d'écrire des poèmes, dont certains comme "La Bohême est au bord de la mer" mais ne les publiera plus en recueil. Désormais, ses principaux travaux seront en prose : "Malina" (1971), premier tome d'un cycle romanesque à paraître (Studie aller möglichen Todesarten , des "différentes façon de mourir") sera sa dernière oeuvre et son unique roman, elle meurt des suites de l'incendie de son appartement dans des conditions mal élucidées. « Elle est la poétesse la plus intelligente et la plus importante que l'Autriche ait produite au cours de ce siècle », écrivit Thomas Bernhard à sa mort.

 Ingeborg Bachmann a laissé un grand nombre de manuscrits, de fragments dont certains ont été publiés à titre posthume, de journaux intimes, sa poésie, parfois abstraite, et la densité de son écriture constituent une véritable gageure pour les traducteurs : "Die gestundete Zeit" (Le temps en sursis, 1953), "Anrufung des Großen Bären" (L'incantation à la Grande Ourse, 1956), "Der gute Gott von Manhattan" (Le Bon Dieu de Manhattan, 1958), "Das dreißigste Jahr" (La trentième année, 1961), "Ein Ort für Zufälle" (Berlin, un lieu de hasards , 1965), "Simultan" (Trois sentiers vers le lac, 1972), "Das Buch Franza" (1979), "Frankfurter Verlesungen" (Leçons de Francfort, 1980), auxquels il faut ajouter les livrets de deux opéras de son ami le compositeur Hans Werner Henze (Der junge Lord (1964),  Der Prinz von Homburg) et une très importante correspondance avec Paul Celan (Herzzeit, 2008).


"Das dreißigste Jahr" (La trentième année, 1961)
Réunit 7 nouvelles : "Jeunesse dans une ville autrichienne" (Jugend in einer österreichischen Stadt), "La Trentième Année" (Das dreißigste Jahr), "Tout" (Alles), "Parmi les fous et les assassins" (Unter Mördern und Irren), "Du côté de Gomorrhe" (Ein Schritt nach Gomorrha), "La Vérité" (Ein Wildermuth), "Ondine s’en va" (Undine geht).
"Première œuvre romanesque d’Ingeborg Bachmann dans une nouvelle version de la traductrice (Marie-Simone Rollin). Les sept nouvelles qui composent ce recueil sont organiquement liées entre elles. La dernière, « Ondine s’en va », les résume et les regroupe. Malgré leurs turpitudes, leurs errements et leurs luttes, malgré la guerre dont les hommes ne sont pas encore libérés, Ondine choisit de chanter la gloire de ce monde. Car l’être humain est toujours à la recherche patiente d’un absolu. Prisonnier et conscient de sa prison, l’homme tend les mains vers une liberté qu’il sait impossible. Au terme d’une méditation lyrique sur les étapes de sa vie passée, il s’accepte pécheur." (Editions du Seuil)

 

"Malina" (1971)

L’histoire de vies douloureusement entrelacées. La narratrice viennoise anonyme traverse une crise professionnelle et personnelle. Elle participe aussi à un triangle amoureux composé de son amant, lvan, passionné et dont elle tente vainement d'être la compagne, et de son alter ego, Malina, dont elle devient dépendante et qui la phagocyte, conduisant peu à peu à son meurtre. De forme extrêmement expérimentale, Malina fut conçue comme l'ouverture d'une trilogie, jamais complétée et intitulée "Façons de mourir". L'intrigue est extraordinairement intériorisée, entièrement fondée sur la réponse affective de la narratríce à des événements que le lecteur ne découvre qu'indirectement. En utilisant un style fragmenté et parfois sibyllín parsemé d'instants profondément lyriques, Ingeborg Bachmann désirait explorer l'incapacíté du langage à exprimer nos émotions les plus profondes et à cette fin, s'est efforcée de créer une nouvelle prose globale. L'ambition est extrême, elle revisite les thèmes majeurs de la littérature autrichienne depuis le début du XXe siècle et en particulier la philosophie de Wittgenstein, met en scène toutes sortes de références, à Schoenberg, à Vienne, et s'interroge sur nos limites personnelles, telles que le rôle du sexe dans l'identité et la personnalité, l'énigme du temps et les impuissances du langage. 

 

"Après avoir fumé et bu à nouveau, compté les verres et mes cigarettes, économisant deux pour aujourd’hui, car il reste trois jours jusqu’à lundi, sans Ivan. Soixante cigarettes plus tard, cependant, Ivan est de retour à Vienne, d’abord il appellera le time service pour vérifier sa montre, puis composera 00 pour le service de réveil, qui téléphone juste en arrière, immédiatement après il s’endormira aussi vite qu’il peut faire seul, puis il se réveillera (avec le service) d’une humeur grincheuse il exprime toujours de différentes manières en utilisant des soupirs, des malédictions, des crises de colère, des plaintes. Ensuite, il a oublié d’être grincheux et a sauté dans la salle de bain pour se brosser les dents, se doucher et se raser. Il va allumer la radio et écouter les nouvelles du matin. C’est Radio Autriche. Les nouvelles. À Washington [...]

 

Mais Washington, Moscou et Berlin ne sont que des endroits impertinents qui essaient de se rendre importants. Dans mon pays, à Ungargassenland, personne ne les prend au sérieux ou les gens sourient simplement à de telles obtructions comme ils le feraient aux proclamations de jeunes pousses ambitieuses, ils ne peuvent plus avoir aucun impact sur ma vie, qui a une fois croisé celui de quelqu’un d’autre sur la Landstrasser Hauptstrasse devant un fleuriste dont je n’ai pas encore découvert le nom, et j’ai seulement arrêté de courir parce qu’il y avait un bouquet de lys turcs dans la fenêtre, rouge et sept fois plus rouge que rouge, jamais vu auparavant, et devant la fenêtre se tenait Ivan, je ne sais quoi d’autre était là, puisque je suis parti avec lui immédiatement, d’abord au bureau de poste sur la Rasumofskygasse, où nous avons dû attendre à deux guichets différents, lui à « Transferts » et moi à « Timbres », et cette première séparation était déjà si douloureuse qu’en reprenant Ivan à la sortie j’étais sans voix. Il n’avait pas à me demander quoi que ce soit parce que je ne doutais pas que je l’accompagnerais, que je rentrerais avec lui immédiatement et là, ce qui, à mon grand étonnement, n’était qu’à quelques portes de chez moi. Les frontières ont été bientôt définies, après tout seulement un petit pays a dû être établi, sans revendications territoriales ou même une constitution appropriée, une terre ivre avec seulement deux maisons que vous pouvez trouver dans l’obscurité, même pendant les éclipses totales (solaire et lunaire), et je sais par cœur combien de pas il faut, en diagonale, pour atteindre Ivan, je pourrais même y marcher les yeux bandés. Maintenant le reste du monde, où j’ai vécu jusqu’à présent — toujours dans la panique, la bouche pleine de coton, les marques d’étranglement sur mon cou — est réduit à sa petite insignifiance puisqu’il est opposé à quelque chose de vraiment puissant, même si cela consiste seulement à attendre et à fumer, Comme aujourd’hui, aucune partie de cette force n’est perdue.  Parce qu’il est tordu, je dois dérouler le cordon téléphonique dix fois, avec précaution, avec le récepteur suspendu au crochet, afin qu’il puisse à nouveau être manipulé facilement en cas d’urgence, de cette façon, je serai également en mesure de composer 72 68 93 avant que l’urgence ne se produise. Je sais que personne ne répondra, mais ce n’est pas important, tant que le téléphone d’Ivan sonne dans l’appartement sombre, je connais son emplacement exact, la sonnerie est destinée à être une annonce à tout ce qui est en sa possession : j’appelle, c’est moi. Et le lourd fauteuil profond l’entendra, où il aime s’asseoir, s’assoupissant soudainement pendant cinq minutes, et les placards et la lampe au-dessus du lit où nous nous couchons ensemble et ses chemises et costumes et les sous-vêtements qu’il aura jetés sur le sol pour que Frau Agnes sache ce qu’elle doit prendre à la lessive. Depuis que j’ai été capable de composer ce numéro, ma vie a finalement cessé de prendre des tours pour le pire, je ne me désagrège plus, je n’ai plus de problèmes dont je ne peux plus me sortir, je ne progresse plus et je ne dévie plus du chemin — parce que je retiens mon souffle, arrêter le temps, et appeler, fumer et attendre...."

 


 "Simultan" (Trois sentiers vers le lac, 1972)
Réunit 5 nouvelles : "Traduction simultanée" (Simultan), "Problèmes, problèmes" (Probleme Probleme), "Les Yeux du bonheur" (Ihr glücklichen Augen), "Aboiements" (Das Gebell), "Trois sentiers vers le lac" (Drei Wege zum See),  cinq histoires de femmes, rongées par un secret qu'elles n'osent avouer et qui errent, dans une inguérissable solitude, à la recherche d'une possibilité de survie....

 


Das Buch Franza (1979)

Dans Franza, qui s’intitula d’abord Roman sur les façons de mourir, Bachmann pousse sa critique de la brutalité sournoise de l’époux encore plus loin. En arrière-plan, il y a bien sûr la liaison entre elle et Max Frisch, qui se permit d’en livrer le récit dans un roman publié en 1964, Que mon nom soit Gantenbein. Dans Franza, un frère retrouve sa sœur dans le village de leur enfance, Galicien. Celle-ci est à bout de force, annihilée par l’entreprise de destruction de son mari psychanalyste dont elle a été l’objet et la victime pendant de nombreuses années. Bachmann présente ainsi son récit : « Ce livre raconte un crime. Je me suis souvent demandé, et vous aussi sans doute, où était passé le virus du crime. Il ne peut tout de même pas avoir disparu d’un seul coup de notre univers il y a une vingtaine d’années, simplement parce que le meurtre n’est plus de nos jours mis en valeur, exigé, récompensé par des médailles et encouragé. Certes les massacres sont du passé, les assassins sont encore parmi nous… En effet je prétends, et j’essaierai seulement d’en apporter une première preuve, qu’aujourd’hui encore un grand nombre d’êtres humains ne meurent pas mais qu’ils sont assassinés ». C’est à la littérature de faire prendre conscience au public que le virus du crime n’a pas disparu, mais qu’il opère de manière plus dissimulée, au sein du couple, dans les rapports entre parents et enfants, dans le monde de l’entreprise. Troublant passage d’ailleurs dans Franza où celle-ci, par désespoir, entre dans une rivière : « Elle n’était absolument pas en train de se noyer, elle était seulement entrée dans l’eau, on ne pouvait pas appeler cela autrement, ni faire autrement ici, pas question de se jeter dans la rivière, il n’y avait pas de ponts comme sur la Seine ni rien qui se prêtât à des chutes dramatiques… ». Quand on sait que ce récit fut composé en 1966, que Celan et Bachmann se connaissaient depuis 1948, et que celui-ci s’est jeté d’un pont de la Seine en 1970, on est pour le moins troublé par ce qui ressemble à une prémonition.

 


"Toute personne qui tombe a des ailes. Poèmes 1942-1967"
"Cette anthologie de son œuvre poétique a pour but de la révéler plus intimement, dans la vérité et l'acuité de sa démarche. La présente édition n'a d'ailleurs pas d'équivalent, même en pays germanique : elle présente l'œuvre lyrique dans sa continuité, des premiers poèmes composés par la jeune fille de seize ou dix-huit ans, inédits en français, et pour un certain nombre en allemand aussi, aux esquisses tardives, écrites jusqu'en 1967, mais publiées seulement en 2000 à titre posthume. ." (Édition et trad. de l'allemand (Autriche) par Françoise Rétif - Collection Poésie/Gallimard)


Paul Celan (1920-1970)
Paul Celan,  pseudonyme de Paul Antsche, est considéré comme le plus grand poète allemand de la deuxième moitié du XXe siècle.  Il est le poète du drame de l'extermination nazie avec son célèbre "Todesfuge" (Fin de la Fugue de la mort).
Il est né à Czernowitz (ancienne capitale de la Bucovine, la Jerusalem de l’Empire austro-hongrois, alors roumaine, désormais positionnée en Ukraine) dans une famille juive qui subit la déportation nazie dont il sera le seul survivant: il sera libéré par les Russes en 1944 d'une camp de travail forcé en Moldavie. Ingeborg Bachmann et Paul Celan se rencontrent en mai 1948, à Vienne, en Autriche, elle a 21 ans, il en a 27. Des années après, Celan écrira à Bachman : "Tu étais, quand je t'ai rencontrée, les deux pour moi : le sensuel et le spirituel. C'est à jamais inséparable, Ingeborg." Installé à Paris, naturalisé français en 1955, ayant épousé Gisèle de Lestrange,  il publie "Pavot et Mémoire" (Mohn und Gedächtnis), un recueil constitué en une grande partie des poèmes qu'il a offerts à Bachmann. En retour, elle lui envoie son premier recueil, "Le Temps en sursis". Une correspondance s'établit alors, dense, qui se poursuivra jusqu'à leur mort, le suicide de Celan en 1970 et la mort inexplicable de Bachmann en 1973. 

 

Was geschah? Der Stein trat aus dem Berge.
Wer erwachte? Du und ich.
Sprache, Sprache. Mit-Stern. Neben-Erde.
Ärmer. Offen. Heimatlich.
Wohin gings? Gen Unverklungen.
Mit dem Stein gings, mit uns zwein.
Herz und Herz. Zu schwer befunden.
Schwerer werden. Leichter sein.

Qu'est-il arrivé? La pierre est sortie de la montagne.
Qui s'est éveillé? Toi et moi.
Langue, langue. Etoile commune. Terre voisine.
Plus pauvre. Ouverte. Natale.
Où tout cela allait-il? Vers ce qui n'a pas fini de résonner.
Cela allait vers la pierre, avec nous deux.
Coeur et coeur. Trouvé trop lourd.
Devenir plus lourd. Être plus léger.

 


Celan restera marqué par le souvenir de l'extermination des Juifs et le sentiment de la persécution ne le quittera pas : injustement accusé de plagiat, il se jettera dans la Seine. Son oeuvre poétique compte nombre de recueils : "Die Niemandsrose" (La Rose de personne, 1963), "Mohn und Gedächtnis" (Pavot et Mémoire, 1952), "Von Schwelle zu Schwelle" (De Seuil en seuil, 1955), "Sprachgitter" (Grille de parole), "Atemwende" (Tournant du souffle, 1967), "Lichtzwang" (Contrainte de lumière, 1970), "Schneepart" (Part de neige, 1971), "Zeitgehöft" (Enclos du temps, 1976).

 

La poésie de Paul Celan est souvent perçue comme hermétique, les poèmes sont brefs, la syntaxe est parfois chaotique, les mots eux-mêmes peuvent être déformés, mais en fait cette apparente fragmentation obéit à une logique propre, une langage qui tente de se frayer un chemin par associations d'idées, fondamentalement hanté par cette identité juive livrée corps et âme à un monde hostile.

C'est 1952, dans "Pavot et Mémoire" (Mohn und Gedächtnis), que figure, parmi plus de 50 poèmes, "Fugue de mort" (Todesfuge), écrit en mai 1945, à Bucarest, trois mois après la libération du camp d'Auschwitz par l'Armée rouge le 27 janvier 1945. Lorsque le monde découvre l'étendue des atrocités de la Shoah, on a pu estimer que la littérature ne serait pas en capacité de transcrire de telles abominations, mais pour les écrivains juifs, en trouver une forme d'expression est un impératif. "Lait noir de l'aube nous te buvons la nuit", Paul Celan représente la mort sous les traits d'un commandant de camp qui fait danser ses prisonniers à côté de leurs propres tombes...

 

Schwarze Milch der Frühe wir trinken sie abends
wir trinken sie mittags und morgens wir trinken sie nachts
wir trinken und trinken
wir schaufeln ein Grab in den Lüften da liegt man nicht eng
Ein Mann wohnt im Haus der spielt mit den Schlangen der schreibt
der schreibt wenn es dunkelt nach Deutschland dein goldenes Haar Margarete
er schreibt es und tritt vor das Haus und es blitzen die Sterne er pfeift seine Rüden herbei
er pfeift seine Juden hervor läßt schaufeln ein Grab in der Erde
er befiehlt uns spielt auf nun zum Tanz

Schwarze Milch der Frühe wir trinken dich nachts
wir trinken dich morgens und mittags wir trinken dich abends
wir trinken und trinken
Ein Mann wohnt im Haus der spielt mit den Schlangen der schreibt
der schreibt wenn es dunkelt nach Deutschland dein goldenes Haar Margarete
Dein aschenes Haar Sulamith wir schaufeln ein Grab in den Lüften da liegt man nicht eng
Er ruft stecht tiefer ins Erdreich ihr einen ihr andern singet und spielt
er greift nach dem Eisen im Gurt er schwingts seine Augen sind blau
stecht tiefer die Spaten ihr einen ihr andern spielt weiter zum Tanz auf

Lait noir de l'aube nous le buvons le soir
le buvons à midi et le matin nous le buvons la nuit
nous buvons et buvons
nous creusons dans le ciel une tombe où l'on n'est pas serré
Un homme habite la maison il joue avec les serpents il écrit
il écrit quand il va faire noir en Allemagne Margarete tes cheveux d'or
écrit ces mots s'avance sur le seuil et les étoiles tressaillent il siffle ses grands chiens
il siffle il fait sortir ses juifs et creuser dans la terre une tombe
il nous commande allons jouez pour qu'on danse

 

Lait noir de l'aube nous te buvons la nuit
te buvons le matin puis à midi nous te buvons le soir
nous buvons et buvons
Un homme habite la maison il joue avec les serpents il écrit
il écrit quand il va faire noir en Allemagne Margarete tes cheveux d'or
Tes cheveux cendre Sulamith nous creusons dans le ciel une tombe où l'on n'est pas serré
Il crie enfoncez plus vos bêches dans la terre vous autres et vous chantez jouez
il attrape le fer à sa ceinture il le brandit ses yeux sont bleus
enfoncez plus les bêches vous autres et vous jouez encore pour qu'on danse


"Mohn und Gedächtnis" (1952, Pavot et Mémoire)

"Pavot et Mémoire" est le premier des neuf recueils dont se compose l'œuvre poétique de Celan. Auparavant, en 1948. avait paru à Vienne, où le poète a séjourné quelques mois avant de rejoindre Paris, un autre recueil, "Le Sable des urnes" (Der Sand aus den Urnen). Ce petit livre a été retiré de la circulation et Celan en a retenu en 1952 la seconde partie seulement qui, passée dans le recueil, a perdu son titre, et ont été retranchés tous les poèmes datant de Bucovine ou des camps de travail de Moldavie, d`avant l'époque où le poète s'était installé pour un temps à Bucarest, après la guerre. Mais les poèmes d`avant 1945 sont maintenant accessibles et ils remontent pour certains jusqu'à ses études en France, quand il avait dix-huit ans (1938-39), et permettent de prendre la mesure de l'élaboration d'une contre-langue au sein de la langue de ses modèles poétiques, comme Rilke, qu'il a commencé par imiter avec d`autres, avant d`en transformer la matière en profondeur. Le choix du recueil de 1952 traduit une nouvelle exigence. Il a écrit à Bucarest en 1945 "Fugue de mort" (Todesfuge), le chant dont les accents insistants et entraînants ont le plus contribué à lui valoir un début de célébrité en Allemagne. dans les années 50. Encore faut-il ne pas s`en tenir à la complainte. ni lire seulement la protestation désespérée d'une victime élevant sa voix devant l`immensité du crime, c'est aussi un manifeste dans lequel le poète a su faire dire à la mélodie qu`il emprunte, allemande et juive, qu'il avait réussi à pénétrer dans la langue des bourreaux nazis pour venger les morts. La langue poétique que lui avait fait connaitre sa mère, tuée en 1942 par les Allemands, était elle-même complice dans sa beauté, des exterminations. 

Les débuts en poésie, dans la première migration d`Est en Ouest. dans les livres puis dans les lieux, de Bucarest à Vienne (cycle l), s`appuient sur ce rejet interne à la langue. Une tradition immense est maîtrisée, reprise pour être dénoncée et retournée dans un dépassement radical. Ce travail de réfection va s'affiner sur les voies de I'exil de Vienne à Paris (1943), que traduisent le Cycle lll, "Contre-jour", et le cycle lV, "Les Chaumes de la nuit".  Le poème "Sur la haute mer" formule une profession de foi liée à son nouveau lieu de séjour, il y restera jusqu'à sa mort ...

 

Todesfuge

Schwarze Milch der Frühe wir trinken sie abends

wir trinken sie mittags und morgens wir trinken sie nachts

wir trinken und trinken

wir schaufeln ein Grab in den Lüften da liegt man nicht eng

Ein Mann wohnt im Haus der spielt mit den Schlangen der schreibt

der schreibt wenn es dunkelt nach Deutschland

dein goldenes Haar Margarete

 

er schreibt es und tritt vor das Haus und es blitzen die Sterne

er pfeift seine Rüden herbei

er pfeift seine Juden hervor läßt schaufeln ein Grab in der Erde

er befiehlt uns spielt auf nun zum Tanz

 

Schwarze Milch der Frühe wir trinken dich nachts

wir trinken dich morgens und mittags wir trinken dich abends

wir trinken und trinken

Ein Mann wohnt im Haus der spielt mit den Schlangen der schreibt

der schreibt wenn es dunkelt nach Deutschland

dein goldenes Haar Margarete

Dein aschenes Haar Sulamith

 

wir schaufeln ein Grab in den Lüften da liegt man nicht eng

 

Er ruft stecht tiefer ins Erdreich ihr einen ihr andern singet und spielt

er greift nach dem Eisen im Gurt er schwingts seine Augen sind blau

stecht tiefer die Spaten ihr einen ihr anderen spielt weiter zum Tanz auf

 

Schwarze Milch der Frühe wir trinken dich nachts

wir trinken dich mittags und morgens wir trinken dich abends

wir trinken und trinken

ein Mann wohnt im Haus dein goldenes Haar Margarete

dein aschenes Haar Sulamith er spielt mit den Schlangen

 

Er ruft spielt süßer den Tod der Tod ist ein Meister aus  Deutschland

er ruft streicht dunkler die Geigen dann steigt ihr als Rauch in die Luft

dann habt ihr ein Grab in den Wolken da liegt man nicht eng

 

Schwarze Milch der Frühe wir trinken dich nachts

wir trinken dich mittags der Tod ist ein Meister aus Deutschland

wir trinken dich abends und morgens wir trinken und trinken

der Tod ist ein Meister aus Deutschland sein Auge ist blau

er trifft dich mit bleierner Kugel er trifft dich genau

ein Mann wohnt im Haus dein goldenes Haar Margarete

er hetzt seine Rüden auf uns er schenkt uns ein Grab in der Luft

er spielt mit den Schlangen und träumet der Tod ist ein Meister aus

Deutschland  

 

dein goldenes Haar Margarete

dein aschenes Haar Sulamith

 


Nelly Sachs (1891-1970)

"Völker der Erde, / zerstöret nicht das Weltall der Worte, / zerschneidet nicht mit den Messern des Hasses / den Laut, der mit dem Atem zugleich geboren wurde" - Un des grands noms de la poésie allemande contemporaine, née à Berlin et morte à Stockholm, issue de la bourgeoisie israélite berlinoise, Nelly Sachs a une enfance facile, écrit ses premiers poèmes à dix-sept ans et rêve de devenir danseuse.  Mais en 1933 commence pour elle et sa famille "sept années de terreur hitlérienne": "Vivre sous la menace : croupir dans une tombe ouverte sans trouver la mort [...] Un ciel qui se reflète dans une boucle de ceinturon rutilante...". C'est à Selma Lagerlöf et à ses relations dans les milieux officiels suédois qu'elle doit de pouvoir quitter l'Allemagne nazie en 1940. Elle et sa mère trouvent alors refuge à Stockholm. Ce sont, dira-t-elle, "ces années de souffrance tournées vers la mort" qui ont fait d'elle un poète authentique. C'est à Berlin, au plus fort des persécutions nazies, que sont nés les poèmes qui composeront le premier recueil de Nelly Sachs, "Dans les demeures de la mort" (In den Wohnungen des Todes, 1946) : quarante-huit textes comme "des épitaphes gravées dans le vide" (Grabschriften in die Luft geschrieben), qui parlent au pluriel des orphelins, des bourreaux, des martyrs, dans un langage biblique ou tout est symbole de l'éphémère : cendres, sables, ombres et poussière. La première personne grammaticale n'apparaît qu'une seule fois, dans la "Prière pour le fiancé défunt" (Gebete für den toten Bräutigam) : "Si seulement je savais / Sur quoi s'est posé ton dernier regard. / Etait-ce une pierre, déjà gorgée / De tant d'ultimes regards, qui aveuglément / Tombèrent sur l'aveugle?" (Wenn ich nur wüsste, / Worauf dein letzter Blick ruhte. / War es ein Stein, der schon viele letzte Blicke /Getrunken hatte, bis sie in Blindheit / Auf den Blinden fielen?) ..

En Allemagne, c’est la maison d’édition Ostberliner Aufbau-Verlag qui publie dès 1947 un recueil de ses poèmes. En République fédérale d’Allemagne, ses travaux n’ont attiré l’attention que dix ans plus tard...

De la même époque que ce premier recueil date le "poème scénique" intitulé "Eli, ein Mysterienspiel vom Leiden Israels", nourrie de mystique juive à travers les livres de Martin Buber et Gerschom Scholern. Nelly Sachs situe l'histoire dans un petit village de Pologne, au lendemain de la guerre, dans une region ou sont restées vivantes les traditions hassidiques. Les évenements tragiques - les atrocités commises par les nazis, comme l'assassinat d'Eli, un garçon de huit ans - ne sont pas représentés, mais rapportés sur le mode épique par des témoins, des survivants. Le personnage principal est Michaël. le cordonnier. dont on dit, selon la légende hassidique, qu`il est peut-être l'un des "Justes", et qui veut retrouver le meurtrier d'Eli. Cette recherche, qui est en même temps quête intérieure, constitue le seul ressort dramatique d'un récit qui, dans sa forme, rappelle à maints égards le drame sacré de la littérature chrétienne.

Le titre suivant, "Sternverdunkelung" (1949) fait encore écho aux horreurs de l'hitlérisme. La fumée qui s`échappait des fours crematoires jour et nuit voilait aux yeux des martyrs le soleil et les étoiles. Hymnes amples el solennels articulés autour des mêmes vers répétés, - "Quand le sommeil, telle la fumee, s'insinue / dans le corps... " -, et "Und niemand weiß weiter" (1957). 

 

"O die Schornsteine" - Lorsque Nelly Sachs fait précéder son poème d’une devise du livre de Job de l’Ancien Testament, elle demande indirectement le sens de la souffrance humaine ...

 

Und wenn diese meine Haut zerschlagen sein wird,

so werde ich ohne mein Fleisch Gott schauen.

Hiob [Kap. 19, V. 26]

 

O die Schornsteine

Auf den sinnreich erdachten Wohnungen des Todes,

Als Israels Leib zog aufgelöst in Rauch

Durch die Luft –

Als Essenkehrer ihn ein Stern empfing

Der schwarz wurde

Oder war es ein Sonnenstrahl?

 

O die Schornsteine

Freiheitswege für Jeremias und Hiobs Staub –

Wer erdachte euch und baute Stein auf Stein

Den Weg für Flüchtlinge aus Rauch?

 

O die Wohnungen des Todes,

Einladend hergerichtet

Für den Wirt des Hauses, der sonst Gast war –

O ihr Finger,

Die Eingangsschwelle legend

Wie ein Messer zwischen Leben und Tod –

 

O ihr Schornsteine,

O ihr Finger

Und Israels Leib im Rauch durch die Luft!

 

"Flucht und Verwandlung" (1959) marque une évolution dans le lyrisme de Nelly Sachs, l`exil, la fuite, l'éphémère constituent une exigence à laquelle il nous appartient de satisfaire : « Un étranger porte toujours / son pays dans ses bras / comme un orphelin / pour lequel peut-être il ne cherche / rien d`autre qu'une tombe..." (Ein Fremder hat immer / seine Heimat im Arm / wie eine Waise / für die er vielleicht nichts / als ein Grab sucht) - "Der Tod war mein Lehrmeister. Wie hätte ich mich mit etwas anderem beschäftigen können, meine Metaphern sind meine Wunden. Nur daraus ist mein Werk zu verstehen", la mort était mon maître, comment aurais-je pu m’occuper d’autre chose, mes métaphores sont mes blessures, c’est la seule façon de comprendre mon oeuvre.... "Fahrt ins Staublose" (1961) ou "Teile dich Nacht" (1970) laissent place à un certain espoir..

 

Sous le titre de"Zeichen im Sand" 1962 sont réunis des "poèmes scéniques" écrits entre 1955 et 1962 : "Der magische Tänzer (1955), "Vergehens an einem Scheiterhaufen" (1958), "Der Stumme und die Möwe" (1962). Nelly Sachs resta longtemps méconnue et ce n'est que presque dix ans après la parution de son premier recueil lyrique que son oeuvre commencera de toucher le grand public. Enzensberger, lecteur des éditions Suhrkamp, contribua à répandre les textes de la poétesse. Elle atteignit le sommet de la renommée en 1966, en recevant, avec Shmuel Yosef Agnon (1888-1970), le prix Nobel de littérature...

 


Ilse Ainchinger (1921-2016)
Ilse Ainchinger a affronté dès son enfance les persécutions et la menace d'extermination : elle connaît ainsi dans sa chair cette "perte définitive du lieu habitable" ("Das Ende des Wohnens", "Der Boden unter den Füßen" (Le sol sous nos pieds), "Wo ich wohne"), la rupture des liens familiaux, le sentiment de n'être plus que jouet au gré du hasard, des périls et des frêles espoirs. Se construit ainsi un autre monde pour résister à la dissolution de tout son être. L'écriture comme le rêve permettent d'organiser sa survie : "le propre du rêve n’est pas son contenu, mais la lumière dans laquelle il est rêvé. Cette lumière demeure, quand on s’éveille.."

Née à Wien, d’une mère médecin et d’un père professeur, Ilse Aichinger termine sa scolarité au moment de l'Anschluss (mars 1938) et, sa mère étant juive, se voit refuser l’accès à l’université. Son père, duquel elle était séparée, non juif, ne put intervenir pour protéger la plupart des membres de sa famille maternelle qui furent déportés et périrent dans les camps de concentration. Sa mère et Ilse Aichinger parviennent à échapper à ce drame, et cette dernière est réquisitionnée pour travailler dans les services sanitaires de l’armée. Toutes deux survivent ainsi quasiment recluses: elles vécurent pendant six ans à deux pas du quartier général de la Gestapo de Vienne. Après la guerre, elle abandonne son projet de devenir médecin et devient écrivain comme pour exorciser ces quelques années de ténèbres : son premier roman "Die größere Hoffnung" (1948) met en oeuvre une méthode d'écriture oscillant entre rêve et réalité, qui l'apparente au surréalisme. Elle persévère dans ce "monde intermédiaire" avec le "Discours au pied de l'échafaud" (Rede unter dem Galgen) paru en Autriche en 1952, publié en 1953 en Allemagne fédérale sous le titre "L'Homme ligoté" (Der Gefesselte) : parmi les différentes nouvelles qui figure dans cet ouvrage, "Récit dans un miroir" est consacré par le Groupe 47 et lui apporte la renommée. En 1953, Ilse Aichinger épouse Günter Eich et vit en Bavière jusqu'en 1972. Puis retirée à Wien, ses œuvres complètes paraissent en 1991, dont des textes souvent énigmatiques en prose, poèmes ou pièces radiophoniques :  "Aufruf zum Mißtrauen" (Appel à la méfiance, 1946), "À aucune heure" (Zu keiner Stunde, 1957), "Visite au presbytère" (Besuch im Pfarrhaus, 1961), "Wo ich wohne" (1963), "Eliza, Eliza" (1965), "Kleist, Moos, Fasane" (Kleist, Moos, Fasane, 1965), "les Mauvais Mots" (Schlechte Wörter, 1976).

 

"Le Grand Espoir" (Die größere Hoffnung, 1948)
Le personnage principal, Ellen, est une adolescente juive dont la mère a émigré et dont le père s'est mis au service du national-socialisme. Le rêve d'Ellen, qui a décidé de porter l'étoile juive, bien que n'y étant pas forcée, reste l'émigration. Mais ce grand espoir sera déçu et Ellen n'échappera à ce monde en plein affrontement que par le suicide.