Mary Shelley (1797-1851), "Frankenstein ou le Prométhée moderne" (1818), "The Last Man" (1826),  - Thomas Love Peacock (1785-1866), "Nightmare Abbey" (1818) - ...

Last update 12/19/2016


"There is something at work in my soul, which I do not understand" - Si le roman gothique est bien établi, depuis la fin du XVIIIe siècle, depuis Horace Walpole (1764), Ann Radcliffe (1794), Matthew Lewis (1796) et le célèbre "Homme au sable" tiré des Contes Nocturnes d'Hoffmann (1817), si les thèmes tournant autour du pouvoir de l'esprit, des limites de l'imagination, ingrédients fusionnant avec bien des interrogations sur la société de l'époque, - aristocrates corrompus, luttes sanglantes -, c'est à Mary Shelley que l'on doit, avec "Frankenstein" (1818), la transformation définitive et radicale du genre du roman gothique : celui-ci, forme narrative extrêmement populaire des années 1760 (Horace Walpole) aux années 1820, en appelle à la persécution, à la malédiction, à la hantise de l'exil et de la solitude à une époque socialement incertaine et marquée par des bouleversements conséquents. On ne peut oublier que Frankenstein n'est pas le nom du monstre mais de son créateur : la monstruosité est  d'abord celle de Victor Frankenstein, artiste et scientifique de génie qui renverse à sa façon bien des hypothèses de la société en faisant de son monde et de celui de son monstre Le monde "réel" du monde quotidien

Que cette Créature n'ait pas de nom, qu'elle soit dépourvue de toute individualité et qu'elle appartienne toute entière à son Créateur, peut en effet évoquer, ainsi que certains critiques l'ont fait remarquer, compte tenu de l'époque,  ce  « misérable défiguré » qui symbolise le prolétariat industriel émergeant en ce début début du XIXe siècle : Frankenstein et son monstre seraient bien né d'une même peur, celle de la "civilisation bourgeoise" ... Au cours de leurs efforts systématiques pour comprendre la Révolution française et son issue dans le despotisme napoléonien, Mary et Percy Shelley ont lu non seulement les œuvres de radicaux comme Thomas Paine, Mary Wollstonecraft et William Godwin, mais aussi des conservateurs et des Jacobins, dont Burke dont le ton mélodramatique dénonçait alors Révolution comme une «espèce de monstre politique, qui a toujours fini par dévorer ceux qui l’ont produite». Et entre 1796 et 1802, alors que la réaction conservatrice contre lui était à son apogée, Godwin, le père de Mary, a été dépeint comme un diable odieux et terrifiant, déterminé à détruire la société en essayant de la réformer en utilisant des principes impies. Au cours des années 1830, on a oublié que cette étiquette de  « monstre » a commencé à s’appliquer aux forces collectives qui se rassemblaient pour contester la domination des classes supérieures au Parlement :  la classe ouvrière. Mais l'on sait que c'est le propre des mythes d'être sans cesse réinterprétés, mythe prométhéen du savant, dans son désir d'égaler un dieu créateur, puis du monstre, emporté par sa tentation d'égaler l'homme...

Aussi, c'est la notion "prométhéenne" que l'on retiendra un siècle plus tard, notre savant, inspiré par la philosophie occulte, tente de développer une créature artificielle et nos sociétés modernes de dévier l'ordre chaotique des choses en leur substituant un environnement contre nature ...

"Un éclair illumina cette apparition! J'avais sous les yeux le misérable, le démon immonde à qui j'avais donné la vie.."  L'idée du roman serait venue à Mary Shelley une nuit d'orage, lors d'une soirée au coin du feu avec Byron ...


Mary Shelley (1797-1851)
Née à à Somers Town, un faubourg de Londres, fille unique de deux écrivains, William Godwin, pamphlétaire libertaire et romancier à succès de "Caleb Williams" (1794), et Mary Wollstonecraft, féministe à la vie tumultueuse, qui meurt peu après sa naissance, Mary vit en Ecosse jusqu'en 1814, ivrée à elle-même, retourne à Londres et rencontre Percy Bysshe Shelley, déjà marié : elle a dix-huit ans, il a vingt-trois ans, tous s'enfuient en Europe et se marient en 1816. Leur destin est marqué par le drame et la passion, un seul de leurs quatre enfants survit et Percy meurt noyé en 1822. C'est au cours de l'été 1816 qu'elle passe au bord du lac Léman en compagnie de Percy, de lord Byron et du Dr Polidori, et suite à des lectures communes d'histoires allemandes de revenants, qu'elle imagine "Frankenstein, or the Modern Promethus", qui sera publié en 1818. C'est Byron qui avait suggéré un concours d’histoires de fantômes et lui-même écrira « A Fragment », qui a ensuite inspiré son médecin John Polidori à écrire « The Vampyre : A Tale ». Mary terminera, quant à elle, son histoire en Angleterre...

 

"What terrified me will terrify others" - Mary Shelley, dans sa Préface au roman, nous fait le récit de cette singulière intuition littéraire ...

"Nous écrirons chacun une histoire de fantôme (We will each write a ghost story), dit Lord Byron, et sa proposition fut acceptée. Nous étions quatre" : mais aucun, de Byron, de Shelley ou Polidori ne parvient à produire une histoire qui puisse se tenir ...

(I busied myself to think of a story, – a story to rival those which had excited us to this task) Je m'efforçai de trouver une histoire, une histoire qui rivaliserait avec celles qui nous avaient poussés à nous atteler à cette tâche. Une histoire qui parlerait aux peurs mystérieuses de notre nature et qui éveillerait une horreur palpitante (One which would speak to the mysterious fears of our nature and awaken thrilling horror) - une histoire qui ferait redouter au lecteur de regarder autour de lui, qui glacerait le sang et accélérerait les battements du cœur (one to make the reader dread to look round, to curdle the blood, and quicken the beatings of the heart). Si je n'y parvenais pas, mon histoire de fantômes serait indigne de son nom. J'ai pensé et réfléchi - en vain. Je ressentais cette incapacité d'invention qui est le plus grand malheur de l'auteur, lorsque rien ne répond à nos invocations anxieuses.

Avez-vous pensé à une histoire ? me demandait-on chaque matin, et chaque matin j'étais forcé de répondre par la négative ... L'inventivité, il faut le reconnaître humblement, ne consiste pas à créer à partir du vide, mais à partir du chaos ; les matériaux doivent d'abord être fournis : elle peut donner une forme à des substances sombres et informes, mais ne peut pas faire naître la substance elle-même. Dans toutes les questions de découverte et d'invention, même celles qui relèvent de l'imagination, on nous rappelle sans cesse l'histoire de Colomb et de son œuf ...

Les conversations entre Lord Byron et Shelley, auxquelles je prêtais une oreille attentive mais presque silencieuse, étaient nombreuses et longues. Au cours de l'une d'entre elles, ils discutèrent de diverses doctrines philosophiques, et notamment de la nature du principe de la vie et de la probabilité qu'il soit un jour découvert et communiqué. On parla des expériences du docteur Darwin  (je ne parle pas de ce que le docteur a réellement fait, ou dit qu'il a fait, mais, ce qui m'intéresse davantage, de ce qu'on disait alors qu'il avait fait), qui avait conservé un morceau de vermicelle dans une boîte en verre, jusqu'à ce que, par un moyen extraordinaire, il se mette à bouger volontairement (who preserved a piece of vermicelli in a glass case, till by some extraordinary means it began to move with voluntary motion). Ce n'est pas ainsi, après tout, que l'on donnerait la vie. Peut-être un cadavre serait-il réanimé ; le galvanisme en avait donné des signes ; peut-être les parties constitutives d'une créature pourraient-elles être fabriquées, réunies et dotées d'une chaleur vitale (Perhaps a corpse would be re-animated; galvanism had given token of such things: perhaps the component parts of  a creature might be manufactured, brought together, and endued with vital warmth). 

(Night waned upon this talk, and even the witching hour had gone by, before we retired to rest. When I placed my head on my pillow, I did not sleep, nor could I be said to think. My imagination, unbidden, possessed and guided me, gifting the successive images that arose in my mind with a vividness far beyond the usual bounds of reverie). La nuit tomba sur cette conversation, et même l'heure de la sorcellerie était passée avant que nous ne nous retirions pour nous reposer. Lorsque j'ai posé ma tête sur l'oreiller, je n'ai pas dormi, et l'on peut dire que je n'ai pas réfléchi. Mon imagination, à l'improviste, me possédait et me guidait, donnant aux images successives qui surgissaient dans mon esprit une vivacité qui dépassait de loin les limites habituelles de la rêverie...

(I saw – with shut eyes, but acute mental vision – I saw the pale student of unhallowed arts kneeling beside the thing he had put together. I saw the hideous phantasm of a man stretched out, and then, on the working of some powerful engine, show signs of life, and stir with an uneasy, half-vital motion. Frightful must it be; for supremely frightful would be the effect of any human endeavour to mock the stupendous mechanism of the Creator of the world). J'ai vu - les yeux fermés, mais avec une vision mentale aiguë - j'ai vu le pâle étudiant des arts impies s'agenouiller à côté de l'objet qu'il avait assemblé. J'ai vu le fantasme hideux d'un homme étendu, puis, sous l'action d'un puissant moteur, montrer des signes de vie et s'agiter d'un mouvement inquiet, à demi-vital. Ce devait être effrayant, car l'effet d'une tentative humaine de se moquer du stupéfiant mécanisme du Créateur du monde serait extrêmement effrayant. 

(His success would terrify the artist; he would rush away from his odious handywork, horror-stricken. He would hope that, left to itself, the slight spark of life which he had communicated would fade; that this thing, which had received such imperfect animation would subside into dead matter; and he might sleep in the belief that the silence of the grave would quench forever the transient existence of the hideous corpse which he had looked upon as the cradle of life) Son succès terrifierait l'artiste ; il se précipiterait, horrifié, loin de son odieux travail. Il espérait que, livrée à elle-même, la légère étincelle de vie qu'il avait communiquée s'éteindrait ; que cette chose, qui avait reçu une animation si imparfaite, s'affaisserait en matière morte ; et il pourrait dormir dans la croyance que le silence de la tombe éteindrait à jamais l'existence éphémère du hideux cadavre qu'il avait regardé comme le berceau de la vie. (He sleeps; but he is awakened; he opens his eyes; behold, the horrid thing stands at his bedside, opening his curtains and looking on him with yellow, watery, but speculative eyes) Il dort ; mais il est réveillé ;  il ouvre les yeux ; voici que l'horrible chose se tient à son chevet, ouvrant ses rideaux et le regardant avec des yeux jaunes, larmoyants, mais interrogateurs.

(I opened mine in terror. The idea so possessed my mind, that a thrill of fear ran through me, and I wished to exchange the ghastly image of my fancy for the realities around) J'ai ouvert le mien avec terreur. L'idée possédait tellement mon esprit qu'un frisson de peur m'a traversé, et j'ai voulu échanger l'image effroyable de ma fantaisie contre les réalités environnantes. (I see them still; the very room, the dark parquet, the closed shutters, with the moonlight struggling through, and the sense I had that the glassy lake and white high Alps were beyond. I could not so easily get rid of my hideous phantom; still it haunted me. I must try to think of something else. I recurred to my ghost story ..)

Je les vois encore ; la chambre même, le parquet sombre, les volets fermés, avec le clair de lune qui se faufilait à travers, et l'impression que j'avais que le lac vitreux et les hautes Alpes blanches étaient au-delà. Je ne pouvais pas me débarrasser aussi facilement de mon hideux fantôme ; il me hantait toujours. Je devais essayer de penser à autre chose. Je revins à mon histoire de fantôme ...

Oh ! si je pouvais seulement en inventer une qui effraierait mon lecteur comme j'avais été effrayé moi-même cette nuit (O! if I could only contrive one which would frighten my reader as I myself had been frightened that night!) ..."


L'ouvrage possède tous les ingrédients du roman gothique, mais l'horreur et la terreur ne résident pas ici dans le monstre lui-même, mais dans l'esprit de son créateur, l'homme qui donne vie à un "cadavre démoniaque". On oubliera très vite la filiation de Frankenstein avec ce courant littéraire qui, à travers Shelley (Prometheus Unbound, 1820), Coleridge (The Rime of the Ancient Mariner, 1798), (Byron Manfred, 1816), s'interroge avec angoisse sur sa condition humaine dans un monde qui semble le rejeter tant au niveau social qu'au niveau de l'imagination, et qui ne conçoit, pour y répondre, que tragédie et horreurs, dans le secret de son "laboratoire" intellectuel.. 

A la mort de Percy, Mary Shelley quittera l'Italie pour revenir en Angleterre et se consacrer à la littérature. "Frankenstein" sera traduit pour la première fois en français par Jules Saladin, en 1821. Parmi les autres romans de Mary Shelley figurent "The Last Man", une histoire dystopique se déroulant au XXIe siècle et qui contient une description singulière de la destruction de larace humaine (1826), "Perkin Warbeck" (1830), "Lodore" (1835), une biographie, et "Falkner" (1837). En plus de contribuer à de nombreux récits et essais dans des publications comme le Keepsake et la Westminster Review, elle a contribué à de nombreux essais biographiques pour le Cabinet Cyclopaedia de Lardner (1835, 1838-1839). Mary Shelley meurt à Londres le 1er février 1851...

(Portrait de Mary Shelley par Richard Rothwell, 1840).


Frankenstein; or, The Modern Prometheus (1818)
Victor Frankenstein défit l'ordre du monde et la loi divine en s'arrogeant la capacité de créer un homme : " Frightful must it be; for supremely frightful would be the effect of any human endeavour to mock the stupendous mechanism of the Creator of the world", écrira Mary Shelley. Mais la créature fait très rapidement horreur à son créateur et le monstre sans nom se retrouve condamné à la solitude, à la vengeance et à l'anéantissement final dans les glaces. Le 1er août 17.., alors qu'il effectue un voyage d'exploration dans l'océan Arctique, le capitaine R. Walton, commandant l'"Albatros", recueille à son bord un naufragé à demi-mort de froid, dérivant sur un banc de glace. Le rescapé lui fait le récit de sa vie et lui confie son terrible secret…


"Ce fut dans cet état d'esprit que j'entrepris la création d'un être humain. Les dimensions réduites de certaines parties du corps de l'homme m'empêchèrent d'avancer rapidement dans mon travail. Aussi je décidai, au rebours de ma première intention, de mettre au point une créature de stature gigantesque : il aurait plus ou moins huit pieds de haut et sa carrure serait en proportion de sa taille. Cette décision prise, je passai plusieurs mois à rechercher et à se préparer mon matériel et je me mis au travail.  

 

" It was with these feelings that I began the creation of a human being. As the minuteness of the parts formed a great hindrance to my speed, I resolved, contrary to my first intention, to make the being of a gigantic stature; that is to say, about eight feet in height, and proportionally large. After having formed this determination and having spent some months in successfully collecting and arranging my materials, I began.

 

"Personne ne peut concevoir la diversité des sentiments qui, dans le, feu de l'enthousiasme, me poussèrent en avant, telle une tornade. La vie et la mort m'apparaissaient comme des limites idéales qu'il y avait lieu de surmonter avant de répandre sur le monde obscur un torrent de lumière. Une espèce nouvelle me bénirait comme son créateur. J'allais donner la vie à des multiples créatures bonnes et généreuses, et nul père n'allait plus que moi mériter la gratitude de ses enfants. Dans le cours de mes réflexions, germait l'idée que si je pouvais animer la matière inerte (ce qui, plus tard, allait devenir impossible) je serais aussi à même un jour de redonner la vie à un corps apparemment voué à la décomposition.

 

"No one can conceive the variety of feelings which bore me onwards, like a hurricane, in the first enthusiasm of success. Life and death appeared to me ideal bounds, which I should first break through, and pour a torrent of light into our dark world. A new species would bless me as its creator and source ; many happy and excellent natures would owe their being to me. No father could claim the gratitude of his child so completely as I should deserve theirs. Pursuing these reflections, I thought, that if I could bestow animation upon lifeless matter, I might in process of time (although I now found it impossible) renew life where death had apparently devoted the body to corruption. 

 

Ces pensées me soutenaient, tandis que je poursuivais ma tâche avec un acharnement infatigable. À cause de mes études, mes traits étaient devenus pâles et j'avais fortement maigri. Parfois, sur le point de réussir, j'essuyais un échec mais je me raccrochais toujours à l'espoir que, le jour suivant, les heures suivantes verraient la réalisation de mes projets. Le secret que j'étais seul à posséder m'occupait tout entier et la lune assistait à mon travail nocturne, tandis qu'avec obstination et impatience je sondais les mystères de la nature. Qui pourrait imaginer l'horreur de mon labeur secret lorsque je profanais l'humidité des tombes ou torturais quelque animal vivant pour arracher la vie à la matière inerte ? En y pensant, j'en tremble et mon regard se trouble. Mais une rage irrésistible, la frénésie me poussait en avant. Il semblait que toutes mes sensations n'existaient qu'en fonction de ce but. Mais ce n'était qu'une transe passagère et, quand cette excitation démesurée cessait d'opérer, je revenais à mes anciennes habitudes. Je réunissais les os dans les charniers et mes doigts immondes violaient les extraordinaires secrets du corps humain.

 

"These thoughts supported my spirits, while I pursued my undertaking with unremitting ardour. My cheek had grown pale with study, and my person had become emaciated with confinement. Sometimes, on the very brink of  certainty, I failed ; yet still I clung to the hope which the next day or the next hour might realise. One secret which I alone possessed was the hope to which I had dedicated myself; and the moon gazed on my midnight labours, while, with unrelaxed and breathless eagerness, I pursued nature to her hiding-places. Who shall conceive the horrors of my secret toil, as I dabbled among the unhallowed damps of the grave, or tortured the living animal to animate the lifeless clay ? My limbs now tremble, and my eyes swim with the remembrance ; but then a resistless, and almost frantic, impulse, urged me forward ; I seemed to have lost all soul or sensation but for this one pursuit. It was indeed but a passing trance, that only made me feel with renewed acuteness so soon as, the unnatural stimulus ceasing to operate, I had returned to my old habits. I collected bones from charnel-houses ; and disturbed, with profane fingers, the tremendous secrets of the human frame ...."

 


Frankenstein est l`histoire d'un savant de ce nom qui construisit un être humain sans âme à l`aide de parties de différents corps, provenant des cimetières et des chambres mortuaires. Le monstre est très fort, animé de passions animales et doué de vie active, mais il lui manque l' "étincelle divine". Il ressent le besoin d`amour et de sympathie physiques, mais tous l`évitent. Il est puissant dans le mal, conscient de ses défauts et de ses difformités. ll essaie de faire tout le mal possible au jeune savant qui l`a créé : Frankenstein. Comme Mary Wollstonecraft n`a donné aucun nom à son monstre, les lecteurs finiront par l`appeler du

nom de son créateur. Le monstre sent combien il diffère des êtres humains ; il se venge en tuant l'ami, le frère et la femme de Frankenstein. Il essaye même de tuer le savant, mais celui-ci parvient à se sauver. Le monstre se réfugie loin de toute présence humaine dans les régions désertes de l`Arctique. Frankenstein l`y cherche pour le tuer ; mais c'est lui qui sera tué par le monstre, qui disparaît ensuite. Le livre se termine sur cette disparition.... 

 

"When I recovered, I found myself surrounded by the people of the inn j their countenances expressed a breathless terror : but the horror of others appeared only as a mockery, a shadow of the feelings that oppressed me. I escaped from them to the room where lay the body of Elizabeth, my love, my wife, so lately living, so dear, so worthy. She had been moved from the posture in which I had first beheld her ; and now, as she lay, her head upon her arm, and a handkerchief thrown across her face and neck, I might have supposed her asleep. I rushed towards her, and embraced her with ardour ; but the deadly languor and coldness of the limbs told me, that what I now held in my arms had ceased to be the Elizabeth whom I had loved and cherished. The murderous mark of the fiend's grasp was on her neck, and the breath had ceased to issue from her lips. 

While I still hung over her in the agony of despair, I happened to look up. The windows of the room had before been darkened., and I felt a kind of panic on seeing the pale yellow light of the moon illuminate the chamber. The shutters had been thrown back ; and, with a sensation of horror not to be described, I saw at the open window a figure the most hideous and abhorred. A grin was on the face of the monster ; he seemed to jeer, as with his fiendish finger he pointed towards the corpse of my wife. I rushed towards the window, and drawing a pistol from my bosom, fired ; but he eluded me, leaped from his station, and, running with the swiftness of lightning, plunged into the lake."

 

"Lorsque je retrouvai mes esprits, les gens de l'auberge m'entouraient. Leur physionomie exprimait une indicible terreur mais cette terreur-là me semblait une caricature, l'ombre des sentiments qui m'accablaient. Je m'écartai d'eux et gagnai la chambre où gisait le corps d'Élisabeth, mon amour, mon épouse, si vivante, si douce, si belle, il y a quelques minutes à peine. Elle n'était plus dans la position dans laquelle je l'avais découverte la première fois. À présent, elle avait la tête appuyée sur un bras. Un mouchoir lui couvrait le visage et le cou. J'aurais pu croire qu'elle dormait.

Je me ruai sur elle et l'enlaçai avec ardeur mais la rigidité de ses membres et le froid de sa chair me disaient que je ne tenais plus entre mes bras cette Élisabeth que j'avais tant aimée et tant chérie. Sur son cou apparaissaient les traces de doigt criminelles et aucun souffle ne s'échappait de ses lèvres.

Tandis que je me tenais penché sur elle, dans l'agonie du désespoir, je levai les yeux. Jusqu'à cet instant, les fenêtres de la chambre étaient sombres et j'éprouvai une espèce de panique en voyant la lueur jaune et pâle de la lune illuminer la pièce. À l'extérieur, les volets n'étaient pas mis. Avec une sensation d'horreur indescriptible, je vis à travers la fenêtre ouverte la plus hideuse, la plus abominable des figures. Une grimace tordait les traits du monstre. Il semblait se moquer et, d'un doigt immonde, me désigner le corps de ma femme. Je me précipitai vers la fenêtre, tirai mon pistolet de ma poitrine et fis feu. Mais il m'évita, changea de place et alla, à la vitesse de l'éclair, plonger dans le lac..."


Mary Shelley construit son roman en emboîtant trois récits émanant de trois narrateurs différents, un récit épistolaire et deux récits,dont, certes, la prééminence est donnée à Frankenstein, mais c'est bien la créature qui est au centre de l'intrigue ...

 

- le récit épistolaire de Robert Walton (lettres 1, 2, 3, 4),capitaine d'un navire qui part explorer le pôle Nord et raconte à sa soeur ses difficultés et sa rencontre avec Victor Frankenstein, sauvé des glaces et qui lui conte une bien singulière histoire et lui confie qu'il espère que ce qu'il a vécu lui permettra de ne pas tomber dans les mêmes errements que lui ..

 

- le récit de Frankenstein (chapitres 1 à 10) : Victor Frankestein, natif de Naples, en Italie, d'une riche famille genevoise, part  étudier sciences naturelles et chimie à l'université d'Ingolstadt et découvre sa vocation : " ... Je me sentais la proie d'un ennemi réellement tangible. Une par une, toutes les touches qui formaient le mécanisme de mon être furent ébranlées ; cordes après cordes, elles résonnèrent en moi et bientôt mon esprit ne fut plus rempli que d'une seule pensée, que d'un seul dessein. Voilà ce qui a été fait, s'exclamait l'âme de Frankenstein, mais moi je ferai plus, beaucoup plus. Sur cette voie déjà tracée, je créerai une nouvelle route, j'explorerai des pouvoirs inconnus et j'irai révéler au monde les plus profonds mystères de la création..."  ...

 

"..  To examine the causes of life, we must first have recourse to death. I became acquainted with the science of anatomy: but this was not sufficient; I must also observe the natural decay and corruption of the human body. In my education my father had taken the greatest precautions that my mind should be impressed with no supernatural horrors. I do not ever remember to have trembled at a tale of superstition, or to have feared the apparition of a spirit. Darkness had no effect upon my fancy; and a churchyard was to me merely the receptacle of bodies deprived of life, which, from being the seat of beauty and strength, had become food for the worm. Now I was led to examine the cause and progress of this decay, and forced to spend days and nights in vaults and charnel-houses. My attention was fixed upon every object the most insupportable to the delicacy of the human feelings. I saw how the fine form of man was degraded and wasted; I beheld the corruption of death succeed to the blooming cheek of life; I saw how the worm inherited the wonders of the eye and brain. I paused, examining and analysing all the minutiae of causation, as exemplified in the change from life to death, and death to life, until from the midst of this darkness a sudden light broke in upon me – a light so brilliant and wondrous, yet so simple, that while I became dizzy with the immensity of the prospect which it illustrated, I was surprised, that among so many men of genius who had directed their enquiries towards the same science, that I alone should be reserved to discover so astonishing a secret..."

 

" Dans mon éducation, mon père avait pris toutes ses précautions pour que mon esprit ne soit pas impressionné par des horreurs surnaturelles. Je ne souviens pas d'avoir tremblé pour une superstition ni d'avoir craint l'apparition d'un spectre. Les ténèbres n'avaient pas d'effet sur mon imagination et un cimetière était seulement pour moi le reposoir des corps privés de vie qui, aprèsavoir connu la beauté et la force, deviennent la proie des vers. Et maintenant, j'étais amené à examiner les causes et l'évolution de la corruption, à passer mes jours et mes nuits dans des caveaux et des charniers. Mon attention se concentrait ainsi sur l'objet le plus insupportable à la délicatesse des sentiments humains. Je voyais l'enlaidissement et la dégradation des formes les plus pures, j'assistais à l'action dévastatrice de la mort ronger et, détruire la vie, je découvrais la vermine se nourrir de l'œil et du cerveau. Je fixais, j'observais, j'analysais en détail les causes et les effets, les passages de la vie à la mort et de la mort à la vie. Et puis des ténèbres une soudaine lueur jaillit dans, mon cerveau une lueur si brillante, si merveilleuse et pourtant si simple que j'en fus ébloui. Elle m'ouvrait d'immenses perspectives et je fus étonné que parmi tous les hommes de génie qui avaient mené des expériences et entrepris des travaux dans le même sens je fusse le premier à qui devait être réservé le privilège de découvrir un aussi formidable trésor..."

Consumé par le désir de découvrir le secret de la vie et, après plusieurs années de recherche, il parvient à concevoir une créature vivante qui l'effraie à tel point qu'il la laisse fuir. Convaincu que ce monstre est un meurtrier, qu'il en porte la responsabilité, il part à sa recherche ... 

 

" ...  It was on a dreary night of November,1 that I beheld the accomplishment of my toils. With an anxiety that almost amounted to agony, I collected the instruments of life around me, that I might infuse a spark of being into the lifeless thing that lay at my feet. It was already one in the morning; the rain pattered dismally against the panes, and my candle was nearly burnt out, when, by the glimmer of the half-extinguished light, I saw the dull yellow eye of the creature open; it breathed hard, and a convulsive motion agitated its limbs..."

 

" ..  Ce fut par une sinistre nuit de novembre que je parvins à mettre un terme à mes travaux. Avec une anxiété qui me rapprochait de l'agonie, je rassemblai autour de moi les instruments qui devaient donner la vie et introduire une étincelle d'existence dans cette matière inerte qui gisait à mes pieds. Il était une heure du matin et la pluie frappait lugubrement contre les vitres. Ma bougie allait s'éteindre lorsque tout à coup, au milieu de cette lumière vacillante, je vis s'ouvrir l'œil jaune stupide de la créature. Elle se mit à respirer et des mouvements convulsifs lui agitèrent les membres.

Comment pourrais-je décrire mon émoi devant un tel prodige ? Comment pourrais-je dépeindre cet être horrible dont la création m'avait coûté tant de peines et tant de soins ? Ses membres étaient proportionnés et les traits que je lui avais choisis avaient quelque beauté. Quelque beauté ! Grand Dieu ! Sa peau jaunâtre, tendue à l'extrême, dissimulait à peine ses muscles et ses artères. Sa longue chevelure était d'un noir brillant et ses dents d'une blancheur de nacre. Mais ces avantages ne formaient qu'un contraste plus monstrueux avec ses yeux stupides dont la couleur semblait presque la même que celle, blême, des orbites. Il avait la peau ridée et les lèvres noires et minces.

Les avatars multiples de l'existence ne sont pas aussi variables que les sentiments humains. J'avais, pendant deux ans, travaillé sans répit pour donner la vie à un corps inanimé. Et, pour cela, j'avais négligé mon repos et ma santé. Ce but, j'avais cherché à l'atteindre avec une ardeur immodérée – mais maintenant que  j'y étais parvenu, la beauté de mon rêve s'évanouissait et j'avais le cœur rempli d'épouvante et de dégoût. Incapable de supporter la vue de l'être que j'avais créé, je sortis de mon laboratoire et longtemps je tournai en rond clans ma chambre à coucher, sans trouver le sommeil. Enfin la fatigue l'emporta et je me jetai tout habillé sur mon lit pour chercher, quelque temps, l'oubli de ma situation.

En vain. Je dormis sans doute mais ce fut pour être assailli par les rêves les plus terribles. Je crus voir Élisabeth, débordante de santé, se promener dans les rues d'Ingolstadt. Charmé et surpris, je l'enlaçai mais, alors que je posais mes lèvres sur les siennes, elle devint livide comme la mort. Ses traits se décomposèrent et j'eus l'impression que je tenais entre mes bras le cadavre de ma mère. Un linceul l'enveloppait et, à travers les plis, je vis grouiller les vers de la tombe. Je me réveillai avec horreur.

Une sueur glacée me couvrait le front, mes dents  claquaient, j'étais saisi de convulsions. Puis, la lumière jaunâtre de la lune se glissa à travers les croisées de la fenêtre et j'aperçus le malheureux – le misérable monstre que j'avais créé. Il soulevait le rideau de mon lit et ses yeux, si je puis les appeler ainsi, étaient fixés sur moi. Ses mâchoires s'ouvrirent et il fit entendre des sons inarticulés, tout en grimaçant. Peut-être parlait-il mais je ne l'entendis pas. Une de ses mains était tendue, comme pour me retenir. Je pris la fuite et me précipitai vers les escaliers. Je cherchai refuge dans la cour de la maison où je passai le reste de la nuit, marchant fébrilement de long en large, aux aguets, attentif au moindre bruit, à croire qu'il annonçait chaque fois l'approche du démon à qui j'avais si piteusement donné la vie...."

 

- le récit de la créature (chapitres 11 à 16), livrée à elle-même, à la solitude et à sa monstruosité, celle-ci s'explique et supplie Victor de lui créer un alter ego : il semble accepter, mais horrifié par les conséquences éventuelles, va détruire sa nouvelle création : le monstre promet de se venger ...

 

" ... « Maudit, maudit créateur ! Pourquoi est-ce que je vis ? Pourquoi, à cet instant, n'ai-je pas éteint l'étincelle de vie que tu as si étourdiment allumée en moi ? Je ne sais pas. Le désespoir ne s'était pas encore emparé de mon être ; je n'étais animé que par la rage et que par la vengeance. C'était avec délectation que j'aurais détruit le chalet et ses occupants, que je me serais réjoui de leurs cris d'épouvante et de leur malheur.

« Quand la nuit tomba, je quittai ma cabane et allai me promener dans le bois. À présent, je n'éprouvais plus la crainte d'être découvert. Je libérai mon angoisse en poussant des hurlements effroyables. Ainsi qu’une bête sauvage qui vient briser ses chaînes,je détruisais les objets qui se dressaient devant moi, fonçant parmi les, taillis à la vitesse d’un cerf. Oh ! Quelle affreuse nuit j’ai passée ! Les froides étoiles se moquaient de moi, les arbres dépouillés étendaient leurs branches au-dessus de ma tête, de loin en loin la douce voix d'un oiseau venait déchirer l'universel silence. Tout, sauf moi, se reposait ou s'amusait. Et moi, démon parmi les démons, je portais l'enfer en mon sein. Ne trouvant personne avec qui sympathiser, je voulais arracher les arbres, semer autour de moi la ruine et la destruction avant de m'asseoir pour admirer mon œuvre.

« Mais c'était là, un paroxysme insupportable. Ces excès physiques m'avaient fatigué et je m'étendis sur l'herbe humide, frappé d'impuissance et de désespoir. Parmi les myriades d'hommes existait-il un seul qui pourrait avoir pitié de moi ou qui pourrait me secourir ? Devais-je éprouver de la bonté envers mes ennemis ?

Non ! À partir de ce moment-là, je déclarai la guerre au genre humain et, par-dessus tout, à celui qui m'avait façonné et qui avait provoqué chez-moi cette détresse intolérable. »Le soleil se leva. J'entendis des voix d'homme et me rendis compte qu'il n'était pas possible de regagner mon abri pendant la journée. Je me cachai dans d'épais taillis, déterminé à passer les heures suivantes à réfléchir sur ma situation...."

 

- puis à nouveau le récit de Frankenstein (chapitres 17 à 24), alors que son entourage va subir la vengeance du monstre (son ami Henry, son père, Elizabeth, la femme qu'il épouse), Victor entreprend de le traquer, mais au moment de l'atteindre, le glacier se rompt, c'est le moment de la rencontre avec Robert Walton ...

 

-  enfin la suite et fin du récit épistolaire de Walton, qui raconte le reste de l’histoire dans une autre série de lettres à sa sœur : Victor meurt peu de temps après, Walton découvre le monstre pleurant sur son corps : celui-ci raconte à nouveau son immense solitude, sa souffrance, sa haine et ses remords, et décide de disparaître lui aussi dans l'immensité glacée ...

 


Le savant Frankenstein tente de créer une créature à son image, cette créature lui fait bien vite horreur et le monstre sans nom est condamné à la solitude, à la vengeance et à l'anéantissement final dans les glaces. C'est à partir de 1931 que le langage cinématographique s'empare du mythe et en donne sa propre interprétation : en Frankenstein se confondent le savant et sa créature. Et parmi la trentaine de films qui verront le jour, - autant de distorsions que d'interprétation - , deux réalisations resteront marquantes. Celle de James Whale en 1936, "The Bride of Frankenstein", avec Colin Clive et Valerie Hobson, qui fait suite au Frankenstein du même réalisateur en 1931, dans laquelle la création hollywoodienne de l'acteur Boris Karloff, avec son masque et sa démarche mécanique, imposera l'image légendaire du monstre. Et celle du réalisateur anglais Terence Fisher, qui, dans "The Revenge of Frankenstein" (1958), avec Peter Cushing, Francis Matthews et Michael Gwynn, interprète l'histoire dans le sens du triomphe de la science sur l'obscurantisme et le fanatisme. Désormais, les relectures de l'oeuvre initiale, quand il y a relecture, ce qui devient très rare de nous jours, se font dans ce contexte interprétatif, que l'on peut, sans précaution particulière, considérer comme par trop simpliste ....


Thomas Love Peacock (1785-1866)
Natif de Weymouth, dans le Dorset, Thomas Love Peacock est un grand auteur de romans satiriques, des "conversation novels" qui restituent  nombre de discussions intellectuelles et sociales du début du XIXe siècle en Angleterre : les personnages qui prennent part à ces diverses "conversations" sont pour la plupart des personnages bien réels de la société de l'époque (William Wordsworth, Samuel Taylor Coleridge, Walter Scott), mais des personnages qui sont en perpétuel désaccords et argumentent sur des futilités ("All philosophers, who find Some favourite system to their mind, In every point to make it fit, Will force all nature to submit"). Ses amis furent souvent ses cibles favorites, mais les différents évènements de sa vie constituent aussi une trame significative quant à son activité poétique : "Palmyre", son premier recueil de poèmes (1805), une incursion dans la poésie savante, sa rupture avec Fanny Falkner (Newark Abbey, 1842), ses fonctions à bord du HMS Venerable en 1808 ("The Genius of the Thames", 1810), un voyage au Pays de Galles, où il rencontre Jane Gryffydh, fille d'un pasteur gallois. En 1812, alors qu'il vient de publier son grand poème," The Philosophy of Melancholy", Peacock se lie d'amitié avec Percy Bysshe Shelley  dont il deviendra très proche, autant critique littéraire qu'assistant, partageant un même amour du grec. Il accompagna le poète et sa maîtresse, Mary Wollstonecraft Godwin, à Édimbourg au cours de l'hiver 1813, fut un visiteur assidu de l'appartement londonien de Shelley pendant l'hiver 1814-1815, et leur trouva un logement en 1816, non loin du sien, à Great Marlow. Mais Shelley ne tarda pas à quitter définitivement l'Angleterre et les deux amis ne se revirent plus.

Entre-temps, Peacock entrait en littérature avec "Headlong Hall" (1816), le prototype de ses romans ultérieurs, des personnages réunis dans une maison de campagne et  incarnant des opinions ( la soif de connaissance de Squire Headlong, le maître de maison, le conduit à réunir des hommes de lettres ou apparentés), puis "Melincourt" (1817), plus étoffé que son précédent roman, et surtout , "Nightmare Abbey" (L'Abbaye de Cauchemar), son oeuvre la plus connue et qui paraît la même année que "Frankenstein", en 1818. Satire et comédie centrée sur les amours malheureux d'un certain Scythrop Glowry, qui rappelle Shelley, et met en scène des caricatures de Byron et de Coleridge, en fond de critique du mouvement romantique. L'époque de la régence de George IV représente alors un tournant pour la fiction anglaise, le prince régent apprécie les œuvres de Jane Austen et la classe moyenne devient un lectorat d'importance. Mais en 1819 Peacock s'éloigne quelque temps de la littérature, travaillant pour l'East India Company (il y rencontrera James Mill et le philosophe Jeremy Bentham) et épousant Jane Gryffydh. En 1820 paraît “The Four Ages of Poetry” , suivi de son quatrième roman, "Maid Marian" (1822) : c'est aussi l'année de la disparition de Percy Bysshe Shelley au large des côtes italiennes. "The Misfortunes of Elphin" en 1829 aborde les rivages du réformisme social, mais sans aller au-delà de l'évocation. "Crotchet Castle" (1831) marque le retour de Peacock au monde de la satire et de la conversation caricaturale, mais l'activité littéraire n'est plus à proprement parler sa préoccupation fondamentale et ce n'est que dans la toute dernière partie de sa vie qu'il entreprend d'alimenter des "Memoirs of Percy Bysshe Shelley"...


"Nightmare Abbey" (1818) met en scène avec une ironie mordante les traits exacerbés du romantisme britannique, Christopher Glowry, propriétaire de l'abbaye, se nourrit des débats interminables qui opposent ses convives, des personnages qui évoquent  Lord Byron (Mr. Cypress) et Samuel Taylor Coleridge (Mr. Flosky, "a very lachrymose and morbid gentleman"), tandis que son fils, Scythrop, inspiré de Percy Bysshe Shelley, s'enferme dans une tour où il lit les tragédies allemandes et la philosophie transcendantale,  développe une "passion pour réformer le monde" et ne sait que faire entre ses deux amours, Marionetta et Stella, Harriet Westbrook et Mary Godwin....

 

"Nightmare Abbey, a venerable family-mansion, in a highly picturesque state of semi-dilapidation, pleasantly situated on a strip of dry land between the sea and the fens, at the verge of the county of Lincoln, had the honour to be the seat of Christopher Glowry, Esquire. This gentleman was naturally of an atrabilarious temperament, and much troubled with those phantoms of indigestion which are commonly called blue devils. He had been deceived in an early friendship: he had been crossed in love; and had offered his hand, from pique, to a lady, who accepted it from interest, and who, in so doing, violently tore asunder the bonds of a tried and youthful attachment. Her vanity was gratified by being the mistress of a very extensive, if not very lively, establishment; but all the springs of her sympathies were frozen. Riches she possessed, but that which enriches them, the participation of affection, was wanting. All that they could purchase for her became indifferent to her, because that which they could not purchase, and which was more valuable than themselves, she had, for their sake, thrown away. She discovered, when it was too late, that she had mistaken the means for the end--that riches, rightly used, are instruments of happiness, but are not in themselves happiness. In this wilful blight of her affections, she found them valueless as means: they had been the end to which she had immolated all her affections, and were now the only end that remained to her. She did not confess this to herself as a principle of action, but it operated through the medium of unconscious self-deception, and terminated in inveterate avarice. She laid on external things the blame of her mind's internal disorder, and thus became by degrees an accomplished scold. She often went her daily rounds through a series of deserted apartments, every creature in the house vanishing at the creak of her shoe, much more at the sound of her voice, to which the nature of things affords no simile; for, as far as the voice of woman, when attuned by gentleness and love, transcends all other sounds in harmony, so far does it surpass all others in discord, when stretched into unnatural shrillness by anger and impatience.
Mr Glowry used to say that his house was no better than a spacious kennel, for every one in it led the life of a dog. Disappointed both in love and in friendship, and looking upon human learning as vanity, he had come to a conclusion that there was but one good thing in the world, _videlicet_, a good dinner; and this his parsimonious lady seldom suffered him to enjoy: but, one morning, like Sir Leoline in Christabel, 'he woke and found his lady dead,' and remained a very consolate widower, with one small child.
This only son and heir Mr Glowry had christened Scythrop, from the name of a maternal ancestor, who had hanged himself one rainy day in a fit of tædium vitæ, and had been eulogised by a coroner's jury in the comprehensive phrase of felo de se; on which account, Mr Glowry held his memory in high honour, and made a punchbowl of his skull.
  When Scythrop grew up, he was sent, as usual, to a public school, where a little learning was painfully beaten into him, and from thence to the university, where it was carefully taken out of him; and he was sent home like a well-threshed ear of corn, with nothing in his head: having finished his education to the high satisfaction of the master and fellows of his college, who had, in testimony of their approbation, presented him with a silver fish-slice, on which his name figured at the head of a laudatory inscription in some semi-barbarous dialect of Anglo-Saxonised Latin.
  His fellow-students, however, who drove tandem and random in great perfection, and were connoisseurs in good inns, had taught him to drink deep ere he departed. He had passed much of his time with these choice spirits, and had seen the rays of the midnight lamp tremble on many a lengthening file of empty bottles. He passed his vacations sometimes at Nightmare Abbey, sometimes in London, at the house of his uncle, Mr Hilary, a very cheerful and elastic gentleman, who had married the sister of the melancholy Mr Glowry. The company that frequented his house was the gayest of the gay. Scythrop danced with the ladies and drank with the gentlemen, and was pronounced by both a very accomplished charming fellow, and an honour to the university.
  At the house of Mr Hilary, Scythrop first saw the beautiful Miss Emily Girouette. He fell in love; which is nothing new. He was favourably received; which is nothing strange. Mr Glowry and Mr Girouette had a meeting on the occasion, and quarrelled about the terms of the bargain; which is neither new nor strange. The lovers were torn asunder, weeping and vowing everlasting constancy; and, in three weeks after this tragical event, the lady was led a smiling bride to the altar, by the Honourable Mr Lackwit; which is neither strange nor new.
  Scythrop received this intelligence at Nightmare Abbey, and was half distracted on the occasion. It was his first disappointment, and preyed deeply on his sensitive spirit. His father, to comfort him, read him a Commentary on Ecclesiastes, which he had himself composed, and which demonstrated incontrovertibly that all is vanity. He insisted particularly on the text, 'One man among a thousand have I found, but a woman amongst all those have I not found.'
  'How could he expect it,' said Scythrop,' when the whole thousand were locked up in his seraglio? His experience is no precedent for a free state of society like that in which we live.'
  'Locked up or at large,' said Mr Glowry, 'the result is the same: their minds are always locked up, and vanity and interest keep the key. I speak feelingly, Scythrop.'
  'I am sorry for it, sir,' said Scythrop. 'But how is it that their minds are locked up? The fault is in their artificial education, which studiously models them into mere musical dolls, to be set out for sale in the great toy-shop of society.'
  'To be sure,' said Mr Glowry, 'their education is not so well finished as yours has been; and your idea of a musical doll is good. I bought one myself, but it was confoundedly out of tune; but, whatever be the cause, Scythrop, the effect is certainly this, that one is pretty nearly as good as another, as far as any judgment can be formed of them before marriage. It is only after marriage that they show their true qualities, as I know by bitter experience. Marriage is, therefore, a lottery, and the less choice and selection a man bestows on his ticket the better; for, if he has incurred considerable pains and expense to obtain a lucky number, and his lucky number proves a blank, he experiences not a simple, but a complicated disappointment; the loss of labour and money being superadded to the disappointment of drawing a blank, which, constituting simply and entirely the grievance of him who has chosen his ticket at random, is, from its simplicity, the more endurable.' This very excellent reasoning was thrown away upon Scythrop, who retired to his tower as dismal and disconsolate as before.
  The tower which Scythrop inhabited stood at the south-eastern angle of the Abbey; and, on the southern side, the foot of the tower opened on a terrace, which was called the garden, though nothing grew on it but ivy, and a few amphibious weeds. The south-western tower, which was ruinous and full of owls, might, with equal propriety, have been called the aviary. This terrace or garden, or terrace-garden, or garden-terrace (the reader may name it ad libitum), took in an oblique view of the open sea, and fronted a long tract of level sea-coast, and a fine monotony of fens and windmills.
  The reader will judge, from what we have said, that this building was a sort of castellated abbey; and it will probably, occur to him to inquire if it had been one of the strong-holds of the ancient church militant. Whether this was the case, or how far it had been indebted to the taste of Mr Glowry's ancestors for any transmutations from its original state, are, unfortunately, circumstances not within the pale of our knowledge.
  The north-western tower contained the apartments of Mr Glowry. The moat at its base, and the fens beyond, comprised the whole of his prospect. This moat surrounded the Abbey, and was in immediate contact with the walls on every side but the south.
  The north-eastern tower was appropriated to the domestics, whom Mr Glowry always chose by one of two criterions,---a long face, or a dismal name. His butler was Raven; his steward was Crow; his valet was Skellet. Mr Glowry maintained that the valet was of French extraction, and that his name was Squelette. His grooms were Mattock and Graves. On one occasion, being in want of a footman, he received a letter from a person signing himself Diggory Deathshead, and lost no time in securing this acquisition; but on Diggory's arrival, Mr Glowry was horror-struck by the sight of a round ruddy face, and a pair of laughing eyes. Deathshead was always grinning,---not a ghastly smile, but the grin of a comic mask; and disturbed the echoes of the hall with so much unhallowed laughter, that Mr Glowry gave him his discharge. Diggory, however, had staid long enough to make conquests of all the old gentleman's maids, and left him a flourishing colony of young Deathsheads to join chorus with the owls, that had before been the exclusive choristers of Nightmare Abbey...."


William Turner (1775-1851)
Turner est le peintre des effets lumineux naturels dans les paysages et les marines, du soleil pour ses reflets à surface de l'eau pour son éblouissement qui le fascine et dont il fait un sujet à part entière, au même titre que feux et flammes.

Né à Londres, Turner voyagea beaucoup tout au long de sa carrière, en Angleterre, en Ecosse, et, après la paix d'Amiens en 1802, en France et en Suisse, en Italie, Rhénanie, Pays-Bas, passant et repassant fréquemment la Manche entre 1817 et 1845. On distingue généralement dans son oeuvre trois périodes. Sa première période (1800-1820) le montre sensible aux variations atmosphériquesdu peintre paysagiste français du XVIIe siècle, Claude le Lorrain, dont il a vu à Londres deux tableaux et qu'il tente en vain de reproduire : "Study of the Composition of Claude's Landscape with the Landing of Aeneas in Latium" (1799, Tate Britain - London), "The Sun Rising through Vapour" (1807, National Gallery, Londres). Les œuvres de la seconde période (1820-1835) accentuent couleurs et lumière : "The Bay of Baiae, with Apollo and the Sibyl" (1823, Tate, London), "Ulysses Deriding Polyphemus" (1829, National Gallery). La troisième période (1835-1845) est considérée comme l'apogée du peintre, vision contemporaine : désormais les objets vont être restitués comme des "masses indistinctes à l'intérieur d'un halo de couleurs chaudes", les détails du sujet disparaissent dans des atmosphères colorées, et du même coup vont particulièrement déconcerter le public et les critiques : "Snow Storm - Steam-Boat off a Harbour's Mouth Making Signals in Shallow Water, and Going by the Lead" (1842, Tate Gallery, Londres), "Peace - Burial at Sea" (1842, Tate Gallery) et "Rail, Steam and Speed - the Great Western Railway" (1844, National Gallery), "The Fighting 'Temeraire' Tugged to Her Last Berth to be Broken Up" (1838, National Gallery, London), le Combat du « Téméraire » (1839, National Gallery), "Approach to Venice" (1844, National Gallery of Art, Washington), "The Burning of the Houses of Lords and Commons, 16th October 1834" (1835, Philadelphia Museum of Art), "Fire at Sea" (1835,Tate Britain - London)

Volontairement très isolé, dépourvu de toutes contraintes matérielles et sociales, sa très grande renommée dans l'Europe entière résidera principalement dans ses recueils de gravures sur acier ou sur cuivre et dans ses aquarelles de voyage publiées à partir de 1826 dans ses fameux "Keepsake", livres de luxe tant prisés par la bourgeoisie anglaise depuis 1820 et qui mobilisèrent artistes et écrivains de renom (Bonington, Cruikshank, Leech, Dickens, Shelley, Ruskin). Il meurt à Londres (Chelsea) le 19 décembre 1851 laissant un fonds d’atelier de plus de vingt mille peintures, aquarelles, dessins, carnets, estampes.