Hannah Arendt (1906-1975), "The Origins of Totalitarianism" (1951), "The human condition" (1958) ... 

Last update: 11/11/2016 


"La banalité du mal" - Juive allemande émigrée aux Etats-Unis et devenue citoyenne américaine, Hannah Arendt assiste en 1961 au procès d'Adolph Eichmann, l'un des organisateurs de la Shoa, terrible entreprise d'extermination du peuple juif par l'Allemagne nazie: elle décrira dans son livre "Eichmann à Jérusalem" (1963) l'apparente banalité de ce criminel de guerre, et en vient à dénoncer non pas tant ces êtres humains criminogènes qui peuvent passer totalement inaperçus au quotidien que les systèmes politiques qui se jouent de nos erreurs de pensée et de jugement, et qui nous mènent à commettre les pires actes en les considérant comme normaux et même "impensables". 

Auparavant, dans les années 1950, elle avait donné une analyse du phénomène totalitaire devenue incontournable, "Les Origines du Totalitarisme". Une analyse structurée en trois volets, "Sur ''antisémitisme", "L`Impérialisme", "Le Système totalitaire" : elle ne cherche pas ici tant les causes, au sens de la causalité historique pour qui un événement est toujours une cause et peut toujours être expliqué par un autre, mais part en quête des "éléments"  qui se sont "cristallisés" dans des formes que l'on peut, et doit, juger "impensable" et "inexplicable" tant est terrifante l'originalité du totalitarisme

Les trois phénomènes abordés, antisémitisme, impérialisme, totalitarisme ont ceci de commun que leur nouveauté radicale ne se laisse pas réduire à des formes déjà recensées ou répertoriées dans l`histoire : l`antisémitisme moderne (en tant qu'idéologie laïque du XIXe siècle) diffère de la haine séculaire à l`égard du Juif, qui est d`origine religieuse. L`impérialisme moderne, lié à l'expansionnisme des Etats nations qui se désintègrent, ne peut être confondu avec l`entreprise des "bâtisseurs d`empire". Et la spécificité des systèmes totalitaires, phénomène sui generis du XXe siècle, échappe aux formes politiques traditionnelles que désignaient les termes de "tyrannie" ou de "despotisme". Le phénomène totalitaire est l'équivalent politique du mal radical, rendant caducs les critères habituels de la classification et du jugement.

Mais il n'est pas non plus une pure monstruosité qu`aucune analyse ne saurait approcher, Il faut tout d`abord qu`à la société de classes ait succédé un processus d`atomisation sociale et d`isolement de l`individu pour que la domination totalitaire puisse s'exercer sur les masses dépolitisées et devenues apparemment indifférentes aux affaires publiques. Les conditions spécifiques d'une masse atomisée rendent alors possible sa mobilisation permanente : "les mouvements totalitaires sont des organisations massives d`individus atomisés et isolés". Mais, à la différence de la hiérarchie autoritaire ou tyrannique, la structure du régime totalitaire est une "structure en oignon" au centre de laquelle, dans une sorte d'espace vide. est situé le chef. Ce dernier domine donc de l`intérieur, non de l`extérieur ou du dessus, et les diverses parties du mouvement (sympathisants. associations, parti. bureaucratie) s`interposent entre le monde réel et la fiction du système.

Cette idéologie totalitaire est à la fois extraordinairement "rigide" et "fantastiquement fictive", suscitant de ce fait un monde autant "mensonger" que "cohérent" et que l'expérience réelle est alors impuissante à contrarier. Les camps de concentration, qui furent les "institution centrale du pouvoir totalitaire en matière d`organisation", sont le laboratoire où le système totalitaire vérifie l`assertion que "tout est possible" et que les hommes eux-mêmes sont devenus "superflus", et, tragédie supplémentaire, avec le concours des hommes eux-mêmes...

 

Hannah Arendt (1906-1975) 

"Dans un monde totalement fictif, les échecs n'ont pas à être enregistrés, admis et rappelés. Pour continuer à exister, la réalité objective elle-même dépend de l'existence du monde non totalitaire.."

Hannah Arendt eut comme maîtres à l'Université Heidegger et Jaspers. L'accession du nazisme au pouvoir lui fit abandonner la philosophie pour la théorie politique. C'est ainsi qu'elle fût amenée à penser le totalitarisme comme un fait radicalement nouveau.

Hannah Arendt naît à Hanovre dans une famille juive  fidèlement attachée à la social-démocratie. Sa mère, enthousiasmée par la révolution spartakiste est une admiratrice de Rosa Luxembourg. En 1924, elle entre à l'Université de Marbourg où elle reçoit l'enseignement de Heidegger durant la genèse de Sein und Zeit. Elle est fascinée par le maître avec qui elle aura une courte liaison. Elle se lie aussi d'amitié avec Hans Jonas. Après un semestre chez Husserl à Fribourg, elle s'inscrit à l'Université de Heidelberg. Heidegger ayant refusé de diriger sa thèse, il l'a en effet envoyé à Karl Jaspers, un humaniste allemand avec qui elle se lie d'une amitié sans faille et qui restera son vrai maître jusqu'à sa mort, en 1969.

La thèse d'Hannah Arendt, "Le concept d'amour chez Saint Augustin", est publiée en 1929. Elle entre en politique à partir de l'incendie du Reichstag. Emprisonnée une semaine, elle fuit et se réfugie à Paris. Elle y rencontre des réfugiés allemands (Brecht) et connaît Raymond Aron. Elle fréquente le séminaire de Kojève consacré à Hegel, côtoie Sartre et Beauvoir sans se lier avec eux. À partir de 1940, le gouvernement français édicte les lois anti-juives. Internée à Gurs, elle parvient à s'échapper et obtient, grâce à Adorno, un visa pour les États-Unis. Elle y résidera jusqu'à sa mort. En 1951, paraît "Les origines du totalitarisme", qui lui ouvre les portes des universités, puis en 1954  "La crise de la culture", en 1958 "La condition de l'homme moderne", en 1963 "Eichmann à Jérusalem" et "Essai sur la révolution". Elle laisse un livre inachevé, "La vie de l'esprit" dont seuls les deux premiers volumes, "Thinking" et "Wilking", paraîtront en 1978.

 


Les origines du totalitarisme (The Origins of Totalitarianism, 1951) 

Pour Hannah Arendt, il est erroné de penser "que c'est par accident que l'"idéologie nazie s'est cristallisée autour de l'antisémitisme". Par une minutieuse analyse de la place des juifs dans l'histoire moderne, Arendt établit les différentes étapes de développement des relations entre l'ordre politique et les juifs, étapes qui conduisent finalement au rejet antisémite. Depuis deux siècles, les juifs avaient construit les liens financiers et diplomatiques entre les Etats, apparaissant ainsi comme les garants d'un ordre politique dépassé. L'intérêt des masses s'associant à celui des démagogues totalitaires, le 20e siècle ne pouvait qu'aboutir aux systèmes nazi et communiste avec la violence que l'on connaît.

 


La crise de la culture (Between Past and Future, 1954) 

Dans cette époque d'après-guerre, l'homme est en porte-à-faux entre un passé et une tradition révolus et un avenir incertain, inconcevable. Hannah Arendt se propose donc d'apprendre à l'homme à se mouvoir dans sa position actuelle, d'apprendre à nouveau à penser, à partir des notions de liberté, d'autorité et d'éducation.


La condition de l'homme moderne (The human condition, 1958) 

"Hannah Arendt rappelle avec force que la vraie liberté politique n'est pas la retraite paisible dans la sphère de la vie privée, si précieuse soit-elle, mais aussi et d'abord l'action publique menée avec des égaux et reposant sur des choix individuels. Examinant les concepts de travail, d'oeuvre et d'action, elle nous parle du règne de la nécessité, de la capacité de création et de la révélation de l'homme dans la parole et dans l'action. Se fondant sur la philosophie grecque, elle étudie les questions majeure de son temps, la réhabilitation de l'action politique individuelle, les périls mortels du déterminisme historique et  social, la fragilité de la liberté, le caractère imprévisible de l'histoire des hommes." 

"... Évitons tout malentendu : la condition humaine ne s'identifie pas à la nature humaine, et la somme des activités et des facultés humaines qui correspondent à la condition humaine ne constitue rien de ce qu'on peut appeler nature humaine. Car ni celles que nous examinons ici, ni celles que nous laissons de côté, comme la pensée, la raison, ni même leur énumération la plus complète et la plus méticuleuse, ne constituent des caractéristiques essentielles de l'existence humaine en ce sens que, sans elles, l'existence ne serait plus humaine. Le changement le plus radical que nous puissions imaginer pour la condition humaine serait l'émigration dans une autre planète. Un tel événement, qui n'est plus tout à fait impossible, signifierait que l'homme aurait à vivre dans des conditions fabriquées, radicalement différentes de celles que lui offre la Terre. Le travail, l'œuvre, l'action, la pensée elle-même telle que nous la connaissons, n'auraient plus de sens. Et pourtant, ces hypothétiques voyageurs échappés à la Terre seraient encore humains; mais tout ce que nous pourrions dire quant à leur « nature », c'est qu'il s'agirait encore d'êtres conditionnés, bien que leur condition fût alors, dans une mesure considérable, faite par eux-mêmes. 

Le problème de la nature humaine, problème augustinien (quaestio mihi factus sum), "je suis devenu question pour moi-même") paraît insoluble aussi bien au sens psychologique individuel qu'au sens philosophique général. Il est fort peu probable que, pouvant connaître, déterminer, définir la nature de tous les objets qui nous entourent et qui ne sont pas nous, nous soyons jamais capables d'en faire autant pour nous mêmes: ce serait sauter par-dessus notre ombre. De plus, rien ne nous autorise à supposer que l'homme ait une nature ou une essence comme en ont les autres objets. En d'autres termes, si nous avons une nature, une essence, seul un dieu pourrait la connaître et la définir, et il faudrait d'abord qu'il puisse parler du "qui" comme d'un "quoi". Notre perplexité vient de ce que les modes de connaissance applicables aux objets pourvus de qualités "naturelles", y compris nous-mêmes dans la mesure restreinte où nous sommes des spécimens de l'espèce la plus évoluée de la vie organique, ne nous servent plus à rien lorsque nous posons la question : Et qui sommes nous? C'est pourquoi les tentatives faites pour définir la nature humaine s'achèvent presque invariablement par l'invention d'une divinité quelconque, c'est-à-dire par le dieu des philosophes qui, depuis Platon, s'est révélé à l'examen comme une sorte d'idée platonicienne de l'homme. Certes, en démasquant ces concepts philosophiques du divin, en y montrant les conceptualisations de qualités et de facultés humaines, on ne prouve pas, on ne fait même rien pour prouver la non-existence de Dieu; mais le fait que les essais de définition de la nature de l'homme mènent si aisément à une idée qui nous frappe comme nettement "surhumaine" et s'identifie par conséquent avec le divin, peut suffire à rendre suspect le concept même de "nature humaine."

D'autre part, les conditions de l'existence humaine - la vie elle-même, natalité et mortalité appartenance au monde, pluralité, et la Terre - ne peuvent jamais "expliquer" ce que nous sommes ni répondre à la question de savoir qui nous sommes pour la bonne raison  qu'elles ne nous conditionnent jamais absolument..."."

 


Essai sur la révolution (On Revolution, 1963) 

"L'auteur compare deux révolutions - l'américaine et la française - pour en tirer des conclusions inattendues sur l'essence du phénomène révolutionnaire et l'évolution du monde contemporain.

Hannah Arendt prend parti : pour elle, le pays de la Révolution réussie, ce sont les États-Unis. La déviation de l'histoire moderne provient du triomphe des idées de la Révolution française, qu'elle condamne, sur celles des États-Unis, qu'elle approuve. Les révolutionnaires ont malheureusement toujours préféré la notion d'égalité à celle de liberté que leur enseigne l'histoire américaine."