The World Of Science Fiction - Hugo Gernsback, "Ralph 124C 41+" (1911) - Edgar Rice Burroughs (1875-1950), "Under the Moons of Mars" (1912) - Howard Philips Lovecraft (1890-1937), "The Colour out of Space, the Cthulhu Mythos" (1927) , "The Case of Charles Dexter Ward" (1927), "At the Mountains of Madness" (1931), "The Shadow over Innsmouth" (1931) - David Lindsay (1876-1945), "A Voyage to Arcturus" (1920) - Fritz Lang, "Frau im Mond" (1929) - - Stanley G. Weinbaum (1902-1935), "A Martian Odyssey" (1934) - Murray Leinster (1895-1975), "Sidewise in Time" (1934) - ....

Last update: 12/12/2022


La science-fiction fut par nature contemporaine de la révolution scientifique et industrielle moderne et de ce fait souvent considérée comme un phénomène du XXe siècle. Pourtant ses cadres mentaux, au sens large du thème, se mettent en place avec l'écriture d'utopies et de récits fantastiques, le plus souvent comme une alternative satirique aux gouvernants et sociétés existantes : le maître-mot est d'imaginer un monde meilleur, mais un monde qui paradoxalement recèle une part d'ombre, l'humain se défie de lui-même. On cite le satiriste grec Lucian, né en Syrie au IIe siècle, et son Voyage sur la Lune, Thomas More et son "Utopie" (1516), Cyrano de Bergerac et son "Histoire comique des Etats et Empires de la Lune" (1657), Swift et ses "Voyages de Gulliver" (1726), Voltaire et son "Micromégas" (1752), Louis-Sébastien Mercier et "L'An 2440, rêve s'il en fut jamais" (1771), premier roman d'anticipation et première utopie au Siècle des Lumières, rapidement interdit par l'Ancien Régime, alors que Thomas Jefferson et George Washington en firent une de leurs lectures préférées. 

La Science-fiction est aussi par essence un pur produit de notre capacité d'imagination, cette capacité à spéculer, à concevoir notre futur collectif et donc individuel, mais avec la plus totale liberté, quitte à s'astreindre de toute rationalité ou plausibilité. En 1818, Mary Wollstonecraft Shelley franchira une nouvelle étape importante dans l'évolution de la science-fiction en publiant son célèbre "Frankenstein ou le Prométhée moderne" (1818) : c'est un savant passionné d'électricité galvanique et de vivisection qui va assembler un être vivant avec des parties de chairs mortes, lui donner vie, et le rejeter, horrifié par sa création, l'abandonnant au désespoir de la vengeance.  

A partir de la fin du XIXe et du début du XXe siècle, la Science-Fiction va s'élaborer en intégrant dans cet imaginaire du fantastique conçu comme une alternative au monde vécu, les apports d'une Science qui devient au travers de ses découvertes et des techniques qu'elle engendre, une part visible de la vie sociale et de son évolution, le progrès est alors dans cette première étape un axe considérable de développement de l'humanité, en fond d'une civilisation occidentale jugée comme dominante et ultime. Encore faut-il que ces récits soient soutenus par un style, une écriture, qui non seulement installe vraisemblance et crédibilité, mais plus encore, littérature oblige, un sens du détail qui puissent impressionner les plus crédules des lecteurs : Edgar Allan Poe, qui a écrit de nombreuses œuvres pouvant être vaguement classées comme de la science-fiction, tel que "Le Balloon Hoax" en 1844, est un précurseur en la matière. Encore faut-il que ces récits trouvent un public qui  les soutiennent, et c'est ainsi que la "science-fiction", entre autres formes littéraires, profite du développement conséquent de la publication de magazines au début des années 1880, phénomène qui s'amplifie dans les années 1920-1930 (Amazing Stories, Science Wonder Stories, Air Wonder Stories, Scientific Detective Monthly, Amazing Detective Tales, Astounding Science Fiction).

En 1934, le lectorat de la SF aux États-Unis est suffisamment important pour soutenir la création de la Science Fiction League...


En 1864, l'astronome et vulgarisateur scientifique Camille Flammarion publie "Les Mondes imaginaires et les mondes réels", décrivant des formes de vie d'un autre monde qui pourraient évoluer dans des environnements biologiques étrangers. Un récit d'anticipation va donc se développer en fond des avancées et des perspectives que laissent entrevoir une Science et des Techniques en pleine expansion avec, pour certains auteurs, la reconstruction minutieuse de mythologies ou de mondes imaginaires aux fortes épopées. Le Jules Verne des classiques "Voyage au centre de la Terre" (1864) et "De la Terre à la Lune" (1865), sous la direction d'un Pierre-Jules Hetzel qui connaît son public, a écrit et abandonné, en 1863, un premier roman, "Paris au XXIème siècle" qui se déroule étonnamment dans les lointaines années 1960. A la même époque (1880-1890), alors qu'Albert Robida publie ses impressionnantes bandes dessinées dans Le Vingtième Siècle (La Vie électrique, 1883 ; La Guerre au XXe siècle, 1887), un fantastique totalement crédible entame la réalité victorienne si compassée en Grande-Bretagne avec les incontournables "The Strange Case of Dr. Jekyll and Mr. Hyde" (1886) de Robert Louis Stevenson et le trio phénoménal de H.G. Wells, "The Time Machine" (1895), "The Invisible Man" (1897) et "The War of the Worlds" (1898). 

 

À l'aube du XXe siècle, nombre des thèmes les plus courants de la science-fiction, voyages dans l'espace, voyages dans le temps, robots, utopies et dystopies, rencontres avec des êtres extraterrestres se mettent en place, mais plus encore, nourrie par un nombre d'auteurs conséquents, un imaginaire conséquent s'élabore, peuplé d'avertissements prophétiques, d'aspirations utopiques, de catastrophes titanesques, de voyages étranges, d'agitations politiques extrêmes ou de mythologies revisitées : l'humain, confronté à un formidable sentiment de transformation sociale (les théories socialistes abondent alors) et technique du monde (densification extrême des liens entre science et technique), voit les cadres de son imaginaire stimulés et décuplés.

En réalité, la science-fiction ne privilégie pas tant la technologie, les chemins de fer, la photographie, l'aviation, les barrages géants, l'électrification rurale, l'énergie atomique, les vols spatiaux, la télévision, les ordinateurs, la réalité virtuelle et les "autoroutes de l'information" que les "concepts technologiques", on parle alors de machines à voyager dans le temps, vaisseaux interplanétaires et androïdes...


À la courte liste qui inclut Jules Verne et H.G. Wells comme pères fondateurs de la science-fiction, il faut ajouter le nom de l’écrivain franco-belge J.-H. Rosny Aine (1856-1940), le premier écrivain à concevoir et à tenter de raconter le fonctionnement des extraterrestres et des formes de vie alternatives, sa fascination pour les scénarios évolutionnaires et ses longues perspectives historiques, du premier homme au dernier homme, sont des précurseurs importants des innombrables épopées cosmiques de la science-fiction moderne ("Les Xipéhuz", 1887, "Les Navigateurs de l'infini" (1925), "La Guerre du feu" (1909), "La Mort de la Terre", 1910). Lord Dunsany (1878-1957), est l'un des fondateurs de la fantasy moderne, son premier roman est publié en 1922 (Don Rodriguez: Chronicles of Shadow Valley), simultanément en Angleterre et aux Etats-Unis : célèbre pionnier de la fiction fantastique, auteur de "The Gods of Pegana" (1905), «The King of Elfland's Daughter» (1924), renommé pour sa puissance imaginative et son ingéniosité intellectuelle. Des royaumes mystérieux de fées et de dieux dans une prose très richement colorée y côtoie des éléments les plus macabres possibles...

Et plus encore : Georges Méliès et son voyage fictif sur la Lune en 1902 (le cinéma de science-fiction est aussi vieux que le cinéma lui-même), "Gustave Le Rouge, "Le Prisonnier de la planète Mars" (1908). Maurice Renard, "Le Docteur Lerne, sous-dieux" (1908) Jean de La Hire, "La Roue fulgurante" (1908). Jack London, "The Iron Heel" (Le Talon de fer, 1908). Conan Doyle, "Le Monde perdu" (1912)...


Edward Bellamy (1850-1898),  publie en 1888, "Looking Backward" (Cent ans après ou l'An 2000), dans lequel un jeune homme de Boston est mystérieusement transporté du XIXe au XXIe siècle,  d’un monde de guerre et de désir à un monde de paix et d’abondance : le roman, traduit dans plus de vingt langues et parmi les plus lus de son époque, est devenu le modèle de l'utopie et stimula bien des écrivains...

Le premier roman utopique féminin de la littérature américaine est  "Mizora" (1890, A Prophecy : Found Among the Private Papers of Princess Vera Zarovitch: Being a True and Faithful Account of her Journey to the Interior of the Earth, with a Careful Description of the Country and its Inhabitants, their Customs, Manners, and Government), oeuvre de Mary Bradley Lane (1844-1930) : le roman suit son héroïne, Vera Zarovitch, une femme farouche de la noblesse russe qui, après son exil en Sibérie, résiste aux rigueurs des terres désolées de l’Arctique pour devenir la première femme à atteindre le pôle Nord. Elle est prise dans un courant tourbillonnant qui la précipite à travers des murs de brumes ambrées et la laisse tomber dans l’atmosphère douce et parfumée d’une terre située à l’intérieur de la terre – Mizora, une utopie féministe de trois mille ans. 

Charlotte Perkins Gilman constitue, dans "Herland" (1915), un deuxième exemple de l'utilisation du roman utopique pour tenter de pousser la cause féminine. Elle imagina ainsi une société de femmes qui se reproduisent par parthénogenèse. Se décrivant elle-même comme une humaniste, elle soutenait que puisque « ce n’est que dans les relations sociales que nous sommes humains… Pour être humaines, les femmes doivent participer à la totalité de la vie commune de l’humanité». Or, les femmes, forcées alors de mener des vies restreintes, retardent ainsi tout progrès humain. La croissance de l’organisme de l’individu, ou le corps social exige l’utilisation de tous nos pouvoirs dans quatre domaines, physique, intellectuel, spirituel et social, et dans chacun de ceux-ci, les femmes se voient refuser leur part d’activités humaines. Cette subordination a freiné la croissance des femmes et déshumanisé ainsi tout le sexe féminin. Ce que nous appelons les traits masculins sont simplement des traits humains, qui ont été refusés aux femmes et sont donc supposés appartenir aux hommes : des traits tels que le courage, la force, la créativité, la générosité et l’intégrité. Pour être « vertueuse », une femme n’a besoin que d’une seule vertu : la chasteté. Le fait le plus important sur les sexes, hommes et femmes, est l’humanité commune que nous partageons, pas les différences qui nous distinguent, a dit Gilman à plusieurs reprises. Mais les femmes se voient refuser l’autonomie et ne disposent donc pas de l’environnement dans lequel se développer. Les hommes aussi souffrent de personnalités déformées par leurs habitudes de domination et de pouvoir. Un organisme social sain pour les hommes et les femmes nécessite donc l’autonomie des femmes. Gilman, déterminée à présenter sa vision sociale en termes attrayants pour la masse de la population et en même temps à faire du socialisme une idée légitime, attrayante et raisonnable. Le genre littéraire qu’elle a choisi était le roman utopique, et elle en a écrit trois, "Moving the Mountain", 1911, "Herland", 1915, et sa suite, "With Her in Ourland", 1916, tous parus dans The Forerunner. Dans "Herland", Gilman fait de l’homme de raison, Vandyck Jennings, un sociologue de profession qui utilise ses connaissances scientifiques pour argumenter « de façon savante » sur les limites physiologiques bien connues des femmes : sa conversion interviendra cependant à la fin de l’histoire, quand il admet qu’il est maintenant « bien habitué à voir les femmes non pas comme des femmes, mais comme des personnes; des gens de toutes sortes, faisant toutes sortes de travaux »...


Hugo Gernsback, "Ralph 124C 41+" (1911)

Natif du Luxembourg, Hugo Gernsback (1884-1967) émigre aux États-Unis en 1904 et publie des magazines techniques pour les amateurs de radio et d'électricité. Après avoir réédité les œuvres de Verne et Poe et les premiers écrits de H.G. Wells, Gernsback édite une revue de vulgarisation scientifique (Modern Electrics) dans laquelle il  publie, à partir d'avril 1911, "Ralph 124C 41+", une chronique de l'an 2660 dans laquelle apparaît le visiophone, la télévision, le radar et les enregistrements magnétiques, et autres dispositifs techniques. En avril 1926,  apparaît "Amazing Stories", la première revue que l'on pourrait qualifier de science-fiction avant l'heure mais qui tend, sous la houlette de Gernsback, à privilégier l'anticipation technologique sur le récit d'aventure. Sa première histoire originale, "The Man From The Atom (Sequel)" de G. Peyton Wertenbaker, paraît dans le numéro de mai 1926. C'est dans le premier numéro de "Science Wonder Stories" en 1929 qu'apparait officiellement le terme de «science-fiction»...   

 

"As THE VIBRATIONS died down in the laboratory the big man arose from the glass chair and viewed the complicated apparatus on the table. It was complete to the last detail. He glanced at the calendar. It was September 1st in the year 2660. Tomorrow was to be a big and busy day for him, for it was to witness the final phase of the three-year experiment. He yawned and stretched himself to his full height, revealing a physique much larger than that of the average man of his times and approaching that of the huge Martians. His physical superiority, however, was as nothing compared to his gigantic mind. He was Ralph 124C 41 +, one of the greatest living scientists and one of the ten men on the whole planet earth permitted to use the Plus sign after his name. Stepping to the Telephot on the side of the wall he pressed a group of buttons and in a few minutes the faceplate of the Telephot became luminous, revealing the face of a clean shaven man about thirty, a pleasant but serious face. As soon as he recognized the face of Ralph in his own Telephot he smiled and said, "Hello Ralph." - "Hello Edward, I wanted to ask you if you could come over to the laboratory tomorrow morning. I have something unusually interesting to show you. Look!"

 

Lorsque les vibrations se sont éteintes dans le laboratoire, le grand homme s'est levé de sa chaise en verre et a regardé l'appareil compliqué qui se trouvait sur la table. Il était complet dans les moindres détails. Il jeta un coup d'œil au calendrier. Nous sommes le 1er septembre de l'année 2660. Demain allait être une journée importante et chargée pour lui, car il devait assister à la phase finale de l'expérience de trois ans. Il bâilla et s'étira de toute sa taille, révélant un physique bien plus imposant que celui de l'homme moyen de son époque et se rapprochant de celui des immenses Martiens. Sa supériorité physique n'est cependant rien comparée à son esprit gigantesque. Il était Ralph 124C 41 +, l'un des plus grands scientifiques vivants et l'un des dix hommes de toute la planète Terre autorisés à utiliser le signe Plus après son nom. S'approchant du Téléphot situé sur le côté du mur, il appuya sur un groupe de boutons et, en quelques minutes, la façade du Téléphot devint lumineuse, révélant le visage d'un homme rasé d'une trentaine d'années, un visage agréable mais sérieux. Dès qu'il a reconnu le visage de Ralph dans son propre Téléphot, il a souri et a dit : "Bonjour Ralph". - Bonjour Edward, je voulais te demander si tu pouvais venir au laboratoire demain matin. J'ai quelque chose d'exceptionnellement intéressant à te montrer. Regarde !"

 

He stepped to one side of his instrument so that his friend could see the apparatus on the table about ten feet from the Telephot faceplate. Edward came closer to his own faceplate, in order that he might see further into the laboratory. - "Why, you've finished it!" he exclaimed. "And your famous" - At this moment the voice ceased and Ralph's faceplate became clear. Somewhere in the Teleservice company's central office the connection had been broken. After several vain efforts to restore it Ralph was about to give up in disgust and leave the Telephot when the instrument began to glow again. But instead of the face of his friend there appeared that of a vivacious beautiful girl. She was in evening dress and behind her on a table stood a lighted lamp. Startled at the face of an utter stranger, an unconscious Oh! escaped her lips, to which Ralph quickly replied: - "I beg your pardon, but 'Central' seems to have made another mistake. I shall certainly have to make a complaint about the service." Her reply indicated that the mistake of "Central" was a little out of the ordinary, for he had been swung onto the Intercontinental Service as he at once understood when she said, - "Pardon, Monsieur, je ne comprends pas!". He immediately turned the small shining disc of the Language Rectifier on his instrument till the pointer rested on "French." ...

 

Il s'est avancé d'un côté de son instrument pour que son ami puisse voir l'appareil sur la table à environ trois mètres de la plaque frontale de Téléphot. Edward s'approcha de sa propre plaque, afin de voir plus loin dans le laboratoire. - Vous l'avez terminé", s'exclame-t-il. "A ce moment-là, la voix s'est tue et la plaque de Ralph est devenue claire. Quelque part dans le bureau central de la société de téléservice, la connexion avait été interrompue. Après plusieurs tentatives vaines pour la rétablir, Ralph était sur le point d'abandonner, dégoûté, et de quitter le Téléphot lorsque l'instrument s'est remis à briller. Mais à la place du visage de son ami apparut celui d'une belle fille pleine de vivacité. Elle était en robe de soirée et derrière elle, sur une table, se trouvait une lampe allumée. Surprise par le visage d'une inconnue, un Oh ! inconscient s'échappa de ses lèvres, auquel Ralph répondit rapidement : - "Je vous prie de m'excuser, mais 'Central' semble avoir commis une nouvelle erreur. Je vais certainement devoir me plaindre du service." Sa réponse indiquait que l'erreur de "Central" était un peu inhabituelle, car il était passé au service intercontinental, comme il l'a tout de suite compris lorsqu'elle a dit : - "Pardon, Monsieur, je ne comprends pas !". Il tourna immédiatement le petit disque brillant du redresseur de langue de son instrument jusqu'à ce que l'aiguille se pose sur "French"...

 

En l’an 2660, la science a transformé et conquis le monde, sauvant l’humanité d’elle-même. Des inventions spectaculaires des confins de l’espace et des profondeurs de la terre sont disponibles pour répondre à tous les besoins, fournissant des antidotes aux problèmes individuels et aux maux sociaux. Les inventeurs sont très prisés et respectés, et ils sont jalousement protégés et prodigieusement soignés par les gouvernements mondiaux. Cependant, ce soutien et cette reconnaissance, comme l’a découvert le plus brillant des scientifiques, Ralph 124C 41+, ne sera pas sans conséquences ...

 

Ralph 124C 41+ célèbre les progrès technologiques et attire les lecteurs avec une vision exubérante et inoubliable de ce que notre monde pourrait devenir et que viennent rendent encore plus visibles les illustrations de Frank R. Paul. En 1929, dans "Before the Golden Age", Isaac Asimov raconte sa découverte du nouveau magazine Science Wonder Stories qui vient de paraître dans les kiosques, succédant à "Amazing Stories", c’était le numéro d’août 1929, le troisième de son existence, "je l’ai remarqué, d’abord, parce qu’il avait une couverture de Frank R. Paul, un homme qui peignait en couleurs primaires exclusivement, je pense, et qui se spécialisait dans les machines complexes et futuristes. Mais je l’ai aussi remarqué parce que c’était un nouveau magazine et surtout à cause du mot « Science » dans le titre.. (Finally, I noticed it because of the word “Science” in the title. That made all the difference. I knew about science; I had already read books about science. I was perfectly aware that science was considered a mentally nourishing and spiritually wholesome study. What’s more, I knew that my father thought so from our occasional talks about my schoolwork. Well, then, the loss of my storytelling friend had left a gnawing vacancy within me; my trip to the Statue of Liberty filled me with a desire to assert my independence and argue with my father; and the word “science” gave me the necessary leverage..) ... 


Edgar Rice Burroughs, "Under the Moons of Mars" (1912)

Créateur de Tarzan, l'homme-singe, en 1912, l'un des personnages de fiction les plus connus au monde et qui comptera pas moins de 24 volumes, Edgar Rice Burroughs (1875-1950) a débuté par une saga, "le Cycle de Mars", qui met en scène John Carter, l'un des premiers héros de science fiction. Ce terrien est un jour transporté à la vitesse de la pensée à travers l'immensité infinie de l'espace, et se retrouve sur Mars (Barsoom), une planète agonisante, reconstituée à partir des travaux de Percival Lowell et de Camille Flammarion, peuplée de diverses races se faisant souvent la guerre et où l'épée côtoie une technologie très avancée. La série, initialement publiée en épisodes dans All-Story Magazine à partir de février 1912 sous le titre "Under the Moons of Mars", est publiée en romans à partir de 1917 (A Princess of Mars), et comprendra dix volumes en 1948, un onzième volume sera publié en 1964. , Mais c'est en 1912 que les théories astronomiques de Mars et ses représentations littéraires ont commencé à diverger , le vieil idéal du dix-neuvième siècle d’utiliser des récits sur Mars pour stimuler l’intérêt pour la recherche astronomique et pour enseigner aux lecteurs l’état de la question scientifique a cessé d’avoir une grande incidence sur l’imagination littéraire (Robert Crossley), et c'est ainsi que « la planète Mars est devenue un lieu principalement mythique»...

 

".. I opened my eyes upon a strange and weird landscape. I knew that I was on Mars; not once did I question either my sanity or my wakefulness. I was not asleep, no need for pinching here; my inner consciousness told me as plainly that I was upon Mars as your conscious mind tells you that you are upon Earth. You do not question the fact; neither did I.

I found myself lying prone upon a bed of yellowish, moss-like vegetation which stretched around me in all directions for interminable miles. I seemed to be lying in a deep, circular basin, along the outer verge of which I could distinguish the irregularities of low hills.

It was midday, the sun was shining full upon me and the heat of it was rather intense upon my naked body, yet no greater than would have been true under similar conditions on an Arizona desert. Here and there were slight outcroppings of quartz-bearing rock which glistened in the sunlight; and a little to my left, perhaps a hundred yards, appeared a low, walled enclosure about four feet in height. No water, and no other vegetation than the moss was in evidence, and as I was somewhat thirsty I determined to do a little exploring.

Springing to my feet I received my first Martian surprise, for the effort, which on Earth would have brought me standing upright, carried me into the Martian air to the height of about three yards. I alighted softly upon the ground, however, without appreciable shock or jar. Now commenced a series of evolutions which even then seemed ludicrous in the extreme. I found that I must learn to walk all over again, as the muscular exertion which carried me easily and safely upon Earth played strange antics with me upon Mars. Instead of progressing in a sane and dignified manner, my attempts to walk resulted in a variety of hops which took me clear of the ground a couple of feet at each step and landed me sprawling upon my face or back at the end of each second or third hop. My muscles, perfectly attuned and accustomed to the force of gravity on Earth, played the mischief with me in attempting for the first time to cope with the lesser gravitation and lower air pressure on Mars..."

 

 Edgar Rice Burroughs fut aussi inspiré par Henry Rider Haggard (1856-1925), passionné par les cités disparues et tant admiré par Rudyard Kipling : Allan Quatermain(Allan Quatermain, 1887) fut l'un de ses personnages devenu célèbre avec l'adaptation cinématographique des "Mines du roi Salomon" (King Solomon's Mines, 1885), un film réalisé par Compton Bennett et Andrew Marton en 1950, avec Deborah Kerr et Stewart Granger...

Le Cycle de Caspak, publié de 1918 à 1924, revisite les thèmes du monde perdu et de l'évolution, une grande île au climat tropical perdue dans l'Antarctique et sur laquelle grouille des créatures primitives éteintes ailleurs, une mer intérieure thermale et des humanoïdes qui récapitulent toute l'évolution de l'humanité (The Land That Time Forgot, The People That Time Forgot, Out of time's abyss). Kevin Connor en réalisera deux adaptations cinématographiques en 1975, "The Land That Time Forgot", et en 1977, "The People That Time Forgot"...



"The oldest and strongest emotion of mankind is fear, and the oldest and strongest kind of fear is fear of the unknown" (L’émotion la plus ancienne et la plus forte de l’humanité est la peur, et la peur la plus ancienne et la plus forte est la peur de l’inconnu) - Lovecraft, souvent malade dans son enfance, a pu écrire que son oeuvre était fréquemment inspirée par des cauchemars terrifiants, et l'on a souvent associé Lovecraft aux genres littéraires que sont le surnaturel, l'épouvante, le macabre. Il fut, dit-il, profondément influencé par Edgar Poe (Poe aux Etats-Unis, mais nous avions aussi un Le Fanu en Grande-Bretagne, et un Ambrose Bierce (1842-1944, Moxon’s Master, The Damned Thing, An Inhabitant of Carcosa) entre Edgar Poe et Lovecraft ...).

Le génie de Lovecraft est dans l'évocation de ces abominables spectres surnaturels qui semblent s'accumuler tant dans son imagination que dans celle de ses lecteurs, il s'agit le plus souvent non pas de décrire, la description supprime toute angoisse, mais de suggérer les événements les plus terrifiants, ce qui ne rend que plus présent encore le sentiment d'horreur des protagonistes, - et le lecteur peut être considéré comme un protagoniste. On peut redécouvrir ce mélange fascinant de terreur gothique et de vision d'un monde perdu dans de nombreux récits contemporains, particulièrement au cinéma. Lovecraft épuisera sans doute ce gisement tapi dans l'ombre que notre imagination contenait depuis des siècles- mais notre auteur ne remportera qu'un succès limité de son vivant : et pourtant son œuvre déborde de thèmes qui ont inspiré les générations suivantes d'auteurs de science-fiction ou d'épouvante, peu de choses ont été aussi fortement imaginées depuis ...


Howard Philips Lovecraft, "The Colour out of Space, the Cthulhu Mythos", 1927

"Tous mes contes, si hétérogènes les uns par rapport aux autres qu'ils puissent être, se basent sur une croyance légendaire fondamentale qui est que notre monde fut à un moment habité par d'autres races qui, parce qu'elles pratiquaient la magie noire, furent déchues de leur pouvoirs et expulsées, mais vivent toujours à l'extérieur, toujours prêtes à reprendre possession de cette terre" - Le Retour des Grands Anciens. L'oeuvre, prolifique, dense, de Howard Phillips Lovecraft (1890-1937) est à la frontière de la science-fiction et du fantastique, mais il est reconnu principalement comme l'un des maîtres du 20ème siècle du conte gothique de la terreur. Lovecraft a connu peu de succès de son vivant, mais son œuvre résonne de thèmes qui ont inspiré les générations d'écrivains suivantes, en grande partie grâce à ses histoires de Cthulhu, appelées Cthulhu Mythos par August Derleth, Lovecraft est aujourd'hui le sujet d'un grand culte. "The Call of Cthulhu", publiée pour la première fois dans le magazine Weird Tales en 1928, est "un monstre au contour vaguement anthropoïde, mais avec une tête ressemblant à une pieuvre dont le visage était une masse de palpeurs, un corps écailleux et caoutchouteux, des griffes prodigieuses sur les pattes arrière et avant, et des ailes longues et étroites derrière", "un démon répugnant attend son heure en rêvant au fond de la mer, et la mort plane sur les cités chancelantes des hommes". Il est le chef des Anciens, une espèce qui est venue sur Terre à partir des étoiles avant que la vie humaine ne s'y installe, il y a plus de cinquante millions d'années, avant notre ère, plongés dans le  sommeil alors que leur ville a glissé sous la croûte terrestre, sous l'océan Pacifique. Depuis, ils communiquent avec les humains par télépathie et, de part la Terre, on les vénèrent selon des rites contestables ... 

The Complete Cthulhu Mythos Tales compte les récits suivants : 1. Dagon - 2. Nyarlathotep - 3. The Nameless City - 4. Azathoth - 5. The Hound - 6. The Festival - 7. The Call of Cthulhu  - 8. The Colour out of Space - 9. History of the Necronomicon - 10. The Curse of Yig - 11. The Dunwich Horror (L'Abomination de Dunwich, 1928) - 12. The Whisperer in Darkness - 13. The Mound - 14. At the Mountains of Madness - 15. The Shadow over Innsmouth (Le Cauchemar d'Innsmouth, 1936) -  16. The Dreams in the Witch House - 17. The Man of Stone - 18. The Horror in the Museum - 19. The Thing on the Doorstep - 20. Out of the Aeons - 21. The Tree on the Hill - 22. The Shadow out of Time (Dans l'abîme du temps, 1936) - 23. The Haunter of the Dark ..

Lovecraft a écrit d'autres histoires se déroulant dans le même univers que celui de Cthulhu, dont "La ville sans nom" (The Nameless City, 1921), la nouvelle "Le murmureur dans l'obscurité". "Bear in mind closely that I did not see any actual visual horror at the end. To say that a mental shock was the cause of what I inferred..."

 

"The most merciful thing in the world, I think, is the inability of the human mind to correlate all its contents. We live on a placid island of ignorance in the midst of black seas of infinity, and it was not meant that we should voyage far. The sciences, each straining in its own direction, have hitherto harmed us little; but some day the piecing together of dissociated knowledge will open up such terrifying vistas of reality, and of our frightful position therein, that we shall either go mad from the revelation or flee from the deadly light into the peace and safety of a new dark age.

 

"Ce qu'il y a de plus pitoyable au monde, c`est, je crois, l'incapacité de l`esprit humain à relier tout ce qu'il renferme. Nous vivons sur une île placide d'ignorance, environnée de noirs océans d'infinitude que nous n'avons pas été destinés à parcourir bien loin. Les sciences, chacune s'évertuant dans sa propre direction, nous ont jusqu'à présent peu nui. Un jour, cependant, la coordination des connaissances éparses nous ouvrira des perspectives si terrifiantes sur le réel et sur l'effroyable position que nous y occupons qu'il ne nous restera plus qu'à sombrer dans la folie devant cette révélation ou à fuir cette lumière mortelle pour nous réfugier dans la paix et la sécurité d'un nouvel obscurantisme.

 

"Theosophists have guessed at the awesome grandeur of the cosmic cycle wherein our world and human race form transient incidents. They have hinted at strange survival in terms which would freeze the blood if not masked by a bland optimism. But it is not from them that there came the single glimpse of forbidden aeons which chills me when I think of it and maddens me when I dream of it. That glimpse, like all dread glimpses of truth, flashed out from an accidental piecing together of separated things — in this case an old newspaper item and the notes of a dead professor. I hope that no one else will accomplish this piecing out; certainly, if I live, I shall never knowingly supply a link in so hideous a chain. I think that the professor, too, intended to keep silent regarding the part he knew, and that he would have destroyed his notes had not sudden death seized him.

 

Les théosophes ont eu l'intuition de la grandeur effrayante du cycle cosmique à l'intérieur duquel notre univers et la race humaine ne sont que des incidents éphémères. Ils ont fait allusion à d'étranges survivances en des termes qui devraient glacer le sang, si un aimable optimisme né les masquait. Mais ce n`est pas d'eux que me vint l'unique vision fugitive des ères interdites qui me glace quand j'y songe et me rend fou quand j'en rêve. Cette vision, comme toutes les visions redoutables de la vérité, surgit brusquement de la juxtaposition accidentelle d'éléments distincts - en l'occurrence, un fait divers tiré d'un vieux journal et les notes d'un professeur défunt. Je souhaite qu'il n`y ait jamais personne pour effectuer à nouveau ce rapprochement. Il est certain que, si je vis, je n'ajouterai plus sciemment d'anneau à une chaîne aussi hideuse. Je suis persuadé que le professeur avait lui aussi l'intention de garder le silence sur ce qu'il savait et qu'l aurait détruit ses notes si une mort soudaine ne l'avait emporté.

Je pris connaissance de cette affaire au cours de l'hiver 1926-1927, à la mort de mon grand-oncle, George Gammel Angell, professeur honoraire de langues sémitiques a l'université Brown, de Providence, dans l'Etat de Rhode Island. L'autorité du professeur Angell en matière d`inscriptions anciennes était largement reconnue et il était souvent consulté par les responsables des grands musées. Aussi sa disparition, à l'âge de quatre-vingt-douze ans, est-elle demeurée dans la mémoire de nombreuses personnes. Localement, l'émotion qu'elle suscita s'accrut du fait l'obscurité de la cause de sa mort. Le professeur avait succombé alors qu'il revenait du bateau de Newport. Il était tombé brusquement, disaient les témoins, après avoir été bousculé par un Noir à l`allure de marin, sorti de l'une des curieuses et sombres cours qui s'ouvraient sur le flanc abrupt de la colline et offraient un raccourci entre le port et la maison du défunt, dans Williams Street. Les médecins n'avaient pu découvrir d'affection visible et avaient conclu, à la suite d'une délibération embarrassée, que quelque obscure défaillance cardiaque, produite par la montée rapide d`une pente aussi raide pour un homme de cet âge, avait été responsable de sa fin. A l'époque, je ne vis aucune raison de ne pas me ranger à cette opinion mais, depuis quelque temps, j`ai commencé à me poser des questions - et même plus que cela.

 

"As my great-uncle's heir and executor, for he died a childless widower, I was expected to go over his papers with some thoroughness; and for that purpose moved his entire set of files and boxes to my quarters in Boston. Much of the material which I correlated will be later published by the American Archaeological Society, but there was one box which I found exceedingly puzzling, and which I felt much averse from showing to other eyes. It had been locked, and I did not find the key till it occurred to me to examine the personal ring which the professor carried always in his pocket. Then, indeed, I succeeded in opening it, but when I did so seemed only to be confronted by a greater and more closely locked barrier. For what could be the meaning of the queer clay bas-relief and the disjointed jottings, ramblings and cuttings which I found? Had my uncle, in his latter years, become credulous of the most superficial impostures? I resolved to search out the eccentric sculptor responsible for this apparent disturbance of an old man's peace of mind ...

 

En tant qu'héritier et exécuteur testamentaire de mon grand-oncle, étant donné qu'il était mort veuf et sans enfants, j'étais censé examiner ses papiers de manière assez approfondie. C'est dans ce but que j'emportai ses fiches et ses dossiers au grand complet dans mon appartement de Boston. La plus grande partie du matériel que je classai était destinée à la Société américaine d'archéologie qui la publierait un jour, mais l'un des dossiers m'intriguait infiniment et je n'avais pas du tout envie de le communiquer à qui que ce soit. Il était fermé et je n'en trouvais pas la clé ; l'idée me vint alors d'examiner l'anneau que mon oncle portait toujours dans sa poche. Et je réussis, en effet, à l'ouvrir ; mais cela fait, ce fut pour me retrouver, me sembla-t-il, devant une barrière encore plus haute et plus hermétiquement close. Que pouvaient signifier l'étrange bas-relief d'argile, les notes, les récits incohérents et les coupures de presse que j'y trouvais ? Mon oncle, dans les dernières années de sa vie, avait-il ajouté foi aux impostures les plus superficielles ? Je résolus de rechercher le sculpteur excentrique, responsable du trouble apparent de la paix de l'esprit du vieil homme..."

(The Call of Cthulhu, 1926, L'Horreur d'argile, trad. Éditions Denoël)


C'est à partir de 1923, que la plupart des nouvelles de Lovecraft seront publiées dans le magazine "Weird Tales". Lancé en 1923, le magazine est rapidement devenu l’un des plus importants débouchés pour l’horreur et la fiction fantastique et est souvent associé à des écrivains comme H. P. Lovecraft, Clark Ashton Smith et Robert Bloch, dont tous les travaux ont paru dans le magazine. Mais on oublie souvent le fait qu’une grande partie du contenu de Weird Tales a été écrit par des femmes, dont certaines comptaient parmi les contributeurs les plus populaires du magazine (114 femmes auteurs ont publié des articles dans le magazine avant 1933), ainsi entre 1925 et 1949, on peut citer quatre des contributeurs féminines les plus prolifiques de Weird Tales : Greye La Spina (Invaders from the Dark, 1925), Everil Worrell (The Canal, 1927), Mary Elizabeth Counselman (The Three Marked Pennies) et Eli Colter. Les femmes ont produit ce type d’histoires pendant des centaines d’années, de Margaret Cavendish dans les années 1600 aux écrivains gothiques britanniques comme Ann Radcliffe dans les années 1700 à Mary Shelley et bien nombre de femmes écrivant des histoires de fantômes dans les années 1800, une tradition qui se poursuivra au début du XXe siècle ...

 

"Weird Tales" ("The Unique Magazine") a toujours été le plus populaire et recherché de tous les magazines de pulps. Son mélange de fantaisie exotique, d’horreur, de science-fiction, de suspense et d’indescriptible a captivé des générations de lecteurs du monde entier. La couverture du premier numéro montrait une pieuvre géante enserrant dans ses tentacules une jeune femme horrifiée. Horrifiée mais fort décemment vêtue. La période des nus qui provoqua un petit scandale dans le monde assez prude de la S-F ne commença qu’avec le début des années 30. Les premiers numéros me sont uniquement connus par oui-dire. Ils étaient essentiellement axés sur les histoires macabres et des récits mettant en scène des perversions sexuelles.

En 1923, on y trouve 13 des meilleures nouvelles publiées dans la première année de publication de Weird Tales, en 1923, des classiques de nombreuses personnes qui joueront plus tard un rôle essentiel : 1. "The Grave" by Orville R. Emerson - 2. "The Basket" by Herbert J. Mangham - 3. "Beyond the Door" by J. Paul Suter - 4. "The Devil Plant" by Lyle Wilson Holden - 5. "The Purple Heart" by Herman Sisk - 6. "The Well" by Julian Kilman - 7. "The Two Men Who Murdered Each Other" by Valma Clark - 8. "The Dead-Naming of Lukapehu" by P. D. Gog - 9. "The Bloodstained Parasol" by James L. Ravenscroft - 10. "The Man Who Owned the World" by Frank Owen - 11. "An Adventure in the Fourth Dimension" by Farnsworth Wright - 12. "Dagon" by H. P. Lovecraft - 13. "Lucifer" by John D. Swain ...

 

Les nouvelles de Lovecraft traitent de phénomènes terrifiants dans lesquels l'horreur et le fantasme morbide acquièrent une vraisemblance inattendue, c'est là sa singularité. "The Case of Charles Dexter Ward" (1927), "At the Mountains of Madness" (1931), "The Shadow over Innsmouth" (1931) sont considérés comme ses meilleurs romans courts. Lovecraft élabore de plus une mythologie particulièrement élaborée avec un langage poétique particulièrement reconnu. "At the Mountains of Madness" (Les Montagnes Hallucinées), publié en série dans Astounding Stories en 1936, commence comme un récit d'exploration à la pointe de la science en Antarctique, animé par le géologue, le Dr William Dyer, et son compagnon, l'étudiant Danforth, et se poursuit avec la découverte de vastes villes extraterrestres enfouies sous la glace et peuplées de terribles survivants. Tout un nouveau pan de l'histoire de la Terre est découvert ébranle les théories scientifiques .... 

A suivre, "The Shunned House" (1924), "The Rats in the Walls" (1924), "The Outsider" (1926), "The Haunter of the Dark" (1935) ...


"L'horreur arriva à Partridgeville par un jour où tout était noyé dans le brouillard. Tout au long de l'après-midi, des amas de vapeurs venus de la mer avaient tournoyé et tourbillonné autour de la ferme et la pièce dans laquelle nous nous tenions était tout imprégnée d`humidité. La brume, passant sous la porte, montait en spirales et ses longs doigts mouillés avaient tant caressé mes cheveux qu'ils en étaient trempés. Les fenêtres aux vitres carrées étaient couvertes d'une buée aussi dense qu'une forte rosée ; l'air était lourd, chargé d'eau, incroyablement froid.

Je fixai mon ami d'un œil sombre. Il avait tourné le dos à la fenêtre et écrivait avec une sorte de rage. C`était un homme mince et de haute taille, au dos légèrement voûté, à la carrure exceptionnelle. De profil, son visage laissait une forte impression. ll avait le front large, le nez long, le menton un peu protubérant - un visage plein de force, de sensibilité, qui trahissait une nature extrêmement imaginative, tempérée par une intelligence critique tout à fait extraordinaire.

Mon ami écrivait des nouvelles. Il en écrivait pour son propre plaisir, sans tenir compte du goût de ses contemporains, et ses histoires étaient insolites. Elles auraient enchanté Poe ; elles auraient enchanté Hawthome, Ambrose Bierce ou Villiers de l'Isle-Adam. Elle avaient pour sujets des êtres anormaux, des bêtes anormales, des plantes anormales aussi. Il y parlait des royaumes lointains de l'imaginaire et de l'horreur ; les couleurs, les sons et les odeurs qu'il osait y évoquer n'avaient jamais été vus, entendus ni sentis de ce côté-ci de la lune. Il projetait ses créatures dans des décors propres à vous glacer l'âme. Elles arpentaient de hautes forêts solitaires, des montagnes déchiquetées, se glissaient le long d`escaliers dans de vieilles bâtisses, ou entre les piles des quais noirs et pourrissants.

L'un de ses contes, "La Maison du ver", avait poussé un jeune étudiant d'une université du Middle West à chercher refuge dans un énorme bâtiment de brique rouge ; là, tout le monde avait accepté de le laisser s'asseoir sur le sol et crier de toute la force de ses poumons : « Voyez, ma bien-aimée est plus belle que tous les lis entre les lis du jardin des lis". Un autre, "Les Profanateurs", lui avait valu de recevoir exactement cent lettres de protestation de la part de lecteurs locaux, lorsqu'il l'avait fait paraître dans La Gazette de Partridgeville. Comme je l'examinai, il s'arrêta soudain d`écrire et secoua la tête.

"Je n'y arrive pas, dit-il. Il faudrait que j'invente Lm nouveau langage. Et pourtant je comprends cette chose-là affectivement, intuitivement, si vous voulez. Si seulement je parvenais à la rendre d`une manière ou d'une autre par une phrase... cette étrange reptation de l'esprit dénué de chair.

- S'agit-il d`une nouvelle horreur ?" lui demandai-je.

Il hocha la tête.

"Elle n'a rien de nouveau pour moi. Je la connais et la ressens depuis des années - une horreur absolument au-delà de tout ce que votre cerveau peut imaginer.

- Merci, fis-je.

- Tous les cerveaux humains sont prosaïques, reprit-il, en développant sa pensée. Je n'avais pas l'intention de vous vexer. Ce sont les terreurs indistinctes, tapies derrière ou au-dessus d'eux qui sont mystérieuses angoissantes. Nos faibles cerveaux... que peuvent-ils savoir de l'existence d'entités vampiriques qui peuvent se dissimuler en des dimensions plus élevées que les nôtres, ou même au-delà des étoiles ? Je pense qu'il arrive parfois à ces dernières de venir se loger dans nos têtes et que nos cerveaux sentent leur présence et, lorsqu'elles déroulent leurs tentacules pour nous sonder et nous explorer, nous sombrons dans la folie furieuse."

Son regard s'était posé sur moi et ne me quittait plus..."  ("The Space-Eaters", 1928. Les mangeuses d'espace, trad.Claude Gilbert, Éditions Christian Bourgeois)


"La plus ancienne et la plus puissante émotion de l’humanité, c’est la peur" - Écrit en 1930, et publié dans Weird Tales, un des récits les plus implacables et savamment construits de Lovecraft : "The Whisperer in Darkness is" (Chuchotements dans la nuit) nous entraîne dans les zones les plus reculées du sauvage Vermont, alors, qu'à l'issu d'une inondation, d'étranges choses roses dérivant au fil des eaux ont été aperçues.

 

"Bear in mind closely that I did not see any actual visual horror at the end. To say that a mental shock was the cause of what I inferred — that last straw which sent me racing out of the lonely Akeley farmhouse and through the wild domed hills of Vermont in a commandeered motor at night — is to ignore the plainest facts of my final experience. Notwithstanding the deep extent to which I shared the information and speculations of Henry Akeley, the things I saw and heard, and the admitted vividness of the impression produced on me by these things, I cannot prove even now whether I was right or wrong in my hideous inference. For after all, Akeley’s disappearance establishes nothing. People found nothing amiss in his house despite the bullet-marks on the outside and inside. It was just as though he had walked out casually for a ramble in the hills and failed to return. There was not even a sign that a guest had been there, or that those horrible cylinders and machines had been stored in the study. That he had mortally feared the crowded green hills and endless trickle of brooks among which he had been born and reared, means nothing at all, either; for thousands are subject to just such morbid fears. Eccentricity, moreover, could easily account for his strange acts and apprehensions toward the last.

The whole matter began, so far as I am concerned, with the historic and unprecedented Vermont floods of November 3, 1927. I was then, as now, an instructor of literature at Miskatonic University in Arkham, Massachusetts, and an enthusiastic amateur student of New England folklore. Shortly after the flood, amidst the varied reports of hardship, suffering, and organised relief which filled the press, there appeared certain odd stories of things found floating in some of the swollen rivers ...

 

"Gardez bien à l'esprit que je n'ai pas vu d'horreur visuelle à la fin. Dire qu'un choc mental est à l'origine de ce que j'ai déduit - cette goutte d'eau qui m'a fait sortir en trombe de la ferme solitaire d'Akeley et traverser les collines sauvages du Vermont dans une voiture réquisitionnée la nuit - c'est ignorer les faits les plus évidents de mon expérience finale.

Bien que j'aie partagé dans une large mesure les informations et les spéculations de Henry Akeley, les choses que j'ai vues et entendues, et la vivacité admise de l'impression produite sur moi par ces choses, je ne peux même pas prouver aujourd'hui si j'avais raison ou tort dans mon affreuse déduction. Car après tout, la disparition d'Akeley n'établit rien. Les gens n'ont rien trouvé d'anormal dans sa maison, malgré les traces de balles à l'extérieur et à l'intérieur. C'est comme s'il était sorti par hasard pour faire une promenade dans les collines et qu'il n'était pas revenu. Il n'y avait même pas de signe qu'un invité avait été là, ou que ces horribles cylindres et machines avaient été entreposés dans le bureau. Le fait qu'il ait craint mortellement les collines verdoyantes et bondées et les ruisseaux sans fin au milieu desquels il était né et avait grandi ne signifie rien non plus, car des milliers de personnes sont sujettes à des craintes morbides de ce genre. L'excentricité, en outre, pouvait facilement expliquer ses actes étranges et ses appréhensions vers la fin.

Tout a commencé, en ce qui me concerne, avec les inondations historiques et sans précédent du Vermont du 3 novembre 1927. J'étais alors, comme aujourd'hui, professeur de littérature à l'université Miskatonic à Arkham, Massachusetts, et amateur enthousiaste du folklore de la Nouvelle-Angleterre. Peu de temps après l'inondation, parmi les divers récits de difficultés, de souffrances et de secours organisés qui remplissaient la presse, il y eut quelques histoires étranges d'objets trouvés flottant dans certaines des rivières en crue...

 

(..)

 

Tenant du pur rationalisme, Wilmarth, un jeune professeur de littérature, commence une correspondance avec Akeley, propriétaire d'une ferme isolée, lequel lui fait parvenir d'étranges mais irrécusables photographies, et un enregistrement sur cylindre. Tous les moyens narratifs, lettres, télégramme, téléphone, voyages en train, en voiture, sont convoqués pour une tension qui ne cessera de s'accroître. Jusqu'à cette étrange découverte d'un appareil audio-électrique susceptible de conserver les cerveaux, autorisant d'infinis voyages spatio-temporels. Écrit en 1930, dans l'élan de la découverte de Pluton, et le souvenir d'un réel voyage dans ces vallées reculées, un des récits les plus implacables et savamment construits de Lovecraft ...

 

 

"... le paysage hypnotique à travers lequel nous grimpions et descendions fantastiquement comportait un élément de beauté cosmique qui me calmait étrangement. Le temps avait disparu dans ces labyrinthes qui nous entouraient, autour de nous ne battaient plus que les vagues féeriques des charmes retrouvés des siècles passés - les bois vénérables, quelques prés dans leurs belles teintes d'automne et, d'intervalle à intervalle, des petites fermes de pierre brute venues se nicher sous des arbres gigantesques et dont les prairies jouxtaient la verticale de précipices de ronces odorantes.

Même le soleil assumait un éclat d'outre-monde, comme si cette atmosphère ou exhalation spéciale recouvrait toute la région. Je n'avais jamais rien vu de tel auparavant, hors les paysages magiques qui forment parfois l'arrière-plan des primitifs italiens. Mantegna ou Léonard avaient conçu de telles perspectives, mais seulement au loin, et vues au travers des arcanes de la Renaissance. Nous étions désormais corporellement entourés par les formes de leurs tableaux, et il me semblait trouver dans ce qu'ils conjuraient une chose que j'avais toujours instinctivement sue ou héritée, et dont j'avais toujours été vainement en quête.

Soudain, après avoir pris un virage en épingle à cheveux au sommet d'une brusque côte, la voiture s'arrêta. Sur ma gauche, derrière une pelouse bien tenue qui partait de la route et s'ornait d'une bordure de pierres presque blanches, s'élevait une maison de deux étages et demi, toute blanche, d'une taille et d'une élégance inhabituelles pour la région, avec une suite contiguë de remises, granges et meunerie reliées par des arcades à l'arrière et sur l'aile droite. Je la reconnus de suite comme celle de la photographie que j'avais reçue, et ne fus pas surpris de découvrir le nom de Henry Akeley écrit sur la typique boîte à lettres de fer-blanc arrondie, auprès de la route. Tout près derrière la maison, une étendue marécageuse et peu boisée, au-delà de laquelle commençait brutalement une forêt très épaisse, s'élevant vers une corniche irrégulière et touffue. Le sommet, je le savais, de la montagne Noire, dont nous venions d'escalader les contreforts.

Descendant de la voiture et prenant ma valise, Noyes me demanda d'attendre pendant qu'il irait prévenir Akeley de mon arrivée. Lui-même, me prévint-il, avait ensuite un important rendez-vous pour affaire et il ne pourrait s'arrêter plus d'un moment. Comme il s'éloigna vivement vers la maison, je descendis moi-même de la voiture, ne serait-ce que pour me dégourdir les jambes avant que nous nous installions pour une longue conversation immobile. Mon sentiment de nervosité et de tension était à nouveau à son comble maintenant que j'étais sur la véritable scène du siège morbide décrite de façon si obsédante dans les lettres d'Akeley, et je craignais honnêtement nos discussions à venir, qui me mettraient en rapport avec de tels êtres et leurs mondes interdits.

Le contact rapproché de l'éminemment bizarre est souvent plus terrifiant qu'inspirant, et cela ne me remontait pas le moral de penser que la même où j'avais les pieds, sur ce chemin de terre, était l'endroit où les empreintes de ces monstres et cette liqueur verte fétide avaient été retrouvées au terme des nuits sans lune mêlant la peur et la mort..." 

(Points, trad. François Bon)


"At The Mountains of Madness"  ...

Rédigée en 193l1et publiée en 1936, "At The Mountains of Madness"  est l'une des œuvres de fiction les plus longues de Howard Phillips Lovecraft (dépassée seulement par "The Case of Charles Dexter Ward", son seul véritable roman). Lovecraft la considérait comme une de ses réussites majeures. "Les Montagnes hallucinées" conte la découverte dans l`Antarctique des vestiges d'une gigantesque cité, jadis peuplée d'extraterrestres hautement civilisés, les Anciens. Les membres de l'expédition organisée par l'université du Miskatonic déterrent malencontreusement les corps de quelques-uns de ces êtres en état d'animation suspendue, qui reviennent à la vie et massacrent plusieurs explorateurs. Les survivants exploreront la cité polaire et parviendront, grâce à de prodigieux bas-reliefs, à reconstituer l`histoire des Anciens et, par là même, celle de la Terre et de l'origine de l`humanité.

Ce texte reflète amplement le pessimisme de Lovecraft, rejoignant celui du Wells de sa fameuse "Guerre des mondes". Les Anciens ne sont qu`une parmi les nombreuses races extraterrestres qui, par le passé, se sont disputé la domination de la Terre dans un combat où la seule règle était celle de la "lutte pour la vie" de Darwin. L'humanité n`est que le résultat d`une expérience biologique des Anciens qui utilisaient les ancêtres de l'homme comme nourriture ou comme bouffons. Mais le pessimisme de l`auteur ne s`applique pas qu'à l'espèce humaine. puisque même la brillante civilisation des Anciens a connu la décadence : ce sont maintenant les monstrueux Shoggoths, esclaves protoplasmiques des Anciens, qui semblent avoir remplacé leurs maitres. Par des descriptions d`une extrême précision de la morphologie déroutante des Anciens et de l'architecture de leur cité, Lovecraft parvient à provoquer tout à la fois émerveillement et sourde inquiétude du lecteur. Si les Anciens épouvantent les membres de l'expédition, c`est avant tout parce qu'ils sont différents et échappent à la compréhension de l'esprit humain. (Trad. Denoël, Dans l'abîme du temps, 1954). 

 

" I am forced into speech because men of science have refused to follow my advice without knowing why. It is altogether against my will that I tell my reasons for opposing this contemplated invasion of the antarctic — with its vast fossil-hunt and its wholesale boring and melting of the ancient ice-cap — and I am the more reluctant because my warning may be in vain. Doubt of the real facts, as I must reveal them, is inevitable; yet if I suppressed what will seem extravagant and incredible there would be nothing left. The hitherto withheld photographs, both ordinary and aërial, will count in my favour; for they are damnably vivid and graphic. Still, they will be doubted because of the great lengths to which clever fakery can be carried. The ink drawings, of course, will be jeeredat as obvious impostures; notwithstanding a strangeness of technique which art experts ought to remark and puzzle over.

(...)

 Je suis obligé d’intervenir parce que les hommes de science ont refusé de suivre mes avis sans en connaître les motifs. C’est tout à fait contre mon gré que j’expose mes raisons de combattre le projet d’invasion de l’Antarctique – vaste chasse aux fossiles avec forages sur une grande échelle et fusion de l’ancienne calotte glaciaire – et je suis d’autant plus réticent que ma mise en garde risque d’être vaine. Devant des faits réels tels que je dois les révéler, l’incrédulité est inévitable ; pourtant, si je supprimais ce qui me semblera inconcevable et extravagant, il ne resterait plus rien. Les photographies que j’ai conservées jusqu’ici, à la fois banales et irréelles, témoigneront en ma faveur, car elles sont diablement précises et frappantes. On doutera néanmoins, à cause des dimensions anormales qu’on peut attribuer à un truquage habile. Quant aux dessins à la plume, on en rira bien entendu, comme d’évidentes impostures ; cependant, les experts en art devraient remarquer une bizarrerie de technique et chercher à la comprendre.

(..)

Le roman débute comme le récit d'une exploration, à la pointe de la découverte scientifique. Des avions et engins de forage sont envoyés en Antarctique au début des années 1930, alors que l'on commence toutjuste à dresser la carte du continent. Mais ce "lieu terrible", plus ancien que n'importe quel autre, ne semble pas se prêter si facilement que cela à l'exploitation.Tout un nouveau pan de l'histoire dela planète est rapidement découvert et ébranle les théories scientifiques en révélant de vastes cités extra-terrestres enfouies sous la glace et les terrifiants survivants de cette civilisation. Au cours des premières pages, Dyer, le narrateur, géologue positif et efficace, détaille avec patience et sur un ton didactique de nouvelles merveilles technologiques. Ce n'est que lorsque le premier groupe d'explorateurs rapporte par radio ses découvertes totalement inhabituelles dans une grotte souterraine que les choses commencent à se prendre une orientation angoissante ... 

 

"...  Pour se faire même une vague idée de nos pensées et de nos impressions en pénétrant dans ce dédale de constructions inhumaines au silence d’éternité, il faut rapprocher un chaos déconcertant d’impressions, de souvenirs et d’émotions  fugitives. L’antiquité absolument accablante et la solitude mortelle des lieux auraient suffi à abattre toute personne sensible, mais à cela s’ajoutaient tout récemment les horreurs inexpliquées du camp et les révélations des terribles sculptures murales autour de nous. Dès que nous tombâmes sur une frise intacte qui ne laissait place à aucune ambiguïté, il ne nous fallut qu’un instant d’examen pour saisir l’atroce vérité – vérité dont il eût été naïf de prétendre que Danforth et moi ne l’avions pas déjà pressentie chacun de son côté, bien que nous ayons évité d’y faire même allusion entre nous. Impossible désormais de recourir au doute quant à la nature des êtres qui avaient construit et habité cette monstrueuse cité, morte depuis des millions d’années, quand les ancêtres de l’homme étaient des mammifères primitifs archaïques et que les énormes dinosaures erraient par les steppes tropicales d’Europe et d’Asie...."

 

Dyer et Danforth, un étudiant, sont alors entraînés dans un tourbillon de découvertes qui remettent en cause toutes leurs notions du temps, de l'espace et de la vie jusqu'à ce que le discours de ce dernier se réduise à des fragments décousus dont il se souvient en rêve...

 

"...  Danforth, dispensé du pilotage et en proie à une redoutable tension nerveuse, ne pouvait rester tranquille. Je le sentais tourner et virer tout en regardant, derrière nous, la terrible cité qui s’éloignait, devant les pics criblés de cavernes, mangés de cubes, sur les côtés la morne étendue des contreforts neigeux semés de remparts, et en haut le ciel bouillonnant de nuages grotesques. C’est alors, juste au moment où je tentais de gouverner pour franchir sans danger la passe, que son hurlement de fou nous mit si près du désastre en bouleversant ma concentration et en me faisant pendant un instant tâtonner en vain sur les commandes. Une seconde plus tard, ma présence d’esprit reprit le dessus et nous réussîmes sans dommage la traversée – mais je crains que Danforth ne soit plus jamais le même.

J’ai dit qu’il refusait de me parler de l’horreur dernière qui lui avait arraché ce cri dément – horreur qui, j’en ai la triste certitude, est essentiellement responsable de son actuel effondrement. Les bribes de conversation que nous échangeâmes à tue-tête pardessus le sifflement du vent et le bourdonnement du moteur, quand nous atteignîmes le bon côté de la chaîne et descendîmes en piqué sur le camp, concernaient plutôt les serments de secret que nous avions faits en nous apprêtant à quitter la ville de cauchemar. Il est des choses, avions-nous convenu, que les gens ne doivent pas savoir ni traiter à la légère – et je n’en parlerais pas à présent, n’était la nécessité de détourner à tout prix de son projet cette expédition Starkweather-Moore, et les autres. Il est absolument indispensable, pour la paix et la sécurité de l’humanité, qu’on ne trouble pas certains recoins obscurs et morts, certaines profondeurs insondées de la Terre, de peur que les monstres endormis ne s’éveillent à une nouvelle vie, et que les cauchemars survivants d’une vie impie ne s’agitent et ne jaillissent de leurs noirs repaires pour de nouvelles et plus vastes conquêtes...."


Howard Philllips Lovecraft défend la science fiction, et le fantastique et l'étrange qui la nourrissent, comme un genre parfaitement éligible à rejoindre ce qu'on appelle la "grande et immortelle littérature", encore faut-il savoir "écrire" et relater des évènements et des phénomènes "impossibles", "improbables", ou "inconcevables", encore faut-il savoir répondre à ce désir d'émerveillement, d'enchantement de l'esprit du lecteur, à ce besoin de "jeter des échelles impalpables pour échapper à l'exaspérante tyrannie du temps, de l'espace et des lois naturelles".... 

"En dépit du flot régulier d`histoires traitant des autres mondes, des autres univers et des vols intrépides entrepris à travers l'espace pour les rejoindre ou pour en revenir, il n'est sans doute pas exagéré de dire que pas plus d'une demi-douzaine, y compris les romans de H.G. Wells, ont ne serait-ce que la plus légère ombre d'une prétention au sérieux artistique ou à la condition littéraire. L'insincérité, la convention, la banalité, l'artificiel et l'extravagance puérile triomphent dans ce genre surpeuplé, de sorte que seuls ses fruits les plus fameux peuvent prétendre à un statut adulte véritable. Et le spectacle d`une vacuité aussi persistante en a conduit beaucoup à se demander si, en effet, aucun ouvrage vraiment littéraire pourrait jamais sortir du sujet en question: I'auteur de ces lignes ne pense pas que le thème du voyage à travers l'espace et les autres mondes puisse être en soi incompatible avec l'usage littéraire. A son avis, si ce thème se trouve ainsi partout déprécié et gâché, cela résulte d'un malentendu très répandu ; malentendu qui s'étend également à d'autres domaines de l'étrange et de la science-fiction. Cette erreur, c'est l'idée qu'aucun phénomène impossible, improbable, ou inconcevable ne peut être présenté avec succès comme un banal récit de faits objectifs et de sentiments conventionnels, sur le ton et dans le style ordinaires du roman populaire. Une telle présentation "passera" souvent avec de jeunes lecteurs, mais ne se rapprochera jamais, fût-ce de loin, du domaine de la valeur esthétique.

Les événements et les circonstances inconcevables forment une catégorie distincte de tous les autres éléments narratifs et ne sauraient devenir convaincants par le seul effet d'un récit quelconque. Ils ont à franchir l'obstacle de l'invraisemblance, et cela ne peut se faire que par l'utilisation d'un réalisme minutieux dans chaque autre phase de l'histoire, et par une construction graduelle de l'atmosphère ou de l'émotion, la plus subtile qui soit. Le point culminant du récit est, lui aussi, très important - il doit toujours tourner autour du prodige de l'anomalie centrale elle-même.

On rappellera que toute violation de ce que nous connaissons comme lois naturelles est en soi bien plus terrible que tout autre événement ou sensation susceptible d'affecter un être humain. Pour cette raison, dans un récit ayant un tel sujet, on ne peut envisager de susciter un sentiment de vie ou une illusion de réalité en n'insistant pas sur le prodige et en faisant évoluer les personnages d'après des motivations ordinaires. Les personnages, bien qu'ils doivent être normaux, devraient être subordonnés à l'élément merveilleux principal autour duquel ils sont regroupés. Le vrai "héros" d'un conte merveilleux n'est pas un être humain, mais simplement un ensemble de phénomènes.

L`absolue, scandaleuse monstruosité de la violation des règles naturelles que l'on a choisie devrait primer sur tout le reste. Les personnages devraient réagir face à elle comme le feraient des personnes réelles si elles devaient y être confrontées soudain dans la vie de tous les jours, et afficher la stupeur presque annihilante pour l'âme que quiconque afficherait au lieu des émotions atténuées, contenues et rapidement passées sous silence que recommande la pacotille des conventions populaires. Même quand le prodige est l'un de ceux auxquels les personnages sont censés être habitués, le sentiment d'effroi mêlé de respect, d'émerveillement et d'étrangeté que le lecteur ressentirait en présence d'une telle chose doit, d'une façon ou d`une autre, être suggéré par l'auteur. Lorsque le récit d'un voyage merveilleux est présenté sans la coloration des sentiments appropriés, on ne lui trouve jamais le moindre éclat. On n'en retire jamais l'illusion excitante qu'une telle chose aurait pu se produire, mais simplement l`impression d'un discours extravagant. En général, on devrait tout oublier des grossières conventions populaires de la littérature alimentaire et essayer de faire de l`histoire que l'on écrit une véritable tranche de vie réelle, sauf là où il est question de l'élément merveilleux que l'on a choisi.

On devrait travailler comme si l'on montait un canular, comme si l'on essayait de faire accepter le mensonge extravagant comme stricte vérité. C'est l'atmosphère, et non l'action, qu'il faut cultiver dans le conte merveilleux. On ne peut pas insister sur les événements eux-mêmes, puisque leur extravagance anormale les fait paraître creux et absurdes dès qu'on les met trop en évidence. De tels événements, même lorsqu'ils sont théoriquement possibles ou concevables dans l'avenir, ne possèdent ni fondement ni contrepartie dans la vie actuelle et dans l'expérience humaine, et ne peuvent donc jamais former la trame d`un conte adulte.

Tout ce à quoi peut sérieusement prétendre un récit merveilleux, c'est être un portrait frappant d`un certain type de caractère humain. A partir du moment où il essaye d'être quoi que ce soit d'autre, il devient banal, puéril, et cesse de convaincre. Pour cette raison, un auteur de fantastique devrait s'attacher en priorité à suggérer subtilement - à user insensiblement de ces allusions et de ces détails dans le choix et dans l'association des composantes du récit qui servent à rendre les ombres d'une ambiance et contribuent à construire une illusion imprécise de l'étrange réalité de l'irréel - et non à énumérer simplement des événements incroyables qui ne peuvent avoir ni sens ni consistance en dehors d'un brouillard de couleur et d'état émotif suggéré. Une histoire adulte et sérieuse doit être fidèle à un aspect ou à un autre de l'existence ; puisque les contes merveilleux n'y peuvent prétendre, il leur faut donc mettre l'accent sur un domaine dans lequel il soit crédible, c'est-à-dire un certain désenchantement ou une certaine inquiétude de l'esprit humain d'où il cherche à jeter des échelles impalpables pour échapper à l'exaspérante tyrannie du temps, de l'espace et des lois naturelles.

Et comment ces principes généraux de fiction fantastique adulte doivent-ils être appliqués au récit interplanétaire en particulier? Qu'ils puissent l'être, nous n'avons aucune raison d'en douter; les facteurs importants étant ici, comme partout ailleurs, un vrai sens du merveilleux, des émotions justes chez les personnages, du réalisme dans le cadre et dans les péripéties secondaires, du soin dans le choix de détails significatifs, et le rejet délibéré des caractères artificiels rebattus et des événements et situations conventionnels stupides qui détruisent immédiatement la vitalité d'une histoire en en faisant le produit d'une mécanique de masse populaire à bout de souffle. Il est ironiquement vrai qu'une histoire artistique de ce genre, écrite honnêtement, sincèrement, sans souci des conventions du genre, n'aurait vraisemblablement aucune chance d'être acceptée par les éditeurs professionnels de la production courante des Pulps. Cela n'influencera pas, cependant, l'artiste réellement déterminé, attaché à créer une œuvre mûre et de valeur. Mieux vaux écrire honnêtement pour un magazine non lucratif, que d'être payé à concocter du clinquant sans valeur. Un jour, peut-être, les conventions des éditeurs de pacotille seront moins scandaleusement absurdes dans leur rigidité antiartistique.

L'action d'une histoire interplanétaire - mis à part les récits de pur fantastique poétique - a avantage à être située dans le présent, ou être censée s`être déroulée dans le passé, secrètement, ou à l`époque préhistorique. Le futur est une période ardue à utiliser, car il est pratiquement impossible d'échapper au grotesque et à l'absurde lorsqu'on en dépeint le mode de vie, et il y a toujours une immense perte émotionnelle, lorsqu`on montre des personnages familiarisés avec les prodiges décrits. Les personnages d`une histoire sont essentiellement des projections de nous-mêmes, et à moins qu'ils ne partagent notre propre ignorance et notre émerveillement à l'égard des événements, ils constituent un handicap inévitable. Ce n'est pas dire que les récits du futur ne peuvent pas être artistiques, mais il est simplement plus difficile de les réussir.

Un bon récit interplanétaire doit posséder des personnages humains réalistes, et non pas les savants modèles, les assistants traîtres, les héros invincibles et les jolies héroïnes (filles des savants), de ce minable répertoire. En effet, il n'y a aucune raison pour qu'il y ait le moindre "traître", "héros" ou "héroïne". Ces personnages types sont entièrement artificiels et n'ont pas leur place dans aucun récit de fiction sérieux. La fonction de l'histoire est d'exprimer une certaine tendance de l'esprit humain à l'émerveillement et à la libération, et toute prétentieuse tentative d'y introduire ce théâtralisme de quatre sous est à la fois hors de propos et injurieuse. Il n'est besoin d'aucun cliché romanesque. On ne doit choisir que des personnages (pas forcément vaillants ou fougueux, jeunes, beaux ou pittoresques) impliqués de façon naturelle dans les événements décrits, et qui se comportent exactement comme des personnes réelles le feraient si elles étaient confrontées à ces situations extraordinaires. Le ton général doit être le réalisme, non le romanesque. 

Le départ de la terre, point crucial et délicat, doit être soigneusement mis au point. En fait, c`est probablement l'unique grand problème de l'histoire. Il doit être amené de manière plausible et impressionnante. Si I'action ne se situe pas dans la préhistoire, mieux vaut présenter le moyen de transport comme une invention secrète. Les personnages doivent réagir à cette invention avec un étonnement absolu, presque paralysant, et on doit éviter cette tendance qu'ont les fictions bon marché à considérer comme presque naturelles ce genre de choses. Pour éviter les erreurs dans les complexes problèmes de physique, il est sage de ne pas trop mentionner de détails dans la description de l'invention.

Le problème posé par la description du voyage à travers l'espace et de l'atterrissage sur un autre monde est à peine moins délicat. Nous devons ici mettre l'accent principalement sur la stupéfaction et l'irrésistible ébahissement que ressentent les voyageurs quand ils réalisent qu'ils ont bien quitté leur terre natale pour des abîmes cosmiques ou un monde extra-terrestre. Inutile de préciser qu'un strict respect des faits scientifiques, lors de la description des aspects mécaniques, astronomiques et autres du voyage est absolument essentiel. Tous les lecteurs ne sont pas ignorants en science, et une contre-vérité flagrante ruine un récit pour quiconque est capable de la détecter. Un soin scientifique équivalent doit être apporté aux descriptions des événements sur la planète étrangère. Tout doit être en parfait accord avec la nature connue ou présumée du globe en question - gravité à la surface, inclinaison axiale, longueur des jours et de l'année, aspect du ciel, etc, et l'atmosphère doit être construite avec des détails significatifs conduisant à la vraisemblance et au réalisme...."  ("Quelques commentaires sur la fiction interplanétaire", "Some Notes on Interplanetary Fiction", 1935, trad. Editions Robert Laffont)


"The Case of Charles Dexter Ward" (L'Affaire Charles Dexter Ward, 1941)

"Un personnage fort étrange, nommé Charles Dexter Ward, a disparu récemment d’une maison de santé, près de Providence, Rhode Island. Il avait été interné à contrecœur par un père accablé de chagrin, qui avait vu son aberration passer de la simple excentricité à une noire folie présentant à la fois la possibilité de tendances meurtrières et une curieuse modification du contenu de son esprit. Les médecins s’avouent complètement déconcertés par son cas, car il présentait des bizarreries physiques autant que psychologiques. En premier lieu, le malade paraissait beaucoup plus vieux qu’il ne l’était..."

Charles Dexter Ward est un jeune homme d’une importante famille de Rhode Island qui a disparu d’un asile psychiatrique. Il avait été incarcéré pendant une longue période de folie, au cours de laquelle il a présenté des changements physiologiques inexplicables. L’essentiel de l’histoire est construite sous forme d'une enquête menée par le médecin de famille des Ward, Marinus Bicknell Willett, dans une tentative de découvrir tant la raison de la folie que celle de ces changements physiologiques observés. Willett apprend que Ward avait passé plusieurs années à tenter de découvrir la tombe de son ancêtre, Joseph Curwen, un personnage étrange, qui aurait fui Salem en 1692 lorsque les persécutions contre les sorciers et sorcières débutèrent de peur d'être lui-même accusé de sorcellerie à cause des expériences de chimie et d'alchimie qu'il pratiquait. Il s'installa à Providence comme armateur et devint l'objet nombreuses rumeurs, hurlements venant de sa ferme, lumières étranges la nuit à ses fenêtres, cargaisons mystérieuses ramenées par ses navires, nombreuses disparitions parmi les marins qu'il employait. Pour endiguer celles-ci, Curwen prend une épouse parmi la bonne société de Providence, la jeune Eliza Tillinghast, sans autre choix pour elle au vu des dettes contractées par son père et forcée de rompre ses fiançailles avec un certain Ezra Weeden. Celui-ci, pour se venger, l'espionne, découvre dans sa vie des indices s'apparentant à la sorcellerie et, avec l'aide d'un petit groupe, décide d'attaquer sa propriété : huit hommes trouvent la mort, sans compter Curwen, dans des conditions singulières. Charles Ward décide donc d'enquêter sur son trisaïeul, réunit documents, lettres et objets lui ayant appartenu, découvre dans son ancienne maison un portrait réalisé par Alexander qu'il entreprend de faire rénover, et surtout, un gros cahier contenant les notes personnelles du sorcier. Charles, après l'avoir étudié et décrypté, entreprend de retrouver les restes de Curwen et ramène ce dernier à la vie à l'aide de ses « sels essentiels ». Tous deux, parfaitement ressemblant l'un à l'autre, s'installent près de l'emplacement de l'ancienne ferme de Curwen à Pawtuxet : mais Curwen ne tarde pas à s'imposer à Charles, qui prend peur, écrit  au docteur Willett : Curwen se débarrasse de son descendant et assume les deux rôles de Charles et de Allen. Le docteur Willett décide alors d'intervenir, se retrouve à parcourir un vaste et horrible catacombe qui se trouve sous le refuge de Curwen, il y découvre ainsi sa véritable identité, la vérité sur ses crimes et ses activités de nécromanciens, mais aussi le moyen de le ramener dans sa tombe. C'est avec le soutien d'un esprit ancien, ennemi de Curwen, qu'il parviendra à le réduire en poussière, après qu'il ait été arrêté, toujours sous le nom de Charles, et interné en maison de santé...


"The Shadow over Innsmouth" (1931, Le Cauchemar d’Innsmouth)

"Au cours de l’hiver 1927-1928, des fonctionnaires du gouvernement fédéral menèrent une enquête mystérieuse et confidentielle à propos de certains faits survenus dans l’ancien port de pêche d’Innsmouth, Massachusetts. Le public ne l’apprit qu’en février, à l’occasion d’une importante série de rafles et d’arrestations, suivie de l’incendie volontaire et du dynamitage – avec les précautions qui s’imposaient – d’un nombre considérable de maisons délabrées, vermoulues et qu’on supposait vides, le long du front de mer abandonné. Les esprits peu curieux considérèrent cet événement comme l’un des affrontements les plus graves de la guerre intermittente contre les trafiquants d’alcool.

Néanmoins, les plus attentifs lecteurs de la presse s’étonnèrent du nombre prodigieux des arrestations, des forces de police exceptionnelles qu’on y mobilisa, et du secret qui entourait le sort des prisonniers. Il ne fut pas question de procès, ni même d’accusation précise ..."

En 1927, le jeune Robert Olmstead débarque a Newburyport. En quête de ses origines, il n’a d’autre option, pour atteindre sa destination, que de prendre un bus qui passe par Innsmouth, ville voisine sur laquelle courent d’effroyables rumeurs : pacte avec les démons, habitants difformes, culte ésotérique d’un étrange dieu marin… La peur qu’elle inspire est telle que personne n’ose s’y rendre, et nul ne sait ce qui se cache derrière les façades de ses maisons délabrées…Pourtant, les mises en garde des résidents de Newburyport, loin de décourager Robert, le poussent au contraire à s’y intéresser et décide d’explorer les méandres de la cité maudite : c’est le début d’une descente aux enfers qui le mènera aux portes de la folie. 

Le lendemain, le voici s'embarquant dans un bus conduit par un autochtone, Joe Sargent...

 

"Le lendemain matin, un peu avant dix heures, j’étais, une petite valise à la main, devant la pharmacie Hammond sur la place du vieux marché, pour attendre l’autobus d’Innsmouth. À mesure qu’approchait le moment de son arrivée, j’observai un recul général des flâneurs qui remontaient la rue ou traversaient la place jusqu’au restaurant Ideal Lunch. L’employé de la gare n’avait donc pas exagéré l’aversion de la population locale pour Innsmouth et ses habitants. Peu après, un petit car gris sale, extrêmement délabré, dévala State Street à grand bruit, prit le tournant et s’arrêta près de moi au bord du trottoir. Je compris immédiatement que c’était lui ; ce que confirma l’inscription à demi effacée sur le pare-brise – « Arkham-InnsmouthNewb’port ».

Il n’y avait que trois passagers – bruns, négligés, l’air morose et assez jeunes – qui descendirent maladroitement quand la voiture s’arrêta et remontèrent State Street en silence, presque furtivement. Le chauffeur descendit à son tour et je le vis entrer dans la pharmacie pour y faire quelque achat. Voilà sans doute, me dis-je, ce Joe Sargent dont parlait l’employé de la gare ; et avant même d’avoir remarqué aucun détail, je fus envahi d’une répugnance instinctive que je ne pus ni expliquer ni réprimer. Je trouvai brusquement tout naturel que les gens du pays n’aient pas envie de voyager dans l’autobus de cet homme ni d’être conduits par son propriétaire, ou de fréquenter le moins du monde la résidence d’un tel individu et de ses pareils.

Lorsque le chauffeur sortit du magasin, je le regardai plus attentivement pour tâcher de saisir la cause de ma mauvaise  impression. C’était un homme maigre de près de six pieds de haut, aux épaules voûtées, vêtu de vêtements civils bleus et râpés, et portant une casquette de golf grise aux bords effrangés. Il pouvait avoir trente-cinq ans, mais les rides bizarres qui creusaient profondément les côtés de son cou le vieillissaient quand on ne regardait pas son visage morne et sans expression. Il avait une tête étroite, des yeux bleus saillants et humides qui semblaient ne jamais cligner, le nez plat, le front et le menton fuyants, et des oreilles singulièrement atrophiées. Sa lèvre supérieure, longue et épaisse, et ses joues grisâtres aux pores dilatés paraissaient presque imberbes, à part des poils jaunes clairsemés qui frisaient en maigres touffes irrégulières ; par places, la peau était rugueuse, comme pelée par une affection cutanée. Ses grandes mains aux veines apparentes étaient d’une teinte gris bleu très extraordinaire. Les doigts, remarquablement courts en proportion, semblaient avoir tendance à se replier étroitement dans l’énorme paume. Quand il revint vers l’autobus, je remarquai sa démarche traînante et ses pieds démesurés. Plus je les regardais, plus je me demandais comment il pouvait trouver des souliers à sa pointure.

Quelque chose de huileux dans son aspect augmenta mon dégoût. Il travaillait sûrement aux pêcheries ou traînait autour car il était imprégné de leur puanteur caractéristique. Impossible de deviner de quel sang il était. Ses singularités n’étaient certainement ni asiatiques, ni polynésiennes, ni levantines ou négroïdes, cependant je voyais bien pourquoi on lui trouvait l’air étranger. Personnellement, j’aurais plutôt pensé à une dégénérescence biologique.

Je regrettai de constater qu’il n’y aurait pas dans l’autobus d’autres passagers que moi. Il me déplaisait, je ne savais pourquoi, de voyager seul avec ce chauffeur..."

 

Arrivé à Innsmouth, il est tout d'abord frappé par l'odeur de poisson qui y règne. La plupart des habitants ont une morphologie étrange, quasi-batracienne. Un culte païen, l'Ordre ésotérique de Dagon, a remplacé la religion chrétienne. Intrigué, Olmstead poursuit son enquête. Après s'être renseigné auprès d'un garçon épicier, le seul habitant normal de cette ville, et d'un vieillard alcoolique, Zadok Allen, la curiosité qui l'a poussé à venir loger dans cette ville fait bientôt place à l'horreur : il semblerait que ce soit un ancien capitaine de navire, Obed Marsh, qui ait été l'initiateur local du culte de Dagon et le rocher du Diable, au large de la ville, abriterait "Ceux des profondeurs" ("These Deep Ones"), des créatures aquatiques qui se reproduiraient avec les habitants en échange de bijoux et de poissons. Ces créatures imposent de lourdes restrictions à la population depuis qu'ils ont écrasé une première rébellion et massacré la moitié des habitants...

Les confidences du vieil homme sont soudain interrompues lorsque ce dernier comprend qu'on les surveille. Olmstead décide de ne pas s'attarder mais ne peut reprendre le bus, celui-ci serait en panne :  le voici contraint de louer une chambre en ville. " Comme il faisait encore jour, je descendis sur la place pour tâcher de trouver à dîner et je remarquai alors les coups d’œil bizarres que me jetaient les flâneurs douteux. L’épicerie étant fermée, je dus me rabattre sur le restaurant que j’avais d’abord évité ; il était tenu par un homme voûté à la tête étroite, aux yeux immobiles et sans expression, et une fille au nez plat et aux mains incroyablement épaisses et maladroites. On ne servait qu’au comptoir ..'

La nuit venue, il comprend qu'une embuscade va lui être tendue, il s'enfuit de l'hôtel et tente d'échapper à Ceux des profondeurs....

 

"...  Je me croyais prêt au pire, et j’aurais dû l’être étant donné tout ce que j’avais déjà vu. Mes autres poursuivants abominablement déformés ne devaient-ils pas me préparer à affronter un redoublement de monstruosité, à considérer des formes qui  n’auraient plus rien de normal ? Je n’ouvris les yeux que lorsque la rauque clameur éclata manifestement juste en face de moi. Je compris alors qu’une partie importante de la troupe se trouvait bien en vue là où les flancs de la tranchée s’abaissaient pour laisser la route traverser la voie – et je ne pus m’empêcher plus longtemps de découvrir quelle horreur avait à m’offrir cette lune jaune et provocante.

Ce fut la fin, pour ce qui me reste à vivre sur cette terre, de toute paix, de toute confiance en l’intégrité de la Nature et de l’esprit humain. Rien de ce que j’avais pu imaginer – même en ajoutant foi mot pour mot au récit dément du vieux Zadok – n’était en aucune façon comparable à la réalité démoniaque, impie, que je vis ou que je crus voir. J’ai tenté de suggérer ce qu’elle était pour différer l’horreur de l’écrire sans détour. Se peut-il que cette planète ait vraiment engendré semblables créatures ; que des yeux humains aient vu en chair et en os ce que l’homme n’a connu jusqu’ici que dans les fantasmes de la fièvre et les légendes sans consistance ?

Pourtant je les vis en un flot ininterrompu – clopinant, sautillant, coassant, chevrotant –, houle inhumaine sous le clair de lune spectral, malfaisante sarabande d’un fantastique cauchemar. Certains étaient coiffés de hautes tiares faites de cette espèce d’or blanchâtre inconnu… d’autres vêtus d’étranges robes… et l’un, qui ouvrait la marche, portait une veste noire épouvantablement bossue, un pantalon rayé et un feutre perché sur la chose informe qui lui servait de tête… Je crois que leur couleur dominante était un vert grisâtre, mais ils avaient le ventre blanc. Ils semblaient en général luisants et lisses, à part une échine écailleuse. Leurs formes rappelaient l’anthropoïde, avec une tête de poisson aux yeux prodigieusement saillants qui ne se fermaient jamais. De chaque côté du cou palpitaient des ouïes, et leurs longues pattes étaient palmées. Ils avançaient par bonds irréguliers ..."

 

 Au matin, Olmstead parvient à gagner un village voisin et à prévenir les autorités, qui enquêtent, ce qui aboutit l'hiver suivant à une expédition militaire dans le plus grand secret. Mais Olmstead n'est pas au bout du cauchemar, il découvre que son ancêtre n’est autre qu’Obed Marsh lui-même. son corps commence à subir des transformations physiques et lui ne tarde pas à se sentir irrésistiblement attiré par les profondeurs de la mer...

 


David Lindsay, "A Voyage to Arcturus" (1920)

"Un voyage en Arcturus", écrit par David Lindsay (1876-1945), a inspiré, enchanté et déstabilisé les lecteurs pendant des décennies. Il s'agit à la fois d'une quête épique à travers l'un des mondes extraterrestres les plus inhabituels et les plus brillamment représentés jamais conçus, d'un voyage de découverte profondément émouvant au cœur métaphysique de l'univers et d'une excursion étonnamment intime dans ce qui nous rend humains et uniques.  Après un étrange voyage interstellaire, Maskull, un homme de la Terre, se réveille seul dans un désert sur la planète Tormance, brûlé par les soleils de l'étoile binaire Arcturus. Au cours de son voyage vers le nord, guidé par le battement d'un tambour, il rencontre un monde et ses habitants comme aucun autre, où le sexe est une victoire remportée à prix fort, où le paysage et l'émotion sont entraînés dans une danse maudite, où les héros sont tués, renaissent et sont rebaptisés, et où les attraits cosmologiques de Shaping, qui peut être Dieu, tourmentent Maskull dans son étonnant pèlerinage. Au terme de sa quête ardue et de plus en plus mystique, il attend un sombre secret et une révélation inoubliable... 


"Frau im Mond", Fritz Lang (1929)

"La femme sur la lune" est la dernière œuvre muette de Fritz Lang, adapté du roman de Thea von Harbou, romancière populaire qui participera à l'écriture de "M le maudit" et de "Metropolis". C'est aussi l'ultime superproduction des studios UFA avant la crise de 1929, mais à une époque où Hermannn Oberth et Fritz von Hoppel commençaient à échafauder des plans sur la conquête spatiale. Le film comporte deux parties, la première se déroule sur Terre, avec constitution du projet et de l'équipe aux personnalités disparates. L'impressionnant départ de la fusée introduit la deuxième partie qui se déroule sur la Lune, une Lune constellée de grottes mystérieuses, et qui tourne au tragique sous la convoitise de certains protagonistes, un groupement financier contrôlant le marché de l'or ayant imposé sa participation à leur expédition...


1929 - "Science Wonder Stories..." 

"Then came the crucial summer of 1929, in which everything seemed to conspire to change the direction of my life. (It was the last summer of the Roaring Twenties, the last merry spark before the stock-market crash and the beginning of the Great Depression, but no one knew that, of course.) For one thing, it was a time of crisis for Amazing Stories. Though it had been doing well, there were business machinations of a kind that go beyond the capacity for understanding of my essentially simple mind (Sam Moskowitz knows the story in detail), and Gernsback was forced out of ownership of the magazine. The last issue of what we can call the “Gernsback Amazing” was the June 1929 issue, I believe. (I may be wrong by one or two months here.) It had gone thirty-nine issues. The magazine was taken over by Teck Publications, so with the July 1929 issue we can speak of the “Teck Amazing. Gernsback, a man of considerable resource, had no intention of leaving the magazine field or, for that matter, of abandoning science fiction. Without missing a step, he founded another science fiction magazine, which was thereafter to compete with Amazing Stories and was to double the supply of reading matter for the science fiction public. Gernsback’s new magazine was called Science Wonder Stories, and its first issue was dated June 1929. Gernsback went further indeed and started a companion magazine called Air Wonder Stories, which began with the July 1929 issue. The supply of science fiction was thus tripled, and the existence of these new magazines was to prove of crucial importance to me. (Asimov, Before the Golden Age)

 

Puis vint l’été crucial de 1929, où tout semblait conspirer pour changer la direction de ma vie. (C’était le dernier été des années folles, la dernière étincelle joyeuse avant le krach boursier et le début de la Grande Dépression, mais personne ne le savait, bien sûr.) D’une part, c’était une période de crise pour Amazing Stories. Bien que cela se soit bien passé, il y a eu des machinations commerciales qui vont au-delà de la capacité de compréhension de mon esprit essentiellement simple (Sam Moskowitz connaît l’histoire en détail), et Gernsback a été forcé de quitter la propriété du magazine. Le dernier numéro de ce que nous pouvons appeler le « Gernsback Amazing » est celui de juin 1929, je crois. (Je me trompe peut-être d’un ou deux mois.) Le magazine a été repris par Teck Publications, alors avec le numéro de juillet 1929, nous pouvons parler du « Teck Amazing ». Gernsback, un homme de ressources considérables, n’avait pas l’intention de quitter le domaine des magazines ou, d’ailleurs, d’abandonner la science-fiction. Sans manquer une étape, il a fondé un autre magazine de science-fiction, qui était par la suite en concurrence avec Amazing Stories et devait doubler l’offre de lecture pour le public de science-fiction. Le nouveau magazine de Gernsback s’appelait Science Wonder Stories, et son premier numéro était daté de juin 1929. Gernsback est allé plus loin et a lancé un magazine compagnon appelé Air Wonder Stories, qui a commencé avec le numéro de juillet 1929. L’offre de science-fiction a donc été triplée, et l’existence de ces nouveaux magazines devait s’avérer d’une importance cruciale pour moi...


1930s - "The World Of Science Fiction" est en gestation et se cherche encore, s'installe progressivement sur la scène littéraire et cinématographique, mêlant encore bien des genres,  son âge d'or est à venir dans les décennies suivantes où elle épuisera toutes les thématiques possibles que notre être humain portait en lui. 1930s, dominées par "Brave New World" d'Aldous Huxley (1931-1932), c'est le temps de Stanley G. Weinbaum (1902-1935), "A Martian Odyssey" (1934), Murray Leinster (1895-1975), "Sidewise in Time" (1934), Olaf Stapledon (1886-1950), "Star Maker" (1937), , "At the Mountains of Madness", H.P. Lovecraft, "Out of the Silent Planet",  de C.S. Lewis, "Lost Horizon", de James Hilton "War with the Newts", de Karel Čapek, "A Fighting Man of Mars", de Edgar Rice Burroughs, "The Shape of Things to Come" de H.G. Wells, "The Shadow Out of Time" de H.P. Lovecraft, "Carson of Venus" de Edgar Rice Burroughs, ... Et vers la fin des années 1930, alors que le climat politique changeait en Europe, des éléments de science-fiction viennent étayer les horreurs imaginées d'une Seconde Guerre mondiale ...


Unknown - Dans les années 1930, et depuis 1923, le principal magazine de fantastique était Weird Tales, privilégiant trop l'horreur pour Campbell en quête de plus de finesse : c'est ainsi que naquit "Unknown", magazine publié entre 1939 et 1943, accompagnant le fascicule de science-fiction de Street & Smith, Astounding Science Fiction. Un magazine de qualité qui ne rencontra pas le succès commercial escompté. Le premier numéro comptait "Sinister Barrier" (Guerre aux invisibles), d'Eric Frank Russell, "Trouble With Water" de Horace Gold, le rédacteur en chef de Galaxy qui apparaîtra dans les années 1950, "Where Angels Fear ..." de Manly Wade Wellman, auteur de romans d’horreur et de fantasy. Eric Frank Russell (1905-1978) avait pour spécialité l'affrontement entre la race humaines et des extraterrestres belliqueux, sans véritablement faire preuve d'une imagination débordante (Dreadful sanctuary, 1948; he star watchers / Sentinels from space, 1953; he Space Willies, 1958)....


Stanley G. Weinbaum, "A Martian Odyssey" (1934)   

"The Martian wasn't a bird, really. It wasn't even bird-like, except just at first glance. It had a beak all right, and a few feathery appendages, but the beak wasn't really a beak. It was somewhat flexible; I could see the tip bend slowly from side to side; it was almost like a cross between a beak and a trunk. It had four-toed feet, and four-fingered things—hands, you'd have to call them, and a little roundish body, and a long neck ending in a tiny head—and that beak." - Isaac Asimov considérait que "A Martian Odyssey" faisait partie de ses nouvelles qui eurent un impact notable sur l'évolution de la science-fiction. "The First Men in the Moon" (1901) de Wells avait conçu des extraterrestres semblables à des fourmis et la vague d'histoires d'invasion extraterrestre qui avait suivi, privilégiait l'image d'un monstre à l'œil de bête (bug-eyed monster). Stanley G. Weinbaum (1902-1935) va publier cette première histoire en 1934 dans Wonder Stories et décrire pour la première fois "une créature qui pense aussi bien qu'un homme, ou même mieux qu'un homme, mais pas comme un homme", Tweel...

La plupart de ses textes seront publiés dans les années trente par des magazines comme Astounding, Wonder Stories Magazine. Raymond Z. Gallun (1911-1994), qui vendra de nombreuses nouvelles aux magazines pulps dans les années 1930, reprendra dans sa première histoire, " Old Faithful" (1934) une représentation un Martien, certes étrange et tentaculaire, mais parfaitement sympathiques, Gallun, devenu un personnage plébiscité dans les anthologies... 


Murray Leinster, "Sidewise in Time" (1934) 

William Fitzgerald Jenkins a écrit sous le nom de Murray Leinster (1896-1975) et alimenté les revues américaines pendant plus d'un demi-siècle, plus de 1400 nouvelles et articles, 14 scénarios de films et des centaines de textes radiophoniques et de pièces de théâtre télévisées : on peut noter au passage combien sont et seront prolifiques les auteurs de science fiction, à croire que cette matière, tout comme le roman de "mystères" ou policier, permet un nombre quasi infini de combinatoires d'intrigues....

Il avait déjà beaucoup écrit, dans une prose parfois décrite comme rudimentaire, des mystères, des aventures, du western, lorsqu'il fait paraître sa première histoire de science-fiction, "The Runaway Skyscraper, dans le numéro du 22 février 1919 de la revue Argosy, le tout premier pulp magazine américain. Dans les années 1930, il publie plusieurs histoires et séries de science-fiction dans Amazing and Astounding Stories (le premier numéro d'Astounding comprenait son histoire "Tanks"). "The Fifth-Dimensional Catapult" fait la couverture de "Astounding Stories" en janvier 1931. "First Contact" en 1945 relate la tentative de communication de deux espèces dans l'espace lointain. "A Logic Named Joe" (1946), contient l'une des premières descriptions d'un ordinateur ("logic") dans la fiction, allant jusqu'à imaginer ces fameux "logic" dans chaque foyer et reliées par un système distribué de serveurs ("tanks"). 

Leinster est l'un des premiers auteurs d'histoires sur les univers parallèles et les paradoxes du voyage dans le temps : si un être humain parvient à se libérer des chaînes conventionnelles de la causalité, s'ouvre à lui des énigmes métaphysiques des plus singulières : ainsi l'énigme que pose un homme qui voyage dans le temps et qui tue son propre grand-père. Ces paradoxes du voyage dans le temps, une catégorie bien particulière dans la science-fiction ((on parle d'uchronie ou ou de "no-times") étaient généralement résolus de manière aussi ingénieuse que les mystères de meurtres en chambre fermée. Dans "Sidewise in Time", publié dans la revue Astounding Stories en 1934, Leinster ouvre la voie à la notion de "multivers",  ou plusieurs mondes alternatifs existant en parallèle, et suggère une vaste multiplicité d' "histoires" qui toutes peuvent survenir au même "moment" dans notre propre monde. Un mathématicien du Robinson College de Fredericksburg, en Virginie, le professeur Minott, a calculé qu'un cataclysme apocalyptique était sur le point de détruire l'univers entier, et les premières manifestations laissent surgir dans le monde actuel des fragments d'univers du passé, une légion romaine apparaît à la périphérie de St. Louis, dans le Missouri, des drakkars vikings font un raid dans un port maritime du Massachusetts, un vendeur itinérant de Louisville, Kentucky, se retrouve en pleine guerre de Sécession. Le professeur Minott va donc diriger une expédition de sept étudiants du Robinson College pour explorer l'un de ces "oscillations du temps" ... Jack Williamson, dans "The Legion of Time" (1934) ou Isaac Asimov, dans "Living Space" (1956), "The Red Queen's Race" (1949),  "The End of Eternity" (1955), exploiteront ce thème...  


"Things to come" (1936), réalisé par William Cameron Menzies, à partir d'un livre de H.G.Wells, "The Shape of Things to Come", est peut être le premier film de science fiction : mais alors que Metropolis (1926) spéculait sur l'évolution des techniques, "La Vie future" s'ouvre sur l'avenir d'un monde ayant subi la destruction de la civilisation européenne par une Seconde Guerre mondiale : l'élément rationnel chez l'homme l'emportera toujours au bout du compte sur sa tendance à l'autodestruction...

 


Olaf Stapledon, "Star Maker" (1937)  

"ONE night when I had tasted bitterness I went out on to the hill. Dark heather checked my , et. Below marched the suburban lamps. Windows, their curtains drawn, were shut eyes, inwardly watching the lives of dreams. Beyond the sea's level darkness a lighthouse pulsed. Overhead, obscurity. I distinguished our own house, our islet in the tumultuous and bitter currents of the world. There, for a decade and a half, we two, so different in quality, had grown in and in to one another, for mutual support and nourishment, in intricate symbiosis. There daily we planned our several undertakings, and recounted the day's oddities and vexations. There letters piled up to be answered, socks to be darned. There the children were born, those sudden new lives. There, under that roof, our own two lives, recalcitrant sometimes to one another, were all the while thankfully one, one larger, more conscious life than either alone. All this, surely, was good. Yet there was bitterness. And bitterness not only invaded us from the world; it welled up also within our own magic circle. For horror at our futility, at our own unreality, and not only at the world's delirium, had driven me out on to the hill...." - Olaf Stapledon (1886-1950), philosophe de formation, écrit relativement tardivement des oeuvres de science-fiction singulières, étranges, et d'une densité reconnue. Le philosophe s'interroge dans un premier temps sur l'avenir de l'humanité dans son cadre cosmique, sa mutabilité dans une perspective vaste mais pessimiste. Peu importe l'individu. "Last and First Men" (1930) est une fresque monumentale qui retrace dix-huit "races" successives dont l'ultime vivra dans quelque deux milliards d'années, que l'on mette l'accent sur le physique (les Septièmes Hommes volants de Vénus) ou le mental (les Quatrièmes Hommes à cerveau géant). 

"Star Maker" (1937) est plus ambitieux encore, développant une véritable quête cosmique et métaphysique. Le récit met en scène Anglais bien tranquille qui menait jusque-là une petite vie heureuse, et qui, observant le ciel, par une belle nuit étoilée, sur une colline couverte de bruyère des environs de sa ville, bascule dans une aventure que l'on ne peut qualifier de « cosmique ». Il est en effet brusquement emporté dans l'espace mais, à la différence des autres voyages spatiaux habituels à la Science-Fiction, il s'agit ici d'un voyage par l'esprit...  Voyageant  à travers l'espace et le temps, le voici observant les extraterrestres en tant qu'acteurs métaphysiques dans un drame cosmique  éloigné de toute préoccupation humaine. Il va de monde en monde, contemple une multitude de planètes, de créatures, de formes d'intelligence, jusqu'à rencontrer le créateur de l'univers (Star Maker). Les descriptions et les discours socio-philosophiques de Stapledon sur les empires galactiques, les formes de vie extraterrestres symbiotiques, le génie génétique, l'écologie et la surpopulation ont inspiré un certain nombre d'écrivains de SF, dont Arthur C. Clarke, dans les années 1940 et 1950... 


La première vague de films d’horreur dans les années 1930 et 1940 était principalement une adaptation d’œuvres classiques peuplées de personnages monstrueux devenus les plus représentatifs de notre "imaginerie" de l'horreur, le vampire, le loup-garou, la momie, le zombie, et Frankenstein, des êtres totalement absents de l'imaginaire de Lovecraft....

La deuxième vague de films d’horreur dans les années 1950 intégrera de la science-fiction lui permettant de répondre aux fameuses angoisses suscitées par la guerre froide et l’avènement de l’ère nucléaire. Dans les années 1960, Hollywood voit percer des cinéastes indépendants tandis qu'apparaissent des auteurs et des réalisateurs qui ont lu dans leur jeunesse du Lovecraft, ne serait-ce qu'au travers des magazines de fiction des années 1920 et 1930. La première adaptation de Lovecraft pour l’écran passe inaperçue, c'est en 1963, "The Haunted Palace", de l'inspiration est celui d'un poème d’Edgar Allan Poe, le film est réalisé par Roger Corman, ave Vincent Pride, le  récit mêle sorcellerie et possession surnaturelle, mais s'inspire plus ou moins vaguement du court roman de Lovecraft, "The Case of Charles Dexter Ward" ..

On aurait pu penser qu’un flux régulier de films de Lovecraft aurait suivi après cette première tentative, mais ce ne fut pas le cas. Au cours des vingt années suivantes, moins d’une douzaine de films basés sur les histoires de Lovecraft sont sortis, certains d’entre eux plus ambitieux que d’autres. En 1965, Daniel Haller réalise "Die, Monster, Die!" (alias Monster of Terror) , une interprétation de l’histoire de terreur de science-fiction de Lovecraft, « The Colour Out of Space », qui associe le maître de l’acteur d’horreur Boris Karloff à l’adolescent Nick Adams. Le scénario a été écrit par Jerry Sohl, dont le générique comprenait des scénarios pour Alfred Hitchcock Presents, The Twilight Zone et The Outer Limits. Sohl a également écrit Curse of the Crimson Altar (1968), une adaptation en vrac de Lovecraft « The Dreams in the Witch House » qui correspondait à Karloff avec Christopher Lee, qui dans les années précédentes était devenu bien connu pour ses représentations du comte Dracula (entre autres rôles) dans une série de films produits par les tristement célèbres studios Hammer d’Angleterre. La plus connue de toutes les adaptations de Lovecraft de cette époque est probablement « The Dunwich Horror » (1970), le premier film à prendre son titre directement d’une des histoires de Lovecraft....