Uwe Johnson (1934-1984), "La Frontière" (Mutmaßungen über Jakob, 1959), "L'impossible biographie" (Das dritte Buch über Achim, 1961), "Deux points de vue" (Zwei Ansichten, 1965)  - Siegfried Lenz (1926-2014), "Deutschstunde" (la Leçon d'allemand, 1968) - Martin Walser (1927), "Halbzeit" (1960), "Das Einhorn" (1966), "Der Sturz" (1973) - Christa Wolf (1929-2011), "Christa T." (Nachdenken über Christa T, 1968), "Le ciel divisé" (Der geteilte Himmel, 1963) - .....

Last update: 12/31/2016


RFA/RDA, "die deutsche Teilung" - La fin de la guerre laisse l'Allemagne en ruines et en phase de liquidation de son héritage nazi : en littérature, la langue allemande se reconstruit autour d'écrivains suisses ou autrichiens. Les circonstances de cette guerre, les crimes sans mesure au XXe siècle qu'elles ont générés, semble générer de nouvelles conditions existentielles, le temps d'une longue et difficile interrogation sur le pourquoi et le comment.

Mais les générations suivantes persisteront-elles dans ce questionnement? on ne lit déjà plus Hans Werner Richter, Hans Magnus Enzensberger...

 


L'armée allemande capitule en 1945 et les Alliés partagent alors l'Allemagne en plusieurs zones d'occupation; en 1949, les zones américaine, française et britannique deviennent la République fédérale d'Allemagne (RFA) et la zone soviétique devient la République démocratique allemande (RDA). C'est en 1961 que la RDA, pour enrayer l'émigration massive des ressortissants d'Allemagne de l'Est vers les quartiers ouest de Berlin, érige un mur entre les secteurs oriental et occidental de Berlin. En 1969, le social-démocrate Willy Brandt devient chancelier, et cherche à rétablir de meilleures relations avec l'Union soviétique et l'Allemagne de l'Est (Ostpolitik). En 1971, Erich Honecker succède à Walter Ulbricht à la tête de la RDA, et le nouveau chancelier Helmut Schmidt, qui remplace un Willy Brandt discrédité par la fameuse affaire d'espionnage suscitée par Günter Guillaume, (1974) poursuit la politique d'ouverture de la RFA à l'Est. En 1973-1976, la situation se durcit en RDA: espionnage,  propagande, Stasi et mitraillage automatique aux frontières. Les années 1980 détendent ensuite les relations inter-Allemagne. En 1989, alors que le bloc soviétique annonce son intention d'entrouvrir les frontières, la RDA suit en supprimant les restrictions sur les voyages à l'étranger, des centaines d'Allemands de l'Est se précipitent vers l'ouest, débouchant sur la Chute du Mur de Berlin. 

 

Le renouvellement de la littérature allemande, à l'Ouest, s'effectue, dans les années cinquante, grâce à la génération rassemblée autour du "Gruppe 47", qui de 1947 à 1977, réunit des écrivains de langue allemande comme Günter Eich (1907-1972), Heinrich Böll (1917-1985), Günter Grass (1927-2015) , Uwe Johnson (1934-1984) , Ilse Ainchinger (1921-2016), Ingeborg Bachmann (1926-1973), Martin Walser (1927), qui veulent affronter la réalité en soutenant l'effort de reconstruction d'Adenauer tout en analysant les survivances morales du passé. C'est que l'on appelle couramment l'ère d'un «réalisme critique» où la description sociologique s'allie aux recherches formelles qui remettent en cause le principe même de la narration subjective. 

Martin Walser dénonce l'utopie d'une conversion profonde de l'Allemagne (Chêne et lapins angora, 1962) et décrit dans ses romans (Couples à Philippsbourg, 1957) la société froide du "miracle économique". Heinrich Böll peint au travers du petit bourgeois catholique rhénan la persistance d'une certaine Allemagne, comme dans "Billard à neuf heures et demie" (1959). Uwe Johnson (Conjectures sur Jacob) part à la recherche de son personnage, tandis que Günter Grass écrit le roman du roman avec le premier volet de sa Trilogie de Dantzig, "Le Tambour". Et comme Günther Grass et Heinrich Böll, Siegfried Lenz (1926-2014) étudie les conséquences  du passé totalitaire allemand sur les années d'après-guerre, et dans son roman le plus célèbre, "Deutschstunde" (la Leçon d'allemand, 1968) , il va s'intéresser directement à la notion de "devoir" : comment affecte-t-elle le père de Siggi Jepsen, son "héros", qui doit obéir aux ordres, le peintre expressionniste Nansen, guidé par sa conscience et sa vocation et que l'on veut interdire, et Siggi, le fils, qui se débat entre les deux? C'est bien la remise en question de l'autorité qui est ici évoquée.

 

 

Enfin la constitution de la RDA en 1949, puis la construction du Mur vont créer les conditions d'une littérature spécifique. Succédant à Anna Seghers et à Johannes Bobrowski, la littérature des années 1960 en RDA voit cohabiter une instrumentalisation destinée à construire "le socialisme réel existant" (Erik Neutsch) et une nouvelle génération qui introduit des attitudes et des sentiments contradictoires (Christa Wolf). D'un côté l'engagement politique et social se fait au détriment de la vie intérieure, de l'autre en se laissant gagner par l'introspection, est mis à nu le déficit des espérances déçues. Pour Christa Wolf, "le passé n'est pas mort; il n'est même pas passé. Nous nous coupons de lui et le traitons en étranger." Hantée par la nécessité de ne pas se laisser asphyxier par un passé qu'on refoule, elle a toujours eu le sentiment que dans la littérature de son pays, la République démocratique allemande, les écrivains ne parlaient pas des évènements personnels et historiques les plus aigus pour se laisser aller très loin dans l'autocensure. Deux mondes, RFA, RDA, trois décennies qui sembleront les opposer tant les idéologies et les institutions politiques qui les servent parviennent à forger des pensées, des langages, des automatismes d'écriture, jusqu'à ce que la réalité humaine en vienne insensiblement à les remettre en question ...


Uwe Johnson (1934-1984)
"Aber Jakob ist immer quer über die Gleise gegangen" (Mais Jacob a toujours traversé les voies). Uwe Johnson a connu la RDA avant le Mur, en 1956, la répression, les tentatives de soulèvements,  puis l'Allemagne de l'Ouest (Berlin) et au final n'a pu se résoudre à rejoindre l'un ou l'autre camp. Homme de bonne volonté, il lui faut prendre de la distance pour parler des deux Allemagnes et tenter de comprendre... On lui reconnaît, avec Günter Grass, une virtuosité dans l'écriture de ses romans rarement atteinte depuis Thomas Mann.

Né dans un village de Poméranie, Cammin, après ses études à Rostock et à Leipzig, Uwe Johnson quitte la RDA en 1959 - il a été en effet reconnu officiellement inapte à un emploi public, non-conformiste, haine du troupeau organisé, -  vit quelque temps à Berlin-Ouest (1959), à Rome (1962) et aux USA (1966-68), avant de s'installer en Angleterre. Son premier roman "La frontière", l'impose d'emblée comme l'un des auteurs majeurs de sa génération. A travers le destin tragique d'un homme, il décrit l'Allemagne de l'après-guerre et des Allemands qui ne se sentent chez eux ni d'un côté ni de l'autre de la frontière qui maintenant les sépare. Ce thème, qui réapparaît dans tous ses livres, contribue à faire de lui "le premier auteur des deux Allemagnes" et sa technique (superposition d'images, retours en arrière, insertions de documents, articles de journaux...) celui d'un écrivain d'avant-garde. Ces mêmes principes d'écriture se retrouvent dans sa grande entreprise romanesque à laquelle il se consacre entièrement à partir de 1968 et où il reprend des personnages de son premier livre:  Conjectures sur Jacob (Mutmassungen über Jakob, 1959), L’impossible biographie (Das dritte Buch über Achim, 1962), Une année dans la vie de Gesine Cresspahl (Aus dem Leben von Gesine Cresspahl, 1970, 1971, 1973, 1983), Une visite à Klagenfurt (Eine Reise nach Klagenfurt, 1974), Concomitances (Begleitumstände, 1980), L'accidenté (Skizze eines Verunglückten, 1981).

 

Le premier roman publié d'Uwe Johnson est un livre difficile en raison de la complexité de sa construction narrative, mais son thème (la division de l'Allemagne) a immédiatement fait connaître le jeune auteur d'après-guerre et le "Grenzganger" de l'Allemagne de l'Est. Origine : la mère de Johnson travaillait à la Reichsbahn comme contrôleuse, puis dans le transport de marchandises. Après sa fuite, son fils a pu continuer à manger à la cantine ferroviaire de Gustrow. C'est ainsi qu'il a découvert le monde du travail. Après avoir eu des difficultés à faire imprimer les premiers scripts de ses romans, Johnson écrivit entre le 6 février et le 4 décembre 1958 le livre qui devait d'abord s'appeler "Guten Tag, Jakob" et paraître sous le pseudonyme de Joachim Catt. Synopsis : Jakob Abs, 28 ans, originaire du Mecklembourg, est fonctionnaire à la Reichsbahn de la RDA à Dresde. En novembre 1956, il est écrasé par une locomotive sur le terrain de manœuvre. Que sa mort soit un accident dans le brouillard, un suicide ou même planifiée par les autorités ne peut faire l'objet que de "soupçons" qui éclairent ses antécédents (Jakob Abs, 28 Jahre alt, stammt aus Mecklenburg und ist Beamter bei der DDR-Reichsbahn in Dresden. Im November 1956 wird er auf dem Rangiergelande von einer Lok uberfahren. Ob sein Tod ein Unfall im Nebel, Selbstmord oder gar von den Behorden geplant war, kann nur Gegenstand von "Mutmassungen" sein, welche die Vorgeschichte erhellen) ... Un livre ponctué de références bibliques, à commencer par le nom de Jacob, qui lui confèrent une dimension supra-temporelle. Pour l'auteur, la complexité de la narration n'était pas un formalisme, mais l'expression adéquate de la situation allemande. Le livre, conçu comme une contribution critique à la littérature indépendante de la RDA, a fait sensation, car Johnson s'est installé à l'Ouest peu après sa publication par la maison d'édition Suhrkamp de Francfort. La RDA l'a ignoré pendant 20 ans ; on peut lire le roman "Der geteilte Himmel" (1963) de Christa R Wolf comme le contre-projet d'un impossible dialogue, le temps de quelques décennies ..

 


La Frontière (Mutmaßungen über Jakob, 1959)

"Un cheminot a été écrasé par un train. S'agit-il d'un accident ou d'un suicide? Uwe Johnson se livre à une véritable enquête policière : il retrace les derniers jours de Jacob Abs, évoque ses amours et ses amitiés et scrute les motifs possibles de l'attitude de son héros. Mais Uwe Johnson n'a pas voulu seulement écrire un roman policier. La Frontière est un des grands romans politiques de notre époque et il se déroule à la lisière de deux mondes, à la frontière entre les deux Allemagnes. Tout notre destin est engagé dans les actes et discussions des personnages qui peuplent ce roman que la critique du monde entier a considéré comme le livre le plus important écrit en Allemagne depuis la fin de la guerre. 

 Uwe Johnson se sert de toutes les techniques romanesques pour nous conter cette histoire. Il ne prend position ni pour, ni contre le roman classique, comme il refuse d'opter exclusivement en faveur des expériences les plus récentes. Il utilise tous les moyens d'expression qui lui semblent nécessaires à l'expression de toute la complexité du monde où nous vivons. " (Editions Gallimard)

 

Travailleur, calme, loyal, prudent à l'égard de la politique est-allemande et plutôt sceptique à l'égard de l'Allemagne de l'Ouest, Abs est surveillé par le contre-espionnage depuis que sa mère et son amie Gesine Cresspahl, qui travaille désormais pour l'OTAN, sont passées à l'Ouest. L'intrigue est marquée par la semi-perméabilité du rideau de fer pendant la courte période de dégel, qui prend fin après le soulèvement hongrois de 1956 - Jakob, en tant que cheminot, remarque les transports militaires soviétiques.  Gesine rend visite à son père Heinrich et à Jakob, sous la pression du capitaine de l'Abwehr Rohlfs. Alors qu'il arrête le Dr Blach, un assistant universitaire critique envers le régime et amoureux de Gesine, Rohlfs laisse le couple Cresspahl-Abs en liberté afin de les gagner tous les deux, si possible sans violence, de sorte que Jakob peut même se rendre à l'Ouest, d'où il revient volontairement malgré l'amour de Gesine et meurt le jour même. 

L'histoire est certes mystérieuse mais peu spectaculaire, typique des difficultés des relations interallemandes, qu'elles soient privées ou politiques, elle se déroule de manière analytique et n'est en aucun cas linéaire. A l'instar du personnage de Max Frisch, Stiller, Jakob Abs doit être reconstruit par d'autres. C'est pourquoi la majeure partie des cinq chapitres est constituée de fragments de conversations entre le collègue Joche et Jonas Blach, entre ce dernier et Gesine, entre cette dernière et Rohlfs, ainsi que de monologues intérieurs en italique, que le lecteur doit attribuer aux personnes de contact de Jakob dans un jeu de reconstruction. A cela s'ajoutent des passages dans lesquels un narrateur établit le contexte...


L'impossible biographie (Das dritte Buch über Achim, 1961)

"Achim est un célèbre cycliste de l'Allemagne Orientale, à qui deux livres ont été consacrés. Le gouvernement cherche à ce que la biographie de ce héros national soit officiellement et définitivement établie.  Cet ouvrage s'intitulera L'impossible biographie; et c'est un ami d'Achim, journaliste à Hambourg, qui se charge de ce travail. 

A travers l'existence du champion, Uwe Johnson reprend un des thèmes qui lui tiennent à coeur : le partage de son pays en deux Etats. Le journaliste Karsh cherche à comprendre la vie d'Achim. Il croit tout savoir sur lui, mais, en réfléchissant, il s'aperçoit qu'il ne le connaît pas. Il découvre que ce héros est un homme comme les autres. De même il se sent étranger dans cette zone de l'Est et ne sait pas pourquoi. Il veut tout voir, tout apprendre, il tente de tout imaginer, mais le mystère et l'ambiguïté ne font que s'accroître." (Editions Gallimard)

 


Deux points de vue (Zwei Ansichten, 1965)

"Lors d'un voyage à Berlin, B. (lui) fait connaissance de D. (elle). Il est photographe à Hambourg, et n'a qu'une vraie passion : les voitures de sport. Elle est infirmière dans un hôpital de Berlin-Est. Elle n'y est pas fort bien vue : son père était un officier supérieur pendant la guerre. À peine les deux jeunes gens se sont-ils liés, que survient la construction du mur de Berlin. D. ne peut plus sortir de l'Est. B. s'emploie à la faire fuir. L'essentiel du livre est la relation des efforts qu'ils font, lui à l'Ouest, elle à l'est – petites démarches, contacts, espoirs, promesses – pour leur permettre de se rejoindre. 

La fuite, finalement, réussira. Mais le vrai sujet du livre n'est peut-être pas là. Ce serait plutôt la dérision des efforts individuels, au milieu des grands conflits politiques. B. et D. ne manqueraient-ils pas de conviction profonde, dans le désir de se rejoindre? D'ailleurs, l'auteur ne nous a-t-il pas tout au long montré que D. et B., dans leurs démarches semblables, voient les choses de façon tout à fait différente? C'est l'Est et l'Ouest : deux points de vue. Deux points de vue qu'il serait trop simple de réduire à la distance proprement politique. 

Ils appartiennent à deux mondes, deux manières de voir, deux «métaphysiques» différentes. Comme dans la Frontière et l'Impossible biographie, la division de l'Allemagne permet à Uwe Johnson de décrire, avec la précision poétique qui le caractérise, une division d'un tout autre ordre, d'une toute autre profondeur." (Editions Gallimard)

 

"..Le lendemain matin, les émetteurs d'Allemagne de l”Est déclaraient la fermeture des frontières de Berlin-Ouest, mesure de sécurité que les postes de diffusion de la ville interdite traduisaient ainsi : blocus du territoire pour tout habitant moyen de Berlin-Est et de l'Allemagne de l'Est, qu'il veuille faire des achats ou rendre visite à des amis, aller au cinéma ou bien gagner le camp de fugitifs afin d'être transporté par avion de l'autre côté, dans un monde libre, dans un autre mode de vie. D. courut tout de suite au chemin de fer de ceinture. Les trains ne partiraient plus. Sur la longue coursive, sur l'eau des vacances et dans le vent des roseaux, elle avait oublié de chialer mais non sans éprouver maintenant une ironie maligne envers ceux qui, comme elle, avaient trop pris le temps de réfléchir à leur pays.

A vrai dire, elle ne connaissait guère plus exactement cet Etat que de nom. Les tenants du pouvoir ne lui avaient pas été présentés dans l'exercice de leurs fonctions mais à demi cachés par le pupitre d'orateur, protégés par la balustrade des balcons d'opéra. Le nouveau système expliquait ses qualités d'après les défauts de l'ancien, attribuant sa propre puissance à l'issue de la guerre. Comme D. avait alors trois ans et demi, il ne lui restait maintenant qu'à se fier aux informations des aînés. Longtemps l'Etat avait été pour elle une institution d'adultes, de fonctionnaires comme l'instituteur et contre laquelle il importait de se prémunir par une bonne croissance, des notes suffisantes, l'exécution de la tâche imposée. Seulement elle ne pouvait pas faire plus que de travailler pour cet Etat, après qu'elle l'eût pris en flagrant délit de mensonge. A moins que ce fût par indifférence politique ou parce que ses frères étaient encore si petits ou aussi parce qu'il n'y avait pas de cours l'après-midi et que les garçons du même âge étaient si avides de promenades en forêt et de tripotages de sexes. Plus tard, elle fut exclue des classes supérieures de l'école, les études lui furent interdites parce que, d'après le rang militaire de son père, l'Etat la considérait comme fille de criminel, si mort fût-il. Elle s'était rebellée contre les instituteurs défenseurs de l'Etat, elle avait taquiné de naïfs condisciples avec la musique plus alerte des émetteurs d'Allemagne de l'Ouest, les vêtements plus modernes des vitrines de Berlin-Ouest ou les taxes scolaires qu'on avait supprimées, - sur le papier de la Constitution.

Néanmoins, avant même qu'elle fût en mesure de penser, elle avait involontairement fait confiance à cet Etat aussi impénétrable qu'omniprésent. Quand elle se mit à réfléchir, les cours d'infirmière étaient plus urgents : aussi urgents que de fuir la famille ou d'établir une froide comparaison entre les deux modes de vie de l'Allemagne. Elle avait donc vécu sous ce gouvernement comme en son propre pays, chez elle, confiante en un avenir ouvert et dans le droit de choisir éventuellement l'autre côté. Emprisonnée de ce côté-ci, elle se sentait trahie, trompée, bernée. C'était un sentiment comparable à celui d'une offense qu'on ne peut rendre; il serrait la gorge, oppressait presque insensiblement le souffle mais devait s'exprimer..." 


Une année dans la vie de Gesine Cresspahl

(Jahrestage aus dem Leben von Gesine Cresspahl, 1970-1983)

 Tome I : 20 août 1967 - 19 décembre 1967 

"Gesine Cresspahl est la jeune fille du premier roman d'Uwe Johnson, La Frontière (Gallimard, 1962), enquête infructueuse sur la mort suspecte du cheminot Jacob, dans l'Allemagne de l'Est. Gesine a quitté l'Europe, elle vit depuis dix ans à New York avec la fille qu'elle a eue de Jacob. Elle est cadre moyen dans une banque. Le récit est fait d'une chronique très vivante de la vie new-yorkaise qui s'entremêle aux souvenirs de sa jeunesse au bord de la Baltique dans les années 31 à 34. Elle essaie de la reconstituer le plus exactement possible pour satisfaire la curiosité de sa fille qui veut tout savoir sur leurs origines." (Gallimard)

 

Une année dans la vie de Gesine Cresspahl

(Jahrestage aus dem Leben von Gesine Cresspahl, 1970-1983)

 Tome II : 20 décembre 1967 - 19 avril 1968 

"À travers le récit de Gesine Cresspahl, une Allemande établie à New York en 1967-1968, l'auteur poursuit la double chronique de la petite ville de Jerichow, proche de la Baltique, sous le nazisme, et de l'Amérique agitée par les remous de la guerre du Viêt-nam, les questions raciales et les faits divers de la violence. La réalité saisissante de ce récit qui couvre ici quatre mois, du 20 décembre 1967 au 19 avril 1968, est due aux motivations profondes que Uwe Johnson attribue à Gesine. Jeune Allemande marquée par son passé, celle-ci ne peut s'adapter au monde américain avec la même facilité que sa fille âgée de dix ans. La vivacité de ses impressions, son avidité à accumuler quotidiennement les informations du New York Times lui confèrent un rôle de témoin historique. Parallèlement, Gesine tente de reconstituer, en réponse aux questions de sa fille qui veut connaître ses origines «pour quand tu seras morte», après les années 1936-1945 à Jerichow : angoisses, tragédies, atrocités vécues dans sa propre enfance et restituées à travers les incertitudes de la mémoire. Les différents procédés d'écriture, narration, lettres, dialogues entre Gesine et un questionneur qui est peut-être sa conscience, fondent le destin personnel, familial et collectif dans l'écoulement du temps." (Gallimard)

 

Une année dans la vie de Gesine Cresspahl

(Jahrestage aus dem Leben von Gesine Cresspahl, 1970-1983)

Tome III : Avril - Juin 1968 

"Le printemps de 1968 se joue, en Europe, à Prague, tandis qu'aux États-Unis, les manifestations contre la guerre au Vietnam et l'assassinat de Robert Kennedy émeuvent l'opinion. Mais nous sommes aussi en 1946, dans le Mecklembourg, en Allemagne de l'Est, lieu des origines et de la mise en question : dans les conversations entre Gesine Cresspahl, employée de banque à New York, et sa fille Marie, devenue une petite Américaine, les demandes et les réponses prennent souvent la forme d'un affrontement. Marie veut savoir, tout savoir du passé de sa mère. Et c'est ainsi que nous assistons à la transformation du pays après la guerre, aux démêlés du père de Gesine, nommé maire de sa commune, avec la population et avec le commandant soviétique, à son arrestation et à son internement dans un camp, alors qu'autour de lui les esprits «évoluent», les gens «s'adaptent», chacun s'efforçant de survivre à sa manière. Face à cette adolescente têtue et révoltée, éprise de justice et de pureté, Gesine Cresspahl ne peut que raconter, très simplement, comment les choses se sont passées. Ce qui rend d'autant plus émouvant, dans un monde où, vingt ans après, la violence occupe toujours le devant de la scène, tandis que la compromission se cache dans le secret des consciences, ce retour sur un passé qui demeure à jamais mystérieux, tout comme le présent où l'accumulation des informations contradictoires ne fait qu'accroître l'incertitude et l'angoisse." (Gallimard)

 

Une année dans la vie de Gesine Cresspahl

(Jahrestage aus dem Leben von Gesine Cresspahl, 1970-1983)

Tome IV : Juin 1968 - Août 1968 

"Née en 1933, Gesine Cresspahl a connu le nazisme et les débuts de la R.D.A., qu'elle a quittée en 1953 pour l'Allemagne de l'Ouest, d'où elle est partie en 1961 pour les États-Unis. Elle vit à New York comme employée de banque, avec sa fille Marie, qu'elle a eue en 1957 de Jakob, le héros du premier grand roman de Johnson. C'est à l'adolescente que s'adresse le récit de Gesine, combinant de façon complexe l'évocation du présent (cette fois, la période du 20 juin au 20 août 1968, dominée par le Printemps de Prague) et celle du passé allemand (cette fois, l'après-guerre jusqu'en 1953 et parfois au-delà). Elle-même fort critique vis-à-vis du présent comme du passé, Gesine a en la personne de sa fille (avec laquelle le lecteur est amené à s'identifier) une auditrice plus critique encore."

 


Siegfried Lenz (1926-2014)

Son roman le plus célèbre, "Deutschstunde" (la Leçon d'allemand, 1968) suscite plus qu'aucun autre une réflexion sur le passé de l'Allemagne de la Deuxième Guerre mondiale (Vergangenheitsbewältigung). Prenant pour cadre les paysages de la mer du Nord, il évoque la vie quotidienne dans l'Allemagne de la fin du nazisme opposant à l'obéissance aveugle la liberté de la création artistique – sujet qu'il reprendra, sur un autre registre, dans "Das Vorbild" (1973). Dans "Heimatmuseum" (1978). Il revient aussi sur les traditions de sa Masurie natale qu'il avait évoquée avec humour dans les récits de "So zärtlich war Suleyken" (1955). "Exerzierplatz" (1985) trace une topographie de l'aventure personnelle et créatrice. Ses nombreuses nouvelles trahissent l'influence de Hemingway et décrivent fréquemment la lutte acharnée et obscure d'un individu contre une fatalité qui l'écrase (Das Feuerschiff, 1960 ; Der Spielverderber, 1965).

 

Siegfried Lenz est né à Lyck en Prusse-Orientale, aujourd’hui territoire polonais, point commun avec son ami Günter Grass né à Dantzig (aujourd’hui Gdansk en Pologne) et lui aussi installé en Allemagne du Nord. Enrôlé dans la Jeunesse hitlérienne à 13 ans, mobilisé en 1943, déserteur puis prisonnier de guerre, il s'établit en 1945 à Hambourg où il reprend ses études, dans cette Allemagne de l'année zéro, enfouie sous les ruines, finance ses études de philosophie et de littérature anglaise par des des transactions au marché noir,  avant de collaborer au journal Die Welt. Écrivain indépendant depuis 1951, - A l’âge de 25 ans, il publie son premier roman : "Es waren Habichte in der Luft", (non traduit, 1951), l’histoire d’un professeur qui tente de fuir la Carélie devenue communiste après la première guerre mondiale -, il marque son engagement politique en faveur de la S.P.D., à partir de la campagne électorale de 1965:  il s’est engagé, avec Günter Grass, en faveur de Willy Brandt et a soutenu activement l’Ostpolitik du chancelier social-démocrate. Il est membre du "Groupe 47". Lenz a écrit une quarantaine d’ouvrages, dont quatorze romans, vendus à plus de vingt-cinq millions d’exemplaires de par le monde. Les menaces que font peser les idéologies sur les individus et leur solitude dans la société moderne, la responsabilité collective, l'attachement à la terre natale, la nécessité d'assumer et de surmonter le passé récent de l'Allemagne fournissent à son abondante œuvre narrative et dramatique ses thèmes dominants : "Il y avait des vautours dans l'air" (Es waren Habichte in der Luft, 1951), "La Leçon d'allemand"  (Deutschstunde, 1968), "Le Bateau-phare" (Das Feurschiff, 1960), "Le Modèle" (Das Vorbild, 1973), "Champ de tir" (Exerzierplatz, 1985), "Le Dernier Bateau" (Arnes Nachlass, 1999), "Une minute de silence" (Schweigeminute, 2008), "Le Musée de la terre natale" (Heimatmuseum, 1978, 2010).

Le Bateau-phare (Das Feurschiff, 1960)

Siegfried Lenz est, comme Heinrich Böll, le romancier de la responsabilité, de la faute collective, du cas de conscience. Sur son navire, ancré dans une baie de la Baltique, le capitaine Freytag recueille trois naufragés. Leur sauvetage marque le début d'un dramatique huis-clos. Entre Freytag, homme de devoir, soucieux seulement d'assurer la sécurité de la navigation et celle de son équipage, et le docteur Caspary, dont la personnalité inquiétante et les objectifs se révèlent peu à peu, un étonnant affrontement intellectuel s'engage, qui dégénère bientôt en épreuve de force. A travers un récit mené comme un thriller - car il préfère les situations révélatrices aux analyses psychologiques -, Siegfried Lenz s'applique à dévoiler les failles secrètes qui font la fragilité d'un individu, menacent la cohérence d'un groupe. Il cherche à repérer le point de rupture, le seuil au-delà duquel une communauté commence à se défaire, un fils à douter de son père, un homme à se remettre en question.  Jerzy Skolimowski a adapté "Le bateau-phare" au cinéma, en 1986 (The Lightship).....  (Editions Robert Laffont)

 


La Leçon d'allemand  (Deutschstunde, 1968)
"Deutschstunde" est devenu un classique de la littérature allemande et de son histoire, traduit en plus de vingt langues, porté à l'écran dès 1971 : l'écriture est certes traditionnelle mais c'est l'oeuvre qui, pour la génération des années soixante, aborde de plein fouet deux questions essentielles, le rapport avec les pères et la question de l’endoctrinement. "Mein Vater. Der ewige Ausführer. Der tadellose Vollstrecker" (Mon père, l'éternel exécutant, le scrupuleux exécuteur)...

Le personnage principal, Siggi Jepsen, est un adolescent confronté à deux modes de vie antagonistes, l'acceptation de normes édictées de l'extérieur, proche d'une conception totalitaire (le policier Jenz Ole Jepsen) et le besoin d'exprimer une liberté intérieure (le peintre Max Ludwig Nansen). "Enfermé dans une prison pour jeunes délinquants située sur une île au large de Hambourg, Siggi est puni pour avoir rendu une copie blanche lors d'une épreuve de rédaction. Ce n'est pas qu'il n'ait rien à dire sur le sujet « Les joies du devoir », au contraire... Bientôt lui reviennent à la mémoire les événements qui ont fait basculer sa vie. Son père, officier de police, est contraint en 1943 de faire appliquer la loi du Reich et ses mesures antisémites à l'encontre de l'un de ses amis d'enfance, le peintre Max Nansen (derrière lequel on peut reconnaître le grand Emil Nolde). À l'insu de son père, Siggi devient le confident de l'artiste et va l'aider à mettre en sécurité ses toiles clandestines. Sa passion pour l'oeuvre le conduit ainsi au refus de l'autorité paternelle et à une transgression (un vol dans une galerie) qui lui vaudra d'être condamné. Mais aux yeux de Siggi, le châtiment porte l'empreinte du zèle coupable de son géniteur." (Editions Robert Laffont)

"Ich tue nur meine Pflicht (..) Nur daß  die sehn, ich hab meine Plicht getan, sagte mein Vater (..) - Ja, ich weiß (..); es kotzt mich an, wenn ihr von Pflicht redet. Wenn ihr von Pflicht redet, müssen sich andere auf was gefaßt machen.."

"Je ne fais que mon devoir (..) Personne ne pourra dire que je n'ai pas fait mon devoir, dit mon père (..) - Oui, dit le peintre, oui, je sais (..); quand vous parlez de devoir, ça me rend malade. Quand vous parlez de devoir, il n'y a plus qu'à se tenir sur ses gardes.."

 



Le Dernier Bateau (Arnes Nachlass, 1999)

"Dans ce récit sobre et dépourvu d'effets dramatiques, Lenz traduit admirablement les sentiments déchirants d'un jeune garçon surdoué et traite ce qu'il considère comme l'un des vingt grands thèmes de la littérature mondiale : l'exclusion.

Arne, douze ans, a perdu ses parents et ses soeurs. Il est recueilli par un ami de son père, responsable d'un chantier de démolition navale dans le port de Hambourg ou l'on découpe les bateaux mis au rebut, et ou le moindre élément encore utilisable semble avoir sa propre histoire, qui parle d'océan et de pays étrangers.

Il devient rapidement l'ami de Hans, le fils aîné de la famille. À l'école, ses dons exceptionnels lui permettent d'éclipser largement ses camarades, mais il reste un être en marge. Son plus cher désir est de se faire accepter par une bande d'adolescents du port. Plus il essaie de gagner leurs bonnes grâces cependant, plus ils l'excluent. Désespéré, Arne s'éloigne sur l'Elbe dans une barque. Hans retrouvera l'embarcation vide, accrochée à une bouée au milieu du fleuve.

C'est une triste mission qui l'attend alors. Fragment par fragment, il met en caisse les affaires d'Arne : sa grammaire finnoise, la planche aux noeuds marins, tout ce que le jeune garçon a récupéré sur des bateaux démolis. Et à chaque objet, ce sont d'autres souvenirs de son ami disparu qui remontent à sa mémoire et qu'il raconte." (Editions Robert Laffont)

 


 Une minute de silence (Schweigeminute, 2008)

"Dans une petite ville de la Baltique bercée par le rythme incessant des vagues, Christian, dix-huit ans, assiste à la minute de silence observée par tout le lycée en mémoire de Stella Petersen, professeur d'anglais morte en mer. À la fin de la cérémonie, Christian vole la photographie de Stella : avec quelques cartes, c'est le seul souvenir qu'il puisse garder de leur amour. Un amour qui ne dura pas plus d'un été. Un amour ponctué par les sorties en mer, les arrêts à la cabane de l'île aux Oiseaux et les instants magiques dans les bras de la jeune femme. De Christian nous savons qu'il travaille avec son père à l'établissement d'un brise-lames souterrain, qu'il n'est pas un très bon élève et que Stella est son premier amour. De la jeune professeur nous savons encore moins. Christian fait des projets d'avenir dont Stella est le centre, mais Stella meurt, laissant tous les désirs, toutes les questions en suspens. Et c'est à ce mystère de l'inachèvement que s'attache Siegfried Lenz, dans une prose lumineuse conjuguant légèreté et précision, sensualité et sensibilité. Âgé de quatre-vingt-deux ans, il nous offre un roman intimiste, presque onirique, sur le thème de l'amour et du mystère des sentiments, de la mort et de l'oubli." (Editions Robert Laffont)

 


Martin Walser (1927)

"Mon ambition n'est pas de représenter la société, mais, plus modestement, j'essaie, en inventant des personnages, de surmonter les difficultés dont je souffre. Chacun de mes livres naît d'une expérience personnelle. Mes premiers personnages s'exprimaient à la première personne. Plus tard, ayant éprouvé le besoin de saisir l'environnement humain de mes héros, il m'a fallu passer à la troisième."
Né à Wasserburg (Bodensee), engagé en 1945, étudiant de 1946 à 1951 (thèse sur Kafka), revenu s'établir dans le pays de son enfance, après ses années d'apprentissage, il vit et travaille depuis 1957 sur les rives du lac de Constance qui est omniprésent dans son œuvre. "Ehen in Philippsburg" paraît en 1957 et connaît un grand succès qui lui permet de vivre de sa plume.  II est en 1961 le premier écrivain à s'engager en faveur des sociaux-démocrates et celui qui en 1988 proclame son attachement à l'unité allemande. En 1998, il déclenche une violente polémique en dénonçant l'instrumentalisation de "la mémoire" qui semble traverser toute l'Allemagne intellectuelle.

Influencé dans ses premiers textes par Kafka, Martin Walser trouve rapidement sa manière avec "Halbzeit" (Mi-temps), gros roman paru en 1960 et qui forme avec "Das Einhorn" (la Licorne, 1966) et "Der Sturz" (la Chute, 1973) une trilogie : un réalisme psychologique minutieux, une radioscopie impitoyable de la réalité quotidienne de personnages moyens d'une banalité désespérante, un mélange de récit objectif et de monologues intérieurs. Tout comme Anselm Kristlein, le personnage central de cette trilogie, les autres « héros » de Walser souffrent de la société : "Au-delà de l'amour" (1976), "Un cheval qui fuit" (Ein fliehendes Pferd, 1978), "Travail d'âme" (Seelenarbeit, 1979), "la Maison des cygnes" (Das Schwanenhaus, 1980), "Lettre à Lord Liszt" (Brief an Lord Liszt, 1982).
Dans ses pièces écrites dans les années 1960 ("Eiche und Angora-Eine deutsche Chronik", 1962), Walser décrit la société nazie puis post-nazie dans sa banalité quotidienne. Qu'ils soient salariés ou indépendants, représentants de commerce ou cadres, chauffeurs de maîtres ou écrivains, ils doivent réussir, se faire accepter et reconnaître, maintenir leur statut social. Écartelés par les rôles qu'ils sont obligés de tenir (dans leur profession, leur famille, en société), ils perdent leur personnalité, se trouvent mutilés, aliénés. Aucun d'eux n'a vraiment de consistance, tant ils se confondent finalement avec leurs rôles. Ils mettent au point des « stratégies de survie » mais arrivent rarement à éviter la catastrophe. Walser, qui a souvent exprimé, dans ses déclarations publiques, ses sympathies pour la gauche (Heimatkunde, 1968), ne propose pas de solution dans ses romans. Pour lui, la littérature doit montrer la réalité, contribuer à une prise de conscience, mais non proposer des explications et montrer des issues (Brandung, 1985).

 


Mi-temps (Halbzeit, 1960)

Martin Walser inaugure avec Mi-temps une vaste trilogie romanesque - poursuivie en 1966 avec La Licorne et en 1973 avec La Chute - toute entière focalisée sur un personnage de anti-héros dont l'être intérieur vit en total décalage avec l'être social. Anselm Kristlein, trente-cinq ans, marié et père de trois enfants, trouve un emploi dans le milieu de la publicité après avoir interrompu ses études. En l'espace d'un an, c'est devenu non seulement un expert admiré mais aussi un arriviste de talent. Comme sa famille constitue selon lui un obstacle à sa carrière, il préfère passer son temps avec ses collègues ou ses maîtresses. ..

 


Histoires pour mentir (Lügengeschichten, 1964)

"Les Histoires pour mentir sont des nouvelles extraites de deux recueils parus en Allemagne en 1955 et 1964. Les unes et les autres se placent dans la filiation de Kafka dont Martin Walser se réclame à juste titre. Mais par la truculence humoristique de certains thèmes, par le choix de situations où une sensibilité à vif communique à ce monde impossible ses demi-teintes et sa mélancolie, ce recueil se rattache aussi au grand fond du romantisme allemand." (Gallimard)

 


La Licorne (Das Einhorn, 1966) 

"Curieux Wilhelm Meister que le héros de ce roman, Anselme Christlein, curieux « apprentissage» que celui de ce quadragénaire, qui fut d'abord homme d'affaire, puis rédacteur publicitaire, puis conférencier, «représentant en convictions», et qui enfin écrivit un livre. À la suite de quoi, c'est ici que tout commence – une femme éditeur s'avise de lui commander un nouvel ouvrage. Un ouvrage sur l'Amour. La dame ne veut rien d'imaginaire, mais «toute la vérité». Elle verse à son écrivain des mensualités, et bientôt elle ne se satisfait même plus de l'évocation du passé amoureux de celui qu'elle pensionne. Il lui faut de l'actuel, du présent. Au besoin elle contribuera elIe-même à l'enrichissement de ce «roman vécu». 

Et voici l'auteur et héros provoqué, par nécessité professionnelle, à la quête, aux aventures, aux performances, aux corvées amoureuses. Quête amère, cynique et que l'on dirait désespérante si la constante résistance de l'humour ne préservait le narrateur de se prendre au tragique. Tant de femmes allant et venant, tant de gestes et de mot «d'amour» s'accumulant conduisent peu à peu le lecteur au bout d'une nuit misogyne, quand survient la merveilleuse apparition d'Orli. Fin du jeu sans conviction. 

Ce grand roman baroque, roman social, critique de toute une société, et en particulier satyre des mœurs d'une intelligentsia plus qu'à demi «entretenue», et aussi une prouesse de langue et de style «joycien» qui en rendait la transcription en français particulièrement difficile." (Gallimard)

 


Je ne sens pas bon (Die Gallisthlsche Krankheit, 1972)

"Un écrivain non conformiste peut-il éviter de sombrer dans la schizophrénie dans un monde capitaliste? Dans ce roman écrit sous la forme d'une confession, un écrivain, entraîné dès son plus jeune âge à la compétition, à la réussite, découvre un jour qu'il ne peut plus travailler. Ses amis sont atteints du même mal que lui. Peu à peu son état empire, les crises de délire alternent avec la prostration. Il trouvera le chemin de la guérison par les autres, par la fréquentation d'un groupe de militants communistes qui ne donnent d'importance à leur propre existence qu'en tant que membres d'une communauté prise dans le temps de l'histoire." (Gallimard)

 


Travail d'âme (Seelenarbeit, 1979)

"Voilà quinze ans que Xavier Zürn remplit à la perfection sa mission de chauffeur au service de l'industriel Gleitze el de son épouse. Quinze années durant lesquelles il a fallu s'accorder jour après jour à l'image que se fait le patron de son chauffeur. 

Bien entendu, le Dr. Gleitze et son chauffeur sont devenus pour ainsi dire des «intimes» pour avoir voyagé ensemble d'innombrables fois, seul à seul bien souvent, dans la grosse Mercedes 450 dont Xavier est aussi fier que s'il en était le propriétaire. Relation privilégiée donc entre le patron et son chauffeur – d'autant que la vie du patron est entre les mains du chauffeur chaque fois que la voiture s'élance sur la route –, mais relation à sens unique aussi. Le chauffeur sait quasiment tout du patron, mais le patron, lui, que sait-il de son chauffeur?  En route, Xavier observe ses passagers dans le rétroviseur, suit les conversations, hoche la tête s'il se sent en droit d'entendre, voire tenu d'écouter, ne la hoche surtout pas dans le cas contraire. Bref, il participe à tout, mais en pensée seulement, et c'est en pensée aussi qu'il discute avec le patron, reçoit ses confidences et se confie à lui, et n'en finit pas d'attendre depuis toutes ces années l'occasion d'avoir enfin avec le patron une conversation à cœur ouvert, d'homme à homme... 

Par le truchement d'une séquence anecdotique embrassant trois mois de la vie de Xavier Zürn, chauffeur de maître, Martin Walser réussit progressivement à nous introduire dans l'intimité de son personnage, homme ordinaire, à la fois banal et singulier, dont la rumination, riche en détours surprenants, dramatiques ou cocasses, ne manquera pas de s'imposer au lecteur avec la force d'un questionnement quasi obsessionnel sur le sens ultime des choses, des rapports entre humbles et puissants, maîtres et esclaves." (Gallimard)

 


La Maison des cygnes (Das Schwanenhaus, 1980)

"Courtier en valeurs immobilières, Gottlieb Zürn est aussi un doux rêveur et, à ce double titre, il s'engage, avec l'obstination propre à certains rêveurs impénitents, dans la lutte pour la sauvegarde d'une «demeure de rêve», véritable joyau Jugendstil serti dans son écrin de verdure et qui témoigne là, au bord du lac de Constance, d'un passé récent mais bel et bien révolu où il arrivait aux banquiers de mettre leur argent au service de la pure beauté. La propriétaire de cette demeure est contrainte de vendre après s'être ruinée au jeu, et l'objet de rêve devient l'objet d'une lutte acharnée entre différents agents et promoteurs immobiliers, chacun luttant avec ses armes et moyens propres pour enlever l'affaire. 

Or, c'est à leur façon de combattre qu'on reconnaît les combattants et, si Gottlieb Zürn ne gagne pas la partie, il n'en devient pas moins le héros du livre. Un héros qui se range d'emblée dans la galerie des singuliers héros de Martin Walser, héros livrés au doute, impliqués en un douteux combat." (Gallimard)

 


Christa Wolf (1929-2011)

"Le passé n'est pas mort; il n'est même pas passé. Nous nous coupons de lui et le traitons en étranger." Hantée par la nécessité de ne pas se laisser asphyxier par un passé qu'on refoule, Christa Wolf a toujours eu le sentiment que dans la littérature de son pays, la République démocratique allemande, les écrivains ne parlaient pas des évènements personnels et historiques les plus aigus pour se laisser aller très loin dans l'autocensure. Dans "Trame d'enfance" (Kindheitsmuster), elle revient sur ce rejet de toute amnésie volontaire: "J'avais le même âge que les jeunes garçons enrôlés par Hitler, mais j'avais la chance d'être une fille et je n'ai pas été obligée de faire le coup de feu. C'est ainsi que j'ai vécu, moi aussi, près de Berlin, la fin de la guerre, mais dans convoi de réfugiés. Ce que nous ressentions vraiment à l'époque, comment nous avons vécu notre rencontre avec l'armée rouge, cela n'a pas encore, à mon avis, été décrit avec sincérité." Ses romans et ses essais évoquent directement ou transposés les problèmes de l'Allemagne de l'Est et de la société contemporaine. Toutes les héroïnes de ses romans, Caroline, Cassandre, Médée, Christa ou Rita, sont toutes des femmes possédant la volonté inépuisable, comme on l'a écrit, de traverser des nuits pour ne pas perdre la lumière, prêtes à se blesser pour ne pas se trahir, incarnant cet  l'héroïsme du quotidien qu'engendre toute existence mesurée à l'aune d'un régime totalitaire.

En 1945 la famille, fuyant l'arrivée des Russes, s'installe dans la région du Mecklenbourg. Christa obtient son baccalauréat en 1949, juste au moment où le Mur est construit ; elle choisit de rester à l'Est et fait des études de germanistique à Iéna puis à Leipzig. C'est à cette date qu'elle devient membre du SED (le parti unique de l'ex-Allemagne de l'Est), et elle le restera jusqu'à sa dissolution. Elle se marie en 1951 avec l'essayiste Gerhard Wolf avec qui elle a une fille un an plus tard. Son premier récit, "Moskauer Novelle", qui raconte la relation entre une femme médecin originaire de Berlin Est et un interprète russe, est publié en 1959 mais ne parait pas à l'Ouest. "Le Ciel partagé" ("Der geteilte Himmel", 1963) relate l'immersion d'une étudiante en usine, mais aussi la séparation d'un couple par le Mur de Berlin. "Méditation sur Christa T." ("Nachdenken über Christa T.", 1968), publié en R.D.A. avec difficulté, dépeint le destin tragique d'une romancière morte trop tôt, et critique la société socialiste. En 1976, Christa Wolf est l'une des premières à protester contre l'expulsion de l'auteur-compositeur Wolf Biermann. L'affirmation du droit de l'individu à l'épanouissement devient alors un thème central chez C. Wolf, comme dans "Aucun lieu, nulle part" ("Kein Ort.Nirgends", 1979), rencontre fictive entre Kleist et la poétesse Günderode. L'Histoire et ses mythes la passionnent: "Trame d'enfance" ("Kindheitsmuster", 1976) interroge les traces du nazisme sur sa génération, "Cassandre" ("Kassandra. Eine Erzählung. Voraussetzungen einer Erzählung, 1983) se penche sur le caractère destructeur des sociétés modernes.

Dans les années 1990, elle est accusée d'avoir travaillé entre 1959 et 1962 pour la Stasi : son roman, "Ce qui reste" ("Was bleibt", 1990), décrit un jour dans la vie d'une femme écrivain qui, se sachant observée par la Stasi, prend différentes mesures pour protéger sa vie privée, et éclaire son choix d'être resté en RDA pour continuer d'écrire, s'être opposé au pouvoir mais sans jamais être entrée en dissidence. Christa Wolf ne cache pas avoir souffert de ces accusations. Dans "Adieu aux fantômes" ("Auf dem Weg nach Tabou", 1994), elle critique la façon dont s'était faite la réunification. " Beaucoup de gens qui vivaient en RDA se sont sentis bafoués, humiliés, exclus, on ne les pas reconnus. C'est sûrement ce qui m'a fait le plus mal.". En 2010, Christa Wolf revient sur cette période difficile d'avant et après la chute du Mur dans "Stadt der Engel oder The Overcoat of Dr. Freud" et parle sans langue de bois de sa vie derrière le Mur, des rêves et des cauchemars qui l'ont peuplée.

 

Christa T. (Nachdenken über Christa T, 1968)

Communiste convaincue, Christa Wolf est, de 1963 à 1967, membre suppléant du comité central du Parti socialiste unifié (SED). Elle s'oppose néanmoins à la soumission de l'art et de la culture au pouvoir politique, ce qui lui vaut son exclusion du comité central et sa mise sous surveillance par la sécurité d'État (Stasi). Désormais, chacun de ses livres va refléter les grandes évolutions et les impasses politiques de la RDA. Christa T., son second grand roman, retrace la vie d'une jeune femme depuis son enfance jusqu'à sa mort des suites d'une leucémie. La forme est nouvelle : succession de pensées, de souvenirs, d'essais, de retours en arrière de la narratrice sur sa façon d'écrire et sa propre subjectivité. Christa Wolf met en scène la tension entre l'évolution programmée d'un État et le développement d'une personnalité qui a besoin de liberté. 

 

Christa Wolf est sans aucun doute l'écrivain le plus important à avoir vécu et travaillé en République démocratique allemande. Socialiste convaincue, membre du parti au pouvoir,elle semblait toutefois consciente de certaines contradictions du système. La difficulté de sauvegarder une identité personnelle et un sentiment de probité dans une société qui donne constamment la priorité au collectif apparaissent souvent dans son œuvre.

"Christa T.", livre qui fut très controversé en Allemagne de l'Est,  présente un récit dense et non linéaire organisé autour de la tentative de la narratrice de reconstruire la vie de son amie, Christa T., récemment morte de leucémie. Cette dernière a toujours lutté pour trouver un juste équilibre entre son excentricité profonde et le conformisme politique que l'on attend d'elle, entre une existence privée et son désir de servir sa communauté. La narratrice, alter ego évident de l'auteur, mêle ses souvenirs fragmentés de Christa T. à des extraits de Iettres, journaux intimes et autres documents. Dès le début, elle admet que son projet ne peut aboutir puisqu'il est impossible de «connaître» parfaitement une autre personne; en ce sens, le sujet du livre est autant une découverte de soi que celle d'une amie décédée. L'enquête de la narratrice se transforme en méditation sur la politique et la moralité, sur la mémoire et l'identité, ainsi que sur l'objectif de l'écriture, thèmes chers à Christa Wolf. 

 


En 1959, le programme culturel du "Bitterfelder Weg" fixe pour objectif à la littérature socialiste de RDA de surmonter la séparation de l'art et de la vie ("Trennung von Kunst und Leben"),  d'intégrer le monde ouvrier dans ses thématiques, de raconter l'Histoire du point de vue des acteurs les plus modestes. Deux ans après la construction du Mur de Berlin, Christa Wolf écrit "Der geteilte Himmel" qui, dans le contexte du "socialisme réel existant", raconte la séparation des deux Allemagne à travers la fracture d'un couple. Mais le roman accorde une large place à la sensibilité des protagonistes et n'élude pas les réalités des difficultés de la société est-allemande, d'où son succès indiscutable. 


"Le ciel divisé" (Der geteilte Himmel, 1963)
Un soir de la fin août 1961, Rita Seidel, une jeune femme de 19 ans, reprend conscience dans une chambre d'hôpital. Murée dans le silence, elle fond en larmes dès que le médecin tente de la questionner. L'histoire, qui se passe au moment de l'édification du Mur, est celle de la rupture entre Rita, une étudiante qui choisit de rester en RDA, et son ami Manfred qui préfère se réfugier en RFA. "Le ciel divisé", paru anciennement sous le titre "Le ciel partagé", est le premier roman de Christa Wolf et celui grâce auquel elle connut un immense succès : traduit dans une vingtaine de langues, il fut adapté au cinéma, avec Renate Blume, par Konrad Wolf en 1964, grand réalisateur de la RDA et jeune frère de Markus Wolf (1923-2006), maître-espion et Hauptverwaltung Aufklärung de la Stasi, l'un des hommes les plus redoutés des services secrets occidentaux.

Quand Rita rencontre Manfred Herrfurth, un ingénieur de dix ans plus âgé qu'elle, elle vit dans son village natal où elle exerce un travail alimentaire de peu d’envergure. "Le jour, Rita travaillait ; le soir, elle lisait des romans, sentant croître en elle un sentiment d'abandon. Alors elle rencontra Manfred et vit soudain des choses qu'elle n'avait jamais vues. Cette année-là, les arbres perdirent leurs feuilles dans un feu d'artifice de couleurs, et la voiture de la poste avait parfois quelques insupportables minutes de retard. A nouveau une chaîne solide et sûre de pensées et d'aspirations la reliait à la vie.."  Mais elle a d’autres rêves. S’éprenant de lui, elle va alors tout quitter pour le suivre en ville, où elle pourra à la fois intégrer une brigade de production d’une entreprise de wagons et devenir institutrice. Nous sommes en août 1961, en RDA, juste avant l’édification du mur de Berlin. Manfred a de plus en plus de mal à supporter un régime qui sape les bonnes volontés et berce les gens d'illusions : "Le socialisme est fait pour les peuples de l'Est. Parce qu'ils n'ont pas été déformés par l'individualisme et une civilisation développée, ils peuvent tirer pleinement profit des avantages simples de la société nouvelle. Mais nous, aucun chemin ne nous y ramène - ce qu'il vous faut, ce sont des héros intacts. Et ce que vous trouvez ici, ce sont des générations brisées." Et quand Manfred décide de s’enfuir vers l’Ouest, Rita se trouve face à un dilemme : doit-elle le suivre et demeurer une étrangère dans cette ville inconnue ou rester chez elle, seule ? Rita le rejoint, mais elle ne se sent pas à sa place dans ce monde sans idéal collectif et voué à la consommation, même avec Manfred à son côté - et elle revient à l'Est. Le ciel qui a abrité leur amour se trouve irrémédiablement déchiré, comme le pays qui les a vus naître. Ce grand roman de Christa Wolf évoque avec brio la division présente dans chacun de nos êtres lors des choix cruciaux qui jalonnent notre existence. En évoquant la période charnière qui sépara l’Allemagne en deux, elle fait ressurgir la profonde injustice de l’Histoire qui sépare les êtres ; même ceux qui s’aiment. (Editions Stock)


"Trame d’enfance" (Kindheitsmuster, 1976)

Christa Wolf s'installe à Berlin en 1976, année où paraît son troisième grand roman. Comme dans le précédent, il s'agit de reconstituer le passé oublié, refoulé, déformé. Mais dans ce récit autobiographique, la narratrice part cette fois à la recherche de son enfance vécue sous le IIIe Reich à Landsberg.

"Christa Wolf n’a que seize ans à la fin de la Seconde Guerre mondiale.  Au moment de l’exode en 1945, elle rencontre un homme qui a survécu aux camps, en fuite comme elle. Il porte un pyjama rayé et, constatant l’étonnement de la jeune fille devant sa tenue, il lui demande : « Mais dans quel monde avez-vous vécu ? »  C’est à cette question que l’écrivain tente de répondre dans Trame d’enfance. À l’occasion d’un voyage sur les lieux de son enfance (une partie de l’Allemagne devenue polonaise après 1945), elle s’efforce de faire revivre par l’écriture le souvenir d’une époque, l’Allemagne des années 1930 et 1940, et le destin de sa famille qui, comme beaucoup, a laissé le nazisme s’installer, non sans succomber parfois aux tentations de cette idéologie.

 Christa Wolf écrit ce texte en 1976, alors qu’elle a pris ses distances avec le régime communiste de RDA. Elle sera parmi les premiers écrivains allemands à affronter l’effet de séduction que les valeurs du nazisme ont pu avoir sur elle enfant, et à oser lier les deux grandes folies collectives du XXe siècle. Son éducation n’aurait-elle pas en effet favorisé l’élan avec lequel elle a défendu la mise en place du communisme dans la RDA de l’après-guerre ? On retrouve de fait dans les deux systèmes le respect à la lettre de l’autorité, ou l’habitude de penser par idées reçues. Explorant ainsi avec audace et finesse le lourd passé familial et national, Christa Wolf livre un grand texte littéraire, qui résonne en chacun de nous." (Stock)

 


"Aucun lieu nulle part" (Kein Ort Nirgends, 1979)

Christa Wolf s'interroge ici sur la place de l'écrivain dans la société et sur sa capacité de réaction et d'intervention. Le roman met en scène une rencontre fictive entre l'écrivain Heinrich von Kleist et la poétesse Caroline von Günderrode, qui lui permet de s'interroger sur la réalisation de l'être humain dans la société bourgeoise. Cette réflexion se poursuit dans "Cassandre" (Kassandra, 1983).

"Christa Wolf écrit ces dix récits de 1965 à 1989, année décisive au cours de laquelle elle met la dernière main au manuscrit de Ce qui reste. Il était important de redonner à lire la description saisissante une journée durant laquelle la romancière constate qu’elle est sous la surveillance de la Stasi. 

Les six premiers textes du recueil mettent en lumière le ton nouveau que Christa Wolf apportait dans la prose de la RDA : poétique du quotidien, monologue intérieur, irruption du rêve et veine satirique. Puis en 1979 paraît un magnifique récit dans lequel l’auteur imagine une rencontre entre deux héros tragiques du romantisme allemand, Kleist et Caroline de Günderode. Le titre est éloquent : pour le bonheur, la création, la liberté, il n’existe Aucun lieu. Nulle part. L’écrivain traverse alors une période de crise et d’affrontement avec le pouvoir. Elle choisira, pendant plusieurs années, de situer ses récits loin de l’époque contemporaine, avant d’y revenir, avec Incident, suscité par la catastrophe de Tchernobyl, et le roman Scènes d’été, publié quelques mois avant les bouleversements de l’automne 1989. 

Ce recueil permet d’apprécier combien Christa Wolf, sans jamais entrer dans une dissidence ouverte, a manifesté une attitude de plus en plus critique envers le pouvoir est-allemand et a contribué, par ses prises de position, au tournant de l’automne 1989. ." (Stock)

 


"Adieu aux fantômes" (Auf dem Weg nach Tabou, 1994)

" Où veux-je en venir? Je crois que le temps est venu, tant à l'est qu'à l'ouest de l'Allemagne, de prendre congé du fantôme qui fut longtemps pour chacun l'autre pays, et donc également le sien propre. Nous savons bien ce qu'il advient de la réalité quand elle est niée et refoulée: disparaissant dans les zones obscures de la conscience, elle y dévoie activité et créativité tout en faisant surgir mythes, agressivité et délire. Ce sentiment de vide et de déception qui se répand est un terrain propice aux maladies sociales et aux anomalies qui voient les gens franchir " soudainement " les bornes de la civilisation, rejeter des conventions supposées bien établies _ jeunes zombies sans pitié ni pour les autres ni pour eux-mêmes. "  Au séisme intellectuel et moral qui secoue l'Allemagne depuis le " tournant " de l'automne 1989, répond l'éclatement des textes de l'auteur de Cassandre réunis dans ce volume: articles, discours, conférences, essais, pièces de correspondance (avec Volker Braun, Efim Etkind, Günter Grass, Jürgen Habermas, etc.), extraits du journal intime, chacun témoigne à sa façon de la violence d'un déchirement social qui se lit ici comme une crise intérieure, tous ensemble dessinent les contours de ce que pourrait être une conscience allemande réunifiée. (Fayard)