Federico García Lorca (1898-1936), "Romancero gitano" (1928), "Poeta en Nueva York" (1929-1930), "Chant funèbre pour Ignacio Sánchez Mejías" (Llanto por Ignacio Sánchez Mejías, 1935), "Bodas de sangre" (1932), "Yerma" (1934), "La casa de Bernarda Alba" (1936) - ....
Last update : 01/12/2017

 

1931-1939 - La Segunda República - "République démocratique des travailleurs de toutes classes" - La proclamation de la Deuxième République, en 1931, provoque une véritable liesse populaire en Espagne. Le gouvernement de gauche instaure le suffrage universel,  entame une réforme agraire, redistribue les terres au détriment de l'aristocratie latifundiaire, supprime l'enseignement religieux, instaure le mariage civil et s'attaque au pouvoir de l'Eglise. Mais le contexte économique est particulièrement difficile, les problèmes agraires s'aggravent, les autonomismes et les antagonismes sociaux renaissent, Eglise et Armée refusent toute collaboration avec le gouvernement républicain. Les forces conservatrices portées par les propriétaires terriens, le clergé, l'armée s'unissent autour de la Phalange de José Antonio Primo de Rivera, le fils du dictateur. La Catalogne proclame son autonomie alors que les mineurs des Asturies se soulèvent : la répression est particulièrement féroce. En 1936, alors que le Front populaire triomphe aux élections, l'armée sort de sa réserve : les troupes "nationalistes" du général Franco, basées au Maroc, entrent en Espagne avec l'aide logistique des Allemands...

Le pays va basculer dans la guerre civile...


Garcia Lorca, poète et auteur dramatique, est peut-être l'unique écrivain espagnol du XXe siècle qui ait eu une résonance vraiment internationale. Il naquit à Fuentevaqueros, près de Grenade, en 1899, d'une famille de propriétaires terriens. Dès son plus jeune âge il était plein d'imagination, aimait dessiner, chanter, jouer du piano et de la guitare. Cette passion pour la musique le poursuivra toute sa vie et eut une grande importance pour son style poétique et dramatique : non seulement ses vers, mais aussi sa prose, ont en effet un rythme musical, une cadence douce et lente, qui confèrent à chaque mot une puissance évocatrice extraordinaire.

Garcia Lorca ne devint cependant pas musicien professionnel. Il fréquenta le Lycée de Grenade et, en 1914, commença des études de Lettres et de Droit à l'Université de cette même ville, études qu'il continua plus tard à l'Université de Madrid. Durant ces années de vie étudiante insouciante, le jeune homme put approfondir l'étude des chants populaires et de l'ancienne littérature espagnole des "romances", au point de devenir une véritable autorité en la matière et d'être bientôt en mesure de tenir des conférences et d'écrire des essais sur ce sujet. Pendant ce temps, il se liait d'amitié avec les artistes et les intellectuels espagnols les plus "avancés". Certains étaient des hommes murs et affirmés, comme le poète Manuel Machado et le célèbre musicien Manuel de Falla ; d`autres au contraire étaient encore de jeunes étudiants comme lui qui ne devaient devenir célèbres que quelques années plus tard, comme le peintre Salvador Dali et le metteur en scène Luis Buñuel. Dans ce milieu vivant et

stimulant, Garcia Lorca composa ses premières œuvres lyriques et commença à s`intéresser au théâtre. 

ll était désormais connu dans tous les milieux littéraires espagnols, soit comme poète, soit comme critique et écrivain, lorsqu`il entreprit son premier voyage à l`étranger.

A trente-deux ans, il se trouva à New York, dans un autre monde, au cœur d'une vie frénétique qui sembla absurde et inhumaine à ce poète né dans un pays aux traditions conservatrices, pratiquement inchangées au cours des siècles. Le choc fut terrible, mais lui suggéra quelques-unes de ses poésies les plus belles et les plus dramatiques ; les seules, aussi, de toute sa production, qui n'aient pas été inspirées par des thèmes purement espagnols.

A son retour en Espagne en 1930, Garcia Lorca, donna libre cours à sa vocation théâtrale et, avec l'enthousiasme et l`esprit fantasque qui animaient toutes ses actions, il fonda à Madrid la "Barraca", théâtre ambulant, composé d'une troupe d'étudiants et d'acteurs, avec lequel Garcia Lorca fit le tour de l'Espagne, donnant des représentations dans les villes et les villages. Pendant ce temps, il écrivait cette série de drames qui, en même temps que ses œuvres lyriques, l`ont rendu célèbre aujourd'hui dans le monde entier. Il eut encore la joie d'en voir quelques-uns représentés dans les plus grands théâtres de Madrid et de Barcelone avant de mourir brutalement.

Probablement victime d`une tragique erreur pendant les terribles journées de la guerre civile, il fut fusillé par les soldats phalangistes dans une zone désertique non loin de Grenade, en août 1936. Le poète n'avait que trente-sept ans.

 

Ses œuvres demeurent profondément poétiques par leur contenu et leur langage, et profondément espagnoles par les thèmes qu'elles traitent et les traditions auxquelles elles se rattachent. Parmi les œuvres lyriques, son poème le plus connu est celui qu`il écrivit pour la mort d`un de ses amis torero, "Chant funèbre pour Ignacio Sanchez Mejias" (1935) où le thème de la mort, présent dans toutes les œuvres de l'auteur, atteint un sommet tragique. De la même intensité sont aussi les poésies lyriques du recueil "Romancero gitan" (1928) dans lequel le poète renouvela la tradition typiquement espagnole des "romances". L'amour et la mort, les passions primordiales d'un monde espagnol resté fidèle à ses plus anciennes coutumes, constituent le motif d'inspiration de ses drames théâtraux dans lesquels Garcia Lorca a créé avec une finesse psychologique et une poésie exquise une série inoubliable de figures féminines, "Mariana Píneda" (1927)," Noces de sang" (1933), - Léonard, contraint par sa famille à un mariage de convenances, intervient pendant les noces de son ex-fiancée qu'il aime encore et s'enfuit avec elle: l'époux les rattrape et provoque Léonard en duel, ils meurent tous les deux -, "Yerma" (1934), "Rosita la célibataire" (1935), "La Maison de Bernarda Alba" (1936), une analyse réaliste de la société et de la femme du sud de l'Espagne : les cinq filles de Bernarda, en deuil de leur père, vivent dans un strict isolement; une nuit, leur mère n'hésite pas à tirer sur un homme dont ses filles sont toutes plus ou moins amoureuses ....


Frederico Garcia Lorca (1898-1936)
Né à Fuente Vaqueros, près de Grenade, au sein d'une famille appartenant à la bourgeoisie libérale aisée de sa province, Frederico Garcia Lorca renonce à toute carrière musicale, bien qu'excellent pianiste, achève dans sa vingtième année ses études de droit et de lettres dans la moderne Résidence des étudiants de Madrid : il y rencontre Luis Buñuel et Salvador Dalí - tous deux s'inspirèrent de l'intimité de Lorca pour écrire "Un chien andalou"), Jorge Guillén, Rafael Alberti, Pedro Salinas, ..s'ouvre à la pensée de son temps, et devient ainsi progressivement le poète et le dramaturge qui, malgré les malentendus et les censures, lui apporteront une incontestable notoriété. Le désir de "vivre la poésie", sous ses diverses formes, et d'associer délibérément le destin du poète et celui de son peuple, le jette dans "logique poétique" qui lui est propre, une logique  étrangère tant à la pensée rationnelle qu'au sens commun : "bien souvent, dit Lorca, elle attaque franchement l'intelligence et l'ordre naturel des choses." Il écrit et met en scène, sans le moindre succès, sa première pièce en vers, "El maleficio de la mariposa" (Le Maléfice du papillon), en 1919-1920; proche de Manuel de Falla, Lorca donne dans le théâtre de marionnettes et dans la tradition folklorique du flamenco. Il publie tour à tour "Libro de poemas" (1921), "Poema del cante jondo" (1921), "Canciones" (1922), "Oda a Salvador Dalí" (1926) et "Romancero gitano" (1928) : ce recueil de dix-huit romances lui apporte une renommée immédiate.

 La monja gitana

Silencio de cal y mirto.
Malvas en las
hierbas finas.
La monja borda alhelíes
sobre una tela pajiza.
Vuelan en la araña gris,
siete pájaros del prisma.
La iglesia gruñe a lo lejos
como un oso panza arriba.
¡Qué bien borda ! ¡Con qué gracia!
Sobre la tela pajiza,
ella quisiera bordar
flores de su fantasía.
¡Qué girasol! ¡Qué magnolia
de lentejuelas y cintas!
¡Qué azafranes y qué lunas,
en el mantel de la misa!
Cinco toronjas se endulzan
en la cercana cocina.

Las cinco llagas de Cristo
cortadas en Almería.
Por los ojos de la monja
galopan dos caba
llistas.
Un rumor último y sordo
le despega la camisa,
y al mirar nubes y montes
en las yertas lejanías,
se quiebra su corazón
de azúcar y yerbaluisa.
¡Oh!, qué llanura empinada
con veinte soles arriba.
¡Qué ríos puestos de pie
vislumbra su fantasía!
Pero
sigue con sus flores,
mientras que de pie, en la brisa,
la luz juega el ajedrez
alto de la celosía



"El Romancero Gitano" offre une synthèse entre tradition populaire du romancero et  poésie cultivée, les thèmes traditionnels liés à l’Andalousie et aux gitans s'enrichissent de métaphores et de symboles avant-gardistes (la lune, les couteaux, les couleurs (vert, noir blanc), le cheval, l’eau ou le miroir) qui traduisent les préoccupations obsessives que l’on retrouve dans la plupart de ses œuvres de Lorca, l’amour et la passion, la mort et la liberté...

La casada infiel

Y yo que me la lleve al río
creyendo que era mozuela,
pero tenía marido.
Fue la noche de Santiago
y casi por compromiso.
Se apagaron los faroles
y se encendieron los grillos.
En las últimas esquinas
toque sus pechos dormidos,
y se me abrieron de pronto
como ramos de jacintos.
El almidón de su enagua
me sonaba en el oído
como una pieza de seda
rasgada por diez cuchillos.
Sin luz de plata en sus copas
los árboles han crecido
y un horizonte de perros
ladra muy lejos del río.
Pasadas las zarzamoras,
los juncos y los espinos,
bajo su mata de pelo
hice un hoyo sobre el limo.
Yo me quité la corbata.
Ella se quito el vestido.
Yo, el cinturón con revólver.
Ella, sus cuatro corpiños.
Ni nardos ni caracolas
tienen el cutis tan fino,
ni los cristales con luna
relumbran con ese brillo.
Sus muslos se me escapaban
como peces sorprendidos,
la mitad llenos de lumbre,
la mitad llenos de frío.
Aquella noche corrí
el mejor de los caminos,
montado en potra de nácar
sin bridas y sin estribos.

La femme adultère

Je la pris près de la rivière
Car je la croyais sans mari
Tandis qu’elle était adultère
Ce fut la Saint-Jacques la nuit
Par rendez-vous et compromis
Quand s’éteignirent les lumières
Et s’allumèrent les cri-cri
Au coin des dernières enceintes
Je touchai ses seins endormis
Sa poitrine pour moi s’ouvrit
Comme des branches de jacinthes
Et dans mes oreilles l’empois
De ses jupes amidonnées
Crissait comme soie arrachée
Par douze couteaux à la fois
Les cimes d’arbres sans lumière
Grandissaient au bord du chemin
Et tout un horizon de chiens
Aboyait loin de la rivière

Quand nous avons franchi les ronces
Les épines et les ajoncs
Sous elle son chignon s’enfonce
Et fait un trou dans le limon
Quand ma cravate fût ôtée
Elle retira son jupon
Puis quand j’ôtai mon ceinturon
Quatre corsages d’affilée
Ni le nard ni les escargots
N’eurent jamais la peau si fine
Ni sous la lune les cristaux
N’ont de lueur plus cristalline
Ses cuisses s’enfuyaient sous moi
Comme des truites effrayées
L’une moitié toute embrasée
L’autre moitié pleine de froid
Cette nuit me vit galoper
De ma plus belle chevauchée
Sur une pouliche nacrée
Sans bride et sans étriers



Au début des années 1920, à Madrid, Luis Buñuel, Salvador Dali et Federico Garcia Lorca sont inséparables : Lorca est l'aîné du trio, né en 1898, Dali, le futur peintre, né en 1904 en Catalogne, le plus jeune, et Luis Buñuel, l'Aragonais, le futur cinéaste, en 1900. On sait que Lorca était amoureux de Dali, et lorsque celui-ci rejoint Buñuel à Paris, - un Buñuel homophobe et qui ne goûte guère la poésie de Lorca -, puis réalise avec lui le fameux "Chien andalou" (Un perro andaluz), qui n'est autre que Lorca lui-même, la coupe est pleine. Le film est projeté à Paris le 6 juin 1929, en présence de Pablo Picasso, Jean Cocteau, Max Ernst, Man Ray, René Magritte, René Char, Ives Tanguy, Jean Arp, Louis Aragon, Paul Éluard, Tristan, André Breton... Lorca écrit en retour un scénario alors qu'il est à New York et le présente à Emilio Amero, un peintre et cinéaste d'avant-garde mexicain à qui il pense confier la mise en scène. Le film ne sera jamais tourné...

 Oda a Salvador Dalí...
Una rosa en el alto jardín que tú deseas.
Una rueda en la pura sintaxis del acero.
Desnuda la montaña de niebla impresionista.
Los grises oteando sus balaustradas últimas.
Los pintores modernos en sus blancos estudios,
cortan la flor aséptica de la raíz cuadrada.
En las aguas del Sena un ice-berg de mármol
enfría las ventanas y disipa las yedras.
El hombre pisa fuerte las calles enlosadas.
Los cristales esquivan la magia del reflejo.
El Gobierno ha cerrado las tiendas de perfume.
La máquina eterniza sus compases binarios.

Una ausencia de bosques, biombos y entrecejos
yerra por los tejados de las casas antiguas.
El aire pulimenta su prisma sobre el mar
y el horizonte sube como un gran acueducto.
Marineros que ignoran el vino y la penumbra,
decapitan sirenas en los mares de plomo.
La Noche, negra estatua de la prudencia, tiene
el espejo redondo de la luna en su mano.
Un deseo de formas y límites nos gana.
Viene el hombre que mira con el metro amarillo.
Venus es una blanca naturaleza muerta
y los coleccionistas de mariposas huyen.



Lorca dédia "Muerte de amor" à Margarita Manso Robledo (Valladolid, 1908 - Madrid, 1960),  femme peintre espagnol de la génération de '27, amour éphémère et intime dans les années 1920 de Dali et de Maruja Mallo (Vivero, Lugo, 1902- Madrid, 1995), peintre comme elle..

¿Qué es aquello que reluce
por los altos corredores?
Cierra la puerta, hijo mío,
acaban de dar las once.
En mis ojos, sin querer,
relumbran cuatro faroles.
Será que la gente aquélla
estará fregando el cobre.
Ajo de agónica plata
la luna menguante, pone
cabelleras amarillas
a las amarillas torres.
La noche llama temblando
al cristal de los balcones,
perseguida por los mil
perros que no la conocen,
y un olor de vino y ámbar
viene de los corredores.

Brisas de caña mojada
y rumor de viejas voces,
resonaban por el arco
roto de la media noche.
Bueyes y rosas dormían.
Solo por los corredores
las cuatro luces clamaban
con el fulgor de San Jorge.
Tristes mujeres del valle
bajaban su sangre de hombre,
tranquila de flor cortada
y amarga de muslo joven.
Viejas mujeres del río
lloraban al pie del monte,
un minuto intransitable
de cabelleras y nombres.
Fachadas de cal, ponían
cuadrada y blanca la noche.
Serafines y gitanos
tocaban acordeones.
Madre, cuando yo me muera,
que se enteren los señores.



...Le Cante Jondo vient des races gitanes, traversant le cimetière des années et les frondes des vents fanés. Il vient des premières larmes et du premier baiser...
Lors de la conférence Le Cante Jondo (chant andalou primitif) qu'il donna le 19 février 1922,  Federico exposait les origines du cante jondo:  «Il s'agit d'un chant purement andalou qui existait déjà sous forme embryonnaire dans notre région avant que les gitans n'y arrivent.» Il expliqua ce que le cante jondo a de jondo:   «Voyez, Messieurs, la transcendance que possède le Cante jondo, et la sagesse dont a fait preuve notre peuple en l'appelant ainsi.  C'est profond,  véritablement profond, plus encore que tous les puits et toutes les mers qui entourent le monde, beaucoup plus profond que le coeur actuel qui le crée et que la voix qui le chante, parce qu'il est presque infini.   Il vient des races gitanes, traversant le cimetière des années et les frondes des vents fanés.  Il vient des premières larmes et du premier baiser.»

 El paso de la siguiriya

Entre mariposas negras,
va una muchacha morena
junto a una blanca serpiente
de niebla.
Tierra de luz,
cielo de tierra.
Va encadenada al temblor
de un ritmo que nunca llega;
tiene el corazón de plata
y un puñal en la diestra
¿Adónde vas siguiriya,
con un ritmo sin cabeza?
¿Qué luna recogerá
Tu dolor de cal y adelfa?
Tierra de luz
cielo de tierra.

Le pas de la Séguirilla

Parmi les papillons noirs,
va une brunette moresque
à côté d'un blanc serpent
de brume.
Terre de lumière,
Ciel de terre
Elle va enchaînée au tremblement
d'un rythme qui jamais ne s'établit;
elle a un coeur en argent
et un poignard dans la main
Où vas-tu, siguiriya,
de ce rythme décervelé?
Quelle lune soulagera
ta douleur de citron et de bouton de rose?
Terre de lumière
Ciel de terre.



De 1929 à 1930, Lorca est dans le Nouveau Monde, à New York, - où il s'ennuie et qui lui inspire un violent rejet qu'il l'exprimera dans son fameux recueil, posthume, "Poeta en Nueva York" -,  puis à Cuba. Lorsqu'il revient en Espagne, la République vient d'être proclamée, et commence pour lui une nouvelle vie. Ce voyage marqua un tournant dans sa trajectoire poétique : il se détache à partir de cette expérience de la poésie populaire et traditionnelle pour se rallier au courant avant-gardiste, la grande ville nord-américaine est vécue non seulement comme le symbole de la civilisation technologique qui se croît aux dépens des êtres les plus faibles dans une imagerie insolite qui évoque le surréalisme. 

 

Paisaje de la multitud que vomita
Anochecer en Coney Island

La mujer gorda venía delante
arrancando las raíces y mojando el pergamino de los tambores;
la mujer gorda
que vuelve del revés los pulpos agonizantes.
La mujer gorda, enemiga de la luna,
corría por las calles y los pisos deshabitados
y dejaba por los rincones pequeñas calaveras de paloma
y levantaba las furias de los banquetes de los siglos últimos
y llamaba al demonio del pan por las colinas del cielo barrido
y filtraba un ansia de luz en las circulaciones subterráneas.
Son los cementerios, lo sé, son los cementerios
y el dolor de las cocinas enterradas bajo la arena,
son los muertos, los faisanes y las manzanas de otra hora
los que nos empujan en la garganta.
Llegaban los rumores de la selva del vómito
con las mujeres vacías, con niños de cera caliente,
con árboles fermentados y camareros incansables
que sirven platos de sal bajo las arpas de la saliva.
Sin remedio, hijo mío, ¡vomita! No hay remedio.
No es el vómito de los húsares sobre los pechos de la prostituta,
ni el vómito del gato que se tragó una rana por descuido.
Son los muertos que arañan con sus manos de tierra
las puertas de pedernal donde se pudren nublos y postres.
La mujer gorda venía delante
con las gentes de los barcos, de las tabernas y de los jardines.
El vómito agitaba delicadamente sus tambores
entre algunas niñas de sangre
que pedían protección a la luna.
¡Ay de mí! ¡Ay de mí! ¡Ay de mi!
Esta mirada mía fue mía, pero ya no es mía,
esta mirada que tiembla desnuda por el alcohol
y despide barcos increíbles
por las anémonas de los muelles.
Me defiendo con esta mirada
que mana de las ondas por donde el alba no se atreve,
yo, poeta sin brazos, perdido
entre la multitud que vomita,
sin caballo efusivo que corte
los espesos musgos de mis sienes.
Pero la mujer gorda seguía delante
y la gente buscaba las farmacias
donde el amargo trópico se fija.
Sólo cuando izaron la bandera y llegaron los primeros canes
la ciudad entera se agolpó en las barandillas del embarcadero.
New York, 29 de diciembre de 1929

Paysage de la foule qui vomit
(Crépuscule sur Coney Island)

La grosse femme venait en tête
arrachant les racines et mouillant la peau des tambours ;
la grosse femme qui met à l'envers les poulpes agonisants.
La grosse femme, ennemie de la lune,
courait dans les rues et dans les logements inhabités
et laissait dans tous les coins des petits crânes de colombes
et relevait les furies des banquets des derniers siècles
et appelait le démon du pain sur les collines du ciel balayé
et filtrait une angoisse de lumière dans les circulations souterraines.
Ce sont les cimetières, je le sais, ce sont les cimetières
et la douleur des cuisines enterrées sous le sable,
ce sont les morts, les faisans et les pommes d`une autre heure
qui nous poussent à la gorge.
Venaient les rumeurs de la forêt du vomissement
avec les femmes vides, avec des enfants de cire brûlante,
avec des arbres fermentés et des garçons de café infatigables
qui servent des assiettes de sel sous les harpes de la salive.
Cest sans issue, mon fils, vomis ! C'est sans issue.
Ce n'est ni le vomissement des hussards sur les seins de la prostituée
ni le vomissement du chat qui a avalé une grenouille par distraction.
Ce sont les morts qui griffent avec leurs mains de terre
les portes de silex où pourrissent les nuages et les desserts.
La grosse femme venait en tête
avec les gens des bateaux, des tavernes et des jardins.
Le vomissement agitait délicatement ses tambours
au milieu des fillettes de sang
qui demandaient protection à la lune.
Malheur à moi ! Malheur à moi ! Malheur à moi !
Ce regard mien fut mien, mais déjà n'est plus mien,
ce regard qui tremble dévêtu par l'alcool
et lance d'incroyables navires
parmi les anémones des quais.
Par ce regard qui sourd des ondes
où l'aube ne se risque, je me défends,
moi, poète sans bras, perdu
parmi la foule qui vomit,
sans cheval effusif qui coupe
les mousses épaisses de mes tempes.
Mais la grosse femme était toujours en tête
et les gens cherchaient les pharmacies
où l`amer tropique se fixe.
Lorsqu'on hissa le drapeau et qu'arrivèrent les premiers chiens
la ville entière vint s'agglutiner devant les parapets de l'embarcadère.

New York, 29 décembre 1929.



A la tête de La Barraca,  société de théâtre étudiante, il réalise avec avec l’actrice Margarita Xirgu (1888-1969) des tournées dans les coins les plus reculés d'Espagne, et écrit sa fameuse trilogie rurale, "Bodas de sangre" (1932), "Yerma" (1934) et "La casa de Bernarda Alba" (1936). A cette étape de sa vie, il voit une Espagne, rurale et ancestrale, immobilisée dans une tradition étouffante, cédait la place à l'Espagne citadine et petite bourgeoise. "Bodas de sangre" retrace l’histoire d’un mariage déchiré par la passion de la fiancée pour son ancien amant et qui s'achève tragiquement sur fond de paysages andalous (Carlos Saura en réalise une adaptation cinématographique en 1981).  "Yerma"  relate  la lutte de Yerma pour être mère, désir de maternitié qui la conduit à tuer son mari, stérile, pour espérer avoir des enfants avec un autre homme, drame, dira-ton, de la force de l’instinct face à la répression et portrait de femme de son époque, à la fois opprimée et libérée.


Juego y teoría del duende
Federico García Lorca fait entrer dans la littérature, à travers sa conférence "Juego y teoría del duende" prononcée en 1930 à La Havane, en 1933 à Buenos Aires et en 1934 à Montevideo, la notion de "duende", notion difficilement traduisible dans une autre langue que l'espagnol. Le terme est ici inspiré de l’expérience de l’art flamenco pour exprimer cette présence mystérieuse et indicible qui habite le corps, endormie, et surgit brusquement lorsque ce corps se métamorphose en un autre corps, lorsque le charnel se fait désir, entraînant avec lui l'auditoire, lorsqu'au cours d'une juerga flamenca, un chanteur, une chanteuse, émerge du public et abandonne son corps à ces chants andalous qui semblent exprimer un rapport originaire, millénaire, de la nature humaine au monde...

 Señoras y señores:
Desde el año 1918, que ingresé en la Residencia de Estudiantes de Madrid, hasta 1928, en que la abandoné, terminados mis estudios de Filosofía y Letras, he oído en aquel refinado salón, donde acudía para corregir su frivolidad de playa francesa la vieja aristocracia española, cerca de mil conferencias.
Con ganas de aire y de sol, me he aburrido tanto, que al salir me he sentido cubierto por una leve ceniza casi a punto de convertirse en pimienta de irritación.
No. Yo no quisiera que entrase en la sala ese terrible moscardón del aburrimiento que ensarta todas las cabezas por un hilo tenue de sueño y pone en los ojos de los oyentes unos grupos diminutos de puntas de alfiler.
De modo sencillo, con el registro que en mi voz poética no tiene luces de maderas, ni recodos de cicuta, ni ovejas que de pronto son cuchillos de ironías, voy a ver si puedo daros una sencilla lección sobre el espíritu oculto de la dolorida España.
El que está en la piel de toro extendida entre los Júcar, Guadalete, Sil o Pisuerga (no quiero citar a los caudales junto a las ondas color melena de león que agita el Plata), oye decir con medida frecuencia: "Esto tiene mucho duende". Manuel Torres, gran artista del pueblo andaluz, decía a uno que cantaba: "Tú tienes voz, tú sabes los estilos, pero no triunfaras nunca, porque tú no tienes duende".
En toda Andalucía, roca de Jaén y caracola de Cádiz, la gente habla constantemente del duende y lo descubre en cuanto sale con instinto eficaz. El maravilloso cantaor El Lebrijano, creador de la Debla, decía: "Los días que yo canto con duende no hay quien pueda conmigo"; la vieja bailarina gitana La Malena exclamó un día oyendo tocar a Brailowsky un fragmento de Bach: "¡Ole! ¡Eso tiene duende!", y estuvo aburrida con Gluck y con Brahms y con Darius Milhaud. Y Manuel Torres, el hombre de mayor cultura en la sangre que he conocido, dijo, escuchando al propio Falla su Nocturno del Generalife, esta espléndida frase: "Todo lo que tiene sonidos negros tiene duende". Y no hay verdad más grande.
Estos sonidos negros son el misterio, las raíces que se clavan en el limo que todos conocemos, que todos ignoramos, pero de donde nos llega lo que es sustancial en el arte. Sonidos negros dijo el hombre popular de España y coincidió con Goethe, que hace la definición del duende al hablar de Paganini, diciendo: "Poder misterioso que todos sienten y que ningún filósofo explica".
Así, pues, el duende es un poder y no un obrar, es un luchar y no un pensar. Yo he oído decir a un viejo maestro guitarrista: "El duende no está en la garganta; el duende sube por dentro desde la planta de los pies". Es decir, no es cuestión de facultad, sino de verdadero estilo vivo; es decir, de sangre; es decir, de viejísima cultura, de creación en acto. Este "poder misterioso que todos sienten y que ningún filósofo explica" es, en suma, el espíritu de la sierra, el mismo duende que abrazó el corazón de Nietzsche, que lo buscaba en sus formas exteriores sobre el puente Rialto o en la música de Bizet, sin encontrarlo y sin saber que el duende que él perseguía había saltado de los misteriosos griegos a las bailarinas de Cádiz o al dionisíaco grito degollado de la siguiriya de Silverio. .... 

 "Mesdames et messieurs :
Depuis l`année 1918, où j'entrai à la Résidence des étudiants de Madrid, jusqu'à 1928, où je la quittai, une fois achevées mes études de philosophie et de lettres, j'ai entendu dans ce même salon raffiné, que fréquentait, sans doute pour corriger sa frivolité de plage
française, la vieille aristocratie espagnole, autour de mille conférences. Avide de grand air et de soleil, je m'y ennuyais tant qu”en sortant je me sentais recouvert d'une légère couche de cendre prête à se changer en poil à gratter. Non. Je ne voudrais pas laisser entrer dans cette salle le terrible bourdon de l'ennui qui passe toutes les têtes au fil ténu du sommeil et jette dans les yeux de l'assistance de petites poignées d'épingles. Simplement, dans le registre de ma voix poétique qui rejette les reflets du bois, les détours des ciguës, les brebis qui brusquement deviennent des couteaux d'ironie, je vais tâcher de vous exposer ce que signifie l'esprít caché de l'Espagne douloureuse. Celui qui se trouve sur la peau de taureau tendue entre le Júcar, le Guadalfeo, le Sil ou le Pisuerga (je ne citerai pas les grands fleuves à côté des ondes couleur crinière de lion qu'agite le Plata), on entend souvent dire : "Voilà qui a beaucoup de duende". Manuel Torres, grand artiste du peuple andalou, disait à quelqu'un qui chantait : "Toi, tu as de la voix, tu connais les styles, mais tu ne triompheras jamais parce que tu n'as pas le duende." Dans toute l`Andalousie, rocher de Jaén ou conque de Cádiz, les gens parlent constamment du duende et le détectent, avec un instinct sûr, dès qu'il se manifeste. Le merveilleux chanteur El Lebrijano, créateur de la Debla, disait : "Les jours où je chante avec duende, personne ne peut être meilleur que moi" ; la vieille danseuse gitane La Malena s'exclama un jour, alors qu'elle entendait Brailowsky jouer un morceau de Bach : "Olé ! Voilà qui a du duende! ", tandis que Gluck, Brahms et Darius Milhaud l'ennuyaient; et Manuel Torres, l'homme qui à mes yeux possède le plus de culture dans le sang, fit, après avoir entendu Falla lui-même interpréter son Nocturne du Generalife, cette remarque splendide : "Tout ce qui a des sons noirs a du duende." ll n'est pas de plus de grande vérité. Ces sons noirs sont le mystère, les racines qui s'enfoncent dans le limon que nous connaissons tous, que tous nous ignorons, mais d'où nous parvient ce qui forme la substance de l'art. Sons noirs, dit l'homme du peuple espagnol, rejoignant Goethe, lequel, évoquant Paganini, définit le duende : "Pouvoir mystérieux que tous ressentent et qu'aucun philosophe n`explique." Ainsi donc, le duende est un pouvoir et non une œuvre, un combat et non une pensée. J'ai entendu dire à un vieux maître guitariste : "Le duende n`est pas dans la gorge ; le duende vous monte du dedans, depuis la plante des pieds." Aussi n'est-il pas question de faculté mais de véritable style vivant ; c'est-à-dire de sang ; de culture antique mais aussi de création en acte. Ce "pouvoir mystérieux que tous ressentent et qu'aucun philosophe n'explique" est, en somme, l'esprit de la terre, le même duende qui serra le cœur de Nietzsche, qui le cherchait dans ses formes extérieures sur le pont du Rialto ou dans la musique de Bizet, sans le trouver et sans savoir que le duende qu”il poursuivait avait passé des mystères grecs aux danseuses de Cádiz ou au cri dionysiaque, décapité, de la síguíríya de Silverio Franconetti y Aguilar.



"NOCES DE SANG" (Boda de sangre, 1933)

Drame en trois actes et sept tableaux de Federico García Lorca et qui sera représenté en 1933. L`intrigue : le jour même de ses noces, la fiancée retrouve Leonardo. Ils se sont aimés jadis, mais le père de la jeune fille, arguant de la mauvaise réputation de la famille de Leonardo. avait brisé leur liaison. Depuis, Leonardo s`est marié. De son côté, la fiancée, hantée par le souvenir de cet amour, avait aspiré au mariage comme à une libération. Mais l`ancienne passion qu'ils croyaient abolie subjugue les deux amants. Le soir même de ses noces. la fiancée s'enfuit avec Leonardo : le fiancé les rejoint, tue son rival et succombe lui-même à ses blessures...

 

(...) Deuxième tableau - L'extérieur de la grotte de la fiancée. Peinte en tons blanc gris et bleu froid. Grands figuiers de Barbarie. Horizon de plateaux blonds. Le tout durci comme les paysages des céramiques populaires.

 

- La SERVANTE, rangeant sur une table des verres et des plateaux.

L'eau passe, / L'eau passe, / Et vire le moulin! / La noce arrive enfin! 

Que s'entrouvrent les branches, / Qu'une lune d'or fin / Brille aux barrières blanches.

(A voix haute) - Mets les nappes!

(D'une voix poétique)

L'eau passe, / L'eau passe, / Chantaient les mariés, / La noce est arrivée.

Que brille un givre fin, / Et vienne du miel, plein / Les amères amandes.

(A voix haute:) - Prépare le vin!

(D'une voix poétique :)

Fillette, / La belle du pays, / Se mire à la fontaine / Et voilà son promis.

Trousse ta robe à traîne, / Que le mari t'emmène / Au nid sous l'aile, au nid,

Pour n'en plus ressortir. / L'homme est un tourtereau / A poitrine de braise.

Si du sang coule chaud / Les champs vont crier d'aise.

L'eau passe, / L'eau passe, / Et vire le moulin! / De ton ombre de fille / Délivre l'eau qui brille!

 

Galana. / Galana de la tierra, / mira cómo el agua pasa. / Porque llega tu boda / recógete las faldas / y bajo el ala del novio

nunca salgas de tu casa. / Porque el novio es un palomo / con todo el pecho de brasa / y espera el campo el rumor

de la sangre derramada. / Giraba, / giraba la rueda / y el agua pasaba. / ¡Porque llega tu boda, / deja que relumbre el agua!

 

- LA MÈRE, entrant. - Enfin!

- LE PÈRE - Nous sommes les premiers?

- LA SERVANTE - Non, Léonard et sa femme sont déjà là. Ils ont été comme le tonnerre aussi vite qu'à cheval. La femme est arrivée morte de peur.

- LE PÈRE - Ce gars cherche un malheur : il a le sang mauvais.

- LA MÈRE - Le sang de sa famille. Cela a commencé avec son bisaïeul, le premier de la lignée qui ait tué un homme, et ça se perpétue dans sa maudite engeance ... Manieurs de couteaux, gens au rire sournois...

- LE PÈRE - Nous n'allons pas parler de ça...

- LA SERVANTE - Comment pourrait-elle n'en plus parler?

 

PADRE.-  ¿Somos los primeros?

CRIADA.-  No. Hace rato llegó Leonardo con su mujer. Corrieron como demonios. La mujer llegó muerta de miedo. Hicieron el camino como si hubieran venido a caballo.

PADRE.-  Ése busca la desgracia. No tiene buena sangre.

MADRE.-  ¿Qué sangre va a tener? La de toda su familia. Mana de su bisabuelo, que empezó matando, y sigue en toda la mala ralea, manejadores de cuchillos y gente de falsa sonrisa.

PADRE.-  ¡Vamos a dejarlo!

CRIADA.-  ¿Cómo lo va a dejar?

MADRE.-  Me duele hasta la punta de las venas. En la frente de todos ellos yo no veo más que la mano con que mataron a lo que era mío. ¿Tú me ves a mí? ¿No te parezco loca? Pues es loca de no haber gritado todo lo que mi pecho necesita. Tengo en mi pecho un grito siempre puesto de pie a quien tengo que castigar y meter entre los mantos. Pero me llevan a los muertos y hay que callar. Luego la gente critica.  (Se quita el manto.) 

PADRE.-  Hoy no es día de que te acuerdes de esas cosas.

MADRE.-  Cuando sale la conversación, tengo que hablar. Y hoy más. Porque hoy me quedo sola en mi casa.

 

- LA MÈRE - J'ai mal jusqu'au bout de mes veines. Je ne vois en eux tous que leurs mains, pareilles à celles qui ont tué mes deux hommes. Tu me crois folle? Eh bien! si je le suis c'est de n'avoir pas crié autant que j'en avais besoin. J'ai dans la poitrine, toujours prêt à sortir, un cri que je maîtrise et cache sous ma mante. Car une fois qu'on a emmené les morts, les vivants doivent se taire. Il n'y a que ceux qui n'ont rien à voir dans l'histoire qui aient le droit de clabauder. (Elle retire sa mante.)

- LE PÈRE - Ce n'est pas le jour de penser à tout ça.

- LA MÈRE - Quand les souvenirs me montent à la tête, il faut que je parle. Aujourd'hui plus que jamais. Car, désormais, je serai seule à la maison.

- LE PÈRE - En attendant la compagnie.

- LA MÈRE - C'est bien ce que j'espère : les petits-enfants.

(Ils s'assoient.)

- LE PÈRE - Je veux qu'ils en aient beaucoup. Cette terre a besoin de bras qui ne soient pas loués. Il faut faire la guerre aux mauvaises herbes, aux chardons, aux cailloux qui sortent d'on ne sait où. Ce sont les maîtres de la terre qui doivent la châtier, la vaincre, faire pousser les semences! Il nous faut des garçons.

- LA MÈRE - Quelques filles aussi! Les garçons, le vent les mène, ils sont forcés de manier les armes. Les filles, elles, ne quittent pas la maison.

- LE PÈRE, joyeux. - Je crois qu'ils auront de tout!

 

PADRE.-   (Alegre.) Yo creo que tendrán de todo.

MADRE.-  Mi hijo la cubrirá bien. Es de buena simiente. Su padre pudo haber tenido conmigo muchos hijos.

PADRE.-  Lo que yo quisiera es que esto fuera cosa de un día. Que en seguida tuvieran dos o tres hombres.

MADRE.-  Pero no es así. Se tarda mucho. Por eso es tan terrible ver la sangre de una derramada por el suelo. Una fuente que corre un minuto y a nosotros nos ha costado años. Cuando yo llegué a ver a mi hijo, estaba tumbado en mitad de la calle. Me mojé las manos de sangre y me las lamí con la lengua. Porque era mía. Tú no sabes lo que es eso. En una custodia de cristal y topacios pondría yo la tierra empapada por ella.

PADRE.-  Ahora tienes que esperar. Mi hija es ancha y tu hijo es fuerte.

MADRE.-  Así espero.

 

- LA MÈRE - Mon fils désire ta fille, il la couvrira bien. Il est de bonne souche. Son père aurait pu me donner beaucoup d'enfants.

- LE PÈRE - Je voudrais que ça puisse se faire en un jour. Qu'ils aient deux ou trois enfants tout de suite.

- LA MÈRE - Hé non! Ça prend du temps. C'est pourquoi il est si terrible de voir notre sang répandu. Qu'il coule une minute, et c'en est fait de ce qui nous  a coûté des années. Quand je suis arrivée auprès de mon fils, il était écroulé au milieu de la rue. J'ai trempé mes mains dans son sang et je les ai léchées à pleine langue! C'est mon sang à moi. Tu ne peux pas savoir ce que c'est : la terre qui a bu ce sang-là, je la mettrais dans un ostensoir en topazes

et en cristal.

- LE PÈRE - Allons! Tu peux reprendre espoir, maintenant. Ma fille est large, et ton fils est fort.

- LA MÈRE - Aussi j'espère.

(Ils se lèvent.)

- LE PÈRE - Prépare les plateaux de blé.

- LA SERVANTE - Ils sont prêts.

- LA FEMME DE LÉONARD, entrant. - Qu'ils soient heureux!

- LE PÈRE - Merci !

- LÉONARD - On va festoyer?

- LE PÈRE - Un peu. Mais les gens ne peuvent pas s'attarder.

- LA SERVANTE - Les voici!

....

 

Ce n'est pas tant l'action et les personnages qui importent ici que la fatalité qui les habite et les emporte. Une fatalité inexorable que rien ne peut conjurer et à laquelle ils ne peuvent se soustraire. D`entrée de jeu, ils ont le sentiment de leur échec, de leur impasse, ils sont prédestinés ; et si cette condition justifie leurs actions les plus folles, ils n'en savent pas moins que leur rébellion sera vaine. Fille pure et violente, la fiancée sait que son acte coûtera la vie des deux hommes qui l'aiment, mais elle n`y peut rien, "J`aimais bien mon fiancé, je ne l`ai pas trompé, mais le bras de l`autre m'a enlevée comme un coup de mer...." 

 

NOVIA.-  ¡Porque yo me fui con el otro, me fui!  (Con angustia.) Tú también te hubieras ido. Yo era una mujer quemada, llena de llagas por dentro y por fuera, y tu hijo era un poquito de agua de la que yo esperaba hijos, tierra, salud; pero el otro era un río oscuro, lleno de ramas, que acercaba a mí el rumor de sus juncos y su cantar entre dientes. Y yo corría con tu hijo que era como un niñito de agua, frío, y el otro me mandaba cientos de pájaros que me impedían el andar y que dejaban escarcha sobre mis heridas de pobre mujer marchita, de muchacha acariciada por el fuego. Yo no quería, ¡óyelo bien!; yo no quería, ¡óyelo bien!, yo no quería. ¡Tu hijo era mi fin y yo no lo he engañado, pero el brazo del otro me arrastró como un golpe de mar, como la cabezada de un mulo, y me hubiera arrastrado siempre, siempre, siempre, aunque hubiera sido vieja y todos los hijos de tu hijo me hubiesen agarrado de los cabellos!

 

- LA FIANCÉE -

Je suis partie avec l'autre! Je suis partie! ( Avec angoisse.) Toi aussi, tu serais partie! J'étais brûlée, couverte de plaies dedans et dehors. Ton fils était un peu d'eau dont j'attendais des enfants, une terre, la santé. Mais l'autre était un fleuve obscur sous la ramée, il m'apportait la rumeur de ses joncs, sa chanson murmurait. Je courais avec ton fils qui, lui, était tout froid comme un petit enfant de l'eau, et l'autre, par centaines, m'envoyait des oiseaux qui m'empêchaient de marcher, et qui laissaient du givre sur mes blessures de pauvre femme flétrie, de jeune fille caressée par le feu...

Je ne voulais pas, entends-moi bien! Je ne voulais pas... Ton fils était mon salut, et je ne l'ai pas trompé, mais le bras de l'autre m'a entraînée comme une vague de fond, comme vous pousse le coup de tête d'un mulet. Et il m'aurait entraînée toujours, toujours, même si j'avais été une vieille femme et si tous les fils de ton fils s'étaient accrochés à mes cheveux!

(Entre une voisine.)

 

MADRE.-  Ella no tiene la culpa, ¡ni yo!  (Sarcástica.) ¿Quién la tiene, pues? ¡Floja, delicada, mujer de mal dormir es quien tira una corona de azahar para buscar un pedazo de cama calentado por otra mujer!

 

- LA MÈRE -

Ce n'est pas de sa faute à elle! La mienne non plus! (Sarcastíque). La faute à qui, alors? Paresseuse, maniérée, femme au mauvaís sommeil, qui jette une couronne d'oranger pour chercher un coin de lit encore chaud d'une autre femme!

 

NOVIA.-  ¡Calla, calla! Véngate de mí; ¡aquí estoy! Mira que mi cuello es blando; te costará menos trabajo que segar una dalia de tu huerto. Pero ¡eso no! Honrada, honrada como una niña recién nacida. Y fuerte para demostrártelo. Enciende la lumbre. Vamos a meter las manos; tú, por tu hijo; yo, por mi cuerpo. La retirarás antes tú.

 

- LA FIANCÉE - 

Tais-toi! Tais-toi! Venge-toi de moi, me voici! Mon cou est tendre, moins dur à trancher qu'un dahlia de ton jardin. Mais ne m'insulte pas! Je suis honnête, honnête comme un petit enfant nouveau-né. Et forte à tenle démontrer. Allume le feu. Nous allons y mettre les mains : toi pour ton fils, moi pour mon corps : tu seras forcée de les retirer avant moi.

(Entre une autre voisine.)

 

MADRE.-  Pero ¿qué me importa a mí tu honradez? ¿Qué me importa tu muerte? ¿Qué me importa a mí nada de nada? Benditos sean los trigos, porque mis hijos están debajo de ellos; bendita sea la lluvia, porque moja la cara de los muertos. Bendito sea Dios, que nos tiende juntos para descansar.

 

- LA MÈRE -

Que me fait, à moi, ton honnêteté?... Qu'est-ce que cela me fait, que tu meures ? ... Que m'importe rien de rien?... Bénis soient les blés, parce qu'ils protègent le sommeil de mes fils. Bénie soit la pluie qui mouille la face des morts. Et béni soit Dieu qui nous étend les uns auprès des autres apaisés.

(Entre une autre voisine)

- LA FIANCEE -

Laisse-moi pleurer avec toi.

- LA MERE - 

Pleure, mais à la porte.

...

 

 

Léonardo quant à lui ne peut échapper au désir et à une nécessité intérieure d'enlever la jeune fille, "C`est la faute de la terre, du parfum de son corps et de ses cheveux...."

LEONARDO

¡Qué vidrios se me clavan en la lengua!

Porque yo quise olvidar

y puse un muro de piedra

entre tu casa y la mía.

Es verdad. ¿No lo recuerdas?

Y cuando te vi de lejos

me eché en los ojos arena.

Pero montaba a caballo

y el caballo iba a tu puerta.

Con alfileres de plata

mi sangre se puso negra,

y el sueño me fue llenando

las carnes de mala hierba.

Que yo no tengo la culpa,

que la culpa es de la tierra

y de ese olor que te sale

de los pechos y las trenzas.

NOVIA

¡Ay qué sinrazón! No quiero

contigo cama ni cena,

y no hay minuto del día

que estar contigo no quiera,

porque me arrastras y voy,

y me dices que me vuelva

y te sigo por el aire

como una brizna de hierba.

He dejado a un hombre duro

y a toda su descendencia

en la mitad de la boda

y con la corona puesta.

Para ti será el castigo

y no quiero que lo sea.

¡Déjame sola! ¡Huye tú!

No hay nadie que te defienda.

LEONARDO

Pájaros de la mañana

por los árboles se quiebran.

La noche se está muriendo

en el filo de la piedra.

Vamos al rincón oscuro,

donde yo siempre te quiera,

que no me importa la gente,

ni el veneno que nos echa.

 (La abraza fuertemente.) 

NOVIA

Y yo dormiré a tus pies

para guardar lo que sueñas.

Desnuda, mirando al campo,

 (Dramática.) 

como si fuera una perra,

¡porque eso soy! Que te miro

y tu hermosura me quema.

LEONARDO

Se abrasa lumbre con lumbre.

La misma llama pequeña

mata dos espigas juntas.

¡Vamos!

 (La arrastra.) 

NOVIA

¿Adónde me llevas?

LEONARDO

A donde no puedan ir

estos hombres que nos cercan.

¡Donde yo pueda mirarte!

...

(acte III)

- LEONARDO - 

Quels éclats de verre 

Se piquent dans ma langue! 

Pour t'oublier j'avais mis un mur de pierre 

Entre ta maison et la mienne.

C'est vrai. Tu t'en souviens? 

Quand je t'ai aperçue, je me suis jeté 

Du sable dans les yeux.

Mais je montais à cheval 

Et le cheval m'emportait vers toi.

Mon sang était noir d'épingles d'argent

Et le sommeil infusait dans ma chair

De mauvaises herbes. Ce n'est pas ma faute,

La terre a fait le mal, et ce parfum 

Qui monte de tes seins, de tes nattes.

- LA FIANCÉE - 

Aïe! Nous sommes fous! je ne veux

Ni de ton lit ni de ton pain,

Mais il n'est d'instant

Que je ne voudrais passer avec toi.

Tu me dis : "Va-t'en", et je te suis

Dans l'air comme un brin d'herbe.

La couronne d'oranger sur la tête,

J'ai laissé un homme dur et tous ses descendants

Au beau milieu des noces.

Je ne veux pas que ce soit

Toi qu'on châtie.

Laisse-moi! Sauve-toi!

Tu n'as personne pour te défendre!

- LÉONARDO -

Les oiseaux du matin

Se cognent aux arbres.

La nuit se meurt

Au tranchant de la pierre.

Allons vers le coin d'ombre

Où je t'aimerai toujours.

Que m'importent

Les gens et leur poison?

(Il l'étreínt fortement.)

- LA FIANCÉE - 

A tes pieds, pour veiller tes rêves,

Je dormirai nue et regardant les arbres

Comme une chienne que je suis!

Car je te regarde et ta beauté me brûle.

- LÉONARDO -

La lumière étreint la lumière.

La même petite flamme

Tue deux épis joints. Viens!

- LA FIANCÉE - 

Où m'emmènes-tu?

- LÉONARDO - 

Là où ceux qui nous cernent

Ne pourront pas aller.

Dans un endroit où je puisse te regarder!

....

 


Les dieux du foyer andalou sont plus exigeants encore que ceux de la mythologie ancienne. Comme dans les autres pièces de Lorca, les héros de ce drame portent le poids d`une hérédité lourde de larmes, de désirs et de sang ; tous, sans exception, se plient à la cruelle tradition de l`honneur, à la puissance d`un rite primitif qu`on ne comprend plus guère aujourd`hui, mais qui semble sourdre du fond de l`homme et du fond des âges. Aussi le personnage central de la pièce, celui qui la résume et lui donne son sens, ce n'est ni la fiancée ni Leonardo, mais la mère : la mère qui pressent que son dernier fils aura le même sort funeste que son époux et que ses autres fils, et ne peut rien pour l'éviter ...

 

MADRE

Vecinas: con un cuchillo,

con un cuchillito,

en un día señalado, entre las dos y las tres,

se mataron los dos hombres del amor.

Con un cuchillo,

con un cuchillito

que apenas cabe en la mano,

pero que penetra fino

por las carnes asombradas

y que se para en el sitio

donde tiembla enmarañada

la oscura raíz del grito.

...

- LA MÈRE

Voisines, avec un couteau,

Un tout petit couteau,

Il était écrit qu'un certain jour,

Entre deux et trois heures,

Les deux hommes de l'amour s'entre-tueraient

Avec un couteau,

Un petit couteau

Qui tient à peine dans la main.

Mais pénètre finement

Dans les chairs surprises

Et s'arrête à l'endroit

Où tremble enchevêtrée

La racine obscure des cris.

....

 


Mais cette violence, cette fureur de vie fondent au même creuset le désespoir et l`allégresse : les voix humaines ont malgré tout ici une chaleur vivante d`espoir...

Avec "Noces de sang", Lorca s'affirmait tout autant poète que dramaturge, réussissant le tour de force de passer naturellement du lyrisme au réalisme et inversement. Renouant, comme dans son œuvre poétique, avec les sources populaires de la tradition (cf. le Lope de Vega des "romances" et des drames), Lorca se forgeait un langage original, dépouillé de tout esthétisme. S`attachant à restituer les sentiments élémentaires des humbles, il retrouvait des passions et des sentiments qui sont, malgré leurs caractères étroitement localisés, comme l`expression intemporelle de l`être humain et atteignent, du fait même de leur intensité, aux plus beaux accents dramatiques et à la grandeur d`un art sacré ...

 

Acte III, Un bois, il fait nuit, de grands troncs humides, une atmosphère d'angoisse, on entend deux violons, entrent des bûcherons qui s'échangent leurs réflexions, on recherche les deux fuyards, "le monde est grand, tous peuvent y vivre", dit un des bûcherons, "Mais ils les tueront, répond le deuxième, la sang va l'emporter, "il faut suivre la route du sang" ....

 

LEÑADOR 2.º.-  Parece que se acercan por todos los caminos a la vez.

LEÑADOR 1.º.-  Cuando salga la luna los verán.

LEÑADOR 2.º.-  Debían dejarlos.

LEÑADOR 1.º.-  El mundo es grande. Todos pueden vivir en él.

LEÑADOR 3.º.-  Pero los matarán.

LEÑADOR 2.º.-  Hay que seguir la inclinación; han hecho bien en huir.

LEÑADOR 1.º.-  Se estaban engañando uno a otro y al fin la sangre pudo más.

LEÑADOR 3.º.-  ¡La sangre!

LEÑADOR 1.º.-  Hay que seguir el camino de la sangre.

LEÑADOR 2.º.-  Pero sangre que ve la luz se la bebe la tierra.

LEÑADOR 1.º.-  ¿Y qué? Vale más ser muerto desangrado que vivo con ella podrida.

LEÑADOR 3.º.-  Callar.

LEÑADOR 1.º.-  ¿Qué? ¿Oyes algo?

LEÑADOR 3.º.-  Oigo los grillos, las ranas, el acecho de la noche.

LEÑADOR 1.º.-  Pero el caballo no se siente.

LEÑADOR 3.º.-  No.

LEÑADOR 1.º.-  Ahora la estará queriendo.

LEÑADOR 2.º.-  El cuerpo de ella era para él y el cuerpo de él para ella.

LEÑADOR 3.º.-  Los buscan y los matarán.

LEÑADOR 1.º.-  Pero ya habrán mezclado sus sangres y serán como dos cántaros vacíos, como dos arroyos secos.

LEÑADOR 2.º.-  Hay muchas nubes y será fácil que la luna no salga.

LEÑADOR 3.º.-  El novio los encontrará con luna o sin luna. Yo lo vi salir. Como una estrella furiosa. La cara color ceniza. Expresaba el sino de su casta.

LEÑADOR 1.º.-  Su casta de muertos en mitad de la calle.

LEÑADOR 2.º.-  ¡Eso es!

LEÑADOR 3.º.-  ¿Crees que ellos lograrán romper el cerco?

LEÑADOR 2.º.-  Es difícil. Hay cuchillos y escopetas a diez leguas a la redonda.

 

DEUXIÈME BUCHERON - On dirait qu'ils approchent par tous les chemins à la fois

PREMIER BUCHERON - Quand la lune se lèvera, ils les verront.

DEUXIÈME BUCHERON - Ils devraient les laisser tranquilles.

PREMIER BUCHERON - Le monde est grand. Tous peuvent y vivre.

TROISIÈME BUCHERON - Mais ils les tueront.

DEUXIEME EUCHERON - Puisqu'ils s'aiment; ils ont bien fait de partir.

PREMIER BUCHERON - Ils se sont dominés; mais le sang l'a emporté.

TROISIÈME BUCHERON - Le sang!

PREMIER BUCHERON - Il faut suivre la route du sang.

DEUXIÈME BUCHERON - Mais la terre boit le sang qui voit la lumière.

PREMIER BUCHERON - Eh quoi? Mieux vaut être mort, saigné à blanc, que vivre avec le sang pourri.

TROISIÈME BUCHERON - Silence!

PREMIER BUCHERON - Quoi? Tu entends quelque chose?

TROISIEME BUCHERON - J'entends les grillons, les grenouilles, la nuit qui guette...

PREMIER BUCHERON - Mais on n'entend pas le cheval.

TROISIÈME BUCHERON - Non

PREMIER BUCHERON - A l'heure qu'il est, il doit la posséder.

DEUXIÈME BUCHERON - Son corps à elle était pour lui; son corps à lui, pour elle.

TROISIÈME BUCHERON - Ils les cherchent, et ils les tueront.

PREMIER BUCHERON - Mais lui ct elle auront déjà mêlé leur sang : ils seront comme deux vases vides, comme deux ruisseaux à sec.

DEUXIÈME BUCHERON - Les nuages sont bas, il se pourrait qu'il n'y ait pas de clair de lune.

TROISIÈME BUCHERON - Avec ou sans clair de lune le fiancé les trouvera. Je l'ai vu sortir. On eût dit une étoile furieuse. La face couleur de cendre, marquée du destin de sa caste.

PREMIER BUCHERON - Caste de gens morts dans la rue.

DEUXIÈME BUCIIERON - C'est ça!

TROISIÈME BUCHERON - Crois-tu qu'ils arrivent à rompre le cercle?

DEUXIEME BUCHERON - Difficile : il y a des fusils et des couteaux à dix lieues à la ronde.


Dans la lumière de gauche, alors que les bûcherons sortent, apparaît la lune, un jeu bûcheron au visage blanc, la scène prend un vif éclat bleu ...

LUNA

Cisne redondo en el río,

ojos de las catedrales,

alba fingida en las hojas

soy; ¡no podrán escaparse!

¿Quién se oculta? ¿Quién solloza

por la maleza del valle?

La luna deja un cuchillo

abandonado en el aire,

que siendo acecho de plomo

quiere ser dolor de sangre.

¡Dejadme entrar! ¡Vengo helada

por paredes y cristales!

¡Abrid tejados y pechos

donde pueda calentarme!

¡Tengo frío! Mis cenizas

de soñolientos metales

buscan la cresta del fuego

por los montes y las calles.

Pero me lleva la nieve

sobre su espalda de jaspe,

y me anega, dura y fría,

el agua de los estanques.

Pues esta noche tendrán

mis mejillas roja sangre,

y los juncos agrupados

en los anchos pies del aire.

¡No haya sombra ni emboscada,

que no puedan escaparse!

¡Que quiero entrar en un pecho

para poder calentarme!

¡Un corazón para mí!

¡Caliente!, que se derrame

por los montes de mi pecho;

dejadme entrar, ¡ay, dejadme!

 (A las ramas.) 

No quiero sombras. Mis rayos

han de entrar en todas partes,

y haya en los troncos oscuros

un rumor de claridades,

para que esta noche tengan

mis mejillas dulce sangre,

y los juncos agrupados

en los anchos pies del aire.

¿Quién se oculta? ¡Afuera digo!

¡No! ¡No podrán escaparse!

Yo haré lucir al caballo

una fiebre de diamante.

LA LUNE

Je suis le cygne rond sur l'eau,

La rosace des cathédrales,

Sur les feuilles et les rameaux,

Le mensonge d'une aube pâle.

Comment pourraient-ils s'échapper?

Qui se cache? Qui va pleurer

Dans les ronces de la vallée?

La lune abandonne un couteau

Dans l'air de la nuit qu'elle baigne,

Et le couteau guette d'en haut

Pour devenir douleur qui saigne.

Ouvrez-moi! J'ai froid quand je traîne

Sur les murs et sur les cristaux.

Ouvrez des poitrines humaines

Où je plonge pour avoir chaud.

]”ai froid, et mes cendres faites

Des plus somnolents métaux

Cherchent par monts et par vaux

Un feu qui les brûle à sa crête.

La neige me porte pourtant

Sur son épaule jaspée

Et souvent me tient noyée

Dure et froide, l'eau des étangs.

Mais j'aurai cette nuit

Les joues rouges de sang,

Moi, et les joncs unis

Que balance le vent.

Pas d'abri ni d'ombre qui tienne

Pour qu'ils puissent m'échapper!

Je veux une poitrine humaine

Où pouvoir me réchauffer!

J'aurai un cœur pour moi,

Tout chaud, qui jaillira

Sur les monts de ma poitrine...

Laissez-moi entrer, laissez-moi!

(Aux branches)

Je ne permets plus les ombres,

Mes rayons auront jeté

Jusqu'au-dedans des troncs sombres

Une rumeur de clartés.

Que cette nuit je passe

Le doux sang sur ma face

Et les joncs réunis

Que balance la nuit...

Qui se cache? Allez-vous-en...

Non. Pas d'abri ! Leur mort est prête.

Je fais briller sur leurs bêtes

Une fièvre de diamants.


La lune disparait entre les troncs d'arbres et la scène s'assombrit de nouveau. Entre une vieille femme couverte de haillons vert sombre. Elle est pieds nus. C'est à peine si on aperçoit son visage dans les plis des étoffes....

MENDIGA

Esa luna se va, y ellos se acercan.

De aquí no pasan. El rumor del río

apagará con el rumor de troncos

el desgarrado vuelo de los gritos.

Aquí ha de ser, y pronto. Estoy cansada.

Abren los cofres, y los blancos hilos

aguardan por el suelo de la alcoba

cuerpos pesados con el cuello herido.

No se despierte un pájaro y la brisa,

recogiendo en su falda los gemidos,

huya con ellos por las negras copas

o los entierre por el blanco limo.

¡Esa luna, esa luna!

 (Impaciente.) 

¡Esa luna, esa luna!

(Aparece la LUNA. Vuelve la luz intensa.)

LUNA

Ya se acercan.

Unos por la cañada y otros por el río.

Voy a alumbrar las piedras. ¿Qué necesitas?

MENDIGA

Nada.

LUNA

El aire va llegando duro, con doble filo.

MENDIGA

Ilumina el chaleco y aparta los botones,

que después las navajas ya saben el camino.

LUNA

Pero que tarden mucho en morir. Que la sangre

me ponga entre los dedos su delicado silbo.

¡Mira que ya mis valles de ceniza despiertan

en ansia de esta fuente de chorro estremecido!

....

LA MENDIANTE

La lune se cache et ils approchent.

Ils n'iront pas plus loin. Le bruit du fleuve,

Le murmure des branches étoufferont leurs cris.

C'est ici qu'ils mourront

Ici même, et bientôt. Je suis fatiguée!

Qu'on ouvre les coffres. Le lin attend

Par terre, dans l'alcôve,

Des corps lourds au cou ensanglanté.

Que pas un oiseau ne s'éveille, que la brise

Ramasse les plaintes dans sa robe,

Qu'elle les emporte, dans les branches noires,

Ou les enterre dans la terre molle.

Cette lune! cette lune!

(Impatiente.)

Cette lune! cette lune!

(La lune apparaît. La lumière d'un bleu intense revient.)

LA LUNE

Ils approchent,

Les uns par l'oseraie, les autres par le fleuve.

Je veux faire briller les cailloux.

Que veux-tu?

LA MENDIANTE

Rien.

LA LUNE

L'air devient dur, à double tranchant.

LA MENDIANTE

Eclaire le gilet. Eclaire les boutons, 

Et les couteaux trouveront leurs chemins.

LA LUNE

Mais qu'ils soient bien lents à mourir. Que le sang

Siffle délicatement entre mes doigts.

Regarde! la cendre de mes vallées s'éveille

Et frémit du désir de ce ruissellement

....



En 1933,  Lorca part en Argentine et en Uruguay où on lui réserve un accueil triomphal. En 1934, il rend hommage au célèbre matador, et son ami, Ignacio Sánchez Mejías, mort dans l'arène, avec "LLanto por Ignacio Sánchez Mejías" ("Tardara mucho tiempo en nacer, si es que nace, Un andaluz tan claro, tan rico de aventura...)
Quand la Guerre civile espagnole éclate en juillet 1936, il quitte Madrid pour Grenade, où son beau-frère, Manuel Fernández Montesinos Lustau, médecin et maire socialiste, sera fusillé : Federico García Lorca est arrêté sur le chemin qui va de Viznar et d'Alfavar, par des hommes de main anti-républicains,  il est fusillé le 17 août 1936, et son corps jetté dans une fosse commune aux côtés d'un maître d'école, Dióscoro Galindo et de deux anarchistes Francisco Galadí et Joaquín Arcollas, exécutés avec lui... Le régime de Franco interdira ses œuvres jusqu'en 1953..