Symbolisme - Pierre Puvis de Chavanne (1823-1892), "Jeune Noir à l'épée" (1850), "L'Espérance" (1872),"L'Enfance de sainte Geneviève" (1874), "Le Pauvre Pêcheur" (1881), "Le Rêve" (1883)  - Gustave Moreau (1826-1898), "Œdipe et le Sphinx" (1864), "Le Jeune Homme et la Mort" (1865),  "Jeune Fille thrace portant la tête d'Orphée" (1865), "Salomé (dansant devant Hérode)" (1876), "L'Apparition" (1876), "Les Filles de Thespius" (1853-1882) - Odilon Redon (1840-1916), "Dans le rêve" (1879), "Les Yeux clos" (1890), "La Naissance de Vénus" (1912) - Arnold Böcklin (1827-1901), "Die Toteninsel" (L’Île des Morts, 1885-1886) - Anselm Feuerbach (1829-1880), Die Amazonenschlacht" (Le combat des Amazones, 1871-1873) - Hans von Marées (1837-1887), "Double portrait" (1863), "Les Hespérides" (1884) - ...

Last update: 31/12/2016


S'opposant au naturalisme bourgeois, émanation du réalisme qui tend vers l'académisme, et au positivisme, se développe entre 1870 et 1890 un nouveau courant artistique, le "symbolisme". Le symbolisme va redonner du rêve, ce sont les femmes idéalisées et allégoriques habitant des paysages sereins, avec Puvis de Chavannes, ou des héroïnes légendaires qui vont peupler les visions de Moreau, la sérénité et le songe émanant des oeuvres de Redon, jusqu'au fantastique teinté d'érotisme de Rops. Mas ce symbolisme qui donne à rêver devient, à la fin de siècle décadente, cauchemar et prémisses de l'expressionnisme à venir...

 

Le symbolisme s'épanouit en France, nourri par les idées de Mallarmé, Baudelaire et Moréas, et touche rapidement des artistes d'autres horizons, dont le peintre norvégien Edvard Munch. Héritier de la valeur accordée aux émotions par le romantisme, il s'érige d'abord en réaction contre l'objectivité naturaliste et impressionniste, mais les artistes qui se rallient à ce mouvement, loin de se limiter à style visuel particulier, vont s'employer à modifier les lignes et les couleur, utiliser des combinaisons d'imaginaires inhabituelles à travers un très large panel de thèmes comme la peur, la mort, la décadence, l'amour et le désir. Beaucoup d'œuvres naissent par association musicale, héritage de la théorie des correspondances chère à Baudelaire, selon laquelle les couleurs sont reliées à des notes de musique. Et parmi les autres images récurrentes, on trouve les femmes fatales, les personnages androgynes, des tableaux souvent teintés de mysticisme et d'ésotérisme, nourris du renouveau que connaît alors la théosophie, qui défend une connaissance directe du divin à travers l'extase et l'intuition.

Les pionniers du symbolisme en France sont Gustave Moreau, Pierre Puvis de Chavannes et Odilon Redon. Esprit solitaire, Moreau s'inspire de thèmes religieux ou mythologiques, comme dans "L'Apparition" (1874-1876), une aquarelle évoquant un palais oriental dans lequel Salomé est hantée par la tête tranchée de saint Jean-Baptiste. Au même moment, Puvis, avec son célèbre tableau "Le Pauvre pêcheur" (1881), inspire une jeune génération de symbolistes. À contre-courant du réalisme dominant, son utilisation d'une ligne dynamique et de couleurs monotones et délavées reflète la pauvreté écrasante de la famille d'un pêcheur dans un paysage désolé et lugubre. L'imaginaire onirique des lithographies et des dessins au charbon de bois d'Odilon Redon synthétise sa curiosité éclectique, de la botanique aux insectes en passant par les écrits d'Edgar Allan Poe. Son œuvre extraordinaire a été décrite par un critique de son temps comme «extraordinairement étrange [. _ .], comme le sont tant de mystères, cauchemars, visions morbides et hallucinations"...

 

Dans cette seconde moitié du XIXe siècle, symbolisme et courant idéaliste tentent de s'exposer face à la montée triomphante du réalisme et de l'impressionnisme. Un courant idéaliste apparaît ainsi, entre 1850 et 1880, dans la peinture allemande. Peintre suisse allemand, Arnold Böcklin (1827-1901) en est le plus célèbre représentant, - il connaîtra en Allemagne une véritable gloire -, décrivant en 1880 son obsédante composition 'L'île des morts" comme une représentation faite pour le rêve. Cette tendance idéaliste est aussi illustrée par Anselm Feuerbach (1829-1880), marqué par son indécision entre orientation idéaliste et attachement à l'observation et au rendu exact du modèle : Feuerbach ne parvenant pas à s'appuyer sur l'exemple d'un maître, ne parviendra pas à créer un univers plastique original et à la hauteur de son inspiration. Hans von Marées (1837-1887) est le troisième  représentant de ce courant : théoricien lui-même, chercheur tourmenté et insatisfait, il a péniblement élaboré son œuvre et conquis son originalité. Son évolution va d'un réalisme sur lequel l'influence des paysagistes français n'est pas exclue (L'Abreuvoir, Schackgalerie, Munich) à de grandes compositions calmes et fortement rythmées, pages allégoriques peuplées de figures nues presque immobiles, peintre d'une humanité de l'Âge d'or qui semble apparentée à celle qu'enfanta le pinceau de Puvis de Chavannes, n'étaient la pâte épaisse et les couleurs lourdes, quête semble-t-il infructueuse de procédés techniques mieux appropriés à son inspiration...


Pierre Puvis de Chavanne (1823-1892)

L'œuvre de Puvis de Chavannes eut un grand retentissement parmi ses contemporains, qui le considérèrent comme le maître du Symbolisme.

Après des débuts néoclassiques, Puvis perfectionne progressivement un style qui convient à la peinture murale et qu’il utilise également dans les peintures de chevalet avec une intention décorative. Si dans ces oeuvres des femmes idéalisées et allégoriques habitent des paysages d'une grande sérénité, c'est par "Le Pauvre Pêcheur" que Puvis de Chavanne devient un maître du symbolisme. Ses visions utopiques, dans lesquelles les figures semblent flotter dans un paysage onirique, ont servi de point de départ à de nombreux jeunes artistes, tels que Paul Gauguin et Henri Matisse. Et s'il n'eut pas de disciple de grand talent, l'oeuvre de Puvis de Chavanne marqua Cormon et Ferdinand Humbert et influença des peintres purement symbolistes comme René Ménard, Odilon Redon, le Belge Xavier Mellery, le Danois Vilhelm Hammershøi ou le Suisse Ferdinand Hodler ...

(Portrait de Pierre Cecil Puvis de Chavanne, par Marcellin Gilbert Desboutins (1823-1902), musée de la Picardie, Amiens)

 

Appartenant à une famille de la grande bourgeoisie lyonnaise, Pierre Puvis de Chavanne reçut une solide éducation classique, passa un an dans l'atelier d'Henri Scheffer, mais ne découvrit sa vocation qu'en voyageant en Italie. Commence une formation éclectique avec Delacroix, puis Thomas Couture, mais son admiration pour Chassériau, dont les fresques de la Cour des comptes, le pousse vers l'art décoratif mural. En 1852, s'installe dans un atelier de la place Pigalle. En 1854, il réalise son premier ensemble décoratif, le "Retour de l'enfant prodigue" et "les Quatre Saisons" pour la salle à manger de son frère à Brouchy, tout en se voyant refusé huit fois au Salon. Sans se décourager, Puvis de Chavannes présenta au Salon de 1861 ses grands panneaux Concordia et Bellum, qui furent acceptés. "La Paix" est achetée par l'État pour le musée d'Amiens (Philadelphia Museum of Art), puis "La Guerre", et deux ans plus tard, "le Travail" et "le Repos" (Musée de Picardie, Amiens). Puis il compose "Ave Picardia nutrix" (1865), hymne aux dons champêtres de la vieille province, "Ludus pro patria" (1880-1882), réalise  pour le palais de Longchamp, à Marseille, "Massilia, colonie grecque", "Marseille, porte de l'Orient" (1869, The Philips Collection). En 1874, il aborde avec deux décorations données à l'hôtel de ville de Poitiers, les thèmes religieux  ("Sainte Radegonde écoutant une lecture du poète Fortunat"). 

C'est alors qu'il en pleine possession de son art, que Puvis de Chavanne, supprimant tout modelé, jouant seulement de l'équilibre des masses, de l'arabesque de la ligne et de l'harmonie en camaïeu de couleurs adoucies, exécute successivement ses trois plus célèbres décorations pour le musée de Lyon ("Le Bois sacré cher aux Arts et aux Muses", 1883), la Sorbonne ("Le Bois sacré", 1887-89), évocation des symboles vivants des Lettres, des Sciences et des Arts,  et le Panthéon (L'Enfance de sainte Geneviève, 1874). Il entoure ses allégories et ses idylles pastorales de paysages de prairies, de vallons et de forêts qui évoquent, transcrits poétiquement, la campagne d'Île-de-France, les molles collines de Picardie et les brumes lyonnaises sur les étangs, et y place le paysan au labour, le bûcheron et sa famille, le pâtre et ses troupeaux ; non pas réalisme social à la Courbet, mais vision virgilienne des travaux des champs, présence virgilienne que l'on retrouve dans l'évocation du "bois sacré" et qui repeuple ainsi la forêt de symboles de Baudelaire...


"Le Bois sacré cher aux Arts et aux Muses" (1884-89, Art Institute of Chicago) - La figure centrale du "Bois sacré" est une Madone séculaire, la "Vierge de la Science", qui entend se référer à la laïcisation du système éducatif, et Puvis utilise la peinture comme support de communication de ses idéaux, deux figures de chaque côté d’elle donnent un aspect humain et ancré à la composition parmi des références à des concepts abstraits. L’histoire apparaît comme une figure qui se pose sur les ruines archéologiques, soulignant l’importance des preuves matérielles et de l’analyse dans une approche contemporaine de l’étude du passé. En août 1889, le président français Sadi Carnot inaugurera l’amphithéâtre en compagnie de dignitaires et de divers émissaires d’universités étrangères. La composition murale sera dévoilée deux jours plus tard. En 1968, les manifestants étudiants tentèrent de détruire ces représentations  murales , les considérant comme un symbole de la tradition inflexible de l’establishment français contemporain...

Toulouse-Lautrec composera pendant ses études auprès du peintre Fernand Cormon, un tableau parodiant le « Bosquet sacré, bien-aimé des arts et des muses » de Pierre Puvis de Chavannes, grand prix au Salon de Paris en 1884 ("The Sacred Grove", Pearlman Collection). Si Lautrec imite efficacement le style et le sujet de l’original, il y ajoute l’anachronisme le plus irrévérencieux qui soit : un groupe d’hommes qui défilent et viennent ainsi rompre la belle harmonie de la forêt de Puvis. Il s’agit de collègues artistes, de connaissances et de Lautrec lui-même, qui se tient le dos au spectateur et urine sur le sol...


Puvis peignit pour la maison de son ami Bonnat, "Doux Pays" (1882, musée de Bayonne), décore ensuite l'Hôtel de Ville de Paris (l'Été, 1891 ; l'Hiver, 1891-92), dans le cadre de sa reconstruction (détruit pendant la Commune), la bibliothèque publique de Boston ("les Muses inspiratrices acclamant le génie messager de la lumière", 1894-1896), et le Panthéon avec sa seconde série de décorations illustrant la Vie de sainte Geneviève. 

Mais profondément affecté par la mort de sa femme, la princesse Marie Cantacuzène, son inspiratrice de toujours qu'il venait d'épouser en 1897, il lui survécut quelques mois pour terminer sa "Sainte Geneviève veillant sur Paris endormi", où il l'a représentée dans une composition très stricte mais infiniment triste, en camaïeu de bleus et de gris ...

 

Puvis de Chavannes exécuta aussi des tableaux de chevalet, des toiles essentiellement symbolistes qui portent, en outre, un message pictural : "le Sommeil" (1867, musée de Lille), les deux versions de "l'Espérance" (1872, Baltimore, Walters Art Gallery, et Paris, musée d'Orsay), l'Été (1873, id.). "Les Jeunes Filles au bord de la mer" (panneau décoratif, Salon de 1879, id.), "Le Fils prodigue" (1879, Zurich, coll. Bührle), qui exprime le dénuement moral de l'homme qui a déchu en renonçant à l'idéal, ou "Le Pauvre Pêcheur" (musée d'Orsay), qui fut l' une de ses œuvres les plus fortement controversées et tenu comme le premier manifeste de l'art symboliste français...

"Hope" (1872), Walters Art Museum, Baltimore - "Hope" (1871-72), Musée d'Orsay, Paris - "L'Espérance" (1872) - Dans le sillage de la guerre franco-prussienne catastrophique de 1870-71, Puvis de Chavanne a peint cette image d’une jeune femme assise dans un paysage dévasté tenant une brindille de chêne comme symbole d’espoir pour le rétablissement de la nation de la guerre et de la privation. Cette peinture a été exposée au Salon de Paris de 1872. Une variante plus petite, montrant le sujet nu, est au musée d’Orsay, à Paris... 

 

"Les Jeunes Filles au bord de la mer" (1879), Musée d'Orsay, Paris -  Une représentation qui se caractérise par une absence de perspective et de clair-obscur, et l’utilisation de zones de couleur claire. Ici, Puvis de Chavanne a atteint la grandeur et la profondeur de l’émotion à travers la simplification austère de personnages féminins surprises en en dehors du temps et de l'espace ..

 

"La Mort et les jeunes filles" (The National Gallery, London), un croquis à l’huile peint en préparation pour une oeuvre de plus grande dimension en 1872 (Clark Art Institute, Williamstown, Massachusetts), un groupe de jeunes filles cueille des fleurs dans un pré, inconscientes de la figure endormie de la mort à proximité. L'inspiration est-elle peut-être celle d’une chanson populaire composée par Schubert (le fameux e quatuor à cordes no 14 en ré mineur), l’inéluctabilité de la mort, que l'on soit jeunes ou vieux, riches ou pauvres, aussi faut-il prendre un meilleur parti du temps que nous avons encore ....

"Le Pauvre Pêcheur" - Musée d'Orsay  (1881) - Le premier des tableaux de Puvis de Chavannes à être acheté par l’État. Mais l’œuvre suscita une vive réaction au Salon de 1881 et ne fut acquis qu’en 1887, après avoir été de nouveau présentée au public par le marchand d’art Durand-Ruel. Il a donc fallu six ans à un musée national pour oser montrer cette peinture radicale si irréaliste à la lumière des conventions de l’époque. Sans recourir à la description littérale, Puvis entend donner une vision de désolation et de résignation en peignant un veuf et ses deux enfants dans un paysage sombre. Le choix du pêcheur a des résonances bibliques évidentes. En 1881, la nature synthétique de la peinture, son refus de toute modélisation et de toute perspective traditionnelle, et sa gamme de teintes verdâtres, ont opposé la plupart des critiques à l’artiste. Cependant, la jeune génération(Georges Seurat, Paul Signac, Maurice Denis) fut séduite par l'extrême et poignant dépouillement de cette image silencieuse. Puvis a atteint ici une grande force d’expression avec un minimum de moyens, créant une peinture qui n’est ni réaliste ni symboliste, mais indépendante de toute époque et de toute école...

 

"Le Rêve" (1883), Paris, musée d'Orsay - "Il voit dans son sommeil, l'Amour, la Gloire et la Richesse lui apparaître" - sous un beau clair de lune, un jeune homme en vadrouille  s'est endormi au pied d'un arbre : le paysage est simplifié à l'extrême, la palette est réduite et les tonalités sourdes, et dans le ciel étoilé, trois jeunes femmes lui apparaissent en rêve, la première évoque l'Amour, la deuxième brandit la couronne de laurier de la Gloire tandis que la dernière répand les pièces de la Fortune. En privilégiant le symbolisme sur le naturalisme et la réalité, l'oeuvre rappelle la peinture romantique, et en donnant libre cours à son imagination, il anticipe les fantasmes les plus singuliers de la génération à venir...

 


Quelques oeuvres de Puvis de Chavanne ..

- "Jeune Noir à l'épée" (1850), "Le Marchand de tortues" (1854), Paris, musée d'Orsay - "Concordia" (1860-1861), Sammlung E.G. Bührle, Zurich - "La Rivière" (1864), Metropolitan Museum of Art - "L'Automne" (1865), Cologne, Wallraf-Richartz Museum - "Le Sommeil" (1867), palais des Beaux-Arts de Lille (Metropolitan Museum of Art) - "Guerre" (1867), Philadelphia Museum of Art - "Marie Madeleine au désert" (1869), Francfort-sur-le-Main, musée Städel. - "La Décollation de saint Jean-Baptiste" (vers 1869), Londres, National Gallery. - "Le Ballon" (1870), "Le Pigeon" (1871), Paris, musée d'Orsay. -"La Mort et les jeunes filles" (1872), Williamstown, Clark Art Institute & National Gallery, London. - "The Prodigal Son" (1872), National Gallery of Art, London - "La Source", Musée des Beaux-Arts, Reims - "L'Eté" (1873), musée d'Orsay - "Le Fils prodigue" (1879) - "Doux Pays" (1882), musée Bonnat-Helleu, Bayonne. - "La Toilette" (1883), Musée d'Orsay - "Portrait de Marie Cantacuzène" (1883), musée des Beaux-Arts de Lyon. - "Ludus pro patria" (1883-1889), Metropolitan Museum of Art, Manhattan - "Femme sur la plage" (1887), Saint-Pétersbourg, musée de l'Ermitage. - "La famille du pêcheur" (1887), Art Institute of Chicago - "Tamaris" (1880-1887), Metropolitan Museum of Art - "L'Été" (1891), Cleveland, Cleveland Museum of Art. -"The Shepherd's Song" (1897), Metropolitan Museum of Art  - "La Madeleine" (1897), musée des Beaux-Arts de Budapest - "Sainte Geneviève veillant sur Paris" (1898), Panthéon de Paris.


1876, "Hercule et l’Hydre de Lerne", "Salomé" ? Gustave Moreau aborde le "symbolisme" et "redécouvre des formes archaïques ou primitives", mais quelle "valeur" donner à cet art? 

".. J’aurai noté toutes les curiosités de la peinture moderne, écrit Emile Zola (Le Salon de 1876), quand j’aurai traité de Gustave Moreau, que j’ai gardé pour la fin comme étant la plus étonnante manifestation des extravagances où peut tomber un artiste dans la recherche de l’originalité et la haine du réalisme. Le naturalisme contemporain, les efforts de l’art pour étudier la nature, devaient évidemment appeler une réaction et engendrer des artistes idéalistes. Ce mouvement rétrograde dans la sphère de l’imagination a pris chez Gustave Moreau un caractère particulièrement intéressant. Il ne s’est pas réfugié dans le romantisme comme on aurait pu s’y attendre; il a dédaigné la fièvre romantique, les effets de coloris faciles, les dérèglements du pinceau qui attend l’inspiration pour couvrir une toile avec des oppositions d’ombre et de lumière à faire cligner les yeux. 

Non, Gustave Moreau s’est lancé dans le symbolisme. Il peint des tableaux en partie composés de devinettes, redécouvre des formes archaïques ou primitives, prend comme modèle Mantegna et donne une importance énorme aux moindres accessoires du tableau. Sa formule deviendra tout à fait intelligible si je décris les deux derniers tableaux qu’il expose cette année. Le premier a pour sujet Hercule et l’Hydre de Lerne. Le peintre a exprimé son originalité dans l’hydre, qu’il a faite énorme, occupant tout le centre du tableau. Hercule, qu’il a relégué dans un coin, est une petite figure pâlotte, étudiée sommairement, alors que l’hydre se dresse comme je ne sais quel arbre gigantesque, au tronc colossal d’où sortent les sept têtes comme sept branches fantastiquement tordues. Jusqu’ici les artistes ont généralement représenté le monstre sous forme de dragon, mais Gustave Moreau a accompli une révolution : il en a fait un serpent, et cela résume sa découverte, une invention géniale qu’il a passé, il faut le croire, de longs mois à mettre au point. Une pensée profonde se cache sans doute sous cette manière de traiter le mythe, car il ne fait jamais rien au hasard; il faut regarder ses oeuvres comme des énigmes où chaque détail a sa signification propre..."

L'étude de ce singulier retour à l'imagination qu'entreprend Gustave Moreau intrigue tout autant Emile Zola lorsqu'il aborde son second tableau, "Salomé" : "Son talent consiste à prendre des sujets qu’ont déjà traités d’autres artistes, et à les remanier d’une façon différente, plus ingénieuse. Il peint ses rêves, non des rêves simples et naïfs comme nous en faisons tous, mais des rêves sophistiqués, compliqués, énigmatiques, où on ne se retrouve pas tout de suite." Se pose alors la question fondamentale : "Quelle valeur un tel art peut-il avoir de nos jours ? C’est une question à laquelle il n’est pas facile de répondre. J’y vois, comme je l’ai dit, une simple réaction contre le monde moderne. Le danger qu’y court la science est mince. On hausse les épaules et on passe outre, voilà tout..."

En 1884, Huysmans accordera une place essentielle à Gustave Moreau dans "À Rebours" : le personnage de des Esseintes y contemple sa Salomé et rêve devant elle ..

"Après s'être désintéressé de l'existence contemporaine, il avait résolu de ne pas introduire dans sa cellule des larves de répugnances ou de regrets, aussi avait -il voulu une peinture subtile, exquise, baignant dans un rêve ancien, dans une corruption antique, loin de nos mœurs, loin de nos jours. Il avait voulu, pour la délectation de son esprit et la joie de  ses yeux, quelques œuvres suggestives le jetant dans un monde inconnu, lui dévoilant les traces de nouvelles conjectures, lui ébranlant le système nerveux par d'érudites hystéries, par des cauchemars compliqués, par des visions nonchalantes et atroces. 

Entre tous, un artiste existait dont le talent le ravissait en de longs transports, Gustave Moreau. 

Il avait acquis ses deux chefs-d'œuvre et, pendant des nuits, il rêvait devant l'un d'eux, le tableau de la Salomé, ainsi conçu : Un trône se dressait, pareil au maître-autel d'une cathédrale, sous d'innombrables voûtes jaillissant de colonnes trapues ainsi que des piliers romans, émaillées de briques polychromes, serties de mosaïques, incrustées de lapis et de sardoines, dans un palais semblable à une basilique d'une architecture tout à la fois musulmane et byzantine. Au centre du tabernacle surmontant l'autel précédé de marches en forme de demi-vasques, le Tétrarque Hérode était assis, coiffé d'une tiare, les jambes rapprochées, les mains sur les genoux. La figure était jaune, parcheminée, annelée de rides, décimée par l'âge; sa longue barbe flottait comme un nuage blanc sur les étoiles en pierreries qui constellaient la robe d'orfroi plaquée sur sa poitrine. Autour de cette statue, immobile, figée dans une pose hiératique de dieu Hindou, des parfums brûlaient, dégorgeant des nuées de vapeurs que trouaient, de même que des yeux phosphores de bêtes, les feux des pierres enchâssées dans les parois du trône; puis la vapeur montait, se déroulait sous les arcades où la fumée bleue se mêlait à la à la poudre d'or des grands rayons de jour, tombés des dômes. 

Dans l'odeur perverse des parfums, dans l'atmosphère surchauffée de cette église, Salomé, le bras gauche étendu, en un geste de commandement, le bras droit replié, tenant à la hauteur du visage un grand lotus, s'avance lentement sur les pointes, aux accords d'une guitare dont une femme accroupie pince les cordes. La face recueillie, solennelle, presque auguste, elle commence la lubrique danse qui doit réveiller les sens assoupis du vieil Hérode ; ses seins ondulent et, au frottement de ses colliers qui tourbillonnent, leurs bouts se dressent; sur la moiteur de sa peau les diamants, attachés, scintillent; ses bracelets, ses ceintures, ses bagues, crachent des étincelles ; sur sa robe triomphale, couturée de perles, ramagée d'argent, lamée d'or, la cuirasse des orfèvreries dont chaque maille est une pierre, entre en combustion, croise des serpenteaux de feu, grouille sur la chair mate, sur la peau rose thé, ainsi que des insectes splendides aux élytres éblouissants, marbrés de carmin, ponctués de jaune aurore, diaprés de bleu d'acier, tigrés de vert paon. Concentrée, les yeux fixes, semblable à une somnambule, elle ne voit ni le Tétrarque qui frémit, ni sa mère, la féroce Hérodias, qui la surveille, ni l'hermaphrodite ou l'eunuque qui se tient, le sabre au poing, en bas du trône, une terrible figure voilée jusqu'aux joues, et dont la mamelle de châtré pend, de même qu'une gourde, sous sa tunique bariolée d'orange. Ce type de la Salomé, si hantant pour les artistes et pour les poètes, obsédait, depuis des années, des Esseintes. Combien de fois avait-il lu dans la vieille bible de Pierre Variquet, traduite par les docteurs en théologie de l'Université de Louvain, l'évangile de saint Mathieu qui raconte en de naïves et brèves phrases, la décollation du Précurseur ; combien de fois avait-il rêvé, entre ces lignes : Au jour du festin de la Nativité d'Hérode,  la fille d'Hérodias dansa au milieu et plut à Hérode...."


Si le "Œdipe et le Sphinx" (1864, Metropolitan Museum), le "Jeune Homme et la Mort" (1865) et la "Jeune Fille thrace portant la tête d'Orphée" (1865, Paris, musée d'Orsay), "L'Apparition" (1876, Musée d'Orsay), donnèrent à Gustave Moreau une certaine notoriété, celle-ci ne concerna qu'un public très restreint sensible à toutes les audaces, mais un public particulièrement fortuné. Cette incompréhension et la mort de sa mère en 1884 le poussèrent à s'enfermer dans une solitude créative singulière : le spectacle du monde, humain ou nature, l'ennui profondément, et ce qu'il tente d'exprimer c'est une quête intellectuelle et mystique, fascinée par les mythologies grecque, égyptienne ou orientale, traduite en évocations féeriques et hallucinées, avec un sens des couleurs qui fera nombre d'adeptes (Georges Rouault, qui fut le premier conservateur de son musée, les "fauves", les surréalistes pour les thématiques). Le musée Gustave Moreau, à Paris, expose ainsi "Salomé dansant devant Hérode", "Hercule séduisant les Filles de Thestius", "Hésiode et les Muses" (1891), .. Les femmes sont ici des héroïnes légendaires au charme énigmatique et cruel. Il tentera ainsi de recréer une mythologie toute personnelle mais chacune de ses oeuvres semblent témoigner d'une impossibilité native de parvenir à exprimer cet inexprimable qu'il vivait en lui..

 

"Les Filles de Thespius" (1853-1882), Musée Gustave Moreau, Paris ... (détail)


Gustave Moreau (1826-1898)

"Aucune reproduction de ma personne ", exigera Gustave Moreau dans le testament qui léguait à l'État sa maison de la rue de La Rochefoucauld, à Paris, et ses trésors. Il donnera l'œuvre, non pas l'homme et fit de sa maison un musée. "Je ne crois, proclamait-t-il,  ni à ce que je vois ni à ce que je touche. Je ne crois qu'à ce que je ne vois pas et à ce que je sens." Sa peinture exprimera donc des symboles plutôt que des réalités, et les critiques du second Empire, accoutumés à la simplicité d'un Ingres, se cabreront en présence de ces toiles énigmatiques, le dépit et la colère furent le résultat fatal de cette impuissance à pénétrer dans l'obscur labyrinthe de cette pensée qui semblait si lointaine.

Pourtant, sa jeunesse est celle d'un peintre romantique, voué à la peinture dès son plus jeune âge et entre à l'École royale des beaux-arts en 1846, dans l'atelier du peintre académique François Picot, qui l'ennuie, on le voit attiré par Eugène Delacroix et par Théodore Chassériau, - comme Pierre Puvis de Chavannes –, élève préféré d'Ingres passé au romantisme, dont il fréquenta assidûment l'atelier à partir de 1850. En 1852, Moreau est admis pour la première fois au Salon officiel  tandis que ses parents lui achètent une maison particulière au 14 rue de La Rochefoucauld, son atelier est aménagé au troisième étage. Peu après la mort de Chassériau, en 1856, il part en Italie parfaire son éducation artistique, - un séjour de deux ans (1857-1859) -, en rapporte plusieurs centaines de copies faites d'après les grands maîtres de la Renaissance.

En 1864, il expose au Salon "Oedipe et le Sphinx", acquis par le prince Napoléon. L'année suivante,  L'année suivante (1865) deux nouvelles toiles de Moreau figurent au Salon, "Jason et Médée" et "le Jeune homme et la Mort" (allégorie à la mort prématurée de Chassériau). Nouveau tumulte, nouveau concert discordant de critiques et, pour finir, malgré tout, nouvelle récompense. Il donne ainsi année par année de nouveaux tableaux, sa peinture semble alors acceptée, discutée certes mais avec moins d'acharnement, il ne demande d'ailleurs que tranquillité. Mais le voici à nouveau éreinté par la critique lors de l'exposition de son "Prométhée" au salon de 1869, emportant aussi son "Enlèvement d'Europe" :  il n'exposera plus jusqu'en 1876, mais travaille plus que jamais sans cesse hanté par ses "rêves". 

Après six années de retraite, Moreau se décida à reparaître au Salon, avec quatre toiles, "Saint Sébastien", "L'Hercule et l'hydre", "Salomé" et "L'Apparition". Le Salon de 1878 est particulièrement abondant en œuvres du peintre:  à côté de "Salomé au jardin" figuraient "le Sphynx deviné", "David méditant", "Jacob et l'Ange",  "Moïse sur le Nil" et "Phaéton". La critique leur fut clémente et, même mieux, nettement favorable.  En 1880, c'est "Galathée", c'est "Hélène" se découpant sur un terrible horizon" éclaboussé de phosphore et rayé de sang", qui arrache des cris d'admiration à Huysmans et lui fait proclamer Moreau "un grand artiste qui domine de toute la tête la banale cohue des peintres d'histoire "; c'est aussi "Déjanire" qui se vend aussitôt 30000 francs, et "Vénus sortant de l'onde" qui atteint 60 000 francs.

Cet immense Salon de 1880 est aussi le dernier auquel participera Gustave Moreau. Il est reconnu comme un maître, certes énigmatique, mais on ne discute pas sa technique, il est le "Sphynx de la peinture, un peintre pour alchimistes", on ne va guère au-delà de sa symbolique et l'on retient sa mosaïque étincelante et singulière de couleurs. Alors qu'il commence des oeuvres considérables qu'il n'achèvera pas, la mort de sa mère en 1884 puis celle de son amie de son amie Alexandrine Dureux en 1890 l'éprouvent particulièrement.

Entre 1892 et 1898, il succède à Elie Delaunay comme professeur à l'Ecole des Beaux-Arts et aura pour élèves Georges Rouault, Henri Matisse, Albert Marquet, Henri Charles Manguin, Edgar Maxence. Il achève en 1895 "Jupiter et Sémélé", qu'il considérait comme son chef-d'œuvre : on y retrouve bien les richesses de matière, les raffinements de coloris, les étonnantes inventions dans les plus petits détails, mais la signification de l'oeuvre nous restera toujours aussi mystérieuse ...



"Oedipe et le sphinx" (1864)

Le tableau marque le début de la maturité de Moreau et offre une interprétation audacieuse d’une célèbre scène de la mythologie grecque. Œdipe est accosté en route de Corinthe à Thèbes, où, après avoir tué son père Laius, il épousera sa mère Jocaste et accomplira ainsi involontairement la prophétie divine : par une bête fabuleuse avec la tête et les seins d’une femme, le plumage orné d’un oiseau de proie, le corps d’un lion et la queue d’un serpent. Alors que la créature pénètre son corps nu, Œdipe et le sphinx se lient l'un à l'autre. Nous sommes loin d'un Ingres représentant le même sujet dans son "Œdipe expliquant l’énigme du sphinx" (1808), ici un monde de rêve étrange, intemporel, ambigu (le sphinx se frayant un chemin jusqu’à la poitrine du héros ..). La représentation réaliste d'images oniriques fait ici son entrée dans la peinture française, des allégories certes, mais obstinément hermétiques. Formellement, on y retrouve l'influence du peintre de la Renaissance Andrea Mantegna, qu'admirait tant Gustave Moreau ..

 

 "Orphée" (1865)

Ce tableau, composé un an après l’exposition d’Œdipe et du Sphinx au Salon de Paris, apporta à Moreau un succès populaire et critique immédiat et soudain. Le sujet est un classique que l'on  retrouve dans les Métamorphoses d'Ovide, et source pour certains peintres tels que Puvis de Chavannes ou Emile Lévy. Orphée était un musicien légendaire dont la lyre pouvait hypnotiser et charmer les êtres humains, les animaux et les dieux. Tué et démembré par des ménades - adoratrices frénétiques de Dionysos - sa tête s’échoue sur l’île grecque de Lesbos, où elle est découverte par une mystérieuse jeune femme. L'ambiguïté et la possible transgression l'emportent ici sur une composition émotionnelle ou morale facile qu'offrait alors à l'époque la peinture historique et mythique. C'est la figure féminine qui porte ici toute l'ambiguïté de l'intention : la visage de la jeune fille, avec sa coiffure chaste, est contredite par l’attrait sensuel et fétichiste que ses pieds nus offraient aux spectateurs masculins contemporains. Est-elle une muse ou une ménade, une femme sainte ou une femme fatale? (Rosina Naginsky). Nous verrons que des artistes plus tardifs comme Odilon Redon représenteront la tête désincarnée comme une image de l’esprit imaginatif libéré de toute contrainte terrestre, tandis que de nombreux artistes symbolistes seront absorbés par l’idée de la femme puissante et dangereuse....


"L’apparition" (1876)

Salammbô est un motif clé dans l’œuvre de Moreau et ce tableau  a fait sensation lorsqu’il a été exposée au Salon de 1876 : il a influencé le développement ultérieur du symbolisme dans l’art et la littérature. On y retrouve l'une des grandes obsessions symbolistes et fin de siècle pour l’histoire biblique que fut le martyr de Jean-Baptiste : la princesse Salomé entame une danse provocante devant Hérode, son beau-père, peut-être son père, pur réclamer, sur le conseil de sa mère, Hérodiade, la tête de Jean Baptiste. Un thème qui s'impose alors que le peintre est en plein crise de créativité et vient d'être sévèrement critiqué pour ses deux tableaux Prométhée et l’Europe avaient au Salon de 1869. La représentation de l'archétype de "femme fatale" a déjà été exposée par des peintres contemporains tels que Jean-Léon Gérôme et Henri Regnault. Les descriptions de la princesse Salammbô (1862) par Gustave Flaubert ont peut-être influencé les choix de Moreau et contribuent à l'ambiance "exotique" et à la symbolique "étrange" du tableau. Alors que les protagonistes masculins et féminins enferment leurs regards avec une intensité suggérant l'affrontement entre l’esprit et la chair, la scène est peuplé de figures graves et statiques qui, combinées aux diverses sources culturelles du décor, ajoutent à ce sens mystérieux si souvent transmise par les compositions de l'artiste...


En soulignant l’importance de l’imagination dans la création artistique, Moreau s’oppose ainsi aux deux courants dominants de la peinture française lorsqu’il commence à travailler dans les années 1850 : d’une part, le réalisme de Gustave Courbet, qui mettait l’accent sur la représentation de personnes et de sujets réels, et d’autre part, le naturalisme, qui tout  à la sensation visuelle, allait conduire aux innovations formelles de l’impressionnisme. Les interactions que ses peintures livrent entre symboles, figures chrétiennes et éléments classiques et païens, expriment une imagination religieuse syncrétique qui va se répandre à la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle. Sa technique de mise en miroir de deux visages est aussi l'un des caractéristiques de ses peintures,  passion divine et terrestre en conflit, pluralité des impulsions, certains visibles et  d’autres invisibles, habitant le même corps. Enfin, représentation des femmes fatales et androgynes seront largement repris dans l’esthétique fin-de-siècle et décadente ...



De quelques oeuvres de Gustave Moreau ..

- "Oedipus and the Sphinx" (1864), Metropolitan Museum of Art - "Jason" (1865), "Hesiod and Muse", "Orpheus" (1865), Musee d'Orsay - "Diomède dévoré par ses chevaux" (1865), Rouen, musée des Beaux-Arts. - "Le Jeune homme et la mort", Harvard Art Museums, Cambridge - "Voices Hesiod and Muse", Thyssen-Bornemisza Museum - "Salome", "Fall of Sappho", "Mystical Flower", "Prometheus" (1868) Gustave Moreau Museum, Paris - "Cleopatra", "Phaethon" (1878), Musee du Louvre. - "Salomé at the Prison" (1873-76), National Museum of Western Art, Taito, Japan. - "Jacob et l'ange" (1874-1878), Fogg Art Museum, Harvard University, Cambridge - "Salomé (dansant devant Hérode)" (1876), Armand Hammer Museum of Art and Cultural Centre, Los Angeles - "Hercule et l'Hydre de Lerne" (1876), Chicago, Art Institute - "Galatée" (1880), Musée d'Orsay - " Orphée sur la tombe d'Eurydice" (1891), Musée Gustave Moreau, Paris - "Jupiter et Sémélé" (1894-1895), Musée Gustave Moreau, Paris.


En peinture, s'il s'agit de restituer l'indicible, de privilégier le fantasme au réel, le rêve à la banalité; le préromantisme anglais d'un Henry Fuseli et de William Blake, le romantisme allemand de Caspar David Friedrich, de Philipp Otto Runge et de Carl Gustav Carus, ou les des préraphaélites anglais portent bien des thématiques qualifiées de symbolistes. C’est en 1890 et 1891 qu'Albert Aurier, alors âgé de vingt-cinq ans, tente, dans Le Mercure de France nouvellement fondé, de poser les principes d’une peinture symboliste. Aurier pense alors aux œuvres de Gauguin qui ont suivi "La Vision après le sermon". En prérequis, l'artiste symboliste doit être pourvu de "cette transcendantale émotivité, si grande et si précieuse, qui fait frissonner l’âme devant le drame ondoyant des abstractions". Et si un Van Gogh peut être qualifié de symbolistes, c'est que "dans presque toutes ses toiles, sous cette chair très chair, sous cette matière très matière, gît, pour l’esprit qui sait y voir, une pensée, une Idée, et cette Idée, essentiel substratum de l’œuvre, en est, en même temps, la cause efficiente." Et a contrario, un Courbet montre ce que n'est pas l'attitude symboliste en peinture : "Je tiens la peinture pour un art essentiellement concret qui ne peut consister que dans les représentations des choses réelles et existantes; c’est une langue toute physique qui se compose pour moi de tous les objets visibles. Un objet abstrait non visible, non existant n’est pas du domaine de la peinture."

Il en est de même de l'impressionnisme : les impressionnistes, écrit Gauguin, "cherchèrent autour de l’œil et non au centre mystérieux de la pensée, et de là tombèrent dans des raisons scientifiques". "La Perte du pucelage" (1890-91) de Paul Gauguin est un des tableau représentatif du symbolisme : l'oeuvre est riche en références littéraires et picturales, de l'Olympia de Manet au Christ mort d'Holbein.

Dans une formule célèbre transmise par Sérusier, Redon juge l’impressionnisme "trop bas de plafond". Et au sortir de l’exposition impressionniste de 1880, Odilon Redon persiste:  "je ne crois pas que tout ce qui palpite sous le front d’un homme qui s’écoute et se recueille, je ne crois pas que la pensée prise pour ce qu’elle est en elle-même ait à gagner beaucoup dans ce parti pris de ne considérer que ce qui se passe au-dehors de nos demeures. L’expression de la vie ne peut différemment paraître que dans le clair-obscur ...". 


Odilon Redon (1840-1916)

" Mon régime le plus fécond, le plus nécessaire à mon expansion a été, je l'ai dit souvent, de copier directement le réel en reproduisant attentivement des objets de la nature extérieure en ce qu'elle a de plus menu, de plus particulier et accidentel. Après un effort pour copier minutieusement un caillou, un brin d'herbe, une main, un profil ou toute autre chose de la vie vivante ou inorganique, je sens une ébullition mentale venir ; j'ai alors besoin de créer, de me laisser aller à la représentation de l'imaginaire." 

On retrouve Odilon Redon notamment au musée d'Orsay, Paris (Les Yeux Clos, 1890, Autoportrait, 1880, Christ en croix, 1905, Le Pavot Rouge, v. 1906..), au Dallas Museum of Art (Le Port de Morgat, 1882, Initiation à l'étude : Deux jeunes femmes, vers 1905), au Metropolitan Museum of Art (Pandore, 1914)..