Mystery & Suspense - Agatha Christie (1890-1976), "The Mysterious Affair at Styles" (1920), "The Secret of Chimneys" (1925), "The Murder of Roger Ackroyd"  (1926), "The Mystery of the Blue Train" (1928), "Peril at End House" (1932), "Murder on the Orient Express" (1934), "The ABC Murders" (1935), "Murder in Mesopotamia" (1936), "And Then There Were None" (1939), "Murder is easy" (1939), "Death Comes As the End" (1945), "Sparkling Cyanide" (1945), "Crooked House" (1949), "A Murder is Announced" (1950), "Cat Among the Pigeons" (1959), "At Bertram’s Hotel" (1965), "By the Pricking of My Thumbs" (1968) - Dorothy L. Sayers (1893-1957), "The Unpleasantness at the Bellona Club" (1928), "The Nine Tailors" (1934) - Josephine Tey (1896-1952), "Killer in the Crowd" (1929), "A Shilling for Candles" (1936), "The Franchise Affair" (1948), "The Daughter of Time" (1951) - Margery Allingham (1904-1966), "The Crime at Black Dudley" (1929), "Mystery Mile" (1930), "Look to the Lady" (1931) - Ngaio Marsh (1895-1982), "A Man Lay Dead" (1934), "Enter a Murderer" (1935) - ...

Last update :  02/02/2018


1929-1930, le "Golden Age" de la fiction policière voit la domination des quatre "Queens of the Crime", Margery Allingham (1904-1966), et ses histoires d'Albert Campion, Agatha Christie (1890-1976), avec ses énigmes mettant en scène Miss Marple et Hercule Poirot, Ngaio Marsh (1895-1982), celles de Roderick Alleyn, et enfin Dorothy L. Sayers (1893-1957), avec la collection des enquêtes du détective amateur Lord Peter Wimsey. On va s'efforcer de codifier les conventions pour une meilleur pratique du genre, l'écrivain américain S.S. Van Dine (1888-1939) est de ceux qui vont produire dans ce sens un catalogue de "Twenty Rules for Writing Detective Stories" (Vingt règles pour I'écriture de romans policiers, 1928). Mais plus que tout, le Golden Age du genre se distingue par une atmosphère apaisante où la loi et l'ordre sortent systématiquement vainqueur, où le crime était toujours puni et où prévaut une innocence heureuse. Une période de confiance en la morale qui s'achèvera avec la Seconde Guerre mondiale...

 

Au XIXe siècle, Arthur Conan Doyle domine le genre avec William Godwin, Eugène Vidoc, Edgar Allan Poe, Émile Gaboriau, Fergus Hume et Wilkie Collins, tous des hommes, notamment. Au XIXe siècle, l’écriture de crimes était une entreprise spasmodique, avec des éclats occasionnels de popularité des histoires mystérieuses de Poe ou Gaboriau, mais pas vraiment établi jusqu’au succès écrasant de Sherlock Holmes dans les années 1890. Mais il y eut auparavant des contributions notables au genre, par des femmes écrivains en Angleterre, aux États-Unis, en Australie et en Europe, tout au long de la période de 1850 à 1890, et même après Holmes est venu à dominer le modèle du détective et les femmes écrivains empruntèrent des routes différentes. La première femme détective fut probablement Mrs. G. dans "The Female Detective" (1864) d’Andrew J. Forrester Jr.. Et la première femme à écrire des romans policiers, probablement l’écrivain britannique Caroline Clive, dont le roman "Paul Ferroll" (1855), publié sous le pseudonyme "V.", est clairement un mystère de meurtre, bien qu’il n’y ait pas encore de détective. En 1866-1867, le premier roman policier écrit par une femme en Amérique fut "The Dead Letter : An American Romance", son auteur, Metta Victoria Fuller Victor (1831-1885), écrivait alors sous le nom de «Seely Regester». À l’exception d’Edgar Allan Poe, Anna Katharine Green (1846-1935) fut l’auteure américaine la plus connue de romans policiers avant Mary Roberts Rinehart (1876-1958), dont le roman de 1908 "The Circular Staircase" devint la source d’un énorme corpus d’auteurs de crimes américains modernes...

 

Alors que G. K. Chesterton fournissait à la fiction policière non seulement le premier détective clérical, le père Brown, mais aussi les tous premiers mystères dont les solutions reposent sur une compréhension de la psychologie, et que Sir Arthur Conan Doyle, via Holmes, mettait en oeuvre  l’utilisation du raisonnement déductif, il fallut toutefois attendre la fin de la Première Guerre mondiale pour que s'impose l’âge d’or de la "fiction mystère" à la britannique. De nouveaux thèmes sont apparus dans son écriture et des écrivains tels que Dorothy L. Sayers ont lui donné une forme littéraire respectable, ont codifié sa construction tout en repoussant un peu plus ses frontières. Et c'est Agatha Christie qui a su le mieux utiliser ces conventions d'écriture et d'intrigues pour y planter ses indices, présenter au lecteur la problématique en cours et lui donner une chance de résoudre le mystère à l'égal du détective, avec le plus souvent, comme un clin d'oeil et par jeu d'esprit, des solutions impliquant les suspects les moins probables. Si le cadre de bourgeoisie anglaise, serviteurs et maisons de campagne compris, a quelque peu vieilli, le genre demeure, le mécanisme de l'intrigue a survécu à l'apparition, en 1945, d'un anti-genre, celui de Raymond Chandler (The Simple art of Murder) qui va déplacer l'intérêt du détective, et donc de l'intrigue, vers le crime lui-même, et donc la violence...

 


Agatha Christie (1890-1976)

Si l'âge d'or du roman d'énigme ou "whodunit" (Who done it?), inventé par Edgar Poe, se situe durant les décennies 1920-1940, puis incarné pour la postérité par un auteur comme Ellery Queen, de "Calamity Town" (1942) à "The King is Dead" (1952), c'est Agatha Christie qui en établit les standards dans les enquêtes qu'elle fait mener à Hercule Poirot ou Miss Marple, mais avec le souci d'emporter la participation active du lecteur : en mettant en scène la complexité de l'intrigue, la sagacité du détective, la virtuosité du schéma déductif mis en œuvre...
Née dans le Devon, elle a régné pendant un demi-siècle sur le roman policier britannique, plus de deux cent romans et pièces de théâtre, traduits dans le monde entier, et deux héros, le détective belge Hercule Poirot et Miss Marple. Son enfance et sa jeunesse se sont pourtant écouler paisiblement dans un univers essentiellement féminin; mère, grand-mère et tantes lui racontent beaucoup d'histoires. L'attrait pour les situations étranges se manifeste, dira-t-elle, très tôt. Déjà dans sa jeunesse, elle écrit des nouvelles qui seront diversement acceptées par les journaux et les revues. A 22 ans, elle épouse Archie Christie, officier aviateur, mais la guerre les sépare. Durant cette période, Agatha travaille comme infirmière et devient l'assistante d'un pharmacien; elle se familiarise alors avec les remèdes et les poisons, qui tiendront une large place dans son œuvre. En 1920, elle écrit son premier roman, "La Mystérieuse Affaire des styles" mais il faudra attendre Le“Meurtre de Roger Ackroyd (son troisième roman) pour que l'auteur connaisse le succès. Après cette période heureuse, elle connaît un des moments douloureux de sa vie: la mort de sa mère et l'abandon de son mari. C'est à cette époque que se place le fameux "mystère" de sa disparition durant dix jours; les journalistes ont imaginé toutes sortes de raisons à cette fugue; l'hypothèse la plus vraisemblable semble être un épisode dépressif au cours duquel l'écrivain aurait complètement perdu la mémoire et se serait retrouvée "dans la peau d'une autre personne" dans une station thermale. L'écriture n'est plus seulement un passe-temps mais devient une véritable nécessité, économique, et toutes les circonstances de la vie, les rencontres, se transforment en éléments de romans. Chez des amis, elle rencontre Max Mallowan, jeune et brillant archéologue, de quinze ans son cadet. Ils se marieront...
 


THE MYSTERY OF THE BAGDAD CHEST (Agatha Christie)

A Poirot adventure, is the original version of "The Mystery of the Spanish Chest" which had been included in "The Adventure of the Christmas Pudding",1960)...

 

"The words made a catchy headline, and I said as much to my friend, Hercule Poirot. I knew none of the persons involved. My interest was merely the dispassionate one of the man in the street.

Poirot agreed.

“Yes, it has a flavour of the Oriental, of the mysterious. The chest may very well have been a sham Jacobean one from the Tottenham Court Road; nonetheless, the reporter who thought of naming it the Bagdad Chest was happily inspired. The word ‘Mystery’ is also thoughtfully placed in juxtaposition, though I understand there is very little mystery about the case.”

“Exactly. It is all rather horrible and macabre, but it is not mysterious.”

“Horrible and macabre,” repeated Poirot thoughtfully.

“The whole idea is revolting,” I said, rising to my feet and pacing up and down the room. “The murderer kills this man —his friend — shoves him into the chest, and half an hour later is dancing in that same room with the wife of his victim. Think! If she had imagined for one moment —”

“True,” said Poirot thoughtfully. “That much-vaunted possession, a woman’s intuition — it does not seem to have been working.”

 

"Les mots faisaient un titre accrocheur, et je l'ai dit à mon ami Hercule Poirot. Je ne connaissais aucune des personnes impliquées. Je ne m'intéressais qu'à l'homme de la rue, sans passion. Poirot est d'accord.

"Oui, il y a là un parfum d'Orient, de mystère. Le coffre peut très bien être un faux coffre jacobéen de Tottenham Court Road ; néanmoins, le journaliste qui a eu l'idée de l'appeler le Coffre de Bagdad a été heureusement inspiré. Le mot 'Mystère' est également judicieusement placé en juxtaposition, bien que je comprenne qu'il y a très peu de mystère dans cette affaire".

"Exactement. Tout cela est plutôt horrible et macabre, mais ce n'est pas mystérieux."

"Horrible et macabre", répète Poirot d'un air pensif.

"L'idée même est révoltante", dis-je en me levant et en arpentant la pièce de long en large. "Le meurtrier tue cet homme - son ami -, et, une demi-heure plus tard, il danse dans la même pièce avec la femme de sa victime. Réfléchissez ! Si elle avait imaginé un seul instant -"

"C'est vrai, dit Poirot d'un ton pensif. "Cette qualité tant vantée, l'intuition féminine, ne semble pas avoir fonctionné."

 

 “The party seems to have gone off very merrily,” I said with a slight shiver. “And all that time, as they danced and played poker, there was a dead man in the room with them. One could write a play about such an idea.”

“It has been done,” said Poirot. “But console yourself, Hastings,” he added kindly. “Because a theme has been used once, there is no reason why it should not be used again. Compose your drama.”

I had picked up the paper and was studying the rather blurred reproduction of a photograph.

“She must be a beautiful woman,” I said slowly. “Even from this, one gets an idea.”

Below the picture ran the inscription:

 

A RECENT PORTRAIT OF MRS. CLAYTON,

THE WIFE OF THE MURDERED MAN

 

Poirot took the paper from me.

“Yes,” he said. “She is beautiful. Doubtless she is of those born to trouble the souls of men.”

He handed the paper back to me with a sigh.

“Dieu merci, I am not of an ardent temperament. It has saved me from many embarrassments. I am duly thankful.”

 

 "La fête semble s'être déroulée très joyeusement", dis-je avec un léger frisson. "Et pendant tout ce temps, alors qu'ils dansaient et jouaient au poker, il y avait un homme mort dans la pièce avec eux. On pourrait écrire une pièce de théâtre sur une telle idée."

"Cela a été fait, dit Poirot. "Mais consolez-vous, Hastings", ajouta-t-il gentiment. "Parce qu'un thème a été utilisé une fois, il n'y a aucune raison pour qu'il ne le soit pas à nouveau. Composez votre drame."

J'avais pris le papier et j'étudiais la reproduction assez floue d'une photographie.

"Ce doit être une belle femme", dis-je lentement. "Même à partir de cette photo, on peut se faire une idée."

Sous la photo, il y avait l'inscription : "A RECENT PORTRAIT OF MRS. CLAYTON, THE WIFE OF THE MURDERED MAN"

Poirot me prit le papier.

"Oui, dit-il. "Elle est belle. Sans doute est-elle de celles qui sont nées pour troubler l'âme des hommes."

Il me rendit le papier en soupirant.

"Dieu merci, je ne suis pas d'un tempérament ardent. Cela m'a évité bien des embarras. Je vous en remercie."

 

I do not remember that we discussed the case further. Poirot displayed no special interest in it at the time. The facts were so clear, there was so little ambiguity about them, that discussion seemed merely futile.

Mr. and Mrs. Clayton and Major Rich were friends of fairly long standing. On the day in question, the tenth of March, the Claytons had accepted an invitation to spend the evening with Major Rich. At about seven-thirty, however, Clayton explained to another friend, a Major Curtiss, with whom he was having a drink, that he had been unexpectedly called to Scotland and was leaving by the eight o’clock train.

“I’ll just have time to drop in and explain to old Jack,” went on Clayton. “Marguerita is going, of course. I’m sorry about it, but Jack will understand how it is.”

 Mr. Clayton was as good as his word. He arrived at Major Rich’s rooms about twenty to eight. The major was out at the time, but his manservant, who knew Mr. Clayton well, suggested that he come in and wait. Mr. Clayton said that he had not time, but that he would come in and write a note. He added that he was on his way to catch a train.

The valet accordingly showed him into the sitting room.

About five minutes later Major Rich, who must have let himself in without the valet hearing him, opened the door of the sitting room, called his man, and told him to go out and get some cigarettes. On his return the man brought them to his master, who was then alone in the sitting room. The man naturally concluded that Mr. Clayton had left.

 

Je ne me souviens pas que nous ayons discuté de l'affaire plus avant. Poirot n'a pas manifesté d'intérêt particulier pour cette affaire à l'époque. Les faits étaient si clairs, il y avait si peu d'ambiguïté à leur sujet, que la discussion semblait tout simplement futile.

M. et Mme Clayton et le major Rich étaient des amis de longue date. Le jour en question, le 10 mars, les Clayton avaient accepté une invitation à passer la soirée avec le Major Rich. Mais vers sept heures et demie, Clayton expliqua à un autre ami, le major Curtiss, avec qui il prenait un verre, qu'il avait été appelé inopinément en Ecosse et qu'il partait par le train de huit heures. - "J'aurai juste le temps de passer et d'expliquer au vieux Jack", poursuit Clayton. "Marguerita s'en va, bien sûr. J'en suis désolé, mais Jack comprendra ce qu'il en est." M. Clayton tint parole. Il arriva dans les appartements du major Rich vers huit heures moins vingt. Le major était sorti à ce moment-là, mais son valet, qui connaissait bien M. Clayton, lui suggéra d'entrer et d'attendre. M. Clayton répondit qu'il n'avait pas le temps, mais qu'il entrerait et écrirait une note. Il ajouta qu'il était en route pour prendre un train.

Le valet de chambre le fit entrer dans le salon.

Environ cinq minutes plus tard, le major Rich, qui avait dû entrer sans que le valet l'entende, ouvrit la porte du salon, appela son homme et lui demanda d'aller chercher des cigarettes. A son retour, l'homme les apporta à son maître, qui était alors seul dans le salon. L'homme en conclut naturellement que M. Clayton était parti.

 

The guests arrived shortly afterward. They comprised Mrs. Clayton, Major Curtiss, and a Mr. and Mrs. Spence. The evening was spent dancing to the phonograph and playing poker. The guests left shortly after midnight.

The following morning, on coming to do the sitting room, the valet was startled to find a deep stain discolouring the carpet below and in front of a piece of furniture which Major Rich had brought from the East and which was called the Bagdad Chest.

Instinctively the valet lifted the lid of the chest and was horrified to find inside the doubled-up body of a man who had been stabbed to the heart.

Terrified, the man ran out of the flat and fetched the nearest policeman. The dead man proved to be Mr. Clayton. The arrest of Major Rich followed very shortly afterward. The major’s defense, it was understood, consisted of a sturdy denial of everything. He had not seen Mr. Clayton the preceding evening and the first he had heard of his going to Scotland had been from Mrs. Clayton.

Such were the bald facts of the case. Innuendoes and suggestions naturally abounded. The close friendship and intimacy of Major Rich and Mrs. Clayton were so stressed that only a fool could fail to read between the lines. The motive of the crime was plainly indicated.."

 

Les invités sont arrivés peu après. Il s'agit de Mme Clayton, du major Curtiss et de M. et Mme Spence. La soirée s'est passée à danser au son du phonographe et à jouer au poker. Les invités sont partis peu après minuit.

Le lendemain matin, en venant faire le salon, le valet fut surpris de trouver une tache profonde décolorant le tapis en dessous et en face d'un meuble que le Major Rich avait ramené d'Orient et qui s'appelait le Coffre de Bagdad. Instinctivement, le valet souleva le couvercle du coffre et fut horrifié de découvrir à l'intérieur le corps dédoublé d'un homme qui avait été poignardé au cœur. Terrifié, l'homme sortit de l'appartement en courant et alla chercher le policier le plus proche. Le mort s'avéra être M. Clayton. L'arrestation du major Rich a suivi très peu de temps après. La défense du major, on l'a compris, a consisté à tout nier en bloc. Il n'avait pas vu M. Clayton le soir précédent et la première fois qu'il avait entendu parler de son départ pour l'Écosse, c'était par Mme Clayton.

Tels étaient les faits bruts de l'affaire. Les insinuations et les suggestions abondent naturellement. L'amitié et l'intimité du Major Rich et de Mme Clayton étaient tellement soulignées que seul un idiot pouvait ne pas lire entre les lignes. Le mobile du crime était clairement indiqué..."



C’est alors qu’elle épouse Archie Christie qu’Agatha Christie, née Miller, écrit et publie son premier roman, "The Mysterious Affair at Styles". Ce mariage a duré moins de quatorze ans, se terminant par un divorce au moment de la publication de son neuvième livre, "The Mystery of the Blue Train", mais sa carrière d’écrivain de romans policiers s’est poursuivie pendant un demi-siècle et quatre-vingt-cinq titres supplémentaires (hors les pièces)...


"The Mysterious Affair at Styles"(1920)

Hercule Poirot, peut-être la création la plus reconnue  d’un écrivain de mystère anglais après Sherlock Holmes, n’était pas, bien sûr, un Anglais. Réfugié belge de la Première Guerre mondiale et ancien membre de la police belge, Poirot, dans son étrangeté, accentue le caractère britannique de la société qui l’entoure. Si les goûts et les manières continentaux de Poirot semblent parfois légèrement comiques, ils ne servent qu’à confirmer la solidité essentielle de tout ce qui est anglais. Poirot était le héros du premier livre de Christie, "The Mysterious Aϱair chez Styles", et pendant plus de cinquante ans il réapparaîtra dans environ 25 romans et de nombreuses nouvelles avant de retourner à Styles, où, dans "Curtain" (1975), il meurt. La vieille fille Mlle Jane Marple, son autre personnage principal de détective, apparaîtra pour la première fois dans "Murder at the Vicarage" (1930). 

Arthur Hastings, blessé, rapatrié en Angleterre lors de la Première Guerre mondiale, est invité dans la demeure de Styles Court par son vieil ami John Cavendish, qui lui apprend que sa mère Emily s'est remariée avec un homme beaucoup plus jeune, le mystérieux Alfred Inglethorp. À Styles, tout le monde a l'air de le détester, à l'exception d'Emily. Plus tard, Emily est empoisonnée et les soupçons vont  immédiatement se porter sur Alfred Inglethorp. Hercule Poirot, ancien inspecteur de police belge, qui est aussi présent au village de Styles Saint-Mary, est invité par Hastings à résoudre cette affaire. Poirot semble penser qu'Alfred Inglethorp, présenté comme le coupable le plus évident, n'est pas l'assassin et tente de le disculper, si ce n'est qu'au bout du compte, lui et Evelyn Howard, dame de compagnie de Mme Inglethorp, ne soient démasqués ...

 

Alfred n'a pas pu tuer Emily, c'est la toute première opposition d'Hercule Poirot à l'inspecteur Japp, qui ne comprend pas (7-POIROT PAYS HIS DEBTS) ... 

Comme nous sortions des Stylites Arms, Poirot me tira de côté par une légère pression du bras. Je compris pourquoi. Il attendait les hommes de Scotland Yard. En Et Poirot s’avança aussitôt, et s’approcha du plus petit des deux. - « Je crains que vous ne vous souveniez pas de moi, inspecteur Japp. » - « Pourquoi, si ce n’est pas M. Poirot ! » s’écria l’inspecteur. Il se tourna vers l’autre homme. « Vous m’avez entendu parler de M. Poirot ? C’est en 1904 que lui et moi avons travaillé ensemble - l’affaire de contrefaçon Abercrombie - vous vous souvenez, il a été renversé à Bruxelles. Ah, c’était une belle époque, Moosier. Alors, vous souvenez-vous du « baron » Altara? Il y avait un sacré voyou pour vous! Il a échappé aux griffes de la moitié des policiers en Europe. Mais nous l’avons cloué à Anvers—grâce à M. Poirot ici présent. »

Tandis que l’on se livrait à ces aimables souvenirs, je me suis approché et j’ai été présenté à l’inspecteur-détective Japp, qui à son tour nous a présenté à son compagnon, le surintendant Summerhaye. - « J’ai à peine besoin de vous demander ce que vous faites ici, messieurs », remarque Poirot. - Japp ferma sciemment un œil. - « Non, en effet. Un cas assez clair, devrais-je dire. » - Mais Poirot répondit gravement: « Là, je ne suis pas d’accord avec vous. »

 

"As we came out of the Stylites Arms, Poirot drew me aside by a gentle pressure of the arm. I understood his object. He was waiting for the Scotland Yard men.

In a few moments, they emerged, and Poirot at once stepped forward, and accosted the shorter of the two.

“I fear you do not remember me, Inspector Japp.”

“Why, if it isn’t Mr. Poirot!” cried the Inspector. He turned to the other man. “You’ve heard me speak of Mr. Poirot? It was in 1904 he and I worked together - the Abercrombie forgery case - you remember, he was run down in Brussels. Ah, those were great days, Moosier. Then, do you remember ‘Baron’ Altara? There was a pretty rogue for you! He eluded the clutches of half the police in Europe. But we nailed him in Antwerp—thanks to Mr.

Poirot here.”

As these friendly reminiscences were being indulged in, I drew nearer, and was introduced to Detective-Inspector Japp, who in his turn introduced us both to his companion, Superintendent Summerhaye.

“I need hardly ask what you are doing here, gentlemen,” remarked Poirot.

Japp closed one eye knowingly.

“No, indeed. Pretty clear case I should say.”

But Poirot answered gravely:

“There I differ from you.”

“Oh, come!” said Summerhaye, opening his lips for the first time. “Surely the whole thing is clear as daylight. The man’s caught red-handed. How he could be such a fool beats me!”

But Japp was looking attentively at Poirot.

“Hold your fire, Summerhaye,” he remarked jocularly.

“Me and Moosier here have met before - and there’s no man’s judgement I’d sooner take than his. If I’m not greatly mistaken, he’s got something up his sleeve. Isn’t that so, Moosier?”

Poirot smiled.

“I have drawn certain conclusions - yes.”

Summerhaye was still looking rather sceptical, but Japp continued his scrutiny of Poirot.

“It’s this way,” he said, “so far, we’ve only seen the case from the outside. That’s where the Yard’s at a disadvantage in a case of this kind, where the murder’s only out, so to speak, after the inquest. A lot depends on being on the spot first thing, and that’s where Mr. Poirot’s had the start of us. We shouldn’t have been here as soon as this even, if it hadn’t been for the fact that there was a smart doctor on the spot, who gave us the tip through the Coroner. But you’ve been on the spot from the first, and you may have picked up some little hints. From the evidence at the inquest, Mr. Inglethorp murdered his wife as sure as I stand here, and if anyone but you hinted the contrary I’d laugh in his face. I must say I was surprised the jury didn’t bring it in Wilful Murder against him right off. I think they would have, if it hadn’t been for the Coroner—he seemed to be holding them back.”

“Perhaps, though, you have a warrant for his arrest in your pocket now,” suggested Poirot.

A kind of wooden shutter of officialdom came down over Japp’s expressive countenance.

“Perhaps I have, and perhaps I haven’t,” he remarked dryly.

Poirot looked at him thoughtfully.

“I am very anxious, Messieurs, that he should not be arrested.”

“I daresay,” observed Summerhaye sarcastically.

Japp was regarding Poirot with comical perplexity.

“Can’t you go a little further, Mr. Poirot? A wink’s as good as a nod - from you. You’ve been on the spot - and the Yard doesn’t want to make any mistakes, you know.”

 

Poirot nodded gravely.

“That is exactly what I thought. Well, I will tell you this. Use your warrant: Arrest Mr. Inglethorp. But it will bring you no kudos - the case against him will be dismissed at once! Comme ça!” And he snapped his fingers expressively.

Japp’s face grew grave, though Summerhaye gave an incredulous snort.

As for me, I was literally dumb with astonishment. I could only conclude that Poirot was mad.

Japp had taken out a handkerchief, and was gently dabbing his brow.

“I daren’t do it, Mr. Poirot. I’d take your word, but there’s others over me who’ll be asking what the devil I mean by it. Can’t you give me a little more to go on?”

 Poirot reflected a moment.

“It can be done,” he said at last. “I admit I do not wish it. It forces my hand. I would have preferred to work in the dark just for the present, but what you say is very just - the word of a Belgian policeman, whose day is past, is not enough! And Alfred Inglethorp must not be arrested. That I have sworn, as my friend Hastings here knows. See, then, my good Japp, you go at once to Styles?”

 

Poirot hocha gravement la tête. - « C’est exactement ce que je pensais. Eh bien, je vais vous dire ceci. Utilisez votre mandat : Arrêtez M. Inglethorp. Mais cela ne vous apportera pas de félicitations - les poursuites contre lui seront immédiatement abandonnées ! Comme ça ! » Et il claqua des doigts de façon expressive. - Le visage de Japp devint grave, Summerhaye respirait l'incrédulité. Quant à moi, j’étais littéralement muet d’étonnement. Je ne pouvais que conclure que Poirot était fou. Japp avait sorti un mouchoir et tapotait doucement son front. - « Je n’ose pas le faire, monsieur Poirot. Je vous crois sur parole, mais il y en a d’autres au-dessus de moi qui me demanderont ce que je veux dire par là. Ne pouvez-vous pas m’en donner un peu plus pour continuer? »

 Poirot réfléchit un instant. - « C’est possible », a-t-il dit enfin. « J’admets que je ne le souhaite pas. Cela me force la main. J’aurais préféré travailler dans le noir jusque-là, mais ce que vous dites est très juste - la parole d’un policier belge ne suffit pas!  

 

“Well, in about half an hour. We’re seeing the Coroner and the doctor first.”

“Good. Call for me in passing- the last house in the village. I will go with you. At Styles, Mr. Inglethorp will give you, or if he refuses - as is probable - I will give you such proofs that shall satisfy you that the case against him could not possibly be sustained. Is that a bargain?”

“That’s a bargain,” said Japp heartily. “And, on behalf of the Yard, I’m much obliged to you, though I’m bound to confess I can’t at present see the faintest possible loophole in the evidence, but you always were a marvel! So long, then, Moosier.”

The two detectives strode away, Summerhaye with an incredulous grin on his face.

“Well, my friend,” cried Poirot, before I could get in a word, “what do you think? Mon dieu! I had some warm moments in that court; I did not figure to myself that the man would be so pig-headed as to refuse to say anything at all.

Decidedly, it was the policy of an imbecile.”

“H’m! There are other explanations besides that of imbecility,” I remarked. “For, if the case against him is true, how could he defend himself except by silence?”

“Why, in a thousand ingenious ways,” cried Poirot. “See; say that it is I who have committed this murder, I can think of seven most plausible stories!

Far more convincing than Mr. Inglethorp’s stony denials!”

I could not help laughing.

“My dear Poirot, I am sure you are capable of thinking of seventy! But, seriously, in spite of what I heard you say to the detectives, you surely cannot still believe in the possibility of Alfred Inglethorp’s innocence?”

“Why not now as much as before? Nothing has changed.”

“But the evidence is so conclusive.”

“Yes, too conclusive.”

We turned in at the gate of Leastways Cottage, and proceeded up the now familiar stairs.

“Yes, yes, too conclusive,” continued Poirot, almost to himself. “Real evidence is usually vague and unsatisfactory. It has to be examined - sifted...."


"The Murder of Roger Ackroyd"  (1926, Ie Meurtre de Roger Ackroyd)

"The truth, however ugly in itself, is always curious and beautiful to the seeker after it.". Hercule Poirot s'est retiré dans le village de King's Abbot pour y cultiver des courges. Mais lorsque le riche Roger Ackroyd est retrouvé poignardé dans son bureau, il accepte de mener l'enquête. Un meurtre mystérieux typique d'un village, ou du moins c'est ce qu'il semble jusqu'au dernier chapitre et sa révélation stupéfiante. Ce titre serait encore discuté aujourd'hui, même si Christie n'avait jamais écrit d'autre livre. Ce fut sa première reconnaissance majeure; il sera suivi par quelque 75 romans. Un incontournable, et toujours controversé, jalon de la fiction policière....

 

" Mrs. Ferrars died on the night of the 16th–17th September—a Thursday. I was sent for at eight o’clock on the morning of Friday the 17th. There was nothing to be done. She had been dead some hours. It was just a few minutes after nine when I reached home once more. I opened the front door with my latchkey, and purposely delayed a few moments in the hall, hanging up my hat and the light overcoat that I had deemed a wise precaution against the chill of an early autumn morning.

To tell the truth, I was considerably upset and worried. I am not going to pretend that at that moment I foresaw the events of the next few weeks. I emphatically did not do so. But my instinct told me that there were stirring times ahead.

From the dining room on my left there came the rattle of teacups and the short, dry cough of my sister Caroline.

“Is that you, James?” she called.

An unnecessary question, since who else could it be? To tell the truth, it was precisely my sister Caroline who was the cause of my few minutes’ delay. The motto of the mongoose family, so Mr. Kipling tells us, is: “Go and find out.” If Caroline ever adopts a crest, I should certainly suggest a mongoose rampant. One might omit the first part of the motto. Caroline can do any amount of finding out by sitting placidly at home. I don’t know how she manages it, but there it is. I suspect that the servants and the tradesmen constitute her Intelligence Corps. When she goes out, it is not to gather in information, but to spread it. At that, too, she is amazingly expert...

 

"Mme Ferrars mourut dans la nuit du 16 au 17 septembre, un jeudi. On m'envoya chercher le vendredi 17, vers huit heures du matin. Mais il n'y avait rien à faire et la mort remontait à plusieurs heures. Je rentrai chez moi peu après neuf heures. J'ouvris la porte avec ma clé et je restai exprès dans le vestibule quelques instants de plus qu'il n'était nécessaire, pour pendre mon chapeau et mon pardessus. En réalité, j'étais bouleversé et préoccupé. Je ne prétendrai pas, maintenant, que j'aie, dès cet instant, prévu les événements qui devaient se dérouler au cours des semaines suivantes, car ce ne serait pas exact. Mais mon instinct m'avertissait que j'alIais éprouver des émotions. Un bruit de tasses remuées, accompagné de la petite toux sèche de ma sœur Caroline, partit de la salle à manger dont la porte s'ouvrait à gauche du vestibule.

- Est-ce toi, James? appela ma sœur.

Cette question était fort inutile, car quelle autre personne eût pu entrer ainsi? C'était justement à cause de Caroline que je m'attardais un peu. 'Kipling nous dit que la devise de la gent mangouste pourrait se résumer en cette courte phrase : "Pars et va à la découverte!"

Si jamais Caroline veut se faire faire des armes parlantes, je lui conseillerais d'adopter l'effigie d'une mangouste. Cependant, en ce qui la concerne, on pourrait supprimer la première partie de la devise, car, tout en restant paisiblement à la maison, ma sœur fait un nombre incalculable de découvertes. Je ne sais pas comment cela lui est possible, mais le fait est indéniable. je suppose que les domestiques et les fournisseurs constituent son bureau d'information. Lorsqu'elle sort, ce n'est pas pour recueillir des nouvelles, mais, au contraire, pour les répandre. En cela, elle est aussi extraordinairement experte. Et c'était bien cette particularité de son caractère qui me causait certaine perplexité. Quels que fussent les détails que je donnerais à Caroline au sujet du décès de Mme Ferrars, le village tout entier les connaitrait au bout d'une heure et demie. Je suis, bien entendu, en ma qualité de médecin, tenu au secret professionnel. J'ai donc pris l'habitude de ne rien confier à ma sœur. Elle découvre généralement œ que je lui ai caché, mais j'aí la satisfaction intime de n'être aucunement responsable. Le mari de Mme Ferrars est mort, il y a juste un an et Caroline n'a pas cessé d'affirmer, sans en avoir la moindre preuve, que sa femme l'a empoisonné. Elle se moque de moi quand je déclare que M. Ferrars est mort d'une gastrite aigüe, aggravée par l'absorption constante de boissons alcooliques. Je reconnais que les symptômes de la gastrite et de l'empoisonnement par l'arsenic se ressemblent quelque peu, mais Caroline base son accusation sur de tout autres considérations! 

- Vous n'avez qu'à la regarder! l'ai-je entendue déclarer à maintes reprises.

Tout en n'étant pas très jeune, Mme Ferrars était restée fort séduisante et s'habillait avec goût quoique simplement. Mais, nombre de femmes font venir leurs toilettes de Paris et n'empoisonnent pas, nécessairement, pour cela leurs maris. Tandis que je m'attardais dans le vestibule, en pensant à toutes ces choses, la voix de Caroline s'éleva de nouveau.

un peu plus sèche que la première fois.

- Que fais-tu donc là, James? Pourquoi ne viens-tu pas déjeuner?

- J'arrive, ma chère. répondis-je vivement. Je suspendais mon pardessus.

- Tu aurais eu le temps d'en suspendre une douzaine depuis que tu es rentré!

C'était fort exact. Je pénétrai dans la salle à manger, effleurai comme à l'ordinaire, la joue de Caroline et m'assis devant des œufs au jambon, un peu froids.

- Tu as été appelé de bonne heure, observa Caroline.

- Oui, dis-je, à King's Paddock pour Mme Ferrars.

-- Je sais, reprit ma sœur.

- Comment le sais-tu?

- Annie me l'a dit.

Annie est notre femme de chambre. C'est une brave fille mais une terrible bavarde. Il y eut un silence et je continuai à manger mes œufs. Le nez long et mince de Caroline, frémissait légèrement à son extrémité. ce qui indique toujours qu'elle est agitée par la curiosité.

- Eh bien? demanda-t-elle.

- Triste affaire. Rien à tenter. Elle a dû mourir en dormant.

- Je sais. dit encore ma sœur.

Cette fois je me sentis vexé.

- Tu ne peux pas savoir, déclarai-je. J'ignorais tout moi-même avant d'arriver là-bas et je n'ai soufflé mot à personne de ce que j'ai constaté. Si Annie est au courant elle a le don de double vue.

- Ce n'est pas Annie qui me l'a appris, c'est le laitier qui le tenait de la cuisinière de Mme Ferrars.

Ainsi que je l'ai déclaré, Caroline n'a pas besoin de se déplacer pour connaitre les nouvelles qui viennent à elle tout naturellement. Elle reprit :

- De quoi est-elle morte? Arrêt du cœur?

- Le laitier ne te l'a-t-il pas dit? demandai-je ironiquement. Mais le sarcasme fait long feu avec Caroline qui ne le comprend pas.

- ll ne le savait pas, déclara-t-elle. 

En somme, il était évident qu'elle apprendrait tôt ou tard la vérité; autant valait que ce fût par moi.

- Elle est morte pour avoir pris une dose trop forte de véronal. Elle souffrait d`insomnies depuis quelque temps et a dû se tromper.

- Allons donc, s'exclama Caroline, elle s'est suicidée.

N'avez-vous jamais constaté que, lorsque vous nourrissez une conviction dont vous ne désirez pas parler, vous la niez furieusement si elle est exprimée par une autre personne? Je m'écriai avec indignation :

- Tu es toujours la même! Pourquoi Mme Ferrars se serait-elle suicidée? Veuve, encore jeune, très riche, ayant une bonne santé et pouvant jouir de l'existence! C'est absurde.

- Pas du tout. Tu as bien dû t'apercevoir à quel point elle avait changé depuis environ six mois? Elle était absolument décomposée. D'ailleurs tu reconnais toi-même qu'elle ne pouvait plus dormir.

- Et quel est ton diagnostic? demandai-je froidement. Des peines de cœur, je suppose?

- Le remords! dit-elle avec emphase.

- Le remords?

- Oui, tu n'as jamais voulu me croire lorsque je t'ai affirmé qu'elle avait empoisonné son mari. J'en suis plus convaincue que jamais maintenant.

- Je te trouve illogique, objectai-je. Si une femme possède assez de sang-froid pour commettre un assassinat, elle est évidemment capable d'en retirer les avantages, sans éprouver de repentir.

- Certaines femmes, peut-être, mais pas Mme Ferrars qui était une nerveuse. Une impulsion irraisonnée l'a poussée à se débarrasser de son mari parce qu'elle ne pouvait supporter les ennuis... Or, il est certain qu'unie à un homme tel qu'Ashley Ferrars, elle ne devait pas en manquer..."

 

Le docteur Sheppard, narrateur de l'histoire, apprend un matin la mort par empoisonnement de Mrs Ferreras; la sœur du docteur, Caroline, rapportant des bruits qui circulent en ville; parle d'un suicide dû aux remords nourris par Mrs Ferreras qui, un an plus tôt, aurait assassiné son mari et qui recevait régulièrement la visite d'un maître-chanteur, témoin de cet assassinat. Dans la soirée, vers 21 h 30, le docteur rend visite à son ami Roger Ackroyd. Celui-ci vit en compagnie de sa belle-sœur Mme Ackroyd, de sa nièce Flora et, épisodiquement; de son beau-fils (enfant d'une épouse décédée) Ralph Paton, d`une gouvemante (Miss Russel), d'un serviteur (Parker), d”un secrétaire (Geoffroy). De plus, le major Blunt est en visite chez lui durant cette période. Roger Ackroyd raconte au docteur qu'il a reçu une lettre bleue de son amie Mrs Ferreras où elle lui confie, avant de se suicider, le nom de son maître-chanteur. Le docteur quitte son ami vers 21 h 45. A peine rentré chez lui, il reçoit un coup de téléphone de Parker, lui annonçant la mort, d'un coup de couteau dans le dos, de Roger Ackroyd. Le docteur Sheppard accourt sur les lieux immédiatement. C'est Ralph Paton qui est soupçonné parce que les empreintes de ses souliers sont très visibles sur le rebord de la fenêtre, qu'une forte somme a été dérobée et qu'on lui connaissait de sérieux ennuis d'argent. D'autre part, un inconnu de type américain et à l'allure désinvolte a été aperçu dans le parc à l'heure du crime. Un petit homme a loué la maison voisine de celle du docteur: c'est Hercule Poirot, le célèbre détective. Flora Ackroyd vient le supplier de s”occuper de l'affaire pour disculper Ralph Paton, qui est son fiancé. 

Persuadé de l'innocence de ce dernier, Poirot provoque une petite réunion pour mieux connaître les protagonistes; un nouveau personnage attire l'attention, Ursula Osbome, une domestique suspectée d'avoir volé de l'argent. Renseignements pris, il n'en est rien. Poirot dit clairement que «chacun lui cache quelque chose ››, en particulier Flora Ackroyd, qui n'est peut-être pas la dernière à avoir vu son oncle comme elle l'affirmait: elle avoue s'être bornée à monter l'escalier sans lui rendre visite; or, tous les raisonnements se basaient sur l'heure donnée par Flora: 21 h 45. D`une manière chevaleresque, le major Blunt prend toute la responsabilité sur lui et avoue son amour pour Flora, amour partagé d'ailleurs. Entre-temps, l'inconnu du parc est retrouvé et innocente. Nouveau rebondissement: Poirot ayant fait passer dans le journal une fausse petite annonce relatant l'arrestation de Ralph Paton à Liverpool, celui-ci lui rend visite et lui avoue cette chose incroyable: il est secrètement marie' à Ursula Osbome, servante de son père, provenant d'une famille honorable mais ruinée. Jamais ils n'auraient osé apprendre cette nouvelle à Roger Ackroyd qui aurait certainement condamné ce mariage. Dès lors, Ralph est également innocente puisqu'il se trouvait avec son épouse au moment du crime. Hercule Poirot provoque une dernière réunion; plusieurs personnes sont toujours des coupables en puissance: Mrs Ackroyd, sa fille Flora, Parker, le major Blunt, le secrétaire Geoffroy...

Tous les romans policiers ont des rebondissements, mais ce chef-d'œuvre d'Agatha Christie dépasse tous en retournant certains des principes fondamentaux du genre dans son dénouement surprenant.On y retrouve bon nombre des éléments qui ont fait la célébrité d'Agatha Christie : deux cadavres, un manoir, un petit groupe de suspects et le détective belge,Hercule Poirot, qui se lisse les moustaches. Narré par le docteur des environs, Sheppard, le roman offre de nombreux suspects : est-ce la servante, le commandant à la retraite, le beau-fils d'Ackroyd ou un mystérieux étranger qui rôde dans le parc? Cette liste (incomplète) suggère l'intérêt annexe de ce roman qui reflète la structure sociale de l'Angleterre rurale des années 1920. Tout le monde, selon Poirot, possède un secret, et l'œuvre nous titille en dévoilant un fils illégitime, un mariage secret, un chantage et une addiction comme motifs possibles de l'agression au couteau. Les diversions et les alibis douteux abondent : l'heure réelle du meurtre a été ingénieusement dissimulée, la voix d'Ackroyd se fait entendre depuis l'outre-tombe, enregistrée sur un dictaphone dont la disparition offre à Poirot un indice essentiel. Pour le lecteur, il est presque impossible de déduire qui est l'assassin ; c'est l'un des rares romans policiers qui poussent à une seconde lecture pour observer comment les traces du meurtrier sont aussi magistralement masquées...

 

 27 - AND NOTHING BUT THE TRUTH

There was a dead silence for a minute and a half.

Then I laughed.

“You’re mad,” I said.

“No,” said Poirot placidly. “I am not mad. It was the little discrepancy in time that first drew my attention to you — right at the beginning.”

“Discrepancy in time?” I queried, puzzled.

“But yes. You will remember that everyone agreed — you yourself included — that it took five minutes to walk from the lodge to the house — less if you took the short cut to the terrace. But you left the house at ten minutes to nine — both by your own statement and that of Parker, and yet it was nine o’clock when you passed through the lodge gates. It was a chilly night — not an evening a man would be inclined to dawdle; why had you taken ten minutes to do a five minutes’ walk? All along I realized that we had only your statement for it that the study window was ever fastened. Ackroyd asked you if you had done so — he never looked to see. Supposing, then, that the study window was unfastened? Would there be time in that ten minutes for you to run round the outside of the house, change your shoes, climb in through the window, kill Ackroyd, and get to the gate by nine o’clock? I decided against that theory since in all probability a man as nervous as Ackroyd was that night would hear you climbing in, and then there would have been a struggle. But supposing that you killed Ackroyd before you left — as you were standing beside his chair? Then you go out of the front door, run round to the summerhouse, take Ralph Paton’s shoes out of the bag you brought up with you that night, slip them on, walk through the mud in them, and leave prints on the window ledge, you climb in, lock the study door on the inside, run back to the summerhouse, change back into your own shoes, and race down to the gate. (I went through similar actions the other day, when you were with Mrs. Ackroyd—it took ten minutes exactly.) Then home — and an alibi — since you had timed the dictaphone for half past nine.”

“My dear Poirot,” I said in a voice that sounded strange and forced to my own ears, “you’ve been brooding over this case too long. What on earth had I to gain by murdering Ackroyd?”

 

Il y eut un silence de mort pendant une minute et demie.

Et puis j’ai ri.

« Vous êtes fou », ai-je dit.

« Non, répondit calmement Poirot. Je ne suis pas fâché. C’est la petite différence de temps qui a attiré mon attention sur vous, au tout début. »

« Incohérence dans le temps? » J’ai demandé, perplexe.

« Mais oui. Vous vous souviendrez que tout le monde était d’accord — vous y compris — pour dire qu’il fallait cinq minutes de marche pour se rendre de l’auberge à la maison — moins si vous preniez le raccourci vers la terrasse. Mais vous avez quitté la maison à neuf heures moins dix — à la fois par votre propre déclaration et celle de Parker, et pourtant il était neuf heures lorsque vous avez franchi les portes de la loge. C’était une nuit froide — pas une soirée où un homme serait enclin à flâner; pourquoi avoir pris dix minutes pour faire une marche de cinq minutes? Depuis le début, je me suis rendu compte que nous n’avions que votre déclaration selon laquelle la fenêtre de l’étude avait été fermée. Ackroyd vous a demandé si vous l’aviez fait — il n’a jamais regardé pour voir. Supposons donc que la fenêtre d’étude n’était pas ouverte? Auriez-vous le temps pendant ces dix minutes de faire le tour de la maison, de changer de chaussures, d’entrer par la fenêtre, de tuer Ackroyd et d’arriver à la porte à neuf heures? J’ai décidé contre cette théorie car, selon toute probabilité, un homme aussi nerveux qu’Ackroyd vous auriez cette nuit-là entendu grimper, et il y aurait eu lutte. Mais supposons que vous ayez tué Ackroyd avant de partir — alors que vous étiez debout à côté de sa chaise?  Puis vous sortez par la porte d’entrée, courez vers la maison d’été, prenez les chaussures de Ralph Paton du sac que vous avez amené avec vous cette nuit-là, vous les y glissez, vous marchez dans la boue, et vous laissez des empreintes sur le rebord de la fenêtre, vous montez, verrouillez la porte du bureau à l’intérieur, Je suis retourné à la maison d’été, je me suis mis à votre place et j’ai couru jusqu’à la barrière. (J’ai fait des choses semblables l’autre jour, lorsque vous étiez avec Mme Ackroyd — cela a pris exactement dix minutes.) Puis à la maison — un alibi — puisque vous aviez chronométré le dictaphone pendant neuf heures et demie. »

« Mon cher Poirot », ai-je dit d’une voix étrange et forcée à mes propres oreilles, « vous avez passé trop de temps à ruminer cette affaire. Qu’avais-je à gagner à tuer Ackroyd? »

 

... A la surprise générale, Poirot annonce que le coupable n'est autre que le narrateur lui-même, le docteur Sheppard. En effet, seul celui-ci savait que Mrs Ferreras avait empoisonné son mari puisqu”il le soignait; il faisait donc chanter cette dame qui, à bout de forces, se suicida. Mais dans une missive bleue qu'elle adressa à Roger Ackroyd, elle communiqua le nom de son maître-chanteur le soir même de la visite du docteur; il fallait donc qu'Ackroyd disparaisse. Sheppard emploie alors un stratagème diabolique dans le but d'orienter les soupçons vers Ralph Paton: en un quart d'heure (entre 21 h 30 et 21 h 45), il emprunte les chaussures de Ralph, marque ses empreintes, dérobe la lettre compromettante et assassine la victime. Comble du raffinement: pour que tout le monde dans la maison entende la voix de Roger Ackroyd, il actionne un dictaphone comme si celui-ci dictait une lettre à son secrétaire Geoffroy...


"Peril at End House" (1932, La Maison du péril)

Nick Buckley invite, pour quelques jours, dans sa magnifique maison (End House) perchée sur les falaises de Cornouailles un certain nombre d'amis, mais devient la cible de plusieurs tentatives de meurtre. Hercule Poirot et le capitaine Hastings, qui séjournent dans un hôtel tout proche, sont témoins d'une de ces tentatives, et les voici ne pouvant s'empêcher d'intervenir pour tenter de comprendre qui et pourquoi cherche-t-on à éliminer Miss Buckley. Le récit, parfaitement rythmé, avec des indices particulièrement subtils et ingénieux, aboutit à une solution inattendue mais totalement logique...

 


"Murder on the Orient Express" (1934, Le Crime de l'Orient-Express)

"The impossible could not have happened, therefore the impossible must be possible in spite of appearances." Le célèbre et somptueux Orient Express s'arrête une nuit, bloqué par des amoncellements de neige. Le lendemain matin, un américain, le mystérieux M. Ratchett est retrouvé le corps lardé de douze coups de couteau dans son compartiment et l'absence de traces dans la neige montre que le tueur est toujours à bord. Poirot mène donc l'enquête et lève les masques progressivement sur l'ensemble des personnages gravitant autour de ce meurtre. Très rapidement il découvre la véritable identité de Ratchett, - qui n’est autre que Casseti, l'auteur d'un rapt et de l'assassinat de la petite Daisy Armstrong, crime qui fit sensation il y a une ou deux années de là -, et que l'ensemble des passagers, tous de nationalités différentes, sont en fait liés à la famille Amstrong. L'hypothèse d'un meurtre collectif s'impose, reste au détective à préciser l'identité et le rôle de chacun des protagonistes...

 


"The ABC Murders" (1935, A.B.C. contre Poirot)

"Words, mademoiselle, are only the outer clothing of ideas." - Hercule Poirot reçoit d'un mystérieux correspondant une première lettre signée A.B.C. et lui enjoignant de se rendre à Andover, une petite ville d'Angleterre. Quelques jours plus tard, il apprend de l' inspecteur-chef James Japp, de Scotland Yard, qu'une marchande nommée Alice Ascher a été sauvagement frappée à mort, laissant un  mari, rapidement soupçon né et une nièce, Mary Drower. Une seconde lettre parvient à Poirot, lui donnant rendez-vous à Bexhill une certaine Elisabeth (dite Betty) Barnard y est découverte étranglée. Poirot remarque alors que le nom de la première victime commence par A. et qu'elle habitait à Andover, puis la seconde, Barnard, habitait à Bexhill. Et sur chacun des lieux du crime, on retrouve un horaire des chemins de fer A.B.C. Une troisième lettre surprend tout autant la police et Poirot, il s'agit de Sir Carmichael Clarke, retrouvé mort à Churston à la date prévue avec un guide A.B.C.. Poirot et Hastings plongent dans la vie des victimes, recherchent un lien entre elles et tentent de s'expliquer la raison de ces missives et la logique de l'alphabet mise en oeuvre. Pourront-ils arrêter le tueur avant qu'il atteigne la prochaine lettre de l'alphabet? Or une quatrième lettre signalant la réalisation d'un crime le 11 septembre à Doncaster, renforce la perplexité des enquêteurs: le nom de la victime ne débute pas par un D mais par un E. Les soupçons vont se porter sur un personnage qui ne sera disculper qu'à la toute fin du roman, laissant apparaître au bout du compte des mobiles et un enchaînement des faits d'une simplicité désarmante...

 


"And Then There Were None" (1939, Dix petits nègres)

Ten people are invited to an island for the weekend. Dix personnes sont invitées sur une île pour le week-end. Bien qu'ils gardent tous un secret, ils ne se doutent de rien jusqu' à ce qu'ils commencent à mourir, un par un, jusqu' à ce qu'un jour... il n' y en ait plus. La panique s'installe lorsque le groupe décroissant se rend compte qu'un de ses membres est le tueur. C'est sans doute la plus grande réalisation technique de Christie...

 

"... Le docteur Armstrong arriva à l'île du Nègre au moment précis où le soleil s'enfonçait dans la mer. Pendant la traversée, il avait bavardé avec le passeur, un homme du cru. Il mourait d”envie d'obtenir quelques renseignements sur les propriétaires de l'île, mais le dénommé Narracott semblait curieusement mal informé - ou tout au moins peu enclin aux confidences. Le docteur Armstrong se contenta donc de parler du temps et de la pêche. Il était fatigué après son long trajet en voiture. Il avait mal aux yeux. Quand on roulait vers l'ouest, on avait le soleil dans la figure. Oui, il était très fatigué. La mer, le calme absolu : voilà ce qu'il lui fallait. En fait, il aurait aimé prendre de longues vacances. Mais ça, il ne pouvait pas se le permettre. Financièrement, il n'y avait bien sûr pas de problème, mais pas question de laisser tomber ses clients. De nos jours, on est vite oublié. Non, maintenant qu”il avait réussi, il ne pouvait plus dételer. "Malgré tout, ce soir, je vais faire comme si j'étais parti pour de bon, comme si j'en avais fini avec Londres, Harley Street et le reste."

Une île, ça avait quelque chose de magique ; le mot seul frappait l'imagination. On perdait contact avec son univers quotidien - une île, c'était un monde en soi. Un monde dont on risquait parfois - qui sait? - de ne jamais revenir. "Je laisse derrière moi ma vie de tous les jours", pensa-t-il. Souriant à part lui, il entreprit de faire des projets, de grandioses projets d'avenir. Il souriait encore lorsqu'il gravit l'escalier taillé dans le roc. Sur la terrasse, un vieux monsieur auquel le docteur Armstrong trouva un air vaguement familier était assis dans un fauteuil. Où donc avait-il déjà vu cette face de crapaud, ce cou de tortue, ces épaules voûtées - oui, et ces petits yeux pâles au regard rusé. Ah ! oui : le vieux Wargrave. Il avait un jour témoigné devant lui. Sous son air à moitié endormi, il était retors comme ce n'est pas permis dès qu'il s'agissait d'un point de droit. Avec les jurés, il avait la manière : on le disait capable de les manipuler à sa guise et de les retourner comme un gant. Il leur avait ainsi arraché quelques condamnations douteuses. Le pourvoyeur de la potence, comme l'appelaient certains. Drôle d'endroit pour le rencontrer... ici - loin du monde et du bruit. -

"Armstrong ? se dit le juge Wargrave. Je me rappelle l'avoir vu à la barre des témoins. Courtois et cauteleux. Tous les médecins sont des imbéciles. Ceux de Harley Street sont les pires de tous." Et son esprit s'attarda sans bienveillance sur une récente consultation, dans cette rue huppée, chez un de ces mielleux personnages. À voix haute, il grogna : " Les boissons sont dans le hall".

- "Il faut d'abord que j'aille présenter mes respects au maître et à la maîtresse de maison !" se récria le docteur Armstrong.

Plus reptilien que jamais, le juge Wargrave referma les paupières.

- "Vous n'y parviendrez pas, dit-il.

- Pourquoi ça ? s'étonna le docteur Armstrong.

- Parce qu'il n'y a ni maître ni maîtresse de maison, répondit le juge. La situation est pour le moins bizarre. Je ne comprends rien à cet endroit."

L'œil écarquillé, le docteur Armstrong le dévisagea une bonne minute. Alors qu'il pensait le vieillard endormi pour de bon, Wargrave reprit soudain :

- "Vous connaissez Constance Culmington ?

- Euh..non, je ne pense pas.

- C'est sans importance, commenta le juge. C'est une femme très imprécise, à l'écriture pratiquement illisible. Je me demandais seulement si je ne m'étais pas trompé d'adresse."

Le docteur Armstrong secoua la tête et se dirigea vers la maison. Le juge Wargrave songea à Constance Culmington. Écervelée, comme toutes les femmes. Ses pensées s'orientèrent alors vers les deux femmes présentes sur les lieux, la vieille fille aux lèvres pincées et la jeune. Celle-là, il ne l'aimait pas: une petite garce sans scrupules. En fait, il y avait trois femmes si on comptait l'épouse de Rogers. Étrange créature... elle semblait morte de peur. Un couple convenable, qui connaissait son affaire. Rogers sortant précisément sur la terrasse, le juge lui demanda :

- "Savez-vous si Lady Constance Culmington est attendue?"

Rogers le regarda, étonné.

- "Non, monsieur, pas à ma connaissance."

Le juge haussa les sourcils. Mais il se contenta d'émettre un grognement. "L'île du Nègre, hein? se dit-il. En effet, on est dans le noir le plus complet...."

 


"Five Little Pigs" (Murder in Retrospect)  (1943, Cinq petits cochons)

"One does not employ merely the muscles. I do not need to bend and measure the footprints and pick up the cigarette ends and examine the bent blades of grass. It is enough for me to sit back in my chair and think..." Il y a seize ans, Caroline Crale est morte en prison alors qu'elle purgeait une peine à perpétuité pour avoir empoisonné son mari. Sa fille demande à Poirot d'enquêter sur une éventuelle erreur judiciaire et le voici s'intéressant aux cinq autres suspects, Philip Blake, le courtier en valeurs mobilières qui est allé au marché, Meredith Blake, l'herboriste amateur qui est restée à la maison, Elsa Greer, la triple divorcée qui s'était occupé de son rôti de boeuf, Cecilia Williams, la gouvernante dévouée, et Angela Warren, la sœur défigurée qui pleurait tout le long du chemin du retour..  Ce sublime roman déroule une intrigue particulièrement ingénieuse en  cinq récits distincts aussi dévastateurs les uns que les autres..

 


"Crooked House" (1949, La maison biscornue)

"Curious thing, rooms. Tell you quite a lot about the people who live in them." - Une étrange famille habite  cette maison biscornue, la famille Leonides, et la famille est bien souvent le terreau de nombre de crimes. Sous la domination d'un aïeul tyrannique (mais adoré) d'origine levantine : deux fils, une belle-fille actrice et une autre, femme de science, trois petits-enfants, une vieille tante. Il  a aussi la toute jeune seconde épouse du grand-père et le précepteur qui pourrait bien être son amant.... Qui donc a tué l'aïeul? Tout paraît accuser le couple adultère. La seule personnel qui semble avoir une idée bien précise là-dessus c'est Joséphine, douze ans. Joséphine d'ailleurs a des idées sur tout, y compris l'art dramatique, les motivations des criminels et l'art aussi d'empoisonner les gens. C'est un petit monstre sympathique. Il faut être très attentif aux petits monstres... .

"C'est en Egypte, vers la fin de la guerre, que je fis la connaissance de Sophia Leonidès. Elle occupait là-bas un poste assez important dans les bureaux du Foreign Office et je n'eus d'abord avec elle que des relations de service. Je ne tardai pas à me rendre compte des qualités éminentes qui l'avaient portée, en dépit de sa jeunesse, - elle avait juste vingt-deux ans - à un poste où les responsabilités ne manquaient pas. Fort agreable à regarder, elle était aussi très intelligente, avec un sens de l'humour qui m'enchantait. Nous nous liâmes d'amitié. C'était une jeune personne avec qui l'on avait plaisir à parler et nous aimions beaucoup sortir ensemble pour dîner et, à,l'occasion, pour danser. Tout cela, je le savais. C'est seulement lorsque, les hostilités terminées en Europe, je fus muté en Extrême-Orient que je découvris le reste, à savoir que j'aimais Sophia et que je désirais qu'elle devint ma femme. Cette découverte, je la fis un soir que nous dînions ensemble au Shepheard's. Elle ne me surprit pas. Elle m'apparut plutôt comme la reconnaissance formelle d'un fait qui m'était depuis longtemps familier. Je regardais Sophia avec des yeux neufs, mais ce que je voyais m'était déjà bien connu. Tout en elle me plaisait, aussi bien les magnifiques cheveux noirs qui couronnaient son front que ses clairs yeux bleus, son petit nez droit ou son menton volontaire. Dans son tailleur gris, elle faisait terriblement Anglaise, et cela aussi m'était sympathique après trois ans passés loin de mon pays natal. Et c'est comme je me disais qu'on ne pouvait avoir l'air plus anglais que je me demandai si elle était vraiment aussi Anglaise qu'il semblait. Je m'apercevais que, si nous avions eu ensemble de longues conversations, parlant à cœur ouvert de nos idées, de nos goûts et dégoûts, de nos amis et de nos relations, Sophia n'avait jamais fait la moindre allusion à sa famille. Elle savait tout de moi et je ne savais rien d'elle. Jamais jusqu'alors cela ne m'avait frappé. ,Elle me demanda à quoi je pensais. '

- A vous! répondis-je sincère.

- Ah ? 

- Il se peut fort bien que nous ne nous revoyions pas d'ici deux ans, étant donné que j'ignore quand je rentrerai en Angleterre, et je songeais que mon premier soin, à mon retour, sera d'aller vous trouver pour vous demander, votre main. 

Elle reçut cette déclaration sans ciller. Elle continuait à fumer sans me regarder. Un instant, l'idée me tourmenta que peut-être elle ne m'avait pas compris.

- Je suis bien résolu, repris-je, à ne pas vous demander maintenant de devenir ma femme. Ce serait stupide. D'abord parce que vous pourriez me répondre non, de sorte que je m'en irais très malheureux et capable, par dépit, de lier mon sort à celui de quelque créature impossible. Ensuite, parce que, si vous me disiez oui, je ne vois pas ce que nous pourrions

faire. Nous marier tout de suite et nous séparer demain ? Nous fiancer, et commencer à nous attendre mutuellement pendant on ne sait combien de temps? C'est quelque chose que je ne pourrais supporter. Je ne veux pas, si vous rencontrez quelqu'un d'autre, que vous puissiez vous considérer comme tenue par un engagement envers moi. Nous vivons une époque de fièvre. On se marie très vite et on divorce de même. Je veux que vous rentriez chez vous, libre, indépendante, que vous regardiez autour de vous pour voir ce que sera le monde d'après-guerre et que vous preniez votre temps pour décider ensuite de ce que vous lui demanderez. Si nous devons nous marier, vous et moi, il faut que ce soit pour toujours! Un autre mariage, je n'en ai que faire!

- Moi non plus !

- Mais cela dit, je tiens à ce que vous soyez au courant des... des sentiments que j'ai pour vous! 

Elle murmura : 

- Sans que vous mettiez, dans leur expression, un lyrisme hors de saison. 

- Mais- vous ne comprenez donc pas ? Vous ne voyez donc pas que je fais tout ce que je peux pour ne pas vous dire que je vous aime et... 

Elle m'interrompit.

- J'ai parfaitement compris, Charles, et votre façon comique de présenter les choses m'est très sympathique. Quand vous rentrerez en Angleterre, venez- me voir, si vous êtes toujours dans les mêmes dispositions..,.

Ce fut à mon tour de lui couper la parole. 

- Là-dessus, il n'y a pas de doute!

- ll ne faut jamais rien affirmer, Charles! Il suffit de si peu de chose pour bouleverser les plus beaux projets! Et puis, que savez-vous de moi ? Presque rien. Ce n'est pas vrai? 

- Je ne connais même pas votre adresse en Angleterre.

- J'habite Swinly Dean..

Je hochai la tête, indiquant par là que je n'ignorais pas ce lointain faubourg de Londres, qui tire un juste orgueil de trois excellents terrains de golf, fréquentés par les financiers de la Cité. Elle ajouta d'une voix rêveuse : 

- Dans une petite maison biscornue... " (traduction Michel Le Houbie, Librairie des Champs-Elysées)

 


"A Murder is Announced" (1950, Un Meurtre sera commis le..)

In the village of Chipping Cleghorn, a murder is announced in the local paper's small ads. Dans le village de Chipping Cleghorn, un meurtre est annoncé dans les petites annonces du journal local. Alors que les amis de Mlle Blacklock se rassemblent pour ce qu'ils imaginent tendrement être un jeu de société, un complot de meurtre élaboré est mis en oeuvre.C'est ici le 50e titre de Christie et une remarquable enquête de Miss Marple dans la Grande-Bretagne d'après-guerre, facteur essentiel pour l'intrigue... 

"..Chef de la police du Middleshire, George Rydesdale était un homme calme, de taille moyenne; avec des yeux perçants embusqués sous des sourcils et en broussaille. Il avait l'habitude d'écouter, avant de parler. Pour l'instant, il écoutait l'inspecteur-détective Craddock. Craddock était maintenant officiellement chargé de l'enquête. Rydesdale l'avait, la nuit précé dente, rappelé de Liverpool. Rydesdale avait très bonne opinion de Craddock. Intelligent, il avait de l'imagination et, de plus, ce que Rydesdale appréciait  par-dessus tout, il savait s'imposer d'aller doucement, de vérifier les faits et les étudier un à un, sans idées  préconçues, et cela jusqu'à la fin de son enquête. 

- C'est l'agent Legg, monsieur, qui a pris la communication. Il semble avoir agi rapidement et avec beaucoup de présence d'esprit. Et ce n'a pas dû être facile! Une demi-douzaine de personnes, parlant toutes ensembIe avec, dans le nombre, une de ces femmes d'Europe centrale qui perdent la tête à la seule vue d'un policeman !

- Le défunt a été identifié ? 

- Oui, monsieur. Rudi Scherz, de nationalité  suisse, employé comme réceptionniste au Royal Spa Hotel, Medenham Wells. Si vous êtes d'accord, monsieur, je commencerai par le Royal Spa Hotel, puis j'irai à Chípping Cleghom. Le sergent Fletcher est là-bas en ce moment. Il verra les gens des cars, puis il ira à la villa. 

Rydesdale inclina la tête en signe d'assentiment. 

La porte s'ouvrait. 

- Entrez, Henry! dit Rydesdale. Nons nous occupons d'une affaire qui sort un peu de l'ordinaire... 

Sir Henry Clithering, ex-commissaire de Scotland  Yard avança, fronçant le sourcil. C'était un homme d'un certain âge, de haute taille et à l'allure distinguée.

- Une affaire. poursuivit Rydesdale. à laquelle un palais aussi blasé que le vôtre peut trouver du goût..

Sir Henry protesta avec indignation: 

- Je n'ai jamais été blasé !

- Le dernier cri, continua Rydesdale, c'est maintenant d'annoncer les crimes qu'on va commettre. Montrez donc le journal à sir Henry, Craddock! 

- Le North Benham News and Chippíng Cleghorn Gazette, dit sir Henry. Ça., c'est un titre! 

Il lut les quelques lignes que Craddock lui indiquait du doigt. 

- Hum... Oui, c'est plutôt pas banal! 

- Cette annonce, demanda Rydesdale, sait-on qui en a demandé l'insertion? 

- Par la description du personnage, monsieur, répondit Craddock, il semble bien qu'elle a été portée au journal par Rudi Scherz lui-même, mercredi. 

- On ne lui a pas posé de questions ? On n'a pas trouvé ce texte-là curieux ? 

- Autant qu'il me semble, monsieur, la blonde lymphatique qui reçoit les annonces ne pense pas. Elle s'est contentée de compter les mots et d'encaisser l'argent. 

- Où voulait-on en venir ? demanda sir Henry.

- J'imagine, qu'on voulait réunir quelques indigènes curieux dans un lieu déterminé, à un moment bien défini, et, sous la menace d'un revolver, les soulager de leur argent et de leurs bijoux. Comme idée, ce n'était pas sans originalité. 

- Chipping Cleghorn, reprit sir Henry, qu'est-ce au juste?

- Un village, très étendu et pittoresque. Il y a un boucher, un boulanger, un épicier, un marchand d'antiquités, qui mérite une visite, et deux salons de thé. Un site touristique qui a conscience de son état. Il a de très jolies villas: des maisons, habitées autrefois par des paysans et qui, transformées, abritent maintenant des vieilles filles ou des ménages de retraités, et des cottages, dont la plupart datent de la fin du siècle dernier... 

- Je vois. De vieilles toquées charmantes et des colonels hors d'âge. Il est, en effet, bien sûr qu'une annonce de ce genre a dû les amener, les narines palpitantes, au rendez-vous de six heures et demie. Je regrette bien que ma vieille toquée à moi ne soit pas par ici l Elle se serait régalée ! Une affaire comme ça, c'est sa droite balle! 

- Et qui est votre vieille toquée, à vous, Henry? Une de vos tante?

- Non. C'est seulement le détective le plus subtil que Dieu ait jamais créé. Un génie naturel, qui s'est développé dans un sol favorable... 

Tourné vers Craddock, il poursuivit: 

- S'il y a de vieilles toquées dans ce village, mon garçon, ne les traitez pas par le mépris! S'íl s'agit d'une affaire vraiment mystérieuse, ce qui me paraît d'ailleurs assez peu probable, souvenez-vous qu'une vieille fille, uniquement préoccupée de son tricot et de son jardin, en sait plus long que n'importe quel policier! Elle peut vous dire non pas seulement ce qui

aurait pu arriver et ce qui aurait dû arriver, mais même ce qui est effectivement arrivé! Et elle peut aussi vous expliquer pourquoi c'est arrivé! .... (traduction Michel Le Houbie, Librairie des Champs-Elysées).

 


"Endless Night" (1967, La Nuit qui ne finit pas)

"I just woke up feeling happy this morning. You know those days when everything in the world seems right.."- Michael Rogers, un jeune homme qui, dans sa vie, a exercé plusieurs métiers, sans jamais trop en attendre, raconte ici l'histoire de sa rencontre et de son mariage avec Ellie, une héritière américaine fabuleusement riche. "In my end is my beginning", il semble enfin trouver un sens à sa vie : ils s'aiment tous deux, et vont vivre dans la maison de leurs rêves, construite spécialement pour eux par Rudolph Santonix, l'un des plus grands et célèbres architectes, mais si Gipsy's Acre est un extraordinaire site de montagne avec des vues sur la mer, une ombre menaçante semble planer sur la contrée... Une des meilleures oeuvres des vingt dernières années d'Agatha Christie...

 

"Every night and every Morn / Some to Misery are born / Every Morn and Every Night / Some are born to Sweet Delight... (William Blake)... J'ai souvent lu ou entendu cette chanson. Elle lsonne bien, mais que signifie-t-elle au juste Est-il jamais possible de mettre le doigt sur un point précis de notre existence en décrétant, sans risque d'erreur : "Tout a débuté ce jour-là, à telle heure, à tel endroit et par tel incident" ?  Mon histoire commença peut-être au moment où j'aperçus sur le mur du « George et le Dragon » l'affiche annonçant la vente aux enchères de l'imposante propriété "Les Tours" et donnant tous les détails capables d'intéresser les acheteurs éventuels et une vue très idéalisée de la bâtisse, telle qu'elle avait dû être quelque quatre-vingts ou cent ans plus tôt, à l'époque de sa construction. Ce jour-là, j'errais sans but précis dans la rue principale de Kingston Bishop, un patelin dénué de tout intérêt. Pourquoi ai-je remarqué le placard concernant la vente? Méchant tour du destin? Bonne fortune? Ma foi, c'est à vous de décider. D'un autre côté, on pourrait considérer que tout a été enclenché plus tôt, lors de ma rencontre avec Santonix et la conversation que nous eûmes ensemble. Si je ferme les yeux, je revois distinctement ses pommettes empourprées, son regard fiévreux et le mouvement de ses grosses mains, si délicates cependant, lors qu'elles griffonnent des esquisses, dessinent les plans des maisons dont on se mettait à rêver. C'est Santonix qui fit naître en moi l'envie de posséder une demeure que je n'aurai pourtant jamais les moyens de m'offrir. La maison qu'il me construirait s'il vivait assez longtemps devint entre nous, une sorte de projet farfelu dont nous parlions avec sérieux, sans y croire. Un refuge que, dans mes songes, je me voyais habiter avec la femme que j'aime et dans lequel, comme à la fin des contes d'enfants, "nous vivrions heureux à tout jamais". Mon ambition de propriétaire allait croissant mais rien dans la réalité ne laissait hélas prévoir qu'elle se réaliserait un jour. 

Si mon aventure est une histoire d'amour - et je jure bien que c'en est une - pourquoi ne pas partir du moment où j'aperçus Ellie pour la première fois, au milieu des sapins de Gipsy's Acre? Gipsy's Acre... Oui, il me faut revenir à l'affiche appliquée sur le mur du "George et le Dragon", dont je me détournai en frissonnant parce qu'un nuage passait juste devant le soleil. Jouant au promeneur désœuvré, j'allai m'adresser à un villageois qui taillait tant bien que mal la haie de son jardin.

- Comment est cette maison, "Les Tours"?

Je revois encore le visage sournois et le regard en biais qu'il me jeta en répondant :

- Ce n'est pas comme ça qu'on l'appelle dans le coin. Ce nom-là ne veut rien dire et ça fait un bon bout de temps que les propriétaires qui l'ont baptisée ainsi sont partis.

Je lui demandai alors sous. quel nom il la désignait.  

- Gipsy's Acre. 

- Pourquoi? 

- Allez savoir! On raconte un tas de choses à ce sujet. En tout cas, c'est là que se produisent les accidents.

- Accidents de voitures? 

- Toutes sortes d'accidents. De nos jours en effet; il s'agit surtout de voitures. Il y a un mauvais tournant par là-bas; .

- De là l'explication alors! 

- Le conseil municipal a pourtant fait placer un panneau d'avertissement, mais ça ne change rien.

- Pourquoi ce nom de «Champ du Gitan »?

Il plissa les yeux et répondit d'un ton évasif :

- On raconte que, dans le temps, le terrain appartenait à une bande des nomades qui en fut chassée et y jeta un mauvais sort par vengeance. 

J'éclatai de rire, et il bougonna :

- Vous pouvez rigoler, mais je sais bien qu'iI existe des lieux maudits. Vous autres, citadins, n'y comprenez rien et préférez vous moquer. N'empêche que ce terrain appelle le malheur. Plus d'un est mort dans la carrière en arrachant des pierres de construction. Tenez, une nuit le Georgie est tombé dedans et s'est cassé le cou. 

- Il était soûl? 

- Peut-être bien. Il aimait la bouteille, c'est sûr, mais dites, il y a plus d'un poivrot qui se fiche par terre et se relève sans mal, hein? Georgie lui, il est mort... là-bas!  Il indiqua du doigt la colline boisée. - Au champ du Gitan. 

Oui, je suppose que c'est ainsi que tout a commencé, bien que sur le moment, je n'y aie pas prêté grande attention. Je demandai ensuite au bonhomme s'il existait encore des nomades dans la région. Il me répondit qu'il n'y en avait plus beaucoup, la police les chassant de partout. 

- Pourquoi déteste-t-on tant ces pauvres gens? 

- Ce sont des voleurs! - Ilapprocha brusquement son visage du mien. - Vous n'auriez pas vous-même du sang de bohémien dans les veines, par hasard?

Je lui répondis qu'à ma connaissance, je ne le pensais pas. Cependant, je dois admettre que je ressemble un peu à un gitan. C'est peut-être pour cela que le nom de «Champ du Gitan» m'avait attiré. Amusé par notre conversation, je me dis qu'après tout, il était fort possible que j'eusse des affinités avec les Romanichels. Je montai la route en lacets qui, partant du village, contourne les sapins pour atteindre le haut de la colline d'où elle surplombe la mer. La vue était grandiose et je me pris à penser, comme cela nous arrive souvent : "Je me demande ce que je ferais si le «Champ du Gitan» m'appartenait?" ... 


"Curtain: Poirot's Last Case" (1975, but written during the second world war, Hercule Poirot quitte la scène)

C'est un vieux et bien fragile Poirot qui revient sur les lieux de son premier cas, la maison de campagne Styles, aujourd'hui maison d'hôtes. Il convoque son ami Hastings pour l'aider à identifier le tueur qu'il soupçonne d'être un collègue. Christie utilise tous les ingrédients qui ont fait son succès pour produire un chant du cygne inoubliable, poignant pour le petit Belge. Ce roman a été écrit pendant le Blitz et conservé dans un coffre-fort pour n'être publié qu'après la mort de Christie. Il a été effectivement publié en Octobre 1975 (Christie est mort en Janvier 1976)...

 


Dorothy L.Sayers (1893-1957)

"Whereas, up to the present, there is only one known way of getting born, there are endless ways of getting killed." - Dorothy L. Sayers, fille de pasteur, née à Oxford, théologienne et polyglotte, préfacière de Wilkie Collins, traductrice de Dante, savante, excentrique, malheureuse en amour,  remarque que ce qui passionne le lecteur d'alors tient en deux sujets, les histoires de détectives et l'aristocratie. Elle se lance ainsi, entre 1923 et 1935, dans le roman policier et se se révèle beaucoup plus qu'une simple émule d'Agatha Christie.  Ayant travaillé pour la publicité, elle connaissait le pouvoir des mots, la pratique du mensonge et l'immense potentiel de la crédulité humaine, donc du lecteur. Son maître-mot, de l'érudition, mais pas trop. Son personnage principal, Lord Peter Wimsey est un aristocrate éduqué à Oxford, amateur d'incunables et de Dante, et détective amateur qui, dans sa première apparition, "Whose Body" (1923, Lord Peter et l’Inconnu), laisse échapper un singulier "Oh, damn!". "Clouds of Witness" (1926, Trop de témoins pour Lord Peter) est le début de la notoriété de notre détective aristocrate, et "Unnatural Death" (1927, Arrêt du cœur) montre à quel point Dorothy L. Sayers devient progressivement une experte non seulement des codes de la littérature policière mais des relations hommes-femmes, de l'amour non partagé, dfes relations platoniques, de l'amitié. "Murder Must Advertise" (Lord Peter et l'Autre), publié en 1933 et le 8e roman de la série, nous plonge dans le milieu d'une agence de publicité fictive, que Dorothy Sayers connaît bien et parvient ainsi à nous livrer l'un de ses meilleurs romans.....


STRIDING FOLLY (Dorothy L. Sayers)

The aristocratic detective finds its most interesting embodiment in the stories of Dorothy L. Sayersand her Oxford-educated sleuth, Lord Peter Wimsey .... 

“Shall I expect you next Wednesday for our game as usual?” asked Mr. Mellilow.

“Of course, of course,” replied Mr. Creech. “Very glad there’s no ill feeling, Mellilow. Next Wednesday as usual. Unless. . .” His heavy face darkened for a moment, as though at some disagreeable recollection. “There may be a man coming to see me. If I’m not here by nine, don’t expect me. In that case, I’ll come on Thursday.”

Mr. Mellilow let his visitor out through the French window and watched him across the lawn to the wicket-gate leading to the Hall grounds. It was a clear October night, with a gibbous moon going down the sky. Mr. Mellilow slipped on his galoshes (for he was careful of his health and the grass was wet) and himself went down past the sundial and the fishpond and through the sunk garden till he came to the fence that bounded his tiny freehold on the southern side. He leaned his arms on the rail and gazed across the little valley at the tumbling river and the wide slope beyond, which was crowned, at a mile’s distance, by the ridiculous stone tower known as the Folly. The valley, the slope, and the tower all belonged to Striding Hall. They lay there, peaceful and lovely in the moonlight, as though nothing could ever disturb their fantastic solitude. But Mr. Mellilow knew better.

 

"Je vous attends mercredi prochain pour notre match, comme d'habitude", demande M. Mellilow.

"Bien sûr, bien sûr", répond M. Creech. "Je suis très heureux qu'il n'y ait pas de rancune, Mellilow. Mercredi prochain, comme d'habitude. A moins que. . ." Son visage lourd s'assombrit un instant, comme s'il se rappelait quelque chose de désagréable. "Il se peut qu'un homme vienne me voir. Si je ne suis pas là à neuf heures, ne m'attendez pas. Dans ce cas, je viendrai jeudi."

M. Mellilow fit sortir son visiteur par la porte-fenêtre et le regarda traverser la pelouse jusqu'au portillon menant au domaine de Hall. C'était une nuit claire d'octobre, avec une lune gibbeuse qui descendait dans le ciel. M. Mellilow enfila ses galoches (car il était soucieux de sa santé et l'herbe était mouillée) et passa devant le cadran solaire et le vivier et à travers le jardin ensoleillé jusqu'à ce qu'il arrive à la clôture qui délimitait sa minuscule propriété du côté sud. Il s'appuya sur la balustrade et contempla la petite vallée, la rivière tumultueuse et la large pente au-delà, couronnée, à un kilomètre de distance, par la ridicule tour de pierre connue sous le nom de Folly. La vallée, la pente et la tour appartenaient toutes à Striding Hall. Ils étaient là, paisibles et charmants au clair de lune, comme si rien ne pouvait jamais troubler leur fantastique solitude. Mais M. Mellilow était bien placé pour le savoir.

 

He had bought the cottage to end his days in, thinking that here was a corner of England the same yesterday, today, and forever. It was strange that he, a chess player, should not have been able to see three moves ahead. The first move had been the death of the old squire. The second had been the purchase by Creech of the whole Striding property. Even then, he had not been able to see why a rich businessman —unmarried and with no rural interests — should have come to live in a spot so remote. True, there were three considerable towns at a few miles’ distance, but the village itself was on the road to nowhere. Fool! he had forgotten the Grid! It had come, like a great, ugly chess rook swooping from an unconsidered corner, marching over the country, straddling four, six, eight parishes at a time, planting hideous pylons to mark its progress, and squatting now at Mr. Mellilow’s very door.

For Creech had just calmly announced that he was selling the valley to the electrical company; and there would be a huge power plant on the river and workmen’s bungalows on the slope, and then Development — which, to Mr. Mellilow, was another name for the devil. It was ironical that Mr. Mellilow, alone in the village, had received Creech with kindness, excusing his vulgar humour and insensitive manners, because he thought Creech was lonely and believed him to be well-meaning, and because he was glad to have the kind of neighbour who could give him a weekly game of chess.

 

Il avait acheté le cottage pour y finir ses jours, pensant qu'il y avait là un coin d'Angleterre identique hier, aujourd'hui et pour toujours. Il était étrange que lui, un joueur d'échecs, n'ait pas été capable de voir trois coups à l'avance. Le premier mouvement avait été la mort du vieux châtelain. Le second avait été l'achat par Creech de toute la propriété de Striding. Même à ce moment-là, il n'avait pas pu comprendre pourquoi un riche homme d'affaires - célibataire et sans intérêt pour la campagne - était venu vivre dans un endroit aussi éloigné. Certes, il y avait trois villes importantes à quelques kilomètres, mais le village lui-même était sur la route de nulle part. Imbécile ! il avait oublié la Grille ! Elle était arrivée, comme une grande et laide tour d'échecs, surgissant d'un coin inconsidéré, marchant sur le pays, chevauchant quatre, six, huit paroisses à la fois, plantant d'affreux pylônes pour marquer sa progression, et squattant maintenant à la porte même de M. Mellilow.

Car Creech venait d'annoncer calmement qu'il vendait la vallée à la compagnie d'électricité ; il y aurait une énorme centrale électrique sur la rivière et des bungalows d'ouvriers sur la pente, puis le développement - qui, pour M. Mellilow, était un autre nom pour le diable. Il était ironique que M. Mellilow, seul dans le village, ait reçu Creech avec gentillesse, excusant son humour vulgaire et ses manières insensibles, parce qu'il pensait que Creech était seul et qu'il le croyait bien intentionné, et parce qu'il était heureux d'avoir le genre de voisin qui pouvait lui offrir une partie d'échecs hebdomadaire.

 

Mr. Mellilow came in sorrowful, and restored his galoshes to their usual resting place on the veranda by the French window. He put the chessmen away and the cat out and locked up the cottage — for he lived quite alone, with a woman coming in by the day.

Then he went up to bed with his mind full of the Folly, and presently he fell asleep and dreamed.

He was standing in a landscape whose style seemed very familiar to him. There was a wide plain, intersected with hedgerows, and crossed in the middle distance by a river, over which was a small stone bridge. Enormous blue-black thunderclouds hung heavy overhead, and the air had the electric stillness of something stretched to snapping point. Far off, beyond the river, a livid streak of sunlight pierced the clouds and lit up with theatrical brilliance a tall, solitary tower. The scene had a curious unreality, as though of painted canvas. It was a picture, and he had an odd conviction that he recognized the handling and could put a name to the artist.

“Smooth and tight,” were the words that occurred to him. And then, “It’s bound to break before long.” And then, “I ought not to have come out without my galoshes.”

It was important, it was imperative that he should get to the bridge. But the faster he walked, the greater the distance grew, and without his galoshes the going was very difficult. Sometimes he was bogged to the knee, sometimes he floundered on steep banks of shifting shale; and the air was not merely oppressive — it was hot like the inside of an oven. He was running now, with the breath labouring in his throat, and when he looked up he was astonished to see how close he was to the tower. The bridge was fantastically small, dwindled to a pinpoint on the horizon, but the tower fronted him just across the river, and close on his right was a dark wood, which had not been there before.

 

M. Mellilow rentra tout triste et remit ses galoches à leur place habituelle sur la véranda, près de la porte-fenêtre. Il rangea les échiquiers et le chat, et ferma la maison à clé - car il vivait seul, avec une femme qui venait chaque jour. Puis il se mit au lit, l'esprit plein de la Folie, et bientôt il s'endormit et rêva. Il se trouvait dans un paysage dont le style lui semblait très familier. Il y avait une large plaine, entrecoupée de haies, et traversée au milieu par une rivière, sur laquelle se trouvait un petit pont de pierre. D'énormes nuages d'orage bleu-noir planaient lourdement au-dessus de la tête, et l'air avait l'immobilité électrique de quelque chose de tendu jusqu'à la rupture. Au loin, au-delà de la rivière, un rayon de soleil livide perçait les nuages et éclairait avec un éclat théâtral une haute tour solitaire. La scène avait une curieuse irréalité, comme s'il s'agissait d'une toile peinte. C'était un tableau, et il avait l'étrange conviction d'en reconnaître le traitement et de pouvoir mettre un nom sur l'artiste.

"Lisse et serré", tels sont les mots qui lui viennent à l'esprit. Et puis, "Ça va se casser d'ici peu". Et puis : "Je n'aurais pas dû sortir sans mes galoches."

Il était important, il était impératif qu'il atteigne le pont. Mais plus il marchait, plus la distance augmentait, et sans ses galoches, c'était très difficile. Parfois il s'embourbait jusqu'au genou, parfois il pataugeait sur des bancs abrupts de schiste mouvant, et l'air n'était pas seulement oppressant, il était chaud comme l'intérieur d'un four. Il courait maintenant, le souffle court dans sa gorge, et lorsqu'il leva les yeux, il fut étonné de voir à quel point il était proche de la tour. Le pont était incroyablement petit, réduit à un point à l'horizon, mais la tour lui faisait face juste de l'autre côté de la rivière, et tout près sur sa droite se trouvait un bois sombre qui n'existait pas auparavant."

(...)


"The Nine Tailors" (1934, Les Neufs Tailleurs)

"The Nine Tailors", le 9e de la série, dépasse en envergure et ambition ses romans précédents, et rejoint les plus grands titres du genre "detective story mysteries" tels que "The Lodger", de Marie Belloc Lowndes (1913), le premier thriller psychologique, "The Hound of the Baskervilles", de Sir Arthur Conan Doyle (1901), ou "Trent's Last Case", de E.C. Bentley (1913). Sayers campe ici une riche gamme de personnages dans un décor très suggestif. L'action se déroule dans un village de l'est de l'Angleterre, autour d'une église paroissiale, Fenchurch St. Paul. La notion de communauté fermée sur elle-même est une caractéristique des romans policiers de l' "âge d'or" des années 1920 et 1930, Sayers échappe pourtant  au piège du pittoresque anglais en décrivant un monde rural sur lequel planent le secret et la culpabilité, un paysage dont les plaines inondées ont des connotations bibliques. Le roman utilise aussi l'art du carillonnement de façon très ingénieuse, vis-à-vis du contenu comme de la structure, en l'entremêlant à l'intrigue et au dénouement qui s'ensuit. Sayers s'est inspirée de Wilkie Collins, grand maître de l'intrigue et auteur de "The Moonstone", souvent considéré comme le premier roman policier anglais (1868). "Les Neuf Tailleurs" rappellent souvent "Pierre de lune", non seulement par les détails du crime, lié ici aussi à un vol de bijoux, mais aussi par l'orchestration intelligente des intrigues secondaires. C'est ce roman qui a assuré la réputation grandissante de Sayers...

"Lord Peter est appelé à la rescousse - Voici ce qu'écrivait Venables: Cher lord Peter, Depuis l'agréable visite que vous nous avez faite en janvier, je me suis souvent demandé avec confusion ce que vous deviez penser de nous! En effet, nous ne savions pas quel expert en l'art illustré par Sherlock Holmes nous avions l'honneur de recevoir. Nous vivons tellement retirés du monde - nous ne lisons que le Times et le Spectateur - que nous nous engourdissons. Mais ma femme ayant écrit à sa cousine Mrs Smith, qui habite Kensington et ayant parlé de votre séjour, a été informée par elle des talents de notre hôte. Dans l'espoir que vous voudrez bien pardonner notre lamentable ignorance, je me permets de vous écrire pour prendre conseil de votre expérience. Nous avons aujourd'hui été violemment arrachés à notre somnolence par une circonstance mystérieuse et navrante. En ouvrant la tombe de lady Thorpe pour inhumer son mari, dont vous avez sans doute appris la mort par la presse, notre fossoyeur a été épouvanté d'y trouver le corps d'un inconnu qui paraît avoir été victime de violences. Son visage a été affreusement mutilé et, ce qui semble encore plus choquant, les mains du pauvre diable ont été coupées aux poignets. Bien entendu, notre police locale a pris l'affaire en main, mais elle m'intéresse et me peine personnellement (étant, en quelque sorte, liée à mon église) et je ne sais ce que je puis faire. Ma femme, avec son sens pratique habituel, m'a conseillé de m'en remettre à vous et le surintendent Blundell, de Leamholt, avec lequel je viens de causer, m'a fort obligeamment promis de vous faciliter votre enquête si vous vouliez vous occuper de la question. J'ai honte de demander à quelqu'un comme vous de venir nous diriger, mais, au cas où vous y songeriez, ie n'ai pas besoin de vous dire avec quel enthousiasme vous seriez reçu au presbytère. Excusez cette lettre un peu nébuleuse : j'écris sous l'empire de mes soucis. Je dois ajouter que nos carillonneurs gardent le plus reconnaissant souvenir de l'appui que vous leur avez donné pour notre fameuse sonnerie et qu'ils souhaiteraient vous adresser leurs compliments. Ma femme se joint à moi pour vous envoyer l'expression de nos meilleurs sentiments. Bien sincèrement à vous. Théodore Venables. 

PS. - Ma femme me conseille de vous dire que l'enquête du coroner est fixée à samedi, 14 heures.

Cette lettre, expédiée le vendredi matin, atteignit Wimsey le samedi au premier courrier. Il télégraphia qu'il partait immédiatement pour Fenchurch Saint-Paul, résilia gaiement plusieurs engagements mondains et, à 14 heures, était assis dans la salle paroissiale en compagnie de presque toute la population. Le coroner, avoué provincial au teint rouge, qui paraissait connaître chaque assistant, prit la parole d'un air affaire, comme si ses minutes même étaient précieuses: "- Messieurs... Pas de bruit, s'il vous plaît! Les jurés, par ici... Sparkes, veuillez remettre ces Bibles au jury... Messieurs, choisissez un chef, je vous prie... Ah! c'est Mr Donnington? Parfait. Approchez, Alf, prenez les Ecritures dans la main droite, prêtez serment... asseyez-vous devant la table qui est là-bas... Vous autres, prenez la Bible dans la main droite. La droite, Wally Pratt, ne savez vous pas les distinguer ? Ne riez pas, nous n'avons pas de temps à perdre. Prêtez serment comme votre chef et allez vous asseoir auprès de lui. Maintenant, nous sommes ici pour apprendre comment cet homme est mort... Les témoins de Iîdentité... Il n'y en a pas... Oui, surintendent, je... Pourquoi ne le disiez-vous pas ? Très bien... par ici. Je vous demande pardon. Lord Peter... veuillez répéter... Whimsy? Ah! non, Wimsey avec un E et pas d'H... Profession? Comment? Disons simplement "gentleman"... Votre Seigneurie croit pouvoir identifier le mort?

- Pas tout à fait, mais je suppose...

- Une minute... prenez le livre de la main droite... La vérité, rien que la vérité.. Si vous ne pouvez faire taire ce bébé, Mrs Leach, vous serez obligée de sortir. Donc, lord Peter ? 

- Je suis allé voir le corps et je crois possible que cet homme soit celui que j'ai rencontré le 1°' janvier dernier. J'ignore son nom, mais quelqu'un a fait stopper ma voiture à un demi-kilomètre de l'écluse environ et m'a demandé le chemin de Fenchurch Saint-Paul. Je n'avais jamais vu cet homme auparavant et ne l'ai plus vu depuis.

- Pourquoi supposez-vous qu'il s'agit de la victime ?

- Parce qu'il'était brun, avait une barbe et paraissait vêtu d'un costume bleu foncé, comme celui du mort. Je dis "paraissait", car je n'ai aperçu que le bas de son pantalon, le reste étant couvert d'un manteau. Il m'a semblé avoir une cinquantaine d'années, parlait bas avec l'accent.de Londres et s'exprimait poliment. Il m'a dit être mécanicien d'autos et chercher du travail. Toutefois, à mon avis... 

- Un instant! Vous dites reconnaître la barbe et le costume. Pouvez-vous le jurer? 

- Non. Je dis simplement que l'homme qu'on m'a montré ressemblait, à cet égard, à celui de la route.

- Vous ne pouvez identifier ses traits ?

- Non, ils sont trop abîmés.

- Fort bien. Je vous remercie. Y a-t-il d'autres témoins d'identité?

Le forgeron se leva d'un air intimidé. 

- Bien. Approchez... Prenez la Bible... Vérité, rien que la vérité... Nom : Ezra Wilderspin. Qu'avez-vous à nous apprendre?

- Ben, monsieur, si je prétendais reconnaître, je défunt, je mentirais. Mais il ressemble un peu à un type qui est venu le Jour de l'An, comme le dit Sa Seigneurie, pour me demander du travail... L'a ajouté qu'il était mécanicien et en chômage. J' lui ai répondu que je pourrais employer quelqu'un qui s'y connaîtrait en moteurs et je l'ai pris à l'essai. L'a fait assez bien son travail pendant les trois jours qu'il a logé chez nous ; puis l'est parti au milieu d'une nuit et nous n' l'avons plus jamais revu.

- Quelle nuit ?

- Celle qu'a suivi l'enterrement de lady Thorpe, donc... ."

(traduction Miriam Dou, Librairie des Champs-Elysées)

 

'Unnatural Death", Dorothy L. Sayers, 1927

Quand une femme en phase terminale meurt beaucoup plus tôt que prévu, Lord Peter soupçonne un meurtre. Bien que jamais très vive d’esprit, Agatha Dawson avait une constitution de fer et une volonté de se battre qui n’a jamais diminué dans sa vieillesse. Même après que trois opérations aient échoué pour la débarrasser de son cancer, elle a refusé de céder. Mais alors que son corps commençait à s’affaiblir, elle accusa les avocats, les infirmières et les médecins d’essayer de la tuer et de lui arracher sa fortune. Le médecin de la ville, un spécialiste du cancer, lui donne six mois à vivre. Trois jours plus tard, elle est morte. Bien que l’autopsie ne révèle rien de surprenant, le médecin soupçonne que la nièce d’Agatha a joué un rôle dans la mort de la vieille femme. Lorsque Lord Peter Wimsey, le détective de gentleman fringant, examine la question, il constate que la mort traque tous ceux qui pourraient témoigner ...

 

"The Unpleasantness at the Bellona Club", Dorothy L. Sayers, 1928

Un riche général meurt dans son club, entouré d’anciens combattants — et Lord Peter doit se battre pour résoudre l’affaire. L' atmosphère du Club Bellona est celle d’une morgue — ou, au mieux, d’un salon funéraire — et le jour de l’Armistice, la morosité ne fait que s’accentuer. Les vétérans de la Grande Guerre se rassemblent au Bellona non pas pour discuter de vieilles victoires, mais pour contempler leurs verres de whisky et se lamenter sur leur sort, leurs vieilles blessures, la diminution des pensions et les effets persistants du choc des obus. Et ce jour de l’Armistice, la mort est venue troubler les "festivités". Le vieux général Fentiman, un héros de la guerre de Crimée, expire assis dans son fauteuil préféré. De l’autre côté de la ville, sa sœur meurt le même jour, précipitant l’héritage d’un demi-million de livres du général dans la tourmente. Alors que toute la nation est à la célébration et que bien des soupçons se déchaînent ici et là, Lord Peter doit découvrir quel genre de soldat a bien pu s'attaquer au général...

 

"Strong Poison", Dorothy L. Sayers, 1930

Elle est charmante, intelligente et talentueuse, cette romancière mystère bien connue, mais elle est accusée d’avoir empoisonné son fiancé, auteur littéraire et défenseur bien connu de l’amour libre :  et seul Lord Peter semble en mesure de la sauver de la potence. Lorsque Lord Peter Wimsey se rend au procès de Harriet Vane pour prendre connaissance de l’une des affaires de meurtre les plus effroyables que Londres ait vu depuis des années, rien n'est gagné pour le détective, les détails des crimes sont à charge et la culpabilité évidente. En quelques semaines, elle a acheté de la strychnine, de l’acide prussique et de l’arsenic, et quand son amant est mort, la police a trouvé assez de poison dans ses veines pour tuer un cheval. Mais alors que Lord Peter regarde Harriet sur le banc des accusés, il commence à douter de sa culpabilité et à en tomber amoureux...

 


Josephine Tey (1896-1952)

"The truth of anything at all doesn't lie in someone's account of it. It lies in all the small facts of the time. An advertisement in a paper, the sale of a house, the price of a ring" - Elizabeth Mackintosh, native d'Inverness, romancière et dramaturge britannique, aussi mystérieuse dans sa vie que dans ses six romans policiers écrits sous le pseudonyme de Josephine Tey et qui mettent en scène l'inspecteur de Scotland Yard Alan Grant, a gentleman police officer "not coarse like a bobby" : "The Man in the Queue" (1929),  "A Shilling for Candles" (1936), dont Alfred Hitchock s'inspirera avec "Young and Innocent" (1937),  "The Franchise Affair" (1948), qui s'inspire d'une célèbre énigme criminelle du XVIIIe siècle, "To Love and Be Wise" (1950), " The Daughter of Time" (1951),  "The Singing Sands" (1952). Le thème de l'injustice, de la réhabilitation, est une des constantes de ses romans...

 

"The Daughter of Time" (1951)

"Not all the water in the rough rude sea Can wash the balm off from an anointed king" (Shakespeare: King Richard I, Act 3, Scene II). C'est aussi l'ouvrage le plus connu de Josephine Tey :  cloué au lit après une chute, Alan Grant se lance dans la résolution d'une énigme historique, le roi Richard III  d'Angleterre a-t-il assassiné, au mois d'août 1483, dans la Tour de Londres, ses neveux et  princes Edward, Prince de Galles, Richard, duc d'York? Publié pour la première fois en juin 1951, c’était le dernier livre; et le plus connu,  publié sous le pseudonyme de Josephine Tey du vivant de l’auteur. Le titre vient du vieux proverbe anglais « La vérité est la fille du temps ».  L’inspecteur Grant est à l’hôpital avec une jambe cassée et s’ennuie. Pour lui remonter le moral, Marta Hallard, une amie actrice, lui suggère de rechercher un mystère historique. Connaissant son intérêt pour le visage humain, elle lui apporte des photos de personnages historiques. L’un d’eux, il l’identifie comme le visage d’un homme bon, d’un homme noble, d’un juge typique, puis découvre qu’il s’agit du visage du tristement célèbre roi Richard III. Son instinct de détective lutte pour accepter la différence entre ce qu’il voit dans le visage et ce qui est connu de l’homme. Avec l’aide de Brent Carradine, un jeune chercheur américain qui travaille au British Museum, il va se lancer dans la résolution d'une énigme historique, le roi Richard III  d'Angleterre a-t-il assassiné, au mois d'août 1483, dans la Tour de Londres, ses neveux et  princes Edward, Prince de Galles, Richard, duc d'York? ...