George Bernard Shaw (1856-1950), "Mrs. Warren’s Profession" (1898), "Man and Superman" (1903), "Pygmalion" (1912), "Heartbreak House" (1919), "Back to Methuselah" (1920), "Saint Joan" (1923) - 

Last update: 2020/11/11 


George Bernard Shaw (1856-1950) fut, après Oscar Wilde (1854-1900), l'autre dramaturge incontournable de la fin du XIXe siecle. Il avait beaucoup de points communs avec ce dernier, comme lui, il était né en Irelande, mais était bientôt parti pour l'AngIeterre, comme lui, il écrivait des pièces prisées pour leurs dialogues plein d'esprit.  Shaw s`est toutefois distingué pour avoir traité dans ses pièces les problèmes sociaux contemporains. En tant que porte-parole socialiste qui fustigeait tous les maux sociaux, Shaw s'élevait tout particulièrement contre l'exploitation de la classe ouvrière qu'il condamnait avec véhémence, ll teinta ses pièces de comédie, afin de présenter ses messages cinglants et caustiques sous une lumière plus douce et donc plus efficace. Les premières pièces de Shaw parurent sous le titre on ne peut plus approprié de "Plays Pleasantand Unpleasant"  (1898, dont "Widower's House" et "Mrs. Warrens Profession" qui s'en prennent sérleusement à l'hypocrisie sociale, alors que "Arms and the Man" et "The Man of Destiny" sont moins agressifs. Dans ses pièces ultérieures, la discussion supplante parfois l'intrigue,  comme dans "Back to Methuselan" (1921), mais il écrivit son chef-d'oeuvre, "Saint Joan" (1923). à cette même époque, "Caesar and Cleopatra (1901), "Major Barbara" (1905), "Androcles and the Lion" (1912), et "Pygrnalion" (1912) sont autant d'autres pièces importantes de Bernard Shaw....

En 1903, George Bernard Shaw, président du comité exécutif de la Fabian Society de Londres, un petit groupe d'hommes et de femmes d'avant-garde dont le but était de faire naître le socialisme de manière pacifique en répandant ses idées dans les universités et le gouvernement, s'intéresse à H.G. Wells qui vient de publier 1901 "Anticipations", ouvrage dans lequel il fait de sa conviction pour l'avenir  que seul un groupe d'élite de scientifiques et de techniciens éclairés pourront sauver l'humanité. H.G. Wells leur donna deux ans de son temps, mais très rapidement leur reprocha une sensibilité par trop élitiste et réservée, loin de son son grand désir de conquête des esprits les plus éclairés de la société par la science et l'éducation. Ce fut George Bernard Shaw qui se chargea de le persuader de prendre un peu de recul... 

 


George Bernard Shaw (1856-1950)

"I was a downstart and the son of a downstart" et Shaw devint G. B. S. ? "Tour à tour romancier, critique littéraire, musical, dramatique, vulgarisateur des idées socialistes, brillant causeur, pamphlétaire paradoxal, réformateur impénitent et surtout auteur dramatique de tout premier plan, il s'imposera à la société anglaise de son temps, à la fois divertie par son humour et son génie comique et irritée par ses prises de position politiques, son didactisme de prophète ou ses extravagances". G.B. Shaw, tout comme H.G. Wells, compte parmi les rebelles et les critiques de ce début du XXe siècle si conventionnel, tant dans ses structures sociales et politiques, que familiales et sexuelles. Shaw rejoint la Fabian Society peu après sa fondation en 1884 et y joua un rôle politique important pendant plus de 25 ans. Tous deux pensèrent, après l'effondrement de 1931, que le capitalisme était condamné et que le socialisme allait prendre enfin sa place, comme naturellement. Mais ils évoluèrent au fil du temps et de la réalité,  différence de tempérament oblige. 

L'oeuvre de Shaw est celle d'un réformateur cherchant à détruire l'ordre capitaliste, qu'il sait condamnable depuis sa lecture de Karl Marx, dans les années 1880, pour lui substituer un ordre socialiste plus élevé, attaché à la dignité humaine. Il est paradoxal, mais édifiant, que ses pièces, qui constituent pour beaucoup une critique en règle de la société et de son hypocrisie, une condamnation en règle de ce qu'il a appelé la "morale de la classe moyenne" (middle-class morality) aient connu un tel succès. Shaw substitue le conflit d'idées aux traditionnels conflits des passions. Il croit à la suprématie de l'intelligence et de la volonté, ses comédies constituent des jeux intellectuels aux dialogues simples, mais percutants, remplis d'humour et d'ironie, maniant le paradoxe ou le cynisme. Il considèrera ses œuvres littéraires, pièces et préfaces associées, soit plus de 1000 pages,  comme le prolongement de sa foi en une "évolution créatrice" qui permet à l'humanité de résoudre ses problèmes, ses misères ou les guerres. Mais il sera perpétuellement déçu face à un public qui cherchera à se divertir plutôt qu'à s'instruire... 

De 1892 à 1950, Shaw va écrire plus de cinquante pièces, dont une trentaine d'au moins trois actes. Natif de Dublin, d'une bonne famille d'origine anglo-écossaise et protestante, élevé entre un père éthylique aux moyens financiers réduits et une mère, musicienne, il végète quelques années et se forme au gré de nombreuses lectures, s'essaie au roman vers 1876, sans succès. ""Je déteste la Famille" ("I loathe the Family. I entirely detest and abominate the Family as the quintessence of Tyranny, Sentimentality, Inefficiency, Hypocrisy, and Humbug"), dira-t-il lors d'une conférence donnée à la Fabian Society en 1886. C'est alors que le théâtre s'impose à lui comme moyen d'expression (inspiré par Henrik Ibsen?), la parole parlée convient mieux au polémiste que la parole écrite, et l'on a pu comparer chacune de ses pièces à un champ de bataille, bataille des idées...

 


1892 - Les premières pièces (Plays, Pleasant and Unpleasant, 1898), s'attaquent de front aux abus sociaux, à une hypocrisie générale qui masque les réalités les plus sordides,...

le ton est particulièrement cinglant, et les représentations facilitées par l'existence de l'Independent Theatre Society à Londres : "L'Argent n'a pas d'odeur" (Widower's Houses, 1892), un jeune médecin découvre que l'origine de ses revenus immobiliers ne vaut pas de rompre avec sa fiancée,  "L'Homme aimé des femmes" (The Philanderer, 1893), un jeu de répliques étourdissant contant les péripéties de Léon Charteris fuyant le joug du mariage, "La Profession de Mrs. Warren" (Mrs. Warren's Profession, 1893) aborde froidement l'économie morale de la prostitution. Seul le New Lyric Club de Londres accepta de jouer cette pièce devant ses membres en janvier 1902, c'est la consécration pour l'actrice Fanny Brough (1852-1914) qui joue le rôle de Kitty Warrenet : il fallut attendre 1925 pour que cette pièce fut donnée au public...

Puis  voici Shaw développant progressivement une verve humoristique qui va porter avec succès une redoutable et brillante satire des moeurs : "Le Héros et le soldat" (Arms and the Man, 1894) s'attaque à la gloire militaire, "Candida" (1894) oppose bonheur domestique et solitude de l'homme de génie, "La maison des Veufs" (Widowers'Houses, 1892) dénonce l'exploitation des quartiers les plus pauvres par les municipalités, "L'Homme du destin" (The Man of Destiny, 1895), pochade sur Bonaparte et occasion de juger le caractère et la politique britanniques. "On ne peut jamais dire" (You Never Can Tell, 1895), Valentin, jeune dentiste sans le sou, arrache sa première dent "payante" et tombe amoureux de Gloria, la fille de Mrs Clandon, féministe qui a quitté un mari conformiste pour éduquer ses trois enfants selon des conceptions des plus modernes, Dolly, Phillip et Gloria, qui viennent de rentrer en Angleterre après un séjour de dix-huit ans à Madère. Les enfants n'ont aucune idée de l'identité de leur père et, par une comédie d'erreurs, finissent par l'inviter à un déjeuner familial. Quant à Gloria, elle se considère comme une femme moderne et prétend n'avoir aucun intérêt pour l'amour ou le mariage. Frida Winnerstrand (1881-1943) joua le rôle de Gloria en 1908. "It’s the unexpected that always happens, isn’t it? You never can tell sir: you never can tell“.  Pour Shaw, l'homme "civilisé" est un être rempli de contradictions surnageant comme il peut dans une humanité médiocre...

 


1894 - C'est à partir de 1894 que débute la notoriété de Shaw, une notoriété mondiale aujourd'hui totalement oubliée....

Un succès théâtral qui débute aux Etats-Unis et en Allemagne en 1898, un théâtre radiodiffusé dans tous les pays à partir de 1924. Les Trois Pièces pour puritains (Three Plays for Puritans, 1901) contiennent entre autres "Le Disciple du diable" (The Devil's Disciple, 1896), où est abordé le problème religieux, "César et Cléopâtre" (Caesar and Cleopatra, 1898), pièce dans laquelle éclatent le comique verbal de Shaw et son traitement irrévérencieux de l'histoire. Avec "L'Homme et le surhomme" (Man and Superman, A Comedy and A Philosophy, 1903), Shaw commence à élaborer sa philosophie de la « force vitale »,  soutient que, dans le duel des sexes, c'est l'homme qui est pris en chasse par la femme, une femme poussée par la force de l'instinct vital de la nature et qui tend à élaborer une espèce supérieure, le surhomme. La femme vient ainsi perturber fondamentalement l'homme et tous les buts qu'il peut s'inventer. Il y a donc d'un côté la force de la propagation de l'espèce et de l'autre une bataille spirituelle des sexes, et c'est bien cette dernière qui est Shaw le véritable combat pour la progression de l'humanité...

C'est dans ses célèbres Préfaces que Shaw va expliciter ses thèses, une sorte de mysticisme naturaliste nécessaire à l'homme de demain qui ne peut qu'affirmer sa supériorité. 


"La Commandante Barbara" (Major Barbara, 1906), ou comment peut s'exprimer l'amour de l'humanité entre un commandant de l'Armée du Salut, le Major Barbara Undershaft,  et le propriétaire d'une usine d'armement. Et la situation se complique encore lorsque l'on découvre que le fabricant d'armes en question fournit non seulement des dons mais est également le père de Barbara. Pour GBS, la pauvreté n'est pas la cause du crime, elle est elle-même le crime principal ("the stupid levity with which we tolerate poverty as if it were … a wholesome tonic for lazy people") et peu importe d'où peut venir l'argent. L'adaptation cinématographique de "Major Barbara" fut tourné à Londres en 1941, pendant le Blitz, avec Wendy Hiller, Rex Harrison, Robert Newton et Deborah Kerr.


"Pygmalion" (1912) étudie l'influence du langage et du milieu pour transformer l'être humain. Henry Higgins, qui s'est spécialisé dans l'étude de la phonétique, - mais au fond le Pygmalion, le célibataire ignorant dont l'arrogance lui fait croire qu'il peut créer une femme parfaite à partir de rien -,  rencontre un jour une fleuriste ouvrière cockney, Eliza, et fait le pari de la transformer en une femme respectable. Mais en modifiant l'articulation de cette jeune femme, il va modifier, sans s'en être douté le moins du monde, sa personnalité au point de la désorienter totalement. C'est le collègue du docteur en phonétique, le colonel Pickering, qui lui montrera la voie. C'est Mrs Patrick Campbell (1865-1940), née Beatrice Stella Tanner, l'un des grands amours de GBS et la plus grande actrice anglaise du moment qui créera le personnage d'Eliza Doolittle au His Majesty's Theatre. La pièce devint un phénomène international après sa création à Vienne en 1913. Et plus récemment, rendue célèbre par son adaptation cinématographique par George Cukor, "My Fair Lady" (1964), avec Audrey Hepburn...

Et singulièrement, c'est en 1913 que la National Political League (Ethel Annakin Snowden,  Laura Ainsworth) réunit plus 1 500 personnes, dont George Bernard Shaw, pour soutenir les suffragettes en grève de la faim dans la plus grande prison pour femmes de l'Europe occidentale, Holloway, près de Londres (Emmeline Pankhurst, Emily Davison, Charlotte Despard, Mary Richardson, Dora Montefiore, Hanna Sheehy-Skeffington, Ethel Smyth); "infinitely worse than the pain was the sense of degradation..."


En 1919-1920, à plus de 63 ans, Shaw écrit ses trois oeuvres considérées comme les plus importantes, la 1ere Guerre mondiale a laissé des traces. "La Maison des coeurs brisés" (Heartbreak House, 1919), - la demeure du capitaine Shotover, un vieux loup de mer solitaire qui voit débarquer une de ses filles et nombre de personnages représentatifs d'un monde d'après-guerre qui a perdu toutes ses valeurs -, "En remontant à Mathusalem" (1920, Back to Methuselah), et surtout son chef d'oeuvre, son unique tragédie, "Sainte Jeanne" (1923). C'est pour l'actrice Sybil Thorndike (1882-1976) que, nous dit-on,  Shaw écrivit cette pièce, et pour être représentée à New-York. Jeanne d'Arc venait d'être canonisée en 1920, cinq siècles après sa mort en 1431. L'action de la pièce suit les événements historiques et "Saint Joan" est représentée comme un être humain réel, qui mène la France à la victoire sur les Anglais inspirée par son génie et sa mystique, et dont  l'obstination va conduire à la chute, elle est capturée et vendue aux Anglais, qui la condamnent pour hérésie et la brûlent sur le bûcher, condamnation de l'Eglise et de la Loi. Les êtres humains craignent - et souvent tuent - leurs saints et leurs héros. Et Jeanne n'incarne pas seulement cette vitalité primitive qui peut nous entraîner au-delà des compromissions convenues de notre société, mais la possibilité d'un éclair de volonté qui peut illuminer notre misérable condition. Est-ce le début d'un autre monde? "Joan a été tuée par l'Inquisition", écrivait Shaw en 1931, et "L'Inquisition est toujours là", car il n'en écrira l'épilogue que dix ans plus tard., "Mortal eyes cannot distinguish the saint from the heretic", énoncera l'évêque Cauchon. 


"Back to Methuselah", cinq comédies appartenant au cycle du "Pentateuque métabiologique", cinq raccourcis fantaisistes de l'Histoire universelle qui mènent le spectateur du paradis perdu, d'une Eve qui craint la mort mais va connaître le mystère de la génération, à l'an 31920 ap. JC, époque où l'espèce humaine est devenue ovipare et l'émancipation de la vie atteinte : "In the Beginning", "The Gospel of the Brothers Barnabas", "The Thing Happens", "Tragedy of an ederly Gentleman", "As Far as Thought Can Reach". Shaw expose ici en de longues digressions sa conception de l'évolution biologique, inspirée de Samuel Butler (plus transformiste que darwiniste) et de Henri Bergson (1859-1941), un être humain doté nativement d'une énergie première, d'une générosité instinctive...

En 1925, Shaw reçut le prix Nobel de littérature, bien que sa réputation ait été mise à mal en 1914 lorsqu'il s'est opposé à l'implication de la Grande-Bretagne dans la Première Guerre mondiale. Shaw n'écrit plus rien pour le théâtre, en 1928 paraît son "testament social", le "Guide de la Femme intelligente en présence du Socialisme et du Capitalisme" (The Intelligent Woman's Guide to Socialism). L'étude de la femme et de son rôle dans la société permet à l'auteur d'aborder la question de la construction du socialisme, théorie, pour Shaw, dont la finalité est de mettre en place les moyens les plus adaptés à une juste répartition des richesses. Au passage, il examine les raisons de la passivité humaine face aux maux de l'humanité et pourfend un capitalisme qui privilégie l'appropriation à des fins uniquement individuelles. Son dernier grand succès, "In Good King Charles Golden Days", date de 1939. Honoré comme une gloire nationale par les Anglais, malgré son éloge de Joseph Staline en 1931, et ayant connu toutes les sommités qui éclairèrent le monde entre 1900 et 1950, jusqu'en Inde et en Chine, G.B.Shaw disparaîtra en 1950, dans la petite ville d'Ayot St. Lawrence en Angleterre, sa dernière demeure. Pour son 90e anniversaire, en 1946, Penguin a publié le "Shaw Million", 10 titres en éditions de 100 000 exemplaires chacun, inaugurant ainsi le livre de poche bon marché, mais déjà GBS n'était plus de ce monde...