Walter Benjamin (1892-1940), "Der Begriff der Kunstkritik in der deutschen Romantik" (Notion de critique d'art dans le romantisme allemand, 1920), "Einbahnstrasse" (Sens unique, 1928), "Ursprung des deutschen Trauerspiels" (Origine du drame baroque allemand, 1928), "Kunstwerk im Zeitalter seiner technischen Reproduzierbarkeit" (L'Œuvre d'art à l'époque de sa reproductibilité technique, 1935–1939), "Das Passagen Werk" (Paris, capitale du XIXe siècle) - ... 

Last update : 11/11/2016


"La prolétarisation croissante de l'homme contemporain et l'importance grandissante des masses sont deux aspects du même processus historique" - Walter Benjamin, si proche de l'Ecole de Francfort, fut sensible tant au phénomène de la culture de masse qu'aux nouvelles techniques de la littérature et du cinéma qui se connaissaient alors un extraordinaire développement. 

À partir de 1926, il élabore la théorie d'une littérature ayant pour fonction la transformation sociale, développant une synthèse du matérialisme historique et du messianisme judaïque pour porter un regard singulier sur le livre, l'archive, l'image, comme autant de matériaux entrant en littérature pour être arraché à l'oubli. Et cette réflexion se prolonge ensuite vers ces nouveaux médias qui viennent relayer la littérature et s'imposer dans nos sociétés, la photographie, le cinéma. "Parmi les fonctions sociales du film, la plus importante consiste à établir l'équilibre entre l'homme et l'équipement technique. Cette tâche, le film ne l'accomplit pas seulement par la manière dont l'homme peut s'offrir aux appareils, mais aussi par la manière dont il peut à l'aide de ses appareils se représenter le monde environnant. Si le film, en relevant par ses gros plans dans l'inventaire du monde extérieur des détails généralement cachés d'accessoires familiers, en explorant des milieux banals sous la direction géniale de l'objectif, étend d'une part notre compréhension aux mille déterminations dont dépend notre existence, il parvient d'autre part à nous ouvrir un champ d'action immense et insoupçonné."

En 1928, dans "Sens unique", nous le verrons recueillir toutes sortes d'observations et de réflexions qui lui viennent à l'esprit en arpentant les rues d'une ville imaginaire : au fond, la construction de l'existence semble désormais résidait plus dans les faits que dans les convictions ...


Walter Benjamin (1892-1940)
"La vie de Walter Benjamin est une série de malentendus. C’est surtout sa personne que l'on n’a pas su entendre. Et il faudra encore de nombreuses années après sa disparition pour qu’on reconnaisse le génie et la modernité de l’œuvre de cet homme aux talents multiples."
Benjamin évoque sa jeunesse dans "Enfance berlinoise au XIXme siècle", il vécu dans une famille juive où l'on trouve des archéologues, des mathématiciens et des juristes. Son père était banquier puis devint antiquaire. A Berlin, il prit une part active au "Mouvement de jeunesse" antibourgeois. Il suit des cours à l'Université de Berlin, puis de Fribourg, où il étudie la philosophie et la littérature. En été 1913, son père l'envoie à Paris et il en retirera une expérience inoubliable. La première guerre mondiale est une lourde épreuve pour cette personne sensible, d'autant plus lourde qu'elle provoqua le suicide de deux de ses proches, le poète Heinle et son amie Rika Seligsohn. Il cherchera à faire publier l'oeuvre de Heinle, sans succès.

C'est pendant l'hiver 1914-1915 qu'il rédige son étude sur Hölderlin et en 1915 se lie d'amitié avec G. Scholem. Ce dernier consacrera un ouvrage à cette relation "Walter Benjamin, histoire d'une amitié". Cette confrontation avec la mystique juive laissera des traces dans une oeuvre constituée surtout de cours essais et d'articles ayant trait à la vie littéraire. Ses amitiés sont révélatrices du climat qui anime l'intelligentsia juive de la République de Weimar: Ernst Schoen, Alfred et Jula Cohn, Ernst Bloch... Il présente sa thèse de doctorat sous la direction de R. Herbertz: "Le concept de critique esthétique dans le romantisme allemand" (Begriff der Kunstkritik in der deutschen Romantik.1920).
La période entre 1920 et 1930 fut marquée par un certain nombres de difficultés personnelles, familiales et matrimoniales, symptomatiques d'un mal-être qui faisait de W. Benjamin un être prédisposé à la solitude. Son essai sur "les origines de la tragédie allemande" (Ursprung des deutschen Trauerspiels, 1928) fut refusé comme thèse d'habilitation et dut gagner sa vie comme chroniqueur et essayiste dans le "Frankfurter Zeitung" et la "Literarische Welt" ("Passages de Paris", "Paris, capitale du XIXme siècle", inachevée). Marié à Dora Pollack dont il a un fils, Stefan Rafael, mais tourmenté par de nombreuses histoires d’amour infructueuses, il finit par divorcer. Malgré ses amitiés, Walter Benjamin a du mal à trouver le bonheur. Exilé et pauvre, drogué et mal aimé, il songe plusieurs fois à se suicider.
Les années 1927-1930 furent celles de la rencontre avec M. Horkheimer , T. W-Adorno, et Berthold Brecht, ainsi que celles de sa visite à Moscou. Le triomphe de Hitler est un drame, pour lui, il doit s'exiler et s'installe à Paris où l'Institut de Recherche Sociale l'accueille comme membre permanent en lui assurant la publication, dans la Zeitschrift für Sozialforschung de ses textes les plus importants. L'œuvre principale de cette époque est une étude inachevée dont la partie centrale a été publiée sous le titre "Charles Baudelaire : un poète à l'époque du capitalisme triomphant". En 1940, Horkheimer lui procure un visa d'émigration aux U.S.A. mais l'occupation de la France ne lui laisse plus que la frontière espagnole comme porte de sortie. Il choisit de s'empoisonner à la morphine à Portbou en septembre 1940, au moment où, quittant Paris bientôt occupé par les Nazis, il est capturé par les gardes frontières espagnols, qui lui refusent un visa et qui l'auraient livré à la Gestapo. Celui que sa mère appelait «Monsieur Maladroit » n’a plus la force de supporter cette nouvelle épreuve.


"Der Begriff der Kunstkritik in der deutschen Romantik" (Notion de critique d'art dans le romantisme allemand, 1920), 

Première thèse de l`essayiste et écrivain allemand Walter Benjamin, publiée pour la première fois à Berne en 1920 et reprise dans l`édition de ses œuvres complètes, vol. I, Francfort-sur-la Main, en 1980. Un texte difficile, on y voit toute la distance entre le monde universitaire, obscurément intellectuel, et l'écriture d'un quotidien que Benjamin saura bienheureusement en capacité de nous livrer au fil d'un certain nombre de ses ouvrages ...

"Le présent travail est conçu comme une contribution à une recherche sur l'histoire des problèmes, qui devrait présenter la notion de critique d'art dans ses transformations. Il est indéniable qu'une telle étude de l'histoire de la notion de critique d'art est tout autre chose qu'une histoire de la critique d'art elle-même ; il s'agit d'une étude philosophique, ou plus précisément d'une étude d'histoire des problèmes, qui peut aussi concerner des disciplines non philosophiques. Pour éviter toute ambiguïté, il faudrait donc inventer l'expression "histoire des problèmes philosophiques" (philosophieproblemgeschichtlich), pour laquelle celle qui précède ne sera jamais qu'une abréviation. Ce qui suit ne peut être qu'une contribution à la solution de cette tâche, car il ne s'agit pas du contexte historique du problème, mais seulement d'un moment de ce contexte, le romantisme. 

Comme le romantisme ultérieur ne connaît pas de concept théorique uniforme de la critique d'art, le simple terme "romantique" peut être utilisé sans risque d'équivoque dans ce contexte, où il s'agit toujours uniquement ou en premier lieu du premier romantisme. Il en va de même pour l'utilisation des mots "romantisme" et "romantique" dans ce travail. Ce n'est qu'à la fin de ce travail que nous tenterons d'esquisser une partie du contexte historique plus large dans lequel s'inscrit ce moment et dans lequel il occupe une place de choix.

On ne peut pas plus concevoir une définition de la critique d'art sans présupposés épistémologiques qu'esthétiques ; non seulement parce que les derniers impliquent les premiers, mais surtout parce que la critique contient un moment de connaissance, qu'on la considère d'ailleurs comme une connaissance pure ou liée à des appréciations. C'est ainsi que la définition romantique de la critique d'art est tout à fait construite sur des présupposés épistémologiques, ce qui ne signifie évidemment pas que les romantiques en aient tiré consciemment le concept. Mais le concept en tant que tel, comme en fin de compte tout concept qui est ainsi désigné avec raison, repose sur des présupposés épistémologiques. C'est pourquoi elles seront présentées en premier lieu dans ce qui suit et ne devront jamais être perdues de vue. En même temps, le travail s'oriente vers eux en tant que moments systématiquement saisissables dans la pensée romantique, qu'il voudrait présenter dans une mesure et une signification plus élevées que celles que l'on suppose généralement en elle..."

 

Benjamin pose la question de ce que fut la première élaboration de cette critique d`art, et ici dans le contexte plus général d`une problématique où il distingue méthode et contenu a priori, c`est-à-dire pour l`essentiel la forme. Benjamin confronte à la théorie de l`art développée par Goethe celle du romantisme, ce qui le conduit à vouloir dépasser le rapport du pur contenu à la forme pure : "L`idée de l`art est l`idée de sa forme, de même que son idéal est l`idéal de son contenu". 

Ainsi la question primordiale pour la philosophie de l`art est-elle le problème du rapport entre l'idée et l`idéal. Nature et art sont l`élément au sein duquel la réflexion se développe, et Benjamin a vu dans la théorie romantique de l'art la théorie de la forme des œuvres : "les premiers romantiques ont identifié la nature restrictive de la forme avec la finitude propre à toute réflexion" et c`est à partir de là qu'ils ont élaboré leur concept central, celui d'ironie. La critique a pour tâche de dissoudre la réflexion dans l'œuvre même : l`œuvre d`art est en effet considérée comme un pôle de la réflexion comprise comme une forme plus élevée de la connaissance de soi. 

Cette réflexion permet d'établir le lien avec la théorie de la connaissance du romantisme comme avec les principes de son esthétique et de son interprétation des genres littéraires, - le roman comme sommet et réalisation de la poésie -.

L'argumentation est organisée en deux parties. la première concerne la réflexion proprement dite, la seconde est consacrée à la critique d`art. Benjamin passe en revue toutes les questions qui, sur le versant esthétique. accompagnent le développement de l`idéalisme allemand et sa constante critique : les limites de la réflexion, la question du fragment, le rapport entre concept et système, le "Witz";  de même qu'il met en place les éléments de sa propre critique esthétique, notamment la notion de critique immanente et l'esquisse d`une théorie du style. (Trad. Flammarion, 1987). 


"Einbahnstrasse" (Sens unique, 1928)

Flâner en s'exposant aux pensées qui nous viennent ... - Recueil d'aphorismes publié en 1928, puis repris dans l'édition des œuvres complètes de 1972. Benjamin renoue avec une tradition tout autant classique que romantique et la prolonge dans une perspective critique : chaque petit texte est intitulé de manière que son titre introduise déjà à la fois une surprise et une tension avec le contenu immédiat du propos. Ce décalage, générateur d'associations imprévisibles, entre le titre et le thème sera repris de manière systématique par Theodor W. Adorno, dont l'amitié pour Benjamin lui permettra d'être profondément influencé par cet aîné, dans son ouvrage "Minima Moralia" (1944-1949). Benjamin reprend en les combinant l'humour acide d`un Georg Christoph Lichtenberg (1742-1799, cf. ses huit mille pensées, Sudelbücher ou cahiers d’aphorismes, ) et l'ironie d'un Nietzsche fustigeant son époque. Il s`agit bien de critique, mais sans que soient dissociés les composantes esthétiques. les effets rhétoriques et poétiques de surprise ou de provocation quasi surréaliste, les éléments proprement sociaux comme les interprétations laconiques de telle ou telle tendance culturelle, de tel mouvement psychique, de tel phénomène social. Des rêves personnels sont même exposés, toujours pour renvoyer à un contenu de vérité vers lequel ils font signe à condition que l`énigme qu'ils contiennent soit correctement déchiffrée. 

 

"La construction de la vie repose aujourd'hui beaucoup plus sur des faits que sur des convictions. Des faits, d'ailleurs, qui n'ont presque jamais, jusqu'à présent, et presque nulle part, servi de base à des convictions. Dans ces conditions, une véritable activité littéraire ne peut espérer se dérouler dans un contexte littéraire - c'est d'ailleurs l'expression habituelle de son échec. L'efficacité littéraire significative ne peut se produire que dans un échange strict entre faire et écrire ; elle doit cultiver les formes non spectaculaires mieux adaptées à son influence dans les communautés actives que le geste ambitieux et universel du livre dans les pamphlets, les brochures, les articles de journaux et les annonces publicitaires. Seul un langage aussi rapide peut s'avérer efficace pour le moment. Les opinions, lorsqu'il s'agit du gigantesque appareil de la vie sociale, sont comme l'huile pour les machines ; personne ne s'approche d'une turbine pour l'arroser d'huile pour machine. On en fait couler un peu dans les tétons et les articulations cachés, et il faut les connaître..."

 

Ce recueil, que le philosophe Ernst Bloch appellera un "bazar philosophique", Benjamin le destinait d'abord à ses amis; mais après un séjour à Paris où il fait la connaissance d'Aragon qui vient alors de publier "Le Paysan de Paris" (1926), et face à la crise qui ébranle la République de Weimar. Benjamin donne une ampleur plus sérieuse et plus incisive à ces textes : S'y dévoile une vision pessimiste de l'histoire comme catastrophe. 

Il ne s`agit pas pourtant de prédire quoi que ce soit puisque "convaincre est infécond", pas plus qu'il ne faut développer comme par le passé d'imposants traités scientifiques délivrant un sens objectif de l'évolution culturelle. La pensée doit plutôt mimer les nouveaux médias de communication et en utiliser la force d'impact.

En la subvertissant, l'histoire apparaît alors comme une sorte de déchéance continue à partir de ce qui aurait pu être une vrai vie, se précipitant au hasard et aveuglément vers un avenir dont rien n`est assuré. Le seul spectacle qui nous est offert, c'est le champ de ruines du passé. (Trad. Maurice Nadeau, Les Lettres nouvelles, 1988).


"Ursprung des deutschen Trauerspiels" (Origine du drame baroque allemand, 1928)

Seconde thèse de Walter Benjamin, rédigée en 1924-1925, destinée à être soutenu comme "thèse d'habilitation" afin d`obtenir une chaire d'enseignement à l'université : elle ne sera finalement publié qu'en janvier 1928. sans que Benjamin ait jamais été invité à enseigner. On trouve le texte original dans le premier volume des œuvres complètes publiées à Francfort-sur-le-Main, depuis 1972. Cette œuvre très singulière est une tentative pour transformer la critique littéraire et l'étude historique d'un genre : presque l'essentiel du travail de Benjamin a été de rassembler les matériaux de cette critique, c`est-à-dire de mettre en rapport des textes qui sans son propre regard n`eussent jamais été confronté. On lui reprocha d'ailleurs souvent de n`avoir fait que rassembler des citations. 

Son étude part de l`exístence d`un corpus, les drames du baroque allemand, pour montrer qu'au sein d`une forme littéraire particulière se joue et se récapitule toute la conception esthétique de la tradition ainsi que peut se déchiffrer le réseau des conceptions politiques, philosophiques et juridiques, essentiellement à travers une forme, l'allégorie, à laquelle la moitié de son étude est consacrée. 

A la différence du symbole qui est le signe d`un concept universel et dont la signification est toute dans le renvoi à ce sens, l`allégorie est l`idée elle-même, incarnée et sensible ...

"Alors que dans le symbole, par la sublimité de la chute, le visage transfiguré de la nature se révèle fugitivement dans la lumière du salut. en revanche, dans l'allégorie, c'est la “facies hippocratica” de l`histoire qui s`offre au regard du spectateur comme un paysage primitif pétrifié. L'histoire, dans ce qu'elle a toujours eu d`intempestif, de douloureux, d'imparfaít, s'inscrit dans un visage - non : dans une tête de mort [...] l`énigme qui s'exprime dans cette figure [...] ce n`est pas simplement la nature de l`existence humaine, mais l'historicité de la biographie individuelle. C`est la le noyau de la vision allégorique, de l'exposition baroque de l'histoire comme histoire des souffrances du monde". 

Dégager la notion d'allégorie n`est pas seulement le but auquel parvient l`étude : Benjamin retourne en effet l'usage de la notion en l'appliquant à l'interprétation de toute la tradition ainsi qu'à la lecture des contenus culturels. Ce texte livre également la clef de la conception de l'histoire qui prévaudra dans les essais esthétiques et les dernières œuvres, notamment les "Thèses sur le concept d'histoire" (Trad. Flammarion. 1985).


L'Œuvre d'art à l'époque de sa reproductibilité technique

(Kunstwerk im Zeitalter seiner technischen Reproduzierbarkeit, 1935–1939)
Walter Benjamin explique qu’avec le développement des nouvelles formes d’art comme la photographie ou le cinéma, l’art peut être reproduit à l’infini et perd ainsi son caractère sacré. En revanche, l’art devient plus accessible et s’ouvre à tous. Par ces progrès techniques, l’art devient la propriété des masses et donne au spectateur une nouvelle responsabilité, celle de juger à titre individuel de l’authenticité d’une œuvre : «"Au temps d’Homère, l’Humanité s’offrait en spectacle aux dieux de l’Olympe ; c’est à elle-même aujourd’hui , qu’elle s’offre en spectacle (…). Voilà l’esthétisation de la politique que pratique le fascisme. Le communisme y répond par la politisation de l’art ". D'autre part, l'oeuvre d’art s'est construite jadis au service d’un rituel, magique puis religieux, ce rituel s'est aujourd'hui sécularisé, à travers le culte voué à la beauté. La modernité met ainsi en place une véritable "théologie de l’art" qui se déclinera sous la formule de "l’art pour l’art".

"Il est du principe de l'oeuvre d'art d'avoir toujours été reproductible. Ce que des hommes avaient fait, d'autres pouvaient toujours le refaire. Ainsi, la réplique fut pratiquée par les maîtres pour la diffusion de leurs oeuvres, la copie par les élèves dans l'exercice du métier, enfin le faux par des tiers avides de gain. Par rapport à ces procédés, la reproduction mécanisée de l'oeuvre d'art représente quelque chose de nouveau ; technique qui s'élabore de manière intermittente à travers l'histoire, par poussées à de longs intervalles, mais avec une intensité croissante. Avec la gravure sur bois, le dessin fut pour la première fois mécaniquement reproductible il le fut longtemps avant que l'écriture ne le devînt par l'imprimerie. Les formidables changements que l'imprimerie, reproduction mécanisée de l'écriture, a provoqué dans la littérature, sont suffisamment connus. Mais ces procédés ne représentent qu'une étape particulière, d'une portée sans doute considérable, du processus que nous analysons ici sur le plan de l'histoire universelle. La gravure sur bois du Moyen-Age, est suivie de l'estampe et de l'eau-forte, puis, au début du XIXe siècle, de la lithographie.... Mais la lithographie en était encore à ses débuts, quand elle se vit dépassée, quelques dizaines d'années après son invention, par celle de la photographie. Pour la première fois dans les procédés reproductifs de l'image, la main se trouvait libérée des obligations artistiques les plus importantes, qui désormais incombaient à l'oeil seul. Et comme l'oeil perçoit plus rapidement que ne peut dessiner la main, le procédé de la reproduction de l'image se trouva accéléré à tel point qu'il put aller de pair avec la parole. De même que la lithographie contenait virtuellement le journal illustré ainsi la photographie, le film sonore. La reproduction mécanisée du son fut amorcée à la fin du siècle dernier...
(....) A la reproduction même la plus perfectionnée d'une oeuvre d'art, un facteur fait toujours défaut : son hic et nunc, son existence unique au lieu où elle se trouve. Sur cette existence unique, exclusivement, s'exerçait son histoire. Nous entendons par là autant les altérations qu'elle peut subir dans sa structure physique, que les conditions toujours changeantes de propriété par lesquelles elle a pu passer. La trace des premières ne saurait être relevée que par des analyses chimiques qu'il est impossible d'opérer sur la reproduction; les secondes sont l'objet d'une tradition dont la reconstitution doit prendre son point de départ au lieu même où se trouve l'original.
Le hic et nunc de l'original forme le contenu de la notion de l'authenticité, et sur cette dernière repose la représentation d'une tradition qui a transmis jusqu'à nos jours cet objet comme étant resté identique à lui-même. Les composantes de l'authenticité se refusent à toute reproduction, non pas seulement à la reproduction mécanisée. L'original, en regard de la reproduction manuelle, dont il faisait aisément apparaître le produit comme faux, conservait toute son autorité; or, cette situation privilégiée change en regard de la reproduction mécanisée.
Le motif en est double. Tout d'abord, la reproduction mécanisée s'affirme avec plus d'indépendance par rapport à l'original que la reproduction manuelle. Elle peut, par exemple en photographie, révéler des aspects de l'original accessibles non à l'oeil nu, mais seulement à l'objectif réglable et libre de choisir son champ et qui, à l'aide de certains procédés tels que l'agrandissement, capte des images qui échappent à l'optique naturelle. En second lieu, la reproduction mécanisée assure à l'original l'ubiquité dont il est naturellement privé. Avant tout, elle lui permet de venir s'offrir à la perception soit sous forme de photographie, soit sous forme de disque. La cathédrale quitte son emplacement pour entrer dans le studio d'un amateur ; le choeur exécuté en plein air ou dans une salle d'audition, retentit dans une chambre..."
".. À de grands intervalles dans l'histoire, se transforme en même temps que leur mode d'existence le mode de perception des sociétés humaines. La façon dont le mode de perception s'élabore (le médium dans lequel elle s'accomplit) n'est pas seulement déterminée par la nature humaine, mais par les circonstances historiques. L'époque de l'invasion des Barbares, durant laquelle naquirent l'industrie artistique du Bas-Empire et la Genèse de Vienne, ne connaissait pas seulement un art autre que celui de l'Antiquité, mais aussi une perception autre. Les savants de l'École viennoise, Riegl et Wickhoff, qui réhabilitèrent cet art longtemps déconsidéré sous l'influence des théories classicistes, ont les premiers eu l'idée d'en tirer des conclusions quant au mode de perception particulier à l'époque où cet art était en honneur. Quelle qu'ait été la portée de leur pénétration, elle se trouvait limitée par le fait que ces savants se contentaient de relever les caractéristiques formelles de ce mode de perception. Ils n'ont pas essayé - et peut-être ne pouvaient espérer - de montrer les bouleversements sociaux que révélaient les métamorphoses de la perception...
Qu'est-ce en somme que l'aura ? Une singulière trame de temps et d'espace : apparition unique d'un lointain, si proche soit-il. L'homme qui, un après-midi d'été, s'abandonne à suivre du regard le profil d'un horizon de montagnes ou la ligne d'une branche qui jette sur lui son ombre - cet homme respire l'aura de ces montagnes, de cette branche. Cette expérience nous permettra de comprendre la détermination sociale de l'actuelle déchéance de l'aura. Cette déchéance est due à deux circonstances, en rapport toutes deux avec la prise de conscience accentuée des masses et l'intensité croissante de leurs mouvements. Car : la masse revendique que le monde lui soit rendu plus accessible avec autant de passion qu'elle prétend à déprécier l'unicité de tout phénomène en accueillant sa reproduction multiple. De jour en jour, le besoin s'affirme plus irrésistible de prendre possession immédiate de l'objet dans l'image, bien plus, dans sa reproduction. Aussi, telle que les journaux illustrés et les actualités filmées la tiennent à disposition se distingue-t-elle immanquablement de l'image d'art. Dans cette dernière, l'unicité et la durée sont aussi étroitement confondues que la fugacité et la reproductibilité dans le cliché..."

 

C'est donc dans "L'OEuvre d`art à l`époque de sa reproduction mécanisée" (1936) que Benjamin applique au domaine de l`art son intuition d`un désenchantement du monde, corollaire inévitable de la sécularisation et du développement des échanges économiques : les techniques modernes de reproduction des œuvres en détruisent l` "aura", c`est-à-dire le caractère quasi magique et sacré en vertu duquel les œuvres traditionnelles renvoyaient toujours à un "lointain", quelle qu'en ait été la nature, et le domaine où pouvaient être mises en forme des expériences d`ordre mythique ou religieux.

La modernité va mettre un terme à la réception contemplative des œuvres au profit d'une réception collective fondée sur le divertissement rythmé par une succession de chocs, de telle sorte que la forme d`art la plus moderne, et en même temps la moins apte à produire de vraies œuvres, est... le cinéma. 

On sait que cette thèse sera immédiatement contestée au sein même de l`lnstitut de recherches sociales, organe de l'école de Francfort dont Benjamin faisait partie...


"Schriften, Illuminationen, Angelus novus" (Essais, 1972)

Recueil d'articles de Walter Benjamin : il a existé plusieurs regroupements partiels de ses articles les plus importants avant que ne soient publiées ses œuvres complètes chez Suhrkamp, à Francfort-sur-le Main (depuis 1972). C`est désormais dans cette édition qu'on trouvera tous les textes traduits en français dans les deux volumes (I- "Mythe et violence", II - "Poésie et révolution"). Parmi ces textes, deux sont souvent évoqués tout d'abord en raison de leur importance dans la première réception de l`auteur : il s'agit de la célèbre prise de position en esthétique intitulée "L'OEuvre d`art à l`époque de sa reproduction mécanisée" (1936) et des "Thèses sur le concept d`histoire" (1940), dernier texte de Benjamin dans lequel il expose sous forme lapidaire une conception vraiment originale du matérialisme historique. Les "Thèses sur la philosophie de l'histoire" constituent une sorte de condensé de la méthode suivie par Benjamin tout au long de son travail sur les passages parisiens  (Paris, capitale du XIXe siècle). On y trouve un singulier mélange entre le matérialisme historique et le messianisme juif, l`un et l`autre très profondément réinterprétés par celui à qui ces thèses ont valu, un temps, le surnom de "rabbin marxiste". Benjamin refuse l'historiographie écrite toujours "du côté des vainqueurs", en même temps qu`il rejette l'idée d`un progrès linéaire et nécessairement logique, optimiste, de l'histoire. Il oppose une conception de la rédemption conçue comme l'immobilisation dans un "à-présent" de l”évolution historique identifiée à une catastrophe : "L'histoire est l'objet d'une construction dont le lieu n'est pas le temps homogène et vide, mais forme celui qui est plein d`à-présent".  Surtout : "La poupée automate appelée matérialisme historique gagnera toujours. Elle peut défier qui que ce soit si elle prend à son service la théologie, aujourd`hui, on le sait, petite et laide, et qui, au demeurant, n'ose plus se montrer". 

D`autres articles concernent également les questions de sociologie de la culture, "Problème de sociologie du langage", "La Vie des étudiants", "Pour une critique de la violence", "Fragment théologico-politique" ...

Mais Benjamin a surtout été un infatigable lecteur. Rédacteur de comptes rendus pour les journaux allemands, il a fait connaître outre-Rhin la vie littéraire française de l'entre-deux-guerres : "Conversation avec André Gide", "André Gide et ses nouveaux adversaires", "Le Surréalisme", "Pour le portrait de Proust", "Paul  Valéry". Traducteur de Baudelaire, de Proust et de Saint-John Perse notamment, Benjamin a tenté de justifier non pas sa manière de traduire mais ce que devait être "La Tâche du traducteur" dans un texte toujours commenté par les partisans d'un littéralisme assez radical pour installer des formes étrangères dans la langue où l'on traduit. 

Ce sont l`esthéticien et le critique qui s'expriment à travers les articles les plus fondamentaux que sont "Deux poèmes de Friedrich Hölderlin" et "Franz Kafka", où Benjamin recherche quels contenus théologiques restent sous-jacents aux développements littéraires. "Les Affinités électives de Goethe" qui sont un modèle de connexion entre roman et transformation d'une forme juridique comme le mariage. "Petite histoire de la photographie" montre comment cette pratique nouvelle s`est inspirée de la peinture, mais surtout de la transformation de l'identité individuelle à partir de la fin du XVIIIe siècle. "Haschich à Marseille" mêle l'expérimentation de la perception et le thème urbain. "Le Narrateur", "Sur le pouvoir d`imitation", "Brèves ombres" reprennent la veine de "Sens unique" (Trad. Denoël, 1972).


"Das Passagen Werk" (Paris, capitale du XIXe siècle, Le livre des passages, 1927-1940) 

La grande œuvre inachevée de Walter Benjamin, éditée pour la première fois dans les oeuvres complètes en 1982, et à laquelle il a travaillé de 1927 à 1940. Il s'agit d'une collection de fragments regroupés thématiquement et traitant à la fois d`histoire, de sociologie de la culture, de critique littéraire et de philosophie en prenant le Paris du second Empire et ses passages comme point de départ et comme objet d`étude...

 

"L'OBJET de ce livre est une illusion exprimée par Schopenhauer, dans cette formule que pour saisir l'essence de l'histoire il suffit de comparer Hérodote et la presse du matin. C'est là l'expression de la sensation de vertige caractéristique pour la conception que le siècle dernier se faisait de l'histoire. Elle correspond à un point de vue qui compose le cours du monde d'une série illimitée de faits figés sous forme de choses. Le résidu caractéristique de cette conception est ce qu'on a appelé “l'Histoire de la Civilisation”, qui fait l'inventaire des formes de vie et des créations de l'humanité point par point. Les richesses qui se trouvent ainsi collectionnées dans l'aerarium de la civilisation apparaissent désormais comme identifiées pour toujours. Cette conception fait bon marché du fait qu'elles doivent non seulement leur existence mais encore leur transmission à un effort constant de la société, un effort par où ces richesses se trouvent par surcroît étrangement altérées. Notre enquête se propose de montrer comment par suite de cette représentation chosiste de la civilisation, les formes de vie nouvelle et les nouvelles créations à base économique et technique que nous devons au siècle dernier entrent dans l'univers d'une fantasmagorie. Ces créations subissent cette “illumination” non pas seulement de manière théorique, par une transposition idéologique, mais bien dans l'immédiateté de la présence sensible. Elles se manifestent en tant que fantasmagories.

Ainsi se présentent les “passages”, première mise en œuvre de la construction en fer ; ainsi se présentent les expositions universelles, dont l'accouplement avec les industries de plaisance est significatif ; dans le même ordre de phénomènes, l'expérience du flâneur, qui s'abandonne aux fantasmagories du marché. À ces fantasmagories du marché, où les hommes n'apparaissent que sous des aspects typiques, correspondent celles de l'intérieur, qui se trouvent constituées par le penchant impérieux de l'homme à laisser dans les pièces qu'il habite l'empreinte de son existence individuelle privée. Quant à la fantasmagorie de la civilisation elle-même, elle a trouvé son champion dans Haussmann, et son expression manifeste dans ses transformations de Paris. – Cet éclat cependant et cette splendeur dont s'entoure ainsi la société productrice de marchandises, et le sentiment illusoire de sa sécurité ne sont pas à l'abri des menaces ; l'écroulement du Second Empire et la Commune de Paris le lui remettent en mémoire. À la même époque, l'adversaire le plus redouté de cette société, Blanqui, lui a révélé dans son dernier écrit les traits effrayants de cette fantasmagorie. L'humanité y fait figure de damnée. Tout ce qu'elle pourra espérer de neuf se dévoilera n'être qu'une réalité depuis toujours présente ; et ce nouveau sera aussi peu capable de lui fournir une solution libératrice qu'une mode nouvelle l'est de renouveler la société. La spéculation cosmique de Blanqui comporte cet enseignement que l'humanité sera en proie à une angoisse mythique tant que la fantasmagorie y occupera une place."

 

Durant ses nombreux séjours à Paris, et surtout durant son exil forcé à partir de 1933, Benjamin n'a cessé d'accumuler des matériaux en vue de ce livre à venir où il avait l'intention de récapituler tous les intérêts qui ont donné lieu à des articles ponctuels. C'est ainsi qu'on trouve des développements liés à l'application au monde culturel du XIXe siècle en général de la théorie marxiste du caractère fétiche de la marchandise, et d'autres qui sont en rapport direct avec les "Thèses sur le concept d`histoire" (cf. Essais) :  Benjamin y montre que le progrès est plutôt une dynamique sans loi ni sens prédéfini, la poursuite d'un désenchantement du monde lié à la sécularisation permanente des contenus culturels. On trouve aussi certains éclairs proprement messianiques qui permettent à Benjamin d`exposer son étrange théorie de la dialectique immobile corollaire de l'idée de l'instantanéité : sous l'apparence de la nouveauté, "ce qui a existé de tout temps" - la part mythique de l'époque y rejoint l' "étincelle de l'espoir" -, ce sont des "images dialectiques" qu`évoquent ainsi les prostituées, les poupées, les automates, etc. 

Les passages parisiens sont des vitrines de tous ces fétiches fascinants, en même temps qu'ils mobilisent des matériaux architecturaux (le fer, notamment) qui en font des formes annonciatrices de la modernité. Ils sont eux-mêmes une "configuration dialectique" dans la mesure où ils font s'interpénétrer, pour le personnage essentiellement moderne du flâneur, le "dedans" de l'intimité. de l`intériorité subjective, de la sphère privée, et le dehors des boulevards, de la vitrine, de l'objectivité réifiée du monde des marchandises et du circuit des échanges. 

Benjamin met en œuvre une investigation physiognomique et micrologique pour mieux souligner l'impuissance où se trouvent, à l`orée de la modernité, l`historien ou le sociologue à proposer une vision globale de la réalité sociale et culturelle : l'histoire s'est effondrée, et cette catastrophe est la modernité même. Cette lecture micrologique entend scruter tel témoignage de la réalité urbaine, apparemment marginal et indigne de mobiliser une analyse, pour le soumettre à une interprétation qui en fait une lentille grossissante de la modernité. Ce n'est pas simplement la nécessité économique qui pousse à la construction des passages parisiens ni la simple commodité architecturale, mais bien plutôt leur rôle symbolique qui préside à leur apparition : et c`est à partir de cette fonction qu'on peut éclairer le sens de l`expérience de la foule, le développement d'une société industrielle de masse, la perte d' "aura" du poète, l'installation de l`anonymat et de la fugitivité dans les rapports humains, etc. 

Ces thèmes, Benjamin les découvre également traités chez Baudelaire auquel il consacre trois textes parallèles au travail sur les passages : "Le Paris du second Empire chez Baudelaire" (1938), "Zentralpark, fragments sur Baudelaire" (1938-1939) et "Sur quelques thèmes baudelairiens" (1939). 

 

"Le génie de Baudelaire, qui trouve sa nourriture dans la mélancolie, est un génie allégorique. Pour la première fois chez Baudelaire, Paris devient objet de  poésie  lyrique.  Cette  poésie  locale  est  à  l’encontre  de  toute  poésie  de terroir.  Le  regard  que  le  génie  allégorique  plonge  dans  la  ville  trahit  bien plutôt le sentiment d’une profonde aliénation. C’est là le regard d’un flâneur, dont le genre de vie dissimule derrière un mirage bienfaisant la détresse des habitants futurs de nos métropoles. Le flâneur cherche un refuge dans la foule.

La foule est le voile à travers lequel la ville familière se meut pour le flâneur en fantasmagorie.  Cette  fantasmagorie,  où  elle  apparaît  tantôt  comme  un paysage, tantôt comme une chambre, semble avoir inspiré par la suite le décor des  grands  magasins,  qui  mettent  ainsi  la  flânerie  même  au  service  de  leur chiffre  d’affaires.  Quoi  qu’il  en  soit  les  grands  magasins  sont  les  derniers parages de la flânerie.

Dans la personne du flâneur l’intelligence se familiarise avec le marché. Elle s’y rend, croyant y faire un tour ; en fait c’est déjà pour trouver preneur. Dans ce stade mitoyen où elle a encore des mécènes, mais où elle commence déjà à se plier aux exigences du marché, (en l’espèce du feuilleton) elle forme la  bohème.  A  l’indétermination  de  sa  position  économique  correspond l’ambiguïté  de  sa  fonction  politique.  Celle-ci  se  manifeste  très  évidemment dans les figures de conspirateurs professionnels, qui se recrutent dans la bohème. Blanqui est le représentant le plus remarquable de cette catégorie. Nul n’a eu au XIXe siècle une autorité révolutionnaire comparable à la sienne. L’image de Blanqui passe comme un éclair dans les Litanies  de  Satan.  Ce qui n’empêche  que  la  rébellion  de  Baudelaire  ait  toujours  gardé  le  caractère  de l’homme asocial : elle est sans issue. La seule communauté sexuelle dans sa vie, il l’a réalisée avec une prostituée.."

 

Du point de vue de la conception esthétique, cette méthode de la critique benjaminienne exploite à la fois les ressources du déterminisme "marxiste" ou matérialiste, et retourne entièrement le sens de la détermination en insistant sur le fait que l`œuvre d`art (ou, dans une moindre mesure, l`objet manufacturé) n'est pas résultat passif d`un processus dont elle serait le reflet inerte, mais qu'elle est activement dispensatrice de sens, qu`elle oriente et modifie la sensibilité, qu`elle peut accélérer tel ou tel mouvement au sein de la société. 

Le collectionneur que fut toute sa vie Benjamin se révèle une dernière fois dans cet ouvrage à travers la liste quasi surréaliste des objets qu'il traite comme s'il était tenancier d'un bien singulier "bazar" : les catacombes, Nietzsche et Blanqui. l'éternel retour, la lithographie, le vieux Paris, les types d`éclairage. la photographie. la théorie du progrès, la prostitution, Daumíer, la Bourse, la publicité, Grandville, l'histoire des sectes. 

Fidèle à sa volonté de lecture immanente et mimétique, Benjamin donne à son ouvrage la forme même de l`objet traité : les vitrines fascinantes des passages et le caractère hétéroclite des objets qu'elles présentent. (Trad. Le Cerf. 1989).


Écrits français
"Le dossier ici réuni rapproche des textes aux sujets variés, certains devenus classiques, comme L'œuvre d'art à l'époque de sa reproduction mécanisée, d'autres plus rares ou pratiquement inconnus du public français : le premier exposé de ce qui devait devenir Paris, capitale du XIXe siècle, une étude sur les «Tableaux parisiens» de Baudelaire, telles autres sur Les Allemands de quatre-vingt-neuf, ou sur l'épopée et le roman.
Tous appartiennent à la dernière période de la vie de Walter Benjamin, en exil en France de 1933 jusqu'à son suicide en 1940, quand il ne put obtenir de visa pour passer en Espagne. Il s'agit tantôt d'écrits qu'il rédigea directement en français comme les cinq fragments d'Enfance berlinoise ; tantôt des traductions auxquelles il a directement collaboré.
Ces treize essais ont été choisis par les éditeurs à partir de la grande édition allemande des Œuvres complètes, de façon à présenter, à travers un parcours chronologique, une image aussi précise que possible de la relation riche et complexe que Walter Benjamin entretient avec la langue et la littérature françaises, de Baudelaire à Proust, de Paul Valéry aux surréalistes. "  (Gallimard)