Paul Cézanne (1839-1906), "Une moderne Olympia" (1873), "La Montagne Sainte-Victoire" (1885-1887), "Madame Cézanne dans un fauteuil jaune" (1890-1894), "Les Joueurs de cartes" (1890-1892) - ....

Last Update: 11/11/2016


Paul Cézanne (1839-1906)

Cézanne élabore une nouvelle vision des formes, géométrique, colorée, précubiste. "L'aboutissement de l'art, c'est la figure" et l'intérêt du public pour Cézanne s'est d'abord porté sur ses natures mortes et ses paysages (la montagne Sainte-Victoire, qu'il rendit célèbre) et il n'a atteint que très progressivement les figures, qui, pour lui, sont fondamentalement des méditations plastiques : les premiers portraits maçonnent les traits de "l'Oncle Dominique" (1866), transforment "Le Nègre Scipion" (1867) en symbole de la souffrance, sa femme, Hortense, posera pendant des années pour des oeuvres à travers lesquelles s'élabore une conception de la forme de plus en plus soumises aux "désirs" de géométrie. Et c'est avec les différentes versions du "Garçon au gilet rouge" et des "Joueurs de cartes", entre 1890 et 1895, qu'il atteint enfin ce qu'il recherchait tant. Son idéal ultime demeure ensuite l'intégration du nu au paysage et il peinera jusqu'à la fin de sa vie sur sa grande composition de Baigneuse et son désir de monumentalité...

 

Mais durant toute sa vie, Paul Cézanne ne connut que le discrédit de son oeuvre et Émile Zola compte parmi les seuls à l'avoir encouragé. Dès les années 1860, la tension est extrême avec les peintres réalistes, à la tête desquels se trouvent Gustave Courbet et l'Académie des beaux-arts, une période qui voit le peintre développer un style violent et sombre. À partir de 1874, Cézanne se consacre presque exclusivement à des paysages, des natures mortes, puis des portraits, il participe à la première exposition des impressionnistes, mais refuse de participer à la seconde en 1876, et il faudra attendre 1895 que le marchand d'art Ambroise Vollard organise sa première exposition personnelle, plus de cent toiles que le public ignorera, que les collectionneurs et la bourgeoisie ignorera, seuls les peintres y seront sensibles, tant il cherche comment suggérer la densité physique des objets par le biais de la construction des formes et des volumes et abandonne au passage la méthode classique de mise en volume par le modèle des ombres et des lumières ...


Paul Cézanne est à Paris en 1861 et compose des oeuvres sombres. En 1873, il est à Auvers-sur-Oise, avec Hortense Fiquet, la compagne dont il vient d'avoir un fils. Il aborde sa période "impressionniste", conseillé par Pissarro, il éclaircit sa palette, peint sur le motif les masses de verdure, les structures cubiques des maisonnées, mais ses portraits restent étrangers à l'impressionnisme.

1865-1867 - Uncle Dominique - Metropolitan Museum of Art - New York,  1866 - Louis-Auguste Cezanne, Father of the Artist, Reading 'l'Evenement' - National Gallery of Art - Washington DC , 1867 - The Negro Scipio - Museu de Arte Moderna de São Paulo  (Brazil), 1873 - A Modern Olympia - Musée d'Orsay  (France - Paris), 1873 - The House of Dr. Gached in Auvers - Musée d'Orsay  (France - Paris), 1878-1879 - 1873 - House of the Hanged Man, Auvers-sur-Oise -  Musée d'Orsay  (France - Paris), The Sea at L'Estaque - Musée National Picasso (France - Paris), circa 1870-1872 - Man in a Straw Hat - Metropolitan Museum of Art - New York,  circa 1875 - Self Portrait with a Rose Background - Orsay, Paris, circa 1875-1877 - Dish of Apples - Metropolitan Museum of Art - New York, circa 1878-1879 - Apples - Metropolitan Museum of Art - New York...

En 1884, Cézanne rend visite à Zola, Monet et Renoir à l'Estaque, mais s'écarte de l'impressionnisme. Débute sa période dite "constructive", la structure quasi géométrique fait émerger l'essentiel , la couleur devient autonome et la forme, de plus en plus simple, la sert. Dans la seconde moitié des années 1880, les paysages dont la première série des Sainte-Victoire, les baigneurs et quelques portraits affirment une grandeur nouvelle. Sa réflexion s'applique désormais au volume et à l'espace, les détails deviennent insignifiants. A partir de 1886, la mort de son père lui laisse une fortune confortable et il s'isole. C'est à partir de 1888-1890 qu'il produit ses toiles les plus capitales.

 

"Les paysages d’Auvers se caractérisent par l’indifférence au motif. Ce ne sont plus les ciels d’orage, les arbres tordus, les montagnes aux découpures curieuses des paysages proven­çaux de l’époque sombre, mais l’image fidèle de ce qui se présente à nos yeux à chaque instant : une route de vil­lage, une simple maison au tournant de la route, un portail entouré d’arbres, une cour de ferme. Le site n’intéresse plus en raison de sa curiosité, de Son pittoresque, mais seule­ment parce qu’il suggère une infinie variété de jeux lumi­neux, parce qu’il propose à chaque heure du jour de nou­veaux problèmes d’accords de couleurs. Ce n’est pas une toile, mais dix toiles qu’il faudrait peindre sur un même motif, et Monet le savait bien qui ne se lassait pas de repeindre indéfiniment les mêmes meules de foin, les mêmes cathédrales, les mêmes étangs couverts de nénuphars. Le même point de vue, mais jamais le même tableau, car l’harmonie colorée se détruit et se recompose sans cesse tandis que le soleil propose d’incessantes combinaisons lumi­neuses.

 

Les premiers temps de son séjour à Auvers, la vision de Cézanne quoique libérée de tout élément intellectualiste, quoique plus simple, plus « humble » devant la nature reste plus synthétique qu’analytique. Elle deviendra rapide, subtile, mais Cézanne ne sera jamais, même en 1874-1878,  époque de ses plus beaux paysages d’Ile-de-France, un véritable Impressionniste comme Pissarro, comme Sisley, ou comme Monet. Et cela, d’abord pour une raison tech­nique : Cézanne peint lentement, avec d’infinies hésitations, appliquant prudemment ses touches les unes à côté des autres, réfléchissant, comparant, reprenant. Or la précarité des harmonies colorées, si fugitives qu’un instant suffit pour désaccorder leurs fragiles combinaisons, exige une exécu­tion rapide. L’accord lumineux doit être fixé avant qu’un caprice du soleil ne l’ait détruit. C’est ce à quoi Cézanne parvenait difficilement, en raison de ses perpétuels scru­pules. Le coup de pinceau de Pissarro, rapide, varié, expri­mait facilement la fragilité mouvante des jeux de couleurs. La toile se trouve pour ainsi dire aérée par la mobilité vibrante de la touche, elle acquiert une légèreté qui convient parfaitement à la suggestion d’une harmonie toute fugitive. Cézanne au contraire, bien qu’il eût renoncé à se servir du couteau et à étaler sa pâte par larges aplats, continuait à sabrer ses tableaux de gros coups de pinceau qui fixaient fortement les assises de sa composition. Celle-ci se trouvait alors comme ligotée de liens inflexibles à travers lesquels les caprices de la lumière jouaient plus malaisément. Cézanne adopte à cette époque une pâte très sèche, usant de très peu d’huile, afin d’obtenir une matière craquante et poreuse dont la matité retienne la lumière et se prête aux reflets, mais la vibration colorée ne joue qu’en surface. .." (L.Brion-Guerry, Cézanne et l'expression de l'espace, 1966)

 

1879-1880 - The Pont de Maincy - Musée d'Orsay  (France - Paris), 1882-1885 - Mont Sainte-Victoire and the Viaduct of the Arc River Valley - Metropolitan Museum of Art - New York, circa 1885-1890 - Portrait of the Artist's Son, Paul - National Gallery of Art - Washington DC, 1883-1887 - The Blue Vase - Musée d'Orsay  (France - Paris), 1885-1886 - Gardanne - The Barnes Foundation  (Philadelphia, Pennsylvania), circa 1883 - Houses in Provence - the Riaux Valley near L'Estaque - National Gallery of Art - Washington DC ...

Ses oeuvres de maturité confirment la solidité de ses compositions et l'imposante présence de personnages, volontaires, graves et silencieux, que Cézanne observe plus qu'il ne les peint. La touche structurée et la grandeur de la composition de "La Montagne Sainte-Victoire" sont éloignées de l'esthétique impressionniste. Dans sa démarche, il n'entend pas "figurer" mais composer, construire dans une structure solide un "beau motif".

1888-1890 - Boy in a Red Vest - Sammlung E.G.Bührle  (Zurich), 1888-1890 - Madame Cezanne in a Yellow Chair - Metropolitan Museum of Art - New York, 1888-1890 - Portrait of Madame Cezanne - Museum of Fine Arts - Houston, 1888-1890 - The Kitchen Table - Musée d'Orsay  (France - Paris), 1893-1896 - Cardplayers - Musée d'Orsay  (France - Paris), 1899 - Portrait of Ambroise Vollard - Musée du Petit Palais (Paris)  (France - Paris), 1890-1894 - Woman with a Coffeepot - Musée d'Orsay  (France - Paris), 1897-1898 - Mont Sainte-Victoire - The State Hermitage Museum - St Petersburg ...

"Cézanne se servait, pour peindre, de pinceaux très souples, rappelant la martre et le putois. Il les lavait après chaque touche dans un pincelier rempli d’essence de térébenthine. Quel que fût le nombre de ses pinceaux, il les utilisait tous pendant la séance, et lui-même se salissait à ce point qu’il arriva à des gendarmes d’Aix de lui demander ses papiers, un jour qu’il revenait « du motif ».Cézanne protestait qu’il était du pays; eux affirmaient ne point le connaître. « Eh! je le regrette », dit alors le peintre, avec un tel accent que les gendarmes ne doutèrent plus. Celui-là était vraiment d’Aix!

On s’explique, par la façon de travailler de Cézanne, la solidité de sa peinture. Ne peignant pas en pleine pâte, mais mettant les unes sur les autres des couches de couleur aussi minces que des touches d’aquarelle, la couleur séchait instantanément : il n’y avait pas à craindre ce travail intérieur, dans la pâte, qui produit les craquelures quand on peint sur une couche qui n'est pas tout à fait sèche. J'ai déjà dit que Cézanne n’aimait pas qu’on le regardât peindre. A ce propos, Renoir, qui, durant un séjour au Jas de Bouffan, accompagnait Cézanne « au motif », me raconta jusqu’où allaient les susceptibilités du peintre. Une vieille femme avait l’habitude de s'installer avec son tricot à quelques pas de là. Ce voisinage seul mettait Cézanne dans une exaspération folle. Aussitôt qu’il l’apercevait, — et, avec ses yeux vifs et per­çants, il la découvrait de très loin, — il s’écriait : « La vieille vache qui vient! » et, malgré tous les efforts de Renoir pour le retenir, il pliait rageusement son bagage et filait. On peut penser quelle était sa colère s’il était surpris le pinceau à la main. Un jour qu’il travaillait dans la campagne avec un jeune peintre, M. Le Bail, qu’il avait installé devant lui pour que son compagnon ne le vît pas peindre, un passant qui s’était approché à pas de loup dit à haute voix : « J'aime mieux ce que fait le jeune!» Cézanne abandonna aussitôt la place, furieux qu’on l’eût regardé peindre, et agacé probablement aussi de la réflexion du quidam.

Si, pendant la séance, Cézanne ne me permettait pas de dire un seul mot, il parlait volontiers durant que je m’apprêtais à po­ser, et pendant les trop courts instants de repos qu’il me per­mettait. Un matin, comme j’arrivais, je le trouvai riant aux éclats. Il avait découvert dans le Pèlerin que l'on offrait au public des actions de la Sosnowice, qu’il prononçait Sauce novice. « Ces gens- là feront faillite, me dit-il; le public n’est pas assez bête pour acheter quelque chose qui porte un nom comme celui-là! » Quel­que temps après, je trouvai Cézanne rêveur : les actions avaient monté. « Voyez-vous, monsieur Vollard, ils ont trouvé des gens faibles. C’est effrayant, la vie! » Puis, avec l’indifférence et cette sorte de plaisir que l’on éprouve à voir les « otres » bien attrapés quand on est soi-même à l’abri, il ajoutait : « Moi qui ne suis pas pratique dans la vie, je m’appuie sur ma sœur, qui s’appuie sur son directeur, un jésuite (ces gens-là sont très forts), qui s’ap­puie sur Rome. » Si bien qu’en voyant ce grand peintre accep­ter toutes choses sans aucun examen, des observateurs superficiels se sentaient volontiers la tentation d’user à leur profit d’une telle« naïveté »; mais quand Cézanne s’était ressaisi,— et il se ressaisissait toujours, — il sortait bec et ongles, et, débar­rassé de l’intrigant, il pouvait placer triomphalement sa phrase favorite : « Le bougre, il voulait me mettre le grappin dessus! » Et ce n’était pas pur esprit de mystification quand Cézanne avait l’air de se laisser faire. Ne disait-il pas de lui-même : « Longtemps seulement après qu’un événement s’est produit, ou qu’une idée a été exprimée devant moi, je puis en voir clairement le caractère et la portée. »

On m’avait dit que Cézanne faisait du modèle son esclave : je ne l’ai que trop éprouvé. Dès qu’il avait donné le premier coup de pinceau, et jusqu’à la fin de la séance, il usait du modèle comme d’une simple nature morte. Il aimait beaucoup peindre le por­trait. « L’aboutissement de l’art, disait-il, c’est la figure. » S’il n’en peignit pas davantage, la raison en est dans la difficulté de se procurer des modèles aussi maniables que moi. C’est ainsi qu’après s’être peint et avoir peint de nombreuses fois sa femme et quelques amis complaisants (à l’époque où Zola croyait en Cézanne), il fut amené à peindre de préférence des pommes, et, plus volontiers encore,des fleurs qui, elles, ne pourrissaient pas...." (Ambroise Vollard, En écoutant Cézanne)


Cézanne participe à l'Exposition universelle de 1889, puis expose à Bruxelles en 1890, enfin il accède à la reconnaissance avec la rétrospective de son oeuvre chez Vollard en 1895. Ses dernières toiles vont exalter la forme géométrique et la couleur. Entre 1900 et 1906, il épure encore son style, les fonds deviennent peu lisibles. Dans les paysages sans profondeur, il accentue la simplification géométrique. Les corps eux-même "géométrisés"  vont se fondre dans le paysage. 

1900 - The Large Bathers -  National Gallery - London, 1900-1904 - Le Chateau Noir - National Gallery of Art - Washington DC, 1900-1905 - The Large Bathers -  The Barnes Foundation  (Philadelphia, Pennsylvania), 1902-1906 - Mont Sainte-Victoire - Metropolitan Museum of Art - New York ...