Political Notes - Inequality
Inégalités - Injustice - Zygmunt Bauman (1925-2017) - Joseph Stiglitz (1943) - Daniel Dorling (1968) - Richard Wilkinson (1943) - ...
Last update: 11/11/2019


"The rich are not necessarily especially hard working, well behaved, happy or creative" (les riches ne sont pas nécessairement très travailleurs, bien élevés, heureux ou créatifs). Le bruit courrait, mais on n'osait pas encore y apporter trop de crédit. La pratique du racisme produit l'illusion de la race, celle de l'inégalité produit l'illusion d'une foncière disparité naturelle entre les êtres humains, une inégalité à l'encontre de laquelle nulle pensée ne peut espérer s'élever : l'inégalité ne se pense donc pas, elle se vit comme une propriété ancestrale de notre nature humaine, et face à elle, nombre de quasi-démocrates, les détenteurs de quelques pouvoirs, mais pas qu'eux, ont imaginé le concept d'égalité : celui-ci ne remet pas en cause le fondement de l'inégalité, puisque, rappelons-nous une fois de plus, celle-ci est un "fait" accepté comme naturel, non contestable et qui permet depuis la nuit des temps d'instaurer et de légitimer toutes les dominations. La vertu du concept d'égalité, extraordinaire création symbolique, permet d'ériger désormais toute structure sociale, ni foncièrement bonne, ni absolument mauvaise, mais qui offre certains avantages à ses membres, compte tenu d'un résidu d'iniquité dont l'importance paraît approximativement constante et qui correspond peut-être à une inertie spécifique. Une inertie qui permet a minima de clore toute discussion, toute volonté critique ou remise en question jugée désormais intempestive et sans fondement. Ni l'égalité ni l'inégalité ne se pensent mais cohabitent sans jamais d'affronter. L'une organisant la structure politico-juridique qui permet de légitimer tout pouvoir sur une scène démocratique désormais en état de stagnation chronique, la seconde nourrissant le consentement des masses indifférentes et jugée ouvertement comme un mal nécessaire par la nouvelle caste apolitique d'une technocratie omniprésente...

La situation n'a guère évolué depuis que le monde est monde et depuis que le libéralisme triomphant s'est imposé en devenant désormais une composante visible et incontournable de nos démocraties : l'agent ruisselle des riches vers les riches, du pouvoir vers les détenteurs du pouvoir, des classes aisées vers les classes les plus aisées, en 2017, 82% des richesses créées dans le monde ont bénéficié au 1% les plus riches, alors que la situation n'évolue toujours pas pour les 50% les plus pauvres. Au-delà de ce constat, qui n'apporte rien de nouveau et ne fait que se confirmer, décennie par décennie, se pose la question fondamentale de savoir pourquoi rien ne semble indiquer la moindre évolution possible, le moindre rééquilibrage des richesses de ce monde. Pour une grande part, l'inégalitarisme a puisé sa force dans les ruines de l'égalitarisme en un temps d'effondrement des totalitarismes communistes, mais le contexte politique et social a désormais changé. Plus d'un demi-siècle  s'est écoulé, des générations nouvelles se sont imposées, loin, très loin des problématiques de guerre froide en fond des luttes idéologiques, capitalisme d'Occident contre socialisme d'Orient. 

C'est qu'aujourd'hui on assume pleinement l'inégalité entre les êtres humains, "possédants" et "possédés", pour accentuer le trait des différences de statut, partagent une même idéologie qui enferme toute possibilité de penser ou de vivre autrement. Les détenteurs du pouvoir et de la richesse revendiquent sans complexe l'inégalité comme un fait social d'évidence, comme moteur de l'évolution, la méritocratie et la fameuse théorie du ruissellement des riches vers les pauvres parachevant une idéologie sans faille. Idéologie parce que construction d'une logique de pensée totalement artificielle et légitimant un statu quo de la domination d'êtres humains sur d'autres humains. En toute légalité, ajoutera-t-on. Oui, en toute légalité, certes, mais la légalité interdit-elle de ne cesser de s'interroger sur une situation qui ne cesse de dégrader l'existence du plus grand nombre? Les fameuses classes moyennes, dont les extrêmes côtoient la richesse et la pauvreté, acquiescent à cette idéologie, et tolèrent, pour ne pas dire acceptent d'évidence, l'inégalité. Ce n'est certes par une nouveauté, toute notre histoire, en fin de compte, est traversée de ce consentement du plus grand nombre, ni assez pauvre, ni trop riche, à la toute puissance des plus aisés, des plus favorisés, par la naissance ou les liens d'appartenance aux catégories "dominantes". La nouveauté, c'est que ce consentement s'est généralisé, s'étend comme une évidence au plus grand nombre, endiguant toute possibilité critique, et aboutissant, par soubresauts, par impossibilité de travailler à sa formulation et à son expression, à de sourdes rancoeurs et violentes exaspérations : le sentiment confus d'un immense malaise qui ne parvient à s'exprimer dans aucune alternative véritablement crédible. Sur ces décombres, nous voyons de plus poindre, sans complexe,  cette idéologie de l'inégalitarisme, cette opposition théorisée du monde des "passifs" au fameux "actifs" triomphants, la politique française est sans doute l'exemple le plus frappant de ce nouvel aveuglement idéologique dans lequel des dirigeants, inexpérimentés et doctrinaires, ont revêtu les habits neufs du pouvoir en pleine crise de la démocratie représentative...

(William Powell Frith (1819–1909), Poverty and Wealth (1888) - The Derby Day, 1856–58, Tate Gallery)

 

Zygmunt Bauman, Les riches font-ils le bonheur de tous?

(2013, Does the Richness of the Few Benefit Us All?)
Zygmunt Bauman, le grand sociologue du XXe siècle et théoricien de nouveau monde "liquide" qui a succédé au monde "solide" du XIXe siècle, se saisit d'une notion qui n'a cessé d'agiter l'histoire de l'humanité, l'inégalité entre les êtres humains, "pour un homme très riche, il faut qu'il y ait au moins cents pauvres", écrivait déjà Adam Smith en 1770. Alors pourquoi remettre en question ce qui a toujours exister et ne cessa jamais d'exister. Si l'on avait tenu le même discours à propos de l'esclavagisme ou du racisme, où en serions-nous de notre humanité. Zygmunt Bauman débute son essai en mesurant l'inégalité aujourd'hui, après bien des discours relatifs à une supposée diminution des inégalités entre les pays et au sein de chacun d'entre eux. "Presque partout dans le monde, les inégalités croissent de façon rapide", les plus riches deviennent très riches, les plus pauvres encore plus pauvre, et les classes moyennes connaissent une érosion continue de leurs acquis économiques ou sociaux. Zygmunt Bauman cite un article de Stanley Lansley pour dénoncer cet "aveuglement moral" qui attribue aux riches le mérite de rendre service à la société en devenant encore plus riches, et encore préfère-t-on, sans doute par une extrême pudeur condescendante, parler non pas de détenteur de richesses que d'hommes doués d'un incroyable talent, d'un charisme confondant, de compétences inappréciables. C'est l'actualisation de l'image bien connue du XIXe des pauvres quémandant quelque aumône aux bourgeois, petits ou gros, sortant de l'église, repus et satisfaits d'être ce qu'ils sont. "D'après l'orthodoxie économique, une bonne dose d'inégalité permettrait des économies plus efficaces et une croissance plus rapide. Plus les profits seraient élevé et plus les impôts seraient réduits au sommet, dit-on, et plus l'esprit d'entreprise se porterait bien et plus le gâteau économique serait gros" (Inequality: the real cause of our economic woes, 2012). En fait, un tel mouvement conduit à l'autodestruction de l'économie, mais plus profondément encore à l'aggravation des pathologies et des tensions sociales. Peut-on véritablement penser que "la différenciation des positions sociales, des capacités, des droits et des récompenses reflète les différentes aptitudes naturelles et les différentes contributions de ses membres au bien-être de la société?"

Mais "Pourquoi, s'interroge Zygmunt Bauman, tolérons-nous l'inégalité?". Si les inégalités sociales persistent dans les pays riches, a souligné Daniel Dorling, "c'est que l'on continue de croire aux principes d'injustice", et que l'on utilise dans notre argumentaire nombre de certitudes qui ne sont que des "croyances" sans véritable fondement:  les individus ont des capacités différentes par nature, toute société qui se veut performante a besoin d'une élite, l'exclusion est justifiée pour garantir la cohérence de notre société...  Nous vivons tous dans un environnement structuré qui nous est propre et  dans lequel l'effort requis pour assumer certains de nos choix sont très facilement hors de notre portée. Individuellement, la résignation et le renoncement constituent une seconde nature, et plus globalement encore nos sociétés sont agencées de telle sorte que résister à l'inégalité est quasiment impossible.
Zygmunt Bauman aborde ensuite les "petits mensonges qui en cachent un plus grand", ces évidences remarquablement intégrées dans tous nos raisonnements qui nous encouragent à maintenir le "drame de l'inégalité " : la croissance économique, jadis tant décriée pour ses nuisances intolérables, résout aujourd'hui implicitement tous nos problèmes et participe de la fameuse théorie du "ruissellement". La fameuse "dérégulation" qui nous libère des liens juridiques de l'Etat et de toute entrave si néfaste à notre liberté, permet en fait aux plus aisés de trouver plus facilement leurs terrains de jeux...

"... La "croissance économique" signale l'opulence croissante de quelques-uns, mais une chute rapide en matière d'estime de soi et de position sociale pour la masse toujours plus nombreuse des autres. Loin de réussir l'examen permettant d'accéder au rang de panacée universelle, la croissance économique, comme nous avons appris à la connaître à partir d'une expérience collective de plus en plus critique, semble être la cause principale de la persistance et de l'aggravation de ces problèmes.
Et pourtant... Les revenus, les bonus et les avantages fabuleux accaparés par les "cadres dirigeants" des grandes entreprises continuent trop souvent d'être justifiés par la fameuse "théorie du ruissellement". C'est l'idée que les meilleurs entrepreneurs, à l'instar d'un Steve Jobs ou d'un Richard Branson, vont créer des entreprises qui réussissent. Ils vont créer des emplois, et comme les gens doués de tels talents sont rares, les conseils d'administration de ces grandes entreprises doivent leur verser des salaires mirobolants afin de rendre service à la nation tout entière enfin d'abord et avant tout, à leurs actionnaires...).
Sinon les "créateurs de richesse" emporteront leurs talents ailleurs, au détriment de tous ceux qui auraient pu bénéficier de la bonne performance de l'entreprise (à savoir son profit en termes de royalties). Les Steve Jobs (cofondateur d'Apple) et les Richard Branson (l'homme des Virgin Mégastores) sont en effet très rares. Mais on ne peut pas en dire autant des salaires fabuleux que les individus admis dans le cercle magique des grosses huiles considèrent comme allant de soi, qu'ils mènent les entreprises à la tête desquelles ils ont été nommés à la victoire ou à la catastrophe. Les noms célèbres cités chaque fois qu'est évoquée la théorie du "ruissellement" ne servent qu'à dissimuler le fait que l'élite des super-riches s'est octroyé une police d'assurance implicite et collective, et ce quels que soient ses résultats...
En pratique, cette police d'assurance - au lieu de les y inciter ou même de garantir une hausse de la production de richesse publique - opère une coupure entre leurs droits à la fortune et les bénéfices qu'ils pourraient ou non apporter à ceux dont ils sont censés favoriser la prospérité. Le véritable but de cette police d'assurance est de garantir des privilèges, non de les mettre au service de la société. Elle a pour effet d'épargner à un petit groupe de très hauts salaires l'impact de la catastrophe que leurs activités peuvent causer à tous ceux qu'ils livrent aux caprices du destin...."

L'augmentation perpétuelle de la consommation , en fait "la rotation accélérée des nouveaux objets de consommation" nous ouvre les portes du bonheur. Le but de la technologie est bien de remplacer un horizon humain qui est par essence totalement indifférent à nos volontés par un monde "qui réponde si bien à nos désirs qu'il deviendra une simple extension du moi", désir d'aimer et d'être aimé, narcissisme absolu qui nous reflète en nous embellissant, "quoi qu'il arrive et quoi que nous fassions ou nous abstenions de faire..."

"Le "boom électronique", les profits fabuleux tirés de la vente de gadgets de plus en plus 'friendly" - souples, dociles, toujours obéissants, jamais contraires à la volonté de leur maître - porte toutes les marques d'une nouvelle "terre vierge", fraîchement découverte et mise en exploitation (et qui fournit la recette d'une série inépuisable de nouvelles découvertes). Les marchés de consommation ont une autre conquête à leur actif: un autre domaine de préoccupation, de crainte, de désir et de lutte propre à l'humanité. Jusqu'à présent laissé à l'initiative de tout un chacun, à l'activité familiale et au fait-maison - c'est-à-dire à un marché qui ne fait pas encore de profits -, il est désormais marchandise et commercialisé avec succès. Les activités qui en relèvent, comme celles de tant d'autres centres d'activité et d'intérêt, ont été converties en escapades d'achat et réorientées vers les centres commerciaux. Mais permettez-moi de me répéter: contrairement aux mensonges faits à ce sujet, ce domaine récemment ouvert à l'exploitation des marchés de consommation n'est pas celui de l'amour: c'est celui du narcissisme.
Malgré cela, les mêmes messages nous parviennent jour après jour des écrans et des haut-parleurs, dans une profusion extraordinaire et toujours renouvelée. Parfois ces messages sont lourdement explicites, d'autres fois intelligemment dissimulés. Qu'ils visent nos facultés intellectuelles, nos émotions ou nos désirs inconscients, ils promettent, suggèrent et intiment à chaque fois le bonheur incarné par l'acquisition, la possession et la jouissance de produits marchands. Ils suggèrent aussi des sensations agréables et des moments de joie, de ravissement ou d'extase: un stock de bonheur pour toute la vie, réparti et livré petit à petit en doses quotidiennes, ou d'heure en heure et en petite monnaie.
Le message ne saurait être plus clair : le chemin du bonheur passe par les magasins. La somme totale de l'activité commerciale d'un pays est le premier et le plus fiable indice du bonheur d'une société. La taille de la part de chacun dans ce total est la première et la plus fiable mesure du bonheur personnel. Dans les boutiques se trouve un remède efficace à tout ce qui nous gêne et nous irrite - à toutes les petites et grandes nuisances, à tous les désagréments qui font obstacle à une vie agréable, confortable et toujours gratifiante.
Quoi qu'ils vendent, quoi qu'ils affichent, quoi qu'ils offrent, les magasins sont les pharmacies de tous les maux de la vie, ceux dont nous avons déjà soufferts et ceux dont nous redoutons de souffrir un jour. Le message s'adresse à tous indistinctement : à ceux qui sont au sommet aussi bien qu'à ceux qui sont en bas de la pile. Le message est censé être universel - valable en toute occasion et pour tout être humain. En pratique, cependant, il divise la société en un ensemble de consommateurs à part entière et de bonne foi (avec sa hiérarchie, bien sûr) et un ensemble de consommateurs ratés - ceux qui sont incapables, pour diverses raisons, mais d'abord parce qu'ils n'ont pas les ressources adéquates, de vivre en fonction des normes que le message les incite et les presse de suivre. Or ce message, à force d'insistance et d'affirmation sans fin martelée, devient un commandement obligatoire ne souffrant aucune question ni aucune exception. Le premier groupe est heureux de ses efforts et tend à considérer ses bons résultats en matière de consommation comme une bonne et juste récompense pour son aptitude innée ou durement- acquise à s'attaquer aux complexités de la recherche du bonheur. Le second groupe se sent humilié car on l'a rangé dans la catégorie des êtres inférieurs. Il est tout en bas du classement, menacé ou souffrant déjà de relégation. Il a honte de ses mauvais résultats et de leurs causes vraisemblables: le manque ou l'insuffisance de talent, de travail ou de ténacité. Tous ces défauts sont désormais considérés comme honteux, dégradants et disqualifiants, même s'ils passent (ou parce qu'ils passent) pour des vices évitables et corrigibles. Les victimes de la compétition sont publiquement jugées fautives de l'inégalité sociale qui en résulte. Plus important encore, elles ont tendance à approuver le jugement public et se jugent elles-mêmes fautives - au prix de leur estime de soi et de leur confiance en soi.
À la blessure s'ajoute ainsi l'insulte ; et le sel de la réprobation avive la plaie ouverte de la misère. La condamnation d'une infériorité sociale, que les opprimés sont censés s'être eux-mêmes infligés, ne peut de leur part faire l'objet d'une moindre objection, sans parler d'une rébellion contre l'injustice de l'inégalité - et s'étend à la sympathie et à la commisération de l'oppresseur. Contester l'état des choses et le mode de vie responsable de sa perpétuation n'est plus perçu comme une défense justifiée du respect des droits humains perdus/volés (et pourtant inaliénables), dont les principes devraient être reconnus et recevoir un traitement égal. Cette contestation est même considérée de la manière dont Nietzsche regardait "la compassion active pour tous les ratés et les faibles" : un sentiment "plus nuisible qu'aucun vice" : car "ménager, compatir, là fut toujours le plus grand de mes périls".

Ces croyances publiques imaginaires protègent très efficacement les inégalités produites socialement contre toute tentative sérieuse de réunir dans la société un vaste soutien pour leur faire obstacle et freiner leurs progrès. Mais elles ne peuvent empêcher la montée et l'accumulation de la colère et de la rancœur chez tous ceux qui sont exposés jour après jour au Spectacle des brillants trésors soi-disant offerts à tout consommateur présent et à venir (récompenses synonymes d'une vie de bonheur). Ceux-là font jour après jour l'expérience d'être exclus et rejetés du festin. De temps en temps, cette accumulation de colère explose dans une brève orgie de destruction...."

Autres "petits mensonges", l'inégalité entre les hommes, considérée comme totalement "naturelle", idée  dont l'interprétation a varié tout au long de notre histoire humaine, participant tour à tour à l'acceptation docile de l'ordre établi ou s'opposant au contraire à l'extension de ces mêmes inégalités, argumentaire aujourd'hui obsolète : "les inégalités sociales ont acquis une capacité autonome de propagation et d'intensification". Enfin, 'la rivalité, ou la clef de la justice",  la juste concurrence entre les hommes, la mise en lumière du "méritant", le "mérite" octroyé par un singulier aéropage d'êtres humains, juges obscurs de la compétence, et l'exclusion, la dégradation du non méritant, permettent une bonne gestion de ce qu'on appelle la "reproduction sociale". En fait, les relations humaines ont tout simplement basculé dans une relation sujet-objet, ou, pour nous positionner dans notre monde actuel, celui du marché de la consommation, une relation client-marchandise.
"Au final, le monde, une fois tombé dans ce piège, devient hostile à la confiance, à la solidarité et à la coopération. Il dévalorise et dénigre la dépendance et la loyauté mutuelles, l'aide réciproque, la coopération désintéressée et l'amitié gratuite. Il devient de plus en plus froid, étranger, inhospitalier, comme si nous étions des hôtes malvenus sur la propriété de quelqu'un (mais de qui?), attendant un mandat d'expulsion déjà mis au courrier ou près d'être posté. Nous avons l'impression d'être entourés de rivaux et de concurrents dans le jeu sans fin du désir d'être au-dessus des autres, un jeu où se tenir la main et se passer les menottes, où l'étreinte amicale et l'incarcération, tendent à se confondre. Nier cette transformation en rappelant l'antique adage "homo homini lupus est" (l'homme est un loup pour l'homme) est une insulte faite aux loups"....


Joseph Stiglitz, "The Price of inequality" (2012, Le Prix de l'Inégalité : comment la société divisée d'aujourd'hui met en danger notre avenir)

Un argument de poids contre le cercle vicieux de l'inégalité croissante en Amérique, par l'économiste lauréat du prix Nobel. L'Amérique est actuellement, parmi les pays avancés, celui où les inégalités sont les plus fortes et où l'égalité des chances est la plus faible. Si les forces du marché jouent un rôle dans ce sombre tableau, c'est la politique qui les a façonnées. Dans ce livre à succès, l'économiste Joseph E. Stiglitz, lauréat du prix Nobel, expose les efforts déployés par les riches pour accroître leur richesse de manière à étouffer un capitalisme authentique et dynamique. En cours de route, il examine les effets de l'inégalité sur notre économie, notre démocratie et notre système judiciaire. Stiglitz explique comment l'inégalité affecte et est affectée par chaque aspect de la politique nationale et, avec une perspicacité caractéristique, il propose une vision pour un avenir plus juste et plus prospère, soutenue par un programme concret pour réaliser cette vision...

Economiste et professeur à l'Université Columbia, lauréat du «prix Nobel» d'économie avec George Akerlof et Michael Spence en 2001 dont l'un des axes de recherche s'attache à comprendre comment l'information affecte les décisions économiques, Joseph Stiglitz (1943) tente d'appréhender comment s'auto-entretient cette inégalité qui ronge l'économie en profondeur et accroît les effets négatifs de la disparité des richesses. C'est bien le vaste pouvoir politique des plus riches qui, sous couvert du soit-disant "libre marché" contrôle toutes activités législatives et réglementaires à leur bénéfice. L'histoire du capitalisme a connu vingt ou trente années de prospérité sans précédent auxquelles l'effondrement du crédit de 2007 et la crise sont venus mettre fin. Avant cela, l'inégalité avait été toujours justifiée par l'idée que les personnes placées au sommet, en jouant le rôle de créateurs d'emploi, contribuaient plus que les autres à l'économie. "Nous sommes les 99%", ce slogan marquera sans doute "un grand tournant dans le débat sur l'inégalité aux Etats-Unis. Les Américains ont toujours fui l'analyse de classe : nous aimions penser l'Amérique comme un pays de classe moyenne, et cette conviction contribuait à nous souder. Il ne devait y avoir aucun clivage entre la classe supérieure et la classe inférieure, entre bourgeois et ouvriers. Mais si nous entendions par "société de classes" une société où les chances d'ascension sociale des moins favorisés sont minces, l'Amérique est peut-être devenue une société de classes encore plus typique que la vieille Europe, et nos clivages sont aujourd'hui encore plus nets que les siens". Les fameux 99% de la classe moyenne découvrent qu'ils n'ont plus la moindre chance de pouvoir s'élever tous ensemble, et que la pointe du sommet, le 1%, vit déjà dans un autre monde...

"L'inégalité actuelle aux Etats-Unis et dans beaucoup d'autres pays n'est pas née spontanément  de forces abstraites  du marché. Elle a été modelée  et fortifiée  par la politique. La politique est le champ de bataille où l'on s'affirme sur le partage du gâteau économique national. Cette bataille, c'est le 1% qui l'a gagnée. Ce n'est pas  ce qui aurait dû se passer en démocratie. Dans un système "une personne, une voix", 100% des citoyens devraient compter." Notre système actuel semble-t-il avoir remplacé le principe "une personne, une voix" par la règle "un dollar, une voix"? ...
Notre système économique "ne fonctionne plus pour la grande majorité de la population" : c'est que l'inégalité s'est aggravée, et que "le prix de l'inégalité, c'est la détérioration de l'économie, qui devient moins stable et moins efficace, avec moins de croissance, et la subversion de la démocratie. Mais ce n'est pas tout: puisqu'il est flagrant que notre système économique ne peut rien pour la plupart des citoyens et que notre système politique est sous la coupe des intérêts d'argent, la confiance dans notre démocratie et dans notre économie de marché va s'éroder, et avec elle notre influence mondiale. Et puisque nous comprenons peu à peu que nous ne sommes plus un pays d'égalité des chances, que même notre état de droit et notre système judiciaire, dont nous étions si fiers, ont été altérés, c'est peut-être notre sentiment d'identité nationale qui est menacé..." De nombreux domaines permettent d'illustrer comment les lois, réglementations, et décisions politiques ont agi directement dans le fonctionnement du marché aux Etats-Unis et augmenter en conséquence les inégalités, le crédit prédateur, le droit des faillites, le processus des saisies, mais aussi plus largement le débat budgétaire et la politique monétaire. La puissance de certains particuliers (le 1%) et des entreprises ont réussi à modeler les règles du jeu économique en leur faveur, et tout le système politico-économique bascule dès lors que ces acteurs dits de référence n'assument plus les conséquences de leurs actes. Ceci montre toute l'importance du pouvoir politique, un pouvoir dont les positions et les décisions paraissent parfois totalement légitimées, oeuvrant en surface pour l'intérêt public, mais trop rapidement cédant aux influences des plus puissants ou pire encore à des idéologies d'autant plus néfastes qu'assumées comme des évidences absolues. Josephe E.Stiglitz montre ainsi qu'une autre voie est possible celle d'une économie plus dynamique et d'une société plus équitable et égalitaire : "Le maintien du type de société et d'Etat qui sert toute la population - conformément aux principes de justice, d'équité et d'égalité des chances - n'est pas automatique. Quelqu'un doit s'en charger. Sinon, notre Etats et nos institutions seront capturés par les intérêts particuliers. Au strict minimum, il nous faut des pouvoirs compensateurs..." (Edition Babel, Les Liens qui libèrent, 2012).


"Inequality and the 1%", Danny Dorling (2014)

Since the great recession hit in 2008, the 1% has only grown richer while the rest find life increasingly tough. The gap between the haves and the have-nots has turned into a chasm. Depuis la grande récession de 2008, le 1 % n’a fait que s’enrichir, tandis que les autres trouvent la vie de plus en plus difficile. L’écart entre les nantis et les démunis s’est transformé en gouffre. Alors que les riches ont trouvé de nouvelles façons de protéger leurs richesses, tous les autres ont subi les sanctions de l’austérité. Mais l’inégalité ne se limite pas à l’économie. Être né à l’extérieur du 1 % a un impact dramatique sur le potentiel d’une personne : réduction de son espérance de vie, limitation des perspectives d’éducation et de travail. L’inequality est la plus grande menace à laquelle nous sommes confrontés et nous devons de toute urgence rétablir l’équilibre....

 

Daniel Dorling, "Injustice: Why Social Inequality Persists" (2011)
"No one can be rich unless others are poor?" - Bien des études et des chiffres circulent expliquant que les inégalités diminuent, aides sociales et traitement du chômage aidant, mais le plus souvent, quelques soient les pays occidentaux concernés, le gain espéré se traduit en précarisation, s'éloigner pour un temps de la grande pauvreté et camper à la lisière de la petite richesse. Pour les plus aisés et politiquement satisfaits, cette évolution possible est déjà remarquable et suffit en soi, le moteur de l'inégalité a porté ses fruits. 
"Humans are most atrocious when we live under the weight of great inequalities " -  Daniel Dorling (1968), social geographer à l'université d'Oxford, l'homme qui affirme, chiffres à l'appui que le progrès humain ralentit depuis le début des années 1970 (Slowdown (2020), the end of the great acceleration— and why it’s good for the planet, the economy, and our lives), entend montrer ici que la notion d'inégalité est d'une importance capitale parce que nous sommes des êtres humains nous construisant et nous épanouissant socialement, et qu'a priori être traités comme des égaux plus que que comme des êtres inégaux en termes de capacité mentale ou de sociabilité, par exemple, n'est pas sans conséquences. Nous travaillons mieux, nous nous comportons mieux, nous pensons mieux lorsque nous ne travaillons pas en partant du principe que certains d'entre nous sont bien meilleurs, plus méritants et bien plus capables que d'autres. Ou tout simplement en faisant semblant que tout va dans le meilleur des mondes ("The worst thing you and those around you can do is to pretend that all is fine. This just perpetuates injustice...). 

"Contrairement aux périodes précédentes de l'histoire américaine, presque tous les nouveaux revenus et richesses générés au cours des dernières décennies sont allés aux Américains les plus riches. De 2009 à 2012, les revenus du 1% supérieur ont augmenté de 31,4%, alors que les revenus des 99% inférieurs n'ont augmenté que de 0,4%...
L'inégalité sociale au sein des pays riches persiste en raison d'une croyance continue dans les principes de l'injustice. Quelque chose ne va pas du tout dans le tissu idéologique de la société dans laquelle nous vivons. Tout comme ceux dont les familles possédaient autrefois des plantations d'esclaves auront considéré la possession d'esclaves comme naturelle à l'époque de l'esclavage, et tout comme le fait de ne pas permettre aux femmes de voter a été présenté autrefois comme "la voie de la nature", les grandes injustices de notre époque font pour beaucoup, tout simplement, partie du paysage de la normalité...."

"ln contrast to previous periods in American history, nearly all of the new income and wealth generated over the last decades has gone to the richest Americans. From 2009 to 2012, the incomes of the  top 1% grew by 31.4%, whereas the incomes of the bottom 99% grew only by 0.4%...
Social inequality within rich countries persists because of a continued belief in the tenets of injustice. Something is deeply wrong with much of the ideological fabric of the society we live in. Just as those whose families once owned slave plantations will have seen slave ownership as natural in a time of slavery, and just as not allowing women to vote was once portrayed as "nature's way", so, too, the great injustices of our times are for many, simply part of the landscape of normality..."


L'inégalité croissante s'organise autour de quelques notions jugées "naturelles", évidentes, non discutables, voire marquées  du sceau du sens commun, l'élitisme ("Elistims is efficient"), l'exclusion ("Exclusion is necessary"), les préjugés ("Prejudice is natural"), l'avidité ("Greed is good"), le désespoir ("Despair is inevitable"), autant de notions à remettre en question pour tenter de trouver une autre voie. Vivre sous le poids de grandes inégalités, et plus grave encore, avec l'illusion que celles-ci sont justifiées, conduit à une véritable régression de nos capacités, de notre existence. Comment par exemple justifier ce discours selon lequel il paraît totalement normal que les pauvres soient dans l'obligation de travailler dur pour un salaire de misère, d'obéir à la loi ou à toute autre convention, de pouvoir grimper les échelons interminables des diverses hiérarchies, professionnelles ou non, si leur mérite est jugé acceptable, et de justifier en revanche constamment la position des plus aisés sur une échelle de valeur totalement différente, on parle alors de compétence et de talent.
Ce qui accroît l'importance décisive de la notion d'inégalité, c'est que non seulement l'inégalité va imprégner tous les aspects de notre existence, voire les accroître, mais coloniser en quelque sorte tant nos pensées que nos raisonnements, allant jusqu'à constituer une évidence diffuse, le moindre mal qui semble nous fournir une certaine sécurité ou stabilité. C'est le fameux adage selon lequel plus le coût social d'un choix est élevé, plus il est probable que nous ne franchirons jamais le cap. 


Le Royaume-Uni est actuellement considéré comme le pays le plus inégalitaire d'Europe sur le plan économique, à l'exception de la Russie : les 10 % les plus riches du pays reçoivent chaque année 28 % de l'ensemble des revenus, ce qui n'est le cas dans aucun autre pays européen. Le fameux Coefficient de Gini, du nom du statisticien italien Corrado Gini, utilisé encore de nos jours pour mesurer l'inégalité des revenus dans un pays, a augmenté au cours des 19e et 20e siècles, mais a diminué ces dernières années :  ce coefficient doit évoluer pour intégrer de nouvelles données sur la répartition des revenus. Dans les pays européens, le coefficient de Gini est passé en moyenne de 0,28 dans les années 1980 à 0,30 en 2014 (de 0, égalité parfaite, à 1, inégalité "parfaite"). L'inégalité a augmenté non seulement dans les pays où les revenus sont très inégaux, comme les États-Unis et le Royaume-Uni, mais aussi dans les pays traditionnellement plus égalitaires, comme la Suède et la Finlande. Dans la plupart des pays européens, les augmentations se sont produites plus tard qu'aux États-Unis ou au Royaume-Uni, à savoir au cours des années 1990. Cela dit, l'inégalité est restée stable, voire a diminué, très relativement, dans certains pays, comme la Belgique, la France, la Grèce (jusqu'à la crise) et les Pays-Bas. L'inégalité est nourrie par l'évolution des revenus et des conditions du marché du travail, les modèles d'emploi, les conditions de travail et les structures du marché du travail (polarisation accrue des emplois), mais aussi par es réformes des systèmes d'imposition et de prestations qui ont eu tendance à moins redistribuer...


Richard Wilkinson & Kate Pickett, "The Spirit Level: Why More Equal Societies Almost Always Do Better" (2009, Pourquoi l'égalité est meilleure pour tous)
"Ce n'est pas la richesse qui fait le bonheur des sociétés, mais l'égalité des conditions" - Richard Wilkinson (1943), professeur d’épidémiologie sociale à l’École de médecine de l’université de Nottingham, et Kate Pickett (1965), maître de conférences en épidémiologie à l'université de York, se sont demandés pourquoi la détérioration de la santé et des problèmes sociaux d'une population donnée progressait proportionnellement à sa situation dans l'échelle sociale. A l'appui d'études statistiques et d'enquêtes réalisées à partir de témoignages les plus divers ils mettent ainsi en évidence les "effets pernicieux que l'inégalité a sur les sociétés : érosion de la confiance, augmentation de l'anxiété et de la maladie, encouragement à la consommation excessive". Etudiant un panel de onze problèmes sanitaires et sociaux différents, - santé physique, santé mentale, toxicomanie, éducation, emprisonnement, obésité, mobilité sociale, confiance et vie en communauté, violence, grossesses chez les adolescentes, bien-être des enfants -,  ils montrent que les résultats obtenus dans les 20 pays les plus riches du monde et cinquante états des Etats-Unis sont catastrophiques. Et si les pays scandinaves et le Japon parviennent à des résultats plus positifs, c'est que tout simplement on y observe des différences les plus faibles entre les revenus les plus élevés et les plus bas. A contrario, des pays présentant les plus grands écarts entre les riches et les pauvres, la Grande-Bretagne, les Etats-Unis et le Portugal. Plus globalement, ce sont non seulement les pauvres qui souffrent des effets de l'inégalité, mais aussi la majorité de la population : en Grande-Bretagne, la population carcérale a doublé depuis 1990, elle a quadruplé aux Etats-Unis  depuis la fin des années 1970; les taux de maladie mentale sont cinq fois plus élevés dans l'ensemble de la population dans les sociétés les plus inégales que dans les sociétés les moins inégales.  Et plus inquiétant encore, l'inégalité augmente le stress à travers l'ensemble de la société.
La prise de conscience d'une réalité, certes connue confusément mais jusque-là non décrite et facilement ignorée, devrait peut-être permettre de mettre en place, non pas des solutions à court-terme, mais une transformation en profondeur de nos mentalités et actions sur le monde : non, un monde meilleur ne passe par l'exaltation du riche, du mérite, et de l'inégalité...

"N'est-il pas paradoxal que, parvenus au pinacle de l'accomplissement matériel et technique de l'être humain, nous soyons rongés par l'anxiété, sujets à dépression, inquiets du regard des autres, incertains de nos amitiés, mus par la consommation et dépourvus, largement ou totalement, de vie sociale? Nous nous sentons privés des contacts sociaux décontractés et des satisfactions émotionnelles dont nous avons tous besoin. Et nous trouvons donc réconfortant de surchauffer notre logement, de nous prêter à des achats compulsifs ou à des dépenses inutiles, quand nous ne devenons pas la proie d'une consommation excessive d'alcool, de médicaments psychoactifs et de drogues interdites par la loi. Comment avons-nous créer tant de souffrances psychiques et émotionnelles alors que notre niveau de richesse et de confort est sans précédent dans l'histoire de l'humanité? Il nous manque souvent quelque chose de plus que de simplement passer du temps avec des amis. Et même ce simple fait nous semble parfois un luxe hors de portée. Nous dépeignons nos vies comme une lutte permanente pour la survie psychologique, comme un combat mené contre le stress et l'épuisement psychique. En réalité, l'opulence et l'extravagance de nos vies sont telles qu'elles menacent la planète.
(...) Au lieu de nous unir avec d'autres autour d'une cause commune, le malaise que nous ressentons en raison de la disparition des valeurs sociales et de cette impression d'être aspiré par la quête d'avantages matériels est souvent perçu comme une ambivalence d'ordre totalement privé, qui nous isole des autres.
 Les grands courants politiques n'exploitent plus ces thématiques. Ils ont abandonné toute velléité de nourrir une vision du monde partagée, capable de nous pousser à créer une société meilleure. En tant qu'électeurs, nous avons perdu toute notion de croyance collective en une société différente. Nous ne voulons plus d'une société meilleure; nous cherchons presque tous à améliorer la position que nous occupons - en tant qu'individu - dans la société existante.
Le contraste entre la réussite matérielle et l'échec social de nombreux pays riches est un signe important. Il indique que, si nous voulons obtenir de nouvelles améliorations de notre qualité de vie, nous devons nous détourner des normes matérielles et de la croissance économique. Nous devons nous pencher sur les moyens d'améliorer le bien-être psychologique et social de sociétés entières. Pourtant, force est de constater que, dès qu'il est question du moindre élément psychologique, le débat tend à s'orienter vers des remèdes et des traitements presque toujours individuels.
La pensée politique semble s'être enlisée. Désormais, il s'avère possible de reconstituer les pièces d'un puzzle qui donne une image à la fois nouvelle, convaincante et cohérente des moyens à notre disposition pour libérer les sociétés de l'emprise de ces comportements dysfonctionnels. La bonne compréhension des processus à l'œuvre peut transformer la politique mais aussi la qualité de vie de chacun d'entre nous. Elle changerait la façon dont nous percevons le monde qui nous entoure, les idéaux pour lesquels nous votons, et nos attentes vis-à-vis des responsables politiques.
Nous établirons dans ce livre que la qualité des relations sociales de toute société est ancrée dans des fondements matériels. L'ampleur des écarts de revenus influence fortement les relations que nous avons les uns avec les autres. Au lieu de pointer du doigt les parents, les religions, les valeurs, l'éducation ou le système pénal, nous montrerons que l'ampleur des inégalités est un puissant levier politique qui régule le bien-être psychologique de chacun d'entre nous..." (traduction Les petits matins, Institut Veblen, 2013)


"Le sommet de la pyramide économique concentre des milliers de milliards de dollars entre les mains d’une élite très minoritaire composée principalement d’hommes" - Vision caricaturale et réductrice ou constat sans appel? -  Oxfam International (Oxford Committee for Famine Relief) regroupe des ONG qui luttent aujourd'hui sur les terrains politiques, économiques et humanitaires contre la pauvreté et les inégalités dans le monde ("The power of people against poverty ").  Le dernier rapport publié début 2020 sur les inégalités sociales dans le monde montre un fossé qui ne cesse de croître entre une minorité d’ultra-riches et le reste de l’humanité, et une stratégie de réduction de la pauvreté qui ne cesse de diminuer depuis 2013. Les études menées par Oxfam s’appuie sur le Global Wealth Report du Credit Suisse, qui est la base de données la plus complète sur la répartition des richesses dans le monde, ...

- Près de la moitié de la population mondiale, soit près de 3,8 milliards de personnes, vit toujours avec moins de 5 dollars par jour.
- La richesse des 1% les plus riches de la planète correspond à plus de fois la richesse de 90 % de la population mondiale, soit 6,9 milliards de personnes.
- Les milliardaires du monde entier, qui sont aujourd’hui au nombre de 2 153, possèdent plus de richesses que 4,6 milliards de personnes, soit 60% de la population mondiale.
- Les deux tiers des milliardaires tirent leur richesse d’un héritage, d’une situation de monopole ou de népotisme.
- Les femmes et les filles sont les grandes perdantes d’une économie injuste et sexiste ...


"Respect in a World of Inequality", Richard Sennett (2003)

As various forms of social welfare were dismantled though the last decade of the twentieth century, many thinkers argued that human well-being was best served by a focus on potential, not need. Alors que diverses formes de protection sociale ont été démantelées au cours de la dernière décennie du XXe siècle, de nombreux penseurs ont fait valoir que le mieux était de mettre l’accent sur le potentiel et non sur le besoin. Richard Sennett pense différemment et aborde les besoins et la responsabilité sociale à travers le gouffre des inégalités. Dans le monde incertain des relations sociales « flexibles », tous sont troublés par des questions de respect, qu’il s’agisse d’un employé coincé avec une direction insensible, d’un travailleur social qui essaie d’aider un client rancunier ou d’un artiste virtuose et accompagnateur qui vise un duo parfait. Commençant par un mémoire de sa jeunesse dans le tristement célèbre projet de logement Cabrini Green de Chicago, Richard Sennett examine trois facteurs qui minent le respect mutuel : l’inégalité des capacités, la dépendance des adultes et les formes dégradantes de compassion. Contrairement aux « réformes » actuelles de l’aide sociale, Sennett propose un système fondé sur le respect des personnes dans le besoin. Il explore comment l’estime de soi peut être nourrie dans une société inégale (par exemple, par le dévouement à l’artisanat); comment l’estime de soi doit être équilibrée avec le sentiment d’autrui; et comment le respect mutuel peut forger des liens au-delà de la division de l’inégalité. Là où l’élimination des inégalités était autrefois l’objectif des radicaux sociaux, Sennett cherche une méritocratie plus humaine : une société qui, tout en acceptant les inégalités de talent, cherche à nourrir le meilleur de tous ses membres et à les connecter fortement les uns aux autres.

 

"This Is What Inequality Looks Like",  You Yenn Teo (2018)

Cette nouvelle édition de This Is What Inequality Looks Like de Teo You Yenn présente une nouvelle postface de l’auteur, et une préface de Kwok Kian Woon, professeur de sociologie à l’Université technologique de Nanyang, à Singapour. À propos du livre Qu’est-ce que la pauvreté? Qu’est-ce que l’inégalité? Comment sont-ils liés? Comment sont-ils reproduits? Comment pourraient-ils être surmontés? Pourquoi devrions-nous essayer? La façon dont nous formulons nos questions façonne la façon dont nous voyons les solutions. Ce livre fait ce qui semble être une tâche évidente, mais qui est manquante et importante : il demande aux lecteurs de poser des questions de différentes façons, de changer le point de vue à partir duquel ils voient le « bon sens ».et, ce faisant, de se considérer comme faisant partie des problèmes et des solutions potentielles. C’est un livre sur la façon dont voir la pauvreté implique de faire face aux inégalités. Il s’agit de voir comment la reconnaissance de la pauvreté et des inégalités mène à des révélations inconfortables sur notre société et sur nous-mêmes. Et il s’agit de savoir comment une fois que nous voyons, nous ne pouvons pas, ne devons pas, ne pas voir.

 

"Falling Behind: How Rising Inequality Harms the Middle Class", Robert H. Frank (2007)

Bien que les familles à revenu moyen ne gagnent pas beaucoup plus qu’il y a plusieurs décennies, elles achètent des voitures, des maisons et des appareils plus gros. Pour les payer, ils dépensent plus qu’ils ne gagnent et ont des niveaux d’endettement records. Dans un livre qui explore la signification même du bonheur et de la prospérité en Amérique aujourd’hui, Robert Frank explique comment les concentrations accrues de revenus et w Bien que les familles à revenu moyen ne gagnent pas beaucoup plus qu’il y a plusieurs décennies, ils achètent de plus grandes voitures, maisons et appareils. Pour les payer, ils dépensent plus qu’ils ne gagnent et ont des niveaux d’endettement records. Dans un livre qui explore la signification même du bonheur et de la prospérité en Amérique aujourd’hui, Robert Frank explique comment les concentrations accrues de revenus et de richesses au sommet de la pyramide économique ont déclenché des « cascades de dépenses » qui augmentent le coût de la réalisation de nombreux objectifs de base pour la classe moyenne. Écrivant en prose vive pour un public général, Frank utilise des données économiques à jour et des exemples tirés de la vie quotidienne pour faire la lumière sur les modèles régnants de comportement des consommateurs. Il suggère également des réformes qui pourraient atténuer les coûts des inégalités. Prendre du retard nous oblige à repenser comment et pourquoi nous vivons notre vie économique comme nous le faisons...

 

"Runaway Inequality: An Activist’s Guide to Economic Justice",  Les Leopold (2015)

L’inégalité galopante est maintenant la réalité économique la plus critique de la vie en Amérique. En 1970, le ratio de rémunération entre les 100 premiers PDG et le travailleur moyen était de 45 pour 1. Aujourd’hui, il est choquant de voir 829 pour 1! Au cours de cette période, une nouvelle philosophie économique a été mise en place pour réduire les impôts, déréglementer la finance et réduire les dépenses sociales. Ces politiques ont enclenché un processus qui a considérablement accru le pouvoir des intérêts financiers d’accélérer les inégalités. Mais comment cela se produit-il exactement ? À l’aide de tableaux et de graphiques faciles à comprendre, Runaway Inequality explique le processus par lequel les entreprises sont victimes de l’extraction systématique de richesse par les banques, les sociétés de capital-investissement et les fonds spéculatifs. Il révèle comment l’exploitation à ciel ouvert financière exerce une pression à la baisse énorme sur les emplois, les salaires, les avantages sociaux et les conditions de travail, tout en augmentant les revenus des élites financières. Mais Runaway Inequality fait plus que donner un sens à notre situation économique. Cela montre également pourquoi pratiquement tous les problèmes clés auxquels nous sommes confrontés, du changement climatique à l’explosion de la population carcérale, sont intimement liés à l’augmentation des inégalités économiques. Plus important encore, Runaway Inequality nous appelle à construire un mouvement commun pour s’attaquer aux sources de l’inégalité croissante des revenus et de la richesse. Comme l’indique clairement l’auteur, le problème ne se résoudra pas tout seul. Il faudra énormément d’énergie et de dévouement pour ramener la justice économique et l’équité dans la société américaine. Le livre est divisé en quatre parties : Partie I : Quelle est la cause fondamentale de l’inégalité économique galopante? Qu’est-ce qui a rendu notre économie moins équitable et a rendu la plupart d’entre nous moins en sécurité? Partie II : Comment les États-Unis se comparent-ils réellement aux autres grands pays développés ? Comment nous comparons-nous à la qualité de vie, à la santé et au bien-être?  Partie III : Qu’est-ce que l’inégalité économique a à voir avec tant de problèmes critiques auxquels nous sommes confrontés, notamment les impôts, la dette, l’éducation, la justice pénale, le racisme, les changements climatiques, le commerce extérieur et la guerre? Partie IV : Quelles mesures concrètes pouvons-nous prendre pour commencer à bâtir une société juste et équitable? « Il n’y a rien dans l’univers économique qui nous sauvera automatiquement de l’inégalité galopante. Il n’y a pas de pendule, pas de force politique invisible qui « naturellement » reviendra vers l’équité économique...

 

"The Divide: A Brief Guide to Global Inequality and its Solutions", Jason Hickel (2017)

Pendant des décennies, on nous a raconté une histoire sur le fossé entre les pays riches et les pays pauvres. On nous a dit que le développement fonctionne : que le Sud rattrape le Nord, que la pauvreté a été réduite de moitié au cours des trente dernières années et qu’elle sera éradiquée d’ici 2030. C’est une histoire réconfortante, qui a l’appui des gouvernements et des sociétés les plus puissants du monde. Mais est-ce vrai? Depuis 1960, l’écart de revenu entre le Nord et le Sud a pratiquement triplé. Aujourd’hui, 4,3 milliards de personnes, soit 60 p. 100 de la population mondiale, vivent avec moins de 5 $ par jour. Quelque 1 milliard de personnes vivent avec moins de 1 $ par jour. Les huit personnes les plus riches contrôlent maintenant la même quantité de richesse que la moitié la plus pauvre du monde. Qu’est-ce qui cause ce fossé croissant? On nous dit que la pauvreté est un phénomène naturel qui peut être réglé avec l’aide. Mais en réalité, c’est un problème politique : la pauvreté n’existe pas seulement, elle a été créée. Les pays pauvres sont pauvres parce qu’ils sont intégrés au système économique mondial à des conditions inégales. L’aide ne sert qu’à cacher les profondes formes d’extraction de richesse qui sont à l’origine de la pauvreté et des inégalités : accords commerciaux truqués, évasion fiscale, accaparement des terres et coûts associés au changement climatique. The Divide suit l’évolution de ce système, des expéditions de Christophe Colomb dans les années 1490 au régime de la dette internationale, qui a permis à une poignée de pays riches de contrôler efficacement les politiques économiques dans le reste du monde. Parce que la pauvreté est un problème politique, elle nécessite des solutions politiques. The Divide offre un éventail de réponses révélatrices, mais explique également qu’il faut quelque chose de beaucoup plus radical – une révolution dans notre façon de penser. S’appuyant sur des recherches pionnières, des analyses détaillées et des années d’expérience de première main, The Divide est un récit provocateur, urgent et finalement édifiant sur la façon dont le monde fonctionne et comment il peut changer...

 

"Tales of Two Americas: Stories of Inequality in a Divided Nation", John Freeman (2017)

Trente-six grands écrivains contemporains se penchent sur la vie dans une Amérique profondément divisée, dont Anthony Doerr, Ann Patchett, Roxane Gay, Rebecca Solnit, Hector Tobar, Joyce Carol Oates, Edwidge Danticat, Richard Russo, Eula Bliss, Karen Russell, et bien d’autres encore. Vous n’avez pas besoin d’une poignée de statistiques pour le savoir. Visitez n’importe quelle ville, et les preuves de notre pacte social brisé se présenteront. Des Appalaches à la ceinture de rouille et jusqu’au Texas rural, l’écart entre les plus riches et les plus pauvres s’étend à des gouffres inimaginables. Que la cause de cette inégalité soit l’injustice systémique, l’enracinement du racisme dans notre culture, la longue guerre contre la drogue ou les politiques d’immigration, cela met en danger non seulement le rêve américain, mais nos vies mêmes. Dans Tales of Two Americas, certains des écrivains les plus passionnants du monde littéraire regardent au-delà des chiffres et des salaires pour exprimer ce que cela fait de vivre dans cette nation divisée. Leurs histoires, essais et poèmes extraordinairement puissants montrent comment les frontières se brisent lorsque les expériences sont partagées et qu’en partageant nos histoires, nous pouvons aider à soulager une souffrance qui touche tant de gens...

 

"The 9.9 Percent: The New Aristocracy That Is Entrenching Inequality and Warping Our Culture",  Matthew Stewart (2021)

Une analyse « brillante » (The Washington Post), « lucide et incisive » (The New Republic) sur la façon dont le groupe le plus riche de la société américaine rend la vie misérable pour tout le monde, y compris pour lui-même. En Amérique du XXIe siècle, les 0,1 % de la distribution de la richesse les plus riches se sont retirés avec les gros prix, même si les 90 % les plus pauvres ont perdu du terrain. Ce qui reste du rêve américain s’est réfugié dans les 9,9% qui se trouvent juste en dessous de la pointe de l’extrême richesse. Collectivement, les membres de ce groupe contrôlent plus de la moitié de la richesse du pays. Ils font tout ce qu’il faut pour s’accrocher à leur part de l’action dans un système de plus en plus injuste. pour plus de carrière. La construction, même si elles comptent sur une classe de serviteurs sous-payés pour alimenter leur succès économique et satisfaire leurs besoins personnels. Ils se sont séparés dans des codes postaux conçus pour exclure le plus de gens possible. Ils ont fait du fitness une obsession nationale alors même que des pans de la population perdent des soins de santé et deviennent plus malades. Ils ont créé une demande sans précédent pour l’admission dans les écoles d’élite et ont contribué à alimenter le coût dramatique de l’enseignement supérieur. Ils canalisent leur énergie politique dans des conflits symboliques sur l’identité afin d’éviter de reconnaître les racines économiques de leur privilège. Et ils ont créé une éthique du « mérite » pour justifier leurs avantages. Ils sont tout autour de nous. Dans ce « récit captivant » (Robert D. Putnam, auteur de Bowling Alone), Matthew Stewart soutient qu’une nouvelle aristocratie émerge dans la société américaine et qu’elle répète les erreurs de l’histoire. Il enracine les inégalités, déforme notre culture, érode la démocratie et transforme une économie abondante en source de misère. Il appelle à un recentrage de la culture et de la politique américaines sur une base plus proche des promesses initiales de l’Amérique.