Michelangelo Antonioni (1912-2007) - Federico Fellini (1920-1993) - Luchino Visconti (1906-1976) - Roberto Rossellini (1906-1977) - Anna Magnani (1908-1973) - Monica Vitti (1931)- Giulietta Masina (1921-1994) - Marcello Mastroianni (1924-1996) - Francesco Maselli (1930) ...
Last update : 12/12/2017
Le cinéma italien de la seconde moitié du XXe siècle connaît deux moments-clés, 1945, avec au sortir de la Guerre la tonalité sombre et amère du néoréalisme, et 1960, lorsque le pays en pleine reconstruction cherche sont point d'équilibre politique et humain. Dès 1955, l'Italie est au deuxième rang mondial en terme de spectateurs. En quelques années, sortent sur les écrans des films aussi importants que "le Général Della Rovere" (Rossellini, 1959), "La Dolce Vita" (Fellini, 1960), "Huit et demi" (Fellini, 1963), "Juliette des esprits" (Fellini, 1965), "Satyricon" (Fellini, 1969), "L'avventura" (Antonioni, 1959), "I'Eclipse" (Antonioni, 1962), "Rocco et ses frères" (Visconti, 1960), "Journal intime" (Zurlini, 1962), "La Ragazza" (Comencini, 1963), "Main basse sur la ville" (Francesco Rosi , 1963), "Mamma Roma" (Pier Paolo Pasolini, 1962), "Prima della rivoluziane" (Bernardo Bertolucci,1964), avec un Nino Rota (1911-1979) assurant la composition des musiques de films de Fellini de Visconti, ou un Piero Piccioni (1921-2004), autre admirable compositeur accompagnant Alberto Lattuada, Dino Risi ou Mauro Bolognini, Sergio Corbucci. Cet âge d'or du cinéma italien qui va durer près de vingt ans, accompagner le miracle économique et s'imposer en Europe, est représentée par deux générations, les néoréalistes au sommet de leur art et qui multiplient les expériences, Visconti, De Sica et Rossellini, et la vague des réalisateurs qui explorent l'âme humaine, l'introspection façon Antonioni, les fantasmes débridés version Fellini...
Michelangelo Antonioni (1912-2007)
Né dans une famille de la petite bourgeoisie de Ferrare, Antonioni entame, après des études d'économie à l'Université de Bologne, une carrière de critique de cinéma , fait des premiers pas peu probants d'assistant à la réalisation des "Visiteurs du soir" de Marcel Carné, réalise quelques documentaires et son premier long métrage en 1950, "Chronique d'un amour", à l'époque où un Fellini en est déjà à son troisième film, "Les Vitelloni" (1953). "Le Cri", réalisé en 1957 est souvent considéré comme emblématique de cette première manière d'Antonioni, une première manière néoréaliste qui ne préjuge en rien de ses chefs d'oeuvre à venir. Antonioni se révèle véritablement en 1960 avec "L'Avventura" et réalisera par la suite une quinzaine de films en quarante ans de carrière. C'est avec la trilogie "L'Avventura" (1960), "La Nuit" (1961) et "L'Eclipse" (1962), qu'Antonioni marque un style, parfois incompris, mais tissant une trame d'événements, d'objets, de gestes, de regards qui semblent insignifiants, ou par trop intellectualisés, mais expressions, au-delà des conventions sociales, de personnages errant, au fil de longs travellings et de plans allusifs, des personnages se révélant incapables de comprendre leur propre existence, des couples qui se perdent et se retrouvent mais pour mieux se perdre à nouveau, des personnages qui dissimulent leur désarroi et leur solitude dans l'insignifiance, le silence, l'éphémère, l'indifférence de situations conventionnelles ou abstraites. Cet Antonioni-là filme ce qui semblent des temps morts constellant les banalités de la vie quotidienne, mais en fait sa caméra recueille silencieusement les conséquences d'événements qui ne peuvent être que constatés en tant que tel, sans être expliqués."Le Désert rouge" (1964) constitue une nouvelle étape, reconnu pour sa beauté plastique, "Blow-Up" (1966) l'éloigne un peu plus de l'Italie et entend servir de "révélateur" du monde environnant plus que relation et expérience sentimentale entre personnages. "Profession: reporter" (1975) constitue l'aboutissement de cette volonté d'Antonioni de révéler le monde par le biais de la technique cinématographique, et de tendre un ultime miroir au spectateur. Enfin, "Identification d'une femme" (1982) constitue la dernière tentative d'un retour aux sources d'un Antonioni qui semble alors avoir épuisé cette si fragile intuition d'une sensation pure, cinéma introspectif à exprimer dans le vide de nos existences, au-delà de nos relations artificielles construites avec le monde ou avec les autres... En 1985, le réalisateur a une attaque qui le paralyse partiellement. Avec Wim Wenders, il signe néanmoins dix ans plus tard "Par-delà les nuages" (1995), quatre histoires d'amour vues par un cinéaste qui se promène entre l'Italie et la France, muni d'un appareil photo. Il meurt en 2007, le même jour qu'Ingmar Bergman.
Antonioni tente d'observer la nature humaine dans l’Italie des années soixante et va traduire sur un mode parfaitement esthétique la lassitude et l’ennui d’une classe sociale, la femme en occupe le centre, elle impose à l'homme, qui n'est que spectateur vide et impuissant, la subjectivité d'une présence qui au fond, semble n'avoir rien à donner, si ce n'est parfois, lors d'un infime événement, auquel le monde fait immédiatement écho, un possible dialogue, une vérité plus profonde, mais l'intrigue à peine esquissée, rapidement s'estompe et chacun regagne le flux de son existence et de sa solitude...
"Cronica di un amore" (Chronique d'un amour, Story of a Love Affair, 1950)
Avec Lucia Bose (Paola Fontana), Massimo Girotti (Guido), Ferdinando Sarmi (Enrico Fontana), Gino Rossi (Carloni, le détective).
Film noir d'amants criminels dans la haute société milanaise, Fontana, un industriel milliardaire, charge un détective privé d'enquêter sur le passé de son épouse Paola (Lucia Bose, miss Italie, tout juste 19 ans). Le détective se rend à Ferrare où Paola a vécu et fait ses études, apprend que la jeune femme a quitté la ville, sept ans auparavant, juste après l'accident mortel dont fut victime la fiancée de Guido, l'homme qu'elle aimait. Cet événement provoque le retour de Guido qui rencontre Paola et tous deux s'interrogent à nouveau sur leurs actes respectifs au moment de l'accident. Paola renoue avec Guido, et pousse celui-ci à organiser un accident pour tuer son mari. Mais le détective découvre toute la vérité sur la liaison et le scénario mortel qui se prépare, Fontana perturbé sera victime d'un accident à quelques mètres du lieu convenu par Guido pour l'abattre, un Guido qui, se sentant coupable, quitte définitivement Paola. Lucia Bosé jouera en 1953 dans "La Dame sans camélia"...
"Le amiche" (Femmes entre elles, The Girlfriends, 1955)
Adapté d'un roman de Cesare Pavese, avec Eleonora Rossi Drago (Clelia), Gabriele Ferzetti (Lorenzo), Franco Fabrizi (Cesare Pedoni), Valentina Cortese (Nene), Yvonne Furneaux (Momina De Stefani)
A l'instar de Bergman, Antonioni peint des femmes, un groupe de femmes amies et indépendantes que traversent les intrigues sentimentales et le suicide de l'une d'entre elles. Elles sont ces grandes bourgeoises, bavardes, oisives, cruelles, inconscientes qui s'interrogent brutalement lorsque l'une d'entre elles se suicide, tandis que les hommes, autour d'elles, tentent de comprendre un jeu qui leur échappe et se retrouvent simples spectateurs du vide de leur propre existence. Yvonne Furneaux , Valentina Cortese et Eleonora Rossi-Drago forment ici un trio éblouissant de cynisme et d'aplomb. Clelia a quitté Rome pour Turin, où elle doit installer une succursale d'une maison de couture, la tentative de suicide de Rosetta, sa voisine de chambre, lui fait rencontrer Momina, Yvonne Furneaux, une femme élégante qui cherche à comprendre le geste désespéré de son amie et qui l'entraîne dans son enquête qui les mènent vers d'autres intrigues et jeux sentimentaux : le peintre Lorenzo, dont Rosetta est amoureuse, mais qui vit avec Nène, céramiste de talent, Cesare Pedoni, l'architecte qu'emploie Clelia pour sa maison couture, et Carlo, l'assistant de Cesare, auquel s'intéresse Clelia. Le noeud de ces intrigues amoureuses se dénoue le soir d'un défilé de mode : Rosetta révèle à Nène sa liaison avec le peintre, celui-ci s'emporte contre Cesare et rompt avec Rosetta. Le lendemain, on retire de l'eau le corps de cette dernière. Le drame disperse le groupe et les relations qui tentaient de s'instaurer, chacun reprend son propre chemin...
"Il grido" (Le Cri, The Cry, 1957)
Avec Alida Valli (Irma), Steve Cochran (Aldo), Betsy Blair (Elvia), Gabriella Pallotta (Edera), Gaetano Matteuci (Fiancé d'Edera), Dorian Gray (Virginia), Guerrino Campanili (Père de Virginia), Lyn Shaw (Andreina).
Considéré comme un classique tardif du néo-réalisme centré sur les effets du divorce sur un ouvrier, en l'occurrence Steve Cochran, acteur hollywoodien peu connu, et l'émouvante actrice italienne Alida Valli, en fond de paysage hivernal. A Goriano, un petit village de la campagne brumeuse de la plaine du Pô, non loin de Ferrare, un ouvrier, Aldo, vit en concubinage avec Irma, dont il a une petite fille, Rosina, mais la rupture du couple le jette sur les routes avec sa fille. Il rencontre Elvia, qui fut autrefois sa fiancée, couche avec la soeur de celle-ci, Edera, puis repart et s'installe chez Virginia, une garagiste qui ne peut supporter la présence de Rosina. Aldo fuit à nouveau, se fixe chez Andreina, une fille facile, puis, las de cette vie sans but, il rentre finalement à Goriano dans l'espoir de renouer avec Irma, la seule femme qu'il aime vraiment. Mais celle-ci a un nouvel enfant qui n'est pas de lui : désespéré, Aldo se jette du haut du four à sucre et dans le terrible silence qui s'ensuit, résonne le cri désespéré d'Irma...
"L'Avventura" (1960, The Adventure)
Avec Gabriele Ferzetti (Sandro), Monica Vitti (Claudia), Léa Massari (Anna), Dominique Blanchar (Giulia), Renzo Ricci (Le père d'Anna), James Addams (Corrado), Dorothy de Poliolo (La prostituée), Lelio Luttazzi (Raimondo), Esmeralda Ruspoli (Patricia).
L'incommunicabilité, la solitude, le néant. Après cinq films en 10 ans, le style de Michelangelo Antonioni atteint sa maturité avec L'Avventura : l'intrigue est minimale et la réalisation composée de longues séquences et de lents travellings, les liens particulièrement forts entre les personnages ne sont pas exprimés par dialogue mais par une atmosphère globale que reconstruit la caméra. Anna (Lea Massari), fille d'un riche industriel romain et qui traverse une période de doute et de lassitude, et son fiancé Sandro (Gabriele Ferzetti), un brillant architecte, visitent une île, l'île Lisca Bianca, avec un groupe de gens fortunés, oisifs neurasthéniques à leur image. Après une dispute avec Sandro, Anna disparaît. Son amie Claudia (Monica Vitti, dans son premier rôle pour Antonioni) part à sa recherche avec Sandro. Un jour qu'ils parcourent l'île à sa recherche, ils deviennent amants, les recherches n'aboutissent pas et la disparition d'Anna reste sans explication ou explicitation, quant à Monica Vitti, elle s'est substituée très rapidement , trop rapidement, à Lea Massari. Antonioni justifiera, face au critique, cette attitude en répondant que pour lui l'important était de traiter la conséquence de ce mystère non résolu sur le comportement de Sandro et Claudia : suivent des travelling émanant d'observateurs invisibles, le passage d'un train dans la campagne, la mer vue d'un train... Les lieux demeurent, les êtres humains passent... Sandro se jette dans une aventure sordide avec une prostituée. Claudia le surprend, avivant le dégoût qu'il ressent pour lui-même...
"La notte" (1961, La Nuit, The Night)
Avec Marcello Mastroianni (Giovanni Pontano), Jeanne Moreau (Lidia Pontano), Monica Vitti (Valentina Gherardini), Bernard Vicki (Thomaso), Maria-Pia Luzi (La nymphomane), Rosy Mazza-Curati (Rezy), Guido A. Marsan (Fanti), Gitte Magimi (Madame Gherardini), Giorgio Negro (Roberto), Roberto Speroni (Bérénice), Ugo Fortunati (Cesarino).
La notte est le titre d'une toile de Roberto Sironi, que l'on aperçoit un instant dans le film. Usure du couple et des sentiments, usure de la bourgeoisie, et la nuit omniprésente. Giovanni Pontano (Marcello Mastroianni, à peine remis de « La Dolce Vita"), écrivain reconnu pour qui au fond la crise conjugale se révèle inséparable d'une crise de l'inspiration, est attendu à la maison d'édition Bompani, où il doit présenter son dernier roman. Au préalable, il rend visite, avec sa femme Lidia, à Tommaso Garrani, un ami proche hospitalisé, pour l'assister dans ses derniers instants. Lidia (Jeanne Moreau, qui venait de triompher dans "Les amants", de Louis Malle), qui trouvait auprès de Tommaso l'attention et l'admiration que son époux ne songe plus à lui prodiguer, est à ce point désespérée qu'elle s'en va errer dans les rues, aspirant à mourir elle aussi. Le soir venant, elle retrouve pourtant Giovanni ; tous deux sont invités à la réception mondaine que donnent les Gherardini. Toute la nuit, ils y promènent leur tristesse et un incommensurable sentiment d'incompréhension et d'indifférence mutuels, les allusions à l'oubli de soi abondent, Valentina lit "Les somnambules" d'Hermann Broch et Marcello affirme "Non je n'ai plus d'idée, juste des souvenirs" ...
"L'eclisse" (L'Eclipse, The Eclipse, 1962)
Avec Alain Delon (Piero), Monica Vitti (Vittoria), Francisco Rabal (Riccardo), Lilla Brignone (La mère de Vittoria), Louis Seigner (Ercoli), Rossana Rori (Anita), Mirella Riciardi (Marta).
"Rien n'apparaît comme il devrait dans un monde où rien n'est certain", et ce film, qui conclut la trilogie italienne d'Antonioni, le plus réussi des trois, nous convie à un nouveau langage cinématographique: certes Antonioni propose des images objectives à la manière d'un constat qui ne laisse plus subsister entre personnages et objets que des rapports de distance, les plans larges, dans lesquels les personnages se perdent parfois au bord du cadre, alternent avec des détails filmés avec méticulosité, mais on y voit aussi le vague des sentiments amoureux qui ne semblent pas pouvoir prendre forme pour on ne sait quelle raison, la désinvolture, sans doute l'intuition centrale du film qui donne à ce film une atmosphère étonnante : Michelangelo Antonioni se trouvait alors à Florence pour le tournage d'une éclipse totale de soleil, le silence qui soudain s'installe et l'immobilité totale qui s'impose lui font une si forte impression qu'il ressent la nécessité de la traduire., ne serait-ce qu'au travers des relations homme-femme. Par un bel été romain, Vittoria (Monica Vitti ) a décidé de rompre avec son amant Riccardo (Francisco Rabal). Ce dernier ne peut se résoudre à cette idée mais Vittoria va se sentir attirée par Piero (Alain Delon ), un jeune fondé de pouvoir, mais cette relation semble ne pas prendre l'orientation souhaitée, tout cela à cause d`une voiture volée et de la réaction de Piero, ou pour des raisons plus complexes et irrémédiables?
"Il deserto rosso" (Le Désert rouge, Red Desert, 1964)
Avec Monica Vitti (Giuliana), Richard Harris (Corrado Zeller), Carlo Chionetti (Ugo).
Souvent considéré comme le plus abouti des films d'Antonioni, son premier film en couleur et dernier film "italien", un film qui se veut résolument plastique, Monica Vitti, qui joue ici son dernier rôle avec le réalisateur, incarne Giuliana, une femme d'industriel, mal remise d'un récent accident de voiture, qui perd la raison à cause d'un environnement par trop excessif, machines, fumées et murs d'usines, couleurs des murs de son appartement, et connaît des moments oniriques qui donne au film toute sa beauté plastique. "Deserto rosso" est en fait un jeu de mots relatif à "La desserte rouge" de Matisse, si rouge en effet, si excessif pour la trame d'un sujet de lignes conventionnelles. La séquence d'orgie dans la cabane entre Corrado Zeller, ami d'enfance d'Ugo, et Giuliana, et la tentative de suicide qui s'ensuit dans le brouillard constituent des scènes emblématiques du film. "Cette fois-ci, déclarera Antonioni, il ne s'agit pas d'un film sur les sentiments. Les résultats, qu'ils soient bons ou mauvais, beaux ou laids obtenus dans mes précédents films sont ici dépassés, caduques. Le propos est tout autre, auparavant c'était les rapports des personnages entre eux qui m'intéressaient ici le personnage central est confronté également avec le milieu social ce qui fait que je traite mon histoire d'une façon toute différente. Il est trop simpliste, comme beaucoup l'ont fait, de dire que j'accuse ce monde industrialisé, inhumain où l'individu est écrasé et conduit à la névrose. Mon intention au contraire, encore que l'on sache souvent très bien d'où l'on part mais nullement où l'on aboutira, était de traduire la beauté de ce monde où même les usines peuvent être très belles. La ligne, les courbes des usines et de leurs cheminées sont peut-être plus belles qu'une ligne d'arbres que l'œil a déjà trop vus. C'est un monde riche, vivant, utile. Je peux dire ceci : en situant l'histoire du désert rouge dans le monde des usines, je suis remonté à la source de cette sorte de crise qui comme un fleuve reçoit mille affluents se divise en mille bras pour enfin tout submerger et se répandre, partout."
"Blow Up" (1966)
Inspiré d'un roman de Julio Cortázar, avec David Hemmings (Thomas), Vanessa Redgrave (Jane), Peter Bowles (Ron), Sarah Miles (Patricia), John Castle (Bill), Jane Birkin (la blonde), Gillian Hills (la brune), Veruschka von Lehndorff (elle-même).
Antonioni, pour la première fois dans un pays étranger, en quête de la vérité dans un monde où tout n'est plus qu'apparences - En pleine "Swinging London" des années soixante, un photographe de mode égocentrique mais désabusé, Thomas (David Hemmings), assiste par hasard à un crime en photographiant un couple inconnu. On a pu voir dans cette oeuvre le récit d'un homme, Thomas, qui va progressivement prendre conscience de son incapacité à s'approprier le réel, il lui faudra alors apprendre à le questionner et à reconnaître les signes épars qu'il nous donne à voir. Il pensait maîtriser le monde à partir de son studio de photos mais se trouve confronté à une réalité pour prendre des photos, se jette dans sa voiture, tente de rattraper son pour une séance de pose avec Veruschka von Lehndorff, mannequin célèbre de l'époque, dont il a probablement été l'amant et qu'il photographie en faisant corps avec son appareil, ressort et passe devant la boutique d'un antiquaire, pénètre sans but précis dans Maryon Park, prend les photos d'un couple, apparemment une jeune femme et son vieil amant, la jeune femme s'en aperçoit et tentera de récupérer les dites photos, pris de soupçons, il décide d'agrandir les photos, finit par identifier un corps qu'il retrouve dans le parc, mais oublie sur place son appareil photo. Plus tard, le cadavre disparaît, tout comme les photos et la pellicule, le tout sur une musique de Herbie Hancock, et l'oeuvre se clôt avec le fameux son de la balle de tennis que veut bien percevoir Thomas...
"Zabriskie Point" (1970)
Avec Mark Frechette, Daria Halprin, Paul Fix
L'Amérique selon Antonioni - Essai sur la contre-culture américaine des années 1960 qui flirte avec l'art psychadélique. Une distribution d'amateurs illustre cette histoire de deux amoureux animés par des idéaux néoromantiques. Des groupes révolutionnaires organisent régulièrement des grèves massives. Accusé à tort d'avoir tué un policier lors d'une manifestation agitée, Mark, un étudiant, prend la fuite à bord d'un avion de tourisme. Plus tard, en plein coeur du désert, il rencontre Daria, secrétaire et maîtresse d'un promoteur immobilier, en route pour la vallée de la Mort. Les deux jeunes gens s'éprennent l'un de l'autre et passent une nuit d'amour inoubliable à Zabriskie Point. La célèbre séquence tournée dans la Vallée de la Mort offre une vision saisissante de la libération sexuelle, tandis que la société de consommation explose au ralenti, sur une bande son des Pink Floyd. Ce fut pourtant un échec commercial.
"Professione reporter" (Profession: Reporter, The Passenger (Professione: Reporter), 1974)
Avec Jack Nicholson (David Locke), Maria Schneider (la jeune fille), Jenny Runacre (Rachel, l'épouse de Locke).
Le reporter David Locke tente vainement d'interviewer les chefs d'un groupe révolutionnaire en Afrique. De retour à son hôtel, il trouve un homme qui lui ressemble, Robertson, mort. Parce qu'il a envie de changer de vie, David Locke va prendre son identité et débute alors un étrange parcours sur les traces de cet homme qu'il est devenu, il suit le carnet de rendez-vous du défunt, part à Munich, y découvre un catalogue d'armes dans une consigne automatique: contacté par un révolutionnaire africain, il reçoit une forte somme d'argent et le lieu du prochain contact, Barcelone. Entre-temps, Rachel, la femme de Locke, veut éclaircir le mystère de la mort de son mari et persuade un ami commun, Martin, de l'aider. David sera démasqué et, poursuivant inexorablement sa route dans les pas de Robertson, périra seul dans sa chambre d'hôtel...
"Identificazione di una donna" (Identification d'une femme, Identification of a Woman, 1985)
Avec Tomas Milian (Niccolo Farra), Daniela Silverio (Mavi), Christine Boisson (Ida), Marcel Bozzuffi (Mario), Lara Wendel (la fille de la piscine), Veronica Lazar (Carla Farra).
Antonioni semble s'interroger sur ces êtres du sexe opposé qu'il faut aimer tout en sachant qu'on n'aura aucune prise sur eux. Niccolo Farra, metteur en scène de cinéma et substitut d'Antonioni, a le sentiment d'un projet de film, il n'a pas l'idée du moindre scénario, mais semble obsédé par l'idée d'une femme, idée qu'il tente de préciser en découpant par exemple dans la presse des photos de célébrités ou d'inconnues qu'il épingle au mur. Mais un soir, il reçoit l'appel d'un homme qui lui conseille de cesser de fréquenter Mavi, une jeune et mystérieuse aristocrate romaine qui est devenue voilà peu sa maîtresse et dont il a le sentiment, malgré sa passion pour lui, qu'elle lui échappe. Niccolo cherche à découvrir quel est l'individu à l'origine de cet appel et découvre que ses faits et gestes sont surveillés. Peu après, Mavi disparaît et Niccolo, après l'avoir cherché en vain, rencontre une comédienne, Ida, avec laquelle il débute une liaison, mais le fantôme de sa précédente maîtresse ne cesse de s'interposer entre eux...
Lucia Bosé (1931)
Lucia Bosé et Monica Vitti furent les deux grandes rencontres féminines qui illuminèrent l'oeuvre d'Antonion, et les hommes apparaissent ainsi tout au long de ses films comme les victimes de l’amour et de l’attention que portent les femmes à leur égard. Il ne les comprennent pas et ne les comprendront jamais. Issue d'une famille modeste, petite caissière de seize ans à la taille élancée, aux grands yeux mélancoliques que remarque un jour Luchino Visconti dans une pâtisserie de Milan, Lucia Bosé (1931) devient Miss Italie en 1947, devant Gianna Maria Canale et Gina Lollobrigida. Si elle ne parvient pas à décrocher le principal rôle féminin dans "Riso amaro" (1949) de Giuseppe De Santis qui fit la gloire de Silvana Mangano, - la sensuelle ouvrière des champs en short haut et ajusté -, c'est Michelangelo Antonioni qui la révèle dans deux de ses premiers longs métrages, "Cronaca di un amore" (1950) et "La signora senza camelie" (1953), puis joue dans "Le ragazze di piazza di Spagna" de Luciano Emmer (1952) et "Roma ore 11" de Giuseppe De Santis.
En 1954, elle est éclipsée par la toute jeune Brigitte Bardot dans un mélodrame d'espionnage. L'année suivante, Lucia Bosè épouse le matador Luis Miguel Dominguin, qui vient de rompre avec Ava Gardner, et s'installe en Espagne. L'actrice travaille alors avec Juan Antonio Bardem (Mort d'un cycliste) et Luis Buñuel. Après une apparition dans Le Testament d'Orphée de Jean Cocteau, Lucia Bosè se retire...
Monica Vitti (1931)
Monica Vitti fut la muse intellectuelle et charnelle de Michelangelo Antonioni, et celui-ci fut son mentor et son amant, et c'est avec quatre de ses films que la blonde Monica Vitti, Maria Luisa Ceciarelli, s'impose, L'avventura (1960), La notte (1961), L'eclisse (1962), Deserto rosso (1964), mélange de candeur et de volupté à vivre, ""Lei ha una bella nuca, potrebbe fare cinema", dira-t-il. Durant la seconde moitié des années 60, Monica Vitti change de registre et s'affirme dans la comédie italienne avec Mario Monicelli (La ragazza con la pistola, 1968), Alberto Sordi (Amore mio aiutami, 1969), Ettore Scola (Dramma della gelosia. Tutti i particolari in cronaca, 1970), Luciano Salce (L'anatra all'arancia, 1975), puis embrasse une carrière internationale en tournant sous la réalisation de Joseph Losey (Modesty Blaise, la bellissima che uccide, 1969), Miklos Jancso (La pacifista, 1971, Luis Buñuel (Il fantasma della libertà, 1974), André Cayatte (Ragione di stato, 1978), enfin par la suite, fait ses débuts de réalisatrice avec "Scandalo segreto" (1990) et publie son premier roman "Il letto è una rosa" (1995)....
Federico Fellini (1920-1993)
Federico Fellini a créé un univers proche du cirque, peuplé de clowns innocents ou grotesques, et de motifs récurrents telles que la mer et l'église catholique, symbolisant dans un style fantasmatique la liberté, la rédemption, la répression. Ce natif de Rimini qui s'installe à Rome en 1938, épouse sa muse, Giulietta Masina, et, en 1945, se lie d'amitié avec Roberto Rossellini, dont il écrit plusieurs scénarios (Rome, ville ouverte). Bien qu'il s'en soit défendu, ses premiers films sont bien d'inspiratin néoréaliste en s'intéressant aux humbles et aux marginaux, tels que "Les Feux du music-hall" (1951) coréalisé avec Lattuada, ou "Les Inutiles" (1953), situé à Rimini. Fellini l'a toujours clamé : "si le cinéma n'existait pas, je serais devenu directeur de cirque." On pourrait également dire que si le cirque n`avait pas existé, il serait quand même devenu réalisateur. Il est évident que le cirque est une métaphore (et une réalité) que Fellini affectionne. Dans "La Strada" (1954), Giuletta Massina (l'épouse de Fellini) tient le rôle d'un innocent clown blanc maltraité par un Monsieur Muscle (Anthony Quinn) qui ne comprend qu'il l'aime, si ce n'est à sa mort. Fellini reçoit l'Oscar du meilleur film étranger et devient célèbre au niveau international. Pour "Les Nuits de Cabíria" (1956), il accentue l'allure chaplinesque de Giulietta Massina pour en faire une "innocente" prostituée. Puis il fait de Marcello Mastroianni son alter ego à l'écran dans "La Dolce Vita" (1959) et dans "8 I/2" (1963). Ce dernier titre fait réference au nombre de films déjà réalisés par Fellini (coréalisations comprises). Cet autoportrait réapparaîtra dans ses oeuvres suivantes, comme "Fellíní-Roma" (1971) ou "Amarcord" (1973), recueils de rêveries sur le passé de l'auteur. C'est Nino Rota qui compose ses célèbres bandes originales et son dernier film, La Voce della Luna, date de 1990. . Ennio Flaiano (1910-1972), auteur d'un seul roman, "Tempo di uccidere" (1947) et de plus de soixante scénarios, fut le scénariste de Michelangelo Antonioni (La Nuit), de Mario Monicelli et surtout de Frederico Fellini, tous deux Romains d'adoption et vénérant cette ville avec une même intensité. Peintre provincial d'une société provinciale ou narrateur décadent de ses propres fantasmes, des personnages sans épaisseur, la dernière séquence des films de Fellini laisse souvent comme une place vide qui semble nous faire prendre conscience que plus rien ne sera plus comme avant...
"I vitelloni" (Les Vitelloni, 1953)
Avec Franco Interlenghi (Moraldo Rubini), Albert Sordi (Alberto), Franco Fabrizi (Fausto), Leopoldo Trieste (Leopoldo) Riccardo Fellini (Riccardo), Leonora Ruffo (Sandra Rubini).
Premier grand succès de Fellini, à mi-chemin du néo-réalisme dont il n'a pas l'aspect novateur et de la comédie italienne, une chronique mélancolique qui s'attarde sur le désoeuvrement et l'ennui de cinq de jeunes trentenaires d'un petite ville de la riviera romagnole, les "Vitelloni", groupe de copains et adolescents attardés, Alberto, Riccardo, Leopoldo, et dont le leader, Fausto, a mis enceinte Sandra, la soeur du plus jeune, Moraldo, un Moraldo qui semble vouloir fuir ce monde si dérisoire qui auto-entretient son vide de l'existence : Fausto s'apprête à prendre la fuite, mais son propre père l'oblige à épouser la jeune fille, et intervient au plus fort des péripéties qui émaillent les relations du jeune couple, un Fausto veule et volage qui jamais n'évoluera, reste Moraldo qui se décider enfin à quitter ces compagnons...
"La Strada" (1954)
Avec Giulietta Masina (Gelsomina), Anthony Quinn (Zampano), Richard Basehart (il Matto), Aldo Silvani (il signor Giraffa), Marcella Rovena (la veuve).
Néoréalisme et moments surréalistes se côtoient dans ce premier succès international "fellinien", son épouse joue le rôle d'une jeune femme, l'ingénue et si fragile Gelsomina, vendue par sa mère à un forain ambulant, Zampano, l'hercule à la mâchoire d'acier : sa route croisera celle d'un équilibriste, Il Matto, qui paiera de sa vie son attirance pour Gelsomina...
"Il Bidone" (1955)
Avec Broderick Crawford (Augusto), Giulietta Masina (Iris), Richard Basehart ("Picasso"), Franco Fabrizi (Roberto), Sue Ellen Blake (Susanna).
Un trio d'escrocs sans envergure, un quinquagénaire, Augusto, le taciturne, et deux autres plus jeunes, "Picasso", qui mène une double vie et de père et de truand, et Roberto, le bellâtre superficiel, commettent à travers la campagne romaine des escroqueries plus ou moins bien combinées. L'une d'entre elles consiste à faire croire à une paysanne ou à un paysan qu'un trésor est enfoui dans son champ depuis la guerre à côté du cadavre d'un homme assassiné. Le seul film de Fellini où les personnages ont une véritable épaisseur psychologique et tragique, servi par une interprétation admirable...
"Le Notti di Cabiria" (Les nuits de Cabiria, 1957)
Avec Giulietta Masina (Cabiria), François Périer (Oscar D'Onofrio, le comptable), Amedeo Nazzari (Alberto Lazzari), Aldo Silvani (l'hypnotiseur), Franca Marzi (Wanda).
Giulietta Massina incarne Maria "Cabiria" Ceccarelli, une prostituée naïve qui exerce son métier sur la Promenade Archéologique et Via Veneto, et cherche l'amour, mais ne trouve qu'ennuis et déceptions : Giorgio, son amant, la pousse dans le Tibre pour lui voler son sac et son argent; recueillie par le grand acteur Alberto Lazzari, elle passe la nuit cachée dans un cabinet de toilette pendant que celui-ci se réconcilie avec sa maîtresse; suppliant la Madone de faire que sa vie change, elle rencontre un jeune homme timide, Oscar, qui semble vouloir l'épouser et qui lui vole en fait ses économies. Néoréaliste par ses décors miteux et son sujet tragique, le film pressent le Fellini à venir de la liberté visuelle et de l'onirisme. Giulietta Masina (1921-1994) a construit un personnage unique dans l'histoire du cinéma, un visage enfantin aux mille expressions, parfaite incarnation du style Fellini, alliant un irréalisme provocant à une vulnérabilité et une sincérité émouvante : la prostituée des nuits de Cabiria est éternellement abusée et pourtant éternellement optimiste, et nous la reverrons, après "La Strada" et "Il Bidone" (1955), dans "Giulietta degli spiriti" (1965), "Ginger e Fred" (1986), "Aujourd'hui peut-être" (1991). A l'aube, abandonnée, en pleurs, Cabiria, sur la route de Rome, esquissera pourtant un pâle sourire...
"La Dolce Vita" (1959)
Avec Marcello Mastroianni (Marcello Rubini), Anita Ekberg (Sylvia), Anouk Aimée (Maddalena), Yvonne Furneaux (Emma), Lex Barker (Robert), Alain Cuny (Steiner), Nadia Gray (Nadia), Walter Santesso (Paparazzo), Annibale Ninchi (le père de Marcello) Renée Longarini (Mme Steiner), Magali Noël (Fanny), Nico (elle-même).
Objet d'un scandale à sa sortie, ce film de Federico Fellini offre un impressionnant panorama de trois heures et sur écran large de la décadence d'une certaine société romaine. ll introduit dans le langage international les termes de "dolce vita" (la douceur de vivre) et de "paparazzi" (mot à mot, le garçon déclenchant le moustique du flash). Le film suit pendant 7 jours et 7 nuits la vie d'un jeune chroniqueur de tabloïd, désabusé, Marcello Rubini (Marcello Mastroianni), en proie aux turpitudes de sa microsociété, à la recherche du scoop dans les rues de Rome. La métaphore finale est claire : il entraperçoit l'innocence et la pureté à travers une jeune fille sur une plage à l'aube, mais un bras de mer les sépare et il ne peut entendre ce qu'elle dit, Marcello Mastroianni restera toujours à la lisière d'un monde dans lequel, faute de plénitude plus que de courage, il ne peut s'engager. Sans se soucier de l'intrigue, Fellini nous offre une suite de tableaux juxtaposés : une grande statue du Christ hélitreuillée survole Rome ; Marcello et une riche héritière désoeuvrée draguent une prostituée pour faire "ménage à trois" ; une escroquerie utilisant deux enfants, manipulés par une famille peu scrupuleuse, attire les foules en simulant des apparitions de la Vierge, et se termine avec la mort d'un handicapé et la détresse des croyants trompés; une orgie organisée pour fêter un divorce dans laquelle l'hôtesse, Nadia (Nadia Gray) effectue un strip-tease et où Marcello colle des plumes à une femme qu'il monte comme un cheval ; ou quand la starlette Sylvia (Anita Ekberg) fait des avances à Marcello. Les protagonistes du film s'étourdissent de plaisirs pour oublier leur angoisse existentielle...
La scène emblématique du film : Anita Ekberg dans le rôle de la starlette américaine Sylvia se rafraîchit le corps et l'esprit dans la fontaine de Trévi, une scène inspirée des photographies de Pierre Luigi en septembre 1958 ...
Native de Malmö, Anita Ekberg (1931-2015) ne décrocha pas le titre de Miss Univers en 1950 mais un contrat avec Universal Studios : elle tourna avec Jerry Lewis et Dean Martin ("Artists and Models", 1955, "Hollywood or Bust", 1956), fut engagée par Paramount avec l'espoir de concurrencer Marilyn Monroe, et enchaîne quelques productions : "War and Peace" (1956), de King Vidor, avec Mel Ferrer, Henry Fonda et Audrey Hepburn, "Back from Eternity" (1956) de John Farrow, avec Robert Ryan, "Pickup Alley" (1957), de John Gilling, avec Victor Mature, et un western de Gerd Oswald, "Valerie" (1957) avec Sterling Hayden, "Paris Holiday" (1958) avec Bob Hope, "Screaming Mimi" (1958), avec Philip Carey, enfin "Sheba and the Gladiator" (Nel Segno di Roma) en 1959. Mais c'est Frederico Fellini qui lui donne dans "La Dolce Vita" son plus grand rôle, en 1960, incarnant Sylvia Rank, une beauté inaccessible. Ce fut le sommet de sa carrière, elle joue en 1962 dans un épisode de Boccace 70, ultime tentation de Peppino De Filippo avant de sombrer très rapidement...
"Otto e mezzo" (8 1/2, 1963)
Avec Marcello Mastroianni (Guido Anselmi), Claudia Cardinale (Claudia), Anouk Aimée (Luisa Anselmi), Sandra Milo (Carla), Rossella Falk (Rossella), Barbara Steele (Gloria Morin) Mario Pisu (Mezzabotta), Guido Alberti (Pace, le producteur).
Film insolite encensé par la critique et qui aborde le thème de le frontière entre réalité et reconstruction cinématographique de cette réalité, comment filmer notre existence? Harcelé par ses producteurs, attaqué par les critiques, assiégé par les acteurs et les actrices, le réalisateur Guido Anselmi (Mastroianni), - un homme fellinien qui est tout à la fois, écrira Moravia,un érotomane, un sadique, un masochiste, un mythomane, un peureux, un nostalgique du sein maternel, un bouffon et un mystificateur -, ne parvient plus à faire face à toutes les exigences de sa vie comme de son métier : il se réfugie dans une station thermale et tente de se retrancher dans un univers peuplé de souvenirs et de fantasmes, la situation se complexifiant avec la rencontre accidentelle de son austère épouse et de sa maîtresse des plus volages.
"Giulietta degli spiriti" (Juliette des esprits, 1965)
Avec Giulietta Masina (Giulietta Boldrini), Sandra Milo (Susie), Mario Pisu (Giorgio), Valentina Cortese (Valentina), Valeska Gert (Pijma), José Luis de Villalonga (José), Friedrich von Ledebur (Bishma), Caterina Boratto (La mère de Giulietta).
Second film en couleur de Fellini après La tentation du docteur Antonio, et premier film de la période dite moderne de Fellini, l'imaginaire envahit totalement des intrigues et scènes reprises de La Strada ou des Nuits de Cabiria. A la différence des constats tragiques ou amères de Gelsomina et de Cabiria qui cherchent leur place dans le monde des hommes et s'interrogent sur celui-ci, Juliette, - bourgeoise aisée qui prépare soigneusement son anniversaire de mariage avec un mari, Girogio, qui semble l'avoir oublié, infidèle sans doute, et lui impose une troupe de saltimbanques excentriques et férus d'occultisme -, entreprend un voyage intérieur et se laisse progressivement envahir par son imagination et les démons de sa vie présente et passée, pour enfin se libérer d'un monde dont l'ambiguïté est d'être à la fois fascinant et cruel...
"Satyricon" (Fellini Satyricon, 1969)
Avec Martin Potter (Encolpio), Hiram Keller (Ascilto), Max Born (Gitone), Salvo Randone (Eumolpo), Mario Romagnoli (Trimalcione).
Dans l'Italie de l'Antiquité, deux jeunes étudiants à demi vagabonds, Encolpe et Ascylte, vont d'aventures en aventures, guidés par leur instinct de jouissance. Le film partagera les critiques, facilités ou oeuvre visionnaire? Fellini dit avoir progressivement perçu des correspondances entre les fameux fragments du récit de Pétrone, écrit sous l'empereur romain Néron, vers le milieu du premier siècle: mais ici, si nous sommes dans un monde livré à la décadence et à la dépravation, si l'amour comme l'art ne sont que des artifices, la vie reste bien présente sous des allégories les plus charnelles et les délires de l'imagination de Fellini, façon d'échapper à la mort: monumental festin du riche et cruel Trimalcion, épousailles homosexuelles de Lychas et d'Encolpe, orgie avec une petite esclave noire une luxueuse villa de patriciens qui viennent de se donner la mort, hermaphrodite souffreteux qui accomplit des miracles dans une gigantesque grotte avant de mourir, combat d'Encolpe contre un colosse déguisé en Minotaure et obligé de satisfaire le désir d'une femme gourmande, assassinat tragique d'Ascylte tandis que Encolpe poursuit sa quête..
"Roma" (Fellini-Roma, 1972)
Avec Peter Gonzales (Federico Fellini à 18 ans), Fiona Florence (une jeune prostituée), Pia de Doses (Princesse Domitilla), Marne Maitland (le guide sous-terrain), et une trentaine d'autres dont Fellini (dans son propre rôle).
À la fin des années 30, un jeune homme qui a fait ses études à Rimini part à la découverte de Rome. ll va y rencontrer la faune humaine de la Ville éternelle. Un bond en avant de
plus de trente ans. Voici Rome aux début des années 70. La ville a changé: embouteillages, raz de marée touristique, hippies et vrombissement de motos. Une autre Rome est là.
Lorsque, pour les besoins de la construction du métro, les techniciens f ouillent les entrailles de Rome, ils découvrent que les sous-sols de la Ville éternelle contiennent plusieurs Rome disparues. Rome d'hier et Rome d'aujourd'hui. Fellini, pressé par ses étudiants de signer un cinéma engagé, se penche sur Rome, sa ville d'adoption. Sur la cité antique des souvenirs scolaires, d'abord, celle de la Louve et de Néron, des gladiateurs de cinéma qui côtoyaient, dans les salles obscures, les fascistes des actualités. Sur la Rome de son adolescence, ensuite, qu'il éprouva dès son arrivée dans la capitale, au sein d'une pittoresque pension de famille dominée par l'imposante et impotente «mamma». Peuplée des truculents clients des trattorias, mangeant, lisant le journal ou de se chamaillant, de matrones à l'opulente poitrine , de spectacles minables du music-hall Jovinelli, cette Rome-là fut aussi, pour le jeune provincial de Rimini, le site des premiers désirs amoureux, apaisés dans des maisons plus ou moins accueillantes, sous les grondements des alertes aériennes et des échos de la guerre...
"Amarcord" (1973)
Avec Bruno Zanin (Titta Biondi) Pupella Maggio (Miranda Biondi, la mère de Titta), Armando Brancia (Aurelio Biondi, le père de Titta), Magali Noël (Gradisca, la coiffeuse), Ciccio Ingrassia (Teo, oncle de Titta), Nando Orfei (Patacca, oncle de Titta), Luigi Rossi (l'avocat érudit), Gianfilippo Carcano (Don Baravelli), Josiane Tanzilli (Volpina, la prostituée).
"Le fascisme est en quelque sorte une ombre menaçante qui ne demeure pas immobile derrière notre dos, mais qui grandit souvent au-dessus de nous et nous précède. Le fascisme sommeille toujours en nous. Il y a toujours le danger de l'éducation, d'une éducation catholique qui en connaît qu'un but : conduire l'homme à une dépendance morale, réduire son intégrité, lui dérober tout sentiment de responsabilité pour le garder dans une immaturité qui n'en finit pas. Dans la mesure où je décris la vie dans un petit endroit, je représente la vie d'un pays et présente aux jeunes gens la société dont ils sont issus. Je leur montre ce qu'il y a eu de fanatisme, de provincial, d'infantilisme, de lourdeur, de soumission et d'humiliation dans le fascisme de cette société là" (Federico Fellini, Amarcord, 1974). Dans une cité imaginaire de la côte de l'Adriatique, le cheminement du jeune Titta. Son éducation catholique. Les discours fascistes des années 30. La répression familiale. Les querelles de ses parents. Ses fantasmes érotiques. Le passage du paquebot transatlantique Rex. La mort de sa mère et la fin de son adolescence. Fellini revisite, cinématographiquement parlant, sa jeunesse qu'il passa à Rimini, en la réinventant totalement dans les studios de la Cinecitta, le petit village au bord de l'Adriatique, les fantasmes d'adolescent (la grosse poitrine de la buraliste), son oncle, dément, tenu fermement par deux infirmiers, l'époque des Westerns de Gary Cooper et des pantalons à la zouave. Le film n'est pas bâti sur une structure dramatique précise, mais alterne les scènes souvent brillantes comme celle, bien connue, du passage du paquebot transatlantique Rex que les uns suivent du regard depuis le rivage et que les autres tentent d'approcher sur de minuscules barques...
Née à Bologne en 1930 et décédée 67 ans plus tard, Maria Antonietta Beluzzi entre dans le septième art au début des années 1960 avec "La vita provvisoria" (Enzo Battaglia & Vincenzo Gamna, 1962) et joue dans l'une des séquences les plus représentatives d' "Amarcord" de Fellini, présentant au jeune Bruno Zanin son opulente poitrine, fantasme du réalisateur...
"La città dette donne" (La cité des femmes 1980)
Avec Marcello Mastroianni (Marcello Snàporaz), Anna Prucnal (Elena Snàporaz), Ettore Manni (Docteur Xavier Katzone), Bernice Stegers (la femme du train), Jole Silvani (le motard).
Une fable débridée sur la place de l'homme dans ce monde, alternant rêve, cauchemar, situation absurde ou loufoque. Au hasard d'un voyage, Marcello Snaporaz fringant quinquagénaire, aborde et poursuit une inconnue rencontrée dans un train, et se retrouve dans un hôtel isolé, le Grand Hôtel Miramare, où se tiennent les assises d'un grand congrès de militantes féministes qui donnent libre cours à leur exaltation. Elles proclament leur libération avec une force qui bousculent Marcello et celui-ci tente de fuir et rencontre divers types de femmes, patineuses, lutteuses, sportives, femmes mature ou marginale. Il termine sa course dans le manoir hyper-gadgétisé d'un de ses anciens camarades, Katzone, qui fête sa millième conquête féminine et, au cours des festivités, rencontre, par hasard, son épouse : s'ensuit une crise conjugale, la perte de désir de Marcello, et le voici basculant dans les méandres vertigineux et symboliques d'un grand toboggan qui le précipite au cœur de son passé. Ce périple débouche sur un tribunal révolutionnaire féminin qui entend faire son procès, il prend alors la fuite à bord d'une montgolfière en fourme de poupée gonflable, celle-ci est abattue à la mitraillette par une terroriste et Marcello se retrouve alors dans le compartiment du train où il a rêvé toutes ces aventures. Autour de lui : sa femme, l'inconnue tentatrice et deux autres actrices de son théâtre intime. Le train s'engouffre dans un tunnel...
Luchino Visconti (1906-1976)
Aristocrate, marxiste, néoréaliste, metteur en scène de théâtre et d'opéra, chantre de la décadence, Luchino Visconti était un homme de contradictions, et ceci se reflète dans son cinéma. Marxiste dans l'âme, Luchino Visconti est néanmoins attiré par l'art bourgeois européen. Dans "Mort à Venise" (1971), l'ami du compositeur Gustave von Aschenbach, un des meilleurs rôles de Dirk Bogarde, dit : "L'Art est ambigu. C'est de l'ambiguïté faite science". Visconti est à la fois attiré et dégoûté par la décadence de la société, mais il en reconstitue amoureusement chaque détail. Dans "Le Guepard" (1963), le prince de Salina (Burt Lancaster) comprend avec tristesse que les temps de la féodalité sont passés. Dans "Ludwig, le crépuscule des dieux" (1972), Louis Il de Bavière défend Richard Wagner contre les hypocrites. Dans "Mort à Venise", situé à la Belle Époque, le choléra menace de balayer tout ce beau monde opulent qui réside à l'Hôtel des Bains, devant la plage du Lido. On est bien loin de son premier film, "Les Amants diabolíques" (1942), qui avait lancé le néoréalisme italien. Il reviendra une seule fois à ce style, avec "La terre tremble" (1948), où il filme le quotidien de pauvres pêcheurs siciliens. Metteur en scène des opéras interprétés par La Callas, il adapte à l'écran le somptueux "Senso" (1954) de Verdi avec un égal bonheur. En 1960, il signe "Rocco et ses frères", sur une famille du Sud s'installant à Milan pour fuir la misère...
"Bellissima" (1951)
Avec Anna Magnani (Maddalena Cecconi), Walter Chiari (Alberto Annovazzi), Tina Apicella (Maria Cecconi), Gastone Renzelli (Spartaco Cecconi).
Toute la fierté naturelle et ombrageuse d'Anna Magnani. Une femme pauvre de Rome dépense toute son énergie et ses économies pour que sa fillette soit choisie parmi des centaines d'autres pour être la vedette du prochain film de Blasetti. Ulcérée par les rires qui saluent la projection du bout d'essai de sa progéniture, elle refusera de signer le contrat qu'on propose à sa fille.
"Senso" (1954)
Avec Alida Valli (comtesse Livia Serpieri), Farley Granger (lieutenant Franz Malher), Massimo Girotti (marquis Ussoni) Heinz Moog (comte Serpieri).
Pendant l'occupation autrichienne, une comtesse est chargée de garder les réserves financières de la résistance italienne. Lorsqu'elle noue une liaison avec un officier ennemi, elle se trouve entraînée par sa passion et dilapide la fortune pour faire réformer son amant, qui finit par l'abandonner.
"Le Notti Bianche" (Les Nuits blanches, 1957)
Avec Marcello Mastroianni (Mario), Maria Schell (Natalia), Jean Marais (Le locataire).
Inspiré d'une nouvelle de Dostoïevski, "Les Nuits blanches" , quittant la thématique du désir sexuel qui travaillent "Ossessionne" et "Senso", Visconti s'autorise ici une pause romantique dans une Livourne reconstruite : une nuit, près d'un canal, Mario, un jeune employé de bureau, rencontre Natalia, une jeune fille dont le comportement étrange l'attire, elle vit seule avec sa grand-mère presque aveugle et louent des chambres dans leur maison. Tombée amoureuse d'un locataire qui lui avait promis avant de partir, de la retrouver un an plus tard auprès de ce même canal où ils s'étaient quittés, elle le guette depuis avec anxiété, et Mario va tenter de la persuader que cette attente est vaine : elle est sur le point de se ranger à l'avis de Mario, lorsque, contre toute attente, la silhouette du locataire apparaît une nuit, laissant Mario à sa triste solitude...
"Rocco e i suoi Fratelli" (Rocco et ses frères, 1960)
Avec Alain Delon (Rocco Parondi), Renato Salvatori (Simone Parondi), Annie Girardot (Nadia), Roger Hanin (Morini), Suzy Delair (Mme Luisa), Spiros Focás (Vincenzo Parondi), Claudia Cardinale (Ginetta), musique de Nino Rota.
Visconti revient au néoréalisme et brosse dans un de ses meilleurs films, une véritable fresque sociale. Rosaria Parondi et quatre de ses cinq fils, Rocco, Simone, Ciro et Luca, le plus jeune, ont quitté leur province pauvre de Lucanie en Italie du Sud pour s'installer à Milan et tout espérer du miracle économique italien. Vincenzo, le fils aîné qui les a précédé à Milan, rêve de confort petit-bourgeois et s'est fiancé avec Ginetta : il reçoit sa famille chez ses beaux-parents, mais, mésalliance oblige, les Parondi sont contraints de se replier dans un logement social. Simone s'entraîne à la boxe pour espérer un jour sortir de la misère, il rencontre Nadia, une prostituée, qu'il présente à ses frères. Nadia va révéler toutes les tensions sous-jacentes à cette nouvelle vie urbaine à laquelle est confrontée l'immigration. Si Ciro suit des cours du soir tout en travaillant pour devenir ouvrier spécialisé, et sera par la suite employé dans les usines Alfa Romeo, Simone ne tarde pas à incarner toute la corruption citadine : il prend du poids, se laisse entraîner dans une histoire de vol et condamner, et c’est son frère Rocco, un visage d’ange incarnant l’abnégation familiale et revenu du service militaire, qui va entreprendre de le soutenir . Rocco va devenir ainsi boxeur et se révèle un grand espoir dans sa catégorie. L'ascension de Rocco et l'attirance que Nadia lui porte, - à laquelle résiste pourtant Rocco pour ne pas blesser son frère -, entraînent la jalousie et la brutalité de Simone qui ira jusqu'à tuer la jeune femme. Rosaria s'en prend au ciel, la police arrête Simone trois jours après, et Ciro tente de persuader le plus jeune des frères, Luca, de ne pas retourner au pays, les journaux annoncent quant à eux le prochain combat de Rocco. Deux scènes remarquées: la fête des fiançailles de Vincenzo, gâchée par l'arrivée de Rosaria, sa mère, et ses quatre frères, et le retour à la maison de Simone après le meurtre de Nadia...
"Il gattopardo" (Le Guépard, 1963)
Avec Burt Lancaster (Fabrizio Salina), Claudia Cardinale (Angelica Sedara), Alain Delon (Tancredi Falconeri ), Paolo Stoppa (Calogero Sedara), Rina Morelli (Maria Stella Salina), Romolo Valli (Père Pirrone).
Visconti prend un tournant que peu de critiques comprirent. Est-ce une traduction de son pessimisme foncier de l'Histoire? Mai 1860, la Sicile est alors traversée par des luttes intestines déclenchées par Garibaldi et ses "chemises rouges" qui ont débarqué dans l'île à Marsala pour renverse les Bourbons. Le patriarche aristocratique Don Fabrizio Salina, soutient, pour sauvegarder sa position, son ambitieux neveux, Tancrède, qui se bat aux côtés des garibaldiens par opportunisme, et quitte Palerme avec sa famille pour se retirer dans sa propriété d'été de Donnafugata. Tancrède y fait la connaissance d'Angelica, la fille de Calogero Sedara, le maire, frustre et nouveau riche, dont il s'éprend. C'est au cours d'un bal grandiose, scène mythique, que s'établit la nouvelle carte du monde, l'union entre la nouvelle bourgeoisie et l'aristocratie déclinante, et que Don Fabrizio Salina, refusant une position dans le nouveau Royaume d'Italie, fait le bilan de sa vie...
"Vaghe stelle dell'Orsa" (Sandra, 1965)
Avec Claudia Cardinale (Sandra Dawson), Jean Sorel (Gianni), Michael Craig (Andrew Dawson), M. Bell (La mère de Sandra), R. Ricci (Giraldini), F. Williams (Pietro), A. Troiani (Fosca), inspiré du roman de D'Annunzio, "Forse che sì forse che no" (1910).
Les époux Dawson, Andrew et Sandra, quittent Genève pour un court voyage à Volterra, ville natale de la jeune femme : à l'occasion de la commémoration de la mort de son père, un savant juif italien mort dans un camp de concentration, Sandra doit faire don à la Municipalité du jardin familial qui deviendra un parc public. Sandra est troublée lorsqu'elle revoit sa mère, handicapée mentale, et son frère Gianni qu'elle soupçonne d'avoir jadis dénoncé son père aux autorités fascistes. Au gré de cette enquête, resurgit le passé de Sandra et l'intimité équivoque qu'elle eut avec son frère, passé en correspondance avec l'origine étrusque mystérieuse de Volterra et le mythe des Atrides...
"La Caduta degli dei" (Les Damnés, The Damned, Götterdämmerung, 1969)
Avec Dirk Bogarde (Friedrich Bruckmann), Ingrid Thulin (Baronne Sophie von Essenbeck), Helmut Griem (Aschenbach), Helmut Berger (Martin von Essenbeck).
Avec sa trilogie allemande (Les Damnés, Mort à Venise, Ludwig), Visconti reprend ses thèmes de décadence, de destruction, de sexe, de mort. "J'ai voulu situer mon film en Allemagne parce que j'ai voulu raconter une histoire sur le nazisme, ce qui me semble important. Mais le film n'est pas resté un film historique. C'est quelque chose de plus. A un certain moment, les personnages deviennent presque des symboles. C'est à dire que ce n'est plus un film sur l'histoire de la naissance du nazisme mais un film situé à un moment pour provoquer certains conflits et surtout pour amener une certaine catharsis à travers les personnages", écrit Visconti. Le 27 février 1933, dans une ville de la Ruhr, la famille Essenbeck célèbre l'anniversaire du vieux baron Joachim, chef de la dynastie et maître des aciéries qui ont fait la prospérité de toute la famille. Sa fille, la baronne Sophie, veuve de guerre et mère de Martin, un jeune homme pervers, est la maîtresse de Friedrich Bruckmann, le directeur des usines. Dans la soirée tombe la nouvelle de l'incendie du Reichstag à Berlin et les nazis vont désormais concentrer tous les pouvoirs dans leurs mains : cette famille emblématique de la force du capitalisme allemand se voit alors déchirée intérieurement, le nazisme contraignant chacun de ses membres à se positionner, le baron Konstantin, fils du patriarche, accroche fièrement la croix gammée à son costume, Friedrich Bruckmann se rallie aux nouveaux maîtres et entend reprendre la succession du baron, au contraire d'Herbert Thalman qui reste un libéral anti-nazi. Après le repas d'anniversaire, Bruckmann confie à Sophie : "De grandes choses se passeront cette nuit et les neutres seront les perdants..." On reprochera à Visconti une certaine complaisante esthétique...
"Morte a Venezia" (Mort à Venise, 1971)
Avec Dirk Bogarde (Gustav von Aschenbach), Björn Andrésen (Tadzio), Mark Burns (Alfred), Silvana Mangano (Mme Moes, la mère de Tadzio), Nora Ricci (la gouvernante).
Le professeur Gustav von Aschenbach, compositeur et chef d'orchestre, arrive sur l'île du Lido à Venise et s'installe au Grand Hôtel des Bains, un établissement de luxe fréquenté par le meilleur monde. L'écrivain, héros du célèbre roman de Thomas Mann, est ici un compositeur, inspiré de Gustav Mahler, dont la musique somptueuse souligne les moments les plus saisissants du film (l'Adagietto de la Cinquième Symphonie). Venu à Venise pour renforcer sa santé déclinante, l'homme tombe amoureux d'un jeune homme lumineux, Tadzio, qui séjourne dans le même hôtel. Plus son obsession s'intensifie, plus sa sensibilité gagne sur son intellectualisme, la sensualité vient à imprimer toute son être alors que sa santé se détériore, à l'image des vétustes façades vénitiennes...
"Ludwig" (Ludwig, le Crépuscule des dieux, 1972)
Avec Helmut Berger (Ludwig), Trevor Howard (Richard Wagner), Silvana Mangano (Cosima Von Buelow).
"Ludwig" est considéré comme le somment de l'esthétique décadente de Visconti, un film réduit par les producteurs et restitué à sa durée initiale (quatre heures vingt-quatre) après sa mort. Visconti semble en correspondance avec un personnage aux aspirations démesurées mais au fond totalement impuissant. Louis monte sur le trône de Bavière à dix-neuf ans, passionné de musique et de littérature, il se révèle totalement indifférent au politique. C'est en mai 1864 qu'il rencontre ses "dieux", Richard Wagner, le chef d'orchestre Hans von Bülow et sa femme Cosima, la fille de Liszt. Louis subvient à leurs besoins, mais ignore les relations entre Richard et Cosima. Il se sent trahi lorsqu'il apprend la vérité et invite le compositeur à quitter Munich. Louis se désintéresse de la guerre déclarée avec la Prusse, et s'attache à sa cousine, l'impératrice d'Autriche, qu'il adore. Mais, déçu par cette dernière, il annonce ses fiançailles avec la sœur de la souveraine, Sophie, qu'il va refuser d'épouser pour se tourner vers son attaché Richard Horning. Méprisé par ses ministres, le roi se retire dans ses châteaux et invite l'acteur Joseph Kainz dont il est épris. Déclaré fou, il se trouve interné au château de Berg. Le 13 juin 1886, au soir, il sort en promenade accompagné du professeur Gudden. Plus tard, les corps des deux hommes seront retrouvés dans le lac...
Roberto Rossellini (1906-1977)
Rohmer disait de Rossellini, "le génie de Rossellini est son manque d'imagination". Passion et humanisme sont omniprésents dans I'œuvre de Rossellini. partagée en quatre périodes : le fascisme, le néoréalisme, les mélodrames avec Ingrid Bergman et les films sur des saints ou des personnalités historiques. Sa carrière débute par une trilogie qui en fait le chantre de Mussolini : "La Nave Bianca" (1941), coréalisé avec De Robertis, "Un Pílota Ritorna" (1942) et "L'Homme de la Croix" (1943). Une deuxième période débute après guerre avec trois films : sur la Résistance avec "Rome, ville ouverte" (1945), sur la Libération avec "Païsa" (1946) et sur le malheur des vaincus avec "Allemagne année zéro" (1947). Ces œuvres établissent le néoréalisme initié par Luchino Visconti dans "Les Amants diaboliques" en 1942 : filmées avec peu de moyens en décor naturel, elles décrivent des événements historiques et leurs conséquences, sur l'enfance innocente. Dans "Allemagne année zéro", situé dans les ruines de Berlin sous occupation alliée, un enfant ne subvenant plus aux besoins de sa famille empoisonne son père, puis se jette par la fenêtre. Avec Ingrid Bergman, qu'il épouse en 1950, débute une nouvelle ère, celle des chefs d'oeuvre. Rossellini lui confie des rôles intenses : Bergman cherche le salut au sommet d'un volcan dans "Strombolí" (1950), aide les pauvres et malades dans "Europe '51" (1952), est témoin d'un miracle dans "Voyage en Italie" (1953), et est poussée au suicide dans "La Peur" (1954). ll a abordé en 1950 la vie des saints avec "Francesco giullaire di Dio" (François d'Assise, 1950), "Atti degli apostoli" (1969). Après avoir divorcé de Bergman, il reprend ce cycle en tournant des biographies romancées de Socrate, des Médicis, d'Agostino d'Ippona, de Blaise Pascal et d'autres célébrités historiques. La "Prise de pouvoír par Louis XIV" (1966), contestée par les historiens, marque l'ultime étape de sa carrière. En 1976, il signe un dernier long métrage, "Le Messíe", sur la vie du Christ...
"Desiderio" (La Proie du désir, 1946)
Avec Elli Parvo (Paola Previtali), Massimo Girotti (Nando Selvini), Carlo Ninchi (Giovanni Mirelli), Roswita Schmidt (Anna Previtali Selvini), Francesco Grandjacquet (Riccardo).
A Rome, Paola, qui souffre d'être entretenue par une bourgeoisie qui ne lui plait pas, part rencontrer le véritable amour en la personne de Giovanni, un horticulteur. Heureuse, elle retourne auprès de sa famille en attendant son mariage. Mais son entourage ne la comprend pas, et elle finit par en perdre toute identité... Le film sort en août 1946 à Rome, pour être rapidement censuré et après avoir connu de nombreuses interruptions, guerre et manque de fonds émaillant sa construction.
"Stromboli, terra di Dio" Stromboli, 1950)
Avec Ingrid Bergman (Karin Bjorsen), Mario Vitale (Antonio Mastrostefano), Renzo Cesana(le prêtre) et les habitants de l 'île de Stromboli.
Premier des films que tourna Ingrid Bergman sous la direction de Roberto Rossellini et qui lui permet de prendre un peu de distance avec un Hollywood qui semblait lui peser. Rossellini la rencontra à Paris, lui montre le script du film, l'accompagne à Hollywood, puis, de retour tous deux en Italie, l'emmène dans l'île de Stromboli et trouve à Salerno celui qui allait partager le rôle principal, Mario Vitale. Toute la presse italienne se passionna pour cette liaison qui était devenue publique. Dans un camp de réfugiés, la nordique Karin a accepté d'épouser un simple pêcheur, Antonio, qui la ramène dans l'île où il habite, Stromboli. La désillusion gagne rapidement Karin, les gens sont hostiles et la terre belle mais aride, - la fameuse séquence de la pêche au thon restitue toute la brutalité d'un monde que doit côtoyer la blonde scandinave -, elle songera à fuir ce qui semble devenu pour elle un enfer, ce qui peut l'être pour l'enfant qu'elle porte en elle, mais ses possibilités de fuite sont aussi à la merci des éruptions du volcan...
"Europa 51" (Europe 51, 1952)
Avec Ingrid Bergman (Irène Girard), Alexander Knox (George Girard), Sandro Franchina (Michel, leur fils), Ettore Giannini (Andrea Casati).
Ingrid Bergman et Roberto Rossellini sont maintenant mariés et l'actrice revient sur les écrans dans un nouveau cycle de Rossellini, la "trilogie bourgeoise" qui, avec "Europe 51", "Voyage en Italie" et "La peur ", montre des hommes totalement étrangers au vécu des femmes. Femme de diplomate, Irène Girard est habituée à une vie luxueuse jusqu'à la mort de son fils qui la transforme en une autre femme : elle vient en aide aux marginaux, aux pauvres, aux rejetés de la société. Son mari, par peur du scandale, la fera interner dans une clinique...
"Viaggio in Italia" (Voyage en Italie, 1953)
Avec Ingrid Bergman (Katherine Joyce), George Sanders (Alexander Joyce), Maria Mauban (Marie Rastelli), Tony La Penna (Tony Burton), Natalia Ray-La Penna (Natalia), Jackie Frost (Judy), Anna Proclemer (La prostituée).
Rossellini écrit et met en scène la crise d'un couple sans enfant, avec au centre une femme qui se laisse gagner par la magie antique des lieux. C'est un film qui clôt le chapitre du néo-réalisme et semble ouvrir celui de La Nouvelle Vague (le film fascinera Truffaut); simplicité et proximité d'une image qui s'impose en l'état. Alexander Joyce et sa femme Katherine, un couple d'Anglais marié depuis huit ans, ont hérité d'une villa à Naples, au pied du Vésuve, villa qu'ils entendent vendre et pour ce faire se rendent en Italie, semblent alors s'y perdre et mener des chemins séparés : Alexander y rencontre Judy, une amie de longue date, Katherine se remémore un jeune poète Charles Lewington, qu'elle avait ici connu, puis gagne seule le musée archéologique, troublée par par la nudité des statues, visite au fil des jours en compagnie ou seule les grottes de la Sibylle, le Vésuve, les catacombes de l'église de Fontanella, et c'est lorsque tous deux découvrent Pompei et que des archéologues y dégagent deux formes humaines enlacées, qu'ils décident de se séparer...
... sur le chemin du retour, un mouvement de foule va les séparer puis les réunir au cours d'une scène passée à la postérité...
"La paura" (La peur, 1954)
Avec Ingrid Bergman (Irene Wagner), Mathias Wieman (Albert Wagner), Renate Mannhardt (Luisa Vidor), Kurt Kreuger (Erich Baumann), adapté de Stefan Zweig.
Irène est l'épouse d'un directeur d'usine de produits pharmaceutiques, Albert Wagner. Elle est sur le point de rompre avec Heinrich, son amant, quand une femme l'accoste au sortir de sa voiture et menace de tout révéler de cette liaison à son mari. C'est une ancienne maîtresse d'Heinrich, bien résolue à se livrer à un chantage en règle. Irène croit pouvoir se débarrasser d'elle en lui versant une grosse somme d'argent. Ses enfants lui apportent une consolation provisoire. Mais l'autre s'incruste et exige toujours davantage. Lors d'une soirée à l'Opéra, elle se glisse dans la loge de la jeune femme et, profitant d'une absence d'Albert, lui dérobe sa bague. Pour expliquer la disparition du bijou, Irène s'enferre dans le mensonge. Mais cette situation fausse lui pèse. Les demandes d'argent auxquelles elle doit faire face ne peuvent bientôt plus être satisfaites. C'est alors que, prise de pitié, la rançonneuse lui révèle le fin mot de la machination : c'est son mari lui-même qui a organisé cette comédie du chantage, afin de l'obliger à confesser sa faute et implorer son pardon. La découverte de ce complot achève de bouleverser Irène, qui tente de se suicider en s'injectant un poison dans le laboratoire de l'usine d'Albert. Celui-ci survient à temps pour prévenir l'issue fatale. Le couple réuni s'avoue mutuellement son amour...
"Il generale della Rovere" (Le Général della Rovere, 1959)
Avec Vittorio De Sica (Emanuele Bardone), Hannes Messemer (Col. Mueller), Vittorio Caprioli (Banchelli), Sandra Milo (Olga).
C'est un des films les plus poignants d'un Rossellini qui se penche sur l'histoire de l'Italie. Emmanuel Bertone, un quinquagénaire bon vivant mais sans scrupules vivant à Gênes, fraternise volontiers avec l'occupant (nous sommes en 1943) tout s'adonnant à de menus larcins : c'est ainsi qu'en se faisant passer pour le Colonel Grimaldi, il extorque de l'argent à des familles crédules, en leur promettant d'intercéder en faveur d'un fils ou d'un mari emprisonné. Mais le voici un jour sollicité par les Nazis pour incarner un des chefs de la résistance italienne, le Général della Rovere, dont la mort est tenue secrète, et pénétrer ainsi les milieux de la Résistance. L'escroc deviendra un héros malgré lui...
"Anima nera" (Âme noire, 1962)
Avec Vittorio Gassman, Nadja Tiller, Annette Stroyberg, Yvonne Sanson, Eleonora Rossi Drago.
Après des années de vie dissolue, un célibataire, Adriano, veut se ranger en épousant une fille de bonne famille, Marcella, répudiée par des parents opposés à son mariage. Mais l'héritage d'un noble turinois vient troubler son projet, les malentendus vont s'accumuler, le passé resurgira, il lui faudra y renoncer pour espérer reconquérir Marcelle...