African-American literature & The Civil Rights Movement - "The "Harlem Renaissance" - Claude McKay (1889-1948), "If We Must Die" (1919),"Home to Harlem" (1928) - Countee Cullen (1903-1946), "Copper Sun" (1927) - Jean Toomer (1894-1967), "Cane" (1923) - Langston Hughes (1902-1967), "The Negro Artist and the Racial Mountain" (1926) - Nella Larsen (1891-1964), "Quicksand" (1928), "Passing" (1929) - Zora Neale Hurston (1891-1960), "Their Eyes Were Watching God"(1937) - ....  

Last update: 12/12/2020


1920s-1930s, "The Harlem Renaissance"

Alors que la bohème blanche règne à Greenwich Village, on a sans doute oublié que dans les années 1920, Harlem, toujours à New York, abrite une bourgeoisie noire, qui se concentre sur Sugar Hill, et devient le lieu de rendez-vous des élites afro-américaines d'une cité de plus de 5 millions d'habitants, New York, qui s'est entretemps hissée au rang de cité mondiale de la culture. Une véritable littérature noire américaine existe depuis l'indépendance américaine avec des écrivains tels que Frederick Douglass (vers 1818–1895), un Booker T. Washington (1856–1915), qui recherche le dialogue avec les Blancs, à contrario d'un W. E. B. Du Bois (1868–1963), qui prône l’émergence d’une élite noire. Mais s'impose ici une extraordinaire effervescence culturelle, souvent décrite sous le terme de "Harlem Renaissance", ou "New Negro Movement", d'après "The New Negro", une anthologie de 1925 publiée par l'écrivain et philosophe Alain LeRoy Locke (1885-1954) : Martin Luther King rappellera en 1968 que si les enfants de couleur n'ont certes pas connu Platon et Aristote, W. E. B. Du Bois et Alain Locke sont venus parmi eux franchissant l'univers. Nombre d'afro-américains fuiront vers Harlem les conditions racistes du Sud profond modelé par Jim Crow, un personnage inventé par Thomas D. Rice en 1832 caricaturant les Afro-Américains. Ils y trouveront un milieu particulièrement élitiste nourri des universités qui fleurissent à l’est de Harlem, Columbia, Harvard....

Le mouvement  "Harlem Renaissance" va donc quitter le terrain des récits d’esclaves et des essais abolitionnistes pour se diversifier dans tous les domaines artistiques. Carl van Vechten (1880–1964) en fut le photographe attitré. C'est dans ce creuset que se conçoivent et vivent bien des innovations afro-américaines telles que le blues, les spirituals, le jazz et les œuvres littéraires qu'expérimentent de leurs existences les Afro-Américains, ou des thèmes hors normes qu'illustre le seul numéro de la revue "Fire !!" éditée en 1926. En littérature, l' activiste et controversé afro-jamaïcain, Marcus Garvey (1887–1940), prône le retour des Noirs sur la terre africaine, Countee Cullen (1903-1946) célèbre le continent africain (Simon the Cyrenian Speaks, 1925), Dorothy West (1907-1998) décrit la vie d’une famille noire aisée (The Living Is Easy, 1948), Wallace Thurman (1902-1934) dissèque le colorisme de ses contemporains (The Blacker the Berry, 1929),  George Schuyler (1895-1977) critique les excès des antagonismes blancs et noirs (Black No More, 1931), Claude McKay (1889-1946) transfigure l'existence dans le quotidien des rues de Harlem (Home to Harlem, 1928), Zora Neale Hurston (1891-1960)  écrit l'un des romans les plus représentatifs de cette époque, "Their Eyes Were Watching God"(1937), et Arturo Alfonso Schomburg (1874-1938) s'impose comme le Père de l'histoire noire américaine... 


Claude McKay, "If We Must Die" (1919)

La Renaissance de Harlem portait des personnalités particulièrement contrastées, et parmi celles-ci l'écrivain et poète jamaïcain, Festus Claudius "Claude" McKay (1889- 1948), qui très tôt portait en lui sa fierté africaine et son amour de la poésie britannique (Songs of Jamaica et Constab Ballads, en 1912), gagne les Etats-Unis et y publie "If We Must Die", vit par la suite entre deux continents, l'Europe et l'Amérique, deux idéologies, tant son attirance pour le communisme le conduit à séjourner plusieurs mois en Union soviétique en 1922-23. A la fin des années 1930, c'est l'antistalinisme qui domine en lui avant de se convertir au catholicisme en 1942...

"If We Must Die" (1919) est, avec "Harlem Shadows", publié en 1920 dans "Spring in New Hampshire", son oeuvre la plus connue...

If We Must Die

 

If we must die, let it not be like hogs

Hunted and penned in an inglorious spot,

While round us bark the mad and hungry dogs,

Making their mock at our accursèd lot.

If we must die, O let us nobly die,

So that our precious blood may not be shed

In vain; then even the monsters we defy

Shall be constrained to honor us though dead!

O kinsmen! we must meet the common foe!

Though far outnumbered let us show us brave,

And for their thousand blows deal one death-blow!

What though before us lies the open grave?

Like men we'll face the murderous, cowardly pack,

Pressed to the wall, dying, but fighting back!

 

Harlem Shadows

 

I hear the halting footsteps of a lass

In Negro Harlem when the night lets fall

Its veil. I see the shapes of girls who pass

To bend and barter at desire's call.

Ah, little dark girls who in slippered feet

Go prowling through the night from street to street!

Through the long night until the silver break

Of day the little gray feet know no rest;

Through the lone night until the last snow-flake

Has dropped from heaven upon the earth's white breast,

The dusky, half-clad girls of tired feet

Are trudging, thinly shod, from street to street.

Ah, stern harsh world, that in the wretched way

Of poverty, dishonor and disgrace,

Has pushed the timid little feet of clay,

The sacred brown feet of my fallen race!

Ah, heart of me, the weary, weary feet

In Harlem wandering from street to street.



"Home to Harlem", Claude McKay (1928) 

Le débat entre W.E.B. Du Bois et Claude McKay à propos du roman de ce dernier, "Home to Harlem" (1928), pose une fois de plus l'une des caractéristiques fondamentales de la littérature afro-américaine, celui de la "double consciousness", d'une double conscience qui subsiste encore et toujours à notre époque. Dans The Souls of Black Folk, W.E.B. Du Bois expliquait comme "le sentiment de toujours se regarder à travers les yeux des autres, de mesurer son âme à l'aune d'un monde qui regarde avec un mépris et une pitié amusés" (a sense of always looking at one’s self through the eyes of others, of measuring one’s soul by the tape of a world that looks on in amused contempt and pity) finit par marginaliser les Noirs ou, au mieux, par leur permettre de s'exprimer avec une modération proche de l'assujettissement ou du fatalisme et maintenir les structures sociales en l'état. Un Américain noir, c'est une dualité, deux âmes, deux pensées, deux aspirations non conciliées, et dont toute l'existence n'est qu'un long effort pour éviter dissociation de soi et déchirure. Cet état d'esprit est né de l'ère post-Reconstruction en Amérique, où les Afro-Américains ont connu des injustices sociales généralisées à la fin du XIXe et au début du XXe siècle. Avec une majorité blanche supervisant explicitement (le Sud) ou implicitement (le Nord) le comportement d'une minorité noire, la division sociale ne faisait que maintenir l'état d'esprit de l'esclavage. Être Blanc, c'est être éduqué, ce qui entraîne la communauté noire dans un anti-intellectualisme destructeur. Aussi Du Bois ne peut accepter qu'un Claude McKay expose dans son roman des images de la communauté Afro-Américaine (Harlem) qu'il juge stéréotypées et grossières, sexualité, drogue et vie nocturne alimentent comme naturellement les préjugés racistes.  Claude McKay lui répondra qu'il écrit uniquement pour les Noirs, et qu'au-delà ce sont bien tous les contrastes d'une identité noire en construction qu'il entend restituer, comme tout son parcours  l'atteste....

 


Countee Cullen, "Copper Sun" (1927)

Dans un contexte culturel qui insiste tant sur l'identité raciale, certains auteurs comme Jean Toomer vont développer plus que d'autres une image raciale d'eux-même profondément conflictuelle. Dans les années 1920, la Renaissance de Harlem, inaugurée avec le manifeste "The New Negro" (1925) d’Alain Locke, proclame une fierté raciale qui se tourne vers l’Afrique dans un élan teinté de primitivisme. Pourtant Countee Cullen (1903-1946), qui fut l'un de ses premiers protégés, osa à braver quiconque suggérait que ses origines raciales devaient déterminer son patrimoine poétique et n'hésita pas à considérer que l'héritage poétique anglo-américain lui appartenait autant qu'à n'importe quel Américain blanc de son époque. Mais le poète de "The Ballad of the Brown Girl" et de " Copper Sun" (1927),  avait été élevé et éduqué dans une communauté essentiellement blanche, et ne partagea pas toute l'expérience d'un Langston Hughes...

 


Jean Toomer, "Cane" (1923)

"God's body's got a soul, Bodies like to roll the soul, Cant blame God if we dont roll, Come, brother, roll, roll!" - Un Jean Toomer (1894-1967), qui donne avec "Cane" (1923) le chef d'oeuvre du modernisme de la Renaissance de Harlem, s'affirme comme écrivain "américain" plus que comme "écrivain noir". Son grand-père, Pinckney Benton Stewart Pinchback, a été le premier gouverneur afro-américain des États-Unis, en poste en Louisiane pendant la Reconstitution de 1872 à 1873. Après 1917, Nathan Pinchback Jean Toomer a passé quatre années à écrire et à publier de la poésie et de la prose dans différentes revues, à rencontrer des personnalités aussi importantes que le critique Kenneth Burke, le photographe Alfred Steiglitz et le poète Hart Crane, pour accepter en 1921 un emploi d'été comme directeur intérimaire à l'Institut agricole et industriel de Sparta en Géorgie, dans la ceinture noire à 160 km au sud-est d'Atlanta (Zora Neal Hurston et Langston Hughes y séjournèrent) : en 1908, la Georgie avait ratifié une constitution qui privait les Noirs de leurs droits, et à l'époque de Toomer l'Etat tentait de contrecarrer la migration des Afro-Américains vers le nord : les planteurs craignaient de perdre leur réserve de travail. C'est dans cette culture noire rurale du Sud qui décline qu'il va puiser son inspiration ("There was a valley, the valley of ‘Cane’, with smoke-wreaths during the day and mist at night.").  

A Washington, Toomer étoffe sa perspective et se concentre sur les Noirs inhibés du Nord, se lie d'amitié avec Waldo Frank, écrit et publie "Cane", "un amalgame fascinant et obsédant de fiction, de poésie et de théâtre, unifié sur le plan formel et thématique et rempli de leitmotivs", qui l'élèvera, pratiquement du jour au lendemain, au statut d'écrivain canonique. La première partie de Cane présente en six histoires et douze poèmes  des portraits de six femmes du Sud, la deuxième partie est composée de sept esquisses en prose et cinq poèmes qui se déroulent à Washington et Chicago, des descendants et survivants de la culture noire du sud et du monde de l'après-guerre civile cherchant une nouvelle vie et de l'espoir dans le nord urbain. La troisième partie, la plus longue, "Kabnis", se jouent, dans l'âme d'un artiste revenu dans le Sud, toutes les contradictions de la culture afro-américaine.... En 1925, Toomer est à Harlem, à cette époque, il s'engage corps et âme dans les "expérimentations" d'un certain Georges Gurdjieff, un singulier spiritualiste arménien qui essaimait dans le monde... En 1936, Toomer écrivit un long poème, "Blue Meridian", décrivant la fusion des races blanche, noire et amérindienne en un nouveau peuple, les hommes bleus...

Georgia Dusk

 

The sky, lazily disdaining to pursue

The setting sun, too indolent to hold

A lengthened tournament for flashing gold,

Passively darkens for night's barbeque,

A feast of moon and men and barking hounds.

An orgy for some genius of the South

With blood-hot eyes and cane-lipped scented mouth,

Surprised in making folk-songs from soul sounds.

The sawmill blows its whistle, buzz-saws stop,

And silence breaks the bud of knoll and hill,

Soft settling pollen where plowed lands fulfill

Their early promise of a bumper crop.

Smoke from the pyramidal sawdust pile

 

 

Curls up, blue ghosts of trees, tarrying low

 

Where only chips and stumps are left to show

The solid proof of former domicile.

Meanwhile, the men, with vestiges of pomp,

Race memories of king and caravan,

High-priests, an ostrich, and a juju-man,

Go singing through the footpaths of the swamp.

Their voices rise...the pine trees are guitars,

Strumming, pine-needles fall like sheets of rain..

Their voices rise...the chorus of the cane

Is caroling a vesper to the stars..

O singers, resinous and soft your songs

Above the sacred whisper of the pines,

Give virgin lips to cornfield concubines,

Being dreams of Christ to dusky cane-lipped throngs.



"Nightlife" - Dans les années 1930, le quartier de Harlem prend le relais de Chicago pour le jazz et voit se produire Duke Ellington, Louis Armstrong, Count Basie, Fats Waller, Billie Holiday, Ethel Waters, Bill Robinson (1878-1949) s'impose quant à lui sur les scènes de Broadway et Ma Rainey (1886-1939) comme “la mère du blues”. Et tandis que James Van Der Zee (1886-1983) photographie les plus grands intellectuels et artistes noirs de son époque (Garveyite Family, Harlem, 1924), des peintres comme Aaron Douglas (1899-1979), “the father of African American art”, Palmer Hayden (1890-1973), Malvin Gray Johnson (1896-1934),  William H. Johnson (1901-1970) illustrent la vitalité de l'art afro-américain dans un monde artistique outrageusement dominé par les Blancs... Le vibrant "Nightlife" (1943, Art Institute of Chicago) peint par Archibald Motley (1891-1981), artiste aujourd'hui tant reconnu du quartier de Bronzzeville à Chicago, similaire à Harlem (voir l'extraordinaire "Portrait of My Grandmother", 1922) marque à sa manière la fin de la Renaissance de Harlem et ce qu'elle fût...

 

I, too, sing America.

I am the darker brother.

They send me to eat in the kitchen

When company comes,

But I laugh,

And eat well,

And grow strong.

Tomorrow,

I'll be at the table

When company comes.

Nobody'll dare

Say to me,

“Eat in the kitchen,”

Then.

Besides,

They'll see how beautiful I am

And be ashamed—

I, too, am America.

 

"Moi aussi" 

(Lanston Hugues, The Weary Blues,  1926)

 

Moi aussi, je chante l'Amérique. 

Je suis le frère au teint foncé.

Ils m'envoient manger à la cuisine

Quand il y a du monde.

Mais je ris.

Et je mange bien.

Et je grandis...

 

Moi aussi, je suis l'Amérique....

 

 



Nella Larsen (1891-1964), fille d'un cuisinier caribéen et d'une couturière danoise, infirmière et bibliothécaire à New York, recevant en 1929 le prix d'une fondation ... une talentueuse écrivaine de la Renaissance de Harlem, ignorée, qui écrit des drames sans fureur ni bruits sur la classe moyenne noire, mettant en vedette des héroïnes sensibles et fougueuses luttant pour trouver un lieu auquel appartenir, un univers auquel se raccrocher. Les héroïnes de Nella Larsen sont des femmes dont l’intelligence et le génie pour la rébellion les rendent mal adaptées à l’existence de proscrite, morale ou physique, instruite par les Blancs pour les Noirs dans les années 1920 et 1930. Mais ici ce n'est pas la tragédie qui domine ou la haine, mais la force impulsive de femmes, aux personnalités complexes et contradictoires, qui décident de façonner leur vie plutôt que de la subir, quelqu'en soient les conséquences...

 

"Quicksand" (1928)

Helga Crane est la protagoniste de "Quicksand", roman en partie autobiographique de Nella Larsen. Née d'une mère danoise blanche et d'un père antillais, Helga est un personnage indocile qui erre en quête d'acceptation sociale et sexuelle. Le roman débute dans l'atmosphère étouffante de "Naxos", collège noir du Sud, avant de se poursuivre à Chicago puis à Harlem, où Helga est tout d'abord accueillie par la classe intellectuelle naissante. Elle se rend ensuite au Danemark, où sa négritude est célébrée avec un exotisme et un érotisme problématiques. Dans chacun de ces lieux, Helga est forcée de rejeter à la fois les avances d'amants qui ne lui conviennent pas et son propre désir grandissant. Elle finit par épouser un pasteur et retourner dans le Sud américain où elle s'enfonce dans un "bourbier" de durs labeurs domestiques ...

"Ouicksand" examine avec lucidité les promesses contradictoires qu'offrait aux femmes l'Amérique du XXe siècle. Helga Crane est vulnérable sur le plan social, mais pourtant capable d'exprimer d'une voix hésitante son désir de plaisir et d'accomplissement de soi. Les difficultés spécifiques des mulâtresses qui ne peuvent se réclamer d'aucune communauté sont clairement montrées ici. Les descriptions des plaisirs de l'anonymat urbain et des relations entre sexe et désir montrent un espoir futur possible, mais l'impossibilité du désir à se réaliser et le sacrifice aveugle qu'accepte Helga rendent la conclusion particulièrement amère.... 

 

"Passing" (1929)

Ce roman de Nella Larsen explore les complexités de l'identité raciale à New York au début du XXe siècle. Son personnage central, Irene Redfield, appartient à la bourgeoisie afro-américaine de plus en plus reconnue et visible durant la Renaissance de Harlem, dans les années 1920. Épouse d'un docteur, elle consacre sa vie aux causes charitables. Cependant, sa rencontre fortuite avec Claire Kendry - une amie d'enfance qui a depuis caché son héritage mixte de façon à vivre en tant que femme blanche - révèle l'insécurité et anxiétés que cache cette vie apparemment confortable...

Au premier abord, c'est une satire des mœurs, des prétentions et des ambitions de la renaissance de Harlem, qui a pour principal objectif d'étudier les conséquences de la subversion délibérée entreprise par Claire Kendry face au désir de pureté raciale imposé de toutes forces par l'Amérique du XXe siècle. Cette dernière se joue ainsi du système tout en démontrant son pouvoir. Claire a épousé un Américain blanc, riche et raciste, et plusieurs événements de sa vie comme de lui donner un enfant ou de lui présenter Irene lui font courir le risque de voir révélée son identité "réelle". Larsen explore ce difficile terrain, ou abondent les idées toutes faites sur l'authenticité, la pureté et le savoir, tout en laissant deviner en filigrane ce qui ne peut être dit. Il semble en fin de compte que ce soit l'ambivalence profonde d'lrène à l'égard de Claire qui constitue la plus dangereuse et la plus instable des forces en jeu....

 


Langston Hughes, "The Negro Artist and the Racial Mountain" (1926)

"One of the most promising of the young Negro poets said to me once, “I want to be a poet—not a Negro poet,” meaning, I believe, “I want to write like a white poet”; meaning subconsciously, “I would like to be a white poet”; meaning behind that, “I would like to be white.” And I was sorry the young man said that, for no great poet has ever been afraid of being himself. And I doubted then that, with his desire to run away spiritually from his race, this boy would ever be a great poet. But this is the mountain standing in the way of any true Negro art in America—this urge within the race toward whiteness, the desire to pour racial individuality into the mold of American standardization, and to be as little Negro and as much American as possible....

En 1926, dans un court essai, "The Negro Artist and the Racial Mountain", le poète Langston Hughes (1902-1967) montrait ainsi à quel mur, à quelle montagne se heurtait la conscience Afro-Américaine : il y a bien conscience d'une spécificité qui naît par exclusion, le Blanc est bien celui qui nous dit que nous sommes noirs, mais il y a peut-être une singularité que nous masque l'opposition raciale générée par le Blanc. L'Afro-américain du Nord pense devoir endosser le costume du Blanc, prouver sa respectabilité, sa bonté, et satisfaire les stéréotypes que le Blanc attend du Noir, et tout cela sans jamais transgresser certaines limites implicites, dont celle d'une tacite supériorité et standardisation....

Examinons le contexte immédiat de ce jeune poète noir qui dit "Je veux être un poète, pas un poète noir" (“I want to be a poet, not a Negro poet”), signifiant, je crois, "je veux écrire comme un poète blanc" ; signifiant inconsciemment, "je voudrais être un poète blanc" ; signifiant derrière cela, "Je voudrais être blanc" :  "Sa famille est de ce que l'on pourrait appeler, je suppose, la classe moyenne noire : des gens qui ne sont pas du tout riches mais qui ne sont jamais mal à l'aise ni affamés, satisfaits, des gens respectables, membres de l'église baptiste. Le père se rend au travail tous les matins. Il est chef steward dans une grand club blanc. La mère fait parfois de la couture fantaisiste ou supervise des fêtes pour les familles riches de la ville. Les enfants vont dans une école mixte. À la maison, ils lisent des livres blancs et des magazines. Et la mère dit souvent "Ne soyez pas comme les nègres" (Don't be like niggers) quand les enfants sont mauvais. Une phrase fréquente du père est : "Regarde comme un homme blanc fait des choses". Et c'est ainsi que le mot blanc devient inconsciemment le symbole de toutes les vertus (And so the word white comes to be unconsciously a symbol of all virtues). Il s'applique aux enfants, à la beauté, à la moralité et à l'argent. Le "Je veux être blanc" court silencieusement dans leur esprit. ..."

Les premiers poèmes de Hughes se cantonnaient à l'exploration de thèmes domestiques et musicaux propres à la vie des Afro-Américains, le voici s'engageant sur une voie plus radicale à mesure que s'intensifiait la Grande Dépression et que s'approfondissait son intérêt pour le marxisme. Richard Wright empruntera le même chemin d'initiation au monde, y ajoutant le naturalisme sans concession d'un écrivain comme Theodore Dreiser (1871-1945).... 

"The Negro Speaks of Rivers" est l'un des poèmes les plus célèbres de Hugues. Ecrit en 1920, il avait 17 ans et traversait en train le Mississipi. Inspiré par le "Song of Myself" de Walt Whitman et utilisant le vers libre et l'anaphore, la répétition de mots ou de phrases au début de chaque ligne, le jeune poète, pour évoquer ses racines, le passé de ses ancêtres, affirme son lien avec les anciens fleuves du monde qui ont précédé les êtres humains, et qui ont fait grandir son âme "profonde comme les fleuves" (deep like the rivers) : contestant à sa manière les assertions des Américains blancs de ce début du XXe siècle qui considéraient leurs homologues à la peau plus foncée comme des êtres sans réelle histoire et moins qu'humains....

I've known rivers:

I've known rivers ancient as the world and older than the

     flow of human blood in human veins.

My soul has grown deep like the rivers.

I bathed in the Euphrates when dawns were young.

I built my hut near the Congo and it lulled me to sleep.

I looked upon the Nile and raised the pyramids above it.

I heard the singing of the Mississippi when Abe Lincoln

     went down to New Orleans, and I've seen its muddy

     bosom turn all golden in the sunset.

I've known rivers:

Ancient, dusky rivers.

My soul has grown deep like the rivers.

 


Dans son autobiographie, "The Big Sea" (1940), Langston Hughes (1902-1967) nous montre une enfance qui fut troublée moins par la persécution raciale directe, à la différence d'un Richard Wright, que par l'existence agitée de ses parents, leur séparation, la nécessité de travailler très tôt pour subsister, de parcourir le monde, l'Afrique, l'Europe. Rentré aux Etats-Unis, il pourra achever ses études, publie deux recueils de poèmes, un roman, "Not without Laughter" (1930). On y lit sa découverte de Maupassant, qui lui a donné le désir de devenir écrivain et "d'écrire des récits de la vie des nègres si vrais qu'ils fussent lus à l'étranger même après ma mort." Son recueil de nouvelles, "The Ways of White Folks", publié en 1934, en offre un merveilleux exemples. On y apprend aussi combien ses éditeurs blancs attendait d'un écrivain noir qu'il chante "l'âme nègre" et non pas qu'il s'attaque aux problèmes du monde moderne. On y entend combien ses compatriotes critiques attendaient de ses romans qu'ils présentent les Noirs sous "leur meilleur aspect"...


1929, The Great Depression

Ainsi les États-Unis des années 1920 vivent un moment culturel qui semble valoriser globalement l'art et l'écriture afro-américaine, ou du moins permettre le développement d'une liberté de conscience jamais acquise auparavant par une communauté riche en nombre et en créativité. Le mouvement prend fin subitement au début des années 1930, lorsque la Grande Dépression s'installe aux États-Unis. "Let Jesus lead you and Roosevelt feed you"  - En 1932, alors que l'élection de Franklin Roosevelt semble laisser présager le développement d'un sentiment d'appartenance que les minorités n'avaient jamais connu jusque-là (la majorité des électeurs noirs ont voté pour Roosevelt), alors qu'en 1935, l'administration Roosevelt met fin à la discrimination raciale dans certains programmes fédéraux, il est alors indubitable qu'aucun groupe n'a été plus durement touché que les Afro-Américains (en 1932, leur taux de chômage était de 50 %, contre 25 % pour la population américaine en général): "No Jobs for Niggers Until Every White Man Has a Job", proclame-t-on à Atlanta... 

Et si la Seconde Guerre mondiale (1939-1945) porte une embellie économique,  les avancées significatives en matière d'égalité raciale ne se produiront pas avant que le mouvement des droits civiques ne fasse pression pour des changements dans les années 1950 et 1960. .

Claude Brown (1937-2002) relate dans "Manchild in the Promised Land" (1965) son enfance après que ses parents aient choisi de quitter leur Caroline du Sud pour Harlem en 1935 : New York était toujours considérée comme la terre promise pour les Afro-Américains, la vie à Harlem s'avèrera plus difficile que ce qu'ils espéraient : les années 1950 l'emporteront dans un cycle de délinquance improbable, l'héroïne et la violence des gangs ...

 


Zora Neale Hurston (1891-1960), "Their Eyes Were Watching God"(1937)

Ayant vécue enfant à Eatonville, en Floride, la première ville du pays a avoir été peuplée uniquement de Noirs,  Zora Neale Hurston s'établit à New York à l'époque où la Renaissance noire émerge dans le quartier de Harlem, étudie l'anthropologie au Barnard College, sous la houlette de Franz Boas, puis à l'université Columbia, étudie le folklore des Noirs Américains dans les États du Sud (Mules and Men, 1935), collabore avec Langston Hughes (1930) et publie en 1934 son premier roman, "Jonah's Gourd Vine". Mais c'est avec "Their Eyes Were Watching God" (1937), et plus tard sous l'influence d'un auteur aussi reconnu qu'Alice Walker (La Couleur pourpre, 1982), que la controversée Zora Neale Hurston se fait enfin reconnaître, l'histoire d'une femme, Janie Crawford, profondément connectée au monde qui l'entoure ( Eatonville, la région des Everglades), en quête de son identité, de son langage, de son indépendance:  au fil des hommes qu'elle rencontre et dont elle se sépare, elle prend conscience d'elle-même, son âme est enfin comme "sortie de sa cachette" (soul crawled out from its hiding place) : "She knew now that marriage did not make love. Janie’s first dream was dead, so she became a woman..."

"Jane voyait sa vie comme un grand arbre en feuilles qui étaient toutes les choses endurées et les choses aimées et les choses faites ou défaites. L'aube et le destin à ses branches." Inspirée, adolescente, par le spectacle d'une abeille "chargée de poussière" plonger dans la corolle d'une fleur (a dust-bearing bee sink into the sanctum of a bloom), Janie place au-dessus de tout le mariage et l'amour, mais la réalité est toute autre. L'e×périence de l'esclavage (So de white man throw down de load and tell the nigger man tuh pick it up. He pick it up because he have to, but he don’t tote it. He hand it to his womenfolks) pousse en effet sa grand-mère maternelle à la marier à un homme respectable à l'âge de seize ans, le vieux Logan Killicks. Elle espère ainsi éviter à sa petite-fille le lourd fardeau qu'elle a dû supporter en tant que femme noire. Peu de temps après, Janíe, idéaliste, courageuse, abandonne son marí, avare de ses émotions, pour Joe Starks, dont l'existence entière est basée sur la soif du pouvoir et de la domination, avec qui elle s'enfuit vers le Sud. Mais si grâce à Joe, Janie bénéficie d'un meilleur statut socio-économique au sein de Eatonville, elle est aussi la plus belle femme qui soit et donc le symbole de la réussite de ce dernier plutôt qu'un partenaire à part entière...

"Les années achevèrent d'effacer la lutte du visage de Janie. Elle crut un temps qu'elle avait même déserté son âme. Quoi que fît Jody, Janie ne disait rien. Elle avait appris à dire un peu et laisser un peu. Elle était une ornière sur la route. Foison de vie sous la surface mais sans cesse martelée par les roues. Quelquefois elle se projetait dans l'avenir, s'imaginait une vie différente de celle qu'elle avait. Mais la plupart du temps elle vivait entre son chapeau et ses talons, et ses turbulences émotionnelles, comme l'ombre qui dessine ses motifs au fond des bois, allaient et venaient avec le soleil. Elle ne recevait de Jody rien d'autre que ce qui pouvait s'acheter, et ne donnait en retour que ce qui pour elle était sans valeur. 

De temps à autre elle songeait à une route de campagne au soleil levant et se voyait prenant la fuite. Vers où? Vers quoi? Et puis elle songeait aussi que trente-cinq c'était deux fois dix-sept et que plus rien n'était pareil. 

"Peutête qu'il est rien, s'avisait-elle, mais dans ma bouche il est quèque chose. Faut bien qu'y le soye sans ça moi j'ai rien pour quoi vivre. Chuis prête à mentir rien que pour dire qu'y l'est. Si je le fais pas, la vie pour moi ça sera rien qu'un magasin et une maison."

Comme elle ne lisait pas de livres elle ne savait pas qu'elle était le monde entier et les cieux concentrés en une seule goutte. L'humain qui depuis son tas de fumier s'échine à grimper jusqu'aux cimes indolores.

Et puis un jour elle s'était posée pour contempler son ombre vaquant aux affaires du magasin et se prosternant devant Jody, tandis qu'elle-même tout ce temps était assise sous un arbre ombreux dans le vent qui soulevait ses cheveux et ses vêtements. Quelqu'un non loin s'occupant à faire de sa solitude un été..." (traduction Zulma éditions)

À la mort de Joe, Janie est une femme mûre, assez sûre d'elle, pour résister aux commérages persistants de la ville et suivre Tea Cake, de douze ans plus jeune qu'elle et son premier véritable amour, pour s'installer à Belle Glade, dans la partie nord des Everglades. "Elle ne parvenait pas à le faire correspondre à l'idée qu'elle se faisait des autres hommes. Il ressemblait aux pensées d'amour des femmes. Il pouvait être une abeille pour la floraison - la floraison d'un poirier au printemps. Ses foulées pressant la terre semblaient en extraire le parfum du monde. Chacune de ses foulées pressant les plantes aromatiques. Une senteur d'épices le drapait. Il était un regard de Dieu..." 

Il n'est certes pas sans défaut, la frappe et la vole, mais n'essaie pas de la forcer à être chose qu'elle-même : elle s'aperçoit qu'elle peut dire des choses qu'elle ne pense pas, elle apprend à rire de presque rien, à parler d'elle-même, puis découvre en fin de compte que Tea Cake n'est pas si essentiel que cela dans sa nouvelle vie. D'autant que les évènements s'accélèrent, la région est frappée par le grand ouragan Okeechobee de 1928, Tea Cake, mordu par un chien enragé alors qu'il sauve Janie de la noyade, devient de plus en plus jaloux et imprévisible. Et lorsqu'il tente de tirer sur Janie avec son pistolet, celle-ci lui répond en état de légitime défense et est accusée de meurtre. Lors du procès, les amis noirs de Tea Cake s'opposent aux femmes blanches de la région qui soutiennent Janie,  -"Elles portaient de beaux habits et elles avaient le teint rose qui vient de la bonne nourriture. Elles n'étaient les pauvres petites blanches de personne. Quel besoin elles avaient, elles, de quitter leur richesse pour venir regarder Janie ici dans sa salopette? Quand même elles n'avaient pas l'air trop en colère. Ce serait bien si Janie pouvait leur faire savoir ce qu'il en était, à elles, plutôt qu'à tous ces hommes..." -, et le jury, composé uniquement de Blancs, l'acquitte. Elle retourne à Eatonville où l'on continue de parler d'elle ...