Herbert Marshall McLuhan (1911-1980), "La Galaxie Gutenberg" (1962), "The Medium Is the Massage" (1967), "Understanding Media : The Extensions of Man" (1968) - ....

Last update : 11/11/2023


"How did a Canadian professor of English become a world-renowned, avant-garde media?" - Qui n'a pas entendu parler du théoricien de la communication, Marshall McLuhan, l'homme qui fut un jour sacré "the High Priest of popcult” et "the “Metaphysician of Media", qui n'a entendu et répété deux idées devenues des clichés, "the medium is the message” ou “the global village”, et qui nous ouvrent, dit-on, l'accès à une grande explication de notre culture passée, présente et à venir? 

Le sociologue canadien est en effet un auteur majeur pour qui entend décrypter le monde moderne. À travers "la Galaxie Gutenberg" (1963) et "Pour comprendre les médias. Les prolongements technologiques de l'Homme" (1964) il a fondé l'analyse moderne des conséquences sur la société de l'irruption des médias, en particulier de la télévision (il est fils des années 1950-1960, non des années 1990-2000), il s'est intéressé aux techniques modernes de diffusion et à leur incidence sur la société. Pour dire d'un mot il nous a révélé, plus que tout autre, mais il n'est pas le seul, que nous devions désormais vivre dans un environnement, un contexte, entièrement "médiatisé", et que les nouvelles technologies qui structurent cet environnement impactent tout autant, d'une manière qui reste encore à définir, notre façon de voir et de comprendre le monde. Si les questions sont posées avec clarté, les réponses se font encore attendre ...

 

"Water is unknown to a fish until it discovers air..." - Particulièrement mal compris dès le début, - faut-il préciser que son ouvrage "la Galaxie Gutenberg" est particulièrement complexe à lire (singulièrement James Joyce, Wyndham Lewis, Ezra Pound sont parmi ceux dont il est question dans ce livre) - , contesté, McLuhan l’est sans doute, comme tous ceux qui ont des idées novatrices qui bouleversent les schémas traditionnels. Il fut tout autant une figure médiatique des années 1960 et 1970 et a acquis une renommée internationale pour ses travaux sur la communication de masse, nous dit-on, les deux "clichés" évoqués précédemment semble avoir suffi à provoquer une nouvelle appréhension du monde moderne. C'est avec lui que les "media studies" ont envahi les universités, que des liens se sont établis entre monde culturel et technologies, et que les médias ont vu leur importance grandir, sans pour autant, par ailleurs, être remises en cause, bien au contraire ...

 

En 1989 puis en 1997, on en était à écrire d'excellentes biographies sur Marshall McLuhan, mort en 1980, puis quand débute le XXIe siècle, on s'aperçoit que notre théoricien avait anticipé ce que nous ressentons aujourd'hui comme une situation critique de bouleversements que nous ne parvenons plus à maîtriser....

 

"...  But somewhere around 2003 the texture of daily life inside Western media-driven societies began to morph, and quickly, to the point where, a half-decade later, it’s now obvious to people who were around in the twentieth century that time not only seems to be moving more quickly, but is beginning to feel funny, too. There’s no more tolerance for waiting of any sort. We want all the facts and we want them now. To go without email for forty-eight hours can trigger a meltdown. You can’t slow down, even once, ever, without becoming irrelevant. Music has become more important because music is a constant. School reunions are beside the point because we already know what our old classmates have done. Children often spend more time in dreamland and cyberspace than in real life. Time is speeding up even faster.

 And then the economy collapsed in a weird way that felt like a hard-todescribe mix of Google, The New York Times’s website, pop-up ads for Russian pornography websites, and psychic radiation emitted by all those people you see standing by the Loblaws produce section at 6:15 on a weeknight, phoning home to see if spinach is a good idea. All this information and more has overtly, osmotically, or perhaps inadvertently damaged a collective sense of time that has been working well enough since the Industrial Revolution and the rise of the middle classes. This “timesickness” is probably what killed the economy, and God only knows what it’s up to next. Everywhere we look, people are making online links—to conspiracy, porn, and gossip sites; to medical data sites and genetics sites; to baseball sites and sites for Fiestaware collectors; to sites where they can access free movies and free TV, arrange hookups with old flames or taunt old enemies.

 

"... autour de 2003, la texture de la vie quotidienne dans les sociétés hautement médiatisées a commencé à changer, et si rapidement que moins d'une décennie plus tard, il apparaît clair à quiconque a connu le XXe siècle que le temps non seulement semble s'écouler plus vite, mais a quelque chose de bizarre. Nous ne pouvons plus tolérer d'attendre. Nous voulons tout savoir, et tout de suite. Vingt- quatre heures sans ses courriels et on risque de craquer. Impossible de se détendre, même un moment, sans être dépassé. La musique est devenue plus importante parce qu'elle est omniprésente. Les réunions d'anciens n'ont plus de raison d'être, car nous savons déjà ce que sont devenus nos collègues. Beaucoup d'enfants passent plus de temps dans le cyberespace et dans l'univers du rêve que dans la vraie vie. Et le temps s'accélère de plus en plus. L'économie s'est effondrée d'étrange façon, dans un indescriptible mélange de Google, du New York Times en ligne, de fenêtres pop-up de sites pornos russes et de radiations psychiques émises par tous ces gens qui appellent à la maison à 16 h 15, debout devant le comptoir des légumes chez Loblaws, pour demander à leur chère moitié s'il ou elle a envie d'épinards. Ce déluge d'informations a clairement ravagé, par osmose ou autrement, un sens culturel du temps qui nous avait plutôt bien servi depuis la révolution industrielle et la montée des classes moyennes. C'est probablement ce "mal du temps" qui a tué l'économie, et Dieu seul sait quels seront ses autres effets. Où que l'on regarde, on voit des gens se brancher à des sites de pornographie, de généalogie, de médecine, de baseball, à des sites réservés aux collectionneurs de vaisselle Fiestaware, aux potins, au clavardage, à des chaînes de télévision et à des films gratuits; d'autres ravivent de vieilles flammes ou entretiennent des inimitiés anciennes. 

 

 —and time has begun to erase the twentieth-century way of structuring one’s day and locating one’s sense of community. People are now doing their deepest thinking and making their most emotionally charged connections with people around the planet at all times of the day. Geography has become irrelevant. Our online phantom world has become the new us. We create complex webs of information and people who support us, and yet they are so fleeting, so tenuous. Time speeds up and then it begins to shrink. Years pass by in minutes. Life becomes that strange experience in which you’re zooming along a freeway and suddenly realize that you haven’t paid any attention to driving for the last fifteen minutes, yet you’re still alive and didn’t crash. The voice inside your head has become a different voice. It used to be “you.” Now your voice is that of a perpetual nomad drifting along a melting landscape, living day to day, expecting everything and nothing.

 And this is why Marshall McLuhan is important, more so now than ever, because he saw this coming a long way off, and he saw the reasons for it...."

 

Désormais, le temps abolit la façon dont on organisait ses journées au siècle dernier et transforme notre notion de communauté. Aujourd'hui, on peut se livrer à la réflexion la plus profonde et aux contacts les plus émouvants avec des gens de partout sur la planète et à n'importe quelle heure de la journée. La géographie n'a plus d'importance. Notre univers est virtuel, et nous aussi. Nous créons des réseaux d'information complexes, mais ténus et fugaces, tout comme les communautés qu'ils servent. Le temps s'accélère et se contracte à la fois. Des années passent en quelques minutes. La vie devient une expérience étrange où l'on file sur une autoroute pour soudain réaliser que l'on rêvassait depuis quinze minutes et que malgré tout on n'a pas eu d'accident, et que l'on est toujours vivant. Dans notre tête, la voix intérieure est différente. C'était "nous" et désormais, c'est un nomade errant dans un paysage changeant, un nomade qui vit au jour le jour, s'attendant à tout et à rien.

Et c'est ainsi que Marshall McLuhan est plus important que jamais, parce qu'il voyait venir tout cela et expliquait pourquoi...."

( Marshall McLuhan, you know nothing of may work", Douglas Coupland, 2010, trad. Les Editions du Boréal)



Après avoir publié "Generation X" en 1991, Douglas Coupland en prépare une suite et entame en parallèle une "biographie intellectuelle" de Marshall McLuhan, ressentant une proximité avec un intellectuel qu'il présente comme un artiste pratiquant une sorte d'art conceptuel qui sait faire affleurer des vérités profondes mais parfois obscures sur la façon dont la technologie est en train de transformer le monde et notre façon de le penser. Il commence, par évacuer ces deux clichés auxquels nous nous référons sans véritablement les expliquer, - nous vivons dans la répétition ou la re-création -, pour tenter d'aborder enfin les intuitions profondes de cet auteur.  

Ecrire que "le média est le message" est tout simplement "une façon de dire que le contenu apparent de tout média électronique est insignifiant" ("The medium is the message” means that the ostensible content of all electronic media is insignificant; it is the medium itself that has the greater impact on the environement), que c'est le "média" lui-même qui a son importance, le type de média que nous utilisons : un livre, la télévision ou internet n'ont pas le même effet sur le fonctionnement de notre cerveau. Quant à la métaphore du "village global", c'est pour attirer notre attention sur un phénomène que nous connaissons bien aujourd'hui, plus d'un demi-siècle plus tard, sans savoir par ailleurs en tirer toutes les conséquences, à savoir que les technologies électroniques sont un prolongement de notre système nerveux central et que "ce réseau neuronal planétaire allait créer une métacommunauté floue, peut-être, mais quasi consciente et qui ne dort jamais" ( a way of paraphrasing the fact that electronic technologies are an extension of the human central nervous system, and that our planet’s collective neural wiring would create a single 24-7 blobby, fuzzy, quasi-sentient metacommunity) ...

 

Dans les années 1950, qui voient le monde se reconstruire après la Seconde Guerre mondiale et aborder un foisonnement technologique jamais vu auparavant, Herbert Marshall McLuhan constitue une remarquable exception dans une tendance généralisée au désespoir qui caractérise alors la plus grande part des théoriciens Si l'humanité lui semble être à un tournant capital de son histoire, la période qui, pour Marx, est celle du capitalisme, est pour lui celle de l'instrument de communication. Le défaut d'enchaînement logique d'une grande partie de son raisonnement sera en conformité avec sa thèse selon laquelle le raisonnement logique a vécu...


"The Gutenberg Galaxy: The Making of Typographic Man" (1962)

"La Galaxie Gutenberg" constitue un brillant essai sur les conséquences de la diffusion de l'imprimé et de la lecture sur l'être humain, avec une intuition centrale, la façon dont tout organisme perçoit et ressent son univers détermine notre culture. Il y a plus de cinq cents ans, le sens de l'ouïe jouait un rôle plus important qu'aujourd'hui,  avant que nous ayons associé l'alphabet, le papier et la presse à imprimer, notre perception du monde était acoustique et, très en retrait, le sens de la vue ...

Après avoir qualifié de "medium", toute extension des sens que l'être humain met en oeuvre (l'imprimé, le vêtement, l'automobile, etc) pour agir, mais aussi penser et ressentir ou exprimer des émotions, que nous dit-il? Que notre personnalité de base et notre comportement sont déterminés par le processus de "communication" que la société dans laquelle nous nous développons utilise, et que toute transformation-révolution de ce processus-instrument de communication entraîne une révolution dans le processus de perception et dans la nature humaine elle-même. 

Il en vient ainsi à distinguer trois étapes dans tout développement du processus de communication, le stade primitif de la société sans écriture (ici, l'usage de la parole fait prédominer l'ouïe), la fameuse «galaxie Gutenberg», où l'imprimerie multiplie les informations visuelles mais parcellise l'information et la nature humaine (ce qui n'est pas sans conséquences, travail à la chaîne, nationalisme, etc.), et enfin la «galaxie Marconi», ère électronique, qui propose un message simplifié mais global et reconstitue la famille humaine en une seule «tribu mondiale».

 

La lecture de "La Galaxie Gutenberg" reste toutefois un exercice loin d'être trivial, Herbert Marshall McLuhan se pense homme de lettres, la littérature et les arts vont constituer une sorte de fil rouge constant, un fil ininterrompu, reliant dans le temps ses explorations médiatiques :  la tradition homérique est citée au tout début du prologue pour discuter du jeu des cultures contrastées, et les œuvres de Milman Parry et d’Albert B. Lord sont transformées en sous-textes qui guident les lecteurs sur la façon dont le monde occidental est passé de l’oralité à l’alphabétisation d’abord, puis de l’alphabétisation à la post-alphabétisation. Suivant un schéma similaire, le premier chapitre commence par une discussion du roi Lear de Shakespeare pour incarner la fabrication de l’« homme fragmenté » de Gutenberg; le même livre, le roi Lear, est ensuite utilisé dans les chapitres suivants comme un « modèle de travail » (working model) révélateur des processus culturels. Et de nombreux autres textes littéraires seront ainsi cités dans l'ouvrage avec la même intention. De façon constante, le tout dernier chapitre – «The Galaxy Reconfigured» – se termine par une véritable fantasmagorie littéraire, sont ainsi convoqués pour nous aider dans un cheminement mutuel, Blake, Pope, Ruskin, Rimbaud, Proust, Joyce, Mallarmé, Coleridge, Dryden, Swift, Addison, Steele, Dr Johnson, Poe, Baudelaire, Valéry, Eliot. " Literature is not a subject but a function - a function inseparable from communal existence", écrivait en 1946 (à Walter J. Ong), la littérature est fondamentalement une clé pour comprendre notre propre monde : "After a conventional and devoted initiation to poetry as a romantic rebellion against mechanical industry and bureaucratic stupidity, Cambridge was a shock. Richards, Leavis, Eliot and Pound and Joyce in a few weeks opened the doors of perception on the poetic process, and its role in adjusting the reader to the contemporary world. My study of media began and remains rooted in the work of these men" . 

 

"It is quite easy to establish the fact that the same means that served to create the world of consumer abundance by mass production served also to put the highest levels of artistic production on a more assured and consciously controlled basis. And, as usual, when some previously opaque area becomes translucent, it is because we have moved into another phase from which we can contemplate the contours of the preceding situation with ease and clarity. It is this fact that makes it feasible to write The Gutenberg Galaxy at all. As we experience the new electronic and organic age with ever stronger indications of its main outlines, the preceding mechanical age becomes quite intelligible. Now that the assembly line recedes before the new patterns of information, synchronized by electric tape, the miracles of mass-production assume entire intelligibility. But the novelties of automation, creating workless and propertyless communities, envelop us in new uncertainties..."

 

Avec la compréhension de McLuhan de la littérature comme d'une «fonction» donnant accès au monde, tant en terme de contenu que de forme, et en montrant l’interaction de la technologie et de la culture, Marshall McLuhan introduit son idée de « mosaïque » dans les toutes premières lignes de la galaxie de Gutenberg : le livre qu'il nous propose est donc bien «différent» de ce que nous avons l'habitude de lire, et la différence n’est pas seulement dans ce qui est discuté, mais aussi dans la façon dont cela est conçu et présenté, chapitre par chapitre. ..

 

Index of "Chapter Glosses"

- King Lear is a working model of the process of denudation by which men translated themselves from a world of roles to a world of jobs.

- The anguish of the third dimension is given its first verbal manifestation in poetic history in King Lear.

- The interiorization of the technology of the phonetic alphabet translates man from the magical world of the ear to the neutral visual world.

- Schizophrenia may be a necessary consequence of literacy.

- Does the interiorization of media such as “letters” alter the ratio among our senses and change mental processes?

- Civilization gives the barbarian or tribal man an eye for an ear and is now at odds with the electronic world.

- The modern physicist is at home with oriental field theory.

- The new electronic interdependence recreates the world in the image of a global village.

-  Literacy affects the physiology as well as the psychic life of the African.

- Why non-literate societies catnnot see films or photos without much training.

- African audiences cannot accept our passive consumer role in the presence of film.

- When technology extends one of our senses, a new translation of culture occurs as swiftly as the new technology is interiorized.

- A theory of cultural change is impossible without knowledge of the changing sense ratios effected by various externalizations of our senses.

- The twentieth century encounter between alphabetic and electronic faces of culture confers on the printed word a crucial role in staying the return to “the Africa within.”

- Current concern with reading and spelling reform steers away from visual to auditory stress.

- The alphabet is an aggressive and militant absorber and transformer of cultures, as Harold Innis was the first to show.

- The Homeric hero becomes a split-man as he assumes an individual ego.

- The world of the Greeks illustrates why visual appearances cannot interest a people before the interiorization of alphabetic technology.

- The Greek “point of view” in both art and chronology has little in common with ours but was much like that of the Middle Ages.

- The Greeks invented both their artistic and scientific novelties after the interiorization of the alphabet.

- The continuity of Greek and medieval art was assured by the bond between caelatura or engraving and illumination.

- The increase of visual stress among the Greeks alienated them from the primitive art that the electronic age now reinvents after interiorizing the “unified field” of electric all-at-onceness.

- A nomadic society cannot experience enclosed space.

- Primitivism has become the vulgar cliché of much modern art and speculation.

- The Gutenberg Galaxy is concerned to show why alphabetic man was disposed to desacralize his mode of being.

- The method of the twentieth century is to use not single but multiple models for experimental exploration – the technique of the suspended judgment.

- Only a fraction of the history of literacy has been typographic.

- Until now a culture has been a mechanical fate for societies, the automatic interiorization of their own technologies.

- The techniques of uniformity and repeatability were introduced by the Romans and the Middle Ages.

 - The word “modern” was a term of reproach used by the patristic humanists [please remove page break]against the medieval schoolmen who developed the new logic and physics.

- In antiquity and the Middle Ages reading was necessarily reading aloud.

- Manuscript culture is conversational if only because the writer and his audience are physically related by the form of publication asperformance.

(...)

- For the oral man the literal text contains all possible levels of meaning.

- The sheer increase in the quantity of information movement favoured the visual organization of knowledge and the rise of perspective even before typography.

- The same clash between written and oral structures of knowledge occurs in medieval social life.

- The medieval world ended in a frenzy of applied knowledge – new medieval knowledge applied to the recreation of antiquity.

- Renaissance Italy became a kind of Hollywood collection of sets of antiquity, and the new visual antiquarianism of the Renaissance provided an avenue to power for men of any class.

- Medieval idols of the king

- The invention of typography confirmed and extended the new visual stress of applied knowledge, providing the first uniformly repeatable “commodity,” the first assembly-line, and the first mass-production.

- A fixed point of view becomes possible with print and ends the image as a plastic organism.

- How the “natural magic” of the camera obscura anticipated Hollywood in turning the spectacle of the external world into a consumer commodity or package.

- St. Thomas More offers a plan for a bridge over the turbulent river of scholastic philosophy.

- Scribal culture could have neither authors nor publics such as were created by typography.

- The medieval book trade was a second-hand trade even as with the dealing today in “old masters.”

- Until more than two centuries after printing nobody discovered how to maintain a single tone or attitude throughout a prose composition.

(...)

- Rabelais offers a vision of the future of print culture as a consumer’s paradise of applied knowledge.

- The celebrated earthy tactility of Rabelais is a massive backwash of receding manuscript culture.

- Typography as the first mechanization of a handicraft is itself the perfect instance not of a new knowledge, but of applied knowledge.

- Every technology contrived and “outered” by man has the power to numb human awareness during the period of its first interiorization.

- With Gutenberg Europe enters the technological phase of progress, when change itself becomes the archetypal norm of social life.

- Applied knowledge in the Renaissance had to take the form of translation of the auditory into visual terms, of the plastic into retinal form.

- Typography tended to alter language from a means of perception and exploration to a portable commodity.

- Typography is not only a technology but is in itself a natural resource or staple, like cotton or timber or radio; and, like any staple, it shapes not only private sense ratios but also patterns of communal interdependence.

- The passion for exact measurement began to dominate the Renaissance.

- The print-made split between head and heart is the trauma which affects Europe from Machiavelli till the present.

- The Machiavellian mind and the merchant mind are at one in their simple faith in the power of segmental division to rule all – in the dichotomy of power and morals and of money and morals.

(...)

-  Print, in turning the vernaculars into mass media, or closed systems, created the uniform, centralizing forces of modern nationalism.

- The divorce of poetry and music was first reflected by the printed page.

- The oral polyphony of the prose of Nashe offends against lineal and literary decorum.

- The printing press was at first mistaken for an engine of immortality by everybody except Shakespeare.

- The portability of the book, like that of the easel-painting, added much to the new cult of individualism.

- The uniformity and repeatability of print created the “political arithmetic” of the seventeenth century and the “hedonistic calculus” of the eighteenth.

- The typographic logic created “the outsider,” the alienated man, as the type of integral, that is, intuitive and irrational, man.

- Cervantes confronted typographic man in the figure of Don Quixote.

- Typographic man can express but is helpless to read the configurations of print technology.

- The historians, although aware that nationalism originated in the sixteenth century, have yet no explanation of this passion that preceded theory.

- Nationalism insists on equal rights among individuals and among nations alike.

- The citizen armies of Cromwell and Napoleon were the ideal manifestations of the new technology.

- The Spaniards had been immunized against typography by their ageold quarrel with the Moors

(...)

 - Print had the effect of purifying Latin out of existence.

- Typography extended its character to the regulation and fixation of languages.

- Print altered not only the spelling and grammar but the accentuation and inflection of languages, and made “bad grammar” possible.

- The levelling of inflexion and of wordplay became part of the program of applied knowledge in the seventeenth century.

- Print created national uniformity and government centralism, but also individualism and opposition to government as such.

- Nobody ever made a grammatical error in a non-literate society.

- The reduction of the tactile qualities of life and language constitute the refinement sought in the Renaissance and repudiated now in the electronic age.

- The new time sense of typographic man is cinematic and sequential and pictorial.

- The denuding of conscious life and its reduction to a single level created the new world of the “unconscious” in the seventeenth century. The stage has been cleared of the archetypes or postures of individual mind, and is ready for the archetypes of the collective unconscious.

- Philosophy was as naive as science in its unconscious acceptance of the assumptions or dynamic of typography.

- Heidegger surf-boards along on the electronic wave as triumphantly as Descartes rode the mechanical wave.

- Typography cracked the voices of silence.

- The Gutenberg galaxy was theoretically dissolved in 1905 with the discovery of curved space, but in practice it had been invaded by the telegraph two generations before that.

- Pope’s Dunciad indicts the printed book as the agent of a primitivistic and Romantic revival. Sheer visual quantity evokes the magical resonance of the tribal horde. The box office looms as a return to the echo chamber of bardic incantation.

- The new collective unconscious Pope saw as the accumulating backwash of private self-expression.

- The last book of The Dunciad proclaims the metamorphic power of mechanically applied knowledge as a stupendous parody of the Eucharist.

 

La lecture des auteurs modernistes et des œuvres expérimentales avant-gardistes (le symbolisme, le futurisme ou le vorticisme) ouvre la voie pour explorer et établir des parallèles entre le paysage induit par les nouveaux médias et les formes des sociétés et modèles éducatifs, anciens et actuels, et pour comprendre comment se mettent en place, par intégrations successives, de nouvelles heuristiques, les nouveaux médias numériques récupèrent à la fois l’alphabet et le mot imprimé et les incluent dans une sorte oralité post-secondaire, et ainsi de suite. Il n'était plus là quand le World Wide Web a restructuré soudainement le monde, mais il avait lu Norbert Weiner et compris que le livre en tant qu’objet serait préservé et que l'ensemble des médias pré-existant ne disparaîtraient pas vraiment mais seraient au fond "reconfigurés" : "Technological environments are not merely passive containers of people but are active processes that reshape people and other technologies alike...."

 

"The new electric galaxy of events has already moved deeply into the Gutenberg galaxy. Even without collision, such co-existence of technologies and awareness brings trauma and tension to every living person. Our most ordinary and conventional attitudes seem suddenly twisted into gargoyles and grotesques. Familiar institutions and associations seem at times menacing and malignant. These multiple transformations, which are the normal consequence of introducing new media into any society whatever, need special study and will be the subject of another volume on Understanding Media in the world of our time."

 

Dans "The Gutenberg Galaxy", poursuivant sa logique démonstrative, McLuhan relie la presse écrite, la radio et la télévision aux explorations artistiques et scientifiques, montrant au lecteur que l’histoire de l’art coïncide avec l’histoire de la perception, que la vision, par exemple, et ses effets, sont toujours inséparables des possibilités d’un sujet observateur qui est à la fois le produit et le sujet de certaines pratiques, techniques et procédures de subjectivation ...

 

(...) The new electronic interdependence recreates the world in the image of a global village.

It would be surprising, indeed, if Riesman’s description of tradition-directed people did not correspond to Carothers’ knowledge of African tribal societies. It would be equally startling were the ordinary reader about native societies not able to vibrate with a deep sense of affinity for the same, since our new electric culture provides our lives again with a tribal base. There is available the lyrical testimony of a very Romantic biologist, Pierre Teilhard de Chardin, in his Phenomenon of Man :

 

Now, to the degree that – under the effect of this pressure and thanks to their psychic permeability – the human elements infiltrated more and more into each other, their minds (mysterious coincidence) were mutually stimulated by proximity. And as though dilated upon themselves, they each extended little by little the radius of their influence upon this earth which, by the same token, shrank steadily. What, in fact, do we see happening in the modern paroxysm? It has been stated over and over again. Through the discovery yesterday of the railway, the motor car and the aeroplane, the physical influence of each man, formerly restricted to a few miles, now extends to hundreds of leagues or more. Better still: thanks to the prodigious biological event represented by the discovery of electro-magnetic waves, each individual finds himself henceforth (actively and passively) simultaneously present, over land and sea, in every corner of the earth.

 

People of literary and critical bias find the shrill vehemence of de Chardin as disconcerting as his uncritical enthusiasm for the cosmic membrane that has been snapped round the globe by the electric dilation of our various senses. This externalization of our senses creates what de Chardin calls the “noosphere” or a technological brain for the world. 

Instead of tending towards a vast Alexandrian library the world has become a computer, an electronic brain, exactly as in an infantile piece of science fiction. And as our senses have gone outside us, Big Brother goes inside.

So, unless aware of this dynamic, we shall at once move into a phase of panic terrors, exactly befitting a small world of tribal drums, total interdependence, and superimposed co-existence. It is easy to perceive signs of such panic in Jacques Barzun who manifests himself as a fearless and ferocious Luddite in his The House of the Intellect. Sensing that all he holds dear stems from the operation of the alphabet on and through our minds, he proposes the abolition of all modern art, science, and philanthropy. This trio extirpated, he feels we can slap down the lid on Pandora’s box. At least Barzun localizes his problem even if he has no clue as to the kind of agency exerted by these forms. Terror is the normal state of any oral society, for in it everything affects everything all the time.

Reverting to the earlier theme of conformity, Carothers continues : “Thought and behavior are not seen as separate; they are both seen as behavioral. Evil-willing is, after all the most fearful type of  “behavior” known in many of these societies, and a dormant or awakening

fear of it lies ever in the minds of all their members.” In our long striving to recover for the Western world a unity of sensibility and of thought and feeling we have no more been prepared to accept the tribal consequences of such unity than we were ready for the fragmentation of the human psyche by print culture.

(...)

 

« La Galaxie Gutenberg » est donc, selon McLuhan, l’univers de la presse imprimée, développée grâce à la découverte de l’imprimerie par un Gutenberg qui révolutionna la société. Mais cette révolution pose peut-être plus de problème qu'elle n'en résout, du moins elle nécessite de la penser, et, a minima, d'en mesurer d'éventuelles conséquences ...

 

- La révolution de l’imprimerie a bouleversé le monde, l’une des conséquences de ce bouleversement est la fragmentation de la société. 

- Le livre, en raison de sa malléabilité, incite les hommes à lire et à penser individuellement, à se recentrer sur eux-mêmes. 

- La notion de « public » créé par l'imprimé est cette "conscience de soi intense et visuellement orientée", à la fois de l’individu et du groupe. 

- Les conséquences de ce "stress visuel intense" aboutit à la prédominance de la faculté visuelle sur tous les autres sens, une faculté autour de laquelle va organiser, via des extensions qui lui sont propres, de nouvelles formes de continuité, d’uniformité et de connectivité de l’organisation du temps et de l’espace. 

- L’imprimé a entraîné une scission entre la pensée de l’humain et son action, entre sa tête et son cœur, habitué qu'il fut  à dépendre de sa vue, excluant les autres sens. 

- la presse a permis le tirage de l’imprimé à grande diffusion dans toutes les langues et dans tous les dialectes, ce qui a donné naissance au nationalisme. 

- L’individu se replie sur lui, est devenu «linéaire», «unidimensionnel», terme employé par James Joyce, romancier fort apprécié de McLuhan, et repris par Herbert Marcuse dans son ouvrage, "L’Homme unidimensionnel", écrit en 1964.

- "When the perverse ingenuity of man has outered some part of his being in material technology, his entire sense ratio is altered. He is then compelled to behold this fragment of himself “closing itself as in steel.” In beholding this new thing, man is compelled to become it.."

 

La dernière partie du livre, « The Galaxy Reconfigured », traite du choc des technologies électriques et mécaniques, ou imprimées (THE GALAXY RECONFIGURED or the Plight of Mass Man in an Individualist Society) ...

 

"...As Joyce expressed it in the "Wake", “My consumers are they not my producers?” Consistently, the twentieth century has worked to free itself from the conditions of passivity, which is to say, from the Gutenberg heritage itself. And this dramatic struggle of unlike modes of human insight and outlook has resulted in the greatest of all human ages, whether in the arts or in the sciences. We are living in a period richer and more terrible than the “Shakespearean Moment” so well described by Patrick Cruttwell in his book of the same title. But it has been the business of "The Gutenberg Galaxy" to examine only the mechanical technology emergent from our alphabet and the printing press. What will be the new configurations of mechanisms and of literacy as these older forms of perception and judgment are interpenetrated by the new electric age? The new electric galaxy of events has already moved deeply into the Gutenberg galaxy. Even without collision, such co-existence of technologies and awareness brings trauma and tension to every living person. Our most ordinary and conventional attitudes seem suddenly twisted into gargoyles and grotesques. Familiar institutions and associations seem at times menacing and malignant. These multiple transformations, which are the normal consequence of introducing new media into any society whatever, need special study and will be the subject of another volume on Understanding Media in the world of our time."

 

Une telle coexistence des technologies et de la sensibilisation n'est pas sans effet en chacun de nous, on peut parler effectivement de traumatisme et de tension, nos attitudes les plus ordinaires et conventionnelles posent problèmes, nos institutions non exemptes de menaces cachées. "Ces multiples transformations, qui sont la conséquence normale de l’introduction de nouveaux médias dans n’importe quelle société, nécessitent une étude spéciale et feront l’objet d’un autre volume sur la compréhension des médias dans le monde de notre temps", la suite annoncée fut donc "Understanding Media", "The Medium is the Message", mais cette compréhension reste toujours, à ce jour, à concevoir ...


En 1962, McLuhan publie "The Gutenberg Galaxy : The Making of Typographic Man", le premier de plusieurs livres dans lesquels il examine les communications et la société. Ses autres œuvres comprennent "The Mechanical Bride : Folklore of Industrial Man" (1951), "Understanding Media : The Extensions of Man" (1964), "The Medium Is the Massage : An Inventory of Effects" (avec Quentin Fiore; 1967), "From Cliché to Archetype" (avec Wilfred Watson; 1970), et "City as Classroom" (avec Kathryn Hutchon et Eric McLuhan; 1977).  


"Understanding Media" (Pour comprendre les média, 1964)

"nous vivons dans un monde où seule une moitié du cerveau humain s'est vu reconnaître un rôle"

(Toronto, le 21 septembre 1976) - "Toute mon étude des média ayant porté sur le champ d'opération ou les effets "cachés" des activités de l'hémisphère gauche, il n'est pas surprenant que les membres de l'Establishment tendent à considérer mes observations (qui relèvent de l'hémisphère droit) comme impossibles à mesurer et prêtant à confusion. Voilà bien longtemps que nous vivons dans un monde où seule une moitié du cerveau humain s'est vu reconnaître un rôle. La prépondérance prise par l'un de ces hémisphères est toujours fonction de la culture et de l'environnement spécifique dans lesquels il se trouve. Ainsi le Tiers Monde tend à être non linéaire et à favoriser l'hémisphère droit, ce qui lui a donné une vocation artistique que l'on retrouve dans ce dicton balinais : "Nous n'avons pas d'Art, nous faisons tout aussi bien que possible". De la même façon, notre environnement électronique a creusé un fossé entre les générations, les parents restant commis à la suprématie de l'hémisphère gauche alors que leurs enfants commencent à faire l'expérience d'un hémisphère droit dominant. L'alphabet phonétique, en entraînant une structuration linéaire de l'expérience à la fois intérieure et extérieure de l'homme, a été la première technologie humaine à consacrer la suprématie de l'hémisphère gauche du cerveau. Cela se passa au Ve siècle av. J.-C., quand la logique et la pensée linéaire l'emportèrent sur Homère et les présocratiques, hommes d'acoustique. Avec l'invention de l'imprimerie, Gutenberg renforça encore la suprématie de l'hémisphère gauche, entraînant la rationalisation de l'organisation du travail, des marchés et des  institutions.

Au cours du siècle dernier, l'environnement d'information créé simultanément par le télégraphe, le téléphone et la télévision s'est élargi, au-delà du Tiers Monde, jusqu'à devenir l'arrière-plan de la planète tout entière. Sur ce nouveau fond de simultanéité, l'hémisphère droit s'est élevé à un degré de suprématie inconnu depuis le ve siècle av. J.-C., et la programmation écologique du globe est devenue une préoccupation. Avec le lancement du premier Spoutnik en 1957, la Terre a été placée dans un environnement totalement programmé par l'homme, et la Nature a cédé le pas à l'art et à la technologie. Depuis que la planète elle-même est devenue un champ (ou un fond) d'effets simultanés, plus rien n'est neutre, et chaque élément affecte tous les autres, comme en une composition musicale."

 

"Ci-dessous figure I'inventaire des caractéristiques des deux hémisphères du cerveau humain publié dans Science News (3 avril 1976, vol. 109) 1. L'hémisphère gauche est quantitatif et l'hémisphère droit est qualitatif. Le caractère linéaire et connecté de l'hémisphère gauche relève de l'espace visuel, alors que le côté global et simultané de l'hémisphère droit est aussi celui de l'espace acoustique. L'espace visuel est continu, homogène, séquentiel et statique, tandis que l'espace acoustique est discontinu et dynamique. L'hémisphère droit est le domaine de l'interaction entre le fond et la forme (la figure et l'arrière-plan, à la fois médium et message), car il est le lieu de perception de la Gestalt, et celui des structures analogiques, discontinues et symboliques. Ainsi, au cours du XXe siècle, la physique moderne est passée de l'hémisphère gauche à l'hémisphère droit. Au début de ce siècle, la mécanique des quanta (avec Max Planck) est sortie de l'orbite newtonienne aussi largement que l'interprétation des rêves de Sigmund Freud quittait le monde des corrélations logiques...."

 

Le message c'est le médium

"Dans une culture comme la nôtre, habituée de longue date à tout fragmenter et à tout diviser pour dominer, il est sans doute surprenant de se faire rappeler qu'en réalité et en pratique, le vrai message, c'est le médium lui-même, c'est-à-dire, tout simplement, que les effets d`un médium sur l'individu ou sur la société dépendent du changement d'échelle que produit chaque nouvelle technologie, chaque prolongement de nous-mêmes, dans notre vie. Ainsi, il est clair que les nouveaux modèles d'association humaine nés de l'automation tendent à éliminer les emplois. C'est là le résultat négatif. L'automation, par contre, a aussi des résultats positifs: elle crée des rôles, c'est-à-dire une participation profonde des gens à leur travail et à leur société, participation que la technologie mécanique antérieure avait détruite. Beaucoup de gens croient que ce n'était pas la machine elle-même mais bien l'usage qu'on en faisait qui était signifiant, qui en était le message. Pour ce qui est des façons dont la machine a transformé nos relations avec nous-mêmes et avec les autres, en vérité, il importait peu qu'elle produisit des Cadillacs ou des cornflakes. C'est le principe de fractionnement, qui est l'essence même de la technologie mécanique, qui façonnait les structures de travail et d'association des humains. L'essence de la technologie de l'automation est tout à l'opposé. Elle est englobante et profondément décentralisatrice, alors que la machine était fractionnelle, centralisatrice et superficielle dans son façonnement des relations humaines.

Au fil de ce raisonnement, l'exemple de la lumière électrique nous éclairera peut-être. La lumière électrique est de l'information pure. C'est un médium sans message, pourrait-on dire, tant qu'on ne l'utilise pas pour épeler une marque ou une publicité verbales. Ce fait, caractéristique de tous les média, signifie que le "contenu" d'un médium, quel qu'il soit, est toujours un autre médium. Le contenu de l'écriture, c'est la parole, tout comme le mot écrit est le contenu de l'imprimé et l'imprimé, celui du télégraphe. Et si l'on demande: "Quel est le contenu de la parole ?", il faut répondre: "C'est un processus "actuel"  de pensée, en lui-même non verbal.

Une peinture non figurative représente une manifestation directe des processus de la pensée créatrice, comme pourraient en produire des ordinateurs. Ce qui nous préoccupe ici, toutefois, ce sont les effets psychologiques et sociaux des modèles ou des produits en tant qu'accélérateurs ou amplificateurs des processus existants. En effet, le "message" d'un médium ou d'une technologie, c'est le changement d'échelle, de rythme ou de modèles qu'il provoque dans les affaires humaines. Le chemin de fer n'a pas apporté le mouvement, le transport, la roue ni la route aux hommes, mais il a accéléré et amplifié l'échelle des fonctions humaines existantes, créé de nouvelles formes de villes et de nouveaux modes de travail et de loisir. 

Et cela s'est produit partout où le chemin de fer a existé, que ce soit dans un milieu tropical ou polaire, indifféremment des marchandises qu'il transportait, c'est-à-dire indifféremment du contenu du médium "chemin de fer". L'avion, lui, en accélérant le rythme du transport, tend à dissoudre la forme "ferroviaire" de la ville, de la politique et de la société, et ce, indifféremment de l`usage qui en est fait.

Mais revenons à la lumière électrique. Qu'on l'utilise pour la neurochirurgie ou pour éclairer un match de baseball n'a aucune importance. On pourrait même dire que ces occupations sont d'une certaine façon le contenu de la lumière électrique puisqu'elles ne pourraient pas exister sans elle. Cette évidence ne fait que souligner l'idée que "le message, c'est le médium" parce que c'est le médium qui façonne le mode et détermine l'échelle de l'activité et des relations des hommes. Les contenus ou les usages des média sont divers et sans effet sur la nature des relations humaines. En fait, c'est une des principales caractéristiques des média que leur contenu nous en cache la nature. Ce n'est que récemment que les entreprises ont pris conscience du type d'affaires qu'elles traitent. Chez IBM, on commença à voir où l'on allait quand on découvrit que l'on ne fabriquait pas du matériel de bureau et des calculatrices, mais que l'on "traitait" de l'information. La General Electric tire une partie importante de ses profits de la vente d'ampoules électriques et de systèmes d'éclairage mais n'a pas encore découvert que sa véritable activité, comme celle d'A.T. & T., consiste à transporter de l'information.

Si la lumière électrique échappe à l'attention comme médium de communication, c'est précisément qu'elle n'a pas de "contenu", et c'est ce qui en fait un exemple précieux de l'erreur que l'on commet couramment dans l'étude des média. En effet, on ne voit enfin la lumière électrique comme médium que lorsqu'elle sert à épeler quelque marque de commerce. Et à ce moment, ce n'est pas la lumière elle-même mais son contenu (et donc, en réalité, un autre médium) qui frappe l'attention. Le message de la lumière électrique, comme celui de l'énergie électrique pour l'industrie, est absolument radical, décentralisé et enveloppant. La lumière et l'énergie électriques, en effet, sont distinctes des usages qu'on en fait. Elles abolissent le temps et l'espace dans la société, exactement comme la radio, le télégraphe, le téléphone et la télévision, et imposent une participation en profondeur....

 

Les média chauds et froids

"Le succès de la valse", explique Curt Sachs dans son Histoire de la danse, "est dû à cette soif de vérité, de simplicité, de primitivisme et de retour à la nature qui a trouvé à s'étancher dans les deux derniers tiers du XVIIIe siècle". En plein siècle du jazz, nous sommes exposés à ne pas voir que l'apparition de la valse a été celle d'un mode explosif et chaud d'expression humaine qui a enfoncé les barrières féodales solennelles qu'étaient les danses nobles et chantées. 

Il existe un principe fondamental qui différencie les média chauds comme la radio ou le cinéma des média froids comme le téléphone ou la télévision. Un médium est chaud lorsqu'il prolonge un seul des sens et lui donne une "haute définition". En langage technique de télévision, la "haute définition" porte une grande quantité de données. Visuellement, une photographie a une haute définition. Un dessin animé, lui, a une faible définition parce qu'il ne fournit que très peu d'information. Le téléphone est un médium froid, ou de faible définition, parce que l'oreille n'en reçoit qu'une faible quantité d'information. La parole est un médium froid de faible définition parce que l'auditeur reçoit peu et doit beaucoup compléter. Les média chauds, au contraire, ne laissent à leur public que peu de blancs à remplir ou à compléter. Les média chauds, par conséquent, découragent la participation ou l'achèvement alors que les média froids, au contraire, les favorisent. Il va donc de soi qu'un médium chaud comme la radio a sur celui qui s'en sert des effets très différents de ceux d'un médium froid comme le téléphone.

Un médium froid comme l'écriture idéographique ou hiéroglyphique produit des effets très différents de ceux d'un médium chaud ou explosif comme l'alphabet phonétique. L'alphabet, poussé à un haut degré d'intensité visuelle abstraite, est devenu typographie. L'intense action spécialisante du mot imprimé a dissous les liens des corporations guildiennes et des monastères médiévaux, et créé des modèles d'entreprises et de monopoles fortement individualistes.

Mais il s'est produit un renversement caractéristique quand une monopolisation extrême a fait naître la société corporative et sa domination impersonnelle sur un grand nombre de personnes. Le médium de l'écriture, intensifié et surchauffé par l`imprimé de série, a produit le nationalisme et les guerres religieuses du XVIe siècle.

Les média lourds et rigides, comme la pierre, retiennent le temps. Utilisés comme support de l'écriture, ils sont extrêmement froids et servent à unir les époques. Le papier, par contre,  est un médium chaud qui retient et unifie l'espace horizontalement au profit d'empires politiques ou de divertissement.

Les média chauds permettent moins de participation que les froids, tout comme une conférence en permet moins qu'un colloque, et un livre moins qu'une conversation. L'imprimé a chassé de la vie et de l'art plusieurs formes plus anciennes; par contre, il a donné à d'autres une singulière intensité. Notre propre époque fourmille d'applications du principe selon lequel les formes chaudes excluent et les formes froides englobent. Quand les ballerines se sont mises à faire des pointes, il y a plus d'un siècle, on crut que l'art du ballet avait acquis une nouvelle "spiritualité". Mais cette intensité a chassé du ballet les danseurs masculins. Les rôles féminins eux aussi se sont fragmentés avec l'avènement de la spécialisation industrielle et l'explosion des fonctions domestiques vers la périphérie de la société, dans les blanchisseries, les boulangeries les hôpitaux. L'intensité, ou la haute définition, est génératrice de spécialisation et de fragmentation, dans la vie comme dans le divertissement, ce qui explique pourquoi il faut "oublier", "censurer" et refroidir toutes les expériences intenses avant de pouvoir les "apprendre" ou les assimiler. Le "censeur" freudien est bien moins une fonction morale qu'une condition indispensable de la connaissance. S'il nous fallait accepter complètement et directement tout ce qui choque les diverses structures de notre conscience, nous ne tarderions pas à devenir des paquets de nerfs vivant dans une panique perpétuelle. Le "censeur" protège notre système central de valeurs, ainsi que notre système nerveux physique, simplement en refroidissant considérablement la température initiale de l'expérience. Chez beaucoup de gens, ce système de refroidissement provoque une rigidité cadavérique ou un somnambulisme permanents particulièrement faciles à observer aux époques où apparaît une technologie nouvelle...."

 

La distinction entre médias « chauds » et médias « froids » fait donc référence au degré de participation requis par l’individu...

Les médias « chauds », précis et denses, tels l’imprimé et la radio, transmettent un flux important d’informations dont la compréhension ne nécessite pas d’implication de l’individu. Les médias dits « froids », imparfaits et de faible intensité, comme la télévision et le téléphone, sont des médias peu explicites, qui diffusent un message inachevé et exigent une participation plus importante du sujet afin de comprendre le contenu. Cette remarque remet en cause les théories antérieures selon lesquelles le téléspectateur est passif devant son écran. McLuhan bouleverse les idées reçues en affirmant que l’individu qui regarde la télévision joue un rôle actif, il doit compléter l’information qui lui est transmise afin de la comprendre. L’avenir de la communication est lié au développement des technologies électriques, selon McLuhan. Le média de nature électrique, tel que le téléphone ou encore Internet aujourd’hui, sont des « cool media », capables de resocialiser l’individu, et celui qui participe à une communication de cette nature a accès à une communauté d’individus.

C’est à partir de cette analyse que McLuhan établira le concept de « village global », mais si chaque téléspectateur se retrouve ainsi au centre du monde, la notion de village global ne fait qu'indiquer que le téléspectateur participe au spectacle du monde mais sans rompre le sentiment de solitude, et le renforçant le plus souvent. C'est dire  que ce « village global » ne crée pas une "communauté" mais ne fait en fait, plus subtilement, qu'imposer des valeurs communes ...

 

La Télévision ?

"Où faut-il commencer l'étude de la transformation apportée par la télévision dans les attitudes des Américains?" En fait l'ouvrage qui passe en revue l'impact des différents médias, ces technologies - prolongements de notre corps et de nos sens qui ont le pouvoir de créer leur propre demande, de l'écriture au vêtement, de l'argent à l'imprimé (l'architecte du nationalisme), de la photographie à l'automobile, au téléphone, au cinéma, reste assez court quant à la télévision, pour ne citer qu'elle : avec le recul, le props a vieilli, voire énonce des observations peu convaincantes, ainsi nous dit-on, "la télévision a déjà transformé notre vie sensorielle et nos processus mentaux, elle a créé un goût de l'expérience en profondeur dont l'effet se fait sentir aussi bien dans l'enseignement des langues que dans ligne des automobiles...". C'est un peu court et discutable ...

Ce que l'on a pu écrire : lorsque McLuhan a attiré l’attention du grand public pour la première fois dans les années 1960, beaucoup ont supposé qu’il promouvait la fin de la culture du livre et embrassait l’ère de la télévision. En fait, il ne faisait qu'avertir, parmi d'autres, que le nouveau média que représentait la télévision avait un énorme pouvoir : il l’a dénommé « the timid giant » et l'a exhorté à prendre conscience de ce pouvoir ...

 

"N'est-il pas curieux que la télévision ait été un médium aussi révolutionnaire en Amérique dans les années cinquante que la radio en Europe dans les années trente? La radio, qui a ressuscité les liens tribaux et les liens de parenté de l'esprit européen, autour de 1920 et de 1930, n'a pas eu le même effet en Angleterre et en Amérique. Dans ces deux pays, l'alphabétisation et ses extensions industrielles avaient à ce point érodé les liens tribaux que la radio n'y a pas provoqué de réactions tribales sensibles. Or, dix ans de télévision ont suffi à européaniser même les États-Unis, comme en témoignent de nouveaux sentiments de l'espace et des relations personnelles.

N'en prenons pour exemple qu'une nouvelle sensibilité à la danse, aux arts plastiques et à l'architecture, que le goût des petites voitures, des livres de poche, des coiffures sculpturales et d'une mode plus ajustée, pour ne rien dire du souci nouveau d'une cuisine plus recherchée et de la consommation des vins. Néanmoins, il serait fallacieux de dire que la télévision retribalisera l'Angleterre et l'Amérique.

La radio a eu une action hystérique sur le monde de la parole réverbérante et du souvenir. La télévision, elle, a certainement rendu l'Angleterre et l'Amérique vulnérables à une radio contre laquelle elles étaient auparavant, dans une large mesure, immunisées. Pour le meilleur ou pour le pire, l'image télévisée a soumis la vie sensorielle de ces populations intensément alphabétisées à une force synesthésique unifiante comme elles n'en avaient pas connu depuis plusieurs siècles. Il serait sage de réserver tout jugement de valeur dans l'étude des média, puisqu'il est impossible d'en isoler les effets.

La synesthésie, c'est-à-dire l'union de la vie sensorielle et de l'imagination, est longtemps  apparue aux poètes, aux peintres et aux artistes de l'Occident comme un rêve irréalisable. Ils regardaient avec douleur et désarroi la fragmentation et l'appauvrissement de l'imagination créatrice de l'Occidental alphabétisé au XVIIIe siècle et de l'époque subséquente. Tel était le message de Blake et de Pater, de Yeats et de D.H. Lawrence et d'une foule d'autres grandes figures. Ils n'étaient pas préparés à voir l'action esthétique de la radio et de la télévision réaliser leurs rêves dans la vie quotidienne. Et pourtant, ces prolongements colossaux de notre système nerveux central ont plongé l'homme occidental dans un bain quotidien de synesthésie.

Le mode de vie occidental, fondé il y a plusieurs siècles sur la séparation et la spécialisation rigoureuses des sens, sous la domination du sens de la vue, est incapable de résister aux vagues de la radio et de la télévision, qui déferlent sur les grandes structures visuelles de l'Individu abstrait. Ceux qui tentent, pour des raisons politiques, d'ajouter leur force propre à l'action désindividualisante de notre technologie électrique sont des automates subliminaux débiles qui reflètent et singent les modèles des forces électriques prédominantes. Il y a cent ans, ils auraient foncé, avec le même somnambulisme, dans la direction opposée. Le chœur tribal des poètes et des philosophes romantiques allemands chantait le retour aux ténèbres de l'inconscient depuis plus d'un siècle quand la radio et Hitler rendirent ce retour difficile à éviter...."


"The Medium is the Massage" is Marshall McLuhan’s most condensed, and perhaps most effective, presentation of his ideas. Using a layout style that was later copied by Wired, McLuhan and coauthor designer Quentin Fiore combine word and image to illustrate and enact the ideas that were first put forward in the dense and poorly organized Understanding Media. McLuhan’s ideas about the nature of media, the increasing speed of communication, and the technological basis for our understanding of who we are come to life in this slender volume. Although originally printed in 1967, the art and style in "The Medium is the Massage" seem as fresh today as in the summer of love, and the ideas are even more resonant now that computer interfaces are becoming gateways to the global village.


"The Medium is the Message" (1967)

 En 1967, en affirmant que le medium en soi est le message, traduit sous le titre de "Message et massage", que notre tâche la plus urgente aujourd'hui est d'apprendre à contrôler les edia avant qu'ils ne nous dominent et nous détruisent (Pour comprendre les médias, "Understanding Media", 1964; Guerre et paix dans le village planétaire, "War in the Global Village", 1968), McLuhan vend, sans avoir par ailleurs directement écrit son ouvrage, plus d'un million d'exemplaires, le livre se lit facilement, il correspond à l'air du temps, autour de quelques images, les digressions les plus extravagantes suffisent à contenter les auditoires. Et même lorsque McLuhan pressent qu'un long processus de destruction des identités parcourt le monde sous la contrainte des évolutions technologiques, prend conscience qu'il y a bien dissociation croissante entre la vérité de ce monde et les descriptions qu'en font les médias électroniques, force est de constater que ses visions sont celles d'un artiste plus que d'un penseur, on en tire un sens, des images, des interrogations rapidement comblée par  une foi optimiste dans les capacités humaines d'adaptation ...

Certes, selon McLuhan, le moyen de transmission par lequel nous recevons le message, c’est-à-dire le média, exerce autant, sinon plus d’influence sur nous que le contenu lui-même. Est-ce en conclure que peu importe le contenu, dans un certain sens oui, et sans doute est-ce pour cela que l'image télévisuelle est un véhicule de propagande sans véritable concurrent et qu'internet un réseau de savoir sans connaissance. La manière dont nous percevons l’information est transformée par le média qui nous la transmet. Ceci étant dit, et convaincant, quelle est donc l'étape suivante? Nulle réponse à ce jour ...