Tennessee Williams (1911-1983) - "A Streetcar Named Desire" (1947), "Cat on a Hot Tin Roof" (1955), "Suddenly, Last Summer" (1958), - Arthur Miller (1915-2005), "Death of a Salesman", (1949), "Les Sorcières de Salem" (The Crucible, 1953) - Eugene O'Neill (1888-1953), "Long Day's Journey into Night" (1956) - .........
Last Update: 31/12/2016
"A Streetcar Named Desire" - L'actrice britannique Vivien Leigh, dans le rôle de Blanche, et l'acteur américain Marlon Brando, dans celui de Stanley, dans un plan fixe du film mis en scène par Elia Kazan, en 1951. Tennessee Williams reçut pour cette pièce le prix Pulitzer, en 1947. Les relations familiales et les conflits (en partie dus aux problèmes abordés, comme les relations homosexuelles), ainsi que le choc entre les idéaux traditionnels et l'intrusion du monde moderne, en sont les thèmes récurrents .....
Tennessee Williams, le "freudien" est associé à Arthur Miller ("Death of a Salesman", 1949), le "marxiste", et Eugene O'Neill (Long Day's Journey into Night, 1956), dans le panthéon du théâtre américain contemporain de l'après-guerre : tous trois eurent un répertoire qui fut immédiatement transposé au cinéma grâce au talent de réalisateurs comme Elia Kazan. Comment se fait-il, s'interroge-t-on encore, que l'oeuvre de Tennessee Williams puisse continue d'exercer une telle fascination, alors qu'il a pratiqué une forme de théâtre qu'on peut estimer par trop conventionnelle? Tennessee Williams, comme Flannery O'Connor ou Carson McCullers, est d'abord associé au genre "southern gothic" qui s'évertue à sonder les âmes tortueuses et torturées qui arpentent l'arrière-cour de la respectabilité du Sud des Etats-Unis....
Le théâtre anglophone de l'après-guerre? - Comme le Théâtre de l'Absurde, étudié sous tous ses aspects à Paris, et une grande partie de la poésie moderne, les pièces écrites en anglais repoussèrent les limites littéraires connues. Celles-ci tendaient toutefois davantage à être des frontières sociales de classe que techniques et linguistiques, et à propager un réalisme cru, par opposition au nihilisme de Beckett et Ionesco. En Angleterre, on baptisa ce style "kitchen sink painters", d'après la description faite des pièces de John Osborne (1929-1994), dont l'oeuvre la plus exceptionnelle fut "Look Back in Anger" (La Paix du dimanche, 1958).
Les œuvres d'Osborne, Arnold Wesker (1932-2016) et Harold Pinter (1930-2008), qui traitent de l'aliénation sociale et politique, sont imprégnées de la politique de gauche et de l'idéal de la lutte des classes, bien que la plus grande partie de leurs écrits reflète souvent le contexte des dramaturges de classe moyenne, Un aspect de ce glissement vers le réalisme social réside dans sa transversalité vers le cinéma et la télévision, ou des films, tels que "Saturday Night and Sunday Morning" (Samedi soin dimanche matin, 1960, tiré du roman de 1958 d'Allan Sillitoe, né en 1928), "A Taste of Honey" (1961) et "Cathy come Home" (1966), ont transmis plus efficacement le message de réalisme social que les oeuvres jouées sur scène.
Aux États-Unis, les dramaturges s'intéressèrent également aux thèmes sociaux. Parmi les plus connus, on citera une nouvelle fois Tennessee Williams (1911-1983), avec, entre autre, "Cat on a Hot Tin Roof" (1955) et "A Streetcar Named Desire" (1948), inspirés par son éducation du sud des États-Unis. Arthur Miller (1915-2005) établit une chronique similaire à celle de Williams, mais pour le nord du pays. L'une de ses œuvres les plus célèbres, "The Crucible" (Les Sorcières de Salem,1953), sur le procès des sorcières de Salem, est une attaque à peine voilée contre la chasse aux sorcières de l'ère McCarthy (Miller lui-même parut devant la House Un-American Activities Committee - Commission de la Chambre sur les activités antiaméricaines), et "Death of a Saleman" (Mort d'un commis voyageur, 1949) peut être considéré comme une mise en accusation du capitalisme américain...
Tennessee Williams (1911-1983)
Né à Colombus (Mississipi), Thomas Lanier Williams est hanté par une mère qui aurait pu être actrice, un père qui incarnera la virilité brutale et violente, ambivalence dramatique ou peu s'en faut du père à qui il voue crainte et admiration, une soeur aînée dont il est brutalement séparé alors enfant et qu'elle devient "femme"..., - Rose Isabel Williams, née à Gulfport, Mississippi, en 1909, premier enfant d'Edwina et Cornelius Williams, son frère Thomas - Tennessee - naîtra trois ans plus tard, frère et sœur deviendront aussi proches que des jumeaux, (Lyle Leverich, Tom: the unknown Tennessee Williams, 1995), elle sera "Laura Wingfield", handicapée et retirée, qui cherche refuge dans sa collection d'animaux en verre dans "The Glass Menagerie" (son frère Tom déclare : "Oh, Laura, Laura, I tried to leave you behind me, but I am more faithful than I intended to be!"), mais aussi dans "Portrait of a Girl in Glass" (1943) et "The Resemblance Between a Violin Case and a Coffin" (1950) : le même sentiment de frustration tragique, "At fifteen my sister, no longer waited for me". Tennessee vit sa sœur pour la dernière fois en 1939, "her talk was so obscene - she laughed and talked continual obscenities" et resta en lui sa propre obsession de la maladie mentale. D'où cette hypersensibilité qu'on lui attribue et son long cheminement de névrosé, sa difficulté à assumer son homosexualité - à la fin des années 1930 - , un long processus d'autodestruction qui le mène, en janvier 1983, dans un hôtel de New-York, à mourir, tragi-comédie absurde, étouffé par le comprimé qu'il venait de prendre pour sortir d'un coma éthylique : il mourra ainsi seul, comme il l'avait toujours craint.
Jusque-là, c'est dans D.H.Lawrence qu'il va puiser cet instinct primitif fondamental, réprimé par la civilisation, qu'est la sexualité. Il met ainsi en scène des "individus englués dans les circonstances" et des couples qui s'entre-déchirent, tous en proie aux frustrations et aux excès, pris au piège de la société et des limites de la condition humaine.
Sa notoriété débute avec "The Glass Menagerie", représentée à Chicago en décembre 1944, et il s'impose définitivement avec "A Streetcar Named Desire", dont Elia Kazan assure la mise en scène à New-York en décembre 1947. C'est entre 1947 et 1965, qu'il donne parmi les plus grands textes de théâtre américain : " A Streetcar Named Desire" (Un tramway nommé désir, 1947), "The Rose Tattoo" (la Rose tatouée, 1950), "Cat on a Hot Tin Roof" (la Chatte sur un toit brûlant, 1955), "Suddenly, Last Summer" (Soudain l'été dernier, 1958), "Sweet Bird of Youth" (Doux Oiseau de jeunesse, 1959), "The Night of the Iguana" (la Nuit de l'iguane, 1961). À partir de 1960, le ton de ses pièces se fait plus paisible (Slapstick Tragedy, 1965 ; Small Craft Warnings, 1972). Un roman, "The Roman Spring of Mrs. Stone" (le Printemps romain de Mrs. Stone, 1950), des nouvelles, "One Arm and Other Stories" (la Statue mutilée, 1954), des poèmes (1956) et des Mémoires (1975) complètent l'œuvre théâtrale de Williams qui a considérablement influencé des dramaturges comme Edward Albee et préparé les recherches de Pinter ou de Duras. Dans sa dernière pièce, "Clothes for a Summer Hotel" (1980), Tennessee Williams ressuscite Scott et Zelda Fitzgerald et pose un regard plein de compassion sur ces deux vies ravagées comme la sienne par la hantise d'exprimer une "faille"...
"La Ménagerie de verre" (The Glass Menagerie, 1945)
Pièce en sept scènes écrite alors que John Gassner venait de monter un acte de lui, "The Long Goodbye", sa première œuvre présentée à New York, et, en février 1941, écrire une nouvelle, "Portrait d'une jeune fille en verre" (Portrait of a Girl in Glass). dont il tirera un scénario intitulé "Le Soupirant" (The Gentleman Caller) que la M.G.M. lui refuse et qu`il transforme en pièce en un acte sous le même titre. La pièce sera un triomphe à New York, en mars 1945, la grande actrice Laurette Taylor trouve dans Amanda son meilleur rôle, et pour Williams c'est la célébrité. Irving Rapper en en fera une adaptation cinématographique discutable en 1950. On estime que c'est la première et la plus pure des pièces majeures de Williams, on parle de "memory play", ou dramatisation des souvenirs du narrateur Tom
Wingfield, qui n'est autre que Tennessee Williams qui s'avance dès le lever du rideau pour s`adresser directement au spectateur, et qu`il va "lui donner la vérité sous le plaisant déguisement de l'illusion". L`appartement des Wingfield, pauvre et triste, donnant sur cour, évoque la vie trop quotidienne des Williams à Saint Louis dans les années 30. Le seul élément inventé est l'absence du père, qui a abandonné sa femme Amanda et leurs deux enfants Tom et Laura. Amanda vit dans un monde d'illusions fait de clichés moraux et de manières désuètes, de souvenirs d'une Belle du Sud aux trois quarts imaginaire. Laura, infirme (elle boite) et introvertie, a cessé de suivre ses cours et se retranche dans le monde artificiel de sa ménagerie de verre où trône sa licorne. Tom se querelle avec sa mère qu`il ne supporte plus et défend contre elle le droit de ses instincts. Elle le persuade de chercher un soupirant pour sa sœur, et il invite un de ses camarades, Jim O'Connor, dont Laura révèle qu'elle était amoureuse à l`école. Reste seul avec Laura, Jim la met en confiance et elle lui rappelle leurs souvenirs d`enfance. Pour combattre son complexe d'infériorité, il l'invite à danser. mais casse accidentellement la licorne ; Laura l'excuse : « Sans corne. elle est devenue un cheval comme les autres. ›› Cet instant magique culmine dans un baiser. mais Jim révèle alors qu'il est fiancé. Désespérée, Laura lui tend la licorne en cadeau d`adieu. Amanda se penche alors vers Laura pour la consoler, Tom s`enfuit, mais ne réussira jamais à oublier. C'est un émouvant hommage à sa sœur Rose, schizophrène détruite par une lobotomie ...
"A Streetcar Named Desire" (Un tramway nommé Désir),
"pièce de 1947, de Tennessee Williams, adapté au cinéma en 1951 par Elia Kazan, avec Vivien Liegh (Blanche DuBois), Marlon Brando (Stanley Kowalski), - "Brando was a brute who bore the truth" (Arthur Miller) - , Kim Hunter (Stella Kowalski), Karl Malden (Harold "Mitch" Mitchell). Le film dut accepter les codes et convenances en cours (cf The Motion Picture Production Code), le langage y est ainsi plus atténué que dans la pièce, les situations moins scandaleuses : Williams et Kazan s'opposèrent ainsi sur le viol de Blanche, sur le fait que son défunt mari était un homosexuel ou sur la fin qui semble indiquer que Stella ne retournera pas vers son mari violent, "He kneels beside her and his fingers find the opening of her blouse", dit-on dans la pièce...
"Blanche, do you want him?" She answers, "I want to rest. I want to breathe quietly again."... Blanche DuBois, femme hypersensible, les nerfs à fleur de peau, qui se veut aristocrate raffinée avec sa robe et sa capeline blanches, ancienne maîtresse de quelques plantations du Sud, se retrouve viscéralement révulsée et troublée par son beau-frère, le polonais immigré Kowalski, bel étalon primitif tout en viande. La pièce peut être vue comme la confrontation entre les mondes de Blanche DuBois et de Stanley Kowalski ("I don’t want realism. I want magic!", revendique Blanche) et Blanche comme un double de Williams ("My heroines always express the climate of my interior world at the time in which those characters were created") : et dans un moment que seul Tennessee Williams sait exprimer, au bord d'une hystérie qui fissure tout en elle, se découvre le secret de Blanche, enfoui sous les apparences et l'imaginaire pathétique dans lequel elle s'est réfugiée, celui d'une traînée qui a descendu tous les degrés de la déchéance jusqu'à se prostituer dans un camp militaire voisin. Kowalski viole Blanche et la dépossède de toute humanité. Stella Kowalski, la jeune sœur de Blanche, qui possède le même héritage aristocratique que Blanche, mais a fait naufrage à la fin de l'adolescence et quitté le Mississippi pour la Nouvelle-Orléans pour épouser Stanley dans une relation aussi animale que spirituelle, se trouve déchirée entre sa sœur et son mari : finalement, elle se rangera aux côtés de Stanley, peut-être en partie parce qu'elle donne naissance à son enfant vers la fin de la pièce, et lorsqu'elle refuse de suivre les accusations de Blanche selon lesquelles Stanley l'aurait violée, son déni révèle qu'elle a plus en commun avec sa sœur qu'elle ne le pense. Harold “Mitch” Mitchell, quant à lui, compagnon de Stanley au poker, révèle une sensibilité qui semble toucher Blanche, peut-être parce qu'il vit auprès de sa mère mourante, il semble plus humain bien que dépourvu du romantisme que recherche désespérément Blanche. Leur besoin mutuel de soutien les rapproche, Blanche joue avec son intelligence, contient les élans charnels de Mitch, qui va devoir affronter la révélation du passé sordide de celle-ci...
SCENE NINE
A while later that evening--Blanche is seated in a tense hunched position in a bedroom chair that she has re-covered with diagonal green-and-white stripes. She has on her scarlet satin robe. On the table beside chair is a bottle of liquor and a glass. The rapid, feverish polka tune, the "Varsouviana," is heard. The music is in her mind; she is drinking to escape it and the sense of disaster closing in on her, and she seems to whisper the words of the song. An electric fan is turning back and forth across her. Mitch comes around the corner in work clothes: blue denim shirt and pants. He is unshaven. He climbs the steps to the door and rings. Blanche is startled.
BLANCHE: Who is it, please?
MITCH [hoarsely]: Me. Mitch.
[The polka tune stops.]
BLANCHE: Mitch!--just a minute.
[She rushes about frantically, hiding the bottle in a closet, crouching at the mirror and dabbing her face with cologne and powder. She is so excited her breath is audible as she dashes about. At last she rushes to the door in the kitchen and lets him in.]
Mitch!--Y'know, I really shouldn't let you in after the treatment I have received from you this evening! So utterly uncavalier! But hello, beautiful!
[She offers him her lips. He ignores it and pushes past her into the flat. She looks fearfully after him as he stalks into the bedroom.]
My, my, what a cold shoulder! And such uncouth apparel! Why, you haven't even shaved! The unforgivable insult to a lady! But I forgive you. I forgive you because it's such a relief to see you. You've stopped that polka tune that I had caught in my head. Have you ever had anything caught in your head? No, of course you haven't, you dumb angel-puss, you'd never get anything awful caught in your head!
[He stares at her while she follows him while she talks. It is obvious that he has had a few drinks on the way over.]
MITCH: Do we have to have that fan on?
BLANCHE: No!
MITCH: I don't like fans.
BLANCHE: Then let's turn it off, honey. I'm not partial to them!
[She presses the switch and the fan nods slowly off. She clears her throat uneasily as Mitch plumps himself down on the bed in the bedroom and lights a cigarette.] I don't know what there is to drink. I--haven't investigated.
MITCH: I don't want Stan's liquor.
BLANCHE: It isn't Stan's. Everything here isn't Stan's. Some things on the premises are actually mine! How is your mother? Isn't your mother well?
MITCH: Why?
BLANCHE: Something's the matter tonight, but never mind. I won't cross-examine the witness. I'll just--[She touches her forehead vaguely. The polka tune starts up again.]--pretend I don't notice anything different about you! That--music again...
MITCH: What music?
BLANCHE: The "Varaouviana"! The polka tune they were playing when Allan--Wait! [A distant revolver shot is heard. Blanche seems relieved.] There now, the shot! It always stops after that. [The polka music dies out again.] Yes, now it's stopped.
MITCH: Are you boxed out of your mind?
BLANCHE: I'll go and see what I can find in the way of--[She crosses into the closet, pretending to search for the bottle.]
Oh, by the way, excuse me for not being dressed. But I'd practically given you up! Had you forgotten your invitation to supper?
MITCH: I wasn't going to see you any more.
BLANCHE: Wait a minute. I can't hear what you're saying and you talk so little that when you do say something, I don't want to miss a single syllable of it.... What am I looking around here for? Oh, yes--liquor! We've had so much excitement around here this evening that I am boxed out of my mind!
[She pretends suddenly to find the bottle. He draws his foot up on the bed and stares at her contemptuously. Here's something. Southern Comfort! What is that, I wonder?
MITCH: If you don't know, it must belong to Stan.
BLANCHE: Take your foot off the bed. It has a light cover on it. Of course you boys don't notice things like that. I've done so much with this place since I've been here.
MITCH: I bet you have.
BLANCHE: You saw it before I came. Well, look at it now! This room is almost--dainty! I want to keep it that way. I wonder if this stuff ought to be mixed with something? Ummm, it's sweet, so sweet! It's terribly, terribly sweet! Why, it's a liqueur, I believe! Yes, that's what it is, a liqueur! [Mitch grunts.] I'm afraid you won't like it, but try it, and maybe you will.
MITCH: I told you already I don't want none of his liquor and I mean it. You ought to lay off his liquor. He says you been lapping it up all summer like a wildcat!
BLANCHE: What a fantastic statement! Fantastic of him to say it, fantastic of you to repeat it! I won't descend to the level of such cheap accusations to answer them, even!
MITCH: Huh.
BLANCHE: What's in your mind? I see something in your eyes!
MITCH [getting up]: It's dark in here.
BLANCHE: I like it dark. The dark is comforting to me.
MITCH: I don't think I ever seen you in the light. [Blanche laughs breathlessly] That's a fact!
BLANCHE: Is it?
MITCH: I've never seen you in the afternoon.
BLANCHE: Whose fault is that?
MITCH: You never want to go out in the afternoon.
BLANCHE: Why, Mitch, you're at the plant in the afternoon!
MITCH: Not Sunday afternoon. I've asked you to go out with me sometimes on Sundays but you always make an excuse. You never want to go out till after six and then it's always some place that's not lighted much.
BLANCHE: There is some obscure meaning in this but I fail to catch it.
MITCH: What it means is I've never had a real good look at you, Blanche. Let's turn the light on here.
BLANCHE [fearfully]: Light? Which light? What for?
MITCH: This one with the paper thing on it.
[He tears the paper lantern off the light bulb. She utters a frightened gasp.]
BLANCHE: What did you do that for?
MITCH: So I can take a look at you good and plain!
BLANCHE: Of course you don't really mean to be insulting!
MITCH: No, just realistic.
BLANCHE: I don't want realism. I want magic! [Mitch laughs] Yes, yes, magic! I try to give that to people. I misrepresent things to them. I don't tell truth, I tell what ought to be truth. And if that is sinful, then let me be damned for it!--Don't turn the light on!
[Mitch crosses to the switch. He turns the light on and stares at her. She cries out and covers her face. He turns the light off again.]
MITCH [slowly and bitterly]: I don't mind you being older than what I thought. But all the rest of it--Christ! That pitch about your ideals being so old-fashioned and all the malarkey that you've dished out all summer. Oh, I knew you weren't sixteen any more. But I was a fool enough to believe you was straight.
BLANCHE: Who told you I wasn't--'straight'? My loving brother-in-law. And you believed him.
MITCH: I called him a liar at first And then I checked on the story...."
Scène 9
Une demi-heure plus tard. Dans la chambre, Blanche, intensément préoccupée, est assise dans un fauteuil, qu'elle a recouvert d'une grande écharpe rayée vert et blanc. Elle porte sa robe en satin rouge. Sur la table, près du fauteuil, une bouteille d'alcool et un verre. On entend la polka "La Varsovienne" rapide, fiévreuse. La musique est dans sa tête; elle boit pour ne plus l'entendre et échapper à l'intuition d'un désastre imminent qu'elle devine autour d'elle. On dirait qu'elle murmure les mots de la chanson. Un ventilateur électrique agite l'air autour d'elle. Mitch paraît au coin de la rue en bleu de travail, chemise et pantalons. Il n'est pas rasé. Il monte les marches et sonne. Blanche sursaute.
BLANCHE. - Qui est là ?
MITCH, d 'une voix enrouée. - Moi. Mitch.
La polka s'arrête. Elle se précipite pour aller cacher la bouteille dans l'armoire, se poudrer et se parfumer devant le miroir. Elle est si excitée que son souflle devient sonore
quand elle ouvre et le fait entrer.
BLANCHE. - Mitch ! - Je me demande si je vous laisse entrer après la façon dont vous m'avez traitée ce soir! Pas très cavalier! Mais, bonjour, mon très beau !
Elle lui tend ses lèvres. Il l'ignore et lui passe devant comme s'il ne la voyait pas pour entrer dans la chambre. Elle le regarde craintivement, alors qu'il pénètre dans la chambre.)
Mais, mais, quelle froideur ! Et quelle tête vous faites ! Et quelle tenue grossière ! Et même pas rasé - la pire offense pour une dame ! Mais je vous pardonne l Je vous pardonne, car c'est un soulagement de vous voir. Ce qui a chassé aussitôt cette polka qui me trotte dans la tête. Cela vous est déjà arrivé d'avoir un air entêtant qui vous obsède? Des mots, ou un air de musique ? Qui est là, sans relâche ? Non, bien sûr, mon pauvre ange, à vous rien d'affreux ne vous prend la tête !
Il la regarde, alors qu 'elle le suit dans ses déplacements.Il est évident qu 'il a bu quelques verres de trop.
MITCH - Ce ventilateur est indispensable ?
BLANCHE. - Non !
MITCH. - Je déteste les ventilateurs.
BLANCHE. - Alors, on l'éteint, mon cher. Je n'y tiens pas !
(Elle appuie sur le bouton et le ventilateur s'arrête progressivement. Elle s'éclaircit la gorge avant de parler, tandis que Mitch se laisse tomber sur le lit et allume une cigarette.)
Je ne sais pas s'il y a à boire. Je n'ai pas regardé.
MITCH. - Je ne veux pas boire de l'alcool de Stanley.
BLANCHE. - Ce n'est pas à Stanley. Tout ne lui appartient pas ici. Il y a des choses qui sont à moi ! Comment va votre mère ? Elle ne va pas bien ?
MITCH. - Pourquoi ?
BLANCHE. - Il se passe vraiment quelque chose ce soir, mais peu importe. Je ne vais pas procéder à l'interrogatoire des suspects. Je ferai simplement - (Elle porte la main à son front. L'air de la polka a repris.) - comme si vous étiez le même que d'habitude. Encore cette musique...
MITCH. _ Quelle musique ?
BLANCHE. - La "Varsovienne" ? Cette polka qu'on jouait quand Allan - Attendez !
(On dirait qu 'on entend au loin un coup de revolver.)
Voilà, maintenant. Après le coup de revolver, ça devrait s'arrêter. Oui, c'est arrêté.
MITCH. - Ça va bien dans votre tête ?
BLANCHE. - Je vais voir ce que je peux trouver - (Elle va jusqu'au placard, à la recherche d'une bouteille.) Et, au fait, excusez ma tenue. Je ne vous attendais pratiquement plus. Aviez-vous oublié mon invitation à dîner ?
MITCH. - Je ne voulais plus vous revoir.
BLANCHE. - Pardon, mais je n'entends pas un mot de ce que vous dites, vous parlez si peu que je ne voudrais pas en perdre une syllabe... Qu'est-ce que je cherchais, déjà? Ah, oui - de l'alcool ! Avec tout ce qui s'est passé ici ce soir, je ne sais plus où j'en suis ! (Elle fait semblant brusquement de découvrir la bouteille. Il étend les jambes sur le lit et la
regarde avec dédain.) Tiens, c'est quoi? Le Réconfort sudiste! Je me demande ce que c'est ?
MITCH. - Si vous ne savez pas ce que c'est, c`est que ça appartient à Stan.
BLANCHE. - Enlevez vos pieds de sur le lit. Le dessus de lit est fragile. Jamais, vous les hommes, vous ne remarquez ça. J'en ai changé des choses ici, depuis mon arrivée.
MITCH. - Je n'en doute pas.
BLANCHE. - Vous connaissiez l'endroit avant, regardez maintenant! Cette pièce est presque devenue coquette ! J'ai l”intention que ça continue. Je me demande avec quel autre style ça pourrait se marier ? Hummm, c'est doux, c'est très doux ! C`est même délicieux, oui, délicieux ! Ce doit être une liqueur ! C'est bien ça, une liqueur ! (Mitch grogne.) Je me demande si ça va vous plaire, mais essayez quand même.
MITCH. - Je vous répète que je ne veux aucun alcool. Vous ne devriez pas en prendre, vous non plus. Il dit que cet été vous lui avez tout lapé mieux qu'une chatte !
BLANCHE. - Alors ça c'est fantastique ! Fantastique qu”il ait dit ça et non moins fantastique que vous veniez me le répéter ! Je ne m'abaisserai pas à relever ces accusations !
MITCH. - Hah.
BLANCHE. - Vous pensez à quoi ? Je vois quelque chose dans vos yeux !
MITCH, se levant. - Il fait sombre.
BLANCHE. - J'aime l`obscurité. L'obscurité me rassure.
MITCH. - Je crois que je ne vous ai jamais vue en pleine lumière. (Blanche a un petit rire.) C'est un fait.
BLANCHE. - Vous croyez ?
MITCH. - Je ne vous ai jamais vue un après-midi.
BLANCHE.- A qui la faute ?
MITCH. - Vous ne voulez jamais sortir l'après-midi.
BLANCHE. - Mais l'après-midi, vous êtes à l'usine !
MITCH. - Pas le dimanche. Je vous ai proposé plusieurs fois de sortir avec moi le dimanche après-midi et vous aviez toujours une excuse. Vous ne sortez qu`après six heures du soir et dans des endroits peu éclairés.
BLANCHE. - Tout cela doit avoir du sens, mais c'est bien caché.
MITCH. - J'en viens à me dire que finalement, Blanche, je ne vous ai jamais vraiment vue.
BLANCHE. - Où voulez-vous en venir ?
MITCH. - J'aimerais qu'on allume ici.
BLANCHE, effrayée. - Qu'on allume ? De la lumière ? Laquelle ?
MITCH. - Celle-là, avec l'abat-jour. (Il accommode l'abat-jour. Elle sursaute d'effroi. )
BLANCHE. - Mais pourquoi ?
MITCH. - Il y a que je veux vous voir vraiment comme vous êtes !
BLANCHE. - Mais c'est presque une insulte !
MITCH. - Non, c'est être simplement réaliste.
BLANCHE. - Je refuse tout réalisme.
MITCH. - Ouais, j'avais compris.
BLANCHE. - Je vous ai dit ce que je désire. De la magie ! (Mitch rit.) Oui, oui, de la magie ! C'est ce que j'essaie de donner aux autres. Je présente les choses autrement que ce qu'elles sont. Je ne dis pas la vérité. Je dis ce qui aurait dû être la vérité. Et si c'est un péché, j'accepte volontiers d'être damnée ! - N 'allumez pas !
Mitch va appuyer sur l'interrupteur. Lumière. Il la regarde. Elle pousse un cri et se couvre le visage. Il éteint.
MITCH, d'une voix douce-amère. - Je me fiche que vous soyez plus vieille que je croyais. Mais pour le reste - Seigneur ! Votre baratin sur votre côté vieux jeu et toutes les sottises que vous m'avez balancées tout l'été. Oh, je savais bien que vous n'aviez plus seize ans. Mais j'étais assez stupide pour penser que vous étiez quelqu'un de droit.
BLANCHE. - Qui vous a dit que je n'étais pas quelqu'un de "droit"? Mon beau-frère bien-aimé ? Et vous l'avez cru.
MITCH. - J 'ai commencé par le traiter de menteur. Ensuite, je me suis mis à vérifier ce qu'il me racontait...."
Quelques semaines plus tard, lors d'une autre partie de poker à l'appartement Kowalski, Stella et sa voisine, Eunice, emballent les affaires de Blanche. Blanche a souffert d'une dépression mentale complète et doit être internée dans un hôpital psychiatrique. Bien que Blanche ait parlé à Stella de l'agression de Stanley, Stella n'arrive pas à croire l'histoire de sa sœur. Lorsqu'un médecin et une matrone arrivent pour emmener Blanche à l'hôpital, elle leur résiste d'abord et s'effondre sur le sol dans la confusion. Mitch, présent au poker, s'effondre en larmes. Quand le médecin aide Blanche, elle va volontiers avec lui en disant : "Qui que vous soyez, j'ai toujours compté sur la gentillesse des étrangers." Le jeu se termine avec Stanley qui continue à réconforter Stella, mais aussi à caresser son chemisier, tandis que le jeu de poker continue sans interruption, comme le dit Steve : "Ce jeu est un stud à sept cartes".
"Cat on a Hot Tin Roof" (La Chatte sur un toit brûlant, 1955),
pièce de Tennessee Williams, adapté par Richard Brooks en 1958,
avec Elizabeth Taylor (Maggie Pollit), Paul Newman (Brick Pollitt), Burl Ives (Big Daddy Pollitt), Judith Anderson (Big Mama Pollitt)...
Dans une villa du sud des États-Unis, alors que toute la famille se réunit pour fêter l'anniversaire du patriarche malade, Big Daddy, Maggie et Brick forment un couple en pleine crise, Maggie, frustrée sexuellement et de ne pas avoir d'enfant, Brick, déprimé par le suicide de son meilleur ami, et en fond, l'image d'un fils, préféré par son père, mais restitué sous les traits d'un alcoolique et d'un homosexuel refoulé.
La plus grande plantation de coton du delta du Mississippi fête les 65 ans de son propriétaire, Big Daddy Pollitt. Pendant que l'un de ses fils, Gooper, intrigue pour recueillir l'héritage avec sa femme Mae au profit de leurs cinq "monstres sans cou", l'autre fils, Brick, le pied dans le plâtre, se réfugie dans l'alcool et repousse sa ravissante femme Maggie, qui tente en vain de le reconquérir parce qu'elle l'aime et veut un enfant de lui. Idéaliste fuyant la réalité, Brick avait prolongé la pureté asexuée de l'enfance dans ses liens avec son ami Skipper, que les autres ont pris pour de l'homosexualité. En forçant Skipper à coucher avec elle, Maggie l'a contraint à faire face à la réalité - expérience dont il était incapable et qui l'a détruit. Brick, depuis la mort de son ami, a plongé dans l'alcool et l'inertie.
Le deuxième acte atteint le sommet de l'intensité dramatique dans la conversation où Big Daddy et Brick se déchirent et se révèlent : Big Daddy découvre qu'on a falsifié les résultats de ses examens médicaux, et qu'íl va mourir d'un cancer; Brick est forcé d'avouer qu'il est coupable de la mort de Skipper, ayant rejeté son ami alors que celui-ci, désespéré, ne pouvait plus compter que sur lui. Ce moment de confrontation de la vérité permet aux deux hommes de communiquer dans l'amour et la douleur.
Le dernier acte marque le triomphe de Maggie la chatte : elle annonce qu'elle attend un enfant de Brick, qui semble se soumettre à ce mensonge qu'il lui reste à transformer en vérité. Le vieux thème de la vie qui ne prend son sens que dans la confrontation avec la mort s'incarne dans Maggie, qui est désir et plaisir, volonté et amour. Elle se révolte contre la morale de la réussite sociale et choisit comme valeur suprême, l'amour, pour lequel elle ne cesse de se battre, car une chatte sur un toit brûlant va au bout de sa passion.
(acte II) "Je continue, écrira vingt ans plus tard dans ses Mémoires Tennessee William, à considérer "Une chatte" comme ma meilleure oeuvre dramatique à cause des procédés classiques d'unité de temps et de lieu et de la grandeur royale du Père", la référence au Père est ici capitale, c'est lui qui donne son sens à la pièce, jamais, poursuivra-t-il je n'ai donné à un personnage autant d'éloquence à l'état brut, et le dialogue avec son fils résonne avec une incroyable vérité ..
(...)
PÈRE. - Tu sais, petit-
(ll lui tend sa béquille.)
L'homme est un animal condamné à mourir, mais avant il achète, il achète, il achète, parce qu'au fond de lui-même il a l'espoir démentiel que parmi tout ce qu'il aura acheté, il y aura la vie éternelle ! Mais ça n'arrive jamais... l'homme est un animal qui -
BRICK, depuis le bar. - Ce soir, rien ne pourrait t'empêcher de parler ?
Pause. On entend des voix dehors.
PÈRE. - Ces derniers temps, j'ai été silencieux, je n'ai pas dit un mot, je suis resté assis à regarder fixement devant moi. J'en avais la tête remplie. Ce soir, j'ai envie de parler - le ciel de ce soir ne ressemble pas à celui d'hier...
BRICK. - Moi, ce que je préfère écouter...
PÈRE. - Oui ?
BRICK. - C'est un silence complet, un silence parfait, intégral.
PÈRE. - Ah ?
BRICK. - C'est ce qui apaise le mieux.
PÈRE. - Mon grand, dans la tombe, le temps et le silence te paraîtront bien assez longs.
(Il l'a dit avec un petit rire aimable.)
BRICK. - Tu as autre chose à me dire ?
PÈRE. - Tu es si pressé que je me taise ?
BRICK. - Chaque fois que tu viens me dire : Brick, il faut que je te parle, il ne se passe rien. On ne se dit rien. Tu t'assois, tu bavardes, je fais celui qui écoute, car je n'écoute pas, enfin très peu. C'est difficile pour tout le monde de communiquer, mais entre toi et moi, ça ne se...
PÈRE. - Est-ce qu'il t'est arrivé d'avoir peur ? Je veux dire, est-ce que tu as ressenti un jour une véritable terreur ?
(Il se lève.)
Une seconde. Je vais fermer ces portes.
(Il va fermer les portes donnant sur la galerie, comme s'il allait lui révéler un secret important.)
BRICK. - Alors ?
PERE. - Brick ?
BRICK. - Oui ?
PÈRE. - Fils, j'ai cru que je l'avais !
BRICK. - Quoi ? Quoi, Papa ?
PÈRE. - Le cancer !
BRICK. - Ah...
PÈRE. - J'ai vraiment senti la mort poser sa main lourde et froide sur mon épaule !
BRICK. - Tu as su donner le change.
PÈRE. - On donne le change - ou on se laisse aller, et alors on couine comme un porc. Bien qu'un porc soit dans une situation plus avantageuse.
BRICK. - Avantageuse ?
PÈRE. - Il ignore qu'il va mourir. L'homme n'a pas cette chance, il est le seul animal à connaître la mort, à savoir qu'elle existe. Tous les autres l'ignorent. Ce devrait être la règle pour tous, ne pas savoir, n`en avoir aucune idée, c'est ce qui permet au porc de couiner et à l'homme de se taire et de donner le change. Parfois, il -
(Le vieil homme laisse paraître une profonde férocité, qui couvait en lui.)
- peut serrer les dents et donner le change. Je me demande si -
BRICK. - Oui, quoi ?
PÈRE. - Si un bon verre de whisky ferait mal à mon spasme ?
BRICK. - Non, au contraire, ça lui ferait du bien.
PÈRE, souriant de toutes ses dents. - Par Jésus Christ, le ciel se dégage! Le ciel est à nouveau dégagé ! Il se dégage, mon gars, il se dégage !
BRICK, regardant au fond de son verre. - Tu te sens mieux ?
PÈRE. - Mieux ? Je recommence à respirer! Toute ma vie, j'ai serré le poing pour...
(Il se sert un verre.)
Broyer, anéantir, être le chef ! - maintenant je relâche prise, j'ouvre grand ces deux mains et je caresse les choses doucement...
(II tend les mains comme pour caresser l'air.)
J`ai une idée fixe, tu sais laquelle ?
BRICK, vague. - Non. Laquelle ?
PÈRE. - Ha ha! - Prendre du plaisir - prendre le maximum de plaisir avec les femmes !
( Le sourire de Brick faiblit.)
Brick, c”est une idée qui me calcine ! -
- Oui, mon gars. Ça t'épate. À mon âge, je désire les femmes. Plus que jamais.
BRICK. - Je trouve ça vraiment formidable.
PÈRE. - Formidable ?
BRICK. - Admirable.
PÈRE. - Tu as raison. Formidable et admirable, les deux. Je réalise que je n'en ai jamais eu mon compte. J'ai laissé passer beaucoup d'occasions par scrupule - scrupule, convention sociale, sottise... Des conneries, tout ça, des conneries, des conneries! - Il a fallu que j'approche de la mort pour le découvrir. Mais maintenant que le danger est passé, je vais me payer une de ces noubas ! .
BRICK. - Une de ces noubas, hah ?
PÈRE. -- Exactement ! - J 'ai couché avec ta mère jusqu'à, voyons, jusqu'à il y a cinq ans, j'avais soixante ans et elle, cinquante-huit, sans avoir jamais eu envie d'elle, jamais !
(Le téléphone sonne en bas, dans le hall. La Mère entre et s'exclame.).
MÈRE. - Eh bien, les hommes, vous n'entendez pas le téléphone ?
PÈRE. - Il y a cinq pièces d'ici au bout de la galerie, pourquoi tu t'arrêtes à la première ?
(La Mère fait une drôle de tête, et se décide à franchir la porte en direction du hall.)
Hah ! - Chaque fois que je la vois sortir d'une pièce, j'oublie à quel type de femme elle ressemble, mais chaque fois qu'elle entre dans une pièce, je réalise et je préférerais être absent !
(Il s'écroule de rire à cette plaisanterie, jusqu'à faire une grimace. Le rire se termine en gloussement, tandis qu 'il pose le verre d 'alcool distraitement sur la table. Brick est remonté en boitant vers la porte de la galerie.)
Hé, où vas-tu ?
BRICK. - Je vais prendre l'air.
PÈRE. - Minute, on n'a pas fini. Tu vas rester jusqu'à la fin de notre conversation, mon jeune ami.
BRICK. - Je croyais qu'on avait fini.
PÈRE. - On n'a pas commencé.
BRICK. - Pardon. J'avais envie de respirer un peu l'air de la rivière.
PÈRE. - Mets le ventilateur, et viens t'asseoir.
(La voix de la Mère monte du hall.)
MÈRE. - Mademoiselle Sally, voyons ! Mademoiselle Sally, je vais vous gronder. Pourquoi vous ne me laissez pas vous expliquer ?
PÈRE. - Elle est encore en train de parler à ma vieille fille de sœur.
MÈRE. - Eh bien, au revoir, mademoiselle Sally. Vous vous montez la tête, Père meurt d'envie de vous voir! Vouiii, au revoir, mademoiselle Sally.
(Elle raccroche et se met à brailler avec allégresse. Le Père grogne et se bouche les oreilles tandis qu'elle les rejoint.)
C'était Mlle Sally qui appelait encore une fois de Memphis ! Tu sais ce qu'elle a fait? Elle a appelé son docteur pour se faire expliquer ce qu'est un spasme du colon l Ha-H A A A ! Et elle appelle pour nous dire qu'elle est soulagée - Hey, je veux entrer l
(Le père la tient à demi repoussée derrière la porte d 'entrée.)
PÈRE. - Je ne t' ai pas demandé de venir, ni de traverser cette chambre. Tu vas t'en retourner et traverser les cinq autres pièces.
MÈRE. - Oh ! Oh l Oh l Heureusement que tu ne penses pas ce que tu me dis.
(Il tient toujours la porte, mais elle continue.)
Chéri ? Chéri ? Dis que tu ne penses pas ces vilaines choses ? Je sais que non. Je sais qu'au fond tu ne les penses pas...
(Voix d 'enfants et de galopades dans le hall. Brick s'est relevé avec sa béquille et tente une sortie.)
PÈRE. - Tout ce que je lui demande, c'est de me laisser seul. Mais elle ne peut pas admettre que sa présence m'incommode. Ça vient d`avoir dormi avec elle tant d'années. Ça aurait dû cesser plus tôt, mais elle est du genre à n'en avoir jamais assez - et j'étais bon au lit... Je n'aurais jamais dû passer autant de temps sur elle. Si c`est vrai ce qu'on dit, qu'on a un certain nombre de fois à faire l'amour, il ne doit plus m'en rester beaucoup, mais ces fois-là maintenant je me les réserve. Je vais choisir une fille, peu importe combien elle se fera payer, elle va crouler sous les manteaux de vison 1 Ha Ha ! Nue sous des manteaux de vison, et couverte de colliers de diamants l Ha ha ! Et je la baiserai nue, avec son vison et ses diamants, du crépuscule à l'heure du petit déjeuner. Ha aha ha ha ha !
MAE, gaiement, depuis la porte. - On s'amuse bien ici?
GOOPER, idem. - C'est Père qui rit comme ça ?
PÈRE. - Quels cons! - ils font la paire - de l'un à l'autre, ça suinte...
(Il se penche et touche l'épaule de Brick.)
Oui, fils. Brick, je suis - heureux! Je suis heureux, je suis heureux, mon garçon !
(Il étouffe un peu et se mord la lèvre inférieure, pressant l 'espace d 'une seconde sa tête contre celle de son fils, timidement, puis toussant pour cacher son embarras, et va d 'une démarche incertaine jusqu'à la table où il a posé son verre. Il boit et fait une grimace quand il avale l 'alcool, et bouge avec difficulté.)
Pourquoi tu t'agites ? Tu as des fourmis dans ton froc ?
BRICK. - Oui, monsieur !
PÈRE. - Et pourquoi ?
BRICK. - Il me manque...
PÈRE. - Oui ? Quoi ?
BRICK, tristement. - Le déclic...
PÈRE. - Tu as dit : déclic ?
BRICK. - Déclic, oui.
PÈRE. - Quel déclic ?
BRICK. - Le déclic qui se fait dans ma tête, et qui m'apporte la paix.
PÈRE. - Je ne comprends pas un mot de ce que tu dis, mais tu m'inquiètes.
BRICK. - C'est mécanique. Il se produit lorsque j'ai assez bu. C'est mécanique - c'est comme - comme -
PÈRE. - Comme...
BRICK. - Comme un commutateur qui éteindrait une lumière brûlante, et qui permettrait de se baigner dans la fraîcheur de la nuit et -
(Il lève les yeux, sourit tristement.)
- soudain, c'est la paix !
PÈRE, sifflant longuement pour marquer son étonnement, il passe derrière son fils, qu'il frappe sur les deux épaules. - Nom de Dieu ! Je ne me doutais pas que tu allais si mal. Dans ce cas, mon fils, tu es un alcoolique !
BRICK. - Oui, Père. Je suis un alcoolique.
PÈRE. - Ça prouve à quel point j'ai laissé aller les choses !
BRICK. - Je dois attendre ce déclic qui m'apporte la paix. D'ordinaire, ça vient plus tôt, vers midi, mais -
- Aujourd'hui, c'est - problématique...
- Je n`ai pas encore ma dose d'alcool dans le sang !
(Il s'est exprimé avec énergie, tout en se versant un autre verre.)
PÈRE. - Ah - hah. L'attente de la mort m'avait rendu aveugle. Je n'avais pas la moindre conscience qu'un de mes fils était devenu poivrot sous mon nez.
BRICK, gentiment. - Maintenant, tu sais. Tu es au courant.
PÈRE. - HA-hah, oui, maintenant, je sais, je suis au courant.
BRICK. - Et si tu veux bien m'excuser -
PÈRE. - Non, je ne veux pas t'excuser.
BRICK. - Je me sentirais mieux si j'attendais seul le déclic, il ne se produit que si je suis seul et que je ne parle à personne.
PÈRE. - Tu as été seul trop longtemps, mon garçon, trop longtemps tu n'as parlé à personne, mais maintenant tu es avec moi et c'est à moi que tu parles. Au pire, je parlerai pour deux. Mais tu vas rester et m'écouter jusqu'à ce que j'aie décidé d'arrêter !
BRICK. - Mais parler comme on l'a toujours fait, ça ne nous mènera nulle part, et - c'est - c'est pénible...
PÈRE. -- C'est peut-être pénible, mais tu ne bougeras pas d'ici ! Je commence par t'enlever cette béquille. ..
(Il s'en empare et la jette à travers la pièce.)
BRICK. - Je peux sauter sur un pied, et si je tombe je peux ramper !
PÈRE. - Si tu continues, c'est hors de cette plantation que tu pourrais te retrouver en train de ramper, et alors tu devras faire le trottoir pour t'acheter à boire.
BRICK. - Ce jour viendra, Père.
(II se lève.)
PÈRE. - Reste là.
BRICK. - Je ne peux pas. Nous parlons, tu parles, on tourne en rond. On n'a rien à se dire.
PÈRE. - Comment, rien à se dire ? Je t'explique que j'ai failli crever et que je me remets à vivre !
BRICK, avec un air déçu. - C'est ça que tu as à me dire !
PÈRE. - Salaud ! Ce n'est pas important?
BRICK. - Bon, eh bien, tu l'as dit, c'est dit, alors, maintenant, je -
PÈRE. - Alors, maintenant tu reviens t'asseoir.
BRICK. -- Et que tu ne penses qu'à baiser -
PÈRE. -- Je ne pense pas qu'à ça !
BRICK. - Si, tu ne penses qu'à ça !
PÈRE. - Tu n'as pas a me juger, espèce de poivrot ! Et tu feras ce que je dis! Le patron, ici, c'est moi ! Je vais t`apprendre qui commande ! Je suis revenu, maintenant !
(Retour de la Mère, poitrine haletante.)
Qu'est-ce que tu viens foutre ?
MÈRE. - Mais ne crie pas comme ça ! Je viens seulement...
PÈRE. - Sors d'ici ! Fous le camp !
(Elle se précipite dehors, sanglotant.)
BRICK, d 'une voix douce et triste. - Bon dieu...
PÈRE. - Oui, bon dieu...
(Brick ramasse sa béquille et clopine vers la galerie. Le Père lui arrache sa béquille. Brick marche avec sa cheville blessée. Il ne peut dissimuler un cri de douleur, s'agrippe à une chaise et la pousse devant lui pour avancer.)
Espèce de... sale... petite ordure...
BRICK. - Rends-moi ma béquille.
(Le Père lance la béquille hors d 'atteinte)
Donne-moi cette béquille.
PÈRE. - Pourquoi tu bois ?
BRICK. - Je ne sais pas. Rends-moi ma béquille !
PÈRE. - Tu ferais mieux de chercher pourquoi tu t'es mis à boire et ce qui pourrait t'en sortir !
BRICK. - Peux-tu s'il te plaît me donner ma béquille pour que je puisse me relever ?
PÈRE. - Réponds-moi d'abord. Pourquoi tu bois ? Pourquoi tu fous ta vie en l'air ?
BRICK, se mettant à genoux. - Ça me fait mal de marcher sur un pied.
PÈRE. - C'est bon signe. Ça veut dire que l'alcool ne t'a pas encore tout a fait abruti.
BRICK. - Tu as - renversé - mon verre...
PÈRE. - Je te propose un marché. Je t'en sers un autre si tu me dis pourquoi tu bois. C'est moi qui te le sers et qui te l'apporte.
BRICK. - D'accord. J
PÈRE. - Dis d'abord !
BRICK. - Ça tient en un mot.
PÈRE. - Lequel ?
BRICK. - DÉGOUT !
(La pendule sonne doucement. Le Père lui jette un bref regard hostile.)
Par dégoût !
Ça vient ? Ce verre ?
PÈRE. - QU'EST-CE QUI TE DÉGOUTE ? Je veux savoir. On n'est pas dégoûté comme ça, sans raison ! Tu le dis et je te sers.
BRICK. - Oui, monsieur ! Je vais essayer.
(Le vieil homme lui verse un verre et le lui tend solennellement. Brick boit en silence)
Tu sais ce que c'est que le "mensonge" ?
PÈRE. - Quelqu'un t'a menti ?
ENFANTS, chantant en chœur, off. -
On veut Grand-Papaaa l
On veut Grand-Papaaa !
(Gooper apparaît à la porte de la galerie.)
GOOPER. - Dehors, les gosses te réclament.
PÈRE, féroce. -- Gooper, qui t'a permis d'entrer ?
GOOPER. - Pardon !
(Le Père referme la porte derrière Gooper en la faisant claquer.)
PÈRE. - Qui t'a menti, c'est Margaret qui t'a menti, ta femme t'a menti ?
BRICK. - Ce n'est pas elle. Elle, ce ne serait pas grave.
PÈRE. - Alors c'est qui, c'est quoi, nom de dieu ?
BRICK. - Tout... c'est un ensemble.
PÈRE. - Qu'est-ce que tu as à te frotter la tête ? Tu as la migraine ?
BRICK. - Non, c'est pour me -
PÈRE. - Te concentrer ? Mais tu n'y arrives pas, parce que tu as le cerveau imbibé d'alcool ? Le cerveau imbibé comme une éponge ! Que sais-tu du mensonge ? Moi, je pourrais écrire un livre là-dessus ! Je pourrais écrire un livre sans épuiser le sujet le moins du monde. Imagine un peu le nombre de mensonges qu'il m'arrive de dire dans une journée ! Le nombre de ruses, de prétextes ! Par exemple, faire semblant de m'intéresser à ta mère, dont je ne supporte pas la présence, pas plus que la voix, ou l'odeur, depuis quarante ans ! - même quand je suis couché sur elle ! - en train de la besogner...
Faire semblant d'aimer ce sinistre Gooper et sa chère épouse Mae et leurs cinq braillards qui ont l'air de perroquets dans la jungle. Alors que je ne peux pas les voir !
Et l'église ! - où je crève d`ennui, mais où je vais - je m'assieds pour écouter ce crétin de Révérend !
Et les clubs - Elks ! Masons ! Le Rotary ! - toute cette racaille !
(Un spasme de douleur lui serre le ventre. Il s'effondre sur une chaise, et sa voix faiblit et s'enroue.) Pour une raison que j'ignore, j'ai toujours eu pour toi un vrai sentiment - de l'affection - du respect - toujours, oui...
J'ai toujours rêvé que tu réussirais à devenir un planteur et que tu reprendrais le domaine, comme je l'ai toujours imaginé, c'est vrai...
C'est comme ça ! '
J'ai vécu dans le mensonge ! Pourquoi tu ne ferais pas comme moi?
Toi aussi, tu es obligé de vivre avec, tu n'as pas le choix, c'est une obligation pour tout le monde.
BRICK. - Oui, Chef ! Sauf qu'il y a d'autres façons de vivre !
PÈRE. - Exemple ?
BRICK, élevant son verre. - Ça ! - I'alcool ...
PÈRE. - Ça, ce n'est pas vivre, c'est fuir la vie.
BRICK. - Mais je veux la fuir.
PÈRE. - Pourquoi tu veux te détruire ?
BRICK. - J'aime boire...
PÈRE. - Bon dieu, je ne peux pas parler avec toi...
BRICK. - Désolé.
PÈRE. - Moins que moi. Je vais te dire une chose. Il n`y a pas si longtemps, quand j'ai cru mon heure arrivée -
(Il parle avec un débit torrentiel et avec violence.) - avant d'apprendre que je n'avais rien que ce spasme - au colon. J'ai pensé à toi. Je me suis dit que tout ici devait te revenir - je déteste Gooper et Mae et leurs cinq petits singes. Je me suis dit qu'après moi je n'allais pas laisser quatorze mille hectares de la terre la plus riche de ce côté de la vallée du Nil à Gooper et à ses cinq petits singes et à cette sorcière de Mae. A qui doivent-ils revenir, sinon à mon fils, Brick - mais je me dis maintenant, dois-je faire un tel cadeau à un pauvre type obsédé par l`alcool ? Même si je l'aime - c'est un fait - pourquoi faire ça ? Choisir qui est sans mérite ? Un destructeur ? Un corrompu ?
BRICK, avec un sourire. - Je comprends.
PÈRE. - Tu as de la chance, parce que moi, nom de dieu, je ne comprends pas. Pour te parler franchement, je n'ai pas encore fait de testament ! - Maintenant, ce n'est plus pressé. J'ai le temps. Je peux attendre et voir si tu es capable de te ressaisir.
BRICK. - Très bien.
PÈRE. - Tu crois que je plaisante ?
BRICK. - Non. Je sais que tu parles sérieusement.
PÈRE. - Alors, tu t'en fous ?
BRICK, clopinant vers la galerie. -- Non, je ne m'en fous pas... Et maintenant, si on allait jeter un oeil sur ce feu d'artifice et respirer l'air mais qui monte de la rivière ?
(Il se dirige vers l'extérieur, le ciel est illuminé d'éclaboussures de lumières vertes, roses, dorées.)
PERE. - ATTENDS I - Brick...
(Baissant la voix ; soudain, il devient presque timide, presque tendre, dans sa retenue même.)
Ne va pas - ne me quitte pas comme ça, comme les autres fois où on s'est parlé, on a toujours tourné autour du pot, je ne sais pas pourquoi, c'est toujours comme si on taisait quelque chose, comme s'il y avait un non-dit, comme si on évitait de parler de quelque chose que ni toi ni moi n'étions assez honnêtes pour -
BRICK. - À toi, je ne t'ai jamais menti.
PÈRE. -- Et moi, tu crois que j'ai menti ?
BRICK. -- Non...
PÈRE. - Ça fait donc au moins deux personnes sur terre qui ne se sont jamais menti.
BRICK. - Mais on ne s`est non plus jamais parlé vraiment.
PÈRE. - Eh bien, on va le faire maintenant.
BRICK. - Je crois qu'on n'a plus grand-chose à se dire.
PÈRE. - Tu dis que tu bois pour tuer ton dégoût du mensonge.
BRICK. - Je l'ai dit pour trouver une raison.
PÈRE. - L'alcool est-il la seule chose qui puisse tuer ce dégoût ?
BRICK. - Pour le moment, oui.
PÈRE. - Ça n'a pas toujours été le cas.
BRICK. - Non, pas quand j'étais encore jeune et naïf. On boit pour oublier qu'on n'est plus jeune et qu'on ne croit à rien.
PÈRE. - Croire en quoi ?
BRICK. - Croire...
PÈRE. - Croire en quoi '?
BRICK, têtu. -- Croire...
PÈRE. - Croire en quoi, je me le demande, et je me demande si tu le sais toi-même, mais si c'est du sport dont il est question, si c'est le reportage sportif que tu as dans le sang, eh bien retournes-y, et -
BRICK. - Rester dans une tribune à regarder jouer les autres ? Dire aux autres ce qu'ils auraient dû faire, alors que maintenant j'en suis devenu incapable ? Provoquer leur dégoût et leur incompréhension, et pour supporter ça, me résigner à couper mon bourbon avec du Coca, ça ne vaut pas le coup, je n`ai plus l'âge, je n'ai plus rien à espérer, je n'attends d'aide de personne...
(version française de Pierre Laville)
"Suddenly, Last Summer" (Soudain l'été dernier, 1958),
pièce de Tennessee Williams, adapté par Joseph L. Mankiewicz en 1959,
avec Elizabeth Taylor (Catherine Holly), Katharine Hepburn (Violette Venable), Montgomery Clift (Docteur Cukrowicz)..
"My son Sebastian was chaste, not c h a s e d!" - Violette Venable, richissime veuve de La Nouvelle-Orléans, tient sa nièce Catherine Holly, qui semble avoir perdu toute raison, pour responsable de la mort de son fils en Europe, l'été dernier. Elle fait appel à un jeune neuro-chirurgien, le docteur Cukrowicz, pour la lobotomiser : le médecin, mettant en doute les motivations de Mrs Venable, parvient à mettre à jour, à travers les délires et refoulements de Catherine, la véritable version du drame et des personnalités profondes de la veuve et de son fils...
"Suddenly Last Summer", pièce en quatre scènes de Tennessee Williams et publiée en 1958, confession en forme de tragédie qui lui permet de surmonter l'échec de "La Descente d'Orphée" (Orpheus Descending, 195) et une psychothérapie peu concluante. La pièce est vue tout d`abord comme une moderne mise en question de la notion de vérité, dans la tradition de Pirandello, appuyée sur la définition classique du théâtre comme royaume du langage : deux femmes se déchirent en créant deux portraits incompatibles d`un personnage disparu, dont la présence spirituelle repose sur son absence physique. Dans son jardin fantastique, jungle tropicale évoquant les temps préhistoriques, où son fils Sébastien faisait survivre des plantes carnivores, Mrs. Venable, aristocrate épuisée mais indomptable, promène le Dr Cukrowicz à qui elle trace le portrait de son fils, fragile poète ne pouvant lui aussi survivre que protégé du chaos extérieur par sa mère. Celle-ci fait de leur vie un rituel de beauté vainqueur du temps et lui permettant ainsi d'écrire chaque été un poème au bout d'une maturation de neuf mois. Sébastien était en quête de Dieu et l`avait trouvé aux îles Galapagos. en voyant le massacre des petites tortues de mer juste écloses dévorées sur la plage par les oiseaux de proie. Ayant compris la toute-puissance de la violence et du temps, il avait changé - et, "soudain l'été dernier", sa mère ayant eu ce qu`elle refuse d'appeler une attaque, il a pris pour compagne de son voyage annuel sa cousine Catherine Holly, qu'il avait sauvée du désespoir. C'est Catherine qui trace alors le portrait de cet idéaliste impur et tendre, qui, ayant réintroduit la corruption du temps dans sa vie désormais vulnérable, aspira à la destruction purificatrice. La longue vision de poésie exacerbée de Catherine recrée la montée au supplice de Sébastien lorsque, choisissant ce rituel en guise d'exorcisme, poursuivi par de petits enfants nus et affamés qui ressemblent à des oiseaux de proie, il se livre à eux pour être dévoré. Voilà le témoignage que Mrs. Venable ne peut tolérer, exigeant que le docteur pratique sur Catherine une lobotomie qui la réduira au silence. Mais le docteur s'interroge. La force de cette pièce tient à sa tension et à sa densité. Mais aussi à sa construction : les deux scènes extrêmes opposent les monologues lyriques contrastes de Mrs. Venable et de Catherine)....
"The Night of the Iguana" (La Nuit de l'Iguane, 1961)
Ultime grand succès de Tennessee Williams, inspiré d'un voyage personnel à Acapulco, dans un hôtel, La Costa Verde, lors de l'été 1940, dans lequel il s'était réfugié après sa rupture avec son ami Kip Kiernan, et qu'adapta au cinéma John Huston, en 1964, avec Ava Gardner (Maxine Faulk), Richard Burton ( le Révérend Dr. T. Lawrence Shannon), Deborah Kerr (Hannah Jelkes), Sue Lyon (Charlotte Goodall), Grayson Hall (Judith Fellowes)..
Le Révérend Dr. T. Lawrence Shannon est devenu guide après avoir tenté d'oublier son passé, sa relation avec une très jeune femme, et prend un groupe d'enseignantes de l'école baptiste, en bus, à Puerto Vallarta au Mexique. Miss Judith Fellowes (Grayson Hall) est à la tête du groupe, mais sa nièce âgée de 17 ans, Charlotte Goodall, tente de séduire Shannon : pour échapper à cet appel de la chair qui ne cesse de le hanter, Shannon échoue le groupe au Costa Verde Hotel, à Mismoloya, un hôtel tenu pour la veuve de son vieil ami Fred, Maxine Faulk. Un dernier visage vient compléter toutes ces portraits de femmes tentatrices, Hannah Jelkes, belle et chaste artiste de Nantucket, esquisse d'une libération...
La pièce de théâtre se situe dans la période qui précède de peu l'entrée des États-Unis dans la Seconde Guerre mondiale : Maxine, veuve depuis moins d'un mois et d'une sensualité exacerbée, exploite un petit hôtel, perché au-dessus du Pacifique, près du village mexicain de Puerto Barrio, où logent des nazis qui applaudissent au bombardement de Londres. Survient Larry, un pasteur défroqué réduit à être le guide touristique pour Blake Tours d'un groupe de Texanes à travers le Mexique et, parmi elles, Mlle Fellowes, qui veille sur le groupe et s'alarme de l'attention que Shannon porte à la jeune Charlotte, dix-sept ans. Viennent compléter la société, la lumineuse Hannah Jelkes, native de la Nouvelle-Angleterre, et son poète-grand-père et invalide, Jonathan Coffin, dont elle s'occupe, tous deux sans réelles perspectives et aussi dépourvus de tout avenir réel que Larry et Maxine : l'affrontement Maxine-Hannah autour du mâle Larry est au centre de l'intrigue. Pendant ce temps, un jeune autochtone livre un iguane qu'on attache et qu'on laisse engraisser sous la véranda ...