The World Of Science Fiction - Ray Bradbury (1920-2012), "The Martian Chronicles" (1950), "Fahrenheit 451" (1953) - Jack Arnold (1916-1992), "It Came from Outer Space" - Don Siegel, "Invasion of the Body Snatchers" (1956) - Theodore Sturgeon (1918-1985), "The Dreaming Jewels" (1950) - Robert Wise, "The Day the Earth Stood Still" (1951) - Alfred Bester (1913-1987) , "The Demolished Man" (1953) - Arthur C. Clarke (1917-2008), "Childhood's End" (1953) - Richard Matheson (1926-2013),"I Am Legend" (1954) - Charles Harness (1915-2005), "The Paradox Men" (1955) - John Wyndham (1903-1969), "The Day of the Triffids” (1951) - Fred M. Wilcox, "Forbidden Planet" (1956) - ....

Last update: 12/12/2020 


La science-fiction anglophone a dominé les années 1950 et 1960 et, au cours des années 1950, la science-fiction américaine a considérablement enrichie son coeur technophile de considérations sociales, culturelles, anthropologiques, paradoxalement sous l'effet d'une paranoïa généralisée induite par la Guerre froide et la crainte d'un holocauste nucléaire.  Au cinéma, la Science-Fiction des années 1950 jouera principalement sur la peur de l'inconnu et l'horreur, des films bon marché et stéréotypés : "The Thing" (1951), "The Day the earth stood still" (1951), "The War of the Worlds" (1953, Byron Haskin, le chef d'oeuvre de HG Wells), "Invaders from Mars" (1953, William Cameron Menzies), "It Came from Outer Space" (1953, Jack Arnold), "The Beast from 20,000 Fathoms" (1953, Eugene Lourie), "Donovan's Brain" (1953, Felix E. Feist), "The Creature from the black Lagoon" (1954, Jack Arnold), "Godzilla" (1954, Ishirô Honda), "Them" (1954, Gordon Douglas), "Tarantula" (1955, Jack Arnold), "It Came from the Sea" (1955, Robert Gordon), "Revenge of the Creature" (1955, Jack Arnold), "Invasion of the Body Snatchers" (1956, Don Siegel, adaptation d'un roman de Jack Finney), "The Creature walks among us" (1956, John Shewood), "The incredible Shrinking Man" (1957, adaptation par Jack Arnold d'un roman de Richard Matheson), "Forbidden Planet" (1956, Fred M. Wilcox), "The Fly" (1958, Kurt Neuman), "The Blob" (1958, Irvin S. Yeaworth Jr), "The Alligator People" (1959, Roy Del Ruth), mais aussi "Stranger from Venus" (Burt Balaban, 1954), "Invasion of the saucer men" ( Edward L. Cahn, 1957), "Day The World Ended" (Roger Corman, 1955), "The She-Creature" (Edward L. Cahn, 1956), "First Man into Space Robert Day" (1959), "The Monolith Monsters" (John Sherwood, 1957), "The Land Unknown" (Virgil W. Vogel, 1957), ...


Jack Arnold (1916-1992) fut l’un des plus grands spécialistes du film de science-fiction lors de son premier âge d’or dans les années 1950, sous l'égide du producteur William Alland, en un excellent Météore de la nuit (It Came from Outer Space) en 1953, L’Etrange créature du lac noir (Creature from the Black Lagoon) en 1954 ainsi que Tarantula en 1955. En 1957 il signera son chef-d’œuvre, L’Homme qui rétrécit (The Incredible Shrinking Man) qui, contrairement aux précédents films et malgré les progrès techniques réalisés depuis, n’a quasiment pas pris une ride...


Ray Bradbury, "The Martian Chronicles" (1950)

"Les hommes de la Terre vinrent sur Mars. Ils venaient parce qu'ils avaient peur ou ignoraient la peur, parce qu'ils étaient heureux ou malheureux, parce qu'ils se sentaient ou ne se sentaient pas des âmes de Pèlerins. Chacun avait ses raisons. Ils quittaient des femmes, des occupations ou des villes odieuses; ils venaient pour découvrir, fuir ou obtenir quelque chose, ils venaient pour déterrer, enterrer ou abandonner quelque chose. Ils venaient avec des rêves étriqués ou grandioses, ou pas de rêves du tout...." - Ray Bradbury (1920-2012) ne s'est jamais considéré comme un auteur de science-fiction, si ce n'est avec "Fahrenheit 451", son style poétique et son extrême imagination le portant plus vers la fantaisie, l'horreur, le mystère, voire les angoisses et peurs de son enfance. Il voit en 1941 publier dans Super Science Stories sa nouvelle "Pendulum" (écrite avec Henry Hasse). Des histoires mêlant  éléments de fantaisie et d'horreur paraissent dans Weird Tales et sont rassemblées dans son premier livre de nouvelles, "Dark Carnival" (1947). Au milieu des années 1940, les histoires de Bradbury paraissent tant dans de grands magazines (The American Mercury, Harper's et McCall's) que dans des magazines à sensation (Planet Stories, Thrilling Wonder Stories). 

Les "Chroniques martiennes" (1950), une série de nouvelles, dépeignent la colonisation de Mars par la Terre, qui conduit à l'extinction d'une civilisation martienne idyllique. Le plus surprenant est qu'au détour d'une description de la vie sur Mars, l'auteur évoque avec nostalgie le Middle West de son enfance... 

Février 2030, les Terriens de la première expéditions furent tués par un Martien jaloux des rêves télépathiques et prémonitoires de sa femme, Ylla...

"Février 2030 - Ylla - Ils habitaient une maison toute en colonnes de cristal sur la planète Mars, au bord d'une mer vide, et chaque matin on pouvait voir Mrs. K déguster les fruits d'or qui poussaient sur les murs de cristal, ou nettoyer la maison avec des poignées de poudre magnétique qui, après avoir attiré toute la saleté, s'envolait dans le vent brûlant.

L'après-midi, quand la mer fossile était chaude et inerte, les arbres à vin immobiles dans la cour, la petite ville martienne, là-bas, tel un osselet, refermée sur elle-même, personne ne s'aventurant dehors, on pouvait voir Mr. K dans sa pièce personnelle, en train de lire un livre de métal aux hiéroglyphes en relief qu'il effleurait de la main, comme on joue de la harpe. Et du livre, sous la caresse de ses doigts, s'élevait une voix chantante, une douce voix ancienne qui racontait des histoires du temps où la mer n'était que vapeur rouge sur son rivage et où les ancêtres avaient jeté des nuées d'insectes métalliques et d'araignées électriques dans la bataille.

Il y avait vingt ans que Mr. et Mrs. K vivaient au bord de la mer morte, dans la même maison qui avait vu vivre leurs ancêtres depuis dix siècles qu'elle tournait sur elle-même, accompagnant le soleil dans sa course, à la façon d'une fleur.

Mr. et Mrs. K n'étaient pas vieux. Ils avaient la peau cuivrée, les yeux pareils à des pièces d'or, la voix délicatement musicale des vrais Martiens. Jadis, ils aimaient peindre des tableaux au feu chimique, se baigner dans les canaux aux saisons où les arbres à vin les gorgeaient de liqueurs vertes, et bavarder jusqu'à l'aube près des portraits aux phosphorescences bleues dans le conversoir.

Mais ils n'étaient plus heureux.

Ce matin-là, debout entre les colonnes, Mrs. K écoutait les sables du désert se réchauffer, se liquéfier en une cire jaune qui avait l'air de fuir à l'horizon.

Il allait se passer quelque chose.

Elle attendit.

Elle surveillait le ciel bleu de Mars comme si, d'une seconde à l'autre, il pouvait se ramasser sur lui-même, se contracter, pour expulser quelque étincelant miracle sur le sable. 

Rien ne se passa.

Fatiguée d'attendre, elle déambula entre les colonne embuées. Une pluie fine jaillissait du sommet des fûts cannelés, rafraîchissant l'air brûlant, et retombait en douceur sur elle. Les jours de canicule, c'était comme marcher dans un ruisseau. Des filets d eau fraiche faisaient miroiter les sols. Elle entendait au loin son mari qui jouait imperturbablement de son livre; ses doigts ne se lassaient jamais des anciens chants. En secret, elle souhaita que revienne un jour où il passerait autant de temps à l'étreindre et à la caresser comme une petite harpe qu'il en consacrait à ses invraisemblables livres. Mais non. Elle secoua la tête avec, à peine perceptible, un haussement d'épaules indulgent. Ses paupières se refermèrent doucement sur ses yeux dorés. Le mariage transformait les gens en vieillards routiniers avant l'âge. Elle se laissa aller dans un fauteuil qui accompagna son mouvement pour épouser la forme de son corps. Elle ferma les yeux avec force, en proie à une sourde inquiétude.

Le rêve survint.

Ses doigts bruns frémirent, se soulevèrent, agrippèrent le vide. Un instant plus tard, elle se redressait, désorientée, haletante. Elle jeta un rapide coup d'œil autour d'elle, comme si elle s'attendait à se trouver face à face avec quelqu'un. Elle parut déçue; l'espace entre les piliers était vide. Son mari s'encadra dans une porte triangulaire. "Tu as appelé? demanda-t-il avec irritation.

- Non! clama-t-elle.

- Il me semblait t' avoir entendue crier.

- Ah bon? J'étais à moitié endormie et j'ai fait un rêve.

- En plein jour? Ce n'est pas dans tes habitudes.

Elle restait là, comme si son rêve l'avait frappée en plein visage. « Etrange, vraiment étrange, murmura-t-elle.

Ce rêve.

- Ah oui? Il n'avait manifestement qu'une envie : aller retrouver son livre.

- J'ai rêvé d'un homme.

- Un homme ?

- Grand. Un bon mètre quatre-vingt-cinq.

- Ridicule. Un géant, un géant difforme.

- D'une certaine façon... Elle cherchait ses mots. - Il avait l'air normal. Malgré sa taille. Et il avait... oh, je sais que tu vas trouver ça idiot. .. il avait les yeux bleus!..."

(traduction Editions Denoël)

Les Terriens de la seconde expéditions sont traités comme des fous ("Les Hommes de la Terre", août 2030), "nous sommes quatre, équipage et capitaine, nous sommes exténués.." et se retrouvent dans un asile de fous. Dans "la Troisième expédition, avril 2031", dix-sept hommes dont un capitaine, qui se retrouvent propulsés, sous l'effet hypnotiques des Martiens, dans un décor du Middle West de 1926. Juin 2032, la Quatrième expédition débarque sur une planète décimée par une maladie bien terrestre, la varicelle. Et, au fil des contes suivants,  les pionniers s'installent, apportent avec eux toute la vulgarité de l'Amérique et les stigmates de la société industrielle ("Les Sauterelles", "Intérim")...

"Les fusées mettaient le feu aux plaines décharnées, transformaient la roche en lave, le bois en charbon, convertissaient l'eau en vapeur, vitrifiaient le sable et la silice en plaques qui, partout, tels les éclats d'un miroir brisé, reflétaient l'invasion. Les fusées arrivaient comme autant de tambours qui labouraient la nuit de leurs roulements. Comme des sauterelles, par nuages entiers qui se posaient dans une floraison de fumée rosâtre. Et des fusées s'élançaient des hommes armés de marteaux pour reforger ce monde étrange, lui donner un aspect familier, en écraser toute l'étrangeté; la bouche frangée de clous, pareils à des carnivores aux dents d'acier, ils les crachaient dans leurs mains lestes à mesure qu'ils dressaient de petites maisons en bois, galopaient sur les toits avec des bardeaux destinés à masquer toutes ces étoiles peu rassurantes, installaient des stores verts aux fenêtres pour que la nuit reste invisible. Et quand les charpentiers avaient décampé, les femmes s'amenaient avec leurs pots de fleurs, leur tissu imprimé, leurs casseroles, et le bruit de vaisselle qui s'ensuivait couvrait le silence de Mars à l'affût derrière les portes et les fenêtres aux stores tirés. En six mois, une douzaine de petites villes furent fondées sur la planète dénudée, remplies de tubes au néon grésillant et d'ampoules électriques jaunes. Au total, quelque quatre-vingt-dix mille personnes avaient débarqué sur Mars, et d'autres, sur la Terre faisaient leurs bagages...."

Mais, face à l'imminence d'une guerre nucléaire, de nombreux colons reviennent sur Terre, seuls demeurent des excentriques fous de solitude ("Les Villes Muettes"). Après la destruction de la Terre, quelques humains survivants retournent sur Mars pour devenir les nouveaux martiens : "J'au toujours vouloir voir un Martien dit un enfant à son père, sur Mars, "les voilà", lui répond-il en pointant le doigt vers leurs images que reflètent l'eau d'un canal : "les Martiens leur retournèrent leurs regards durant un long, long moment de silence dans les rides de l'eau..."

Une science-fiction qui semble ainsi pouvoir subsister à l'écart de toute référence scientifique avec pour seule moteur sa valeur littéraire et humaine, et la terrible image qu'elle nous renvoie, nous les pseudos-conquérants terriens ...

 

Bradbury diversifie son activité littéraire mais produit encore dans les années 1950 quelques textes qui relèvent du genre. Le recueil de dix-huit nouvelles, "The Illustrated Man" (1951), comprend l'une de ses histoires les plus célèbres, "Le Veldt" (La Brousse), dans laquelle une famille, la famille Hadley vit dans une maison entièrement automatisée ("The Happylife Home"), produisant tout ce qu'ils désirent, en contraste avec une brousse africaine qui les environne de sa vie sauvage, avec ses lions dévorant des carcasses d'animaux... Autre recueil de nouvelles, "The Golden Apples of the Sun" (1953, Les pommes d'or du soleil), contenant entre autres “The Fog Horn”, qui raconte la rencontre terrifiante de deux gardiens de phare avec un monstre marin, et "A Sound of Thunder", qui raconte un safari de retour au Mésozoïque pour chasser un tyrannosaure....

 

"Fahrenheit 451" (1953), considéré comme son œuvre la plus importante, se veut une défense et illustration de l'importance de la littérature dans un monde qui semble graduellement l'oublier. L'histoire se déroule dans une ville non spécifiée, dans un futur lointain, dans une société où les livres sont interdits, où les gens ne pensent pas de manière indépendante, n'ont pas de conversations significatives, et passent leur temps à regarder des écrans de télévision couvrant des murs entiers ou écoutant des radios fixés à leurs oreilles. Guy Montag est un pompier qui brûle des livres et les maisons qui les abritent, car ici les pompiers déclenchent des incendies au lieu de les éteindre. Un jour, après avoir quitté son travail, il rencontre une jeune fille de dix-sept ans, Clarisse McClellan, qui lui ouvre les yeux sur le vide de son existence avec ses questions innocentes et sa bienveillance inhabituelle à l'égard des gens et de la nature. 

Au cours des jours suivants, Montag vit une série d'événements particulièrement déstabilisateurs, sa femme, Mildred, tente de se suicider en avalant un flacon de somnifères, une vieille,  qui  a une réserve de littérature cachée, décide de se faire brûler vive avec ses livres, et  Clarisse est tuée par une voiture en excès de vitesse. Montag sent monter en lui mille questions, et commence à chercher des solutions en lisant des livres qu'il a volé et caché. Son chef, Beatty, s'inquiète de son absence, se rend chez lui, et le dialogue qui s'installe entre eux permet de rappeler le contexte dans lequel cette chasse aux livres a été instaurée : au fond, tout simplement, la société dans son ensemble a décidé de brûler les livres plutôt que d'être submergée par des opinions contradictoires. Montag décide de s'adonner définitivement à la lecture et trouve de l'aide auprès d'un professeur à la retraite, Faber, qui lui ouvre la perspective non seulement de découvrir une autre réalité, mais de pouvoir acquérir une nouvelle liberté de penser.  Mais Montag ne trouve aucun appui tant auprès de sa femme que de ses amis, une querelle surgit autour d'un livre de poésies, "Dover Beach" de Matthew Arnold, et dès lors la situation dérape : Beatty oblige Montag à brûler sa propre maison, mais celui-ci retourne le lance-flammes contre son supérieur et le réduit en cendres, et parvient à s'enfuir et à rejoindre un groupe d'intellectuels renégats ("le peuple du livre"), tandis que la guerre éclate et anéantit la ville...

"... Beatty se tenait debout au bord du puits, le dos tourné, attendant sans attendre. "Tiens, dit-il aux hommes en train de jouer aux cartes, voilà que nous arrive un drôle d'animal; dans toutes les langues, on appelle ça un idiot." Il tendit la main de côté, la paume en l'air,

comme pour recevoir un cadeau. Montag y déposa le livre. Sans même jeter un coup d'œil au titre, Beatty le lança dans la poubelle et alluma une cigarette. "Qui veut faire l'ange fait la bête. "Bienvenue au bercail, Montag. J 'espère que vous allez rester avec nous maintenant que votre fièvre est tombée et que vous n'êtes plus malade. Vous faites une petite partie de poker."

Ils s'installèrent et on distribua les cartes. Sous le regard de Beatty, Montag eut l'impression que ses mains criaient leur culpabilité. Ses doigts étaient pareils à des furets qui, ayant commis quelque méfait, n'arrivaient plus à tenir en place, ne cessaient de s'agiter, de fouiller et de se cacher dans ses poches, fuyant les flambées d'alcool qui jaillissaient des yeux de Beatty. Un simple souffle de celui-ci, et les mains de Montag allaient, lui semblait-il, se recroqueviller, s'abattre sur le flanc, privées de vie à tout jamais; elles resteraient enfouies dans ses manches tout le reste de son existence, oubliées. Car c'étaient ces mains qui avaient agi toutes seules, sans qu'il y ait pris part, c'était là qu'une conscience nouvelle s'était manifestée pour leur faire chiper des livres, se sauver avec Job, Ruth et Willie Shakespeare, et à présent, dans la caserne, ces mains lui paraissaient gantées de sang. Deux fois en une demi-heure, Montag dut abandonner la partie pour aller se laver les mains aux lavabos. Et quand il revenait, il les cachait sous la table.

Rire de Beatty. "Laissez vos mains en vue, Montag. Ce n'est pas qu'on se méfie de vous, comprenez bien, mais...» 

Et tout le monde de s'esclaffer.

«Enfin, dit Beatty, la crise est passée et tout est bien, la brebis est de retour au bercail. Nous sommes tous des brebis à qui il est arrivé de s'égarer. La vérité est la vérité, en fin de compte, avons-nous crié. Ceux qu'accompagnent de nobles pensées ne sont jamais seuls, avons-nous clamé à nos propres oreilles. “Suave nourriture d'un savoir suavement énoncé”, a dit Sir Philip Sidney. Mais d'un autre côté: “Les mots sont pareils aux feuilles: quand ils abondent, L'esprit a peu de fruits à cueillir à la ronde." Alexander Pope. Que pensez-vous de cela ?

- Je ne sais pas.

- Attention, murmura Faber depuis un autre monde, au loin.

- Ou de ceci? “Une goutte de science est chose dangereuse. Bois à grands traits ou fuis l'eau des

Muses charmeuses. À y tremper la lèvre on est certain d'être ivre, Et c'est d'en boire à satiété qui te délivre.” Pope. Même Essai. Ça donne quoi dans votre cas ?"

Montag se mordit la lèvre.

«Je vais vous le dire, poursuivit Beatty en adressant un sourire à ses cartes. Ça vous a transformé momentanément en ivrogne. Lisez quelques lignes et c'est la chute dans le vide. Boum, vous êtes prêt à faire sauter le monde, à trancher des têtes, à déquiller femmes et enfants, à détruire l'autorité. Je sais, je suis passé par là.

- Je me sens très bien, dit nerveusement Montag.

- Ne rougissez pas. Je ne vous cherche pas noise, je vous assure. Figurez-vous que j'ai fait un rêve, il y a une heure. Je m'étais allongé pour faire un somme et dans ce rêve, vous et moi, Montag, nous avions une violente discussion sur les livres. Vous étiez fou de rage, me bombardiez de citations. Je parais calmement tous les coups. La force, disais-je. Et vous, citant Johnson: “Science fait plus que violence !” Et je répondais: “Eh bien, mon cher, Johnson a dit aussi: Aucun homme sensé ne lâchera une certitude pour une incertitude." Restez pompier, Montag. Tout le reste n'est que désolation et chaos !

- Ne l'écoutez pas, murmura Faber. Il essaie de vous brouiller les idées. Il est retors. Méfiez-vous !»

Petit rire de Beatty. «Et vous de citer: “La vérité éclatera au grand jour, le crime ne restera pas longtemps caché!” Et moi de m'écrier jovialement: “Oh, Dieu, il prêche pour sa propre cause !” Et: “Le diable peut citer les Écritures à son profit.” Et vous de brailler: “Nous faisons plus de cas d'une vaine brillance Que d'un saint en haillons tout pétri de sapience.” Et moi de murmurer en toute tranquillité: “La dignité de la vérité se perd dans l'excès de ses protestations” Et vous de hurler: “Les cadavres saignent à la vue de l'assassin !” Et moi, en vous tapotant la main: “Eh quoi, vous ferais-je à ce point grincer des dents ?” Et vous de glapir: “Savoir, c'est pouvoir !” et: “Un nain perché sur les épaules d'un géant voit plus loin que lui !” Et moi de résumer mon point de vue avec une rare sérénité en vous renvoyant à Paul Valéry: “La sottise qui consiste à prendre une métaphore pour une preuve, un torrent verbeux pour une source de vérités capitales, et soi-même pour un oracle, est innée en chacun de nous." »

Montag avait la tête qui tournait à lui en donner la nausée. C'était comme une averse de coups qui s'abattait sans pitié sur son front, ses yeux, son nez, ses lèvres, son menton, ses épaules, ses bras qui battaient l'air. Il avait envie de crier: «Nonl Taisez-vous, vous brouillez tout, arrêtez ! » Les doigts fins de Beatty vinrent brusquement lui saisir le poignet.

«Mon Dieu, quel pouls! J'ai emballé votre moteur, hein, Montag ? Bon sang, votre pouls ressemble à un lendemain de guerre. Rien que des sirènes et des cloches! Vous en voulez encore ? J 'aime bien votre air affolé. Littératures souahélie, indienne, anglaise, je les parles toutes. Une sorte de discours muet par excellence, mon petit Guy!

- Tenez bon, Montag! » Le papillon de nuit revenait lui effleurer l'oreille. «Il cherche à troubler l'eau!

- Oh, la frousse que vous aviez! continua Beatty. Car je vous jouais un tour affreux en me servant des livres mêmes auxquels vous vous raccrochiez pour vous contrer sur tous les points! On croit qu'ils vous soutiennent, et ils se retournent contre vous...." (Editions Denoël pour la traduction)

Une adaptation cinématographique, tournée comme un documentaire par François Truffaut en 1966, avec Oskar Werner, Julie Christie, Cyril Cusack, deviendra un classique du genre. 

En 1954, Bradbury a passé six mois en Irlande avec le réalisateur John Huston pour travailler sur le scénario du film Moby Dick (1956), une réussite. L'une des œuvres les plus personnelles de Bradbury, "Dandelion Wine" (1957), est un roman autobiographique sur un été magique mais trop bref d'un garçon de 12 ans à Green Town, Illinois (une version fictive de sa maison d'enfance de Waukegan). Son recueil suivant, "A Medicine for Melancholy" (1959), contient "All Summer in a Day", une histoire poignante de cruauté infantile sur Vénus, où le soleil ne sort que tous les sept ans. Mais Bradbury, devenu l'auteur de base de nombre de magazine à velléités culturelles, n'évoluera plus quatre décennies plus tard...

 


"It Came from Outer Space", Jack Arnold (1953)

Réalisé par Jack Arnold et co-écrit avec Ray Bradbury, "Le météore de la nuit" conte l'histoire d'un vaisseau spatial extraterrestre qui s'écrase dans le désert de l'Arizona . En débarque un extraterrestre qui semble amical, mais qui exerce bientôt un étrange pouvoir sur les humains avec lesquels il entre en contact. Précédant "Invasion of the Body Snatchers" de trois ans, Richard Carlson joue le rôle de John Puttnam, un astronome qui, avec sa petite amie Ellen Fields (Barbara Rush), institutrice, George (Russell Johnson) et sa petite amie June (Kathleen Hughes), vont tenter de mettre fin à l'invasion...


"Invasion of the Body Snatchers", Don Siegel (1956)

Souvent associé au maccarthysme de l'époque, "l'invasion des profanateurs de sépultures" est un  grand classique de du cinéma de science-fiction des années 1950, réalisé par Don Siegel et inspiré du roman de 1955 de Jack Finney : des plantes exotiques se mettent à reproduire les habitants d'une petite ville pour leur substituer des doubles, des êtres dépourvus "d'amour, de désir, d'ambition ou de foi", déterminés à dominer le monde. Tout commence lorsque, dans la banlieue californienne de Santa Mira, lorsqu'un psychiatre, le Dr Hill, est appelé aux urgences pour examiner le Dr Miles Bennell qui prétend que nombre de ses patients souffrent d'un délire au cours duquel ils sont persuadés que  leurs proches ont été remplacés par des imposteurs d'apparence identique. Revenu chez lui, Miles (Kevin McCarthy) rencontre son ancienne petite amie, Becky Driscoll (Dana Wynter ), dont la cousine Wilma, exprime la même crainte à propos de son oncle Ira, avec qui elle vit. Les voici qui, au cours des nuits suivantes, découvrent des doubles d'êtres humains émergeant de cosses de graines géantes...


Theodore Sturgeon, "The Dreaming Jewels" (1950)

Edward Hamilton Waldo vend sous le pseudonyme de Theodore Sturgeon (1918-1985) sa première nouvelle en 1937, c'est un auteur de nouvelles formé à l'école des magazines et sa production entre 1946 et 1958 sera particulièrement conséquente. C'est aussi un auteur qui plonge dans son enfance, une enfance difficile, la solitude, l'isolement dont on ne se libère que par l'intervention de pouvoirs anormaux. Son œuvre la plus connue, avec "The Dreaming Jewels", "More than Human" (1953, Plus qu'Humains), traite d'enfants marginaux qui parviennent à former des entités dotées de pouvoirs extrasensoriels. "The Dreaming Jewels" (1950, Cristal qui songe), paru initialement en 1950 dans le magazine américain Fantastic Adventures, met en scène un enfant, Horton Bluett, en rupture, face à ses problèmes de croissance et de communication, qui se réfugie dans un cirque peuplé de phénomènes de foire, et qui a pour interlocuteur un peuple de cristaux vivants... . Moins convaincants, "The Cosmic Rape" (1958) qui voit Dan Gurlick, un alcoolique qui, sans le savoir, ingère une spore d'une ruche extraterrestre, Méduse, qui absorbe toute forme de vie. "Vénus plus X" (1960), déploiera une utopie réalisée par l'élimination de toutes les différences sexuelles....  

"L'idiot habitait un univers noir et gris que ponctuaient l`éclair blanc de la faim et le coup de fouet de la peur. Ses vieux habits en lambeaux laissaient voir ses tibias en lame de burin et, sous sa veste déchirée, ses côtes qui saillaient comme des doigts. L'idiot était de haute taille, mais plat comme une limande ; dans son visage mort, ses yeux étaient calmes. Les hommes le fuyaient, les femmes l'ignoraient, les enfants s'arrêtaient pour le regarder. Mais ça ne paraissait pas l'atteindre. L`idiot n'attendait rien de personne. Quand l'éclair blanc frappait, il mangeait, comme il pouvait, s`il pouvait. Et il lui arrivait de sauter un repas. Mais, en général, les uns ou les autres pourvoyaient à sa subsistance. Pourquoi? ll n'en savait rien et ne se posait jamais la question. Simplement, il était là et il attendait. Non, il ne mendiait pas. Si le regard de quelqu'un croisait le sien, une pièce lui tombait dans la main, ou un morceau de pain, ou un fruit. ll mangeait. Et son bienfaiteur fuyait en hâte, ému sans comprendre. Parfois, et avec nervosité, on lui parlait ou on parlait de lui. L'idiot entendait, mais les sons n'avaient pour lui aucun sens. Il vivait quelque part, "à l'intérieur". En lui, le lien ténu qui unit la conscience et l'univers était rompu. Non que l`idiot ait mauvaise vue : il savait distinguer entre sourire et rictus, mais la sympathie, tout comme l'ironie d'autrui, laissait froide cette créature qui jamais ne formait de sourire ni de rictus et qui donc ne pouvait comprendre les sentiments de

son prochain, qu'il se montre enjoué ou furieux.

Il connaissait la peur, juste assez pour survivre. Mais il était incapable de prévoir. Le bâton qui se levait, la pierre qui fendait l`air le trouvaient sans méfiance. Toutefois, dès qu`il était atteint, il réagissait : il prenait la fuite. Il filait dès le premier coup et ne s'arrêtait qu`une fois hors d'atteinte. C'est ainsi qu'il échappait aux orages, aux hommes, aux chiens, aux voitures, à la faim. Il n'avait pas de goûts personnels. Le hasard l'avait placé dans une région sauvage où les lieux habités étaient rares, de sorte qu'il ne quittait guère la forêt. A quatre reprises, on l'avait mis en prison. Ça l'avait laissé indifférent ; à sa sortie, il était pareil à lui-même. Une fois, un détenu l'avait battu; une autre fois, et c'était pire, un gardien. Les deux autres fois, il avait eu faim. Tant qu'on le nourrissait et qu'on le laissait tranquille, il restait. Quand venait l'heure de la fuite, il filait, confiant à son enveloppe extérieure le soin de sa liberté; ce qu'elle contenait s'en moquait ou ne pouvait s'en charger. Alors l'idiot se retrouvait face à un gardien ou au directeur : ses iris semblaient sur le point de se mettre à tourner comme des roues. Les portes de la prison s'ouvraient, l'idiot partait et son bienfaiteur courait faire autre chose, n'importe quoi, pour oublier le trouble qui s'emparait de lui.

L'idiot était un animal, purement et simplement. Parmi les hommes, il est dégradant de figurer au rang des bêtes. Mais l'idiot vivait rarement parmi les hommes. Et, dans les forêts, son état d'animal lui donnait de la grandeur. Il tuait comme une bête, sans joie ni haine. Comme une bête, encore, il mangeait, ce qu`il pouvait, ce qu'il lui fallait, jamais davantage. Il dormait d'un bon sommeil léger d'animal, à l'opposé de celui de l'homme ; car un homme qui s'endort s'apprête à s'échapper dans le sommeil, alors qu'une bête s'apprête à s'échapper du sommeil. ll avait atteint une maturité animale qui ne lui permettait plus les jeux de chatons ou de chiots; du coup, la joie et l'humour lui étaient interdits. Son spectre s'étendait de la satisfaction à la terreur.

Il avait vingt-cinq ans.

Comme le noyau dans le fruit, comme le jaune dans l'œuf, il transportait une chose, passive et réceptive, mais vivante, en éveil ; si elle possédait des liens avec le tégument animal, elle les ignorait. Elle tirait sa substance de l'idiot, mais n'avait par ailleurs aucune conscience de lui. Il connaissait la faim, moins la famine. Quand cette dernière le tenaillait, la chose en lui diminuait, rétrécissait, quoique sans le remarquer. Le jour où l'idiot mourrait, elle mourrait avec lui, faute de motivation à retarder cet événement ne serait-ce que d'une seconde. Elle était dépourvue de fonction spécifique. Une rate, un rein, une glande surrénale possède une fonction définie et un niveau optimum pour l`accomplir. Elle se contentait de recevoir et d'enregistrer, sans mots ni code, sans traduction, sans distorsion, sans conduits vers l'extérieur. Elle prenait tout et ne donnait rien. Le monde extérieur comportait, pour les sens spécialisés de l'idiot, un murmure, des messages. Ce qu'il portait en lui s'imprégnait de cette rumeur, l'absorbait peu à peu, sans rien omettre, prenait ce qui lui était nécessaire et rejetait le reste, par un processus intangible. 

L'idiot n'était pas au courant. La chose... Sans mots : "Chaud quand le mouillé vient un peu, mais pas assez ni assez longtemps". (Tristement) : "Jamais plus l'obscurité". Un sentiment de plaisir. Un sentiment d`écrasement subtil et "Enlève le rose, ce qui chatouille". "Attends, attends, tu peux retourner, oui, tu peux. Différent, mais presque aussi bon". (Sommeil) : "Oui, c'est ça ! C 'est le... oh!" (Inquiétude) : "Trop loin, reviens, reviens, re..." (Une torsion, un arrêt soudain ; et une voix de moins) :  "Tout file, de plus en plus vite, et m 'emporte" (Réponse) : "Non, non. Rien ne file. C 'est immobile. Ça t'attire vers le bas dans sa direction". (Fureur) : "Ils ne nous entendent pas, les imbéciles... Mais si... Mais non. Des pleurs, des bruits, voilà tout."

Il n'y avait pas de mots, toutefois. Impressions, dépressions, dialogue. Les radiations de la terreur, les tensions de la conscience, le mécontentement. Et le murmure, la rumeur transmettant le message de centaines, de milliers de voix. Mais aucune ne s`adressait à l'idiot. ll n'y avait rien qui le concerne ; rien qu`il puisse utiliser. ll n'avait aucune conscience de son oreille intérieure, car elle ne lui servait pas. C'était un triste spécimen d'homme, mais un homme quand même. Et ces voix étaient celles des enfants, les très jeunes enfants qui n'avaient pas encore appris à cesser de vagir pour se faire entendre. "Des pleurs, des bruits, voilà tout".

M. Kew était un bon père. Le meilleur des pères.

C'est ce qu`il essayait de faire comprendre à Alicia, dix-neuf ans, depuis l'âge de quatre ans et la naissance de sa petite sœur Evelyne, lorsque leur mère était morte en maudissant le meilleur des pères, dans un sursaut d'indignation qui avait balayé sa douleur et son angoisse. Seul un bon père, il est vrai, avait pu, de ses propres mains, mettre au monde sa seconde fille.

Un père ordinaire n'aurait pas pu nourrir et élever ces deux enfants avec tant de soin et de tendresse. Alicia fut protégée du mal comme aucun enfant ne l'avait jamais été. Puis un jour elle fit alliance avec son père, et ce fut au tour d'Evelyne de vivre dans une pureté inexpugnable. «L'essence même de la pureté, dit M. Kew à Alicia lors de son dix-neuvième anniversaire. Le bien, je l'ai découvert par l'étude du mal. Et je ne t'ai montré que le bien. La pureté est devenue ta nature profonde. Et ta façon de vivre est l'étoile qui guide la vie de ta sœur Evelyne. Je connais le mal. Toi, tu le connais assez pour le fuir. Evelyne, elle, ignore le mal. ››

Alicia, à dix-neuf ans, avait assez de maturité pour comprendre des abstractions comme la façon de vivre, l'essence même de la pureté, le bien et le mal. Lors de son seizième anniversaire, Alicia s'était entendu expliquer par son père que l'homme, laissé seul en présence d'une femme, devenait fou ; une sueur empoisonnée lui couvrait le corps; et cette sueur contaminait la femme dont la peau, bientôt, laissait apparaître des symptômes répugnants. Ces symptômes, M. Kew les avait montrés à Alicia, dans certains livres illustrés qu'il possédait. A l'âge de treize ans, Alicia, malade, avait mis son père au courant. Les larmes aux yeux, M. Kew lui avait expliqué que cette maladie venait des pensées que lui avait inspirées son corps. Alicia avait avoué que c'était vrai ; et son père avait châtié ce corps si violemment que la fillette avait regretté de ne pas être un pur esprit. Elle s`était efforcée de ne plus penser à son enveloppe charnelle, sans résultat..."

 


"The Day the Earth Stood Still" (1951), de Robert Wise,

est considéré comme la première œuvre d'envergure de science-fiction du cinéma américain. C'est dans le climat de psychose du début des années 1950, alimentée par la controverse sur l'autopsie d'un extraterrestre à Roswell, au Nouveau-Mexique, en 1947, un extraterrestre qui aurait trouvé dans le désert, et une Guerre froide qui s'intensifie avec la montée de l'anti-communisme aux Etats-Unis, que Hollywood va produire nombre de films d'invasion d'aliens à partir de Mars notamment, la planète rouge par excellence. Le réalisateur Robert Wise va, à contre-courant, imaginer un alien non belliqueux recherchant le dialogue avant toutes choses, au contraire d'un film de la même année et tirée de la nouvelle de 1938 "Who Goes There ?" de John W. Campbell, Jr., "The Thing from Another World" réalisé par Howard Hawks et Christian Nyby. Ici, une soucoupe volante se pose un jour à Washington, provoquant la panique de la foule, et deux êtres en débarquent, Gort, un robot, et Klaatu (Michael Rennie), un extraterrestre aux apparences de Terrien, qui se retrouve blessé alors qu'il ne tentait que de dialoguer. Conduit à l’hôpital, Klaatu rencontre des responsables politiques avec qui il tente de discuter du danger du surarmement, mais se heurte à un mur d’incompréhension :  il décide de fuir et de transmettre son message au monde entier...


Alfred Bester, "The Demolished Man" (1953)

N'ayant que peu écrit, - trois romans et quelques quatorze nouvelles" -, Alfred Bester (1913-1987) est pourtant reconnu comme un auteur américain de science-fiction particulièrement novateur, doué d'une grand sens de la narration et de l'écriture. Pour gagner sa vie, il commence par rédiger des scénarios pour Comics puis pour des émissions radiophoniques. Il ne se lance dans la science-fiction qu'à partir des années 1950, stimulé par Horace Gold, le rédacteur en chef de Galaxy. Parmi ses nouvelles, on cite le plus souvent "Hell Is Forever", publié en 1942 dans Unknown Worlds, et parmi ses romans, une référence, "The Demolished Man", qui retrace la quête de Lincoln Powell, un télépathe qui tente de retrouver un meurtrier paranoïaque, Ben Reich, un meurtrier qui s'avère en fait être l'incarnation de son obscur subconscient. Trois ans plus tard, en 1956, Bester publie une histoire de revanche particulièrement réussie, "The Stars My Destination" avec en fond de l'intrigue la généralisation de la téléportation qui a bouleversé les équilibres sociaux entre planètes : Gully Foyle, un homme frustre, abandonné dans l'espace après une attaque et ignoré par l'équipage d'un puissant trust industriel, se transforme physiquement et mentalement pour assouvir sa vengeance... 

 


Arthur C.Clarke, "Childhood's End" (1953)

Passionné de mer et d'espace, souvent rapproché d'Isaac Asimov pour leur goût de la vulgarisation scientifique, (et d'un romanesque discutable), Sir Arthur Charles Clarke (Arthur C. Clarke (1917-2008) est célèbre pour le scénario qu'il a écrit avec le réalisateur américain Stanley Kubrick en 1968, "2001 : A Space Odyssey", et plus encore pour avoir rejoint Walter Cronkite sur CBS en tant que commentateur de  l'alunissage d'Apollo 11, en 1969. Clarke, faut-il le rappeler, est sans doute l'un des visionnaires les plus importants de l'ère futuriste.

De 1941 à 1946, Clarke a servi dans la Royal Air Force, écrit en 1945 un article intitulé "Extra-Terrestrial Relays" pour Wireless World, y envisage un système de communication par satellite qui relayerait les signaux de radio et de télévision dans le monde entier. C'est en 1946 qu'il commence à vendre des nouvelles à des magazines de science-fiction aux États-Unis et en Grande-Bretagne. Ses premiers romans s'intéressent à l'exploration de l'espace (Prelude to Space, 1951; The Sands of Mars, 1951; Islands in the Sky, 1952), mais ce sont deux romans de science-fiction qui vont fonder sa notoriété, "Childhood's End" (1953, Les Enfants d'Icare), "The City and the Stars" (La Cité et les astres, 1956).

En 1953, "Childhood's End" traite de la façon dont le premier contact avec les extraterrestres déclenche une transformation évolutive de l'humanité : les Overlords extraterrestres arrivent dans de gigantesques vaisseaux spatiaux et diffuse à l'humanité l'Overmind, une intelligence galactique qui permettra, des décennies plus tard, aux enfants de la Terre de développer des pouvoirs psychiques : les Terriens possèdent seuls cette faculté de pouvoir fusionner, les extraterrestres en étant dépourvus. Mais cette fusion débouche en fait sur la fin de l'humanité.... 

"... De leur point de vue, ce n'avait été, évidemment, qu'une opération de très faible envergure, mais pour la Terre, c'était l'événement le plus gigantesque de tous les temps. Les nefs colossales avaient surgi des profondeurs inconnues de l'espace sans avertissement. D'innombrables romans de fiction avaient décrit ce jour, mais personne n'avait jamais réellement cru que cela arriverait. Et c'était arrivé: les vaisseaux étincelants et silencieux suspendus au-dessus de chaque pays étaient le symbole d'une science que l'Homme ne pouvait espérer égaler avant des siècles. Pendant six jours, ils étaient restés immobiles à l'aplomb des cités de l'Homme et rien n`indiquait qu'ils fussent au courant de son existence. Mais il n'y avait pas besoin de preuves: si ces puissants astronefs flottaient dans les cieux à la verticale de New York, de Londres, de Paris, de Moscou, de Rome, du Cap, de Tokyo, de Canberra, ce ne pouvait pas être le fait du hasard.

Avant même que se fussent écoulés ces six jours pendant lesquels les coeurs avaient cessé de battre, quelques individus avaient deviné la vérité. Ce n'était pas le premier contact exploratoire tenté par une race qui ne savait rien de l'homme. À l'intérieur de ces nefs silencieuses et figées, des psychologues prodigieux étudiaient les réactions de l'humanité. Et quand la tension aurait atteint son point culminant, ils passeraient à l'action.

Le sixième jour, Karellen, Superviseur de la Terre, s'adressa au monde dans une allocution radiodiffusée qui fut retransmise sur toutes les fréquences. L'anglais dans lequel il s'exprimait était si parfait que la controverse que ce discours déclencha allait faire rage d'une rive à l'autre de l'Atlantique pendant une génération. Mais son contenu était encore plus déroutant que sa forme. Il n'avait pu être prononcé que par un génie suprême possédant une maîtrise totale, absolue des affaires humaines. L'érudition et la virtuosité que déployait l'orateur, ses allusions -à mettre l'eau à la bouche- au savoir encore inexploré qu'il laissait entrevoir étaient délibérément destinées à convaincre l'humanité qu'elle était en présence d'une supériorité intellectuelle écrasante. Quand Karellen se tut, il était clair pour les nations de la Terre que les jours de leur précaire souveraineté étaient arrivés à leur terme. Les gouvernements locaux et régionaux conserveraient leurs pouvoirs, mais dans le domaine plus vaste des relations internationales, les hommes avaient cessé d'être leurs propres maîtres. Tous les arguments, toutes les protestations étaient vains.

On ne pouvait guère s'attendre que toutes les nations du globe acceptent docilement pareilles restrictions à leur autorité. Cependant, la résistance active se heurtait à d'immenses difficultés, car en détruisant les nefs des Suzerains - à supposer qu'elles puissent être détruites -, on annihilerait automatiquement les villes au-dessus desquelles elles planaient. Pourtant, une grande puissance avait fait une tentative en ce sens. Peut-être les autorités responsables rêvaient-elles de faire d'une pierre deux coups puisque l'objectif assigné à leur missile atomique était stationné au-dessus de la capitale d'une nation ennemie. 

Quand l'image de l'immense vaisseau s'était formée sur l'écran vidéo du poste de commandement secret, le petit groupe d'officiers et de techniciens qui le surveillaient furent sans aucun doute assaillis d'émotions diverses. S'ils réussissaient, que feraient les autres nefs? Pourrait-on les détruire, elles aussi, et l'humanité redeviendrait-elle maîtresse de sa destinée? Ou Karellen se vengerait-il de façon terrible de ceux qui l'avaient attaqué? D'un seul coup, l'écran devint opaque lorsque le missile explosa et une caméra montée sur un avion qui croisait à bien des kilomètres de là prit immédiatement le relais. Pendant la fraction de seconde que demandait la manoeuvre, l'éclair devait déjà fulgurer et remplir le ciel de son brasier solaire.

Or, rien de tel ne s'était produit. Le vaisseau géant était toujours là, intact, flottant dans la lumière crue à la frontière de l'espace. Non seulement la bombe ne l'avait pas touché mais personne ne sut jamais ce qu'il était advenu d'elle. Mieux encore: Karellen ne lança aucune action de représailles contre l'agresseur. L'attaque aurait aussi bien pu ne pas avoir eu lieu. Avec un mépris superbe, il laissa l'assaillant attendre une vengeance qui ne devait jamais venir. Cette inaction se révéla plus efficace et plus démoralisante qu'aucune mesure de rétorsion..."

Dans les années 1950, Clarke a écrit deux nouvelles qui sont devenues des classiques de la science-fiction, "The Nine Billion Names of God" (1953), dans laquelle un monastère tibétain achète un ordinateur pour terminer sa tâche séculaire de compilation des noms possibles de Dieu, et  "The Star" (1955), qui met en scène une expédition sur une planète lointaine découvrant les ruines d'une civilisation qui a été détruite lorsque son étoile est devenue une supernova : un prêtre jésuite de l'expédition va voir sa foi mise à l'épreuve lorsqu'il découvre que la supernova était l'étoile de Bethléem. "The City and the Stars" (1956) voit, un milliard d'années plus tard, dans l'une des dernières villes de la Terre, Diaspar, un jeune homme, Alvin, se rebeller contre la mainmise de toute existence par un ordinateur central, on peut y obtenir tout ce que l'on désire mais jamais la moins de réponse quant aux questions que l'on peut se poser : Alvin va tenter de découvrir la véritable histoire de l'humanité et sa place dans l'univers.... 

"Rendez-vous with Rama" (1973), l'un des romans les plus populaires d'Arthur C. Clarke, se déroule au début du 22ème siècle, à une époque où la Terre observe un énorme astéroïde entrer dans le système solaire depuis l'espace interstellaire. Surnommé Rama, l'astéroïde s'avère être un vaisseau spatial cylindrique, et une expédition est envoyée pour explorer son intérieur. "Imperial Earth" (1975) est un récit sur le clonage et la colonisation du système solaire qui se déroule au 23ème siècle. "The Fountains of Paradise" (1979) raconte la construction d'un ascenseur spatial sur l'île de Taprobane (une version fictive du Sri Lanka, pays d'adoption de Clarke)...

 


Charles Harness, "The Paradox Men" (1955)

Auteur de peu d'ouvrages et resté peu connu, Charles Harness (1915-2005) a souvent été rapproché de Vogt pour la complexité de ses intrigues, mais la construction de ses récits tourne souvent à son avantage, la vraisemblance est rigoureusement maîtrisée. Une thématique domine, celle d'un héros qui réalise un retour dans le temps pour modifier le monde, une préoccupation, l'aspect cyclique du temps. Il publie sa première nouvelle de science-fiction, "Time Trap", en 1948, dans Astounding Science Fiction, et l'année suivante, paraît son premier roman "The Paradox Men" (Vol vers hier). On retient parmi ses nouvelles, "Stalemate in Space" (1959), "The New Reality " (1950), "Child by Chronos" (1953, L'Enfant en proie au temps), et deux fictions, "The Rose" (1953), qui traite du rapport de l'art et de la science, publié dans Authentic Science Fiction, et "The Ring of Ritornel" (1968), considéré come un space-opera...

 


Richard Matheson,"I Am Legend" (1954)

Être dans le monde n'est pas d'une évidence absolue. Plus que des histoires d'épouvante, Matheson a une nette prédilection pour les intrigues terrifiantes, au détriment, au passage, de toute vraisemblance ou cohérence psychologique. Sa carrière littéraire débute avec "Born of Man and Woman" (1950, Journal d’un monstre) qui a pour thème un enfant mutant naît dans une famille des plus normales, mais ce sont pourtant les parents qui seront les véritables monstres de l’histoire. Du quotidien surgit le fantastique, souvent macabre, avec des dizaines de nouvelles telles que "Third from the Sun" (1950), "The Thing" (1951), "SRL Ad" (1952), "Mad House" (1953), "The Curious Child" (1954), "Girl of my Dreams" (1963), "Button, Button" (1970)....

En 1954, Richard Burton Matheson (1926-2013) devient immédiatement célèbre avec "I Am Legend", dans lequel une épidémie fait disparaître toute la population, à l'exception d'un homme qui, désormais seul, doit affronter un monde conquis par les vampires. L’écrivain poursuit avec les romans The Shrinking Man (1956, L’Homme qui rétrécit), A Stir of Echoes (1958, Échos), Bid Time Return (1975, Le Jeune Homme, la mort et le temps) et What Dreams May Come (1978, Au-delà de nos rêves), qui feront tous l’objet d’adaptations par Hollywood.

Tout au long de sa carrière, Matheson a publié plusieurs romans et nouvelles, mais c'est en tant que scénariste pour des séries mythiques telles que "The Twilight Zone" (1959-1964, La Quatrième Dimension), - en particulier l’épisode culte Nightmare at 20,000 Feet (1963, Cauchemar à 20.000 pieds), dans lequel un passager qui se remet tout juste d’une dépression nerveuse est persuadé qu’un monstre que lui seul peut voir est en train de détruire un moteur de l’avion -,  et "Kolchak: The Night Stalker" (1972), ou pour le premier film de Steven Spielberg, "Duel", qu'il va par la suite consacré la plus grande partie de son temps : Roger Corman (House of Usher, 1960, Pit and the Pendulum, 1961, Tales of Terror, 1962), Terence Fisher (The Devil Rides Out, 1968)...

 


John Wyndham, "The Day of the Triffids” (1951)

Influencé par H.G.Wells, John Wyndham Parkes Lucas Beynon Harris, prend pour thème, sous le pseudonyme de John Wyndham (1903-1969), la lutte de l'être humain qui tente de survivre lorsque des phénomènes naturels catastrophiques envahissent soudainement un cadre quotidien, anglais, confortable. On parle de roman cataclysmique à la britannique avec un schéma qui repris par bien des auteurs, la catastrophe, l'éparpillement de la communauté, l'organisation d'un noyau de résistance, la tentative de reconstruction...

Dès le milieu des années 20, il a écrit des nouvelles pour divers magazines américains à sensation, - la Grande-Bretagne offrant alors peu de débouchés -, et en 1935, les romans "The Secret People and Planet Plane" (plus tard rebaptisés "Stowaway to Mars") furent publiés sous le pseudonyme de John Beynon. En 1951, "The Day of the Triffids", son premier roman écrit sous le pseudonyme de John Wyndham,  met en scène des plantes mobiles mortelles qui menacent la race humaine, et c'est avec ce livre que Wyndham devient un auteur de science-fiction. Le personnage principal, Bill Masen, est un biologiste qui a travaillé sur des plantes trifides, venimeuses et carnivores, capables de se déplacer, et qui pourtant sont cultivées dans le monde entier pour leur production d'huile. Hospitalisé pour avoir été aspergé par le poison de ces triffides, il se retrouve dans un Londres chaotique, peuplé d'habitants aveugles qui erre ici et là... Ce roman inspira un film réalisé en 1962 par Steve Sekely.

Alors que ses nouvelles sont rassemblées dans "Consider Her Ways" (1961) et "The Seeds of Time" (1969), ses romans se succèdent, "The Kraken Wakes" (1953, Le péril vient de la mer), avec un ennemi d'origine extraterrestre, "The Chrysalids" (1955), qui se déroule à la suite d'un conflit nucléaire, "The Midwich Cuckoos" (1957), qui débouchera sur le célèbre film "The Village of the Damned" en  1960, et "The Trouble with Lichen" (1960)...  

 


"Forbidden Planet" (1956), Fred M. Wilcox

"Planète interdite" est l'un des meilleurs films de science-fiction des années 1950, réalisé par Fred M. Wilcox. L'équipage du vaisseau C57D atterrit sur une planète habitée uniquement par le docteur Edward Morbius (Walter Pidgeon), sa fille Altaira (Anne Francis), et leur robot, le célèbre Robbie. Le capitaine du vaisseau (Leslie Nielsen) découvre bientôt un sombre secret sur l'ancienne civilisation extraterrestre que Morbius a étudiée et sur la créature qui a anéanti la colonie d'origine...

 


En 1956 est diffusé le premier film de science-fiction japonais à être réalisé en couleur, "Warning From Space", de Koji Shiman un scénario de Hideo Oguni . Nanti d'effets spéciaux époustouflants, il nous relate un  un Japon est secoué par l'observation mystérieuse d'OVNI au-dessus de Tokyo et de grands extraterrestres borgnes qui tentent d'entrer en contact. Mais déjà, alors que les scientifiques enquêtent, l'un des extraterrestres a déjà pris forme humaine et est sur le point de délivrer un message très important qui pourrait être le dernier espoir de survie de l'humanité...

 


1956, Destination Earth,

by Sutherland (John) Productions in Association With Film Counselors, Inc - American Petroleum Institute, Oil Industry Information Committee, Ou comment la science-fiction permet d'exalter les forces de l'économie de libre entreprise de type terrestre, comparé à un Mars stagnant sous le poing d'un certain M. Ogg, qui contrôle centralement l'économie martienne, et des Martiens qui viennent d'une planète qui ressemble beaucoup à l'Union soviétique : un dessin animé qui relate donc les aventures du "Colonel Cosmic", un Martien, qui apprend que le pétrole et la concurrence sont les deux choses qui font la grandeur de l'Amérique. L'évangile de la libre entreprise suffit à fomenter une révolution martienne, et la planète commence à se refaire à l'image de la Terre...

 


Algis Budrys, "Rogue Moon" (1960)

Algis Budrys (1931-2008), écrivain de science-fiction sous nombre de pseudonymes (John A. Sentry, William Scarff) depuis 1952, est particulièrement connu pour sa nouvelle, 3rogue Moon", déclinée par la suite en roman. Le Dr Edward Hawks dirige un projet top-secret pour la marine américaine, utilisant les installations de Continental Electronics pour enquêter sur un grand artefact extraterrestre trouvé sur la Lune. Des volontaires sont téléportés pour essayer d'explorer cet artefact qui se présente comme un gigantesque labyrinthe, mais toutes les tentatives de prospection mènent à la mort ou à la folie des protagonistes. Il apparaît que leur mort est en fait révélatrice du processus de compréhension de l'artefact,  en mourant de diverses manières et en se déplaçant à travers lui, les humains apprennent quelque chose sur eux-mêmes, comme le feraient probablement les extraterrestres s'ils existaient encore...