John Galsworthy (1867-1933), "The Forsyte Saga", "The Man of Property" (1906), "To Let", 1921), "The White Monkey" (1924) - ......

Last update : 18/12/2016


"The Forsyte Saga", publié pour la première fois sous ce nom en 1922, est une série de trois romans et de deux intermèdes publiés entre 1906 et 1921 par l'auteur anglais John Galsworthy, lauréat du prix Nobel de littérature.  Il y relate les vicissitudes des membres dirigeants d'une grande famille anglaise de la haute société commerciale, semblable à la propre famille de Galsworthy. À quelques générations seulement de leurs ancêtres fermiers, les membres de la famille sont parfaitement conscients de leur statut de "nouveaux riches". Le personnage principal, Soames Forsyte, se considère comme un "homme de propriété" en raison de sa capacité à accumuler des biens matériels, mais cela, et c'est bien l'élément central de l'intrigue, ne parvient pas à lui procurer la satisfaction et le plaisir tant convoité. Et parmi ces plaisirs tant convoités, une femme, sa femme, l’énigmatique Irene. Mais il suffit que celle-ci tombe amoureuse de Bosinney, un architecte sans le sou qui rejette complètement les valeurs de Forsyte, pour que s'ensuive inexorablement la série d’événements qui ne peuvent conduire qu'au désastre : ici John Galsworthy aborde un thème qui lui est cher, celui de la disparition des classes moyennes supérieures, avec ironie mais une pointe de compassion ...

 


John Galsworthy (1867-1933)

Les romans de John Galsworthy (la Saga des Forsyte, 1906-1921 ; Une comédie moderne, 1924-1928) et son théâtre (Justice, 1910) donnent une peinture critique de la grande bourgeoisie et des conventions sociales, critique d'autant plus percutante qu'elle émane d'un nanti, représentatif d'une haute société anglaise qui fut d'abord victorienne, puis édouardienne et georgienne. Il fit des études de droit sans jamais exercer de profession et, parmi ses relations, on compte surtout Joseph Conrad, qu'il soutint financièrement, Gilbert Murray et Ralph Mottram. Il épousa Ada (femme de son cousin Arthur John Galsworthy) après une longue liaison, dont on retrouve le personnage dans son oeuvre.

C'est en 1901, dans une longue nouvelle, "The Salvation of Swithin Forsyte" qu'il introduisit le nom de la célèbre famille de la haute bourgeoisie dont il allait plus tard écrire la chronique. Il peint alors une forte crique d'une société anglaise passionnément attachée à la propriété (The Island Pharisees, 1904; Fraternity, 1909; The Patrician, 1911; The Dark Flower, 1913; A Saint's Progress, 1919), puis avec "The Forsyte Saga" que Galsworthy conquiert la célébrité : The Man of Property, 1906; Indian Summer of a Forsyte, 1918 (nouvelle); In Chancery, 1920;  Awakening, 1920 (nouvelle); To Let, 1921. L'écriture de Galsworthy est d'une telle justesse que ses lecteurs furent innombrables et ce quelque soit leur milieu social. L'auteur fut aussi connu pour son engagement en faveur des victimes de la société.

 

"Au coeur de tout cela, pensa-t-il, est la propriété, mais il y a beaucoup de gens qui n'aimeraient pas qu'on le dise ainsi. Pour eux, il s'agit du caractère sacré du mariage; mais le caractère sacré du mariage dépend du caractère sacré de la famille, et le caractère sacré de la famille dépend du caractère sacré de la propriété" (The core of it all, he thought, is property, but there are many of people who would not like it put that way. To them it is the sanctity of the marriage tie; but the sanctity of the marriage tie is dependent on the sanctity of the family, and the sanctity of the family is dependent on the property..).

 


The Forsyte Saga, six volumes

Chronique de trois générations de Forsyte, représentative de la haute bourgeoisie anglaise édouardienne, mais marquée, sous la respectabilité de façade, par "la perte et la mort de la réalité au coeur de l'intimité domestique".  L'aspect impitoyable de cette collectivité familiale, imposant à chaque membre de la famille une histoire partagée, est personnalisé par Soames Forsyte, que la passion de posséder conduit au viol de sa femme, Irene Heron, drame de rupture et source d'un déséquilibre permanent dans cette quête familiale de la beauté et de la puissance.

"The Man of Property" est considéré comme le roman le plus personnel de Galsworthy et son exploration des différents aspects du mariage dans la grande bourgeoisie rejoint l'expérience qu'il traversa avec Ada, femme divorcée qu'il épousa et qui ne fut jamais reçue dans les salons londoniens si ce n'est lorsqu'il atteint lui-même la gloire littéraire : une femme n'existe que grâce à la situation de son mari, abandonnée ou divorcée, elle perd toute raison d'être et ne peut plus paraître dans les cercles mondains. Et si Galsworthy éprouve tant de sympathie pour ces femmes qui suivent leurs émotions et se rebellent contre la dictature bien-pensante de la société, contre l'obéissance exigée d'elles en échange d'une vie décorative emprunte de luxe, elles n'atteindront ici jamais le statut social des hommes grâce à leurs seules qualités professionnelles. Et plus subtil encore, les incartades d'une femme n'ont finalement que peu d'importance tant qu'elles ne compromettent pas la généalogie de la famille. Irene va ainsi rompre le contrat qui l'unit à Soames, lui qui désirait par-dessus tout une descendance digne de lui, un Soames qui incarne le grand bourgeois typique de l'ère victorienne, mais un Soames qui émeut Galsworthy tant cet homme éprouve de la passion pour sa femme...

 

"..an unhappy marriage. No ill-treatment - only that indefinable malaise, that terrible blight which killed all sweetness under heaven; and so from day to day, from night to night, from week to week, from year to year, till death should end it..."

 

"..un mauvais mariage. Sans maltraitance : seulement ce malaise indéfinissable, ce terrible malheur qui anéantit toute la tendresse du monde; et c'est ainsi jour après jour; nuit après nuit; semaine après semaine, année après année, jusqu'à ce que la mort y mette un terme..."

 



"Le Propriétaire" (The Man of Property, 1906), premier volume de la saga...

Le premier volume de la saga débute par une réunion de famille qui a lieu le 15 juillet 1886 à l'occasion des fiançailles de June Forsyte avec l'architecte Philip Bosinney. Y sont présents les dix enfants de Jolyon Forsyte I. qui fit la fortune de la famille au temps de la grande expansion économique qui marqua la première moitié du siècle. Ce sont dix vieillards solides et résolus (car la longévité, outre le respect des convenances. est l'apanage des Forsyte). Parmi eux se trouvent Jolyon le Vieux, James, George, Timothy. Jolyon le Jeune manque à la réunion; c'est en effet un caractère indépendant, passionné et sentimental. qui est brouillé avec son père et toute la famille à cause de sa rupture avec sa première femme ; il avait refait sa vie. Le représentant typique de la seconde génération est Soames, le fils de James : c'est le "propriétaire" actuel; il est accompagné de sa femme, la belle Irène. Celle-ci et Bosinney. le fiancé de June, se plaisent tout de suite et Soames va favoriser leurs rencontres en chargeant le jeune architecte de construire pour lui la belle demeure de Robin Hill, près de Londres. 

Irène, qui n`a jamais aimé Soames qu`avec tiédeur, en vient à éprouver de l`aversion pour lui; elle le lui avoue avec loyauté. Bosinney rompt avec June. Celle-ci se résigne, mais Soames ne peut admettre que sa femme cesse de lui appartenir. Pour se venger, il intente un procès à Bosinney au sujet de la construction de Robin Hill et obtient le droit de rompre son contrat avec lui. La situation financière de Bosinney devient donc précaire. D`autre part, Soames, sortant de sa réserve de galant homme, use de ses droits envers sa femme de façon brutale. Bosinney, hors de lui, torturé par la jalousie, erre comme un malheureux, parcourant la ville en tous sens, lorsqu'il tombe victime d`un accident. Soames, comme le dit George Forsyte, est responsable de sa mort. 

"Those privileged to be present at a family festival of the Forsytes have seen that charming and instructive sight — an upper middle-class family in full plumage. But whosoever of these favoured persons has possessed the gift of psychological analysis (a talent without monetary value and properly ignored by the Forsytes), has witnessed a spectacle, not only delightful in itself, but illustrative of an obscure human problem. In plainer words, he has gleaned from a gathering of this family — no branch of which had a liking for the other, between no three members of whom existed anything worthy of the name of sympathy — evidence of that mysterious concrete tenacity which renders a family so formidable a unit of society, so clear a reproduction of society in miniature. He has been admitted to a vision of the dim roads of social progress, has understood something of patriarchal life, of the swarmings of savage hordes, of the rise and fall of nations. He is like one who, having watched a tree grow from its planting — a paragon of tenacity, insulation, and success, amidst the deaths of a hundred other plants less fibrous, sappy, and persistent — one day will see it flourishing with bland, full foliage, in an almost repugnant prosperity, at the summit of its efflorescence.

On June 15, eighteen eighty-six, about four of the afternoon, the observer who chanced to be present at the house of old Jolyon Forsyte in Stanhope Gate, might have seen the highest efflorescence of the Forsytes..."

 

RÉCEPTION CHEZ LE VIEUX JOLYON - Ceux qui ont eu le privilège d'assister à une fête de famille chez les Forsyte ont vu ce spectacle charmant et instructif : une famille de la riche bourgeoisie en grand appareil. Mais quelqu'un de ces privilégiés était-il doué de clairvoyance psychologique (un don qui n'a point de valeur monétaire et que les Forsyte ignorent), il a été le témoin d'une scène qui jette une lumière sur un obscur problème humain.

En d'autres termes, de la réunion de cette famille - dont on n'aurait pu désigner trois membres liés seulement par un sentiment qui méritât le nom de sympathie - s'est dégagée pour lui l'évidence de cette mystérieuse et concrète cohésion qui fait de la famille une si formidable unité sociale, une si exacte miniature de la société. Il a été admis à la vision des routes confuses que suit le progrès social, il a compris quelque chose de la vie patriarcale, du fourmillement des hordes sauvages, de la croissance et de la chute des nations. C'est comme si, ayant regardé grandir, depuis le jour de la plantation, un arbre admirable de vitalité, au milieu de cent autres plantes qui, moins riches de fibre. de sève et d'endurance, succombaient, il le voyait épanouir un jour tout son feuillage épais et pacifique, au point culminant de sa prospérité.

Le 15 juin de l`année 1886, vers quatre heures de l`après-midi, un observateur qui se serait trouvé dans la maison du vieux Jolyon Forsyte à Stanhope Gale, aurait pu contempler la suprême efflorescence des Forsyte. La maison célébrait les fiançailles de Mlle June Forsyte, petite-fille du vieux Jolyon, avec M. Philip Businney. Dans ses plus beaux atours, gants clairs, gilets chamois, plumes, robes de cérémonie, la famille entière était présente. La tante Ann elle-même était venue, elle qui ne quittait plus que rarement le coin du salon vert de son frère Timothy où, sous un plumet d`herbe teinte des pampas, s'élevant d`un vase bleu clair, elle restait assise tout le jour, à lire ou à tricoter, entourée par les effigies de trois générations de Forsyte. Oui, la tante Ann elle-même était là, son dos inflexible et la dignité de sa calme vieille figure personnifiant ce rigide esprit de possession qui était l'âme de la famille,

Quand un Forsyte naissait, se fiançait, se mariait, les Forsyte étaient présents : quand un Forsyte mourait - mais aucun Forsyte n`était mort jusqu'à ce jour... lls ne mouraient pas, la mort étant contraire à leur principes; ils prenaient des précautions contre elle, les précautions d'une puissante vitalité qui repousse tout empiétement.

Les Forsyte qui se mêlaient ce jour-là à la foule des autres invités semblaient mieux soignés et plus fringants qu'à l`ordinaire; ils avaient une assurance alerte, un air de respectabilité brillante; on eût dit qu`ils s'étaient parés pour défier quelque chose. L'air de méfiant dédain habituel à la physionomie de Soames Forsyte avait gagné tous les rangs; ils étaient sur leurs gardes. Cette attitude inconsciemment agressive de la famille, ce jour-là, chez le vieux Jolyon, signale un moment psychologique de son histoire et le prélude du drame qui doit la déchirer.

Quelque chose excitait leur hostilité, celle du groupe plutôt que des individus. Ce sentiment s'exprimait par la perfection accrue de leur toilette, par une expansion de cordialité familiale, une exagération de l'importance de la famille et par l'imperceptible expression de méfiance et de dédain. Le danger - qui seul peut faire apparaître la qualité fondamentale de toute société, groupe ou individu, - voilà ce que flairaient les Forsyte, Le pressentiment du danger les mettait dans leur attitude de défense. Pour la première fois, ils paraissaient avoir, comme famille, l'intuition qu`ils sc trouvaient en contact avec une chose étrange et inquiétante.

Appuyé derrière le piano, se tenait un homme de puissante stature, qui portait deux gilets sur sa vaste poitrine, deux gilets et rubis à sa cravate au lieu de l'unique gilet et de l`épingle de diamant qu'il mettait dans les occasions plus ordinaires. Sa vieille figure carrée, couleur de cuir pâle. avec des yeux pâles, portait au-dessus du col de soie son expression la plus digne. C'était Swithin Forsyte. Près de la fenêtre où il pouvait absorber plus que sa part d'air frais, son jumeau James qui était comme le massif Swithin haut de plus de six pieds, mais très maigre comme s'il avait été destiné dès sa naissance à rétablir l'équilibre d'une bonne moyenne - le gros et le maigre de la même tranche, disait le vieux Jolyon en parlant des deux frères - James, toujours courbé, méditait ce qu'il voyait. Ses yeux gris semblaient fixement absorbés par quelque secret tracas. mais de temps à autre faisaient un rapide et furtif examen de ce qui se passait alentour. Ses joues amincies par deux rides parallèles et sa lèvre supérieure longue et rasée étaient encadrées de favoris. Il tournait et retournait dans

sa main un bibelot de porcelaine. Non loin de là, écoutant ce que lui disait une femme en robe marron, son fils unique, Soames, pâle et complètement rasé, brun, un peu chauve, levait obliquement son menton et portait son nez avec cet air de méfiant dédain dont il a déjà été parlé. comme s`il faisait fi d'un oeuf qu'il savait ne pouvoir digérer.

Derrière lui son cousin, le grand George, fils de Roger le cinquième Forsyte. préparait avec un air de pince-sans-rire sur sa figure charnue une de ses sardoniques plaisanteries.

Quelque chose de spécial à la circonstance les affectait.

Trois vieilles dames étaient assises en rang, tout à côté l`une de l'autre : tante Ann, tante Hester, les deux vieilles filles de la famille Forsyte et Juley (diminutif de Julia), qui autrefois, n'étant déjà plus dans sa prime jeunesse, s'était oubliée au point d'épouser Septimus Small, un homme de pauvre santé. Elle lui survivait depuis de longues années. Avec son aînée et sa cadette, elle habitait maintenant la maison de Timothy, leur sixième et plus jeune frère, dans Bayswater Road. Chacune de ces dames tenait un éventail à la main, quelque note de couleur dans leur toilette, quelque broche ou quelque plume évidente attestant la solennité de l'occasion.

Au centre de la pièce, sous le lustre comme il convenait à l'hôte. se tenait le chef de la famille. le vieux Jolyon lui-même. Avec ses quatre-vingts ans, ses beaux cheveux blancs, son front pareil à un dôme, ses petits yeux gris foncé et une énorme moustache blanche qui tombait et s`étalait plus bas que sa forte mâchoire, il avait un air de patriarche et, en dépit de ses joues maigres et des creux de ses tempes, il semblait posséder la jeunesse éternelle. Il se tenait extrêmement droit et son regard sagace et ferme n'avait rien perdu de sa lumière. Il donnait l`impression d'être au-dessus de ces doutes et de ces aversions qui agitent les hommes plus petits. Ayant toujours accompli sa volonté depuis tant d'années qu'on ne les comptait pas, il avait conquis comme un droit imprescriptible à la domination. Il ne serait jamais venu à l'esprit du vieux Jolyon qu`il fût nécessaire d'assumer une attitude d`inquiétude ou de défi...."

  

"The Indian Summer of a Forsyte", 1917

 

Irène, horrifiée. s'enfuit. On la retrouvera dans ce prélude au deuxième volume qu'est Dernier été (The Indian Summer of a Forsyte, 1917). Elle est alors installée à Robin Hill, que le vieux Jolyon a acheté pour son fils avec lequel il s'est réconcilié. C`est un épisode plein de charme; le vieil homme, le seul des Forsyte qui ait une certaine liberté d'esprit, comprend la jeune femme et l'aime tendrement. Irène l'écoute parler de son fils qui est au loin et qui a perdu la femme qu'il aimait ; elle l`assiste à ses derniers moments : la mort vient le prendre doucement. un bel après-midi d'été. alors qu'il est assis à l'ombre d`un arbre. 


"Aux aguets" (In Chancery, 1920), deuxième volume de la saga...

Irène, persécutée par Soames. s`enfuit à Paris où elle retrouve Jolyon le Jeune. Celui-ci, fidèle au désir de son père, l`accueille, et ces deux êtres, blessés par la vie, se rapprochent et finissent par s'aimer. Soames. à Londres, est séduit par la beauté provocante d'une jeune Française, Annette. fille du propriétaire d'un grand restaurant; il décide de divorcer pour des raisons assez obscures qu'il ne s'avoue pas toutes, mais dont les principales sont son mépris pour Irène et le désir d'avoir un fils. Il rompt donc avec la tradition des Forsyte et fait scandale en recherchant les preuves de l'adultère d'Irène avec Jolyon et en la traînant devant les tribunaux pour obtenir le divorce. Irène et Jolyon, quoique innocents, ne se défendent pas; les circonstances les incitent à lier leurs existences et ils se marient. Soames épouse Annette; Fleur, leur fille, naît le jour même de la mort du père de Soames.

 

Ainsi s`achèvent les deux premiers livres, où l'écrivain, après avoir tracé l'histoire de la première génération des Forsyte, solide et immuable, a étudié la crise de la deuxième, c`est-à-dire les heurts entre les principes traditionnels et les passions. ces passions que, dans son puritanisme austère et aveugle, la société victorienne se refusait d'admettre....

 


"A louer" (To Let, 1921), le troisième volume de la saga...

Le récit se place vingt ans plus tard; la Première Guerre mondiale a eu lieu; la mentalité anglaise a évolué; il y a plus d'audace, plus de liberté dans la pensée et dans les mœurs.

La première génération des Forsyte a disparu, la seconde a vieilli et cède la place à la troisième qui a vingt ans : Fleur, fille de Soames et d'Annette; Jon, fils d'Irène et de Jolyon; Holly, fille du premier amour de Jolyon, demi-sœur de Jon, qui, elle aussi a épousé un Forsyte. Ils se retrouvent tous chez June, laquelle tient une galerie de peinture (signe des temps) où Soames, amateur de peinture classique et traditionnelle, contemple, scandalisé, des toiles d'avant-garde. Jon et Fleur s'éprennent l'un de l'autre ; ils ont toutes les facilités, grâce aux mœurs nouvelles, pour se fréquenter. 

Leurs deux familles s'opposent fermement à leur mariage. Jon, qui est très attaché à ses parents, est prêt à se résigner, mais Fleur est plus combative; il y a alors certaines scènes pénibles au cours desquelles Jon apprend les raisons de l'aversion de sa mère pour Soames et sa famille. Jolyon, déjà âgé, meurt, tourmenté de savoir dans quelle situation morale se trouve sa femme. Soames, qui a une adoration pour sa fille, s'humilie devant Irène, mais en vain, car Jon, laissé libre, sacrifie son amour à sa mère. Irène et Jon quittent l'Angleterre pour la Colombie britannique, et l'on voit écrit sur la vieille maison de Robin Hill : "À louer". 

 

Chapitre premier - Une rencontre

"LE 12 mai 1920, dans l'après-midi, Soames Forsyte sortait de l'hôtel Knightsbridge où il était descendu, pour visiter une exposition de peinture à la Galerie de Cork Street, et prendre ainsi un aperçu de l'avenir.

Il allait à pied. Depuis la guerre il ne prenait jamais de taxis sans nécessité, tenant les chauffeurs pour des êtres grossiers; comme tous les gens de leur classe, ils le faisaient penser vaguement à la révolution. La terrible anxiété de la guerre, les émotions plus vives encore que la paix lui avait apportées avaient profondément marqué sa nature tenace. Il avait si souvent envisagé la ruine, qu'il avait cessé de la croire possible. Payer quatre mille livres par an d'impôts sur le revenu et de super-taxe, la situation ne pouvait guère être pire... Une fortune d'un quart de millier de livres, sans autres charges que celles d'une femme et d'une fille, et très divisée comme placements, est une garantie sérieuse, même contre cette idée folle : le prélèvement sur le capital. Quant à la confiscation des profits de guerre, il l'approuvait pleinement, n'en ayant pas réalisé. "C'est bien fait pour eux", se disait-il.

D'autre part le prix des tableaux était plutôt en hausse; sa collection lui avait donné, depuis le commencement de la guerre, plus de satisfaction que jamais. Les raids aériens eux-mêmes avaient exercé une influence favorable sur son esprit trop circonspect et avaient achevé d'endurcir un caractère déjà bien trempé. Le risque d'une dispersion totale de sa personne lui faisait paraître moins redoutables les dispersions partielles telles que les impôts et les prélèvements; son habitude de fulminer contre les Allemands s`était peu à peu transformée en propos indignes contre le parti socialiste, formulés sinon ouvertement, du moins tout bas.

Il marchait, il avait le temps; Fleur lui avait donné rendez-vous à l'exposition, à quatre heures, et il n'était que deux heures et demie. Marcher lui faisait du bien, car il avait mal au foie et les nerfs un peu fatigués. Sa femme, quand elle était en ville, ne restait jamais à la maison, sa fille était toujours en l'air, comme la plupart des jeunes. Encore s`estimait-il heureux qu'elle eût été trop enfant pour entreprendre quoi que ce fût pendant la guerre.

Certes, il avait approuvé la guerre des le début, de toute son âme, mais de là à laisser sa femme et sa fille payer de leurs personnes, il y avait un abîme, que des préventions d'un autre temps, son horreur de toute exagération sentimentale rendaient infranchissable. C'est ainsi qu'il s'était opposé de toutes ses forces à laisser Annette, si séduisante encore à trente-cinq ans, retourner à sa France natale, sa chère Patrie, comme elle l'appelait dans la fièvre du moment, pour soigner ses "braves poilus" au risque de ruiner sa santé, sa beauté, comme si elle était réellement infirmière! Il y avait mis son veto.

Qu`elle tricote pour les blessés, à la maison, ou qu'elle cause! Donc, elle n'était pas partie, mais elle avait changé. La désagréable petite tendance qu`elle avait à se moquer de lui, non pas ouvertement mais d'une façon imperceptible, s'était encore accrue.

Quant à Fleur, la guerre avait tranché l'irritant problème de son éducation à la maison ou en pension. Elle était mieux loin de sa mère dans l'état d'esprit de cette dernière, à l'abri des gothas, et soustraite à la tentation de faire des choses extraordinaires. Il l'avait donc mise dans un pensionnat situé aussi loin dans l'Ouest qu'il était possible sans sacrifier l'excellence de l'instruction. Et elle lui avait terriblement manqué. Fleur! Il n'avait jamais regretté le nom un peu bizarre qu'il lui avait donné le jour de sa naissance, quoique ce fût une concession marquée à l'influence française.

Fleur! Un joli nom. Une jolie enfant, mais qu'elle était donc agitée, trop agitée et volontaire, et connaissant si bien son influence sur son père! Soames réfléchissait souvent aux inconvénients qu'il y avait à gâter sa fille, à être vieux et faible! Soixante-cinq ans. Il vieillissait, mais sans en souffrir, car son second mariage avec Annette, si jeune et si belle, avait heureusement tourné de façon bien calme. Il n`avait aimé avec passion qu'une fois, sa première femme, Irène...."

 


"Le Singe blanc" (The White Monkey, 1924], quatrième livre de la Saga ..

Commence, sous le titre générique de  "Une comédie moderne" (A Modern Comedy) la seconde série du cycle, qui se terminera par "La Cuillère d'argent" (The Silver Spoon, 1926) et "Le Chant du cygne" (Swan Song, 1928). 

Fleur a épousé, sans amour, Michael Mont, le fils d'un baronnet qui est codirecteur d`une grande maison d'édition. Lancée dans une trépidante vie mondaine. elle s'entoure d'une société brillante et disparate qui peuple son "salon chinois" où l'on voit un tableau

représentant un singe blanc tenant un fruit dans sa main. Décidée à jouir de la vie, elle

n`est pas sans avoir quelques flirts, mais elle s'efforce d'éviter toute complication sentimentale. Cette mentalité est bien dépeinte dans l'épisode principal; un jeune poète, Wilfrid Deserd. affolé par sa coquetterie et sa beauté, se prend pour elle d`une violente passion. Michael s`en émeut; conscient de n'avoir jamais inspiré d'amour à sa femme, il est prêt à se sacrifier ; mais Fleur se reprend et rompt cyniquement avec le jeune poète qui, désespéré, part pour les colonies. 

Le sixième volume se déroulera en partie pendant la grève générale de 1926; nous assistons au retour de Jon et à la reprise, entre lui et Fleur, de leur amour d'adolescents. L'énergie de Soames évite de justesse un scandale. Soames meurt dans un incendie, en essayant de sauver sa collection de tableaux, et avec lui disparaît le dernier des "vrais" Forsyte.