Edward T.Hall (1914-2009), "The Silent Language" (1959), "The Hidden Dimension" (1966), "The Impact of Building on Behavior" (1975, with Mildred Reed Hall), "Beyond Culture" (1976), "The Dance of Life: The Other Dimension of Time" (1983) - ...

Last update : 11/11/2016


"Culture as communication ..." - Dès 1966, les recherches de l'anthropologue Edward T. Hall montre que l'utilisation que nous faisons tout un chacun de l'espace dans lequel nous vivons et existons ne va pas de soi, un espace que nous partageons entre nous et avec nos semblables, que nous construisons autour de nous, dans nos villes, nos habitations, nos bureaux, dans chacune de nos interactions sociales fussent-elles le plus souvent avec des inconnus. Et l'approche culturelle du comportement humain qui s'esquisse dans chacune de ces situations est toujours en fond celui d'un organisme biologique dont les mécanismes d'adaptation complexes résultent d'une longue et profonde évolution de l'interaction et de la communication .... "Tous mes livres traitent de la structure de l'expérience telle qu'elle est modelée par la culture, ces expériences profondes, communes et inavouées que les membres d'une culture donnée partagent, qu'ils communiquent sans le savoir et qui forment la toile de fond à l'aune de laquelle tous les autres événements sont jugés" (All of my books deal with the structure of experience asit is molded by culture, those deep, common, unstated experiences which members of a given culture share, which they communicate without knowing, and which form the backdrop against which all other events are judged). 

Cette "connaissance de la dimension culturelle en tant que vaste complexe de communications à de nombreux niveaux" (Knowledge of the cultural dimension as a vast complex of communications on many levels would be virtually unnecessary if ...) serait parfaitement inutile s'il n'y avait pas deux choses qui en modifient le cours : nos relations de plus en plus nombreuses avec des personnes de toutes les parties du monde et le mélange de sous-cultures au sein de notre propre pays, à mesure que les habitants des zones rurales et des pays étrangers affluent dans nos villes. À première vue, ces différents groupes humains qui cohabitent nécessairement peuvent se ressembler et s'entendre quelque peu, mais sous la surface se cachent de nombreuses différences non formulées dans leur structuration du temps, de l'espace, des matériaux et des relations. Et ce sont ces différences mêmes qui entraînent souvent une distorsion du sens (the distortion of meaning), indépendamment des bonnes intentions, lorsque des personnes de cultures différentes interagissent. Et c'est ainsi qu'Edward T. Hall en vient à formuler le concept de "proxémie", disciple par laquelle il étudie la relation que les individus entretiennent avec l'espace matériel et la distance physique dans les interactions ...

 


 

"Lost in Translation"

(Sofia Coppola, with Bill Murray, Scarlett Johansson, 2003) ...  la rencontre dans un hôtel de Tokyo de deux Américains,  perdus au sein d'une culture qui leur est totalement étrangère ainsi que dans leurs propres vies et qui nouent un lien singulier .... 

 


Edward T.Hall (1914-2009)

Né à Webster Groves (Missouri), Edward Twitchell Hall débuta dans les années 1930 son parcours d'anthropologue d'obédience culturaliste dans les réserves des Navajo et Hopi, en Arizona (West of the Thirties. Discoveries Among the Navajo and Hopi 1994). La Seconde Guerre mondiale le conduit en Europe et dans les Philippines. Pendant les années 1950, travaillant pour l'United States State Department (Foreign Service Institute), Hall enseigne des techniques de communication interculturelle à l'usage du personnel américain à l'étranger et développe les concepts de "high context culture" et de "low context culture". C'est dans le cadre de ses recherches menées dans la Washington School of Psychiatry qu'il publie son ouvrage le plus connu, "The Silent Language" (1959) : il s'impose ainsi comme pionnier dans l'étude de la communication non-verbale. Dans les années 1960, Hall développe ses idées les plus originales alors qu'il enseigne à l'Institut de Technologie de l'Illinois : son nouvel ouvrage, "“The Hidden Dimension” (1966), introduit une nouvelle dimension culturelle, l'espace interpersonnel.  

 

Pour Hall, les individus appartenant à des cultures différentes "habitent des mondes sensoriels différents", et plus encore, "le rapport qui lie l'homme à la dimension culturelle se caractérise par un façonnement réciproque" : en créant ce monde, son monde, l'homme "détermine en fait l'organisme qu'il sera". Il entend ainsi théoriser, mais à des fins très concrètes, un cadre permettant d'optimiser les rencontres interculturelles.

En premier lieu, Hall met en avant l’importance du "contexte" pour toute communication : la signification des mots et des phrases semble dépendre en effet du contexte dans lequel ces derniers sont exprimés. Ainsi, par exemple, plus les personnes qui se parlent partagent d’informations, plus fort sera le contexte, la communication étant implicite. En situation de contexte plus faible, toutes les informations doivent être exprimées de façon claire et précise. Hall en vient ainsi à catégoriser, pour optimiser leurs échanges réciproques, les différences culturelles entre Allemands, contexte le plus faible, Français, contexte intermédiaire, Américains, contexte le plus fort. Seconde notion, le "temps" (use of time), vécu de façon plus ou moins concrète selon les spécificités culturelles. Enfin, l' "espace", c'est-à-dire "le territoire personnel de chaque individu", qui détermine son comportement dans les jeux de rencontre : Hall introduit ainsi le fameux concept de "proxémie"  (proxemics) pour désigner "l’ensemble des observations et théories concernant l’usage que fait l’homme de l’espace", usage qui évolue suivant les cultures et les ethnies. 

 

Hall en vient ainsi à proposer un référentiel de communication non verbale à destination des managers américains dans leurs échanges internationaux : “Hidden Differences: How to Communicate with the Germans” (1983), “Hidden Differences: Doing Business with the Japanese” (1987), “Understanding Cultural Differences: Germans, French and Americans” (1990). On reprochera à Hall une formalisation des relations interculturelles et des difficultés de communication quelque peu stéréotypée et bien peu nuancée ("les Arabes utilisent davantage l'olfaction et le toucher que les Américains. Ils interprètent e(t combinent différemment leurs données sensorielles.."). Reste que la notion de "proxémie", véritable "anthroplogie de l'espace", participe de ces nouveaux domaines de réflexion portant sur la communication non verbale et la communication interculturelle, qui vont se développer dans les décennies à venir. 

 

Edward T.Hall, "Le Langage silencieux"

(The Silent Language, 1959)

"Edward T. Hall a montré, dans La Dimension cachée, que l’espace interpersonnel est une dimension de la culture. Le Langage silencieux conduit cette réflexion sur d’autres systèmes, et notamment le temps. Qu’est-ce qu’être en retard ? Qu’est-ce qu’attendre ? Le message exprimé là est différent selon qu’il vient d’un Européen, d’un Américain ou d’un Japonais. Ainsi le temps et la culture sont-ils communication, autant que la communication est culturelle. Communication qui cache plus de choses qu’à première vue elle n’en révèle. À travers des exemples aussi précis que cocasses, Edward T. Hall développe la théorie des systèmes de communication non verbaux." (Editions du Seuil)

 

(Introduction) "Plus de vingt ans nous séparent de la publication du "Langage silencieux". Entre-temps, beaucoup de choses se sont passées qui confirment la thèse de ce livre. Au moment de sa parution, j`étais tellement absorbé par mon propre travail, que je n`avais pas réussi à mesurer le besoin qu`il y avait de comprendre pleinement ce qu`est la "Communication interculturelle". En fait, le langage silencieux est une traduction : non pas celle d`une langue dans une autre, mais celle d`une série de communications contextuelles. complexes et tacites, en mots. Le titre résume non seulement le contenu de ce livre, mais aussi l`un des plus grands paradoxes de la culture. ll ne s`agit pas seulement du fait que les gens se parlent aussi sans employer des mots, mais encore de tout un univers de comportements qui n`a pas été exploré, étudié, et qui, de ce fait, se trouve ignoré. Cet univers fonctionne sans parvenir à la conscience, juxtaposé à celui des mots. Ceux qui parmi nous ont un héritage européen, vivent dans un "monde de mots" qui leur paraît le réel : mais parler ne veut pas dire pour autant que ce que nous communiquons par le reste de notre comportement n`est pas aussi très important. S`il n`y a pas de doute que le langage façonne la pensée par des voies particulièrement subtiles. l'humanité doit à présent s'attaquer à la réalité des autres systèmes culturels, et aux effets pénétrants de ces autres systèmes sur la façon dont le monde est perçu, dont l'individualité est expérimentée et dont la vie elle-même est organisée. 

Nous devons aussi nous accoutumer au fait que parfois les messages au niveau du mot veulent dire une chose, alors que, à un autre niveau, quelque chose de tout à fait différent est communiqué. Vingt ans ne suffisent pas pour prouver la valeur de ces affirmations. Certainement plus de temps est nécessaire pour que de telles implications deviennent effectives. Le lien est beaucoup plus étroit entre le langage et les gestes qu'entre le langage et les autres systèmes culturels - temps et espace, par exemple - tels qu'ils sont décrits ici. L'espace, qui fut l'objet d'un livre ultérieur, "la Dimension cachée", ne fait pas seulement communiquer, dans le sens élémentaire du terme, mais organise presque tout dans la vie. ll est même plus facile de voir comment l'espace peut organiser les activités et les institutions, que de reconnaître la façon subtile dont le langage organise la pensée. Le plus difficile est d'accepter que nos propres modèles sont particuliers et donc qu'ils ne sont pas universels. C'est cette difficulté des hommes à sortir de leur peau culturelle qui m`a poussé à faire part de mes observations et de leur traduction théorique par le truchement de l`écriture. 

Un des avantages qu`il y a à avoir écrit un livre - qui survit aux fantaisies de la mode - c'est que l'on reçoit un écho de la part de ses lecteurs : non seulement par des mots d`encouragement, mais aussi par la confirmation qu`apportent les exemples qu'ils invoquent. J°aimerais remercier tous ceux qui m`ont écrit des quatre coins du monde : le livre a été traduit en chinois, hollandais, polonais, français, italien et serbo-croate. Je m'intéresse depuis longtemps à la sélection et à la formation d'Américains travaillant à l'étranger, pour le gouvernement ou pour leur propre compte. Je crois que nos rapports avec les pays étrangers butent sur l`ignorance où nous sommes de la communication interculturelle. Cela fait que nous gaspillons à l`étranger les efforts ou la bonne volonté de notre nation. Lorsque des Américains sont appelés à travailler avec des pays étrangers, le critère de sélection devrait être leur aptitude à se mouvoir dans une culture différente de la leur. lls devraient également savoir parler et écrire la langue en usage et connaître parfaitement la culture du pays. Tout ceci est long est coûteux. Mais, à défaut de cette sélection et de cette formation, nous limitons nos possibilités à l'étranger. Encore. dans un programme d`ensemble, cette formation théorique à la langue, à l'histoire, à la politique et aux mœurs des pays étrangers n`est-elle qu'une première étape. ll est également primordial de connaître le langage non verbal qui existe dans chaque pays, à l`échelon national et local. Beaucoup d`Américains ne sont que vaguement conscients de ce langage sans paroles, qu`ils expérimentent pourtant chaque jour. lls ne perçoivent pas les schémas de comportement qui dictent notre conception du temps, notre perception de l'espace, nos attitudes envers le travail, le jeu, la connaissance. En sus de ce que nous exprimons verbalement. nos sensations réelles s'extériorisent constamment par un langage sans paroles, le langage du comportement. Quelquefois, ce langage est correctement interprété par des sujets de culture différente. Mais le plus souvent, ce n`est pas le cas. ll est rare que l`on considère objectivement ces différences relatives à la communication interculturelle. Lorsqu'il devient évident que deux personnes de pays différents ne se comprennent pas. chacun s'en prend à "ces étrangers", à leur stupidité, leur malhonnêteté, leur débilité..." 


Edward T.Hall, "La Dimension cachée"

(The Hidden Dimension, 1966)

"La dimension cachée, c’est celle du territoire de tout être vivant, animal ou humain, de l’espace nécessaire à son équilibre. Mais, chez l’homme, cette dimension devient culturelle. Ainsi, chaque civilisation a sa manière de concevoir les déplacements du corps, l’agencement des maisons, les conditions de la conversation, les frontières de l’intimité. Ces études comparatives jettent une lumière neuve sur la connaissance que nous pouvons avoir d’autrui et sur le danger que nous courons, dans nos cités modernes, à ignorer cette dimension cachée : peut-être est-ce moins le surpeuplement qui nous menace que la perte de notre identité." (Editions du Seuil)

 

"Ce livre a pour thème central l'espace social et personnel et sa perception par l'homme. Le terme de "proxémie" est un néologisme que j'ai créé pour désigner l'ensemble des observations et théories concernant l'usage que l'homme fait de l'espace en tant que produit culturel spécifique. Je ne suis pas le premier à m'être penché sur ce problème. Il y a plus de cinquante ans, Franz Boas présentait la théorie que je soutiens ici et selon laquelle la communication constitue le fondement de la culture, davantage, celui de la vie même. ..

On a cru longtemps que l'expérience est le bien commun des hommes et qu'il est toujours possible pour communiquer avec un autre être humain de se passer de la langue et de la culture et de se référer à la seule expérience. Cette croyance implicite (et souvent explicite), concernant les rapports de l'homme avec l'expérience, suppose que, si deux êtres humains sont soumis à la même "expérience", des informations virtuellement identiques sont fournies à chaque système nerveux central et que chaque cerveau les enregistre de la même manière. Or les recherches proxémiques jettent des doutes sérieux sur la validité de cette hypothèse, en particulier dans le cas de cultures différentes. Nous verrons dans les chapitres suivants que des individus appartenant à des cultures différentes non seulement parlent des langues différentes mais, ce qui est sans doute plus importants, habitent des mondes sensoriels différents. 

La sélection des données sensorielles consistant à admettre certains éléments tout en en éliminant d'autres, l'expérience sera perçue de façon très différente selon la différence de structure du crible perceptif d'une culture à l'autre. Les environnements architecturaux et urbains créés par l'homme sont l'expression de ce processus de filtrage culturel. En fait, ces environnements créés par l'homme nous permettent de découvrir comment les différents peuples font usage de leurs sens..."


 Edward T.Hall, "La Danse de la vie : temps culturel, temps vécu"

(The Dance of Life: The Other Dimension of Time, 1983)

"Edward T. Hall poursuit ici son examen des « dimensions cachées » de la culture en étudiant la façon dont le temps est appréhendé et vécu dans différentes sociétés. La perception linéaire qu’en ont les Européens du Nord n’est par exemple pas celle, pluridimensionnelle, des cultures du Sud, et les malentendus qu’occasionnent ces différences sont légion. Ce livre, nourri de recherches expérimentales et d’observations personnelles aussi riches que surprenantes, répond aussi à une visée éthique – car expliciter la variation des comportements d’une culture à l’autre, jusque dans les attitudes les plus profondément enracinées, c’est finalement œuvrer à la compréhension des autres." (Editions du Seuil)

 

"Nous sommes tous liés les uns aux autres par un tissu de rythmes innombrables : ceux qui, par exemple, influent sur les rapports des parents avec leurs enfants, comme sur les rapports des individus chez eux ou dans le travail. A ces rythmes, s'ajoutent des modèles culturels recouvrant une réalité plus vaste, dont certains s'opposent complètement, et qui, comme l'huile et l'eau ne se mélangent pas ..

Des années passées parmi les membres d'autres cultures que la mienne m'ont appris que les sociétés complexes organisent le temps d'au moins deux manières différentes : les événements sont organisés en tant qu'unités séparées - une chose à la fois -, ce qui caractérise l'Europe du Nord; ou au contraire dans le modèle méditerranéen : les individus sont engagés dans plusieurs événements, situations ou relations à la fois. Ces deux systèmes d'organisation sont logiquement et empiriquement tout à fait distincts. Et chacun a ses avantages et ses inconvénients. J'ai appelé "polychrone" le système qui consiste à faire plusieurs choses à la fois, et "monochrome", le système européen du Nord qui consiste, au contraire, à ne faire qu'une chose à la fois..."

 


Edward T.Hall, "Au-delà de la culture"

(Beyond Culture, 1976)

"Montrer que les institutions culturelles finissent par acquérir une existence autonome et par se retourner contre l’homme, tel est, ici, le propos de l’auteur de La Dimension cachée. Ce livre refuse le recours trop rapide à des explications politiques, sociologiques ou psychanalytiques. Loin des discours dominants, il remet discrètement en cause certaines idées reçues : il s’agit pour l’individu de dépasser les schémas culturels et les institutions qui le privent de la compréhension de ses possibilités et de ses limites, et l’enferment dans cette dureté à l’égard de l’autre et de lui-même." (Editions du Seuil)