Elizabeth Barrett-Browning (1806-1861), "Aurora Leigh" (1856) - Robert Browning (1812-1889), "Men and Women" (1855) - .......

Last update: 12/24/2016


Elisabeth Barrett et son mari Robert Browning peuvent être considérés, au XIXe siècle, comme les représentants les plus autorisés du mouvement romantique, aussi bien par leurs

ouvres poétiques que par leur mode de vie traduisant leurs aspirations d'écrivains....

 

This love even, all my worth, to the uttermost, 

I should not love withal, unless that thou 

Hadst set me an example, shown me how, 

When first thine earnest eyes with mine were crossed

 

Elisabeth, née dans une ferme de la campagne anglaise, le 6 mars 1805, était l'aînée d'une nombreuse famille. Sa première enfance s'écoula heureuse dans une riche et luxueuse demeure, aux coupoles et tourelles de style mauresque, érigée entre de basses collines, entourée de fontaines et de jardins somptueux. Son père, propriétaire de vastes plantations à la Jamaïque, avait dépensé sans compter pour cette construction fastueuse. De caractère étrange et despotique, d`une autorité tyrannique sur ses enfants, exigeant d'eux la même obéissance aveugle que celle qu'il obtenait de ses esclaves des terres lointaines, il n'en était  pas moins doué d'une vive intelligence et capable, de ce fait, d'encourager les dispositions naturelles de ses enfants. ll les aimait d'un amour opprimant et exclusif, préférant d'ailleurs entre tous Elisabeth, à cause de ses dons précoces. En effet, c'est à quatre ans que l'enfant compose ses premiers poèmes. Son père les lit avec fierté. Avec son frère préféré Edouard elle étudie le grec, le latin, le français, l'italien, tout en continuant à composer. Elle écrit des vers à chaque instant et sur tous les sujets, lit les plus grands poètes de toutes les époques et dans leur langue maternelle. Voici pourtant apparaître, dans cette existence studíeuse et heureuse du petit poète, l'ombre tragique qui va obscurcir le reste de son existence: une chute de cheval va entraîner pour elle une lésion de la colonne vertébrale, causant de douloureuses et exténuantes crises; il faut ajouter à cela un début de tuberculose qui la minera lentement au cours des années à venir. La jeune fille est confinée dans sa chambre à coucher, entre son lit et son fauteuíl et toute sa vie va être axée sur la poésie, seule évasion valable de la douleur et de la solitude de son âme, étouffée dans un milieu familial fermé et monotone.

Sa mère est, certes, douce et bienveillante, mais n'est d'aucun poids puisque la volonté du père domine despotiquement sur tous. Avec la mort de la mère, encore jeune, et au fur et à mesure que les enfants grandissent, la tyrannie du père s'accentue jusqu'à leur interdire tout contact avec le monde extérieur.

Mais Elisabeth parvient à s'évader, au moins spirituellement, en cultivant ses relations avec quelques voisins et en inaugurant un contact épistolaíre avec des savants et des gens de lettres, qui devait durer pendant toute son existence. Des périodes de légère amélioration se produisent par moments, lui permettant de sortir à la belle saison pour de brèves promenades, compensation aux longs mois pendant lesquels elle ne peut quitter sa chambre ni même son lit. Elle songe à se consacrer à la poésie comme une profession, afin de s'assurer ainsi une indépendance économique ...

 

Elizabeth Barrett (1806-1861) et Robert Browning (1812-1889)

Le 12 septembre 1846, Robert Browning, dramaturge érudit, tenu pour l'un des deux plus grands créateurs poétiques de l'Angleterre victorienne, nourri de littérature grecque et amateur passionné d'art italien, épousait en secret Élizabeth Barrett (1806-1861), une jeune femme, de nature fragile, qui avait été victime d'une chute de cheval et atteinte à la colonne vertébrale, restée confinée dans sa chambre de malade par un père possessif. Par compensation, elle transcenda son immobilité forcée en écrivant des vers aux images violentes qui la rendirent très tôt célèbre. Elizabeth Barrett avait à ce moment-là trente-neuf ans, six ans de plus que Browning; elle était beaucoup plus célèbre que lui dans le monde des lettres. Elle avait été un écrivain très précoce, écrivant son premier poème, "The Battle of Marathon: A Poem" à l'âge de quatorze ans. Puis étaient venus successivement d'autres poèmes, un" Essai sur L'Esprit" (1826), la traduction de "Prométhée enchaîné" d'Eschyle (1833), "Les Séraphins et autres poèmes" (1838), la légende d' 'Annelida et d'Arcite", d'après Chaucer (1841), enfin "Drame d'exil et autres poèmes" (1844), ce dernier recueil comprenant, outre l'histoire de l'exil dAdam et Eve chassés du Paradis, deux poèmes devenus à tout jamais fameux entre bien d'autres remarquables : "Cowper's Grave" et "The Cry of the Children" (1842). Plus tard seulement devaient venir les grands chefs-d'œuvre, les Sonnets du Portugais et Aurora Leigh. Mais c'était déjà assez pour qu'elle se fut fait une réputation qui la plaçait presque au premier rang des poètes anglais, assez pour que Browning pût deviner son génie...

"Paracelse" fut publié en 1835, cinq ans après les premiers poèmes de Tennyson. Browning avait alors 23 ans, une œuvre considérée encore par beaucoup de ses admirateurs comme la plus belle de celles qu'il ait écrites, mais elle ne fut pas comprise du grand public. Puis Browning entra en correspondance avec Elizabeth, et parvint, non sans peine, à la voir, demanda sa main et, devant le refus de Mr. Barrett, dut l'enlever, l'épouser et gagner l'Italie où ils vécurent quinze années de bonheur jusqu'à la mort de la jeune femme en 1861 (We all have sent our souls out from the north, On bare white feet which would not print nor bleed, To climb the Alpine passes and look forth, Where the low murmuring Lombard rivers lead..). Les "Sonnets de la Portugaise", écrits par Élizabeth Browning, sont le témoignage le plus célèbre de cet amour exceptionnel. Il faudrait y ajouter la singulière correspondance qu'elle échangea avec son futur mari ( Si je soignais mon style, dit-il lui-même, la sensation avec laquelle je vous écris, ne sachant pas que c'est écrire, avec vous en face de moi, vous, votre visage, votre bouche, vos cheveux, vos yeux, me touchant, sachant que tout est exactement comme je le dis, et aidant de votre propre intuition mes phrases imparfaites, tout cela s'en irait»). Et cet amour sut tout autant nourrir la poésie de Browning lui-même et inspirer directement certaines pièces, ainsi «Prospice» dans Dramatis Personae (1864). 

Une influence considérable. Un portrait encadré de Barrett Browning accroché dans la chambre de la poétesse américaine Emily Dickinson (1830-1886) témoignait à quel point l'existence de celle-ci avait été transfigurée par les oeuvres de «that Foreign Lady»...

Pourtant Browning était d'un conformisme achevé et ne de s'interroger sur la légitimité de son acte. Après la mort d'Élisabeth, il transposa cet acte dans l'histoire du chanoine Caponsacchi, qui délivre Pompilia du joug sévère de son mari, le comte Guido Franceschini (L'Anneau et le Livre, 1864), et dans «The Statue and the Bust» (un des cinquante et un monologues de "Men and Women", 1855) où l'amante recule sans cesse la date de l'enlèvement projeté par son amant, duc Ferdinand.  Robert Browning mourra à Venise en 1889 et reposera aux côtés d'Alfred, Lord Tennyson dans le «Poets' Corner» de l'abbaye de Westminster....

 

1835 - Elisabeth a maintenant 30 ans. Sa santé, qui s'était améliorée, se ressent du froid hivernal humide de Londres : sa famille a dû quitter la luxueuse résidence de Hope End à la suite de revers financiers et, après un long séjour dans une résidence de campagne bien plus modeste, elle s`est établie à Londres, où le père a ouvert un cabinet d'affaires. La voici à nouveau cloitrée dans sa chambre où, suivant la coutume de l'époque, les fenêtres hermétiquement closes ne laissent filtrer ni le moindre souffle d'air ni le plus petit rayon de soleil. Il ne faut donc pas s'étonner si la tuberculose fait des progrès, malgré les soins, dans cet organisme affaibli. Le médecin conseille de lui faire passer l'hiver sur les bords de la Méditerranée, mais le père s'oppose au départ du sa fille préférée. 

Enfin il décide de l'envoyer avec ses frères à Torquay, localité balnéaire des côtes d'Angleterre. C'est précisément là qu'un terrible malheur mène Elisabeth au seuil de la folie: son frère préféré, Edouard, qu'elle a insisté pour avoir auprès d'elle, se noie au cours d'une promenade en mer. Il ne lui reste comme réconfort que son activité littéraire. 

Elle commence d'ailleurs à être connue comme poète, depuis que l'héritage d'un oncle lui a permis de faire imprimer à ses frais un premier recueil de vers. M. Kenyon, un vieux cousin fort riche et cordial, aux relations importantes et nombreuses, fait connaître à la jeune femme les célébrités de passage à Londres. Les poésies lyriques d'Elisabeth apparaissent précisément dans les revues littéraires, et les critiques aussi bien que le public sont pleins d`intérêt pour le poète et sa vie de recluse. Dans sa riche demeure londonienne, elle passe les journées avec ses livres dans sa chambre, où quelques intimes seulement sont admis. Sa compagnie habituelle est un épagneul fauve Flush, que nous voyons toujours avec elle dans les peintures qui la représentent. Elie publie une série d'articles sur les poètes grecs, une autre sur les poètes anglais, et ses lyriques paraissent avec succès en Amérique. 

 

En 1842, Barrett Browning publiait le poème "The Cry of the Children", fustigeant le travail des enfants et contribuant ainsi à la réforme du travail des enfants en augmentant le soutien au projet de loi de dix heures de Lord Shaftesbury (1844), "Entendez-vous les enfants pleurer, ô mes frères", "Le vieil homme peut pleurer pour son lendemain, Qui se perd dans Il y a longtemps, Le vieil arbre est sans feuilles dans la forêt, La vieille année se termine dans le gel, La vieille blessure, si elle est frappée, est la plus douloureuse, L’ancien espoir est plus difficile à perdre :, Mais les jeunes enfants, ô mes frères, Vous leur demandez pourquoi ils sont debout Pleurant devant les seins de leurs mères, Dans notre heureuse patrie ? Ils regardent vers le haut avec leurs visages pâles et enfoncés, Et leurs regards sont tristes à voir, Pour le chagrin de l’homme odieux, attire et presse Sur les joues de l’enfance ..."

Do ye hear the children weeping, O my brothers,

Ere the sorrow comes with years ?

They are leaning their young heads against their mothers, 

And that cannot stop their tears.

The young lambs are bleating in the meadows ;

The young birds are chirping in the nest ;

The young fawns are playing with the shadows ;

The young flowers are blowing toward the west

But the young, young children, O my brothers,

They are weeping bitterly !

They are weeping in the playtime of the others,

In the country of the free.

Do you question the young children in the sorrow,

Why their tears are falling so ?

The old man may weep for his to-morrow

Which is lost in Long Ago

The old tree is leafless in the forest 

The old year is ending in the frost 

The old wound, if stricken, is the sorest 

The old hope is hardest to be lost :

But the young, young children, O my brothers,

Do you ask them why they stand

Weeping sore before the bosoms of their mothers,

In our happy Fatherland ?

They look up with their pale and sunken faces,

And their looks are sad to see,

For the man's grief abhorrent, draws and presses

Down the cheeks of infancy 

"Your old earth," they say, "is very dreary;"

"Our young feet," they say, "are very weak !"

Few paces have we taken, yet are weary

Our grave-rest is very far to seek !

Ask the old why they weep, and not the children,

For the outside earth is cold 

And we young ones stand without, in our bewildering,

And the graves are for the old !"

"True," say the children, "it may happen

That we die before our time !

Little Alice died last year her grave is shapen

Like a snowball, in the rime.

 

We looked into the pit prepared to take her 

Was no room for any work in the close day :

From the sleep wherein she lieth none will wake her,

Crying, 'Get up, little Alice ! it is day.'

If you listen by that grave, in sun and shower,

With your ear down, little Alice never cries ;

Could we see her face, be sure we should not know her,

For the smile has time for growing in her eyes, 

And merry go her moments, lulled and stilled in

The shroud, by the kirk-chime !

It is good when it happens," say the children,

"That we die before our time !"

Alas, the wretched children ! they are seeking

Death in life, as best to have !

They are binding up their hearts away from breaking,

With a cerement from the grave.

Go out, children, from the mine and from the city 

Sing out, children, as the little thrushes do 

Pluck you handfuls of the meadow-cowslips pretty

Laugh aloud, to feel your fingers let them through !

But they answer, " Are your cowslips of the meadows

Like our weeds anear the mine ?

Leave us quiet in the dark of the coal-shadows,

From your pleasures fair and fine!

"For oh," say the children, "we are weary,

And we cannot run or leap 

If we cared for any meadows, it were merely

To drop down in them and sleep.

Our knees tremble sorely in the stooping 

We fall upon our faces, trying to go ;

And, underneath our heavy eyelids drooping,

The reddest flower would look as pale as snow.

....

 


C'est en 1844 qu'elle publie enfin deux petits volumes de vers dont l'édition est très rapidement épuisée : Elisabeth Barrett vient d'entrer dans le cercle des poètes anglais de son siècle...

Parmi ces derniers se trouve Robert Browning : le jeune poète a grandi dans une famille aisée de la bourgeoisie, dont l'atmosphère est sereine et affectueuse. Choyé par ses parents et par une sœur qu'il aime, il trouve aussi dans son père, favorable aux arts et à la poésie, un stimulateur de ses dons et, à 12 ans, il a déjà composé un recueil de vers. Ce jeune poète mène une vie brillante et mondaine; il voyage dans toute l'Europe. Il publie ses premiers poèmes sous le titre "Cloches et Grenades". il est alors l'ami de tous les poètes et des hommes de lettres de son époque. Elisabeth, elle aussi, a lu ses vers et les a admirés. Une correspondance s`établít donc entre eux, encouragée par le cousin Kenyon; elle se poursuivra avec une assiduité presque quotidienne pendant près de deux ans, toujours plus intime et plus tendre, mais il faudra tout de même que deux ans se passent avant que les deux poètes se rencontrent effectivement.

L'amour naît des le premier instant entre ce jeune homme beau, brillant et élégant, et la frêle jeune fille aux grands yeux sombres, qui fait penser à une enfant malgré son âge réel. Les "Sonnets traduits du Portugais" d'Elisabeth expriment, en vers touchants, la naissance de cet amour. Les visites deviennent alors de plus en plus rapprochées, mais il faut les cacher au père qui, dans son affection morbide et exclusive, n'admet pas que ses enfants éprouvent des sentiments à l'égard d'étrangers....

 

1845 - Puis c'est un brusque tournant dans le destin de ces deux êtres: la santé d'Elisabeth ne s'améliore pas. Le médecin de famille, après consultation, déclare d'ailleurs que la jeune femme est condamnée. Elle doit au surplus changer de climat, mener une vie plus salutaire à l'air libre; il suggère un long séjour en Italie, à Pise. Chaque frère se déclare prêt à l'accompagner, mais, une fois de plus, la volonté paternelle inflexible s'oppose à cette mesure salutaire. C'est alors qu'Elisabeth se révolte contre cet égoïsme aveugle qui la condamne à une vie d'infirme. Elle vient d'avoir 40 ans. ll est temps, pour elle, de décider de sa destinée et Robert est fermement décidé à l'arracher à cet esclavage. Ils vont donc se marier secrètement, pour ne pas braver les foudres et l'opposition du père. Ils partiront ensemble vers l'ltalie, que Robert connaît déjà...

Le projet est mis au point dans le plus grand secret. Enfin les noces sont célébrées à l'insu de tous, et le 12 septembre 1846 une nouvelle vie commence .... 

Traversant la France dans un long voyage pour ne pas trop fatiguer Elisabeth, ils atteignent l'Italie et s'installent à Pise, où la jeune femme revit littéralement. Elle sait, par les lettres de ses soeurs et de ses amis, quels commentaires a provoqués en Angleterre leur mariage romantique.

L'année suivante, 1847, ils vont s'établir à Florence, qui deviendra leur seconde patrie. C'est là que naîtra leur enfant, et c'est là aussi que se réunira autour d'eux un cercle d'amis  anglais, américains et italiens, le peintre Frédéric Leighton ou le sculpteur américain Harriet Hosmer. Ce sont les années des guerres d'indépendance de l'Italie, et les Browning prennent part aux événements à la fois tristes et glorieux de cette guerre. ils manifestent ainsi leur attachement au pays qui les héberge. 

 

Elisabeth, de tout temps persuadée, comme nombre de romantiques, du caractère messianique des poètes, se propose de faire connaître à l'Angleterre la dure condition du peuple italien sous la tyrannie autrichienne, sa lutte douloureuse pour la liberté, et elle commence un petit poème, "Les fenêtres de la Maison Guídi", où elle retrace dlune façon poétique les événements auxquels elle a assisté de sa maison de Florence. Dans la première partie, elle fait part des réactions des Florentins quand le grand-duc Léopold promet à son Duché une Constitution libérale. Dans la seconde partie, elle expose l'amère déception de la ville à la suite de l'insuccès du grand-duc. Elisabeth ressent vivement les événements, et son état d'âme, dans les fluctuations où elle participe à la joie ou au désespoir des Italiens, traduit celui de ses compatriotes d'adoption. C'est à Florence que Robert Browning a composé les lyriques "Hommes et Femmes" et qu'Elisabeth a écrit l'oeuvre la plus importante de sa vie, "Aurora Leigh"....

 

CASA GUIDI WINDOWS.

PART I.

 

I heard last night a little child go singing

‘Neath Casa Guidi windows, by the church,

O bella liberta, O bella! –stringing

The same words still on notes he went in search

So high for, you concluded the upspringing

Of such a nimble bird to sky from perch

Must leave the whole bush in a tremble green,

And that the heart of Italy must beat,

While such a voice had leave to rise serene

‘Twixt church and palace of a Florence street:

A little child, too, who not long had been

By mother’s finger steadied on his feet,

And still O bella liberta he sang.

 

Then I thought, musing, of the innumerous

Sweet songs which still for Italy outrang

From older singers’ lips who sang not thus

Exultingly and purely, yet, with pang

Fast sheathed in music, touched the heart of us

So finely that the pity scarcely pained.

I thought how Filicaja led on others,

Bewailers for their Italy enchained,

And how they called her childless among mothers,

Widow of empires, ay, and scarce refrained

Cursing her beauty to her face, as brothers

Might a shamed sister’s,–“Had she been less fair

She were less wretched;”–how, evoking so

From congregated wrong and heaped despair

Of men and women writhing under blow,

Harrowed and hideous in a filthy lair,

Some personating Image wherein woe

Was wrapt in beauty from offending much,

They called it Cybele, or Niobe,

Or laid it corpse-like on a bier for such,

Where all the world might drop for Italy

Those cadenced tears which burn not where they touch,–

“Juliet of nations, canst thou die as we?

And was the violet crown that crowned thy head

So over-large, though new buds made it rough,

It slipped down and across thine eyelids dead,

O sweet, fair Juliet?” Of such songs enough,

Too many of such complaints! behold, instead,

Void at Verona, Juliet’s marble trough:

As void as that is, are all images

Men set between themselves and actual wrong,

To catch the weight of pity, meet the stress

Of conscience,–since ‘t is easier to gaze long

On mournful masks and sad effigies

Than on real, live, weak creatures crushed by strong.

 

For me who stand in Italy to-day

Where worthier poets stood and sang before,

I kiss their footsteps yet their words gainsay.

I can but muse in hope upon this shore

Of golden Arno as it shoots away

Through Florence’ heart beneath her bridges four:

Bent bridges, seeming to strain off like bows,

And tremble while the arrowy undertide

Shoots on and cleaves the marble as it goes,

And strikes up palace-walls on either side,

And froths the cornice out in glittering rows,

With doors and windows quaintly multiplied,

And terrace-sweeps, and gazers upon all,

By whom if flower or kerchief were thrown out

From any lattice there, the same would fall

Into the river underneath, no doubt,

It runs so close and fast ‘twixt wall and wall.

How beautiful! the mountains from without

In silence listen for the word said next.

What word will men say,–here where Giotto planted

His campanile like an unperplexed

Fine question Heavenward, touching the things granted

A noble people who, being greatly vexed

In act, in aspiration keep undaunted?

What word will God say? Michel’s Night and Day

And Dawn and Twilight wait in marble scorn

Like dogs upon a dunghill, couched on clay

From whence the Medicean stamp’s outworn,

The final putting off of all such sway

By all such hands, and freeing of the unborn

In Florence and the great world outside Florence.

Three hundred years his patient statues wait

In that small chapel of the dim Saint Lawrence:

Day’s eyes are breaking bold and passionate

Over his shoulder, and will flash abhorrence

On darkness and with level looks meet fate,

When once loose from that marble film of theirs;

The Night has wild dreams in her sleep, the Dawn

Is haggard as the sleepless, Twilight wears

A sort of horror; as the veil withdrawn

‘Twixt the artist’s soul and works had left them heirs

Of speechless thoughts which would not quail nor fawn,

Of angers and contempts, of hope and love:

For not without a meaning did he place

The princely Urbino on the seat above

With everlasting shadow on his face,

While the slow dawns and twilights disapprove

The ashes of his long-extinguished race

Which never more shall clog the feet of men.

I do believe, divinest Angelo,

That winter-hour in Via Larga, when

They bade thee build a statue up in snow

And straight that marvel of thine art again

Dissolved beneath the sun’s Italian glow,

Thine eyes, dilated with the plastic passion,

Thawing too in drops of wounded manhood, since,

To mock alike thine art and indignation,

Laughed at the palace-window the new prince,–

(“Aha! this genius needs for exaltation,

When all’s said and however the proud may wince,

A little marble from our princely mines!”)

I do believe that hour thou laughedst too

For the whole sad world and for thy Florentines,

After those few tears, which were only few!

....

 


SONNETS FROM THE PORTUGUESE, Elizabeth Browning (1847)

Recueil de quarante-trois sonnets d'amours passionnés, une poétesse, épouse et amante qui chante, avec une ferveur contenue par le formalisme du sonnet, toute l'histoire de son âme transcendée par l'amour.

"Catarina to Camoens" était le préféré de Robert Browning...

 

No Death, but Love ...

 

I

I THOUGHT once how Theocritus had sung

Of the sweet years, the dear and wished-for years.

Who each one in a gracions hand appears

To bear a gift for mortals, old or young :

And, as I mused it in his antique longue. 

I saw, in graduai vision through my tears, 

The sweet, sad years, the melancholy years,... 

Those of my own life, who by turns had flung

A shadow across me. Straightway I was 'ware, 

So weeping, how a mystic Shape did move 

Behind me, and drew me backward by the hair ;

And a voice said in mastery while I strove....

«Guess now who holds thee ?»— «Death !» I said. But, there,

The silver answer rang... «Not Death, but Love.»

 

 

 

 

Songeant un jour comment Théocrite chantait 

Les temps heureux d'espoir, de désir, les années 

Dont chacune, en ses mains vers nos appels tournées. 

Porte aux mortels les dons que leur cœur souhaitait, —

Tandis qu'aux vers du vieux poète s'arrêtait 

Mon esprit, sous mes pleurs lentement évoquées, 

J'eus la chère vision de mes tristes années, 

Dont chacune en passant d'une ombre me couvrait.

Mais tout à coup sentit mon âme douloureuse 

Que vers moi se glissait un Esprit grave et fort ; 

Par les cheveux me prit sa main mystérieuse,

Puis en maître il parla, dédaignant mon effort :

«Devine qui te tient ?» — « C'est la Mort ! » Mais rieuse

La voix: d'argent chanta : « C'est l'Amour, non la Mort.»

 



VII

The face of ail the world is changed. I think, 

Since first I heard the footsteps of thy soul 

Move still, oh, still, beside me ; as they stole 

Betwixt me and the dreadful outer brink

Of obvious death, where I who thought to sink 

Was caught up into love, aud taught the whole 

Of life in a new rhythm. The cup of dole 

God gave for baptism, I am fain to drink.

And praise its sweetness, Sweet, with thee anear. 

The names of country, heaven, are changed away 

For where thou art or shalt be, there or here ;

And this. . . this luth and song. . . lovedyesterday, 

(The singing angels know) are only dear, 

Because thy name moves right in what they say.

 

VII

La face de ce monde est changée à ma vue, 

Depuis que j'ai d'abord entendu s'approcher 

Si doucement les pas de ton âme, et cacher 

L'abîme de la mort béant. Quand éperdue

J'allais tomber, l'Amour, de sa main étendue, 

Me saisit, m'entoura, puis m'apprit à aimer 

La vie en un rythme nouveau. Sans hésiter 

Vidant la coupe amère à mes lèvres tendue

Par Dieu, près de toi, Cher, je la trouverai chère. 

Patrie et Ciel, ce sont les seuls lieux désormais 

Où tu es ou seras, là -haut ou sur la terre ;

Et ce luth et ces chants, que naguère j'aimais, 

(Anges chanteurs, vous le savez ! ) n'ont pour me plaire 

Que ton nom, dit par eux en des accents parfaits.

 



XIII

And wilt Ihou have me fashion into speech 

The love I bear thee, finding words enough. 

And hold the torch out. while Ihe winds are rough, 

Between our faces, to cast light on each?—

I drop it at thy feet. I cannot teach

My hand to hold my spirit so far off

From myself ... me ... that I should bring thee proof

In words, of love hid in me out of reach.

Nay, let the silence of my womanhood 

Commend my woman-love to thy belief, — 

Seeing that I stand unwon, however wooed,

And rend the garment of my life, in brief , 

By a most dauntless. voiceless fortitude. 

Lest one touçb of this heart convey its grief.

 

XIII

Et tu voudrais me voir façonner en langage 

L'amour que j'ai pour toi, trouver assez de mots, 

Et, sous les rudes vents, élever un flambeau 

Qui couvre de lueur notre double visage ?

Je le jette à tes pieds. Je ne puis voir l'image 

De mon âme, comme un miroir en traits égaux 

Reproduit une face... Hélas ! par quels propos 

De mon amour secret te donner quelque gage ?

Non ; mais que seulement mon silence de femme 

Dise un amour de femme, et le prouve à ta foi; — 

Car, sans fléchir, j'entends des paroles de flamme.

Et je livre ma vie au malheur, sans effroi, 

Vaillante et grande en ma muette force d'âme : 

Mon cœur crierait sa peine au toucher de ton doigt.

 



How do I love thee? Let me count the ways (XLII)

Comment je t'aime ? J'en veux dire la manière ...

 

How do I love thee? Let me count the ways.

I love thee to the depth and breadth and height

My soul can reach, when feeling out of sight

For the ends of Being and ideal Grace.

I love thee to the level of everyday's

Most quiet need, by sun and candle-light.

I love thee freely, as men strive for Right;

I love thee purely, as they turn from Praise.

I love thee with a passion put to use

In my old griefs, and with my childhood's faith.

I love thee with a love I seemed to lose

With my lost saints, - I love thee with the breath,

Smiles, tears, of all my life! - and, if God choose,

I shall but love thee better after death.

 

Comment je t'aime ? J'en veux dire la manière : 

Je t'aime d'un amour profond, haut et puissant, 

Tel que mon âme en peut sentir, quand, loin des sens 

Elle monte vers l'Etre et la Grâce dernière ;

Je t'aime d'affectioh tranquille et familière, 

Propre à servir aux soins du jour utilement; 

Je t'aime, comme on sert le bon droit, librement ; 

Je t'aime purement, aux honneurs étrangère ;

Je t'aime des ardeurs autrefois apportées - 

A ma foi juvénile, ou mes jeunes douleurs ;

Je t'aime des feux que mes saintes délaissées

M'inspiraient autrefois ; je t'aime avec les pleurs,

Le souffle, les bonheurs de toutes mes années ;

Et, morte, si Dieu veut, t'aimerai plus ailleurs.

 

 



Elizabeth Barrett Browning – The anniversary : « I love thee to the level of every day's most quiet need » (Sonnets portugais, no XLIII). Tableau d'Albert Chevallier Tayler – 1909.


AURORA LEIGH, Elizabeth Browning (1855)

"Of writing many books there is no end ; And I who have written much in prose and verse 

For others' uses, will write now for mine" - Poème-roman d'Elizabeth Barrett Browning contant l'histoire de la vie d'Aurora Leigh, une orpheline, studieuse, éprise de poésie, élevée chez une tante, où elle ne sent pas bien. Elle rencontre souvent son riche cousin Romney Leigh, arrogant, dogmatique, mais philanthrope, qui lui propose de l'épouser. Aurora refuse, blessée par la proposition de Romney qui cherche plus une compagne qu'une maîtresse. Elle se rend à Londres où elle gagne sa vie en écrivant. Pendant ce temps, Romney demande à la pauvre fille d'un vagabond, Marian Erle, qu'il a sauvé de la misère, de devenir sa femme, mais ce mariage ne se fait pas non plus. Romney subit alors des revers de fortune et devient aveugle. C'est alors qu'Aurora accepte de devenir sa femme et la vraie compagne de sa vie. Le poème est écrit en "blank verse" et on a pu lui reprocher sa prolixité. Teneur inégale certes, mais d'une richesse indéniable, oscillant entre réalité du quotidien et réflexions philosophiques...

(John White Alexander, "Aurora Leigh", 1904, Carnegie museum of art)

 

Vers la fin du poème, Aurora se décrira comme «Une femme telle que Dieu a fait les femmes Pour sauver les hommes par l'amour», a woman, such As God made women, to save men by love ...

 

To break in laughter, as the sea along 

A melancholy coast, and float up higher,

In such a laugh, their fatal weeds of love !

Ay, fatal, ay. And who shall answer me,

Fate has not hurried tides ; and if to-night 

My letter would not be a night too late,

An arrow shot into a man that’s dead,

To prove a vain intention ? Would I show 

The new wife vile, to make the husband mad ?

No, Lamia ! shut the shutters, bar the doors 

From every glimmer on thy serpent-skin !

I will not let thy hideous secret out 

To agonize the man I love - I mean 

The friend I love . . as friends love.

It is strange,

To-day while Marian told her story, like 

To absorb most listeners, how I listened chief 

To a voice not hers, nor yet that enemy’s,

Nor God’s in wrath, . . but one that mixed with mine

Long years ago, among the garden-trees,

And said to me , to me too, “ Be my wife,

Aurora ! ” It is strange, with what a swell

Of yearning passion, as a snow of ghosts

Might beat against the impervious doors of heaven,

I thought, “Now, if I had been a woman, such 

As God made women, to save men by love,—

By just my love I might have saved this man,

And made a nobler poem for the world 

Than all I have failed in.” But I failed besides 

In this ; and now he's host! through me alone !

And, by my only fault, his empty house 

Sucks in, at this same hour, a wind from hell 

To keep his hearth cold, make his casements creak 

For ever to the tune of plague and sin—

O Romney, O my Romney, O my friend !

 

"MEN AND WOMEN" (Hommes et Femmes), Robert Browning (1855)

Cinquante-et-un monologues dramatiques réduits à treize poèmes en 1868, dont les fameux "Andrea del Sarto" (The Faultless Painter), "Fra Lippo Lippi", dont l'intensité expressive lui valut d'être reconnu par le critique John Ruskin comme le plus grand poète anglais après Shakespeare. C'est une réalité psychologique qu'il parvient à mettre en vers, et c'est au travers de ces monologues dramatiques que Browning ne cesse de s'interroger sur la religion, avec un auditoire unique, sa femme bien-aimée, Elizabeth Barrett Browning, l'art est ici plus facile d'accès que l'écriture...

 

But do not let us quarrel any more,

No, my Lucrezia; bear with me for once:

Sit down and all shall happen as you wish.

You turn your face, but does it bring your heart?

I'll work then for your friend's friend, never fear,

Treat his own subject after his own way,

Fix his own time, accept too his own price,

And shut the money into this small hand

When next it takes mine. Will it? tenderly?

Oh, I'll content him,—but to-morrow, Love!

I often am much wearier than you think,

This evening more than usual, and it seems

As if—forgive now—should you let me sit

Here by the window with your hand in mine

And look a half-hour forth on Fiesole,

Both of one mind, as married people use,

Quietly, quietly the evening through,

I might get up to-morrow to my work

Cheerful and fresh as ever. Let us try.

To-morrow, how you shall be glad for this!

Your soft hand is a woman of itself,

And mine the man's bared breast she curls inside.

Don't count the time lost, neither; you must serve

For each of the five pictures we require:

It saves a model. So! keep looking so—

My serpentining beauty, rounds on rounds!

—How could you ever prick those perfect ears,

Even to put the pearl there! oh, so sweet—

My face, my moon, my everybody's moon,

Which everybody looks on and calls his,

And, I suppose, is looked on by in turn,

While she looks—no one's: very dear, no less.

You smile? why, there's my picture ready made,

There's what we painters call our harmony!

A common greyness silvers everything,—

All in a twilight, you and I alike

—You, at the point of your first pride in me

(That's gone you know),—but I, at every point;

My youth, my hope, my art, being all toned down

To yonder sober pleasant Fiesole.

There's the bell clinking from the chapel-top;

That length of convent-wall across the way

Holds the trees safer, huddled more inside;

The last monk leaves the garden; days decrease,

And autumn grows, autumn in everything.

 

Eh? the whole seems to fall into a shape

As if I saw alike my work and self

And all that I was born to be and do,

A twilight-piece. Love, we are in God's hand.

How strange now, looks the life he makes us lead;

So free we seem, so fettered fast we are!

I feel he laid the fetter: let it lie!

This chamber for example—turn your head—

All that's behind us! You don't understand

Nor care to understand about my art,

But you can hear at least when people speak:

And that cartoon, the second from the door

—It is the thing, Love! so such things should be—

Behold Madonna!—I am bold to say.

  I can do with my pencil what I know,

What I see, what at bottom of my heart

I wish for, if I ever wish so deep—

Do easily, too—when I say, perfectly,

I do not boast, perhaps: yourself are judge,

Who listened to the Legate's talk last week,

And just as much they used to say in France.

At any rate 'tis easy, all of it!

No sketches first, no studies, that's long past:

I do what many dream of, all their lives,

—Dream? strive to do, and agonize to do,

And fail in doing. I could count twenty such

On twice your fingers, and not leave this town,

Who strive—you don't know how the others strive

To paint a little thing like that you smeared

Carelessly passing with your robes afloat,—

Yet do much less, so much less, Someone says,

(I know his name, no matter)—so much less!

Well, less is more, Lucrezia: I am judged.

There burns a truer light of God in them,

In their vexed beating stuffed and stopped-up brain,

Heart, or whate'er else, than goes on to prompt

This low-pulsed forthright craftsman's hand of mine.

Their works drop groundward, but themselves, I know,

Reach many a time a heaven that's shut to me,

Enter and take their place there sure enough,

Though they come back and cannot tell the world.

My works are nearer heaven, but I sit here.

The sudden blood of these men! at a word—

Praise them, it boils, or blame them, it boils too.

I, painting from myself and to myself,

Know what I do, am unmoved by men's blame

Or their praise either. 

....



En 1851, les Browning, après une absence de cinq ans, reviennent en Angleterre, où le couple est devenu célèbre; il  est accueilli avec transport par la famille, et avec joie par les amis. Seul le père Barrett, muré dans sa rancœur, ne pardonne pas à sa fille et lui retourne ses lettres. Quand ils repartent en Italie, une halte à Paris permet aux deux poètes de connaître les milieux littéraires français. 

Au cours des années suivantes, les voyages entre Italie, France et Angleterre se multiplient, mais la base de départ demeure toujours la maison de Florence où ils se consacrent sereinement à leur travail. Robert compose un ensemble de poèmes lyriques (Hommes et femmes), tandis qu'Elisabeth est toute à sa création " Aurora Leigh", une sorte de roman en vers où elle présente, dans une langue spontanée, les nombreux aspects et problèmes de la vie. Le livre, paru en 1856, connaît un véritable triomphe. Ruskin le jugera, avec quelque peu d'emportement, comme le jus grand poème du siècle. La critique moderne, plus modérée, reconnaît pourtant à cette œuvre une vérité et une beauté réelles des maximes ainsi qu'une certaine délicatesse nuancée dans les descriptions du paysage anglais.

Dans l'intervalle, et après des années d`amélioration inespérée, la santé d'Elisabeth décline rapidement. Elle a reçu un grand choc à la mort de son père qui, même au dernier souffle, a refusé de se réconcilier avec sa fille, lui infligeant pour le reste de ses jours un remords immérité. 

A nouveau dans le salon des Guidi nous la trouvons avec son mari, son fils et des amis, animée d'une passion croissante devant les événements politiques de 1859. lls lui inspirent de nouveaux vers, parus sous le titre de "Poèmes devant un Congrès". Dans la préface de ce volume, l'auteur insère un appel pressant à l'Angleterre pour qu'elle participe plus activement à la cause de l'indépendance italienne; dans ses poèmes elle parle de Napoléon III comme d'un homme envoyé par Dieu pour sauver l'ltalie et ses enfants malheureux. 

Au cours de ses dernières années, Elisabeth mène une vie de plus en plus effacée tandis que Robert, par amour pour sa femme, sacrifie son talent créateur à la collaboration au succès d'Elisabeth. La vie abandonne peu à peu ce frêle poète. C'est seulement l'amour inlassable de son époux qui la soutiendra jusqu'à la mort, qui survient le 29 juin 1861. Elisabeth Barrett Browning est enterrée à Florence, tandis que Robert Browning, revenu en Angleterre pour continuer son œuvre de poète, mourut à Venise, après un séjour de quelques années, le 12 décembre 1889...

 

"THE RING AND THE BOOK", Robert Browning (1868-1869)

L'ANNEAU ET LE LIVRE est l'œuvre poétique principale de Robert Browning, inspiré d'un livre acheté à Florence, The Old Yellow Book, et qui relatait un procès pour assassinat qui avait eu lieu à Rome en 1698. Le titre illustre le travail du poète qui, tel un orfèvre, doit mêler à l'or pur du vieux livre qui suit trop crûment les faits, l'alliage de son imagination et de ses capacités émotionnelles. Une oeuvre poétique de quelque vingt mille vers répartis en douze livres, chaque livre se composant d’un monologue dramatique dans la voix d’un personnage différent impliqué dans l’histoire. On a admiré l'immense virtuosité du poète, qui, loin de toute convention, décline chaque poème en une forme qui lui est singulière, tout en ne perdant jamais la situation telle qu'elle leur apparaît. Et ce, dans un contexte social tour à tour indifférent et cynique : le plus souvent en fin de compte ces institutions ultimes que sont l’Église et l’État, ne fonctionnent pas pour la justice, mais pour le maintien de superficialités égoïstes, et plus personne ne sait distinguer le bien du mal (cf Livres VIII et IX).

C’est la tentative la plus ambitieuse et la plus réussie, ajoute-t-on, dans la littérature anglaise, "Paradise Lost" mise à part, pour justifier les voies de Dieu à l’être humain....

En 1679, un vieux ménage, Pietro et Violante Comparini, vivait à Rome et, bien que disposant de bons revenus, s'étaient endettés. Pour que leur capital puisse revenir à un héritier, ils adoptèrent la fille d`une femme de mauvaise vie, Pompilia. Se trouvait alors à Rome un gentilhomme pauvre d'une cinquantaine d'années, le comte Guido Franceschini d`Arezzo, en quête d'un mariage avantageux pour reconstituer son patrimoine. Estimant Pompilia très riche, il la demanda en mariage, obtint sa main des Comparini qui, de leur côté, croyaient le comte à la tête d'une fortune conséquente. Après les noces, tous les quatre vécurent à Arezzo, mais rapidement Pietro et Violante retournèrent à Rome. C'est que chacun avait découvert l'état véritable de leur fortune respective. Guido décida de se défaire de sa femme et il l'accusa de lui être infidèle et d'aimer le chanoine Giuseppe Caponsacchi. Pompilia, qui incarne à elle seule toute la teneur émotionnelle du poème, n'obtint aucune protection de l'archevéque et du gouverneur alors qu'elle était enceinte. Elle se décide à fuir vers Rome mais est rattrapée à Castelnuovo et conduits à la prison Neuxe de Rome, en attendant d'être jugés pour adultère. Sur le point d'accoucher, elle est conduite chez les Comparini. Mais le comte Guido les fait alors tous les trois assassinés. Pris sur le fait, est traîné devant les tribunaux, jugé, condamné, tente de faire appel, mais repousse tout secours lorsque vient l'heure du supplice...

 

"Thought ? ' nay, Sirs, what shall follow was not thought" (VI-922-988) - Pensée ? Non, Messieurs, ce qui suivra n’a pas été pensé : J’ai réfléchi parfois et longuement. Je me suis déjà tenu debout, tourné autour d’une chose sérieuse,  J’ai demandé à tout mon esprit de le toucher et de le cerner, Alors que j’étire mon bras pour toucher cette limite . Dieu et l’homme, et quel devoir je dois aux deux...  J’ose dire que j’ai les affronté En pensée : mais aucune faculté de ce genre n’a aidé ici... - Le monologue de Giuseppe Caponsacchi répond à la conversion de Browning, l’âme est entraînée dans une nouvelle sphère, loin des conditions les plus concrètes de notre exsitence, et dans ce cadre, Caponsacchi découvre par là-même dans l’âme pure de Pompilia ..

 

Afterward, — oh !  I gave a passing glance

To a certain ugly cloud-shape, goblin-shred

Of hell-smoke hurrying past the splendid moon

Out now to tolerate no darkness more,

And saw right through the thing that tried to pass

For truth and solid, not an empty lie :

So, he not only forged the words for her

But words for me, made letters he called mine :

What I sent, he retained, gave these in place,    

All by the mistress-messenger !  As I

Recognized her, at potency of truth,

So she, by the crystalline soul, knew me,

Never mistook the signs.  Enough of this —

Let the wraith go to nothingness again,

Here is the orb, have only thought for her !

Thought ? ' nay, Sirs, what shall follow was not thought :

I have thought sometimes, and thought long and hard. 

I have stood before, gone round a serious thing,

 Tasked my whole mind to touch and clasp it close, 

As I stretch forth my arm to touch this bar. 

God and man, and what duty I owe both, — 

I dare to say I have confronted these 

In thought :  but no such faculty helped here. 

I put forth no thought, — powerless, all that night 

I paced the city : it was the first Spring. 

By the invasion I lay passive to, 

In rushed new things, the old were rapt away ; 

Alike abolished — the imprisonment 

Of the outside air, the inside weight o' the world 

That pulled me down.  Death meant, to spurn the ground,

Soar to the sky, — die well and you do that. 

The very immolation made the bliss ; 

Death was the heart of life, and all the harm 

My folly had crouched to avoid, now proved a veil 

Hiding all gain my wisdom strove to grasp : 

As if the intense centre of the fflame 

Should turn a heaven to that devoted fly 

Which hitherto, sophist alike and sage, 

Saint Thomas with his sober grey goose-quill,    

And sinner Plato by Cephisian reed,

Would fain, pretending just the insect's good,

Whisk off, drive back, consign to shade again.

Into another state, under new rule

I knew myself was passing swift and sure ;

Whereof the initiatory pang approached,

Felicitous annoy, as bitter-sweet

As when the virgin-band, the victors chaste,

Feel at the end the earthly garments drop,

And rise with something of a rosy shame 

Into immortal nakedness : so I

Lay, and let come the proper throe would thrill

Into the ecstacy and outthrob pain.

I' the grey of dawn it was I found myself 

Facing the pillared front o' the Pieve — mine, 

My church : it seemed to say for the first time

But am not I the Bride, the mystic love

O' the Lamb, who took thy plighted troth, my priest,

To fold thy warm heart on my heart of stone

And freeze thee nor unfasten any more ? 

This is a fleshly woman, — let the free

Bestow their life-blood, thou art pulseless now ! 

See !  Day by day I had risen and left this church

At the signal waved me by some foolish fan,

With half a curse and half a pitying smile

For the monk I stumbled over in my haste,

Prostrate and corpse-like at the altar-foot

Intent on his corona : then the church

Was ready with her quip, if word conduced,

To quicken my pace nor stop for prating — There !

Be thankful you are no such ninny, go 

Rather to teach a black-eyed novice cards

Than gabble Latin and protrude that nose

moothed to a sheep's through no brains and much faith ! 

That sort of incentive !  Now the church changed tone —

Now, when I found out first that life and death 

Are means to an end, that passion uses both, 

Indisputably mistress of the man 

Whose form of worship is self-sacrifice — 

Now, from the stone lungs sighed the scrannel voice

Leave that live passion, come be dead with me !