- "Ultraísmo" - Vicente Huidobro  (1893-1948), "Altazor" (1931) -  Rafael Cansinos-Asséns (1882-1964), "El movimiento V.P." (1921) - Joan Salvat-Papasseit (1894-1924) - Gerardo Diego (1896-1987) - Juan Larrea (1895-1980) - Guillermo de Torre (1899-1971), "Manifiesto ultraista: Vertical" (1920) - Ramón Gómez de La Serna (1888-1963),  "Greguerías" (1917), - ...

- "Generación del 27" - Pedro Salinas (1891-1951),  "La voz a ti debida" (1933) - Jorge Guillén (1893-1984), "Cantico" (1928-1950) - Gerardo Diego (1896-1987), "Poesía española contemporánea 1915-31" - Dámaso Alonso (1898-1990) - Vicente Aleixandre (1898-1984) - Emilio Prados (1899-1962) - Rafael Alberti (1902-1999) - Luis Cernuda (1902-1963), "La Realidad y el Deseo" - Manuel Altolaguirre (1905-1959)....

Last update : 01/12/2017


ULTRAISMO?

L'ultraïsme (Ultraísmo) est l'une de ces avant-gardes (movimiento literario de vanguardia) qui constellent l'Europe des années 1920/1930 et s'interpénètrent les unes les autres. Mais ce mouvement poétique lancé en Espagne en 1918 entend quant à lui passer outre (ultra) toutes les écoles et mouvements de l'époque tels que la Generación del 98, mais aussi futurisme, cubisme, dadaïsme, et surréalisme qui, en fin de compte, les emporta tous. Le "Manifiesto vertical ultraista" (1920) de Guillermo de Torre entend être "une rafale d'air pur pénétrant dans une chambre somnolente", rechercher images les plus surprenantes et métaphores les plus brillantes dans la conception de poèmes, les plus "purs" possibles ("Les poèmes sont des incendies, des décharges électriques..).

L'influence de l'ultraïsme est non seulement décisive en Espagne, - la "génération de 1927", F. García Lorca, G. Diego, P. Salinas, mais aussi J. Ortega y Gasset (La Deshumanización del arte, 1925) ne sont pas insensibles à ses enthousiasmes, et gagne toute l'Amérique du Sud, l'Argentine, le Mexique, Cuba.. L'ultraïsme publie très peu d'ouvrages, - "Imagen" (1922) de Gerardo Diego (1896-1987), "Helices" (1923) de Guillermo de Torre (1899-1971), principale figure du mouvement, "Galería de espejos" (1919), de Rafael Lasso de la Vega (1890-1959), "Signario" (1923) de Antonio Espina (1894-1972) -, mais se disperse en nombre de revues éphémères, aussi radicales les unes que les autres, s'adonnant à toutes les polémiques et luttes intestines possibles pour disparaître en 1926-1927.


Vicente Huidobro  (1893-1948)
L'ultraïsme débouche sur le créacionisme, créé à Paris par le poète chilien Vicente Huidobro  (1893-1948) et le poète français Reverdy. Une même ambition associe ces deux mouvements simultanés. "Faire un art qui n'imite pas et ne traduise pas la réalité", "Faire un poème comme la nature fait un arbre", mais surtout,  "Tout ce qui passe à travers l'organisme du poète doit prendre la plus grande quantité de sa chaleur : ici, une chose vaste, énorme comme l'horizon, s'humanise, devient initime, filiale avec l'adjectif carré. L'infini rentre dans le nid de notre coeur." Vicente Huidobro vit à Paris entre 1917 et 1925, fréquente Picasso et Arp, entend conférer à la parole une signification magique, joue le rôle de facilitateur métaphorique éphémère dans un milieu artistique en effervescence et en attentes mutuelles d'imprévu, à Paris comme à Madrid, où Huidobro débarque en 1918.

 

 "Altazor" (o el viaje en paracaídas), publié en 1931, est l'ouvrage le plus connu de Vicente Huidobro.

 

No hay tiempo que perder
Y si viene el instante prosaico    
Siga el barco que es acaso el mejor
Ahora que me siento y me pongo a escribir
Qué hace la golondrina que vi esta mañana
¿Firmando cartas en el vacío?
Cuando muevo el pie izquierdo    
¿Qué hace con su pie el gran mandarín chino?
Cuando enciendo un cigarro
¿Qué hacen los otros cigarros que vienen en el barco?
¿En dónde está la planta del fuego futuro?
Y si yo levanto los ojos ahora mismo    
¿Qué hace con sus ojos el explorador de pie en el polo?
Yo estoy aquí
¿En dónde están los otros?
Eco de gesto en gesto
Cadena electrizada o sin correspondencias    
Interrumpido el ritmo solitario
¿Quiénes se están muriendo y quiénes nacen
Mientras mi pluma corre en el papel?

Il n’y a pas de temps à perdre
Et si l’instant banal survient
Qu’il suive la meilleure voile.
Maintenant que je m’assieds et me mets à écrire
Que fait l’hirondelle que j’ai vue ce matin
Signer des lettres dans le vide?
Quand je bouge le pied gauche
Que fait du même pied le mandarin chinois?
Lorsque j’allume un cigare
Que font les autres cigares qu’apportent le navire?
Où pousse la plante qui brûlera plus tard?
Et si je lève les yeux maintenant
Que fait de ses yeux l’explorateur debout sur le pôle?
Je suis ici
Où sont les autres?
Echo de geste en geste
Chaîne électrisée ou inerte
Rupture du rythme solitaire
Quels sont ceux qui meurent et ceux qui naissent
Pendant que ma plume court sur le papier?



Ramón Gómez de la Serna, dit Ramón (1888-1963)
Né à Madrid, Ramón Gómez de la Serna est le point de départ de toute l'avant-garde espagnole du début du XXe siècle. Possédant une faculté d'invention peu commune et dominant le Madrid des années 1920 depuis sa célèbre table du café Pombo, entouré de sa "tertulia", au 4 de la rue Velazquez, dont la conversation, les rites, les jeux et les proclamations sont aujourd'hui entrés dans l'histoire littéraire, Ramón joue un rôle essentiel dans cette Espagne agitée par le bouillonnement anarchosyndicaliste et traumatisée par la Semaine tragique qui suivit le déclenchement de la troisième guerre avec le Maroc. Il parle et écrit, sans arrêt, du théâtre, "El teatro en soledad", drame dans le drame, des romans (El doctor inverosímil (1914-1921), El torero Caracho, 1926), de faux romans (Seis falsas novelas, 1926), des nouvelles, des essais (Ensayo sobre lo cursi, 1931), des lettres souvent adressées à lui-même, des préfaces à des traductions, des portraits d'écrivains, de rues et de places, des livres d'art (Goya, Gutiérrez Solana), des biographies.. mais il est resté célèbre pour un genre qu'il créa, la "greguería", sentences produites spontanément par le télescopage, la collision, de la pensée et de la réalité ("metáfora más humor"), soudaine association de deux images, d'un concept et d'une image, d'une relation logique, produisant une formule lapidaire exprimant le plus souvent l'étrangeté ou l'absurdité de l'existence. Par la suite, à la fin des années 1920, Ramón  quitte l'Espagne, parcourt l'Europe et s'installe en 1936 à Buenos Aires jusqu'à sa mort.

 

Greguerias
 "Greguerías" (1917), "Flor de greguerías" (1933), "Total de greguerías" (1955), .. jalonnent ainsi la vie de Ramón Gómez de la Serna : "La greguería no consiste más que en un matiz entre todos los matices, el matiz de un plural, de una palabrita -oiga, que le voy a decir "una palabrita"-, una virgulilla, una tilde, algo que podrá ser una incorrección, un ripio, una pifia, un balbuceo, una virguería rotunda, una piedrecita, un número, un desplante, un error. La greguería resuelve las hinchazones con que todo se hinchaba. La greguería es silvestre, encontradiza, inencontrable. La greguería es la audacia y la timidez, es la manera sin amaneramiento, es la manera que no es más que la manera, y que por no ser, no es ni la cierta manera..."

-Les rues sont plus longues la nuit que le jour
-L'aube arrose les rues avec la poussière des siècles
-L'amour naît du désir extravagant de vouloir rendre immuable l'éphémère
-L'eau n'a pas de mémoire : c'est pour cela qu'elle est si claire
-Ce qui ressemble le plus à la chair de la femme, ce sont les tranches de pain blanc
-De l'union d'une veuve et d'un veuf naît un bébé en barboteuse noire.
-Le soda : de l'eau qui a le hoquet.
-Affublé d'un monde, l'oeil devient une montre.
-On dirait que la planche à repasser offre le café aux chemises.
-Le bruit du tramway raie le verre de la nuit.
-Après l'éclipse , la lune se nettoie le visage pour faire disparaître la suie.
-Le piano reflète dans son miroir noir l'arrivée au port d'une nuit pluvieuse.
-La femme sans bas fait peur: ses jambes folles n'ont pas de camisole de force.
-La tête : un bocal à idées.
-Les serviettes à thé sont les mouchoirs des tasses.

Lo que más duerme en la noche son las torres.
La mañana está llena de turistas buscando casas de cambio.
Los invernaderos son las cárceles modelos de las plantas.
 Después de ayudar a pasar la calle al ciego nos quedamos un poco ciegos e indecisos.
Era tímido como un perro abajo de un carro.
La pregunta más inquietante de los bancos: "¿Llegó ya el cajero?"
Tocaba las llaves que llevaba en el bolsillo para llegar más pronto a su casa.
En el billete de ida y vuelta tememos que nos perforen la vuelta en vez de la ida, obligándonos a volver al revés, comenzando por ir otra vez para poder volver de nuevo.
El perchero está enojado porque no lo sacamos de paseo.
El que despierta de la siesta al atardecer, nota que le han robado el día mientras dormía.
Al asomarnos al fondo del pozo nos hacemos un retrato de náufragos.
 Lo más difícil que hace un jinete es sostenerse en la imagen de su caballo reflejada en el agua.
Después de usar el dentífrico nos miramos los dientes con gestos de fieras.
Hay camas de hotel en las que nos encontramos nuestras piernas del pasado.
El que busca su tarjeta en la cartera y no la encuentra, parece que va a acabar por darnos un billete o un retrato suyo de cuando era niño.
Abrir un paraguas es como disparar contra la lluvia.
Las máquinas registradoras nos hacen la instantánea del precio.
Los pedigüeños de mostaza son los que arruinan el negocio del restaurante.
 El pequeño cacto solitario que han sacado al balcón es la nariz del señor de la casa puesta a orear.
 El sombrero que vuela parece que se ha escapado con todas las ideas del que corre detrás de él.
¡Qué gesto como de acordarse de alguien, de no se sabe quién, pone el que saborea una copa de licor!


Guillermo de Torre (1899-1971)
Né à Madrid, essayiste, critique, poète, appartenant à la Génération de 27, Guillermo de Torre est la principale figure du mouvement ultraïste au travers de son "Manifiesto ultraista: Vertical" (1920), ses poèmes visuels publiés dans "Hélices" (1923) et "Literaturas europeas de vanguardia" (1925).

"Moi-même
Toi-même
Lui-même
C'est ainsi que temporellement unipersonnels, nous devons conjuguer la prière du Culte du moi ultraïste.
Uniques.
Excentrés.
Impossibles à confondre.
Et ardemment retranchés dans notre catégorie de ferventd du Moi, rigoureusement incomparables.
Vanité? Nietzschéisme?
Non.
Egolâtrie? Annthropocentrisme?
Peut-être.
Et la conscience persuasive d'un orgueil qui illumine et féconde la trajectoire juvénile d'un Culte du Moi constructeur..."


Il épousa le peintre argentin Norah Borges, sœur de l’écrivain Jorge Luis Borges...

Amiga
(Ultra, 1921, a Norah Borges)
Tu efigie en el recuerdo
es la metáfora
que se refracta en los espejos
de la distancia.
El pincel azul de tu sonrisa
colorea el perfil de mis palabras
Al ritmo de tus manos
vuelan las ideas nómadas
Mi emoción única se pluraliza
en el trémolo de ondas nostálgicas
En nuestras intersecciones
de líneas afectivas
un rayo se polariza
y atrae las lejanías
Imagen radiográfica
de tu psiquis translúcida
Conmutará tu corazón el ritmo ambiguo
sincronizando su latido
con mis diástoles eróticas?
encarnación del encanto emotivo
Amiga nombre de un relieve inédito
cruce de mi circuito evocativo

Amie

Dans le souvenir, ton effigie
et la métaphore.
Qui se réflechit dans les miroirs
de la distance.
Le pinceau bleu de ton sourire
colore le profil de mes paroles
Les idées nomades
Au rythme de tes mains
Volent.
Mon émotion unique se multiplie
dans le trémolo des ondes nostalgiques
Dans nos intersections
Des lignes afectives
un rayon se polarise
et attire les régions lointaines.
Image radiographique
de ton ame translucide.
Ton cœur changera-t-il le rythme ambigu
synchronisant son battement
avec mes diastoles érotiques?
incarnation de l'enchantement émotif
AMIE nom d'un relief inédit
interférence de mon circuit évocatif.



Rafael Pérez Barradas (1890-1929)
Né à Montevideo, le dessinateur et peintre uruguayen Rafael Pérez Barradas, en dépit de sa courte vie, eut une grande influence sur la génération de 27 : il est à Barcelone en 1916 et à Madrid en 1919, fréquentant Guillermo de Torre, Jorge Luis Borges, Norah Borges, Federico García Lorca, Salvador Dalí, Ramón Gómez de la Serna, ...


 Rafael Cansinos-Asséns (1882-1964)
Né à Séville, proche de Borges, critique, romancier et journaliste, hanté par ses racines judaïque, Rafael Cansinos-Asséns est connu comme l'un des promoteurs de l'avant-garde ultraïste et au travers de quatre ouvrages qui firent date, "El movimiento V.P." (1921), "La nueva literatura" (1917–1927), "Poetas y prosistas del novecientos, España y América" (1919), "El Candelabro de los siete brazos" (1914). Mais après 1936, celui que Borges considérait comme un grand écrivain judéo-andalou, se retire de toute vie publique pour se consacrer à la traduction pour le compte de maisons d'édition.

 

"El movimiento V.P." (Vanguardia Popular, 1921)

se présente comme un roman à clefs restituant la si brève apparition de l'ultraïsme...

"El Poeta de los Mil Años estaba sentado, como siempre, entre sus viejos papeles y sus libros viejos, sentado como un muerto sentado ante la vida. Tenía los codos apoyados en la mesa, como clavados en ella, pues sus cóndilos aguzados por la costumbre se habían vuelto semejantes a garfios. El tiempo se había hecho enormemente denso a su alrededor, y todo cuanto le rodeaba se había hecho ya tan antiguo como su sombra. Pero de pronto un pensamiento nuevo e ignorado pasó por su frente marcando una hora nueva en aquel amarillo horario. Una inquietud extraña, más poderosa que el frío habitual de la madrugada, sacudió su cuerpo. Y el poeta, mesándose las sierpes de sus cabellos erizados, dijo: —Poseo ya Mil Años en el tesoro del tiempo. Soy viejo, y cada hora puede hacerme suyo definitivamente; las horas que antes fueron para mí alegres concubinas, aspiran ya a poseerme como esposas. Desfallezco en un museo de bellas senectudes. Me siento sobre un montón de libros marcados con mi nombre en cada página. He cantado la belleza de todas las momias. Las viejas cortesanas y las vírgenes viejas me deben madrigales. El día y la noche llevan en sus bolsos mis himnos. He cantado todo lo que fue bello en otro tiempo. Y he formado una legión de discípulos que repiten mis palabras y multiplican cada uno de mis gestos. Mi poesía es como un Islam lleno de perfumes antiguos, de concubinas pesadas y de braserillos de perfumes. Pero ahora yo quiero salir de ese Islam, que en otro tiempo era un desierto y hoy se ha poblado de discípulos. Ahora yo quiero cantar cosas completamente nuevas. Yo quiero vivir en una hora futura y en un país de Occidente. Renunciaré en adelante a esa hora atrasada del cuadrante oriental y a esa noche precoz para coger como una uva madura esa hora extraordinaria que hace más largos nuestros crepúsculos. Quiero repudiar todas estas vejeces para desposarme con esa hora futura. Ahora quiero cantar la tremenda belleza de los tiempos nuevos. Quiero cantar las cabelleras cercenadas de las mujeres, la resurrección de sus piernas, los pájaros nuevos que han nacido en nidos cerebrales, la abolición del antiguo cardias, causa de nuestros males; el invento de ese reloj vertiginoso marca Browning por el que se rigen en Nueva York, el piojo luminoso de las trincheras y, ¡sobre todo!, el tremendo placer de envejecer bajo el vuelo de los aeroplanos. ¡ Desde hoy repudio mi arte antiguo y proclamo una era nueva en mi lírica! "

 "Le Poète des Mille Ans était assis, comme toujours, au milieu de ses vieux papiers et de ses livres anciens, assis comme un mort assis devant la vie. Il avait les coudes appuyés sur la table, comme s'ils y étaient cloués, car ses condyles aiguisés par l'habitude avaient fini par ressembler à des crochets. Le temps était devenu extrêmement dense autour de lui, et tout ce qui l’entourait était maintenant aussi vieux que son ombre. Mais soudain une pensée nouvelle et ignorée passa sur son front et elle marqua une heure nouvelle sur cet horaire jauni. Une étrange inquiétude, plus forte que le froid habituel de l’aube, secoua son corps. Et le poète, arrachant les serpents de ses cheveux hérissés, s’écria : - Je possède déja Mille Ans dans le trésor du temps. Je suis vieux, et chaque heure peut me livrer à lui pour toujours ; les heures qui naguère étaient pour mes joyeuses concubines, aspirent désormais à me posséder comme épouses. Je défaille dans un musée de belles vieilleries. Je m’assieds sur un tas de livres marqués de mon nom à chaque page. J'ai chanté la beauté de toutes les momies. Les vieilles courtisanes et les vieilles vierges me doivent des madrigaux. Le jour et la nuit ont mes hymnes dans leurs poches. J’ai chanté
tout ce qui jadis fut beau. Et j’ai formé une légion de disciples qui répétent mes paroles et multiplient chacun de mes gestes. Ma poésie est comme un Islam rempli de parfums antiques, de lourdes concubines et de brûle-parfums. Mais je veux maintenant sortir de cet Islam, qui était autrefois un désert et qui s’est aujourd’hui peuplé de disciples. Je veux maintenant chanter des choses entièrement nouvelles. Je veux vivre dans une heure future et dans un pays d’Occident. Je renoncerai désormais à cette heure tardive du cadran oriental et à cette nuit précoce pour cueillir comme une grappe de raisin mûr cette heure extraordinaire qui rend nos crépuscules plus longs. Je veux répudier toutes ces vieilleries pour épouser cette future. Je veux chanter la chevelure coupée des femmes, la résurrection de leurs jambes, les oiseaux nouveaux qui sont nés dans les nids du cerveau, l’abolition du vieux cardia, cause de tous nos maux ; l’invention de cette horloge vertigineuse de marque Browning qui compte le temps à New York, le pou lumineux des tranchées et, surtout ! le terrible plaisir de vieillir sous le vol des aéroplanes. A partir d’aujourd’hui je répudie mon art ancien et je proclame une ère nouvelle dans ma lyrique !



Juan Larrea (1895-1980)
Né à Bilbao, poète et essayiste, un temps de la mouvance ultraïste, "el padre secreto del Surrealismo español", Juan Larrea, en relation avec Picasso, vient s'établir à Paris en 1926, puis gagna le Pérou et le Mexique pour s'y installer définitivement après la Guerre d'Espagne. Proche d'Apollinaire, il publie , "Cosmopolitano" (1919) et "Metal de voz" deux  de ses poèmes les plus célèbres (Versión celeste, 1919).

"Mille aoûts que je t'ai vue, Ville fructueuse.
Ville aux feuilles brunes
comme une femme brochée
j'ai cédé ton trottoir au déchaussé lunaire
quand le filament prismatique
d'un projecteur turbulent
l'expulsa de la cave expatriée et nubile.
Mes ailes depuis longtemps détrempées sont.
Malgré les flaques de mes yeux
et le filet de ma voix parmi les peupliers.
Ville, sous la brume
je te contemple
à travers l`air émerisé.
Des neiges éternelles
astre explosif dans la poitrine
sur leurs skis urbains
descendaient des tramways en patinant,
et dans les tours algides,
plus efficace que les cloches
la belle laitière
tua l`aurore des bergeries.

Combien de fois l'aube
combien de fois
effeuilla-t-elle pensive les étoiles sauvages.
Chaque calice regorge de liqueur
et pour les années fraîches
combien de fois aussi
la mère moribonde les langes
étendait-elle en pleine rue
près de la porte de Belén.
De jeunes collégiennes
sur des places couvertes
jouaient aux quatre coins
avec les quatre saisons.
Laissez-moi revivre ce printemps.
Un astre populaire porté sur les épaules
légua à la foule l'habit de lumières.
Depuis les balcons officiels
de beaux poissons flamboyants passaient
et sur les décolletés,
balayés par les vagues,
aux souffles d'éventails humides,
ridant l'horizon des ris
Passent
des mouettes et des cormorans..."



Gerardo Diego (1896-1987)
Né à Santander, Gerardo Diego, poète espagnol, professeur de littérature et musicien, soutint, un temps, avec Juan Larrea la théorie "créationniste" de Vicente Huidobro, "la seule, écrira-t-il, à chercher la vérité intérieure, celle à laquelle le créateur donne forme et vie et qui n'existerait pas sans lui." Il se rendit célèbre pour sa publication de "Poesía española contemporánea 1915-31", considéré comme le manifeste de la nouvelle génération poétique de l'époque, et ses recueils "Imagen. Poemas (1918-1921)", "Versos humanos" (1925)..

"Imagen" (1922) : "Crear lo que nunca veremos, esto es la poesía"

Pour la première fois au coeur de la pluie morte
les tramways naufragés chantaient
Et dans la salle du piano
un squelette
jouait aux échecs avec des gants noirs
Des mouettes précoces récitaient des vers
A côté du temps la grand-mère
récitait son chapelet de petits-enfants
Dans la ferme le bruit des ombres
embrasait des romances sans paroles
A la lumière pensive de mes mains
tout je contemple
Les balcons in-folio
miniatures de pays musicaux
ceux qui pendaient comme des timbres
des larmes verticales
La retraite des songes
et des papiers peints

défilant en rythme
sur les ponts du crépuscule

Un jour
j'ai détaché de ma poitrine
un cerf-volant
puis l'ai cloué désorienté à mon passé
Dans la ville endormie
sortaient de l'école en criant
les signes de ponctuation
Et les anges de la garde
apportaient sur le pic les images
Aux mois morts
les fossoyeurs ne semaient pas de cercueils
Venez que je vous embaume
Mes vers couvriront de neige
Cette ronde de fillettes
Au printemps
vos masques ridés
les baisers mûrs tomberont de leurs tresses
Alors Malborough s`en reviendra de guerre..."



Joan Salvat-Papasseit (1894-1924)
Né à Barcelone, orphelin très jeune, apprenti dans un magasin de sculptures religieuses, marqué dans son adolescence par les thèses anarchistes et communistes, autodidacte, Joan Salvat-Papasseit est le poète catalan qui annonce la "poésie sociale" des années 1960. Il fut tragiquement rattrapé par la tuberculose et parvint en un temps trop court à exprimer son anti-conformisme dans des vers libres et propos incendiaires : "Poemes en ondes hertzianes" (1919), "L'irradiador del Port i les gavines" (1921), "Les conspiracions" (1922), "La gesta dels estels" (1922), "El poema de la rosa als llavis" (1923)..


Jorge Guillén (1893-1984)
" ¿Desde dónde hacia dónde?" - Né à Valladolid, Jorge Guillén découvre sa vocation poétique en 1918 alors qu'il est lecteur d'espagnol à la Sorbonne (il y succède à son ami Pedro Salinas), admirateur et ami de Paul Valéry. Il sera l'homme d'un seul grand ouvrage, "Cantico", trois cent trente-quatre poèmes écrits sur vingt ans, publiés en quatre éditions de 1928 à 1950. Il enseigne à Murcie et Séville, puis à Oxford de 1929 à 1931. Il quitte l'Espagne pour enseigner aux Etats-Unis en 1938 pour n'y revenir qu'après la mort de Franco et s'installer à  Málaga. "Clamor" et "Homenaje" complèteront son oeuvre dans les années 1960. Sa poésie est considérée comme assez inhabituelle dans le contexte espagnol, tant il privilégie une démarche très conceptuelle, très constructiviste pour, dit-il, "partager la vie comme une source", "consommer la plénitude de l'être dans la fidèle plénitude des mots". Les éléments du monde et la sensualité humaine sont épurées par le choix d'un langage d'une grande densité intellectuelle qui ouvre la poésie à la plénitude de l'être, à la plénitude d'un univers ressenti comme une création pure, achevée et harmonieuse...

Los fieles amantes

Noche mucho más noche: el amor ya es un hecho.
Feliz nivel de paz extiende el sueño
como una perfección todavía amorosa.
Bulto adorable, lejos
ya, se adormece,
y a su candor en la isla se abandona,
animal por ahí, latente.
¡Qué diario Infinito sobre el lecho
de una pasión: costumbre rodeada de arcano.
¡Oh noche, más oscura en nuestros brazos!

Les Amants fidèles

Nuit bien plus que nuit : quand l'amour s'est accompli.
Une paix bienheureuse répand le sommeil
Comme une perfection qui demeure amoureuse.
Forme adorable, éloignée
Déjà, s'assoupit,
A sa candeur en île s'abandonne,
Animal rôdeur,latent,
Quel quotidien infini sur le lit
D'une passion : coutume ceinte de mystère !
O nuit, plus obscure en nos bras!



Luis Cernuda (1904-1963)
Né à Séville, disciple de Pedro Salinas, Luis Cernuda est le poète de la révolte qui a connu le surréalisme et hait le bourgeois, mais poète de la présence érotique en ce monde, deux inspirations sans concession que l'on retrouve dans "Perfil del aire" (1927), évocation délicate et sensible du désir physique, "Los placeres prohibidos" (1931), revendication ouverte de l'homosexualité, "Las nubes" (1940 ) qui plonge dans la guerre d'Espagne, "Como quien espera alba" (1943), "Ocnos" (1949), "Desolación de la Quimera" (1962). Il vit à Madrid de 1929 à 1938, puis s'exile en 1938 au Royaume-Uni, puis aux États-Unis (1947) et enfin au Mexique (1952).

La Réalité et le Désir (La Realidad y el Deseo)

trad. Robert Marrast et Aline Schulman, choix et préface de Juan Goytisolo, Editions Gallimard, 1969 - Dès son premier livre paru en 1928, Cernuda a témoigné d'une inquiétude née de l'opposition entre le monde intérieur de l'artiste et les circonstances extérieures, entre le désir et la réalité, titre général de son œuvre poétique. Ce conflit deviendra de plus en plus angoissant et constitue le thème majeur et fondamental de l'œuvre du poète dont ce recueil constitue le premier choix important publié en français.

Oscuridad completa

No sé por qué, si la luz entra,
Los hombres andan bien dormidos,
Recogiendo la vida su apariencia
Joven de nuevo, bella entre sonrisas,
No sé por qué he de cantar
o verter de mis labios vagamente palabras;
Palabras de mis ojos,
Palabras de mis sueños perdidos en la nieve.
De mis sueños copiando los colores de nubes,
De mis sueños copiando nubes sobre la pampa.

Obscurité totale

Je ne sais pourquoi, si la lumière pénètre,
Les hommes ont bien dormi,
Retrouvant la vie son apparence
Jeune à nouveau, belle parmi les sourires,
Je ne sais pourquoi il me faut chanter
Ou verser de mes lèvres vaguement des paroles;
Des paroles de mes yeux,
Des paroles de mes rêves perdus dans la neige.
De mes rêves reflétant les couleurs des nuages,
De mes rêves reflétant des nuages sur la pampa.

 


Les Plaisirs interdits (Los placeres prohibidos)

trad. Jacques Ancet, Fata Morgana. Paru en 1931. Alternant poèmes en prose et en vers, "Les plaisirs interdits" utilise le surréalisme en tant que mouvement de libération personnelle, celle de la revendication de l'amour homosexuel inédite dans la littérature espagnole, un désir de transgression qui se heurte à une réalité foncièrement hostile. L’amour est ici conçu comme un sentiment démesuré, total, organique, toujours menacé par une tragédie qui devient quasiment inéluctable.

"Au milieu de la multitude - Au milieu de la multitude je le vis passer, les yeux aussi blonds que sa chevelure. Il marchait ouvrant l'air et les corps; à son passage une femme s'agenouilla. Moi je sentis mon sang déserter mes veines goute à goutte. Vide, j'ai erré à travers la ville. Des gens étranges passaient près de moi sans me voir. En me heurtant un corps fondit avec un léger murmure. J'ai erré, erré encore. Je ne sentais pas mes pieds. J'ai voulu les prendre dans mes mains mais ne trouvai pas mes mains; j'ai voulu crier mais ne trouvai pas ma voix. Le brouillard m'enveloppait. La vie me pesait comme un remords; j'ai voulu m'en défaire. Mais c'était impossible : j'étais mort et errais parmi les morts."

"Pour certains vivre - Pour certains, vivre, c'est marcher sur des morceaux de verre, les pieds nus; pour d'autres, vivre c'est regarder le soleil en face. La plage compte les jours et les heures pour chaque enfant qui meurt. Un fleuve s'ouvre, une tour s'écroule. C'est toujours pareil. J'ai tendu les bras; il ne pleuvait pas. J'ai marché sur des morceaux de verre; il n'y avait pas de soleil. J'ai regardé la lune; il n'y avait pas de plage. Quelle importance. Ton destin c'est de regarder des tours qui s'élèvent, les fleurs qui s'ouvrent, les enfants qui meurent; à l'écart, telle une carte dont le jeu s'est perdu."

Te quiero...

Te quiero.
Te lo he dicho con el viento
jugueteando tal un animalillo en la arena
o iracundo como órgano tempestuoso;
te lo he dicho con el sol,
que dora desnudos cuerpos juveniles
y sonríe en todas las cosas inocentes;
te lo he dicho con las nubes,
frentes melancólicas que sostienen el cielo,
tristezas fugitivas;
te lo he dicho con las plantas,
leves caricias transparentes
que se cubren de rubor repentino;
te lo he dicho con el agua,
vida luminosa que vela un fondo de sombra;
te lo he dicho con el miedo,
te lo he dicho con la alegría,
con el hastío, con las terribles palabras.
Pero así no me basta;
más allá de la vida
quiero decírtelo con la muerte,
más allá del amor
quiero decírtelo con el olvido.

Je t'aime

Je t'aime
Je te l'ai dit avec le vent
Jouant comme un petit animal dans le sable
Ou furieux comme un orgue tempétueux;
Je te l'ai dit avec le soleil,
Qui dore des corps nus et jeunes
Et sourit en toutes choses innocentes;
Je te l'ai dit avec les nuages
Fronts mélancoliques qui soutiennent le ciel,
Tristesses fugitives;
Je te l'ai dit avec les plantes,
Légères créatures transparentes
Qui se couvrent d'une rougeur soudaine;
Je te l'ai dit avec l'eau,
Vie lumineuse, que voile un fond ombreux;
Je te l'ai dit avec la peur,
Je te l'ait dit avec la joie, Avec l'ennui, avec les mots terribles.
Mais cela ne me suffit pas:
Par-delà la vie,
Je veux te le dire avec la mort;
Par-delà l'amour, Je veux te le dire avec l'oubli.


Poèmes pour un corps (Poemas para un cuerpo)

trad. Bruno Roy, Editions Fata Morgana. Paru en 1957, Poèmes pour un corps est un des derniers recueils du poète où il a atteint, dans la sérenité crispée d’une maturité douloureuse, la pleine maîtrise de sa langue. Admirables chants d’amour à la beauté adolescente...

"... Le chemin qui monte,
Le chemin qui descend,
Sont un même chemin ; et mon désir
Est qu’à la fin de l’un comme de l’autre,
En haine ou en amour, en oubli ou mémoire,
Tu sois toujours présent, mon enfer et mon paradis..."

 

Les nuages  (Las nubes)

Postface de Juan Goytisolo.Traduction d'Anthony Bellanger.Editions Fata Morgana - Écrit entre 1937 et 1940, peut-être le livre le plus profond et le plus émouvant de Cernuda. Certains poèmes comme l’Élégie espagnole atteignent à un lyrisme tragique saisissant. Sans jamais se situer “au dessus de la mêlée”, c’est en homme lucide, quoiqu’intimement blessé, que le poète évoque les réalités de la guerre civile, et celles de son propre exil. A tel point que longtemps, la publication du livre fut interdite par la censure franquiste. 

“Noche de luna”

Vida tras vida, fueron
Olvidando los hombres
Aquella diosa virgen
Que misteriosamente, desde el cielo,
Con amor apacible
Asiste a sus vigilias
En el silencio dulce de las noches.
Ella ha sido quien viera a los abuelos
Remotos, cuando abordan
En sus pintados barcos,
y ágiles y desnudos se apoderan
Con un trémulo imperio de esta tierra,
Así como el amante
Arrebata y penetra el cuerpo amado.
Sus trabajos vio luego, sus cohabitaciones,
y otros seres menudos,
Inhábiles, gritando entre los brazos
De los dominadores, y sus mujeres lánguidas
Sonreír débilmente a la raza naciente.

 

Miró sus largas guerras
Con pueblos enemigos
y el azote sagrado
De luchas fratricidas;
Contempló esclavitudes y triunfos,
Prostituciones, crímenes,
Prosperidad, traiciones,
El sordo griterío,
Todo el horror humano que salva la hermosura,
y con ella la calma,
La paz donde brota la historia.
También miró al arado
Con el siervo pasando
Sobre el antiguo campo de batalla,
Fertilizado por tanto cuerpo joven;
y en ese mismo suelo ha visto correr luego
Al orgulloso dueño sobre caballos recios,
Mientras la hierba, ortiga y cardo
Brotaban por las vastas propiedades.
....



Pedro Salinas (1891-1951)
Né à Madrid, Pedro Salinas est célèbre dès son premier recueil poétique, "Presagios" (1923), puis ses deux chefs-d'œuvre, "La Voz a ti debida" et "Razón de amor", qui sont considérés comme parmi les plus beaux chants d'amour du lyrisme espagnol. Pedro Salinas est l'un des membres les plus brillants de la Généracion de 27 : poète, traducteur, critique des lettres hispaniques, historien et professeur d'une extraordinaire notoriété, il fut successivement lecteur d'espagnol à la Sorbonne (1914 à 1917), professeur à l'université de Séville puis à Madrid, enfin à  l'Université internationale de Santander à partir de 1933, qui attira une foule d'étudiants et de professeurs étrangers. La Guerre civile le conduit à l'exil, aux États-Unis, l'université de Puerto Rico où il enseigne de 1942 à 1945, voyage souvent mais jamais ne revint en Espagne. Ses trois premiers livres, "Presagios" (1923), "Seguro azar" (1929), "Fábula y signo" (1931) engagent toute l'imagination et l'intelligence du lecteur dans l'intimité des choses, des paysages, des villes, des êtres, des éléments avec la promesse d'une vie plus ardente. "La voz a ti debida" (1933), "Razón de amor" (1936) et "Largo lamento" (1939) font de l'amour la matière de l'existence, seul à pouvoir combler notre impossibilité à posséder toutes choses ici-bas. Aimer, c'est aller au-delà de soi-même, et l'abandon que l'on demande à l'autre, c'est une reconquête de lui-même. Salinas épouse avec grande subtilité verbale le tourment et l'extase de cette passion d'aimer qui est, au fond, un désir profond d'éternité. Les recueils de l'exil, l'un de ses chef-d'oeuvres, "El contemplado" (1946), tout entier consacré à la mer, "Todo más claro y otros poemas" (1949), et "Confianza" (1955) intégrent le monde contemporain et ses tragédies..

 

 "La voz a ti debida" (1933)
Le recueil de poèmes le plus connu du poète Pedro Salinas au cours duquel, via un dialogue amoureux en soixante-dix poèmes, se découvre  le "moi" et le "toi", tous deux sortent de l'ombre et approche de la lumière dans l’intimité de la femme aimée : le dernier poème  marque toutefois le retour à l'existence sombre, en attente de la prochaine métamorphose..

"...Mañana."La palabra

iba suelta vacante,

ingrávida, en el aire,
tan sin alma y sin cuerpo,
tan sin color ni beso,
que la dejé pasar
por mi lado en mi hoy.
Pero de pronto tú
dijiste: "Yo, mañana..."
Y todo se pobló
de carne y de banderas.
Se me precipi taban
encima las promesas
de seiscientos colores
con vestidos de moda,
desnudas, pero todas
cargadas de caricias.
En trenes o en gacelas
me llegaban  agudas,
sones de violines
esperanzas delgadas
de bocas virginales.
O veloces y grandes
como buques, de lejos,
como ballenas
desde mares distantes,
inmensas esperanzas
de un amor sin final.
¡Mañana! Qué palabra
toda vibrante, tensa
de alma y carne rosada,
cuerda del arco donde
tu pusiste, agudísima,
arma de veinte años,
la flecha más segura
cuando dijiiste: 'Yo..."

"Demain". Le mot
allait, délié, vacant,
sans poids dans le vent,
si dénué d'âme et de corps,
de couleur, de baiser,
que je l'ai laissé passer
près de moi aujourd'hui.
Mais soudain toi
tu as dit: "Moi, demain.."
Et tout s'est peuplé
de chair et de drapeaux.
Sur moi se précipitaient
les promesses
aux six cents couleurs,
avec des robes à la mode,
nues, mais toutes
chargées de caresses.
En train ou en gazelles
m'arrivaient - aigus,
sons de violons -
des espoirs ténus
de bouches virginales.
Ou rapides et grandes
comme des navires, de loin,
comme des baleines
depuis des mers distantes,
d'immenses espérances
d'un amour sans final.
Demain! Quel mot
vibrant, tendu
d'âme et de chair rose,
corde de l'arc
où tu posas, si effilée,
arme de vingt années,
la flèche la plus sûre
quand tu as dit: "Moi".