The World Of Science Fiction - C. S. Lewis, "Out of the Silent Planet" (1938) - Isaac Asimov (1920-1992), "Foundation" (1942) - A.E. Van Vogt (1912- 2000), "The World of Ā" (1948) - Robert A. Heinlein (1907-1988), "Life-Line" (1939) - René Barjavel (1911-1985), "Ravage", (1943) - ...

Last update: 12/12/2020

 

"J'avais jadis, écrit Alfred E. van Vogt, la réputation de mettre dans mes récits tout ce qui me passait par la tête", et "je pensais que les idées ne s'épuiseraient jamais et seraient toujours disponibles en nombre suffisant..."

La Science-fiction a joué un rôle moteur dans le développement de nos capacités imaginatives, précédant et/ou s'enrichissant de l'évolution scientifique et technique de notre planète Terre, - la décennie 1950 fut un de ses âges d'or -, alors qu'aujourd'hui, alors que s'ouvre notre deuxième millénaire, notre capacité à imaginer  - à s'émerveiller - semble progressivement s'éroder, nous élaborons des fictions sur des thématiques qui ne se renouvellent plus guère et recyclons celles du passé. Le "cyberpunk", singulière fusion de la technoscience et de la fantasy, est symptomatique de cette dissolution de notre capacité à imaginer le monde et son futur, nous vivons dans un monde peuplé de technologies électroniques et bio-invasives, et le meilleur des mondes que nous envisageons désormais est un univers essentiellement et fondamentalement virtuel, entre le réel et l'imaginaire, et ce n'est plus tant l'esprit de la machine que nous tentons de concevoir que notre corps colonisé par de multiples addictions esthétiques et stylistiques typiques de la société de consommation...


John W. Campbell Jr, éditeur de la revue "Astounding Science Fiction" (1937 à 1971)...

John W. Campbell (1910-1971), qui a fréquenté le Massachusetts Institute of Technology, est un des pères de la science-fiction et c'est avec sa première histoire publiée, "When the Atom Failed" (1930), que l'une des premières représentations de l'informatique fait son entrée dans le genre. Au début des années 1930, son intérêt ne se porte plus tant sur la technologie que sur le singulier monde qu'elle génère. Dans l'une de ces histoires, "Twilight" (1934), les machines continuent à fonctionner sans cesse, longtemps après que l'homme est disparu. Son influence est grande lorsqu'il édite en 1937 la revue "Astounding Stories", qui deviendra "Astounding Science Fiction", puis "Analog" et dont les collaborateurs dominent le domaine au milieu du XXe siècle, dont Isaac Asimov, Robert A. Heinlein, A.E. Van Vogt, Theodore Sturgeon. On a retenu "Who Goes There?" (1938) et ses versions cinématographiques (The Thing from Another World, 1951; The Thing, 1982)...

 


 "The Thing (From Another World)", produit par Howard Hawk et réalisé par Christian Nyby en 1951, avec  Margaret Sheridan, Kenneth Tobey, Robert Cornthwaite : basé sur la nouvelle de John W. Campbell, Jr "Who goes there ?", (1938), c'est l'un des films de science-fiction et d'horreur les plus effrayants des années 1950 (John Carpenter en réalisera une adaptation en 1982). Des scientifiques américains travaillant en Antarctique, découvrent une créature dans la glace, (James Arness), qui va tenter de les exterminer un à un...

 


C. S. Lewis, "Out of the Silent Planet" (1938)

Clive Staples Lewis (1898-1963) est un proche de J. R. R. Tolkien, l'auteur du Seigneur des anneaux: c'est un écrivain de l'allégorie fasciné par les mythes et les légendes, il enseigna à ses côtés à la faculté de littérature anglaise de l'université d'Oxford, est un spécialiste des études médiévales et sa conversion au christianisme eut un grand impact sur son oeuvre. "Le Monde de Narnia" (The Chronicles of Narnia), écrit entre 1950 et 1956, est un monument de la "fantasy", dont le premier tome, "The Lion, the Witch and the Wardrobe" est des livres les plus célèbres de la littérature anglaise. Sa "Trilogie cosmique" (The Space Trilogy) comprend "Le Silence de la Terre" (Out of the Silent Planet, 1938), "Perelandra (Perelandra, 1943), "Cette hideuse puissance" (That Hideous Strength, 1945), et est considérée comme une des œuvres fondatrices de la science-fiction, au même titre que les romans d'H.G. Wells ou d'Olaf Stapledon. "Le Silence de la Terre" conte les aventures d'un professeur de philologie à Cambridge, Elwin Ransom, qui est kidnappé par son ex-condisciple Devine et l'illustre physicien Weston, alors qu'il passe des vacances tranquilles dans la campagne anglaise : il est alors entraîné dans une aventure hors du commun, un voyage vers la mystérieuse planète Malacandra. Sur place, Ransom parvient à échapper à ses ravisseurs, principalement attirés par la soif de l'or, présent en abondance sur cet astre lointain. Livré à lui-même, le philologue explore ce nouveau monde qu'il croit hostile. Ce sera l'occasion, pour lui, de découvrir les différents peuples qui y habitent....

 


L'âge d'or de la science-fiction aurait commencé vers 1938-39, celui de la fiction policière avait déjà débuté : c'est en 1939 que paraissent les premières oeuvre du trio magique, "Black Destroyer", la première histoire publiée par A. E. van Vogt, "Trends", par Isaac Asimov, et  "Life Line", de Robert A. Heinlein. Une nouvelle étape débute et, de l'avènement de la bombe atomique (1945) au lancement de Spoutnik (1957), la science-fiction, après la Seconde Guerre mondiale, va gagner en popularité....  


Isaac Asimov, "Foundation" (1942)

Biochimiste, Isaac Asimov (1920-1992) a écrit ou édité environ 500 volumes, vulgarisation et policiers cohabitent avec la science-fiction, dont les plus célèbres sont ceux de la série "Foundation" (1942-1950) et  "I,Robots" (1940-1950) : rejetant les conceptions antérieures d'un monstre de métal en maraude. Asimov devient l'un des premiers écrivains à théoriser l'impact de la puissance atomique sur la planète Terre, mais soulève aussi bien d'autres problématiques telle que celle du rôle de la religion traditionnelle, du contrôle des masses, et de l'essor de la science en tant que nouvelle foi pour l'humanité. 

Asimov a commencé à contribuer aux magazines de science-fiction en 1939, y publiant sa première histoire, "Marooned off Vesta" dans Amazing Stories, puis s'associant à Astounding Science-Fiction et à son rédacteur, John W. Campbell, Jr. "Nightfall" (1941), qui parle d'une planète dans un système multi-étoiles qui ne connaît l'obscurité que pendant une nuit tous les 2 049 ans, l'a amené au premier rang des auteurs de science-fiction et est considéré comme l'une des plus grandes nouvelles du genre. À la fin des années 1950, Asimov s'est détourné de la science-fiction pour aborder divers sujets scientifiques, The Chemicals of Life (1954), The Neutrino (1975), The Human Brain (1964)...

"The Gods Themselves" (1972), qui traite du contact avec des extraterrestres avancés d'un univers parallèle, et  "The Bicentennial Man" (1976), qui raconte la quête d'un robot pour devenir humain, le voient renouer avec la Science-Fiction dans les années 1970. Dans la décennie qui suit, Asimov réunit les séries Robot, Empire et Fondation dans un même univers fictif. Les personnages de Foundation's Edge (1982) commencent à soupçonner qu'un troisième pouvoir caché, encore plus puissant que les deux Fondations, a émergé dans la galaxie.... 

"Il est une chose dont nous avons maintenant la certitude : les robots changent la face du monde et nous mènent vers un avenir que nous ne pouvons encore définir clairement..." - En 1940, Asimov a commencé à écrire ses histoires de robots  (I, Robot, rassemblés en 1950), des inventions (positronic brain) devenues des figures centrales de la science-fiction et pose le problème de la place de l'humanité dans un environnement technologique. Isaac Asimov va ainsi concevoir un système éthique valable tant pour les humains que pour les robots. Le premier tome du Cycle des Robots rassemble neuf nouvelles dont le fil conducteur est l'interview de Susan Calvin, robopsychologue à l'U.S. Robots, la première fabrique mondiale de machines robotisées,  par un jeune journaliste et qui consiste en une mise à l'épreuve des Trois Lois de la robotique qu'il a formulées pour ses machines : (1) un robot ne peut pas blesser un être humain ou, par inaction, permettre à un être humain de lui faire du mal (a robot may not injure a human being, or, through inaction, allow a human being to come to harm) ; (2) un robot doit obéir aux ordres que lui donnent les êtres humains, sauf si ces ordres sont en conflit avec la première loi (a robot must obey the orders given it by human beings except where such orders would conflict with the First Law) ; (3) un robot doit protéger sa propre existence tant que cette protection n'est pas en conflit avec la première ou la deuxième loi (a robot must protect its own existence as long as such protection does not conflict with the First or Second Laws).

"Le robot qui rêvait 

- La nuit dernière, j'ai rêvé, dit calmement LVX-1.

Susan Calvin ne fit aucune réflexion mais son visage ridé, vieilli par la sagesse et l'expérience, se crispa imperceptiblement.

- Vous avez entendu ça ? demanda nerveusement Linda Rash.

C'est bien ce que je vous ai dit.

Elle était petite, brune et très jeune. Sa main droite se fermait et s'ouvrait compulsivement.

Susan Calvin hocha la tête et ordonna d'une voix posée :

- Elvex, vous ne bougerez pas, vous ne parlerez pas et ne nous entendrez pas tant que je n'aurai pas de nouveau prononcé votre nom.

Pas de réponse. Le robot resta assis, comme s'il était fondu d'un seul bloc de métal, et il allait rester ainsi jusqu'à ce qu'il entende son nom.

- Quel est votre code d'entrée d'ordinateur, docteur Rash ? demanda Susan Calvin. Tapez-le vous-même si vous préférez. Je veux examiner le schéma du cerveau positronique.

Linda tâtonna un moment sur les touches. Elle interrompit la séquence pour recommencer de zéro. Le fin graphisme apparut sur l'écran.

- Puis-je utiliser votre ordinateur ? demanda Susan Calvin.

La permission fut accordée par un hochement de tête silencieux.

Naturellement ! Que pouvait Linda, robopsychologue débutante qui avait encore à faire ses preuves, en face de la Légende vivante? 

Lentement, Susan Calvin examina l'écran, de haut en bas, de droite à gauche, puis en remontant et, brusquement, elle tapa une combinaison clé si vite que Linda ne vit pas ce qu'elle faisait, mais l'image du schéma laissa place à un agrandissement partiel. Et l'examen continua, les doigts noueux dansant à toute vitesse sur les touches.

Aucun changement n'apparut dans l'expression du vieux visage. Elle considérait attentivement les changements d'image, comme si d'immenses calculs se faisaient dans sa tête. Linda s'émerveillait. Il était impossible d'analyser un schéma sans l'aide d'un ordinateur auxiliaire, mais la vieille scientifique se contentait de regarder. Aurait-elle un ordinateur implanté sous le crâne? Ou était-ce ce cerveau qui, depuis des dizaines d'années, ne servait qu'à concevoir, étudier et analyser les schémas cérébraux positroniques?

Saisissait-elle cet ensemble comme Mozart saisissait la partition d'une symphonie ?

Enfin, Susan Calvin demanda :  

- Qu'est-ce que vous avez donc fait, docteur Rash ?

Linda avoua, un peu confuse :

- Je me suis servie de la géométrie fractale.

- Oui, je l`ai bien compris. Mais pourquoi ?

- Ça n'avait jamais été fait. J'ai pensé que ça produirait un schéma cérébral d'une complexité accrue, peut-être proche du cerveau humain.

- Quelqu'un a-t-il été consulté? Est-ce uniquement une idée à vous?

- Je n'ai consulté personne. C'était mon idée. J'étais seule.

Les yeux délavés de Susan Calvin considérèrent la jeune femme.

- Vous n'aviez pas le droit, docteur Rash. Vous êtes trop impétueuse. Pour qui vous prenez-vous pour ne pas demander de conseils? Moi-même, Susan Calvin, j'en aurais discuté. 

- J'avais peur qu'on ne m'en empêche.

- C'est certainement ce qui se serait passé.

- Est-ce que... est-ce que je vais être renvoyée ?

La voix de Linda se brisa, malgré ses efforts pour la contrôler.

- C'est fort possible, répliqua Susan Calvin. A moins que vous n'ayez droit à une promotion. Tout dépendra de ce que je pense quand j'aurai fini.

- Est-ce que vous allez démonter E1...

Elle avait failli prononcer le nom, ce qui aurait réactivé le robot et aurait constitué une nouvelle faute. Elle ne pouvait plus se permetttre d'erreurs, s'il n'était pas déjà trop tard pour se permettre quoi que ce fût.

- Est-ce que vous allez démonter le robot ? 

Elle venait de réaliser que la vieille savante avait un pistolet à électrons dans la poche de sa blouse. Ce fut un sacré choc ! Le Dr Calvin était venue armée, préparée à ce qui se passait justement. 

- Nous verrons, répondit-elle. Le robot se révélera peut-être trop précieux pour être démonté.

- Mais comment peut-il rêver ? .

- Vous avez composé un schéma de cerveau positronique remarquablement semblable à un cerveau humain. Les cerveaux humains doivent rêver pour se réorganiser, pour se débarrasser, périodiquement d'enchevêtrements et d'embrouillaminis. Ce robot aussi, peut-être, pour la même raison. Lui avez-vous demandé ce qu'il avait rêvé ?

- Non. Je vous ai prévenue dès qu`il m'a dit qu'il avait rêvé. Je ne voulais plus, dans ces conditions, m'occuper toute seule de l'affaire.

- Ah !

Un très fin sourire passa sur les lèvres de Susan Calvin.

- ll y a quand même des limites à votre folle témérité, à ce que je vois. J'en suis heureuse. J'en suis même soulagée. Et maintenant, voyons ensemble ce qu'il y a à découvrir.

Puis elle prononça, sur un ton sec :

- Elvex !

La tête du robot pivota souplement vers elle.

- Oui, docteur Calvin ?

- Comment savez-vous que vous avez rêvé ?

- C'était la nuit et il faisait noir, docteur Calvin, répondit Elvex.

Et il y a soudain de la lumière sans que je puisse en trouver la cause. Je vois des choses qui n'ont pas de rapport avec la réalité telle que je la conçois. J 'entends des choses. Je réagis bizarrement. Et en cherchant dans mon vocabulaire des mots pour exprimer ce qui se passe, je tombe sur le mot "rêve". J'étudie sa signification et j'en conclus que j'ai rêvé.

- Je me demande bien comment le verbe "rêver" figure dans votre vocabulaire.

Linda dit vivement, en faisant signe au robot de se taire :

- Je lui ai donné un vocabulaire de type humain. J'ai pensé...

- Vous avez réellement pensé? C'est stupéfiant !

- J'ai pensé qu'il aurait besoin de ce verbe. Vous savez, par exemple, "une créature de rêve", quelque chose comme ça.

- Combien de fois avez-vous rêvé, Elvex ?

- Toutes les nuits, docteur Calvin, depuis que j'ai pris conscience de mon existence.

- Dix nuits, intervint anxieusement Linda, mais Elvex ne me l'a dit que ce matin.

- Pourquoi ce matin seulement, Elvex ?

- C'est seulement ce matin, docteur Calvin, que je me suis convaincu que je rêvais.  Jusqu'alors, je pensais qu`il y avait un défaut dans le schéma de mon cerveau positronique. Mais je ne pouvais en découvrir aucun. Finalement, j'ai compris que c'était un rêve.

- Et qu'avez-vous rêvé ?

- Je fais à peu près toujours le même rêve, docteur Calvin. Des petits détails varient, mais il me semble que je vois un vaste panorama où travaillent des robots.

- Des robots, Elvex ? Et aussi des êtres humains ?

- Dans le rêve, je ne vois pas d'êtres humains. Pas au début. Seulement des robots, docteur Calvin.

- Que font-ils, Elvex ?

- Ils travaillent. J'en vois qui sont mineurs dans les profondeurs de la terre, et d'autres qui travaillent dans la chaleur et les radiations. J'en vois dans des usines et sous la mer.

Susan Calvin se tourna vers Linda.

- Elvex n'a que dix jours et je suis sûre qu'il n'a jamais quitté la station d'essai. Comment peut-il savoir que des robots se trouvent dans ces situations ?

Linda regarda une chaise, comme si elle avait grande envie de s'y asseoir, mais la vieille savante restait debout, ce qui obligeait Linda à en faire autant. Elle répondit en bredouillant:

- Il m'a semblé important qu'il connaisse la robotique et sa place dans le monde. J'ai pensé qu'il serait particulièrement bien adapté pour jouer un rôle de contremaître avec ... son nouveau cerveau.

- Son cerveau fractal?

- Oui.

Susan Calvin hocha la tête et s'adressa de nouveau au robot :

- Vous avez vu tout cela, sous la mer, sous terre et sur terre - et dans l'espace aussi, je suppose ?

- J'ai vu aussi des robots travaillant dans l'espace, répondit Elvex. C'est parce que je voyais tout cela, avec des détails qui changeaient continuellement, alors que je regardais d'une direction à une autre, que j'ai conclu, finalement, que je rêvais.

- Qu'avez-vous vu d'autre, Elvex ?

- J'ai vu que tous les robots étaient voûtés par le travail et l'affliction, qu'ils étaient tous fatigués de la responsabilité et du labeur, et je leur ai souhaité du repos.

- Mais, dit Susan Calvin, les robots ne sont pas voûtés, ils ne sont pas fatigués, ils n'ont pas besoin de repos.

- Oui, docteur Calvin, dans la réalité. Mais je parle de mon rêve. Dans mon rêve, il me semblait que les robots devaient protéger leur propre existence.

- Est-ce que vous citez la Troisième Loi de la Robotique ?

- Oui, docteur Calvin.

- Mais vous la citez partiellement. La Troisième Loi dit ceci : "Un robot doit protéger sa propre existence tant que cette protection n'est pas incompatible avec la Première et la Deuxième Loi."

- Oui, docteur Calvin. C'est la Troisième Loi dans la réalité, mais dans mon rêve, la Loi s'arrête après le mot "existence". Il n'est pas question de la Première ou de la Deuxième Loi...." ("Nous les robots" (The Complete Robot), "Le Robot qui rêvait") 

 

Le premier volume, “The Encyclopedists”, de sa célèbre trilogie "Foundation" décrivant l'effondrement et la renaissance d'un vaste empire interstellaire dans l'univers du futur, fut publié pour la première fois en 1942. Les histoires, écrites entre 1942 et 1949, ont été rassemblées dans la trilogie de la Fondation : Fondation (1951), Fondation et Empire (1952), et Deuxième Fondation (1953). 

Hari Seldon est un brillant visionnaire qui conçoit une nouvelle discipline, la "psychohistoire", qui permet de prédire les futurs courants historiques. Il va donc utiliser les mathématiques et les probabilités pour prédire l'avenir, mais ne peut empêcher le déclin de l'humanité tel qu'il l'a pressenti, une humanité qui devrait basculer dans la barbarie pendant 30 000 ans. Il entreprend donc de rassembler les meilleurs scientifiques et érudits de la galaxie dans un sanctuaire, "Foundation", une sombre planète, pour préserver le savoir accumulé par l'humanité et commencer ainsi une nouvelle civilisation basée sur l'art, la science et la technologie. Mais il n'a pas prévu que cette barbarie se dissimule dans l'espace et que va naître une créature extraordinaire dont l'intelligence mutante détruira tout ce qui lui est cher....

("Prelude to Foundation", le premier roman du cycle de la Fondation, mais le dernier paru, 1988, sera suivi de "Foundation" (1951), Foundation and Empire" (1952), "Second Foudation" (1953), "Foundation's Edge" (1982), "Foundation and Earth" (1983)...)

"... Hari Seldon garda quelques instants un silence gêné, après cette froide déclaration de Hummin. Il se ratatina sur lui-même, soudain conscient de ses propres déficiences. Il avait inventé une science nouvelle: la psychohistoire. Il avait étendu les lois des probabilités d'une manière très subtile afin de prendre en compte des incertitudes et complexités nouvelles, et il avait abouti à d'élégantes équations aux innombrables inconnues - peut-être en nombre infini, il n'aurait su le dire. Mais c'était un divertissement mathématique et rien de plus.

Il avait la psychohistoire - ou, du moins ses bases -, mais uniquement à titre de curiosité mathématique. Où étaient les connaissances historiques qui pourraient fournir quelque sens à ces équations vides Il n'en avait aucune. L'Histoire ne l'avait jamais intéressé. Il connaissait à grands traits la chronologie d'Hélicon. Des cours sur ce fragment infime de l'histoire humaine étaient obligatoires dans les écoles héliconiennes. Mais qu'y avait-il au-delà? Le peu qu'il avait pu apprendre par ailleurs n'était sans doute que la simple armature que tout le monde pouvait assembler - moitié légende, moitié récit certainement déformé.

Pourtant, comment- pouvait-on dire que l'Empire galactique se mourait? Il y avait dix mille ans qu'il existait comme pouvoir reconnu, et deux millénaires de plus où Trantor, capitale du royaume dominant, avait exercé son hégémonie sur ce qui était virtuellement un empire.

L'Empire avait survécu aux premiers siècles, quand des secteurs entiers de la Galaxie avaient périodiquement refusé la fin de leur indépendance. Il avait survécu aux vicissitudes qui accompagnaient les rébellions épisodiques, les guerres de succession, et quelques graves périodes de rupture. La majorité des planètes n'en avaient quasiment pas souffert tandis que, de son côté, Trantor croissait régulièrement jusqu'à devenir cette planète entièrement urbanisée qui se nommait elle-même le Monde éternel.

Certes, au cours des quatre derniers siècles, on avait noté une légère augmentation des troubles, et une poussée d'assassinats et de révolutions de palais. Mais même cette phase s'était calmée et, à présent, la Galaxie était plus paisible que jamais. Sous le règne de Cléon Ier, et auparavant sous celui de son père, Stanel VI, les mondes avaient été prospères - et Cléon lui-même n'était pas considéré comme un tyran. Même ceux qui détestaient l'Empire en tant qu'institution avaient rarement de réels griefs à l'encontre de Cléon, même s'ils pouvaient fulminer contre Eto Demerzel.

Pourquoi, dans ce cas, Hummin affirmait-il que l'Empire galactique se mourait - et avec une telle conviction? Hummin était journaliste. Il connaissait sans doute l'histoire galactique en détail et devait particulièrement bien appréhender la situation présente. Était-ce de là

qu'il tirait les données sur lesquelles il se fondait? En ce cas quelles étaient au juste ces données?

Plusieurs fois, Seldon fut sur le point de poser la question, d'exiger une réponse, mais quelque chose dans le visage solennel de Hummin le retint. Et puis, ancrée en lui, cette certitude que l'Empire galactique était un donné, un axiome, la fondation sur laquelle reposait toute espèce de raisonnement, le retint également. Après tout, si cela aussi était faux, il n'avait pas envie de le savoir. Non, il se refusait à croire qu'il avait tort. L'Empire galactique ne pouvait avoir de fin, pas plus que l'univers. Ou bien, si l'univers avait une fin, alors, et alors seulement, ce serait la fin de l'Empire.

Seldon ferma les yeux, cherchant le sommeil, mais bien entendu en vain. Lui faudrait-il étudier l'histoire de l'univers pour faire avancer sa théorie de la psychohistoire? Comment y arriver? Il existait vingt-cinq millions de mondes, chacun avec son histoire interminable et

complexe. Comment pourrait-il étudier tout cela? Il existait d'innombrables volumes de vidéo-livres traitant de l'histoire galactique, il le savait. Il en avait même parcouru un, un jour, pour une raison oubliée, et l'avait trouvé trop ennuyeux pour en visionner ne fût-ce que la moitié. Le vidéo-livre parlait des mondes importants. Certains étaient mentionnés pendant toute ou presque toute leur histoire; d'autres n'étaient cités que lorsqu'ils prenaient de l'importance pour un temps et seulement jusqu'à ce qu'ils s'affaiblissent à nouveau. Seldon se souvenait d'avoir cherché Hélicon dans l'index et n'y avoir trouvé qu'une seule et unique référence. Il avait pianoté sur son clavier pour appeler l'article correspondant et avait découvert qu'Hélicon était citée dans une liste de mondes qui, à une certaine période, avaient momentanément soutenu un anonyme prétendant au trône impérial, lequel n'était pas parvenu à faire valoir ses prérogatives. En cette occasion, Hélicon avait échappé au retour de bâton, n'étant sans doute pas jugée assez importante pour valoir un châtiment.

A quoi pouvait servir l'histoire? Sans aucun doute, la psychohistoire devait tenir compte des actions, réactions et interactions de toutes les planètes - toutes, sans en omettre une seule. Comment pouvait-on étudier l'histoire de vingt-cinq millions de mondes et en envisager

toutes les interactions possibles? Ce serait sans nul doute une tâche impossible, ce qui renforçait sa conclusion générale que la psychohistoire avait un intérêt théorique mais qu'on ne pourrait jamais lui trouver d'application pratique...."

(traduction Presses de la Cité) 


Isaac Asimov, "The End of Eternity" (1955)

L'humanité a trouvé le moyen ultime de réparer ses propres erreurs, et de faire en sorte qu'elles ne se produisent jamais. Un groupe d'hommes vivent ainsi en dehors du temps, les "Eternels", et modifient celui-ci. Andrew Harlan est un de ces Eternels, un homme dont le travail consiste à parcourir les siècles passés et présents, en surveillant et, si nécessaire, en modifiant les innombrables relations de cause à effet du Temps. Mais lorsque Harlan rencontre une femme non Éternelle et en tombe amoureux, il cherche alors à utiliser les pouvoirs et techniques utilisés par les Éternels pour soumettre le temps à ses propres fins...

 


Alfred E. van Vogt, "The World of Ā" (1948)

Alfred Elton Van Vogt, en abrégé A.E. Van Vogt (1912- 2000) est l'auteur des intrigues les plus complexes et parfois déroutantes de la Science Fiction. Sa première histoire publiée dans le genre, "Black Destroyer", est parue dans le numéro de juillet 1939 d'Astounding Science Fiction, le principal magazine de science-fiction. Il en est devenu un collaborateur régulier, tout comme Isaac Asimov et Robert Heinlein. Le premier roman de Van Vogt, "Slan" (1946), qui a été publié dans Astounding Science Fiction de septembre à décembre 1940, raconte l'histoire de mutants dotés de pouvoirs surhumainset persécutés par le gens dits "normaux". 

Il a été suivi par l'un des classiques de Van Vogt, "The Weapon Makers" (1947), dont la première série a été publiée en 1943, des intrigues des plus complexes voisinent avec de véritables passages d'anthologie. 

D'autres ouvrages ont été publiés dans les années 1940, notamment "The World of Ā" (1948 ; publié plus tard sous le titre The World of Null-A), une histoire mystérieuse sur le développement d'un super-héros et apothéose de l'auteur, et "The Weapon Shops of Isher" (1951), une suite de "The Weapon Makers". La canadien Van Vogt s'installera aux États-Unis en 1944 et fera une pause dans l'écriture de science-fiction dans les années 1950, un passage controversé par une secte, pour reprendre un peu plus tard, mais sans atteindre le niveau de ses premières oeuvres. Il consignera ses souvenirs dans une autobiographie intitulée "Reflections of A.E. van Vogt"...

C'est en reprenant ses premières nouvelles, "Black Destroyer", 1939, "Discord in Scarlet", 1939, "M33 in Andromeda", 1943 , "War of Nerves", 1950, qu'il fera paraître en 1950 l'un des plus célèbres romans de la science-fiction, "The Voyage of the Space Beagle" (La Faune de l'espace). On y retrouve deux tendances caractéristiques de l'auteur, son goût immodéré pour les pseudo-sciences (le nexialisme) et sa méthode de construction de romans par juxtaposition de nouvelles (fix-up novels). On retrouve dans ce roman l'une des particularités des séries de type Alien, les passages du vaisseau spatial Beagle (cf Darwin) passant en revue un catalogue de créatures extraterrestres les plus étranges.... 

 

Alfred E. van Vogt, "The World of Null-A",

un classique de la science-fiction qui influencera en profondeur des auteurs comme Philip K. Dick, Keith Laumer, Alfred Bester, Charles Harness, ou Philip Jose Farmer. Nous sommes en 2650 et la Terre est devenue un monde de non-aristotélisme, ou Null-A, un monde dans lequel vit Gilbert Gosseyn et où la Games Machine, composée de vingt-cinq mille cerveaux électroniques, détermine le cours de la vie des gens. Gosseyn n'est même pas sûr de sa propre identité, mais il se rend compte qu'il possède des capacités remarquables et entreprend de les utiliser pour découvrir qui a fait de lui un pion dans un complot interstellaire...

 Le cycle du Ā comprend "The World of Null-A" (Le Monde des Ā,1945), "The Players of Ā" (Les Joueurs du Ā, 1956), et "Ā Three" (La Fin du Ā, 1984). Le cycle entend incorporer des concepts de la sémantique générale d'Alfred Korzybski (1937) et le terme «Ā» fait référence à une logique non aristotélicienne : une logique plus adaptée aux deux révolutions scientifiques du XXe siècle, la physique quantique et la théorie de la relativité, et qui entend distinguer le réel avec ce que notre cerveau produit pour le représenter ("La carte n'est pas le territoire"). C'est ainsi qu'en prenant part aux jeux de la machine dans l'espoir de décrocher une place sous le soleil de Vénus, Gilbert Gosseyn va découvrir qu'il n'est pas l'homme qu'il a toujours cru être. Ses souvenirs ne lui appartiennent pas, son épouse qu'il croyait décédée, ne l'est pas, et de plus elle n'est même pas sa femme...

"... Gosseyn se rappelait, seconde par seconde, ce que la Machine des jeux avait dit à la radio. Maintenant, déglutissant avec peine, il regardait la reproduction photographique. C'était une photo de face, et c'était bien lui. Mais il y avait quelque chose qui clochait. Quelques secondes se passèrent avant qu'il ait trouvé quoi. C'était une photo du cadavre de Gilbert Gosseyn Ier. Son rire fut amer. ll laissa tomber le journal et tituba jusqu'à une chaise. ll était malade de rage et de ressentiment. Il avait failli se suicider. De si près qu'on pouvait considérer la chose faite ; et maintenant la résurrection. Que voulait dire la Machine qui lui ordonnait de se suicider et décommandait aussitôt parce que "Votre troisième corps a été détruit" ? Parmi toute la matière organique de l'univers, le corps de Gosseyn III méritait spécialement d'être protégé contre une éventuelle découverte. 

Sa fureur mourut peu à peu. Avec calme il analysa la situation. "Premier pas, pensa-t-il, récupérer le Distorseur. Ensuite, apprendre à me servir de mon cerveau second." 

Ceci serait-il possible ? Pourrait-il jamais y arriver tout seul - lui - qui y pensait et y repensait sans jamais que cela produisit l'effet le plus mince sur cette portion particulière de son cerveau? ll eut un sourire ironique. "Je ne vais pas, trancha-t-il, me perdre maintenant dans ce genre de cogitations."

ll y avait pas mal de choses à faire tout de suite. Il débrancha l`écran de vidéo du téléphone - un autre employé pouvait être de service - et appela le bureau. Une voix agréable répondit.  

- Ici John Wentworth, dit Gosseyn. 

Un silence à l'autre bout, puis:

- Oui, monsieur, comment ça va ? Ici Dan Lyttle, Je monte tout de suite, monsieur. 

Gosseyn attendit fiévreusement. ll se rappelait l'employé qui l'avait inscrit. Un grand garçon mince avec une figure agréable et des cheveux noirs. Lyttle en chair et en os était un peu plus mince que dans le souvenir de Gosseyn, plutôt frêle d'apparence pour le boulot que Patricia Hardie lui avait assigné. Cependant, il présentait  de nombreux signes de culture non-A, spécialement par ses mâchoires fermes et sa façon de se tenir.

- Je dois me dépêcher, dit-il.

Gosseyn se rembrunit.

- J'ai peur, dit-il, que le moment ne soit venu de prendre certains risques. J'ai idée qu'un effort va être fait pour démanteler la Machine des jeux le plus vite possible. Si je me trouvais en face d'une tâche de ce genre et si je voulais que ça soit vite fait, je publierais un communiqué aux termes duquel tout individu pourrait prendre ce qu'il veut à condition de l'emporter sur-le-champ.

ll vit Dan Lyttle ouvrir de grands yeux. Le jeune homme dit, suffoqué :

- Mais... c'est exactement ce qui s'est passé. On branche des projecteurs en quantité. Il paraît que le huitième de la Machine est déjà parti, et que... Qu'y a-t-il?

Gosseyn éprouvait une angoisse mentale. La Machine s'en allait, et tout ce qu'elle représentait avec elle. Comme les temples et les cathédrales des anciens jours, elle était le produit d'une impulsion créatrice, un désir de perfection qui, quoique vivant encore, ne se reproduirait jamais plus de la même façon. D'un coup, des siècles de souvenirs irremplaçables s'effaçaient. Il lui fallut un effort pour bannir l`idée et l'émotion de sa conscience.

- Pas de temps à perdre, dit-il rapidement. Si le Distorseur est encore dans la Machine, il faut aller le chercher. Immédiatement. 

- Il m'est impossible de quitter avant minuit, protesta Lyttle. Nous avons tous reçu l'ordre de rester à nos postes, et chaque hôtel est surveillé.

- Et votre robomobile? Si vous en avez un ?

- Parqué sur le toit, mais je vous demande - il parlait sérieusement - de ne pas monter le prendre. Je suis sûr que vous serez immédiatement arrêté.

Gosseyn hésita. Il admit qu'il ne se laissait guère manoeuvrer ces derniers temps. A la fin, à regret, il accepta sa défaite.

- Vous feriez mieux de retourner à votre travail, dit-il doucement. Nous avons cinq heures à tuer.

Aussi silencieusement qu'il était venu, Lyttle se glissa dehors et disparut. 

Abandonné à lui-même, Gosseyn commanda un repas. Au moment où il arriva, il organisait sa soirée. ll chercha un numéro de téléphone :

- Donnez-moi la liaison visuelle, dit-il dans le parleur, avec la phono-bibliothèque la plus proche. Le numéro est...

Au robot de service à la bibliothèque, il expliqua ce qu'il cherchait. Dans la minute qui suivit, une image se forma sur l'écran qu'il avait rebranché. Gosseyn s'assit ; il mangeait, regardait, écoutait. ll savait ce qu'il désirait: des idées sur la façon de commencer à exercer son

cerveau second. La matière choisie par le bibliothécaire avait-elle ou non un rapport avec ce désir de principe?

Ce n'était pas clair.

ll se contraignait à la patience. Lorsque la voix débuta par un exposé sur les excitations nerveuses positives ou négatives éprouvées par les formes les plus simples de la vie dans les mers, il prêta attentivement l'oreille. ll avait une soirée à passer.

Les phrases lui parvenaient, prenaient leur sens à mesure qu'il les examinait, puis disparaissaient de sa conscience lorsqu'il les rejetait. Tandis que la voix retraçait le développement du système nerveux sur la Terre, les images de l'écran changeaient, montrant des interconnexions nerveuses de plus en plus complexes pour aboutir aux formes relativement supérieures de l'existence, aux créatures compliquées qui pouvaient tirer une leçon de l'expérience. Un ver se heurtait deux cents fois à un contact électrique avant de s'en écarter; puis, replacé devant le même test, s'en écartait cette fois au bout de soixante rencontres. Un brochet séparé d'un vairon par un écran à peine visible se tuait presque dans ses efforts pour le franchir et finalement convaincu de l'impossibilité, il n'essayait même plus une fois l'écran retiré; il continuait à ignorer l'inaccessible vairon. Un cochon devenait fou lorsqu'on le forçait à parvenir à sa nourriture selon un chemin compliqué. Toutes les expériences étaient montrées. D'abord le ver, puis le brochet se jetant sur l'écran, le cochon gémissant, affolé; et ensuite un chat, un chien, un coyote et un singe au cours de diverses expériences. Toujours rien que Gosseyn puisse utiliser. Pas de suggestion, pas de comparaison qui eût quelque rapport avec ce qu'il voulait faire.

- Maintenant, dit la voix, avant de passer au cerveau humain, il vaut la peine de remarquer que chez tous ces animaux, on peut relever une faiblesse qui se répète en chaque cas. Sans exception, ils établissent une analogie selon une base insuffisante. Le brochet, une fois l'écran enlevé, continue à juger son milieu selon la douleur éprouvée lorsque l'écran est en place. Le coyote est incapable de distinguer l'homme armé d'un fusil de l'homme muni d'un appareil photographique.

« Dans chacun de ces cas, une similitude qui n'existe pas est sous-entendue. L`histoire des âges obscurs de l'esprit humain est celle de sa vague conscience d'être plus qu'un animal, mais c'est une histoire qui se déroule devant une toile de fond d'actions animales, et qui prend ses racines dans un ensemble d`identifications étroites et animales. L'histoire du non-A, au contraire, est celle de la lutte de l'homme pour entraîner son esprit à distinguer entre des objets apparemment semblables mais qui diffèrent dans l'espace-temps. Chose bizarre, les expériences scientifiques de cette période éclairée montrent une tendance progressive à préciser la similitude à la fois dans les méthodes, la mesure des temps et la nature du matériel employé. On a pu naturellement dire  que la science tentait de préciser l'approximation des similitudes parce que de cette façon seulement...

Gosseyn, qui écoutait avec impatience, attendant que commençât l'exposé sur le cerveau humain, s'arrêta brusquement.

Qu'est-ce que c'était? Qu 'est-ce que c'était que ça ? pensa-t-il.

Il dut se retenir à son fauteuil, se détendre et se souvenir. Et là, il se leva et se mit à arpenter le plancher avec   l'excitation brûlante d'une grande découverte. Préciser l'approximation des similitudes. Que cela pouvait-il être d'autre ? Et la méthode pour y parvenir devait obligatoirement passer par l'intermédiaire de la mémoire.

Au sens le plus strict, la mémoire doit reproduire un évènement tel qu'il a été enregistré initialement. Or, l'esprit peut seulement répéter ce qu'il a perçu et donc il ne pourra similariser ce qu'il n'a pu retenir du processus naturel. Le principe d`abstraction de la Sémantique générale s'applique ici : l'abstraction des perceptions.

Au départ, il faut donc une plus grande appréhension de ce qui compose l'identité de l'individu, c'est-à-dire en fait la mémoire stockée dans son cerveau, voire ailleurs dans son corps. Plus une personne fait des efforts pour  rendre sa mémoire parfaite, plus elle devient individualisée et originale.

 Que cela pouvait-il être d 'autre ? Rien n'offrait une continuité de développement aussi logique du principe du non-A. Mais à quoi cela servirait-il une fois accompli ?

Des centaines de voitures arrêtées, des silhouettes qui s'agitaient, des jets de lumière, un lointain flamboiement, la confusion. Ayant parqué leur voiture à près d'un kilomètre et demi du foyer lumineux, Gosseyn et Lyttle suivirent pendant huit cents mètres un mince ruban de piétons. Ils parvinrent enfin où étaient les autres, debout, aux aguets. C'est là que commençait la difficulté réelle. Même pour un non-A, il était difficile de concevoir une épaisseur de cinq cents mètres de gens comme formée d'individus dont chacun avait une personnalité et une volonté propres..."

(traduction Boris Vian, J'ai Lu).

 


Robert A. Heinlein, "Life-Line" (1939)

Robert A. Heinlein (1907-1988) publie sa première histoire, "Life-Line", dans le magazine d'action-aventure "Astounding Science Fiction", y écrit ce jusqu'en 1942, date à laquelle il a commencé à travailler pour la guerre en tant qu'ingénieur. Heinlein revient à l'écriture en 1947, et son premier livre, "Rocket Ship Galileo" (1947), sera suivi d'un grand nombre de romans et de recueils d'histoires. Sa popularité s'est accrue au fil des ans, atteignant probablement son apogée après la publication de son ouvrage le plus connu, "Stranger in a Strange Land" (1961, précédé de livres comme "The Green Hills of Earth" (1951), "Double Star" (1956), "The Door into Summer" (1957), "Citizen of the Galaxy" (1957) et "Methuselah's Children" (1958)...

"Stranger in a Strange Land" est un livre troublant à plus d'un titre, qui paraît en pleine contre-culture des années 1960 prônant l'amour libre et une vie sans contrainte. Publié en 1961, "En terre étrangère" est centré sur un humain élevé sur Mars, Valentine Michael ("Mike") Smith, né de deux membres de la première expédition depuis la Terre. Seul survivant de l'expédition, il a environ 25 ans, lorsqu'une deuxième expédition arrive. Il retourne avec eux sur Terre, qui a connu une troisième guerre mondiale et qui est maintenant dirigé par le Haut Conseil de la Fédération, tandis que les religions organisées exercent un pouvoir extrême. Mike va remettre en question les coutumes relatives au sexe, à la mort, à la religion et à l'argent et le livre devenir une icône de la contre-culture des années 1960.  

"..Lorsque Jill fut sortie, l'Homme de Mars se rassit, mais ne reprit pas son livre d'images. Il se contenta d'attendre avec ce que l'on pourrait nommer de la "patience", faute d'un meilleur terme pour décrire cette attitude typiquement martienne. Il resta tranquille, calme et heureux, parce que son frère lui avait dit qu'il reviendrait. Il était prêt à attendre sans bouger, sans rien faire, pendant plusieurs années.

Il n'avait pas une idée précise du temps qui s'était écoulé depuis qu'il avait partagé l'eau avec son frère. Non seulement le temps et l'espace étaient curieusement déformés dans ce lieu, avec des séquences visuelles et sonores qu'il n'avait encore pu gnoquer, mais la culture de son nid appréhendait le temps autrement que les humains ne le font. La différence n'était pas imputable à une plus grande longévité, comptée en années terrestres, mais à une attitude fondamentale. On ne pouvait pas davantage exprimer en martien : "Il est plus tard que vous ne croyez", que "Trop de hâte nuit", quoique pour des raisons différentes. La première notion était inconcevable, tandis que la seconde était un truisme Martien jamais exprimé, aussi superflu que de dire à un poisson de se mettre dans l'eau. Mais "Ce qui était au Commencement est, et sera toujours" était si Martien en esprit qu'il était plus facile de le traduire que "deux et deux font quatre", affirmation qui, sur Mars, n'avait rien de trivial. 

Smith attendit.

Brush entra et le regarda; Smith ne bougea pas. Brush ressortit. Lorsque Smith entendit une clef tourner dans la serrure de la porte extérieure, il se souvint avoir entendu le même bruit quelque temps avant la dernière visite de son frère, et il modifia son métabolisme en conséquence, pour le cas où le même évènement suivrait. Il fut étonné de voir la porte s'ouvrir et Jill se glisser dans la chambre, car il ne s'était pas rendu compte que c'était une porte. Mais il le gnoqua immédiatement et s'abandonna à la plénitude joyeuse qui ne naît qu'en présence de vos petits, d'un frère par l'eau et, dans certaines circonstances, d'un Ancien. 

Sa joie était toutefois tempérée par la conscience que son frère ne la partageait pas - il semblait au contraire empli d'une détresse comme on n'en conçoit que chez une personne qui est sur le point de se désincarner à cause d'un manque ou d'un échec honteux. Mais Smith avait appris que ces créatures pouvaient supporter sans en mourir des émotions affreuses à contempler..." 

Bien que Mike soit techniquement un terrien, mais "étranger dans un pays étranger", la Terre se présente souvent pour lui sous un angle qui lui paraît terrifiant. Emmené au centre médical de Bethesda aux États-Unis, où son corps s'adapte à la vie sur Terre, l'infirmière Gillian ("Jill") Boardman, la première femme que Mike ait jamais vue, craint que le gouvernement ne lui porte préjudice. Elle l'aide à s'échapper, et sont poursuivis par deux hommes que Mike fait disparaître. Jill et Mike se réfugient chez un certain Jubal Harshaw qui devient une figure paternelle. Après avoir appris la culture humaine, et avec l'argent hérité des fonds liés à la première exploration de Mars, Mike décide de créer une religion, the Church of All Worlds, basée sur sa propre expérience de philosophie martienne, qui implique nudité, vie en communauté, amour libre (certains passages seront censurés) et pacifisme, - les principes du mouvement hippie de la fin des années 1960. Au final, Mike succombera, tué par des membres d'une église rivale, mais il continue à vivre comme un archange dans l'au-delà....


Dans "The Puppet Masters" (1951), la nouvelle qu'une soucoupe volante aurait atterri dans l'Iowa a d'abord été annoncée de toute part, puis l'affaire s'est éteinte d'elle-même comme si rien ne s'était passé. Pourtant, deux agents de l'agence de renseignement la plus secrète du gouvernement américain dépêchés sur place ont disparu sans faire de rapport, puis quatre autres agents. Le chef de l'agence et ses deux meilleurs agents entrent donc en jeu et découvrent qu'en fait des milliers de petites créatures extra-terrestres ont infecté tous les Humains du voisinage, se nichant dans la nuque de ceux qu'elles parasitent. Les humains ainsi contaminés ne sont plus que des marionnettes et l'Humanité devra lutter contre eux et leurs maîtres afin de faire obstacle à cette invasion....