Empfindsamkeit - Friedrich Gottlieb Klopstock (1724 - 1803) - "Der Messias" (1748-1773) - Johann Christoph Gottsched (1700-1766), - Johann Jakob Bodmer (1698-1783) - Sophie de La Roche (1730-1807) - Matthias Claudius (1740-1815) - Christian Fürchtegott Gellert (1715-1769) - Johann Timotheus Hermes (1738-1821)...

Last update 10/10/2021


Vers les années 1750, l'Allemagne est en quête plus que jamais d'une expression littéraire. Pendant la récession économique de la fin du XVIIe siècle, les classes les plus instruites allemandes ont été tenté de prendre modèles sur leurs homologues français dans l'espoir de bénéficier des évolutions de la culture française. Leibniz écrira ainsi la plupart de ses essais en français et en latin, pendant que l'aristocratie considère que la culture allemande comme vulgaire et cherche l'inspiration du côté de la France et de l'Italie. C'est dans le sillage du piétisme et en réaction à l'oppression rationnelle des sentiments exercés par les Lumières comme au conservatisme, se développe de 1740 à 1780, en Allemagne, un mouvement esthétique, l’Empfindsamkeit, un "sentimentalisme" en corrélation le Jean-Jacques Rousseau de Julie ou la Nouvelle Héloïse (1761) et l' "Age of Sensibility" qui débute en Angleterre en 1745 autour de Samuel Richardson, - Pamela, or Virtue Rewarded (1740) -, et de Laurence Sterne, - Tristram Shandy (1759 -1767). Linguistiquement, l’Empfindsamkeit trouve son expression à travers sa tournure et le néologisme qui intensifie l'expression des sentiments. Les poètes allemands de cette époque sont Friedrich Gottlieb Klopstock (1724-1803), Christian Fürchtegott Gellert (1715-1769), Johann Timotheus Hermes (1738-1821) et Sophie de La Roche (1730-1807) qui fut la première auteure de roman épistolaire en allemand.

(Jens Juel, Portrait of Friedrich Gottlieb Klopstock, Hamburg, 1780)

 

1748-1774, Klopstock, maître incontesté des lettres en Allemagne et du sentimentalisme (der Erlebnisdichtung und der Empfindsamkeit) ...

Dans "Werther", Goethe décrit Charlotte, contemplant l'orage qui se déchaîne, et qui murmure simplement : «Klopstock» Elle songe, et Werther avec elle, à L'Ode au printemps. Klopstock fut le poète sentimental de la nature. Sous l'influence des "Nuits" de Young, puis plus tard d'Ossian, il chante la mélancolie des tombeaux et de la nuit ,"Die frühen Gräber" (Les Tombeaux précoces), "Sommernacht "(Nuit d'été). Dans l'histoire de la pensée allemande, Friedrich Gottlieb Klopstock est le représentant de la poésie sentimentale et deux grands courants de poésie traversent sa vie. Le "Messie" se complète peu à peu, dans un espace de vingt-cinq ans, et le recueil des "Odes" s'augmentant sans interruption.

Et ces deux œuvres, quelque différentes qu`elles soient par la forme extérieure, procèdent de la même inspiration, elles sont le produit des mêmes facultés poétiques. Klopstock est en effet celui qui parvient au travers de ses "Oden" à ce débordement des sentiments (Gefühlsüberschwänglichkeit) que le Sturm und Drang reprendra à son compte. Et cette sentimentalité qui s'exprime en Allemagne est d'autant plus singulière qu'elle parvient à unir l'influence piétiste et les enseignements de l'Aufklärung pour participer à une sécularisation du sentiment religieux au profit de sentiments purement humains comme l'amitié ou l'amour, mais aussi à jeter les bases d'une réflexion sur les sentiments qui va prendre autant d'importance que les sentiments eux-mêmes : on ne sépare pas ici l'activité de la pensée rationnelle (denken) du sentiment directement éprouvé (fühlen).

Mais en son temps, c'est à "Der Messias", à cette longue épopée en vingt chants et plus de vingt mille vers, publiée par fragments échelonnés sur une période de vingt-cinq ans (de 1748 à 1773), que Klopstock doit sa gloire. Une gloire qui commencera à s'estomper en 1774, un an après Goethe publiera Werther. 

L'écriture de la Messiade fut pour un Johann Jakob Bodmer (1698-1753) un miracle, l'écrivain ne coïncidait pas pour lui avec le personnage, "il semble, écrira-t-il, que le Créateur l'ait fait exprès pour écrire la Messiade; il semble que ce soit là sa vocation. Cependant c'est un singulier phénomène que cet homme : si grand dans son poème, si petit dans sa vie". Et Klopstock, d'une nature éminemment sensible, peut-être qu'il ne maîtrisait pas, fut contesté par un Goethe qui lui reprochait de n'avoir pas le sens plastique, et Schiller l'appelait un poète musicale. Chez lui, en effet, cette imagination si forte qui engendre les images, manque de structure et d'unité, les métaphores qui se heurtent obscurcissent l'idée, au lieu de la mettre en lumière. Une ode de Klopstock, une page du Messie, agissent sur l'esprit comme une mélodie. Le sens est ému; mais quand la dernière note a retenti, l'impression s'évapore. Il faut que le lecteur ressaisisse constamment, par un effort de la pensée, le lien qui échappe, et qu'il rétablisse une unité absente....

 

Karl Wilhelm Ramler (1725-1798) avait enseigné le mérite d'une phrase correcte et harmonieuse; Johann Wilhelm Ludwig Gleim (1719-1803) et Friedrich von Hagedorn (1708-1754) avaient mis de la vivacité et de la grâce dans l'expression des sentiments; Albrecht von Haller (1708-1777) et Ewald Christian von Kleist (1715-1759) avaient su peindre la nature. A. côté d'eux, des esprits distingués avaient réussi à être éloquents et vrais, en se passant des modèles qui avaient tour à tour soutenu et égaré leurs devanciers. Le mouvement littéraire était commencé quand Klopstock débuta : il en prit aussitôt la direction d`une main puissante. Il fut à la fois grammairien et poète, mais, avant tout, chef d`école et novateur en tous sens. Toutes les aspirations qui s'étaient fait jour dans tel ou tel groupe isolé se trouvèrent tout d`un coup réunies et concentrées dans un seul homme. Klopstock apparut comme le représentant complet de l'époque, de ses nobles ambitions comme de ses illusions et de ses erreurs : ce fut le secret de sa force, et de son succès. 

L`époque demandait avant tout de l'originalité. Être original, c'était ne plus dépendre des Français. Johann Jakob Bodmer (1698-1753) s'était déjà séparé de la France; Klopstock consomma la rupture et la proclama hautement. Être original, être national, fut désormais le mot d`ordre. Original, on ne l'était pas toujours; mais du moins on croyait l`être, et l'on était encouragé par cette croyance. Bodmer avait recommandé l`étude des Anglais ; Klopstock le suivit dans cette voie. A Milton, il ajouta Richardson et Young. La tendresse maladive de l'un, la vague mélancolie de l'autre, convenaient à une société pleine d'incertitude et de malaise; elles convenaient aussi à la nature élégiaque de Klopstock. Sous ce rapport encore, il y avait accord intime entre l'écrivain et son temps.

 

"Il est tantôt l'auteur de la Messiade, tantôt Klopstock", écrira Bodmer, avec amertume, et l'épigramme de Lessing est connu, «Chacun admire Klopstock ; mais chacun le lit-il ? Non. J'aimerais mieux avoir moins d'admirateurs et plus de lecteurs». Mais Klopstock fut avant tout un hardi novateur, il apprit aux Allemands à oser, et chacun de ses ouvrages fut un coup d'audace..

 

Né à Quedlinburg (Saxe-Anhalt), au pied des montagnes du Harz, le 2 juillet 1724, Frédéric-Gottlieb Klopstock fit ses premières études à Schulpforta. Il était l'aîné de dix-sept ans et d'une famille de rude bourgeoisie dont un protestantisme rigide tenait lieu de toute culture intellectuelle. Un père au caractère entier et despotique, animé d'une piété ardente et prompte à la riposte, ne souffrant en sa présence le moindre écart de langage. A l'école de Schulpforta, on y apprenait aux élèves, selon la méthode du temps, à composer des vers latins, grecs, exercices dans lequel brillait le jeune Klopstock qui développa un certain penchant pour la poésie épique. En 1745, à vingt-un ans, son discours de sortie, qu'il prononça en latin, fut une comparaison entre Homère, Virgile et Milton. 

Il commença ses études de théologie à léna, mais il ne perdit pas de vue ses projets littéraires, chanter un Héros. Il commença à écrire les trois premiers chants de la Messiade en prose, mais n'était pas encore fixé sur la forme du vers qu'il choisirait. Il avait songé d'abord à chanter le bienfaiteur de sa ville natale, l'empereur Henri l'Oiseleur, duc de Saxe et principal opposant du dernier roi carolingien Conrad Ier au Xe siècle, mais il s'arrêta à l'idée du Messie. 

Dès l'année suivante, il se rendit à Leipzig, qui était le centre de la littérature allemande, et où l'autorité de Gottsched diminuait de jour en jour. Quelques jeunes écrivains rédigeaient ensemble un recueil périodique qui s'appelait la Revue de Brême (Bremer Beitraege), du nom de la ville où elle s'imprimait. Klopstock publia dans cette revue, en 1748, ses trois premiers chants, qu'il avait mis en vers hexamètres. Il avait vingt-quatre ans et rien d'aussi important n'avait paru dans la poésie allemande depuis le moyen âge. Un enthousiasme indescriptible accueillit le nom du jeune poète, et dès lors, sans s'effrayer des difficultés inséparables de son sujet, il poursuivit pendant vingt-cinq ans son entreprise. Klopstock avait la candeur des âmes hautes; il nourrissait une ambition qu'il avouait ingénument. Égaler l'Allemagne aux grandes nations littéraires, s'égaler lui-même aux poètes les plus illustres, faire de l'Allemagne une Italie du temps de la Renaissance, une France du dix-septième siècle, et lui-même être un Homère. 

Il avait déjà commencé à écrire des odes sur des rythmes antiques. Une des premières a pour titre, "La femme que j'aimerai un jour" (Die künftige Geliebte) : «Pourquoi, ô nature, pourquoi, mère cruelle, m'as-tu donné un cœur trop facile à émouvoir? Pourquoi suis-je forcé d'aimer, lorsque je n'ai aucun être à qui je puisse confier mon amour?» Ce fut Fanny, ou, pour la désigner par son vrai nom, Sophie Schmidt , une cousine germaine de Klopstock qu'il connut à Langensalza, où il fut quelque temps précepteur. 

("Le peintre discutant avec Johann Jakob Bodmer", par Heinrich Füssli) 

Au temps de la jeunesse de Klopstock, c'est-à-dire vers 1750, deux écoles se partageaient l'Allemagne littéraire, l'école saxonne et l'école suisse.

D'un côté, un professeur de l'université de Leipzig, Johann Christoph Gottsched (1700-1766), continuait, à un siècle de distance, les traditions du poète silésien Opitz. Décrit comme le dernier représentant du goût français en Allemagne, prussien d'origine qui voulait donner à l'Allemagne une unité de langue et d'esprit, à l'égal de la France, mais sa rigidité lui porta préjudice. 

De l'autre, un écrivain suisse, Johann Jakob Bodmer (1698-1783), d'abord isolé, mais bientôt soutenu par quelques jeunes gens, tentait d'ouvrir des voies nouvelles. Bodmer avait traduit Milton, et Gottsched dirigeait contre l’épopée anglaise des arguments empruntés à Voltaire. Gottsched n'était pas poète; mais sa femme essayait de l'être pour lui. Mme Gottsched, Luise Gottsched (1713-1762) avait de l'esprit, de l'imagination, de la beauté. Elle traduisait tour à tour Molière, Voltaire, Destouches, qui étaient en grand honneur sur le théâtre allemand. Elle composait elle-même des comédies. Son mari n'était qu'un grammairien; mais, par l'autorité qu'il sut prendre sur de jeunes littérateurs, il constitua une véritable école. Il publia une Poétique, d'une précision et d'une exactitude qui passaient tout ce qu'on avait connu avant lui.

Le règne de Gottsched dura une vingtaine d'années, de 1730 à 1750. Il y avait cependant un coin de terre, allemand par le langage, où sa royauté n'était pas reconnue, et où s'élevaient de nouvelles théories sur l'art : c'était la Suisse. 

La régénération allemande débuta donc en Suisse, la Suisse eut donc une école, dont le chef fut Bodmer, et dont le siège fut à Zurich, ancienne ville universitaire, encore aujourd'hui l'un des centres de la littérature helvétique. Bodmer était, en tout, l'opposé de Gottsched : celui-ci, homme du monde, sans profondeur ni originalité, superbe et vaniteux; l'autre, homme d'étude, à la figure expressive, aux manières timides et embarrassées, ayant des idées, mais vivant dans une sphère étroite. Zurich avait été le centre de la Réforme en Suisse, et l'ancienne rigidité protestante s'y était maintenue jusqu'au milieu du dix-huitième siècle. La sévérité des mœurs y était telle, dit Klopstock dans une lettre, qu'on voyait rarement un jeune homme adresser la parole à une jeune fille. Bodmer habitait une maison de campagne au- dessus de la vieille ville, sur une des hauteurs qui dominent la rive gauche du lac. La vue s'étendait sur les vignobles qui bordent la côte opposée, et au loin sur la chaîne des Alpes. C'est là que Bodmer était né et c'est là que Klopstock passa la plus belle année de sa jeunesse...

1750 - Bodmer trouvait dans la Messiade son idéal réalisé et désirait connaître l'auteur, qu'il avait déjà recommandé à l'admiration de l'Allemagne. Klopstock partit de Langensalza, au mois de mai 1750; il traversa la Franconie et la Bavière, en compagnie de deux écrivains du groupe zurichois, Sulzer et Schultess, dont le premier est l'auteur d'une Théorie des beaux-arts. La chute du Rhin à Schaffouse frappa vivement Klopstock : « Ici, dit-il, au bruit des vagues bondissantes, étendu sur l'herbe au penchant d'une colline, je vous salue, vous tous qui êtes mes amis, en quelque lieu de la terre que vous soyez. Et toi aussi, salut, terre hospitalière qui vas me recevoir! Que ne puis-je réunir autour de moi tous les hommes qui me sont chers, et jouir avec eux de ce beau spectacle ! Je voudrais vivre et mourir ici, tant ce lieu est beau ! c'est tout ce que j'en puis dire.»

Ils arrivèrent à Zurich, le 23 juillet 1750. Klopstock et Bodmer s'étaient promis une telle joie de se voir qu'ils furent déçus l'un et l'autre. Bodmer s'était attendu à trouver un jeune homme doux, triste, docile, à qui il lirait ses poèmes et qui l'aiderait peut-être à les finir : il vit venir à lui un gai voyageur, alerte et curieux, qui ne demandait qu'à oublier pour un temps son rôle de poète sacré. Klopstock, de son côté, s'était figuré Bodmer comme une sorte de patriarche, bon et indulgent, qui le protègerait sans trop le gouverner : il trouva un vieillard à idées étroites et non dépourvu de vanité. Ils restèrent amis, mais amis tièdes. Klopstock rechercha peu à peu des sociétés plus jeunes, vécut en touriste et en homme du monde, non sans composer quelques odes qui le firent apprécier davantage. Un épisode mémorable de son séjour à Zurich fut cette promenade sur le lac qu'il a racontée dans une lettre à Schmidt, le frère de Fanny (du 15 août 1750) : 

« Je n'ai jamais éprouvé, dit-il, une joie si vive et si continue. La société se composait de seize personnes ; il y avait huit dames. C'est ici l'usage que les jeunes filles ne parlent que rarement aux jeunes gens; elles ne se voient qu'entre elles. On disait que jamais, sans moi, une telle réunion n'aurait pu se former, et l'on m'en félicitait comme d'un miracle. Nous prîmes un des grands bateaux qui étaient sur le lac, et nous partîmes à cinq heures du matin. Le lac est d'une tranquillité incomparable; l'eau est d'un vert transparent; les deux bords sont couronnés de vignobles, qui entourent de gracieuses villas. Du côté où le lac fait un angle, on voit une longue ligne de montagnes qui s'avancent dans le ciel. Je n'ai jamais vu dans un paysage tant de beautés réunies. 

Après une heure de promenade, nous descendîmes dans une villa, où le déjeuner nous attendait. La conversation s'anima ; on fit connaissance. Mme Hirzel était la reine de la société : cela s'entend, puisqu'il avait été décidé que je lui donnerais le bras. Elle est encore jeune; ses yeux bleus ont beaucoup d'expression, et elle chante la "Doris" de Haller avec une voix qui pénètre. Mais je ne tardai pas à lui être infidèle. La personne la plus jeune de la société, la plus jolie aussi, et celle qui avait les yeux les plus noirs, Mlle Schinz, sœur d'un jeune homme qui était des nôtres, fut cause de cette infidélité. Mon cœur battit lorsque je l'aperçus à vingt pas devant moi ; car elle ressemblait à une jeune fille qui, dans sa douzième année, m'avait déclaré son amour. Inutile de vous conter celte histoire : je l'ai contée à Mlle Schinz, avec beaucoup d'autres. Elle était frappée, dans son innocence de dix-sept ans, d'entendre tant de choses nouvelles à la fois, et de les entendre de moi, devant qui elle baissait ses beaux yeux noirs avec une expression de douce et aimable vénération. Elle avait parfois des pensées hautes et imprévues, et elle me dit une fois, en se plaçant devant moi avec un air d'extase, que je devais me figurer combien elle me considérait, moi dont les écrits lui avaient d'abord inspiré une meilleure idée de la divinité... Je dois ajouter que j'ai embrassé la bonne enfant : mon récit pourrait devenir, sans cela, trop sérieux. 

Nous avions dîné dans une villa, à quelques lieues de Zurich. Nous descendîmes dans une île très verdoyante. Le souper fut servi sur le rivage. Au départ, j'étais devenu tout à fait infidèle à Mme Hirzel . Je ne donnais plus le bras qu'à Mlle Schinz . En revenant , nous sortîmes plusieurs fois du bateau, lorsque la côte offrait de beaux endroits de promenade. Nous fûmes de retour à dix heures. Je retrouverai toutes ces dames chez Mme Muralt (la plus âgée de la société). »

KIopstock a chanté cette journée dans une de ses odes les plus célèbres, "Le lac de Zurich". Il invoque, dans cette ode, la déesse de la Joie ; il veut qu'elle lui inspire un chant qui soit gracieux comme le visage de Mlle Sch..., c'est-à-dire Schinz, du moins selon la première édition; car plus tard il remplaça cette initiale par le nom de Fanny, qui est resté dans l'édition définitive. "Elle est belle, ô Nature notre mère, la splendeur des merveilles que ton génie créateur a semées sur les campagnes: plus beau encore est un visage radieux qui reflète la grande pensée de la création.." La Joie, "sœur de l'humanité", qu'il invoquait, n'était point l'inspiratrice des poèmes bibliques de Bodmer. Quand les premiers chants de la Messiade parurent, on les considéra surtout par le côté moral et religieux. KIopstock lui-même voulait être jugé à ce point de vue ; il se plaisait à dire que la seule envie d'exalter la religion lui avait mis la plume à la main. Aujourd'hui, la vie de KIopstock et sa poésie nous montre non pas un prophète, mais un homme d'une sensibilité assez vive, sans passion profonde et recherchant la renommée. Du poète sacré, il reste un grand artisan de style, cachant le vide de la pensée sous les magnificences de la forme?

 

Der Zürchersee (1750) 

 

Schön ist, Mutter Natur, deiner Erfindung Pracht

Auf die Fluren verstreut, schöner ein froh Gesicht,

Das den großen Gedanken

Deiner Schöpfung noch Einmal denkt.

Von des schimmernden Sees Traubengestaden her,

Oder, flohest du schon wieder zum Himmel auf,

Komm in röthendem Strale

Auf dem Flügel der Abendluft,

Komm, und lehre mein Lied jugendlich heiter seyn,

Süße Freude, wie du! gleich dem beseelteren

Schnellen Jauchzen des Jünglings,

Sanft, der fühlenden Fanny gleich.

Schon lag hinter uns weit Uto, an dessen Fuß

Zürch in ruhigem Thal freye Bewohner nährt;

Schon war manches Gebirge

Voll von Reben vorbeygeflohn.

Jetzt entwölkte sich fern silberner Alpen Höh,

Und der Jünglinge Herz schlug schon empfindender,

Schon verrieth es beredter

Sich der schönen Begleiterin.

»Hallers Doris«, die sang, selber des Liedes werth,

Hirzels Daphne, den Kleist innig wie Gleimen liebt;

Und wir Jünglinge sangen,

Und empfanden, wie Hagedorn.

Jetzo nahm uns die Au in die beschattenden

Kühlen Arme des Walds, welcher die Insel krönt;

Da, da kamest du, Freude!

Volles Maßes auf uns herab!

Göttin Freude, du selbst! dich, wir empfanden dich!

Ja, du warest es selbst, Schwester der Menschlichkeit,

Deiner Unschuld Gespielin,

Die sich über uns ganz ergoß!

Süß ist, fröhlicher Lenz, deiner Begeistrung Hauch,

Wenn die Flur dich gebiert, wenn sich dein Odem sanft

In der Jünglinge Herzen,

Und die Herzen der Mädchen gießt. 

(...)

 

Johann Caspar Füssli (1706-1782), qui naquit et mourut à Zurich, y séjournait depuis 1736 lorsqu'il peignit nombre de représentants du gouvernement et des Lumières parmi lesquels Johann Jakob Bodmer (Johann Heinrich Füssli im Gespräch mit dem Zürcher Historiker und Literaten Johann Jacob Bodmer, 1778-1781, Kunsthaus Zürich) et ... le jeune Friedrich Gottlieb Klopstock...

 

Klopstock quitta Zurich, ayant reçu du roi de Danemark Frédéric V, par l'intermédiaire du comte de Bernstorff, l'offre d'une pension aussi longtemps qu'il travaillerait à la Messiade, et ensuite des fonctions à la cour. Il quitta Zurich, en février 1751. Ce fut pour Bodmer un soulagement et il a exprimé avec une grande franchise, et non sans amertume, dans une longue lettre à son ami Zellweger, la dernière impression que lui laissa l'auteur de la "Messiade" (5 septembre 1750) : 

« M. Klopstock n'est plus chez moi, dit Bodmer; cependant il est encore à Zurich, et il y passera tout l'hiver. Il demeure chez M. Hermann Rahn, jeune manufacturier qui a trouvé le moyen d'imprimer des fleurs sur les étoffes. M. Klopstock s'est associé avec lui, mais j'ignore quelle peut être la nature de leur association. Parmi les premières lettres qu'il reçut d'Allemagne, il s'en trouvait une du baron de Bernsdorff, très flatteuse pour lui, où on lui annonçait que le roi de Danemark lui offrait une pension de 400 thalers, pour qu'il pût terminer à loisir la Messiade. On voulait lui envoyer en même temps de l'argent pour le voyage ; on l'attendait à Copenhague avant l'hiver. M. Klopstock parut d'abord ravi de cette nouvelle ; mais il fit bientôt la remarque qu'il ne serait pas libre à Copenhague et qu'il serait séparé de ses amis. Trois semaines se passèrent sans qu'il répondît. Il écrivit enfin, mais sans me donner sa lettre à lire.

En attendant, il menait une vie très dissipée. Les jeunes gens de son âge, avec lesquels il s'était promené sur le lac, lui procuraient chaque jour de nouvelles distractions. Il dînait et soupait en ville, passait dehors des nuits entières, ne rentrait que le matin. Il se couchait tard, se levait plus tard encore. Il boit très fort (er trinkt sehr stark), et supporte le vin. Il n'était jamais de meilleure humeur que lorsqu'il revenait d'une visite chez des dames. Il prétend que c'est pour lui un grand plaisir d'étudier le caractère des jeunes filles. Pendant la promenade sur le lac, il a fait la connaissance d'une jeune personne dont il admire beaucoup l'innocence et l'esprit naturel. Il paraissait sérieusement épris d'elle. Il prétendait, il est vrai, que ce n'était que galanterie de sa part, et que ses relations à Langensalza n'en souffriraient pas. Son plaisir était de ravir des gants, des baisers, et de folâtrer...

Quand je l'introduisais de force dans une société sérieuse, il s'y ennuyait. Nulle envie de connaître la constitution civile et politique de Zurich et des autres cantons. Nulle curiosité pour voir les Alpes, ni de près ni de loin. Quand Sulzer tournait la longue-vue vers les glaciers, la sienne était braquée sur les fenêtres de la ville. Il n'a jamais demandé à voir mes livres, et cœtera. Une demi-douzaine de galopins n'ont pas de peine à l'éloigner de moi. Il était triste dans ma maison et dans ma société ; avec des hommes plus jeunes, il était tout badin. M. Breitinger est souvent venu le voir : il ne lui a jamais rendu une visite. Pour des égards et de la considération, il en a fort peu. Il lui est arrivé fréquemment de me tourner le dos, pour causer avec des jeunes gens...

Il travaille très lentement. Dans les deux dernières années, il n'a pas composé plus de deux chants, qui ne sont même pas terminés. Il attribue ces retards à ses relations à Langensalza. Mais là vraie cause, c'est son esprit distrait, je veux dire ce penchant incorrigible qui l'entraîne vers les plaisirs futiles et les sociétés bruyantes. Il prétend que c'est dans de pareilles sociétés que sa pensée est le plus libre et qu'il se prépare le mieux à travailler à son poème...

Depuis qu'il est ici, il n'a composé qu'une cinquantaine de vers ; mais ils sont excellents, saints, divins. Il a pour ainsi dire deux âmes en un seul corps : il est tantôt l'auteur de la Messiade, tantôt Klopstock. Il n'a pas mauvais cœur; il ne lui manque que d'être plus sévère, moins léger. Il est possible que ce que j'appelle légèreté ne soit qu'un besoin de distraction, une certaine faiblesse qui ne lui permet pas de résister aux avances qu'on lui fait : ce que lui-même appelle humanité. Il ne distingue pas entre les joies qui seraient dignes de lui et celles qui ne le sont pas. Il ne songe pas quel grand exemple le chantre du Messie doit au monde. Aussi sa conduite est-elle en contradiction avec son poème : elle n'est pas sainte. Quand je lui racontai que nous nous étions attendus à trouver en lui un jeune homme saint et austère, il me répondit : « Est-ce que vous vous figuriez que je mangeais des sauterelles et du miel sauvage? » 

Dieu veuille que les gens ne croient point que les célestes pensées de la Messiade ne sont qu'un produit de sa fantaisie, et que son cœur n'y a aucune part ! . . .

Il semble que le Créateur l'ait fait exprès pour écrire la Messiade; il semble que ce soit là sa vocation. Cependant c'est un singulier phénomène que cet homme : si grand dans son poème, si petit dans sa vie ! Je ne doute pas qu'il ne se lasse bientôt de la vie industrielle, peut-être même de la vie frivole : alors il reviendra vers moi. Il y a déjà de la jalousie entre ses jeunes amis, à cause de la préférence marquée qu'il paraît accorder à Rahn. Du reste, ces petits messieurs ont été ravis de voir qu'un si grand poète, notre Homère, mangeait, buvait, riait, plaisantait, embrassait... ni plus ni moins qu'eux-mêmes : c'était un point par où ils pouvaient se comparer à lui. »

Bodmer semble avoir gardé pour lui toutefois sa subtile distinction entre l'homme et l'écrivain, l'auteur d'une oeuvre inaccessible et d'inspiration quasi divine, La Messiade, car Klopstock reçut en Suisse sa consécration définitive. 

 

Lorsqu'il traversa l'Allemagne pour se rendre à Copenhague, on lui fit partout le plus grand accueil, et les jeunes poètes se rangèrent autour de lui comme autour de leur chef naturel. A Brunswick, Klopstock retrouva un ami de jeunesse, Giséké, qui s'était fait quelque réputation dans le monde littéraire. Il reçut de lui une lettre pour une famille de Hambourg, et en particulier pour une jeune personne qui admirait beaucoup la Messiade : c'était Meta (ou Margarétha) Moller, qui devint la femme de Klopstock, et qu'il chanta sous le nom de Cidli ou Gidalie. Elle avait dix-sept ans; elle était instruite et avait du goût pour la littérature, mais surtout pour la littérature triste. Elle était en correspondance avec Young, l'auteur des "Nuits". Klopstock fit une grande impression sur elle; il lui confia l'histoire de ses relations avec Sophie Schmidt, de Langensalza. Elle blâma l'indifférence de Sophie : ce fut entre eux un premier lien de sympathie. Ils se marièrent en 1754, après s'être adressé pendant trois ans des hommages réciproques, et ils habitèrent Copenhague. mais Meta mourut en 1758 : Klopstock lui donna une place dans la Messiade, et publia ses œuvres, qui contiennent des odes, des cantiques, même l'esquisse d'une tragédie sur la mort d'Abel, et surtout des lettres aux principaux écrivains de l'époque. 

Elle était en effet en relation avec notamment Richardson, se montre le tour sentimental de son esprit. L'auteur de Clarisse s'était ainsi informé des progrès de la Messiade :

«C'est pour moi un grand plaisir, répondit Meta, de vous entretenir du poème de mon mari. Personne ne peut le faire aussi bien que moi, car personne ne connaît aussi bien les morceaux qui ne sont pas publiés. J'assiste, pour ainsi dire, à leur naissance. Le poème arrive par fragments, selon que l'âme du poète est remplie de tel ou tel sujet. Vous pensez bien que deux personnes qui s'aiment comme nous, ne se séparent pas souvent. Nous nous tenons habituellement dans la même chambre, moi tranquille, tranquille, avec mon petit ouvrage, et de temps en temps risquant un regard vers le visage de mon : mari, si aimable, si vénérable surtout, quand, tout absorbé par son sublime sujet, il verse des larmes de pieux attendrissement.»

 

L'activité littéraire de Klopstock fut très grande à Copenhague. Il publia, en 1755, les dix premiers chants de son poème, qui vont jusqu'à la mort du Messie. Il augmenta le recueil de ses odes. Il composa des cantiques, dont quelques-uns sont restés dans le culte protestant. Les Bardits, où il essaya de réveiller l'ancien patriotisme germanique, furent une protestation indirecte contre les idées et les mœurs françaises, introduites par Frédéric II.

Enfin, en 1773, la Messiade fut terminée : il y avait vingt- cinq ans que les premiers chants avaient paru.

 

C'est alors, à l'entrée du dernier quart du XVIIIe siècle, que l'influence de Klopstock fut le plus considérable. Il fut regardé comme le poète national de l'Allemagne, et il entra si bien dans son rôle, qu'il conçut de vastes projets pour l'avenir des lettres. Il imagina de réunir tout ce qui s'occupait des travaux de l'esprit, poètes, critiques, imprimeurs, enfin tous les gens de goût et d'influence, dans une grande association ayant des assemblées régulières et prenant des mesures d'intérêt commun. Il exposa son plan dans un ouvrage en prose qu'il appela "la République des Savants" (Die deutsche Gelehrtenrepublik). 

Mais comme rien chez lui ne se passait dans la simple réalité, comme les poètes n'étaient plus des poètes, mais des bardes, il transporta sa république dans des temps reculés; et il figura une sorte d'académie bardique et druidique, imitant vaguement les institutions civiles des peuples modernes. Il fit débattre par des personnages imaginaires et dans un langage suranné des questions qui, après tout, intéressaient l'Allemagne du XVIIIe siècle ; et il tomba dans une telle confusion d'idées et de mots, que le public eut peine à comprendre quels étaient au juste ses plans de réforme. 

Ce que cet ouvrage eut de plus curieux, ce fut son mode de publication. Jusque-là, il avait été d'usage qu'un auteur vendît son travail pour quelques thalers. L'éditeur n'y gagnait pas toujours, car les livres se répandaient peu; mais quelque mince que fût le bénéfice, il en retirait les neuf dixièmes. Klopstock publia sa République des lettres par souscription, après l'avoir fait pompeusement annoncer par les libraires. Sa gloire était à l'apogée : toute l'Allemagne souscrivit (on compta 3599 souscripteurs, dont 342 à Goettingue, 133 à Hambourg, et 90 à Berlin). Quand l'ouvrage parut, la plupart des souscripteurs furent désappointés. Les gens de lettres s'y intéressèrent; mais dans le public on ne fut pas éloigné de croire à une mystification. «La surprise était générale, dit Goethe dans ses Mémoires ; mais Klopstock jouissait d'une considération si grande, que c'est à peine si l'on osa murmurer. »

 

L'ode "Der Hügel und der Hain" (La colline et le bosquet) (1771), voit Klopstock adapter les chants de liberté ossianiques, Ein Poet, ein Dichter, und ein Barde singen... Qu'écoutes-tu sous l'aile étendue de la nuit ? Le lointain murmure mourant du chant des bardes ? Entends-moi ! Les conquérants du monde m'ont entendu autrefois !

 

P. Was horchest du unter dem weitverbreiteten Flügel der Nacht

Dem fernen sterbendem Wiederhalle des Bardengesangs?

Höre mich! Mich hörten die Welteroberer einst!

Und viel Olympiaden hörtet, ihr Celten, mich schon!

D. Laß mich weinen, Schatten!

Laß die goldene Leyer schweigen!

Auch meinem Vaterlande sangen Barden,

Und ach! ihr Gesang ist nicht mehr!

Laß mich weinen!

Lange Jahrhunderte schon

Hat ihn in ihre Nacht hinab

Gestürzt die Vergessenheit!

Und in öden dunkeln Trümmern

Der alten Celtensprache,

Seufzen nur einige seiner leisen Laute,

Wie um Gräber Todesstimmen seufzen.

P. Töne dem Klager, goldene Leyer!

Was weinest du in die öde Trümmer hinab?

War er der langen Jahrhunderte meines Gesanges werth;

Warum ging er unter?

D. Die Helden kämpften! Ihr nantet sie Götter und Titanen.

Wenn jetzo die Aegis nicht klang, und die geworfenen Felsenlasten

Ruhten, und Jupiter der Gott, mit dem Titan Enzeladus sprach;

So scholl in den Klüften des Pelion die Sprache des Bardengesangs!

Ha du schwindelst vor Stolz

An deinem jüngeren Lorber;

Warf, und weißt du das nicht? auch ungerecht

Nicht oft die Vergessenheit ihr Todesloos? ...

 

Le rêve de Klopstock fut réalisé autant qu'il pouvait l'être. Il y eut une école, et presque une société constituée, qui l'accepta à sa tête. Le siège le cette société fut à Gœttingue. Ses principaux membres étaient : Bürger, connu surtout par ses ballades; Voss, le traducteur d'Homère, l'auteur du poème idyllique de "Louise"; Hœlty, auteur de chansons et d'élégies; les deux frères Stolberg, amis de Gœthe. La fondation de la société donna lieu à quelque chose de solennel. Dans la soirée du 12 septembre 1772, quelques jeunes gens, parmi eux Voss et Hœlty, sortirent de la ville et se rendirent dans un lieu planté de chênes, qu'on appelait le Bosquet {der Hain). Là, ils s'unirent au nom de la poésie et de l'amitié, et décidèrent que Klopstock serait leur maître et leur modèle. Ce fut l'Union du Bosquet {der Hainhund). Le but de la société était de relever la poésie nationale et de combattre l'imitation française, qui était représentée par Wieland. 

On se réunissait souvent; on lisait des vers; on s'entendait sur les règles à suivre. Un exemplaire des Odes était constamment sur la table, dans la salle des réunions. On célébrait chaque année l'anniversaire de la naissance de Klopstock, et ce jour-là, pour offrir un digne hommage au maître, on mettait solennellement en pièces un poème de Christoph Martin Wieland (1733-1813) qui, après une jeunesse piétiste et sentimentale, était devenu rationaliste, et allait marquer la littérature allemande par deux chef d'oeuvre, "Agathon" (1766-1767) et "Oberon " (1780). Une autre littérature transparaissait déjà ...

Klopstock présida en personne quelques réunions du Bosquet, lorsqu'il se rendit, en 1774, à l'invitation du margrave de Bade, qui l'avait appelé à Karlsruhe. L'année suivante, il s'établit définitivement à Hambourg. Il se remaria, en 1791, avec une nièce de Meta, Jeanne de Winthem. Il mourut le 14 mars 1803. La ville de Hambourg lui fit de magnifiques funérailles.

Oeuvres : (1748-1773) "Der Messias", (1758-1769) Geistliche Lieder, (1769) "Hermanns Schlacht", (1771) "Oden und Elegien", (1784) "Hermann und die Fürsten", (1787) "Hermanns Tod"...

 

Pendant ces dernières années, il acheva encore quelques drames religieux et augmenta la collection de ses odes. Mais il vécut en dehors du vrai mouvement littéraire. Les genres qu'il avait créés, l'ode, le poème sacré, le chant bardique, parurent ; bientôt trop étroits. Lui-même se sentit incapable de suivre la marche du siècle. Il continuait d'écrire dans les formes poétiques qu'il avait inaugurées autrefois, tandis que de jeunes écrivains ouvraient partout des routes nouvelles. 

En Allemagne, les formations sont lentes, mais les éclosions sont rapides. Un fait s'y prépare durant des siècles, puis éclate subitement, quand l'heure de la maturité est venue. La Messiade était à peine terminée, qu'elle était suivie d'un grand nombre d'ouvrages dans les genres les plus divers.

Goethe, dans son premier drame, remettait au jour la chevalerie et le moyen âge; puis il se tournait vers l'antiquité, en même temps que dans ses romans il essayait de peindre la vie moderne. Herder étudiait tour à tour la Grèce, l'Orient, la poésie primitive des peuples, et traçait le plan d'une histoire universelle. Schiller créait définitivement le théâtre national. C'était un essaim tumultueux de jeunes poètes, impatients de se faire jour, n'obéissant à aucun mot d'ordre, poussant parfois l'originalité jusqu'au délire, mais parmi lesquels s'élevèrent des hommes d'un véritable génie. Klopstock fut débordé ; il vécut retiré dans sa ville de Hambourg, vénéré encore, mais peu consulté : semblable à une idole abandonnée au fond du sanctuaire, qu'on tolère par un reste d'habitude, mais à qui l'on n'adresse plus les mêmes vœux qu'autrefois. L'Allemagne se transformait; il lui fallait d'autres maîtres; Klopstock ne lui suffisait plus. (A.Bossert)

 

LA MESSIADE (Der Messias, 1748-1773) 

Poème composé en hexamètres, de Friedrich Gottlieb Klopstock, vingt chants, et plus de vingt mille vers, dont les trois premiers furent publiés en 1748, dans les Contributions de Brême (Bremer Beiträgen), sur les instances de Bodmer qui sut en apprécier la valeur, y voyant également la réalisation de ses propres idéaux esthétiques. Les chants suivants parurent en 1751, puis à Copenhague en 1755.

Le poème était achevé en 1773, toutefois, l`édition définitive porte la date de 1780. 

Bien des critiques se sont abattues sur cette oeuvre : l'épopée est par définition une oeuvre impersonnelle, or Klopstock n'a de cesse de s'abandonner à des effusions lyriques, ses rêves métaphysiques flottent autour du sujet comme des fantômes qui essayent de prendre corps et ses personnages ne sont que des idées personnifiées; on juge excessif le développement des parties surnaturelles, mais cela tient au caractère même de la poésie de Klopstock. Par ces chants héroïques, basés sur une mythologie nationale qui avait sur celle des Grecs et des Romains l'avantage d'offrir des divinités que les premiers peuples de la Germanie avaient adorées, et qui toutes sont des modèles de la morale la plus sévère et de l'héroïsme le plus noble, il pensait de plus éveiller dans son pays des sentiments patriotiques. Mais il s'adressait à un peuple qui avait oublié son origine: ces Allemands, familiarisés avec les dieux d'Hésiode et d'Homère, et accoutumés à plier sous le joug des différents maîtres qui les gouvernent avec plus ou moins d'humanité et de justice, ne se souvenaient ni de leurs anciens dieux ni des héros qui s'étaient immortalisés en défendant le sol de la Germanie contre l'invasion romaine. Enfin, la lecture de cette oeuvre monumentale n'est pas d'une évidence absolue, les allusions bibliques nécessitent une connaissance préalable de l'Ancien et du Nouveau Testament. 

Dès 1739, le jeune Klopstock avait conçu cette œuvre, et la lecture ultérieure du "Paradis perdu" de Milton ne fut pour lui qu'un encouragement à l`écrire sous forme de poème. Sur le fond, alors que Milton peint le triomphe de l'esprit du mal et la perte de l'espèce humaine, Klopstock chante la victoire du Dieu de miséricorde et l'espèce humaine réconciliée avec son Créateur. Comme Milton, KIopstock étonne par le grandiose et la hardiesse des descriptions qu'il font des régions célestes, où l'imagination des grands poètes se complaît toujours. Mais Milton naquit et fut élevé au milieu des guerres civiles, fut façonné par les controverses religieuses, les discussions politiques et tous les orages de la vie publique: il fera de Satan la personnification de l'esprit d'indépendance, et de l'Éternel l'image de ces monarques débonnaires qui deviennent inexorables, et parfois même cruels, dés que leur peuple ne se contente pas du bonheur sous la forme qu'il leur plaît de le lui octroyer. KIopstock n'a jamais connu d'autres orages que ceux que ceux qui soulevaient les émotions qu'ils puisaient en lui-même : il donne ainsi à Satan le seul rôle que la religion puisse lui accorder, celui d'un être malfaisant, et représente la création comme un immense tableau dont chaque détail offre l'image du bonheur qui résulte naturellement du règne de la justice, une justice qui n'est pas celle de Milton qui la fait résulter d'un pouvoir arbitraire. Chez le poète allemand, domine le sentiment d'une bonté infinie qui fait pencher vers l'indulgence pour tout ce qui n'est que faiblesse et erreur. 

Dans "Poésie et Vérité", Goethe, parlant de cette œuvre, nous en a donné un résumé et un commentaire. 

 

La rédemption des hommes pécheurs Que le Messie accomplit sur terre dans son humanité...

"Sing, unsterbliche Seele, der sündigen Menschen Erlösung,

Die der Messias auf Erden in seiner Menschheit vollendet

Und durch die er Adams Geschlechte die Liebe der Gottheit

Mit dem Blute des heiligen Bundes von neuem geschenkt hat.

Also geschah des Ewigen Wille. Vergebens erhub sich

Satan wider den göttlichen Sohn, umsonst stand Judäa

Wider ihn auf; er tat's und vollbrachte die große Versöhnung...."

 

CHANT I.

Le Messie s'éloigne du peuple qui vient de le proclamer roi, et gravit le mont des Oliviers, où il va promettre de nouveau à son père d'accomplir l'œuvre de la rédemption. - Les souffrances de la passion commencent pour lui. Gabriel, qui le sert sur la terre, remonte vers les cieux pour y porter ses prières. Après avoir traversé le soleil et la route aérienne qui, jadis, rattachait la terre au ciel, l'ange arrive an sanctuaire. - Eloha. le plus grand des séraphins, l'introduit, et Gabriel pose l'encens sur l'autel de la rédemption. - L'Éternel allume le feu du sacrifice, et donne des ordres à Éloha qui les communique à tous les immortels, afin qu'ils célèbrent le second sabbat de la création. - Gabriel va porter un message aux anges gardiens de la terre, qui habitent un soleil placé dans l'intérieur du globe terrestre. - Il y trouve les âmes des jeunes enfants morts, qui apprennent dans ce mystérieux séjour à mériter les béatitudes célestes. Gabriel se rend ensuite au soleil, où les âmes des patriarches se sont réunies autour d'Uriel, sur le pinacle du temple solaire.

 

"Âme immortelle ! chante le Dieu qui s'est fait homme pour racheter les enfants d'Adam ! chante le Messie qui a bravé les souffrances et la mort pour initier de nouveau l'espèce humaine au culte de l'amour divin ! Vainement Satan se leva contre le fils de l'Étemel, la volonté éternelle se fit, et il s'accomplit, le grand œuvre de la rédemption.

O secret sublime de la miséricorde divine ! la poésie osera- t-elle te célébrer? 

 

Sing', unsterbliche Seele, der sündigen Menschen Erlösung,

Die der Messias auf Erden in seiner Menschheit vollendet,

Und durch die er Adam's Geschlecht zu der Liebe der Gottheit,

Leidend, getödtet und verherrlichet, wieder erhöht hat.

Also geschah des Ewigen Wille. Vergebens erhub sich

Satan gegen den göttlichen Sohn; umsonst stand Juda

Gegen ihn auf: er that's und vollbrachte die große Versöhnung.

Aber, o That, die allein der Allbarmherzige kennet,

Darf aus dunkler Ferne sich auch Dir nahen die Dichtkunst?

 

Dans le lointain ténébreux où tu la retiens, elle frémit de crainte et d'espérance. Sanctifie-la, Esprit créateur; donne-lui ton regard de feu qui sonde les profondeurs de la Divinité, et fait du cœur de l'homme, en dépit de son enveloppe de poussière, un temple digne de toi. Et quand tu l'auras armée de ta force, embellie de ta beauté, cette poésie qui, elle aussi, est une fille du ciel, oh ! alors conduis-la au-devant de moi, pauvre poète au cœur pur; et ma voix, quoique toujours la voix tremblante d'un mortel, chantera l'Homme-Dieu, et j'entrerai dans l'arène d'un pas chancelant, mais soutenu par le noble espoir d'atteindre le but.

Mortels ennoblis par le souffle de majesté qui passa sur l'espèce humaine lorsque son créateur s'immola pour la sauver, âmes pieuses qui comprenez la personnification du principe d'amour et de charité, écoutez-moi, et que la pureté de votre vie célèbre le fils de l'Éternel! 

Quel vertige funeste vient de frapper Jérusalem? La ville sainte, l'ancienne nourrice des patriarches, l'antique cité des gloires surhumaines, va jeter loin d'elle sa couronne d'élu ; bientôt elle ne sera plus qu'un autel sanglant où des mains meurtrières sacrifieront une victime innocente.

Non loin des murs de Jérusalem, Jésus s'est séparé d'une foule de peuple qui, tout en l'honorant, lui prouve qu'il ne sait pas le comprendre. Ces hommes aveuglés par le péché ont jonché sa route de branches de palmiers et l'ont accueilli par des cris de triomphe. Le ciel s'est voilé de nuages, et du fond de ces nuages une voix mystérieuse a dit à la Judée : "Regarde, voici celui que j'ai glorifié, que je glorifierai de nouveau".

Et le peuple de la Judée n'a rien vu, rien entendu ; il ne reconnaît pas dans le Messie la plus noble émanation de la Divinité ; il croit lui rendre tous les hommages qu'il mérite en le proclamant son roi. Mais lui, triste et pensif, s'est dirigé vers les montagnes qui s'élèvent à l'est de Jérusalem. C'est là qu'il va de nouveau promettre à son père d'accomplir l'œuvre expiatoire de la rédemption.

Plus d'une fois déjà ces montagnes l'avaient reçu sur leurs cimes élevées. Il y venait passer des nuits entières en pieuses méditations et se reposer des angoisses sans nombre que la fragile enveloppe mortelle fait éprouver à l'âme qu'elle captive, lors même que cette âme est un Dieu...."

 

Le poème débute au soir de l'entrée triomphale de Jésus à Jérusalem ; dans le Jardin des oliviers, le Christ en prière s'apprête à accomplir le sacrifice qui rachètera l`humanité. 

Au ciel et sur la terre, anges et démons préparent le drame de la Passion et la mort du Messie. 

 

Au son de la voix de Jésus, la terre frémit d'espérance. Ce n'est plus la voix puissante et terrible de l'anathème qui lui arrive des régions célestes; c'est le doux accent du Sauveur promis, qui demande grâce pour elle et qui déjà lui rend une partie de l'éclat dont elle brillait quand le péché de son premier homme ne l'avait pas encore souillée.

La pensée du Messie sonde les profondeurs de l'infini, et ces paroles sortent enfin des lèvres mortelles d'un Dieu :

« Ils approchent , ô mon père ! les jours d'une éternelle et sainte alliance; les jours de l'accomplissement d'un grand œuvre, arrêté depuis l'instant où, d'accord avec ton fils, tu conçus la création ; où, dans le silence de l'éternité , nos regards, perçant le temps et l'avenir, découvraient les hommes qui n'étaient pas encore, les hommes destinés à l'immortalité, et devenus la proie du péché et de la mort!... Je voyais leurs malheurs, leurs souffrances; toi, mon père, tu voyais mes larmes! Et tu promis d'incarner une seconde fois l'image de ta divinité dans l'homme déchu ! Tu le sais, ô mon père! les cieux le savent aussi, combien de fois, depuis cet instant, j'ai soupiré après mon abaissement! Je m'estime heureux aujourd'hui, depuis trente-trois ans je suis homme. Beaucoup de justes se sont rangés autour de moi, mais c'est le genre humain qu'il faut sauver ! J'attends tes arrêts. Qu'ils me jettent parmi les morts, qu'ils me réduisent en cendres, je supporterai tout avec respect, avec soumission. Aucun être créé ne saurait comprendre ni ta clémence ni ta colère : Dieu seul peut réconcilier Dieu ! Apprête-toi, juge de l'univers! je suis libre encore, je puis retourner aux cieux; le chœur des anges m'y ramènerait en triomphe. Je m'offre une seconde fois! mon front prosterné se relève vers le tien, ma main touche aux nuages ; je le jure par moi-même, qui suis Dieu comme toi, je veux racheter les péchés du monde! »

La voix de l'Éternel répond : elle n'est intelligible que pour le Messie :

« J'étends ma tête sur l'univers, mon bras sur l'infini ! Je l'ai juré, mon fils, moi qui suis l'Éternel, les péchés du monde seront remis ! »

Il dit et se tait.

Un doux frémissement agite la nature, une sainte extase saisit tous les habitants du ciel; au fond des enfers l'orage gronde.

Jésus est resté debout devant l'Éternel, qui n'est plus pour lui qu'un juge terrible, et les angoisses de la rédemption commencent ; car le pressentiment, quand il touche de si près à la réalité, se confond avec elle.

Gabriel s'était prosterné dans une muette adoration. Tout à coup il se sent revivre d'une vie nouvelle, même pour lui, dont le souvenir plane sur un passé qu'aucune pensée humaine ne saurait embrasser. Il se relève; son âme nage dans une mer de délices, et de son corps aérien s'échappent des rayons éblouissants. La cime des monts étincelle, et la terre semble vouloir se dissoudre sous l'influence de celle coruscation céleste. Jésus s'en aperçoit, et se tourne vers le séraphin : 

« Voile ton éclat! tu oublies que tu me sers sur une terre d'exil! Pars, va répéter mon humble prière aux cieux réunis; là seulement il t'est permis de briller de ta splendeur d'ange. »

Gabriel obéit en silence; le Messie le suit du regard, et déjà sa pensée le voit au pied du trône de l'Éternel, où se prépare pour l'espèce humaine un avenir plus beau que l'espérance n'oserait le rêver.

Rapide et diaphane comme une suave matinée de printemps, le séraphin s'est élevé, vers les sphères célestes. Là des soleils seuls remplissent l'espace, et leur reflet s'étend sur l'infini, semblable à un voile pourpré, tissé par une main divine avec les rayons de la lumière primitive. Au-dessous de cette atmosphère étincelante que pas un globe ténébreux n'ose aborder, la nature nuageuse passe en fuyant, et les mondes et leurs habitants paraissent et s'abîment comme les flots de poussière, avec leurs populations d'insectes imperceptibles, se soulèvent et s'affaissent sous les pas du voyageur.

 

Um den Himmel herum sind tausend eröffnete Wege,

Lange, nicht auszusehende Weg', umgeben von Sonnen.

Durch den glänzenden Weg, der gegen die Erde sich wendet,

Floß seit ihrer Erschaffung, am Fuß des Thrones entspringend,

Einst nach Eden ein Strom der Himmelsheitre herunter.

Ueber ihm oder an seinem Gestad', erhoben von Farben,

Gleichend den Farben des Regenbogens oder der Frühe,

Kamen damals Engel und Gott zu vertraulichem Umgang

Zu den Menschen. Doch schnell ward der Strom herüber gerufen,

Als durch Sünde der Mensch zu Gottes Feinde sich umschuf.

Denn die Unsterblichen wollten nicht mehr in sichtbarer Schönheit

Gegenden sehn, die vor ihnen des Todes Verwüstung entstellte.

Damals wandten sie schauernd sich weg. Die stillen Gebirge,

Wo noch die Spur des Ewigen war; die rauschenden Haine,

Welche vordem das Säuseln der Gegenwart Gottes beseelte..

 

Mille routes parlent en tous sens de ce foyer de lumière. Au, milieu de la plus belle de ces routes, qui descend vers la terre, coulait jadis un torrent aux flots d'or. Sa source partait du trône de l'Éternel. Les anges, et parfois Dieu lui-même, suivaient son cours pour aller s'entretenir avec les enfants de la terre sur des rives où les rayons de l'arc-en-ciel et les nuées matinales formaient des contrées enchantées. Mais, quand l'homme perdit son innocence, le fleuve remonta vers sa source, et ils restèrent déserts, les monts dont les formes aériennes portent encore les traces de la présence de l'Éternel ; et ils restèrent déserts, les bosquets dont le feuillage embaumé avait frémi sous le souffle de Dieu ; le silence et la solitude étendirent leurs voiles de deuil sur les vallées que les habitants du ciel aimaient à visiter, et sur les berceaux où les enfants de la terre avaient goûté ces délices ineffables qui se traduisent par des larmes de joie...."

 

(Chant II) Jésus arrive dans les tombeaux et chasse Satan du corps de Samma. - Satan retourne aux enfers, assemble tous les esprits des ténèbres et arrête avec eux la mort de Jésus...

 

"... Le Messie jette un regard étincelant vers les cieux. 

« Il est temps de m'exaucer, mon père, que je tombe victime de l'ennemi des hommes; que ce sacrifice apaise enfin le ciel et qu'il dompte l'enfer ! »

Des nuages pourprés portent cette pensée aux pieds de l'Eternel, et Jésus s'approche des tombeaux creusés dans des rochers humides et noirs. Une sombre forêt cache l'entrée de ces voûtes aux regards du voyageur qui passe ; un crépuscule éternel y règne. Seulement quand le soleil du midi inonde Jérusalem de ses feux, quelques rayons timides et pâles s'égarent parfois dans la sombre et froide cité des morts; mais ils n'y portent ni clarté ni chaleur.

 

Unten am mitternächtlichen Berge waren die Gräber

In zusammengebirgte, zerrüttete Felsen gehauen.

Dicke, finsterverwachsene Wälder verwahrten den Eingang

Vor des fliehenden Wanderers Blick. Ein trauriger Morgen

Stieg, wenn der Mittag schon sich über Jerusalem senkte,

Dämmernd noch in die Gräber mit kühlem Schauer hinunter.

Samma, so hieß der besessene Mann, lag neben dem Grabe

Seines jüngsten, geliebteren Sohns in kläglicher Ohnmacht.

Satan ließ ihm die Ruh, ihn desto ergrimmter zu quälen.

Samma lag bei des Knaben Gebein in modernder Asche;

Neben ihm stand sein anderer Sohn und weinte zu Gott auf.

Jenen todten, den der Vater beweint' und der Bruder,

Brachte die zärtliche Mutter einst, erweicht durch sein Flehen,

Mit in die Gräber zum Vater hinab, zu dem Vater im Elend,

Den jetzt Satan in grimmiger Wuth bei den Todten herumtrieb.

 

C'est ce lieu lugubre que Satan a choisi pour torturer l'infortuné Samma. Ses deux fils et leur mère s'étaient empressés de lui porter des consolations. Bénoni, le plus jeune de ces enfants, encore inaccessible à la peur parce qu'il ignorait le danger, s'était précipité dans les bras de son père qui tressaillit de joie, le pressa sur son cœur, et l'accabla de caresses. Mais au moment où Bénoni lui souriait avec toute la candeur angélique de son âge, Samma retomba sous l'empire de son maître infernal, et lança le gracieux enfant contre la voûte du roc. Son crâne vola en éclats, et son âme candide et pure s'échappa de sa frêle enveloppe.

Depuis ce jour funeste, Samma ne quitte plus la tombe de son enfant; il l'enlace, il s'y cramponne quand Satan le torture; il y reste anéanti et mourant quand il lui accorde quelques instants de repos. C'est pendant une de ces courtes trêves que le Messie paraît à rentrée des tombeaux. A sa vue, Joël, le fils aîné de Samma, qui adressait à Dieu ses prières et ses larmes, s'écrie :

« Renais à l'espérance, ô mon père ! celui qui vient vers nous est Jésus de Nazareth, le prophète des prophètes ! »

A ce nom, Satan s'enfonce plus profondément dans la poussière des morts. C'est ainsi que l'insensé, qui niait l'existence de Dieu lorsque le ciel était serein, se cache en tremblant au fond d'une caverne quand le char du juge parcourt l'univers sur les nuées d'où s'échappent de tous côtés l'ouragan, la foudre et la mort.

Mais, ranimé tout à coup par la fureur, le prince des ténèbres se précipite sur Samma. L'infortuné se relève, retombe, se tord, et tantôt supplie son ennemi, et tantôt invoque la miséricorde de Dieu. Satan appelle la démence; elle arrive, elle effleure le possédé de son souffle empesté; elle lui suggère des pensées folles et lui prête des forces surnaturelles. Semblable au chat sauvage poursuivi par le chasseur, il monte la pente verticale des rochers, et se cramponne à la voûte qui s'arrondit au- dessus des sépulcres. Satan l'a poussé sur ce point élevé pour donner au Messie une preuve de sa puissance. Fier de son triomphe, sa volonté cesse de soutenir le malheureux Samma ; il va tomber et se briser contre la pierre des tombeaux !... Jésus a levé les yeux sur lui ! Sous l'influence de ce regard, les hallucinations qui fascinaient sa raison disparaissent, son visage livide reprend les teintes de la vie; ses traits, qui n'avaient plus rien d'humain, se raniment et se calment. Il craint; il souffre encore, mais il espère, et des larmes de joie inondent son visage, car il sent qu'il est sous la protection du prophète divin.

Parfois le sage, effrayé des maux qui désolent l'espèce humaine, craint que la vie ne soit un jeu capricieux du hasard, et l'immortalité un rêve. Alors un sombre désespoir torture son âme, car cette fille mystérieuse du ciel a horreur du néant. Mais quand l'espérance au sourire céleste se place à côté de la méditation au front triste et sombre; quand elle approche de ses lèvres flétries par la soif d'un savoir impossible, la coupe enchantée où les humains boivent à longs traits la douce rosée que Dieu fait tomber sur la terre pour soutenir le courage de ses enfants, oh ! alors le doute s'enfuit; le sage, sûr de son immortalité, redevient fier de lui-même et adore avec confiance les cieux qui voilent à sa raison un secret que son cœur comprend. C'est ainsi que Samma se sent renaître en entendant la voix du Messie dire à Satan :

- Toi qui, sous mes yeux mêmes, oses poursuivre les hommes, mes frères bien-aimés, parle, qui es-tu ?

- Je suis le roi de la terre ! le chef suprême d'esprits libres et puissants ! Ma volonté les occupe à des travaux plus nobles que ceux des séraphins qui usent leur immortalité en remplissant les cieux de chants et d'hymnes inutiles. Ton apparition sur ce globe a réveillé les échos de l'enfer; je suis descendu de mon trône pour te voir, t'entendre et te parler. Enorgueillis-toi de cet honneur, je te le permets ! Les esclaves du ciel t'ont proclamé le Sauveur du monde, toi, visionnaire audacieux et faible comme tous ceux qui t'ont précédé, comme tous ceux qui te suivront, et qui tous m'appartiennent d'avance. Me voilà satisfait, je t'ai vu, je t'ai montré ce que je fais des hommes que tu appelles tes frères. Les cendres et les ossements entassés autour de toi t'offrent l'image de leur immortalité; les cris et les hurlements de Samma te donnent une idée des joies célestes que je leur prépare dans mon royaume. Je retourne aux enfers! Que la terre et l'océan s'abîment sous l'empreinte de mon talon, et si tu pouvais le reconstruire, ce monde que je vais bouleverser, si tu pouvais le repeupler une seconde fois, j'y reviendrais de nouveau ; car il est mon empire, et ses enfants sont mes esclaves ! »

Il dit, et s'élance vers Samma pour l'entraîner avec lui. L'infortuné pousse un cri d’horreur, tend les bras vers le Messie , et , soutenu par sa puissance divine , il tombe doucement à ses pieds. Satan reconnaît en tressaillant de fureur le pouvoir d’un maître! Il s’enfuit, et la rage et l'effroi qui le poussent lui font oublier d’abîmer en passant et la terre et les mers.

Prosterné dans la poussière des tombeaux, Samma enlace de ses bras tremblants les genoux de Jésus :

Achève ton ouvrage, ô le plus saint des hommes ! permets-moi de te suivre et de te consacrer la vie que lu viens de me rendre. Tu dois rester avec les tiens... Reviens souvent dans cette cité des morts , et les yeux , dessillés par l’espérance , y verront l’accomplissement des secrets de l’Éternel ! » Ainsi parle le Messie....."

 

La fuite de Satan...

"... Vaincu par le fils de l’Éternel, Satan a traversé la vallée de Josaphat , caché dans un tourbillon de vapeurs empesées. Bientôt il franchit la mer Morte , s’élève au-dessus du mont Carmel , et s’élance dans les régions célestes. Là , son regard courroucé plane avec une fureur concentrée sur cet univers dont il cherche vainement à troubler l’harmonie éternelle. L’éclat des astres lui montre toute sa difformité ; il a horreur de lui-même et s’entoure d’une aurore boréale. Mais les anges purs et sans tache peuvent seuls se voiler ainsi aux regards des êtres créés; pour lui cette enveloppe brillante est un supplice devant lequel s'évanouit toute la magie de sa puissance satanique. Haletant, écumant de rage , il tombe sur la rive la plus escarpée, où les vagues de l’infini viennent baigner le pied des noirs rochers qui terminent le globe terrestre. Il a reconnu son domaine à la flamme vacillante qui jette sa clarté lugubre à travers les ténèbres du vide. Ce vide cependant n’est pas l’enfer , il n’en est que la route. Pour le séjour de la damnation , conséquence terrible de sa justice immuable, l’Éternel n’a pas trouvé de place dans les cieux, il n’en a pas même trouvé sur la terre. C’est loin de lui , loin de tout ce qui existe , que, pendant trois horribles nuits , il a creusé cet affreux séjour dans le sein des ténèbres éternelle?; puis il en a pour toujours détourné ses regards ! Deux anges héroïques en gardent l'entrée. En leur confiant cette tâche pénible, Dieu les bénit et leur donna le pouvoir de maintenir dans ces limites les enfers que Satan cherche à étendre sans cesse. Près du portail où veillent ces deux anges, un rayon de lumière divine s’élève vers l’empyrée. Ce rayon, semblable à un fleuve dont le cours rapide n’est ralenti par aucun détour , les rattache à toutes les beautés de la création, et leur apporte leur part des béatitudes célestes.

Satan a suivi les sombres bords de cette route de feu. Arrivé au portail infernal, il le franchit avec fureur, et, toujours invisible , même aux yeux de ses sujets, il va s’asseoir sur son trône d’airain. Zophiel , le héraut des enfers , aperçoit les sombres vapeurs qui montent les degrés du trône , et se tourne vers un des esprits des ténèbres : Le chef suprême serait-il revenu parmi nous? Oh! alors , tremblons , car c’est le retour mystérieux et terrible depuis longtemps annoncé par le destin. »

 

Abdiel-Abbadona, un des anges déchus....

"Abdiel-A bbadona, forcé d’obéir à l’appel de son maître, est venu se ranger avec tous les habitants de la géhenne autour du trône infernal. Préoccupé sans cesse par de sombres pensées, il cherche toujours la place la plus solitaire. L’avenir l’effraye, le passé ne lui offre que des remords; le regret cuisant du temps heureux où il lui était permis de se dire l’ami , le frère de cet autre Abdiel, séraphin resté digne de sa sublime destinée, met le comble à ses angoisses.

Au jour terrible de la révolte des anges, Abdiel avait été le premier se placer à la droite de l’Eternel. Sous son ombre, Abbadona , qui le suivait de loin, était devenu invisible aux regards des rebelles; il allait se trouver à l’abri de leurs séductions, quand tout à coup le bruit du char de Satan, les cris de guerre de ses bataillons retentirent a son oreille. L’attrait du péril enflamma son cœur héroïque; l’espoir d'acquérir une divinité indépendante égara son esprit ardent. En vain son céleste ami le supplia de le suivre: sourd a la voix de l’amitié, altéré de gloire, enivré d’orgueil, il rentra dans les rangs ennemis, lui, séraphin , appelé à l’existence par le sourire de Jéhova , sourire indicible qui éveilla pour l’éternité deux anges à la fois. En s’élançant de leur berceau d’azur, que les ailes pourprées du matin balançaient mollement dans l’infini, les célestes jumeaux se regardèrent dans une joyeuse extase, enlacèrent leurs bras, et se prosternèrent ensemble aux pieds de l'Eternel; et les séraphins, du haut de leurs nuages d’argent , les saluèrent du doux nom de frères; et leur créateur, se dévoilant devant ces nouveau-nés, les bénit en leur donnant à tous deux le nom d'Abdiel.

Ce souvenir, en flottant sans cesse dans la pensée d’Abdiel-Abbadona, augmente pour lui les tourments de la damnation, et le nouveau crime que Satan veut faire partager à ses sujets le fait tressaillir d’horreur. Il va protester, ses lèvres s’agitent, et par trois fois sa poitrine oppressée ne laisse échapper qu'un long soupir. Tel gémit un guerrier tombé sur le champ de bataille, quand une dernière fois il tourne son regard mourant vers les vainqueurs, autrefois ses amis, ses frères, et qu’il a trahis , égaré par une coupable ambition. Cependant l’ange rebelle a retrouvé la force d’exprimer sa pensée :

« Vous tous qui siégez ici, vous me serez éternellement opposés, je le sais; n’importe, je veux parler. Satan! je te hais plus encore que je ne me hais moi-même! Que le Créateur te redemande éternellement cet esprit immortel que tu as détaché de lui ! qu’il te les redemande tous, les malheureux que lu as perdus ! Que du haut des régions célestes la voix du tonnerre lance l’anathème dans le fond des abîmes! Que le rugissement de l’océan de la mort réponde : Malheur! malheur! malheur! Que ses vagues noires et glacées t’engloutissent avant que tu aies pu réaliser le plus grand, le dernier de tes crimes, le meurtre du Messie! Que les cieux et les enfers m’entendent : je proteste contre cet affreux projet! Misérable Satan ! la foudre vengeresse n’a-t-elle donc pas encore assez profondément labouré ton front? Oserais-tu croire que l’Eternel n’a plus le pouvoir de nous dompter, nous, esprits malfaisants, qui entraînons sans cesse dans le séjour de la mort éternelle les humains créés pour l'immortalité? ..."

 

Durch das Unendliche furchtbar einher! Doch wohin? Ich entfliehe!

Ruft' es und eilet' und schaute betäubt in des Leeren Abgrund.

Schaffe da Feuer, tödtende Gluth, die Geister verzehre,

Gott! Verderber! zu furchtbarer Gott in Deinen Gerichten!

Doch er flehte vergebens. Es ward kein tödtendes Feuer.

Darum wendet' er sich und floh zurück in die Welten.

Endlich stand er ermüdet auf einer erhabenen Sonne,

Schaute von da in die Tiefen hinab. Dort drängten Gestirne

Andre Gestirne wie glühende Seen. Ein irrender Erdkreis

Näherte sich, schon dampft' er, und schon war ihm sein Gericht nah.

Auf den stürzete sich Abbadona, mit ihm zu vergehen;

Doch er verging nicht und senkte, betäubt vom ewigen Kummer,

Wie ein Gebirge, weiß von Gebein, wo Menschen sich würgten,

Im Erdbeben versinkt, zu der Erde sich langsam nieder.

Unterdeß war Satan mit Adramelech der Erde

Auch schon näher gekommen. Sie gingen neben einander,

Jeder allein und in sich gekehrt. Jetzt sahe den Erdkreis

Adramelech vor sich in ferner Dunkelheit liegen...

 

Suite du chant II - Abdiel-Abbadona proteste contre ce nouveau crime de l'enfer; mais Adramelech, un des princes des ténèbres, le réduit au silence, et se rend sur la terre avec Satan. - Abbadona aussi quitte les enfers. - Poussé par le remords, et tourmenté par l'idée que jamais il ne trouvera grâce devant le Dieu qu'il a combattu lors de la révolte des anges, il cherche à s'anéantir. - Ses efforts sont vains, et il tombe sur la terre presque au même moment où Satan et Adramelech arrivent sur le mont des Oliviers. L'ange révolté sera le témoin attristé de toute la Passion.

- La formation religieuse, voire théologique, du public de l'époque était telle, que le personnage d'Abbadona, l'ange déchu mais repentant qui apparaît dès 1748, devait déchaîner une véritable polémique. Fallait-il ou non sauver Abbadona ? Sagement Klopstock laissa sans solution jusqu'au dernier chant ce qui était en fait la seule inconnue dans ce long poème...

 

CHANT III.

Le Messie est toujours dans les tombeaux; les souffrances de la rédemption augmentent dans son âme. Éloha descend du ciel pour compter ses larmes. - Un séraphin du soleil , envoyé par les patriarches, vient voir Jésus sur le mont des Oliviers. - Il y rencontre les anges gardiens des apôtres, qui lui apprennent à connaître le caractère et la vie de chacun de ces élus du Sauveur. - Satan abuse Judas Ischariote par un songe qui l'affermit dans ses criminels desseins. Jésus, qui s’était endormi , se réveille et vient parler â ses disciples. - Judas se tient à l’écart et finit par s’éloigner. - Satan le suit, et continue à le pousser au crime.

 

"Le Messie est encore seul avec Jean sous les lugubres voûtes où Jérusalem dépose ses morts. Assis sur des ossements blanchis, à l’ombre des ailes de la nuit, il médite sur lui-même, immortel comme son père, et sur l’espèce humaine vouée à la mort. Il voit les péchés des temps passés et des temps à venir, et Satan , qui commande en maître à cette infernale cohorte. L’esprit des ténèbres entraîne les enfants d’Adam toujours plus loin du regard protecteur de Dieu ; il les attire vers lui, il les engloutit, comme le gouffre qui tourbillonne au sein d’une mer que des rives indomptables ont enfermée dans un lit trop étroit , attire et engloutit les Ilots d’une mer voisine, et le navigateur imprudent qui les parcourait avec la sécurité trompeuse que donne l’ignorance du danger.

L’âme déchirée parcelle vision prophétique, Jésus lève sa pensée suppliante vers son père, qui, en ce moment suprême, le contemple du haut de son trône de souverain juge. Une majesté sévère brille dans le regard de l’Éternel; il va prononcer sur le Messie le plus terrible des arrêts. Mais un sourire d’ineffable bonté, de tristesse divine, adoucit celle effrayante sévérité, un sourire, une larme diaphane, immense, une larme de l'Eternel... la seconde que les cieux aient vue étinceler à la paupière de leur créateur : la première, il la versa quand le péché d’Adam perdit le genre humain!..."

 

CHANT IV.

Calphe se réveille. Poussé par le souvenir du songe que Satan lut a envoyé. Il fait assembler le sanhédrin pour le décider à prononcer l’arrêt de mort de Jésus. - Philon , prêtre pharisien , se déclare ouvertement l'ennemi du Messie , et combat Gamaliel et Nlcodème qui le défendent. - Judas vient dire à Calphe qu’il est prêt à lui livrer son maître. Il reçoit une somme d’argent, et s’éloigne pour accomplir sa trahison. - Le Messie s’est approché de Jérusalem . où il envoie Simon-Pierre et Jean pour faire préparer l'agneau pascal. Marie , Lazare , Marie , soeur de Lazare , Sémida, l'orphelin de Naïm , Cidlie , la fille de Jaïrus , viennent chercher Jésus. - Amours de Cidlie et de Sémida - Marie , dominée par une crainte secrète , va au-devant de son fils. Jésus la voit et prend une autre route pour ne pas la rencontrer. - Il s'arrête prés de la tombe que Joseph d'Arimathie a fait creuser, et inédite sur sa mort prochaine et sur sa résurrection. - La nuit est venue, et il entre à Jérusalem avec ses disciples; Judas vient se joindre à eux. - Le Messie se rend dans la maison où l'agneau pascal a été préparé. - Il se met a table et célèbre la cène avec ses disciples. - Jean se prosterne devant le calice, Judas l’imite ; le Messie lui ordonne de se relever et lui dit qu’il l'a trahi. - Judas s’éloigne pour aller trouver Calphe. - Après son départ , Jésus dévoile à ses disciples une partie du mystère de la rédemption, et prédit à Simon-Pierre qu'avant la fin de la nuit il le reniera trois fois; puis II part et se rend au mont des Oliviers. - Après avoir passé le torrent de Cédron , il s’arrête dans la vallée de Gelhsémané , et désigne à Gabriel une touffe de palmiers où II doit faire assembler les anges descendus du ciel pour être témoins de la passion.

 

Les hommes, acteurs du drame du Calvaire, agissent conseillés par leur ange ou leur démon particuliers, tandis que le Messie endure les tourments de l'âme. Vient ensuite la Cène. 

Le Ve chant, où nous voyons Jehovah jugeant l'humanité, tandis que Jésus succombe sous le poids des péchés du monde. est un des plus beaux. Mais voici que les démons se taisent, alors que les anges entonnent des hymnes d'Hosanna....

 

CHANT V.

L'Éternel descend sur le mont des Oliviers ; Éloha le suit. - Il rencontre les âmes des six sages venus jadis d'Orient pour adorer l'enfant de Bethléem. - En traversant ia voie lactée, l'Eternel passe auprès d'une étoile habitée par une race d'hommes immortels. - Le père de cette race fortunée s'entretient avec ses enfants, et adresse un hymne à l'Éternel. - Éloha arrive au-dessus du mont des Oliviers; il somme Jésus de se présenter devant son juge; Jésus répond à cet appel. - Adramelech, caché près du Messie, veut le railler; mais il est forcé de fuir. -Le Messie revient auprès de ses disciples. - La première heure des angoisses passée, il se présente de nouveau à son juge. - Abdiel-Abbadona, qui cherche le Messie, le voit sans le reconnaître, et s'éloigne l'âme déchirée par les souffrances dont il a été témoin. - Après la deuxième heure d'angoisses, Jésus retourne une troisième fois vers son juge. - Les tourments qui l'accablent sont si terribles que les anges eux-mêmes ne peuvent plus en supporter l'aspect. - Éloha seul reste près de lui. - Jésus se relève enfin; la troisième heure d'angoisses est passée, et l'Eternel remonte vers son trône.

 

Aber Jehovah saß voll Ernst auf dem ewigen Throne.

Neben ihm stand Eloa und sprach: »Wie ist jetzo Dein Antlitz,

Ewiger, furchtbar! Wie strahlet herab von Deinem Auge

Lauter Gericht! Wie reden so laut die Donner herunter!

Dies Zehntausend sprach; schon spricht das andre; nun hör' ich

Schon das Rauschen des dritten von fern! Dort wandelten Sterne;

Gott, kaum sahst Du herab, und die Sterne waren geflohen!

Warum hör' ich nicht um mich herum die Gesänge der Welten?

Wo Du hinblickst, weit um Dich her, da schweigen die Welten!

Alle Seraphim schweigen, es schweigen die Cherubim alle!

Keine von allen unüberzählbaren Myriaden

Singet ein Lied von dem ewigen Sohne! keine von allen!

Sollt' ich Euch überzählen, ich müßte Jahrhunderte zählen;

Ihr schweigt Alle! Nicht Einer singt von dem ewigen Sohne!

Alle verhüllen vor Gott, ihn anzubeten, ihr Antlitz!

Willst Du Dich, Gott, aufmachen, zu halten über der Erden

Eine Gericht? Denn dies ist das Angesicht des Verderbers!

Dieses des Richters Schaun! Gott, oder hast Du beschlossen,

Satan's Reich zu zerstören? den Lästerer Gottes zu schlagen?

Ziehest Du aus im Dunkeln daher, daß den ewigen Sünder

Du vernichtest und um ihn her die Tiefen der Hölle?

Soll sein Name nicht mehr in dem Buche der Lebenden stehen,

Die Du erschufst? er unter den Ewigen ganz vertilgt sein?

Liegen will ich ihn dann, dann will ich, Rächer, vor Dir ihn

Liegen sehn, wie ihn lasten Dein Zorn und unnennbare Qualen

Daß das Heulen seiner Verzweiflung die Höll' und der Himmel

Und die Welten vernehmen, und ein Gestirne dem andern

Ruf' im Vorübergange: ›Da liegt er gestürzt, der Empörer!

Bis Du wirbelwehend mit ihm und flammend es endigst.

Willst Du das, o Richter, so waffne mich, laß mich mit ausziehn,

Gegen des Schrecklichen Angesicht! Gieb mir aus diesen Gewittern

Tausend Donner und Nacht um mich her und göttliche Stärke,

Daß ich, vor Deinem Antlitz vorbei, in dem Thore des Todes,

 

"Jéhova est assis sur son trône dans tout l'éclat de sa majesté suprême; debout près de lui, le divin Éloha exprime les saintes terreurs que lui cause la sévérité inaccoutumée de son maître par ce chant solennel :

« Dieu de justice ! qu'ils sont terribles, les éclairs que tes yeux lancent vers la terre ! qu'elles sont effrayantes, les mille voix du tonnerre qui mugissent à travers les vallées de l'ancien Éden ! Des étoiles voyageuses y laissaient tomber leurs douces clartés; tu les as regardées, elles ne sont plus!... Sous ce regard menaçant, ils s'arrêtent, les mondes innombrables qui célèbrent ta gloire dans leurs éternelles paraboles! ils se taisent, les séraphins et les myriades d'anges nés pour te chanter ! tous se sont voilé le visage de leurs ailes, et attendent que tu leur permettes d'entonner un hymne en l'honneur de ton fils. Incommensurable! quelle est l'immense pensée qui te préoccupe? est-ce une pensée de destruction? veux-tu juger l'univers et anéantir l'empire de Satan? Oh! alors, donne-moi du sein de tes orages le plus redouté des tonnerres! donne-moi la nuit la plus sombre! donne-moi surtout une étincelle de ta toute-puissance! et j'irai les exterminer, ces esprits maudits qui ne connaissent pas le repentir ! et que leur prince soit effacé du livre de la vie des éternels ! que ses derniers cris de désespoir s'élèvent du fond des enfers jusqu'au haut des cieux ! que les mondes le voient, l'entendent et se redisent les uns aux autres : Une pensée de l'Éternel a fait disparaître l'esprit du mal de l'infini !... Pardonne, Seigneur, si j'ose te supposer de semblables desseins; mais tout en toi respire l'indignation d'un juge, d'un juge sans miséricorde !... En vain je fais remonter mes souvenirs jusqu'à l'époque où les mondes n'existaient pas encore, jamais tu ne me parus aussi redoutable. Toi naguère tout amour. Tu n'es que vengeance et colère; et j'ai osé te parler, moi nuage éphémère animé par ton souffle divin!... Pardonne à mon audace, je suis ton enfant, l'enfant de ta pensée !... Père céleste, ne tourne pas vers moi les regards terribles que tu arrêtas sur la terre , ils m'anéantiraient , si tu ne m'avais pas créé pour l'éternité ! »

Et Jéhova répond :

« Je vais juger le Messie, lui qui s'est interposé entre son père et l'espèce humaine, lui qui est homme et Dieu en même temps ! Suis-moi, Éloha. »

Il dit et se lève. Le trône qu'il vient de quitter résonne comme les harpes des séraphins quand ils célèbrent une fête céleste ; les montagnes des cieux tremblent , et avec eux l'autel de la rédemption ; trois fois les saintes ténèbres passent et repassent devant le sanctuaire, et en dévoilent les marches sacrées; l'Éternel les descend et plonge vers la terre...."

 

Le Messie comparaît devant l'Eternel en lieu et place de l'humanité ...

".... «Au nom de celui qui tient les clefs de l'immensité, qui donne les flammes à l'enfer, la toute-puissance à la mort, est-il sous les cieux un être qui veuille comparaître devant lui, à la place du genre humain? S'il existe, qu'il vienne. Dieu l'ap- pelle! »

A la voix de l'ange, le Messie, debout au pied du mont des Oliviers, frémit; il s'avance, il entre au sanctuaire où l'Éternel l'attend.

Si j'avais la pénétration des prophètes et la voix des séraphins, si la trompette du dernier jugement était à mes ordres pour redire les pensées divines, alors peut-être j'aurais la force de te chanter. Sauveur du monde, quand tu luttas contre la mort, contre la colère de ton père, de ton père inexorable pour toi par amour pour nous! Esprit du Père et du Fils, je ne suis qu'un faible mortel ; éclaire et dirige ma pensée, et, en dépit de mon néant, je verrai, je comprendrai les souffrances et l'agonie d'un Dieu !

Le Messie est prosterné dans la poussière formée par les ossements des enfants d'Adam morts dans le péché. Il voit l'enfer entre son père et lui ; il gémit, tord ses bras avec désespoir ; il combat, il lutte contre la mort, contre le néant!... L'immensité des péchés de tous les siècles l'accable ! Agité par les terreurs de l'agonie, son sang circule plus vite, et son front et sa face divine s'inondent de larges gouttes rouges et brillantes.

Ce ne fut point une sueur ordinaire qui mouilla les membres du Messie, lorsqu'il souffrit pour nous; la sueur glacée qui couvrit son enveloppe mortelle, c'était du sang ! 

Reprenant tout à coup le sentiment de sa divinité, Jésus se relève de la poussière, des larmes se mêlent au sang qui coule sur ses joues, et, le regard fixé sur le ciel, il prie à haute voix :

« Le monde, ô mon Père, n'était pas encore. A peine l'avions-nous fait sortir du néant, que nous vîmes mourir le premier homme, et bientôt chaque seconde fut signalée par la mort d'un pécheur... Des siècles entiers s'écoulèrent ainsi chargés de ta malédiction! Mais elle est arrivée enfin, l'heure solennelle des souffrances mystérieuses, l'heure marquée par nous avant que l'univers se mit en mouvement pour sa marche éternelle, avant que la mort immolât ses victimes! Vous qui dormez en Dieu, je vous salue ; je vous salue au fond de vos tombes silencieuses! Vous vous réveillerez!... Ah! combien je souffre en ce moment, chargé du poids de votre fragilité ; car moi aussi, Je suis né, moi aussi, je dois mourir ! O toi qui suspends au-dessus de ma tête ton bras de juge, toi qui fais frémir mes os pétris de boue, accélère le vol de cette heure affreuse! Rends-la plus rapide... Tu le peux, tout est possible à toi, Éternel !... Cette coupe terrible que tu as remplie de ta colère, de tes effrayantes terreurs, tu l'as versée sur moi ! Ne la vide point jusqu'à la dernière goutte, détourne-la... Je suis seul, isolé des anges et des hommes qui me sont plus chers encore, des hommes, mes frères! et je suis repoussé par toi!... Père céleste, en nous jugeant, daigne te souvenir que nous sommes les enfants d'Adam, et que je suis ton fils !... Mais que ta volonté soit faite, et non la mienne ! »

Ainsi parle le Messie, et sa droite chancelante s'appuie sur Ia nuit; le jour fuit à sa gauche. Les images horribles d'un« mort éternelle passent devant lui, les âmes maudites maudissent la toute-puissance, et les mugissements des cataractes d'où découlent les terreurs infernales, et le bruit des ruisseaux dont le murmure perfide invite au sommeil trompeur du néant, sortent des entrailles de la terre. Le soupir infini du désespoir accuse la création auprès du Créateur ; il maudit le passé, le présent, l'avenir!... L'Homme-Dieu a compris ce soupir.

 

Lag der Messias, mit Augen, die, starr auf Tabor gerichtet,

Nichts Erschaffenes sahn, des Nichtenden Antlitz nur schauten,

Bang, mit Todesschweiße bedeckt, mit gerungenen Händen,

Sprachlos, aber gedrängt von Empfindungen! Stark, wie der Tod trifft,

Schnell wie Gottes Gedanken, erschütterten Schauer auf Schauer,

Auf Empfindung Empfindung, des ewigen Todes Empfindung

Den, der Gott war und Mensch. Er lag und fühlt' und verstummte.

Aber da immer bänger die Bangigkeit, heißer die Angst ward,

Dunkler die Nacht, gewaltiger klang die Donnerposaune;

Da stets tiefer bebte der Tabor unter Jehovah;

Statt des Todesschweißes vom Antlitz des Leidenden Blut rann:

Hub er vom Staube sich auf und streckte gen Himmel die Arm' aus;

Thränen flossen ins Blut; er betete laut zu dem Richter:

»Vater, die Welt war noch nicht ... Bald starb der erste der Menschen;

Bald ward jede der Stunden mit sterbenden Sündern bezeichnet!

Ganze Jahrhunderte sind, von Deinem Fluche belastet,

Also vorübergegangen. Nun ist sie, Vater, gekommen;

Da die Welt noch nicht war, da noch kein Todter verwes'te,

Wurde sie schon, die selige Stunde des Leidens, erkoren,

Und nun ist sie gekommen! O, seid mir, Schlafende Gottes,

Seid mir in Euren Grüften gesegnet! Ihr werdet erwachen! ...

 

Abdiel-Abbadona, ange déchu et prince des enfers, déchiré par ses souffrances du Messie qu'il ne reconnaît pas immédiatement 

"... Tout à coup, une voix plaintive, portée sur les ailes de la nuit à travers le silence de la nature, vient frapper son oreille. Il se dirige vers la vallée de Gethsémané, d'où part cette voix ; à mesure qu'il s'avance, elle lui paraît toujours plus triste et plus déchirante.

« C'est ainsi que gémissent les mourants, se dit-il ; ce malheureux est sans doute un voyageur égaré tombé sous les coups d'un assassin. Peut-être hâtait-il joyeusement sa marche à travers les vallées ténébreuses, afin d'arriver plus vite à la demeure où l'attendaient les douces caresses de sa famille, lorsque le fer meurtrier l'a frappé. Son âme peut-être était noble et pure, et sa vie une suite d'actions vertueuses! Oserai-je m'approcher de cet infortuné, moi prince des enfers! Non, non, je ne pourrais voir sans frémir une victime des passions criminelles qui fermentent au fond du ténébreux empire, et débordent sur cette terre pour perdre l'espèce humaine! O tortures inouïes ! tout le sang innocent que les enfants d'Adam ont versé depuis la chute de leur père, tout le sang innocent qu'ils verseront encore jusqu'à la fin des temps, je le sens peser sur ma tête, je l'entends crier vengeance vers l'Éternel, je vois l'Éternel punir sans miséricorde!... Je veux me rassasier de désespoir, je veux contempler les ossements des enfants de Dieu, car moi aussi j'ai travaillé à leur perte!... Silence du tombeau, devant toi ma pensée recule d'horreur! Et cependant ce n'est pas au milieu de ce silence qu'il m'apparaîtra un jour, le Juge terrible ! Sa démarche, c'est la foudre qui frappe; sa parole, c'est la foudre qui anéantit! »

En suivant la direction de la voix qui l'émeut si profondément, Abbadona s'est approché du Messie; il le voit, prosterné dans la poussière, se tordre et lutter contre les angoisses de l'agonie. En ce moment, Gabriel secoue le nuage qui le voilait, et s'incline vers Jésus ; des larmes célestes étincellent à la paupière du séraphin, et son oreille, qui, du point le plus éloigné de l'infini, entend la marche de l'Eternel et le bruissement des soleils qui s'inclinent sur son passage, écoute le sang du Fils de l'homme couler à travers ses veines contractées par la douleur; il compte les battements de son cœur, il compte ses gémissements et ses prières, et sa pensée immortelle comprend les souffrances de la rédemption. Incapable de supporter plus longtemps l'aspect de ces souffrances inouïes, il lève vers le ciel son visage baigné de larmes, et demande grâce pour le Messie. Tout à coup des légions d'anges déchirent les nuages et joignent leurs prières aux prières de Gabriel. Abbadona les voit, et un sombre désespoir l'accable; il sent plus vivement que jamais l'abaissement où il est tombé. Un seul instant il arrête son regard sur Jésus, qui relève lentement son front baigné d'une sueur de sang, et cette vue met le comble à son désespoir.

« O toi, se dit-il, qui souffres ici des tortures que la langue des immortels ne saurait peindre, es-tu un fils de la poussière? un maudit qui reconnaît trop tard qu'il est une justice au ciel?... Non, non, ta forme humaine brille d'un éclat divin, ton regard s'élève plus haut que les tombes de cette terre et les nuages qui leur servent de dôme... Il y a en toi un mystère dont je ne puis sonder la profondeur! Une pensée rapide comme l'éclair, menaçante comme l'ouragan, s'éveille en moi... Fuis, fuis, pensée terrible, tu n'es qu'un spectre enfanté par ma terreur! Non, ce n'est pas là le fils de l'Éternel que j'ai vu assis à la droite de son père; non, ce n'est pas là le fils de l'Éternel qui, invulnérable et sans pitié, vint fondre sur les anges rebelles et les précipita dans l'abîme ! Non, ce n'est pas là le fils de l'Éternel que j'ai vu debout sur son char flamboyant! La nuit et la moiteur mugissaient sous ses pieds, et la vengeance et la destruction s'échappaient de ses yeux! je le vois encore lorsqu'il lança sur moi un de ces regards destructeurs! Tous les abimes de l'infini tressaillirent, et je ne vis plus rien, je n'entendis plus rien que la nuit et la malédiction !... Et ce vainqueur sans pitié serait cet homme prosterné dans la poussière teinte du sang qui s'échappe par tous ses pores!... J'ai épuisé toutes les douleurs, mon corps est couvert de tous les stigmates de la damnation, et pourtant elles sont nouvelles pour moi, les angoisses qui le torturent!... Devant cet homme, une sainte terreur fait tressaillir la moelle de mes os!... Oui, tout en lui est mystère, merveille!... Doux souvenirs des cieux! m'avez- vous abandonné pour toujours? Ne pourrai-je réveiller un seul d'entre vous? Oui, oui, il me semble que jadis j'ai entendu annoncer un mystère sublime!... Aux enfers mêmes ils en ont parlé... Satan s'est vainement efforcé d'en faire une fable absurde... Cet homme qui semble ainsi chargé de toutes les douleurs, de toutes les souffrances de la terre, n'est pas un simple mortel !... Un chœur d'anges l'entoure, la nature entière, comme sanctifiée par une pensée divine, frémit et prie ! Ah ! je te reconnais enfin. Sauveur du monde; ne tourne pas ton regard vers le misérable Abbadona! L'horreur que te causerait sa vue te ferait peut-être remonter trop tôt vers ton trône, et j'aurais une seconde fois causé la perte de l'espèce humaine!... Cependant, tu lis au fond de mon âme, tu vois mes tourments; mais ils ne te touchent point ; tu es le Messie des hommes ! Ah ! si tu avais daigné devenir un séraphin, si tu souffrais ainsi pour racheter les anges déchus! Oh ! alors, il me serait permis de t'entourer de mes chants d'amour et de reconnaissance. Enfants d'Adam, puisque c'est pour vous qu'il meurt, adorez le sang qu'il va verser pour vous. Si jamais vous veniez à le profaner, je briserais les entrailles d'airain des enfers ! je me précipiterais aux pieds de votre médiateur, et je lui crierais d'une voix intelligible pour les cieux et pour les mondes : Les pécheurs, que tu as voulu racheter, ont repoussé tes bienfaits ; qu'ils profitent au moins aux anges déchus. L'enfer peut te haïr, mais l'infortuné Abbadona t'adore ! Ne jetteras-tu jamais sur son repentir un regard de miséricorde? Ses larmes de sang couleront-elles toujours inaperçues? Il n'ose te demander grâce; mais, las de son immortalité, il te supplie de le soumettre à la mort!...»

Effrayé de l'espoir audacieux qui vient de le surprendre, Abbadona s'enfuit épouvanté.

Jésus, prosterné dans la poussière, se relève une seconde fois; il tourne ses regards vers ses disciples toujours endormis, et les cieux chantent: 

« Elle est passée, la deuxième heure d'épreuve; la deuxième heure des souffrances sublimes qui donnent la paix à l'univers, elle est passée.»

Ainsi chantent les cieux.

L'Éternel tient encore la balance redoutée ; l'écho du ciel répète des paroles de mort, d'anathème, et pas une voix de miséricorde, de grâce, d'espérance ! De profondes ténèbres pèsent sur la terre. Tels pèseront sur l'univers la dernière nuit, et le dernier jour qui la suivra de trop près, et l'appel de l'ange, et le bruissement des nouveau-nés de la tombe !

Le Messie se courbe pour la troisième fois sous la main puissante qui lui fait expier les péchés du monde. C'est ainsi que se tord l'agneau sur l'autel où le sacrificateur vient de l'immoler ; c'est ainsi qu'Abel, appelant en vain son père à son secours, tomba sous les coups d'une main chérie.

Voilé d'un sombre nuage, Éloha est debout au pied du mont des Oliviers. Le tonnerre gronde, les eaux du Jourdain mugissent; à travers ce bruit menaçant, l'Éternel envoie ses ordres au séraphin qui se dirige aussitôt vers le Messie. Le vent glacé de la nuit lui apporte les soupirs étouffés de l'Homme-Dieu, et bientôt il le voit étendu sur la terre et brisé par la douleur. Devant la Divinité ainsi torturée, Éloha sent son éclat d'ange s'évanouir, il est devenu semblable à un simple mortel. Jésus tourne vers lui des yeux mourants, et, sous l'influence de ce regard divin, le séraphin reprend à l'instant sa force et sa splendeur. Et, s'élevant sur un nuage d'or, il étend ses ailes d'azur au-dessus du Messie.

« Fils de l'Éternel, dit-il, ton regard divin m'a rendu digne de toi; il m'a initié au secret des cieux, moi qui ne suis qu'un souffle éphémère de l'Esprit créateur, qu'une goutte de rosée dans l'océan de l'infini ! Semblable à ces soleils qui se lèvent pour éclairer les grains de sable qui nagent dans l'espace, et qu'on appelle les mondes, je devais servir à l'accomplissement de tes desseins sans les connaître, et tu m'as trouvé digne de me révéler ta pensée! Sois béni, regard immense de mon divin maître, il m'a élevé au-dessus de mon être, il m'a rapproché de l'Incréé! Ce bonheur qui m'inonde, les enfants d'Adam le connaîtront, quand tu auras contraint la mort à déposer à tes pieds son glaive de feu! Oui, quand finiront le monde et le temps, quand commencera l'éternité, alors seulement la race humaine comprendra le mystère de la rédemption, son bonheur, ton amour et ta gloire..."

 

CHANT VI.

Judas Iscariote, suivi d'une troupe armée, vient à Gethsémané pour arrêter son maître. - Effroi des soldats quand ils entendent la voix de Jésus. - Baiser de Judas. - Le Messie se laisse emmener sans résistance et blâme l'emportement de Simon Pierre. - L'assemblée des prêtres attend Jésus avec la plus grande anxiété. - Trois messagers viennent successivement apporter des nouvelles de l'expédition de Judas. - Philon va chercher Jésus chez le prêtre Anne, où il a d'abord été conduit, et le fait mener chez Caïphe - Porcia. la femme de Pilate, s'est rendue au palais du grand prêtre pour voir le prophète, auquel elle prend un vif intérêt - Le calme et la résignation qu'il oppose à la fureur de ses ennemis achèvent de la disposer en sa faveur. - Poussé par Satan, Philon se fait l'accusateur du Messie. - Déposition des témoins. - Jésus est condamné à mort. - Simon Pierre renie son maître, mais il se repent presque aussitôt, et erre à travers les rues de Jérusalem, en proie aux plus cruels remords.

 

Puis ce sont les chants consacrés à la Passion jusqu'au chant X, celui de la Crucifixion, particulièrement émouvant, où le poète réunit autour de la Croix toutes les âmes, depuis celles qui attendent dans la terreur l'heure du Jugement à celles qui attendent encore leur incarnation. Les figures d`Eve et de Marie, symboles du sentiment maternel, sont d'une singulière beauté. 

 

CHANT VII.

Le jour marqué pour la mort de Jésus commence à paraître , et Éloha le salue par un hymne de deuil. — Les prêtres conduisent Jésus devant Pilate. — Philon et Caïphe l'accusent de blasphème et de rébellion. — Mort de Judas. — Pilate, qui a fait passer Jésus dans une autre pièce pour l'interroger, revient avec lui dans l'assemblée; Il déclare qu'il ne le trouve point coupable et qu'il faut le conduire à Hérode. — Marie arrive dans la salle et reconnaît son fils. — Son désespoir et ses larmes. — Elle Implore la protection de Porcia. — La noble Romaine cherche à la consoler, et envoie un esclave dire à Pilate de ne pas condamner Jésus. — Songe de Porcia , dans lequel Socrate est venu lui faire connaître la nature divine de Jésus. — Hérode demande au Messie d’opérer quelques miracles devant lui : le Messie garde le silence, et Hérode indigné le raille et le renvoie à Pilate. — L’esclave de Porcia vient s’acquitter du message dont sa maîtresse l’avait chargé. — Pilate a fait venir un brigand célèbre nommé Barrabas, et le présente au peuple avec Jésus , pour le décider à demander la délivrance du Messie. — Philon devine les Intentions de Pilate , et harangue le peuple , qui , égaré par ses discours , absout le meurtrier. — Pilate se lave solennellement les mains devant l’assemblée — Jésus est emmené pour être flagellé et couronné d’épines. — Après cette cruelle exécution , Pilate demande de nouveau grâce pour Jésus; mais les prêtres l’intimident en lui reprochant de défendre l’ennemi de César. — Le préteur, effrayé , leur livre Jésus, qui est conduit au supplice.

 

"Entouré des célestes gardiens de la terre, et porté par la plus souriante des nuées matinales, le divin Éloha plane au-dessus de la Judée. Sous ses doigts puissants les cordes de sa harpe frémissent comme frémiront un jour les membres des ressuscités , quand ils secoueront de leurs vêtements aériens les derniers atomes des cendres de la mort; et à ses sublimes accords sa vois marie cet appel des cieux :

« Éveille-toi, création de l’éternité ! Jour du sacrifice, déchire le rideau du passé et de l’avenir qui entoure ta couche ! quitte le duvet argenté sur lequel tu reposes mollement dans le sein de l’infini !.. Silence! il arrive ce jour tant désiré; son nom est miséricorde; c’est ainsi que le saluent les orions des cieux. Et les mondes, et leurs soleils, et leurs étoiles, malgré leur petitesse infinie, reconnaissent en lui un messager de sang et de pardon, de vengeance et d’amour ! ..."

 

CHANT VIII.

Les anges et les âmes des patriarches forment un cercle autour du Golgotha. — Adam salue la terre. — Satan et Adramelech, qui planaient triomphants au-dessus du Messie, sont chassés par Éloha. — Jésus, chargé de sa croix, s'approche du Golgolta. — Il monte la colline, et ta terre tremble. — Adam adore le Sauveur de l'espèce humaine. — Les étoiles arrivent au point marqué pour l'accomplissement de l'œuvre de la rédemption. — Les mondes s’arrêtent dans leur marche. — Jésus est sur la croix. — Son sang coule ; il regarde le peuple et prie pour lui. — Conversion d’un des deux malfaiteurs crucifiés avec Jésus. — Uriel place une étoile devant le soleil, et d’épaisses ténèbres enveloppent la terre. — Les âmes des premiers chrétiens prêts à naître sont amenées près de la croix par leurs anges gardiens. — Le Messie les regarde avec amour; ses souffrances augmentent, et le tremblement de terre devient plus violent. — Éloha remonte vers les deux ; il rencontre deux anges de la mort qui descendent vers la terre, et font sept fois le tour de la croix. — Angoisses du Messie, qui comprend ce message prophétique. — Douleur des anges et des âmes des bienheureux. — Ève aperçoit Marie au pied de la croix et partage ses souffrances cruelles. — Jésus console Ève par un regard de miséricorde.

 

"Muse sacrée, toi que j’invoque, tu l’entendis, le plus saint des chantres de Jéhova, lorsqu’au pied de la montagne de Sion il chanta le Rédempteur délaissé par son père à son heure suprême. C’est en l’écoutant que tu as appris les hymnes célestes que ma voix timide répète en tremblant. Achève de m’initier à tes saints mystères, conduis- moi au milieu des ténèbres qui enveloppent la croix où souffre un Dieu. Je veux que les terreurs de l’éternité ébranlent la moelle de mes os; je veux voir le Sauveur du monde lutter contre la plus cruelle des agonies ; je veux arrêter mes regards sur ses yeux éteints, sur ses joues livides; je veux compter chaque goutte du sang de la rédemption...."

 

"...Au moment de s’accomplir, l’œuvre de la rédemption se replie plus avant dans son voile mystérieux.

Ils sont innombrables les témoins de la terre et du ciel rangés autour du Golgotha , et , parmi ces témoins innombrables, Éve est la plus fortement émue. Pour elle , les souffrances du Fils de l’homme sont des tortures personnelles. L’auréole qui entourait sa tête s’éteint; elle se prosterne sur la terre, cette tombe immense de tous ses enfants; son front foule la poussière des morts, ses mains jointes sont tendues vers le ciel : elle se relève a demi , et son regard d’immortelle cherche a percer les ténèbres du tombeau, qu’elle a franchi depuis tant de siècles , et dont les ossements blanchis et le terrible silence l’épouvantent de nouveau. Touché de ses gémissements , l’ange des harmonies célestes porte au pied de la croix cette douce plainte de la mère du genre humain :

« O toi que j’ai appelé mon fils, puis-je encore te donner ce nom si doux?... Ne détourne point de moi tes regards qui se brisent et s’éteignent ! N’es-tu pas mon Rédempteur, le Rédempteur de tout ce qui est né?... Les cieux retentirent de joie quand ta voix d’amour annonça à la première pécheresse le pardon et la vie éternelle. Mais ce pardon,. tu le payes de ta vie!... Cette pensée terrible refoule l’âme immortelle sur la tombe qu’elle a franchie... Oh! permets-moi de pleurer sur toi, fils divin! Les larmes, je le sais , seul un hommage peu digne de la gloire mais tu prends pitié de la faiblesse, toi qui es tout amour, tout miséricorde ! Et vous, enfants de mes enfants, nés pour mourir, cessez d’accuser votre malheureuse mère! Pour vous , elle a passé sa vie dans la douleur; pour vous, ses yeux ont trouvé au delà de la tombe de ces larmes brûlantes qui fondent les glaces de la mort. Maintenant, ô mes enfants chéris , c’est le sang du fils de Dieu qui vous garantit du néant... Vous ne mourrez plus; vous vous endormirez pour vous réveiller dans les bras de votre Sauveur... Mais, hélas! il meurt, ce Sauveur, dont aucun mot ne peut exprimer la puissance et la miséricorde. Heure terrible, heure suprême, hâte-toi de t’envoler sur les ailes rapides de la lumière, qui te balancent si lentement dans l’Infini !... Terreurs de l’agonie, ne vous lasserez-vous pas d’assiéger cette tête, qui s’incline toujours plus avant dans les ombres de la mort? Jésus , ô mon fils divin! ton visage devient toujours plus pâle, le sang jaillit encore de tes blessures; mais ton souffle, hélas! c’est le râle du mourant... Ton regard voilé s’arrête sur moi..."

 

CHANT IX.

Éloha revient des cieux sans avoir pu s'approcher du trône de l'Étemel. — Souffrances du Messie sur la croix. — Regrets de Simon-Pierre. — Il parcourt les environs du Golgotha, et rencontre plusieurs de ses amis qui pleurent avec lui sans oser ni le consoler ni lui reprocher sa faute. — Entretien et prière des patriarches. — Jésus adresse la parole à sa mère et à Jean. — Le tremblement de terre augmente toujours. — Abdlel Abbadona , qui s’était réfugié dans les entrailles des montagnes , s'étonne de ces commotions qui semblent vouloir bouleverser la nature. — Il s’affermit dans le dessein de voir le Messie, prend la forme céleste qu'il avait avant sa chute, et va se mêler parmi les anges qui entourent la croix. — Les séraphins le reconnaissent , mais ils lui permettent d’approcher. — La vue du séraphin Abdlel, son ancien ami, lui fait perdre son éclat d’emprunt, et il s'enfuit épouvanté. — Obaddon, l’ange de la mort, conduit l’Âme de Judas près de la croix. — Il lui fait contempler les cieux d’où sa trahison l’a banni, le précipite dans les enfers , et va prendre les ordres de l’Éternel.

 

CHANT X.

Jésus jette un regard sur Satan et sur Adramelech, qui s'étaient réfugiés sur les bords de la mer Morte, et les dieux des ténèbres éprouvent des douleurs horribles. - Les âmes des futurs chrétiens sont emmenées par leurs anges gardiens pour aller habiter les corps qui les attendent sur la terre. - Le Messie les bénit. - les âmes des patriarches et des prophètes se sont réunies sous les palmiers de Gethsémané, où elles s'entretiennent des souffrances du Rédempteur. - Les âmes de Siméon et de Jean le Précurseur, de Miriam et de Débora expriment leur douleur par des chants solennels. - Les fidèles, accablés de tristesse, s'éloignent du Golgotha. - Lazare suit Lebbée dans les sépulcres où ce disciple s'est réfugié ; il le console en lui faisant part des émotions prophétiques qu'il éprouve depuis que Jésus l'a ressuscité. - Uriel annonce aux séraphins et aux patriarches l'arrivée de l'ange de la mort. - Hénoch, Abel, David et Seth chantent des cantiques de deuil. - Adam et Eve déplorent amèrement leur péché, et prient pour la délivrance du genre humain. - L'ange de la mort arrive ; il se repose sur le mont Sinaï, s'abat au pied du Golgotha, adore le Messie, se relève, et le frappe, ainsi que l'Éternel le lui a ordonné. - Jésus prononce les dernières paroles qu'il devait faire entendre par la terre, et meurt.

 

"Les immortels tressaillent, la montagne de Moria tremble, et avec elle les voûtes sacrées du temple. L'ange exterminateur descend vers la terre, s'abat sur le mont Sinaï, et s'y arrête, épuisé. L'ordre dont l'a chargé l'Éternel l'accable; il lui semble que les mondes et les cieux vont s'écrouler. Pour qu'il ne se perde pas dans le néant, le conservateur de tout ce qui est lui prête son appui. La Terreur, dont le bras de fer l'avait abattu, le relève ; il reprend son vol, et agite le glaive qui lance des rayons de feu mêlés de sang; mais son bras soutient à peine cette arme redoutée. Arrivé sur le Golgotha, il se prosterne, et adore la victime avant de la frapper. Sa voix, naguère menaçante comme celle du tonnerre, n'est plus qu'un gémissement étouffé.

« Fils de l'Éternel, dit-il, moi, que tu formas naguère d'un nuage nocturne et d'une vague de feu, esprit créé d'hier, je dois t'immoler, toi, mon maître!... Jéhova l'ordonne, prête-moi la force de lui obéir!... »

Il dit, et s'efforce de lever son glaive. La tempête mugit ; l'ange exterminateur a retrouvé son énergie; et sa voix, plus forte, plus terrible que la tempête, dit au Messie :

« La colère de l'Éternel est infinie; tu t'es soumis à cette colère. Ta voix suppliante, qui demandait grâce, est arrivée au pied du trône : Jéhova a détourné la tête; il t'abandonne ; il te livre à moi, le plus terrible des anges de la mort! »

Jésus lève une dernière fois ses regards vers le ciel, et dit, non avec la voix éteinte de l'agonie, mais avec l'accent terrible du désespoir :

« Mon Père! mon Père! pourquoi m' as- tu abandonné ! »

Les cieux se voilent devant ce secret terrible : les faiblesses humaines dominent le Fils de l'homme, il s'écrie avec l'accent d'un mortel:

« J'ai soif! »

Il boit, il frémit, il pâlit, et soupire ces mots :

« Mon père, entre tes mains je remets mon esprit ! »

Puis il ajoute, avec l'énergie d'un Dieu :

« Tout est consommé!... »

Sa tête retombe sur sa poitrine. Il meurt !! "

 

Schreckend stehet er da und hält nach der Schädelstätte

Sein weitflammendes Schwert, und hinter ihm macht sich ein Sturm auf.

Mit dem fliegenden Sturm erscholl des Unsterblichen Stimme.

Siehe, die Palmenwälder, der Jordan, Genezaret rauschten

Vor dem mächtigen Sturm, und es strömte das Abendopfer

Erdwärts mit vorschießender Gluth. Der Unsterbliche sagte:

»Dem Du Dich opferst, es hat Jehovah Dein göttliches Opfer

Angenommen. Unendlich ist des Gerechtesten Zürnen.

Mittler, Du hast dem unendlichen Zorne Dich unterworfen,

Du allein, und mit Dir ist keiner aller Erschaffner!

Deines Blutes Geschrei um Gnad', um die Gnade des Richters,

Ist vor ihn gekommen; allein er hat Dich verlassen,

Wird Dich verlassen, bis Du den gottversöhnenden Tod stirbst!

Fliegende Winke nur noch, so wirst Du ihn, Göttlicher, sterben!«

Also sagte der Todesengel und wandte sein Antlitz.

Jesus Christus erhub die gebrochnen Augen gen Himmel,

Rufte mit lauter Stimme, nicht eines Sterbenden Stimme,

Mit des Allmächtigen, der sich, das Staunen der Endlichkeiten,

Freigehorsam dem Mittlertod hingab; er rufte:

»Mein Gott, mein Gott, warum hast Du mich verlassen?«

Und die Himmel bedeckten ihr Angesicht vor dem Geheimniß.

Schnell ergriff ihn, allein zum letzten Male, der Menschheit

Ganzes Gefühl. Er rufte mit lechzender Zunge: »Mich dürstet!«

Ruft's, trank, dürstete, bebte, ward bleicher, blutete, rufte:

»Vater, in Deine Hände befehl' ich meine Seele!«

Dann: (Gott Mittler, erbarme Dich unser!) »Es ist vollendet!«

Und er neigte sein Haupt und starb.

 

CHANT XI.

La Gloire du Messie plane au-dessus du Golgotha, et se dirige vers le temple. - Sous son vol rapide, le monde frémit, et quand Elle entre au sanctuaire, le rideau se déchire. - Gabriel ordonne aux âmes des patriarches, des prophètes et des bienheureux de se rendre sur les tombes où reposent leurs dépouilles mortelles. - Le Messie quitte le temple, et ressuscite les corps des patriarches, des prophètes et des bienheureux. - Mort du bon Larron. - Continuation de la résurrection des patriarches, des prophètes et des bienheureux..

 

Les dix derniers chants traitent du Rédempteur triomphant, jusqu'à son apparition sur le mont Thabor, juge de tous et de chacun. Puis, c'est la descente de Jésus en enfer. Après avoir montré à Adam certaines scènes du Jugement dernier, (chant XIV) le Christ apparaît enfin à ses disciples et (dans le dernier chant) monte au Ciel s'asseoir à la droite du Père.

 

CHANT XII.

Joseph d’Arimalhle obtient de Pilate la permission d’ensevelir Jésus. — Pendant qu’il s’acquitte de ce pieu devoir, secondé par Nlcodème, un chœur de ressuscités chante au-dessus de la croix. — Les disciples, une partie des soixante-dix fidèles, Marie et les saintes femmes, se réunissent dans la demeure de Jean. — Joseph d’Arimathie et Nlcodème viennent les rejoindre , et apportent la couronne d'épines de Jésus. — Mort de Marie-Madeleine, sœur de Lazare; Lazare, Lebbée et Nathanaël viennent recevoir son dernier soupir. — Laure retourne dans la demeure de Jean , et cherche à ranimer le courage de ses amis. — Salem, l’un des anges gardiens de Jean , fait descendre sur lui un songe consolant.

 

"L’âme qui craint de perdre sa part de l’héritage céleste s’assombrit et tressaille jusque dans ses plus secrets replis , et ses pensées, égarées dans le labyrinthe de la Providence, ne voient partout que l’anathème du mont Sinaï ou les terreurs du Golgotha. N’apercevant plus dans l’éternité ni les vêtements blancs du vainqueur, ni la couronne du martyre, elle s’abîme dans la poussière, et se perdrait dans le néant , si le souffle protecteur des séraphins ne venait pas ranimer l’étincelle de son essence divine, en lui rappelant qu’elle n’a été jetée sur la terre que pour se soumettre aveuglément aux décrets de l’Eternel.

C’est avec cette résignation douloureuse qu’un petit nombre d’amis fidèles de Jésus se lient autour de la croix. .."

 

"...Joseph et Nicodème sont arrivés près de la tombe creusée dans le flanc d’un noir rocher, dont le sommet nourrit ça et là quelques rares sapins. Joseph cherche du regard la place la moins sombre, et, secondé par son noble ami. il y dépose les restes de Jésus. Accablés de tristesse, tous deux détournent la tête, sortent du sépulcre, et en ferment l’entrée en y roulant péniblement une lourde pierre. De profondes ténèbres règnent dans la tombe où reposent les restes du Messie; mais, a travers ces ténèbres, les immortels voient briller les premières étincelles de la résurrection.

Oui, divin Sauveur, à peine les ombres de la mort s’étaient-elles répandues sur tes yeux, que déjà le souffle de l’immortalité bruissait autour de toi , et la trompette redoutée qui, au jour de la grande moisson, appellera tous les moissonneurs au travail, résonnait dans les deux, et le murmure des harpes célestes, doux comme le premier rayon de l’aube matinale, annonçait ton réveil. Nous ne l’avons pas vu sommeiller au milieu des horreurs de la mort; pour nous, tu reposes à l’ombre des palmiers. Mais vous, ses bien -aimés , vous qui alors viviez encore de la vie d’un jour, vous avez pleuré, vous avez gémi, puis vous avez versé des larmes de joie divine, des larmes que nous ne connaîtrons jamais, nous qui n’avons éprouvé ni votre sainte terreur , ni votre sombre désespoir.

Tout est silencieux et calme autour de la tombe du Christ. Les harpes d’or ne font plus entendre leur harmonie plaintive; les anges et les ressuscités ont essuyé leurs larmes et se sont envolés. Les fidèles regagnent leurs demeures, soutenus par la consolante pensée que la noble victime du Golgotha vient enfin de trouver le repos dans la tombe. Jean et Marie seuls sont encore au pied de la croix. Le disciple chéri se penche vers la sainte femme que son maître a confiée a ses soins, et lui dit d’une voix entrecoupée de soupirs :

« Nous ne pouvons plus rien pour lui , quittons ce lieu lugubre ; permets-moi de te conduire dans ma cabane ; viens, ma mère, viens, suis ton fils. »

Ces mots rappellent Marie à elle-même; un torrent de larmes s’échappe de ses yeux..."

 

CHANT XIII.

Gabriel rassemble les anges et les ressuscités autour de la tombe du Christ pour attendre son réveil. — Doutes de l’officier romain qui garde le tombeau. — L’âme de la soeur de Lazare tient se mêler à la troupe des Immortels. — Obaddon fait sortir Satan et Adramelech de la mer Morte . et leur donne le choix de retourner aux enfers ou de se rendre auprès du sépulcre de Jésus. — le Messie se réveille de la mort; les anges et les ressuscités le saluent par des chants de triomphe. — Plusieurs bienheureux descendent des nuages pour glorifier le Sauveur du monde. — L’âme d'un païen qui vient de mourir est amenée devant le Christ, qui la Juge. — Gabriel ordonne à Satan de retourner aux enfers. — L’officier et les soldats romains vont rendre compte au sanhédrin de ce qui s’est passé pendant qu’ils gardaient le tombeau de Jésus. — Philon se tue ; Obaddon précipite son âme dans la géhenne.

 

"Toujours réunis dans la vallée où jadis ils s’étaient endormis du sommeil de la mort, les patriarches goûtent les joies ineffables de leur récente résurrection. Les anges voltigent autour de la terre et bénissent l’espèce humaine, que le sacrifice de la rédemption vient de réconcilier avec son Créateur. Mais de douloureuses émotions se mêlent à leur joie, et souvent ils agitent leurs ailes pourprées, obscurcies par les exhalaisons de la terre, comme le voyageur secoue la poussière qui s’est attachée à ses pieds. Gabriel est resté près de la tombe du Christ..."

 

CHANT XIV.

Jésus apparaît aux saintes femmes et à Simon-Pierre. — Ils vont raconter cette apparition A l'assemblée des fidèles. — Doutes de Thomas. — Jésus se montre à Matthieu et à Cléophas. — Thomas se rend dans les tombeaux et prie ; un ressuscité , qu'il prend pour un voyageur étranger, s'entretient avec lui. — Matthieu et Cléophas retournent dans la demeure de Jean et racontent à leurs amis ce qu'ils ont vu. — Lebbée doute encore de la résurrection de son maître. — Jésus apparaît à l’assemblée des fidèles.

 

"Les fidèles sont toujours réunis dans la modeste demeure de Jean , et rien jusqu’ici n’a pu adoucir leur douleur. Les saintes femmes, qui se préparent à aller répandre des parfums dans le sépulcre du Messie, mêlent leurs larmes aux essences précieuses qu’elles préparent avec une tendre sollicitude. Semblables aux sages compagnes de la fiancée qui entretinrent soigneusement leurs lampes afin d’être prêtes au premier signal de l’arrivée du futur..."

 

Kephas dankt' und betete noch, da trat der Versöhner

In die Versammlung. Wie Felsen, ein Erstaunen, standen,

Starrten sie All' um ihn. Der Auferstandene sagte:

»Friede sei mit Euch!« Sie sahn ihn und sahn ihn nicht, standen,

Blickten ihn an. Von den Strömen zu vieler Gedanken ergriffen,

Wie in Meeren des Lichts, in denen Unsterbliche sänken,

Sanken sie, konnten sich nicht herausarbeiten und wähnten

Einen Engel zu sehn. Mit der Liebe Stimme, mit seiner,

Sprach der Erstandne: »Vor mir seid Ihr erschrocken, Ihr Lieben?

Warum kommen Euch diese Gedanken in Eure Herzen?

Sehet meine Hände und meine Füße, Geliebte!

Denn kein Engel hat Fleisch und Gebein, wie Ihr seht, daß ich habe.«

Und sie bebten herzu. Maria sank vor ihm nieder,

Hielt die Füße des Auferstandenen, sahe die Wunden,

Fasset' ihn bei der Rechten und sah die Wunde der Rechten,

Dann der Linken. Und nun vermochte sie auch in des Sohnes

Antlitz hinaufzuschaun. Wie das Angesicht eines Engels

Wurd' ihr Angesicht, als sie hinaufsah. J. »Meine Mutter,

Hier auch wurd' ich durchstochen.« Er zeigt' ihr das Mal der Wunde,

Aus der Wasser herab und Blut floß, als ihn des Todes

Nacht umgab. Ihr ward wie das Angesicht eines Engels

Wieder ihr Angesicht. Schon umknieten die Meisten ihn, sahen

Seine Wunden und reicheten ihm die Hände. Die nahmst Du,

Sohn des Vaters, und hieltest sie, ließest sie sinken, der Andern

Ausgestreckte zitternde Hände zu nehmen, Erbarmer!

Und, ein Jubelgesang dem Auferstandnen, erhub sich

Mit gebrochenen Worten die Stimme des sanften Weinens.

Jetzt rann über die Wange des Göttlichen eine Thräne.

 zu Deinem Vater!

 

CHANT XV.

Des ressuscités apparaissent à Nephthoa . à Diléan , à Tabitha , à Cidlie , à Etienne, à Barnabas-José , levite de Chyrrre , à Puma et à Béor. — Abraham et Moïse veulent apparaître à Saul ; Gabriel le leur défend. — D’autres ressuscités apparaissent à Saimma et à son fils Joël , à Elkanan , au jeune Boa , et à la mère de Jésus. — Transfiguration de Cidlie et de Sémida.

 

"Méditation sainte sur la vie éternelle, toi qui as si souvent pénétré mon âme de tes pieux frémissements et de la douce mélancolie , viens m’inspirer de nouveau ; car lorsqu'elles se passèrent sur la terre les merveilles que célèbrent mes chants, elle y régnait la vie éternelle; et les morts étaient sortis de leurs tombes pour initier les premiers chrétiens aux mystères des félicités célestes. Il est faible encore le troupeau des fidèles; c’est le noyau sacré qui jettera des racines profondes dans la terre , d’où sortira l'arbre puissant dont les branches toujours vertes s’élèveront vers les cieux..."

 

CHANT XVI.

Le Messie rassemble les anges et les ressuscités sur le mont Thabor, et se montre a eux comme Juge et maître souverain de l’univers. — Il prononce les arrêts des habitants de la terre morts depuis peu. — L’ange gardien d’une étoile qui doit être transformée vient le prier de hâter cet Instant. — Un jeune habitant de l’étoile des hommes Immortels, qui a commis une faute, se trouve au nombre des pécheurs jugés par le Messie. — Descente du Christ aux enfers. — Punition des anges déchus.

 

"... En achevant ces mots, Gélimar aperçoit sur la cime du Thabor des êtres semblables à lui , et des immortels dans lesquels il croit reconnaître des Dieux. Il se prosterne aussitôt a leurs pieds pour les adorer; mais l’un d’eux lui ordonne de se relever, et dit,

« Nous ne sommes que des êtres créés. » - « Et vous avez comme moi senti le bras glacé de la mort? et comme moi vous vous êtes réveillés à une vie nouvelle? demande Géliinar.»

Et un des séraphins répond : « Dieu nous a créés immortels... Suis-nous.. Bientôt il t’éclairera, celui qui a fait les étoiles, les séraphins, et les âmes des mortels. »

Et ses guides célestes lui font monter le sentier lumineux que le Sauveur vient de leur indiquer.

Les soleils se lèvent, les soleils se couchent, et le jugement du Christ dure toujours. Des âmes innombrables arrivent de tous côtés; les unes disparaissent semblables aux gouttes de pluie qui tombent sur un sable brûlant, les autres s’écoulent doucement comme les ondes argentées d’une source qui traverse une prairie émaillée; toutes suivent le mouvement de la balance terrible qui tantôt descend vers les abîmes, et tantôt remonte vers les cieux.

Viens, ruisseau hâtif, viens mêler ton doux murmure aux mugissements du torrent où je puise mon hymne solennel; viens rafraîchir mon âme trop faible pour résister aux béatitudes qui l’inondent à mesure qu’elle s’avance dans la route où elle a osé s’élever.

Cent fois déjà la lune a subi toutes les phases de sa course périodique, depuis que j'ai osé chanter les arrêts que prononça le Christ sur la cime du Thabor; alors j’espérais qu’avec le secours du Sauveur je terminerais mon œuvre, mais tout il coup de sombres nuages ont voilé mes yeux, et des pensées de mort se sont emparées de moi... J’ai vaincu ces vaines terreurs, je vis encore, j’achèverai la sainte tâche que je me suis imposée. Grâces te soient rendues, ô mon divin Rédempteur, qui m’as donné cette force ! Tandis que la mort s’avance à pas lents, l’espérance nous soutient, cl c’est elle encore qui nous ramène dans notre patrie céleste.

Qu’éprouverai-je lorsque, arrivé enfin au delà de la tombe, je verrai à chaque signe du temps paraître des légions d’âmes échappées de leurs enveloppes mortelles? Ils viendront ensemble, les sceptiques, les incrédules et les chrétiens; ils viendront ensemble, les amis qui pleurent encore les amis de leur choix , et la veuve que son époux attend , et tous les mystères de la Providence seront dévoilés ; chaque atome de la création comprendra son passé, connaîtra son avenir; le soufle de l’éternité aura pour toujours ranimé les morts et anéanti les illusions! Vous qui avez éprouvé les tortures de la soif du savoir, vous devez comprendre quel sera notre bonheur quand nous saisirons enfin tous les fils mystérieux du labyrinthe où notre pensée s’était égarée tant de fois.

Viens, ruisseau hâtif, viens mêler ton doux murmure au torrent où je puise mon hymne solennel; viens rafraîchir mon âme trop faible pour résister aux béatitudes qui l’inondent à mesure qu’elle s’avance dans la route où elle a osé s’élever...."

 

CHANT XVII.

 

Le Messie apparaît à Thomas. — Jugement des âmes des pécheurs qui ont péri dans le déluge. — Des ressuscités apparaissent aux fidèles et aux enfants qui sont allés visiter la tombe du Christ. — Lazare réunit dans son jardin les soixante-dix et quelques-uns des pèlerins venus à Jérusalem pour assister aux fêtes de Pâques. — Lazare se rend à la tombe de sa sœur, et l’âme de cette jeune fille s’entretient avec lui. — Les ressuscités, qui avaient pris la forme de pèlerins , se montrent aux fidèles dans tout l’éclat de leur immortalité.

 

CHANT XVIII.

Adam prie le Messie de lui dévoiler quelques-unes des conséquences de la rédemption. — Le Messie exauce sa prière et lui révèle, dans une vision, une partie du dernier Jugement. — Adam raconte aux anges et aux ressuscités cette vision pendant laquelle il a vu et entendu juger les ennemis du Christ , — les fondateurs du culte des Idoles , — les persécuteurs , — les chrétiens adorateurs de la vierge et des saints , — les mauvais rois.

 

Adam setzte sich nieder auf einer der Höhn, und sie setzten

Sich an des Hügels Fuß vor Christus' Begnadigten nieder.

Einst am Tage des Herrn, als auf der kommenden Dämmrung

Flügel vor mir die einsamen freudigen Stunden vorbeiflohn,

Und ich forschete, kam die heilige Sionitin

Gegen mich her. So war mir noch nie die Prophetin erschienen,

So viel Ewigkeit hatte noch nie ihr Antlitz getragen!

Und sie sang mir Adam's Gesicht. Sie selber verstummte

Oft, da sie sang. Die Wange glüht' ihr; es stieg zusehends

In die glühende Wang' ihr schnelle Blässe. Die Lippe

Rufte stammelnde Donner, und ernst her schaute das Auge.

Fast entsank die Harfe der starrenden Hand, und die Krone

Bebt' um ihr fliegendes Haar. Dann erhob sie sich wieder, dann kam ihr

Jedes Lächeln der ewigen Ruh in ihr Antlitz herunter.

 

"Adam se prosterne aux pieds du Christ, et lui dit :

« Si j’ai trouvé grâce devant toi , ô mon divin Sauveur! fais que ma pensée puisse embrasser toute l’étendue du bienfait que ton sacrifice a répandu sur mes innombrables enfants. »

Et le Christ répond :

« Les conséquences de la rédemption ne se dévoileront qu’avec le dernier jour du temps... Va te reposer à l’ombre de ce cèdre, et je ferai passer devant tes yeux une vague image de ce grand jour. »

Adam obéit. A peine est-il arrivé sous l’ombre du cèdre majestueux , qu’un sommeil profond et doux s’empare de lui ; une vision sublime anime ce sommeil. A son réveil, il s’empresse d’aller rejoindre les chérubins et les ressuscités, qui l’entourent et l’interrogent du regard.

Le père du genre humain s’assied sur une colline verdoyante; les immortels se groupent autour de lui et gardent un respectueux silence, car il va leur raconter la vision que le Sauveur a daigné lui envoyer. 

Les heures saintes d’un jour consacré au Seigneur s’étaient envolées devant moi , douces et solitaires, lorsque je vis tout à coup la muse de Sion qui se balançait mollement sur les ailes du crépuscule. Jamais encore elle ne m’avait paru si imposante; jamais encore je n’avais vu l’éternité si profondément empreinte sur son visage divin. Elle chantait la vision d’Adam. La majesté du sujet l’avait si fortement émue, qu’elle fut plus d'une fois forcée d’interrompre son chant. Tantôt ses joues étaient brûlantes , et tantôt elles se couvraient d’une pâleur mortelle; et de ses lèvres s’échappaient des accents tonnants entrecoupés de sons plaintifs. Ses mains soutenaient péniblement sa harpe d’or, et sur sa tête, au milieu de sa chevelure flottante, sa couronne tremblait. Puis elle redevint calme, un sourire céleste épanouit ses traits, et les tilles divines de son âme, les pieuses pensées, déployèrent leurs ailes innombrables, et, portées par le souffle de la tempête, elles montèrent vers l’Éternel.

Habitants de la terre, je vais essayer de vous redire le saint cantique de la muse de Sion, autant que le peut un faible mortel. Pour chanter les mille et mille pensées qu’elle psalmodia devant moi, il faudrait la voix d’un ange ; pour deviner les mille et mille pensées plus sublimes encore qu’elle ne m’a pas jugé digne d’entendre, il faudrait l’intuition d’un dieu.

Le père des hommes s’est assis sur une colline verdoyante; les immortels, groupés autour de lui, l’écoulent dans un respectueux silence, car il leur raconte la vision que le Sauveur a daigné lui envoyer :

« Une puissance, rapide comme la pensée d’un séraphin, m’avait entraîné au milieu des plages sans limites de la résurrection. Il était imposant et terrible le spectacle du genre humain rangé tout entier autour d’un trône où siégeait le Juge suprême ! Ce fut alors que je compris l’immortalité dans toute son étendue (Was die Unsterblichkeit sei! Das Alles erblickt' ich und lebte!). ..

 

Was die Unsterblichkeit sei! Das Alles erblickt' ich und lebte!

Siehe, der Tag wird kommen, dann werdet Ihr Alle das Heer sehn,

Welches ich sah, und dann wird die Ewigkeit kommen, und Keiner

Unter Euch Allen wird dann das auszusprechen vermögen,

Was er sah. Ach, er schaute dann auch auf dem Throne den Richter!«

Adam senkte zum Wonnegebet zu der Erde sich nieder:

»Jesus Christus, Du hast mich erhört, und ich habe gesehen

Deines entscheidenden Tages der Strahlen einige leuchten,

Einige Donner Deines Gerichts, Sohn Gottes, vernommen!«

Und der Vater der Menschen erhub sich wieder und sagte:

»Lange, so daucht' es mir, dauerte schon die Zeit der Entscheidung;

Tausende waren schon, als ich mich nahte, gerichtet.

Sieh, es war nicht ein Tag der Sonne; die war erloschen

Oder verhüllet. Der Glanz des Thrones überstrahlte

Schön und schrecklich der Auferstandenen weites Gefilde.

»Christen gebot, die, Christen verfolgend wegen der Lehre

Von dem getödteten Menschenfreunde, von herzlicher Liebe

Zu den Brüdern, die Brüder erwürgten (mein Innerstes zittert,

Und mein starrender Blick sieht wieder am Opferaltare

Abel in seinem Blut, erwürgt von dem Bösen den Guten),

Diesen gebot die Posaune, vor Gott zu kommen. Der Cherub,

Welcher sie rief, stieg nieder vom Thron zu dem offnen Gerichtsplatz,

Stand auf seinen Höhn und goß zwo strömende Schalen..

 

... Un autre juge vint prendre sa place; une nouvelle légion de morts fut amenée devant lui , et il dit :

« Vous avez consacré votre vie à vous élever au-dessus des autres enfants de la terre. En vain vous avez caché votre orgueil au fond de votre âme ; vos actions et les marbres superbes qui décorent vos tombes témoignent n contre vous. Dieu lit dans la pensée; mais vous, vous n’en aviez pas le pouvoir, et pourtant vous avez osé condamner des hommes, des chrétiens comme vous ! Vous aviez oublié que si quelques pécheurs osent s’élever d’un vol trop hardi vers le fils de l’Éternel, et que, repoussés par l’éclat de sa magnificence , ils ne voient plus en lui que la création de leurs propres folies, il ne vous appartenait pas de vous faire les défenseurs de votre Dieu , et de lancer contre vos frères des foudres que vous n’aviez pas la force de porter. Au lieu de vous occuper avec une sainte inquiétude de votre propre salut, vous avez élevé un front d’airain au -dessus des faibles vermisseaux qui rampaient pieusement dans la poussière. Vous avez méprisé, raillé, persécuté vos frères; vous n’avez pas même respecté leur sang. El maintenant il élève la voix, ce sang répandu par vos mains ; le Juge suprême est assis sur son trône pour l’écouter et pour le venger. »

» Un des plus hauts dignitaires du trône parut à son tour, c’était Lebbée ; les cieux l’ont appelé Elim , du nom de son ange gardien , devenu son frère pour l’éternité. Son regard attristé erra un instant sur l’immense légion des pécheurs , puis il leur dit d’une voix mélancolique et solennelle :

« Je ne veux pas arrêter plus longtemps ma pensée sur la route que vous avez suivie pendant votre vie d’épreuves ; elle est teinte de sang et jonchée de cadavres ! hélas! que n’avez-vous été témoins de l’anathème qui frappa la terre, lorsque , pour la première fois, elle but le sang d’une victime tombée sous une main parricide ! Il vous a été prédit, annoncé , ce jour terrible du dernier jugement. Vous avez refusé d’v croire , et vous n’avez apporté a l’éternité que des cœurs vides et desséchés. Ce n’est pas ainsi que vous êtes sortis des mains de votre Créateur, non , c’est ainsi que vous vous êtes faits vous-mêmes. Ne vous méprenez pas sur les larmes » que je ne puis retenir ; ce n’est pas sur vous que je pleure , non , c'est sur la dignité humaine que vous avez dégradée. L’atome qui se courbait dans la poussière, et l’immensité des cieux qui s’arrondissaient au-dessus de vos têtes, vous révélaient un Dieu de miséricorde ; mais vous n’avez jamais levé vos regards vers le ciel , vous » n’avez jamais eu pitié d’un être souffrant. La justice divine est indulgente , mais pour vous elle sera sans pitié..»

Elim parlait encore , et déjà le Juge suprême avait tourné son regard vers l’ange exterminateur... O mes célestes amis! comment pourrai-je vous décrire l’expression de ce regard? comment pourrai-je vous donner une juste idée de l’accent de sa voix, quand il dit au lugubre séraphin :

« Répands tes plus affreuses terreurs sur cette horde maudite, et qu’elle pressente les tourments qui l’attendent. »

Et l’ange de la mort déroula sur eux le sombre voile de minuit, et les fit marcher devant lui, et les poussa vers l’abîme dont les gouffres béants les reçurent pour jamais.

En m’envoyant cette vision prophétique, le Christ avait donné a mes yeux la force de voir au fond de ces abîmes. Des ossements entassés les encombraient ; le souffle de la tempête soulevait ces ossements , chacun d’eux s’agitait séparément; il prit une voix, et cette voix était un anathème qu’il lançait au-devant du nouveau venu. Saisi d’effroi, je me précipitai aux pieds du Sauveur, et j’implorai sa miséricorde. Il sourit et me montra dans les airs une légion d’âmes vêtues des robes blanches de l’innocence et couronnées d’immortelles. Elles descendirent lentement jusqu’au pied du trône..."

 

CHANT XIX.

Adam s'abstient de raconter une des scènes du dernier Jugement. — Condamnation des chrétiens trop orgueilleux de leur fol. — Abbadona est Jugé par le Messie. — Les bienheureux s’élèvent dans le ciel , précédés par les âmes des pécheurs qui ont péri dans le déluge. — La terre est transformée. — Fin de la vision d'Adam. — Jésus apparaît à quelques-uns de ses disciples sur les bords de la mer de Tibériade. — Il se montre à cinq cents fidèles à la fois , sur le mont Thabor. — II descend dans une forêt de palmiers et apparaît aux apôtres et aux soixante-dix. — Songe prophétique de Jean. — Thomas conduit les disciples dans la vallée de Gethsémané. — Le Christ les rejoint et se rend avec eux sur le mont des Oliviers, où les anges et les ressuscités les ont précédés. — le Messie bénit les apôtres et monte au ciel. — Eloha et Salem engagent les apôtres à retourner à Jérusalem pour y attendre le Saint-Esprit.

 

Einen Anblick des ernsten Gerichts verhüllte der Menschen

Vater durch Schweigen. Er sah in der Mitte des großen, gedrängten,

Unabsehlichen Heers der auferstandenen Todten

Eva auf einem Hügel stehn und mit fliegenden Haaren,

Ausgebreiteten Armen, mit glühender Wange, mit vollen

Innigen Tönen der Mutterstimme, wie nie noch ein Mensch sie

Oder ein Engel vernahm, um Gnade – sie lächelte weinend –

Flehn für die Kinder, um Gnad' empor zu dem Richter, um Gnade!

Aber auf einmal verschwand ihm der Schaueranblick; er hörte

Einige Male nur noch sanft Lispeln der himmlischen Harfen.

Mitleid daucht' es ihm erst, dann daucht' es ihm Freude. Doch jetzo

Hatt' auch dies sich verloren. Er sah von Neuem Gesichte.

Als erwach' er aus tiefen Gedanken, beginnet er wieder:

»Nunmehr sah ich die Schnitter der Ernte die Schaaren hinauf gehn

Und hinab. Sie gingen mit scharfer Forschung Geberden

Langsam vorüber und schauten voll Ernst in die Schaaren und riefen:

›Komm!‹ Dann führeten sie die Gerufnen, wie trübe Gedanken,

Stumm sie alle, wie Bilder am Grab, als Gräber noch waren,

Auf den Gerichtsplatz hin. Da ward ein Seraph gesendet;

Der trat langsam hervor und brachte den hohen Befehl mit:

›Fallt auf das Angesicht nieder und hört das Urtheil, das vormals

In dem Leben der Stunden, allein für sich nur, der Fromme

Ueber Euch sprach und sich zitternd warnte, selbst selig zu werden!‹

Ach, ich sah sie erblassen und niederfallen zur Erde!

 

"Au milieu des cris d’angoisse des condamnés , Adam avait entendu la douce voix d’Ève, qui , debout sur une colline étincelante, les cheveux flottants, les bras tendus, le visage baigné de larmes , demandait grâce pour ses malheureux enfants. La prière partie de son cœur maternel s’était perdue dans le vague de l’infini , et Adam n’avait plus entendu que le murmure des harpes célestes, et ce murmure exprimait une tendre compassion , puis une joie ineffable... Dominé par un sentiment qu’il ne cherche pas à définir, il ne parle point aux anges et aux ressuscités de cette vision consolante, dont le souvenir le plonge dans une vague rêverie. Après un long silence, il reprend ainsi son récit :

« Les anges de la mort quittèrent l’horizon des cieux , et de nouveaux agents de la volonté divine parcoururent en tous sens les plages de la résurrection. Leurs regards pénétrèrent dans les rangs les plus épais des morts à juger, et, d’une voix sèche et brève, ils leur crièrent : Suivez- nous ! Et les morts les suivirent , sombres comme les pensées de destruction , silencieux comme les marbres de leurs tombes...."

 

... CHANT XX.

Ce Messie s'élève plus haut dans le ciel, et les anges et les ressuscites entonnent des chants de triomphe. - Des âmes pieuses qui viennent de se séparer de leurs corps, se joignent au cortège du Christ. - Les anges et les ressuscites reprennent leurs chants de triomphe. - Une étoile est transformée. - Les anges et les ressuscités reprennent leurs chants de triomphe. - Les habitants d'une étoile se mêlent au cortège. - Les anges et les ressuscités reprennent leurs chants de triomphe. - Le cortège passe près de l'étoile qu'habitent les hommes immortels, qui le saluent de loin. - Hymne chanté par deux futurs chrétiens. — les anges et les ressuscités reprennent leurs chants de triomphe. - Des âmes viennent se joindre au cortège et s'arrêtent sur une étoile. - Le trône de l'Éternel se dévoile dans le lointain. — Dernier chant de triomphe des anges et des ressuscités. - Le Messie entre au sanctuaire des cieux et s'assied à la droite de son Père.

Ode au Rédempteur.

 

La parution du poème dans le monde littéraire et religieux de l'époque fut un véritable événement : d'une part, l'auteur y exaltait une religion et une foi dépouillées de toute inquiétude et de tout sentiment de fanatisme ; d'autre part, il y utilisait avec brio l`hexamètre et en faisait un mètre proprement allemand, redonnant vigueur et pureté au langage poétique...

 

Vers la fin de sa vie, Klopstock sentit s'élargir le fossé spirituel le séparant de la nouvelle génération : en effet les romantiques, Schlegel, Tieck, ainsi que les disciples de Schleiermacher et de Novalis, ne se reconnaissaient plus dans l`œuvre de ce novateur. La Messiade n`en représente pas moins un tournant de la littérature allemande, et quelques décennies suffirent pour rétablir l'œuvre aussi bien dans son importance historique que dans sa valeur politique et sociale...

 

Les grandes odes religieuses que Klopstock composa après la mort en 1758 de son épouse, Meta Moller, ont le même souffle que le Messias, sans être exposées aux mêmes dangers : "Dem Allgegenwärtigen" (Au Dieu omniprésent), "Das Anschauung Gottes" (La Contemplation de Dieu), "Die Frühlingsfeier" (L'Ode au printemps), "Der Erbarmer" (Dieu de miséricorde). Tous ces textes abordent les thèmes religieux habituels, doute et certitude, faute et repentir ; l'accent mis dans le Messias sur l'humanité du Christ révèle des influences piétistes, tandis que d'autres passages, du Messias ou des Oden, apportent une solution originale, souvent inspirée de Leibniz, à des problèmes plus purement théologiques : existence du mal, liberté de l'homme, préexistence de l'âme, peines éternelles et rétablissement final.

Et c'est en entendant l'hymne " Die Auferstehung " de Friedrich Klopstock aux funérailles de Hans von Bulow (1830-1894) en 1894 que Gustav Mahler a trouvé l'inspiration pour le dernier mouvement de sa Symphonie no 2. Mahler a incorporé l'hymne avec des vers supplémentaires qu'il a écrits lui-même; " Auferstehn, ja, auferstehn wirst du,  Mein Staub, nach kurzer Ruh.  Unsterblichs Leben Wird, der dich schuf, dir geben..."

 

ODES (Oden)

Klopstock compose ses Odes à partir de 1747, les rassemble pour une première édition en 1771 et ne furent publiées en édition complète qu'après la mort du poète et ont mieux résisté au temps que La Messiade. Le poète affirme l'inutilité de la rime et par la puissance créatrice de son langage a frayé de nouvelles voies au lyrisme, en proclamant que "faire de la poésie, c`est se confesser" et en mettant dans ses œuvres l'essentiel de lui-même. Il est le premier poète sentimental en Allemagne, chantant la création qui lui révèle le Créateur, mais aussi la tristesse des ambitions mal définies, les rêveries d'un coeur malade, et c'est peut-être les passages qui furent les mieux compris par ses contemporains...

 

"Die künftige Geliebte" (1747)

Dans une de ses odes qui a pour titre "La femme que j'aimerai un jour" (Die künftige Geliebte), "Pourquoi, dit-il, suis-je forcé d'aimer, lorsque je n`ai aucun être à qui confier mon amour? Toi qui m'aimeras un jour (si toutefois le destin m'envoie jamais un être aimant pour essuyer mes larmes), dis-moi où, en ce moment, loin de moi, s'égarent tes pas. Sens-tu, comme moi, une attraction puissante? Me cherches-tu, sans me connaître? ..."

Dir nur, liebendes Herz, euch, meine vertraulichsten Thränen,

 Sing' ich traurig allein dieß wehmüthige Lied.

Nur mein Auge soll's mit schmachtendem Feuer durchirren,

 Und, an Klagen verwöhnt, hör' es mein leiseres Ohr!

Ach warum, o Natur, warum, unzärtliche Mutter,

 Gabest du zum Gefühl mir ein zu biegsames Herz?

Und in das biegsame Herz die unbezwingliche Liebe,

 Daurend Verlangen, und ach keine Geliebte dazu?

Die du künftig mich liebst, (wenn anders zu meinen Thränen

 Einst das Schicksal erweicht eine Geliebte mir giebt!)

Die du künftig mich liebst, o du aus allen erkohren,

 Sag, wo dein fliehender Fuß ohne mich einsam jetzt irrt?

Nur mit Einem verrathenden Laut, mit Einem der Töne,

 Die der Frohen entfliehn, sag' es, einst Glückliche, mir!

Fühlst du, wie ich, der Liebe Gewalt, verlangst du nach mir hin,

 Ohne daß du mich kennst; o so verheel' es mir nicht!

Sag' es mit einem durchdringenden Ach, das meinem Ach gleicht,

 Das aus innerster Brust Klage seufzet, und stirbt.

Oft um Mitternacht wehklagt die bebende Lippe,

 Daß, die ich liebe, du mir immer unsichtbar noch bist!

Oft um Mitternacht streckt sich mein zitternder Arm aus,

 Und umfasset ein Bild, ach das deine vielleicht!

Wo, wo such' ich dich auf? wo werd' ich endlich dich finden?

 Du, die meine Begier stark und unsterblich verlangt!

Jener Ort, der dich hält, wo ist er? wo fließet der Himmel,

 Welcher dein Aug' umwölbt, heiter und lächelnd vorbey?

Werd' ich mein Auge zu dir einst, segnender Himmel, erheben,

 Und umarmet sie sehn, die aufblühen du sahst?

Aber ich kenne dich nicht! es ging die fernere Sonne

 Meinen Thränen daselbst niemals unter und auf.

Soll ich jene Gefilde nicht sehn? Führt nie dort im Frühling

 

 Meine zitternde Hand sie in ein blühendes Thal?

Sinkt sie, von süßer Gewalt der mächtigen Liebe bezwungen,

 Nie mit der Dämmerung Stern mir an die bebende Brust?

Ach wie schlägt mir mein Herz! wie zittern mir durch die Gebeine

 Freud' und Hofnung, dein Schmerz unüberwindlich dahin!

Unbesingbare Lust, ein süßer begeisternder Schauer,

 Eine Thräne, die mir still den Wangen entfiel;

Und, o ich sehe sie! mitweinende, weibliche Zähren,

 

 Ein mir lispelnder Hauch, und ein erschütterndes Ach;

Ein zusegnender Laut, der mir rief, wie ein Schatten dem Schatten

 Liebend ruft, weissagt, dich, die mich hörete, mir.

O du, die du sie mir und meiner Liebe gebahrest,

 Hältst du sie, Mutter, umarmt; dreymal gesegnet sey mir!

Dreymal gesegnet sey dein gleich empfindendes Herz mir,

 

 Das der Tochter zuerst weibliche Zärtlichkeit gab!

Aber laß sie itzt frey! Sie eilt zu den Blumen, und will da

 

 Nicht von Zeugen behorcht, will gesehen nicht seyn.

 

 

 

 

Eile nicht so! doch mit welchem Namen soll ich dich nennen,

 Du, die unaussprechlich meinem Verlangen gefällt?

Heißest du Laura? Laura besang Petrarka in Liedern,

 Zwar dem Bewunderer schön, aber dem Liebenden nicht!

Wirst du Fanny genannt? Ist Cidli dein feyrlicher Name?

 Singer, die Joseph und den, welchen sie liebte, besang?

Singer! Fanny! ach Cidli! ja Cidli nennet mein Lied dich,

 Wenn im Liede mein Herz halb gesagt dir gefällt!

Eile nicht so, damit nicht vom Dorn der verpflanzeten Rose

 Blute, wenn du so eilst, dein zu flüchtiger Fuß;

Du mit zu starken Zügen den Duft des Lenzes nicht trinkest,

 Und um den blühenden Mund sanfter die Lüfte nur wehn.

Aber du gehest denkend und langsam, das Auge voll Zähren,

 Und jungfräulicher Ernst deckt das verschönte Gesicht.

Täuschte dich jemand? und weinest du, weil der Gespielinnen eine

 Nicht, wie von ihr du geglaubt, redlich und tugendhaft war?

Oder liebst du, wie ich? erwacht mit unsterblicher Sehnsucht,

 Wie sie das Herz mir empört, dir die starke Natur?

Was sagt dieser seufzende Mund? Was sagt mir dieß Auge,

 Das mit verlangendem Blick sich zu dem Himmel erhebt?

Was entdeckt mir dieß tiefere Denken, als sähst du ihn vor dir?

 Ach, als sänkst du ans Herz dieses Glücklichen hin!

Ach du liebest! So wahr die Natur kein edleres Herz nicht

 Ohne den heiligsten Trieb derer, die ewig sind, schuf!

Ja, du liebest, du liebest! Ach wenn du den doch auch kenntest,

 Dessen liebendes Herz unbemerket dir schlägt;

Dessen Wehmuth dich ewig verlangt, dich bang vom Geschicke

 Fodert, von dem Geschick, das unbeweglich sie hört.

Weheten doch sanftrauschende Winde sein innig Verlangen,

 Seiner Seufzer Laut, seine Gesänge dir zu!

Winde, wie die in der goldenen Zeit, die vom Ohre des Schäfers,

 Hoch zu der Götter Ohr, flohn mit der Schäferin Ach.

Eilet, Winde, mit meinem Verlangen zu ihr in die Laube,

 Schauert hin durch den Wald, rauscht, und verkündet mich ihr:

Ich bin redlich! Mir gab die Natur Empfindung zur Tugend;

 Aber mächtiger war, die sie zur Liebe mir gab,

Zu der Liebe, der schönsten der Tugenden, wie sie den Menschen

 In der Jugend der Welt stärker und edler sie gab.

Alles empfind' ich von dir; kein halb begegnendes Lächeln;

 Kein unvollendetes Wort, welches in Seufzer verflog;

Keine stille mich fliehende Thräne, kein leises Verlangen,

 Kein Gedanke, der sich mir in der Ferne nur zeigt;

Kein halb stammelnder Blick voll unaussprechlicher Reden,

 Wenn er den ewigen Bund süßer Umarmungen schwört;

Auch der Tugenden keine, die du mir sittsam verbirgest,

 Eilet mir unerforscht und unempfunden vorbey!

Ach, wie will ich, Cidli, dich lieben! Das sagt uns kein Dichter,

 Und selbst wir im Geschwätz trunkner Beredtsamkeit nicht.

Kaum, daß noch die unsterbliche selbst, die fühlende Seele

 Ganz die volle Gewalt dieser Empfindungen faßt!

 


Klopstock le premier établit ce principe, que le même langage ne convient pas à la poésie et à la prose. Deux caractères, selon lui, déterminent l'expression poétique : la force et la nouveauté. Il trouva des combinaisons de mots frappantes et originales; il renouvela heureusement des termes et des tours vieillis. Mais la langue allemande était encore dans l'enfance et ne possédait pas un fonds naturel assez riche. Il croyait que le langage ordinaire, celui du peuple, était essentiellement prosaïque et plat. Herder et Goethe, quelques années plus tard, en jugèrent tout autrement. Pour Klopstock, le premier effet de l'art devait être d'étonner. Le beau, pour lui, se confondait presque avec l'inusité. Il torturait les mots pour les détourner de leur acception commune, et il arrivait par de laborieux efforts à des constructions qui n`avaient plus ni sens ni harmonie..

 

"An Fanny" (1748), l'ode à son amour malheureux pour Sophie Schmidt..

Wenn einst ich todt bin, wenn mein Gebein zu Staub'

Ist eingesunken, wenn du, mein Auge, nun

Lang' über meines Lebens Schicksal,

Brechend im Tode, nun ausgeweint hast,

Und stillanbetend da, wo die Zukunft ist,

Nicht mehr hinauf blickst, wenn mein ersungner Ruhm,

Die Frucht von meiner Jünglingsthräne,

Und von der Liebe zu dir, Messias!

Nun auch verweht ist, oder von wenigen

In jene Welt hinüber gerettet ward:

Wenn du alsdann auch, meine Fanny,

Lange schon todt bist, und deines Auges

Stillheitres Lächeln, und sein beseelter Blick

Auch ist verloschen, wenn du, vom Volke nicht

Bemerket, deines ganzen Lebens

Edlere Thaten nunmehr gethan hast,

Des Nachruhms werther, als ein unsterblich Lied,

Ach wenn du dann auch einen beglückteren

Als mich geliebt hast, laß den Stolz mir,

Einen Beglückteren, doch nicht edlern!

 

(...)

 

"An Cidli" (1752), ode dédié à l'amour heureux pour Meta Mollet, sa femme, qui mourut prématurément, 4 ans plus tard, nul ne peut imaginer les pensées d'un coeur qui a senti l'amour et qui l'a partagé ...

 

Unerforschter, als sonst etwas den Forscher täuscht,

 Ist ein Herz, das die Lieb' empfand,

Sie, die wirklicher Werth, nicht der vergängliche

 Unsers dichtenden Traums gebahr,

Jene trunkene Lust, wenn die erweinete,

 Fast zu selige Stunde komt,

Die dem Liebenden sagt, daß er geliebet wird!

 Und zwo bessere Seelen nun

Ganz, das erstemal ganz, fühlen, wie sehr sie sind!

 Und wie glücklich! wie ähnlich sich!

Ach, wie glücklich dadurch! Wer der Geliebten spricht

 Diese Liebe mit Worten aus?

Wer mit Thränen? und wer mit dem verweilenden

 Vollen Blick, und der Seele drin?

Selbst das Trauren ist süß, das sie verkündete,

 Eh die selige Stunde kam!

Wenn dieß Trauren umsonst Eine verkündete;

 O dann wählte die Seele falsch,

Und doch würdig! Das webt keiner der Denker auf,

 Was vor Irren sie damals ging!

Selbst der kennt sie nicht ganz, welcher sie wandelte,

 Und verspäht sich nur weniger.

Leise redets darin: Weil du es würdig warst,

 Daß du liebtest, so lehrten wir

Dich die Liebe. Du kennst alle Verwandlungen

 Ihres mächtigen Zauberstabs!

Ahm den Weisen nun nach: Handle! die Wissenschaft,

 Sie nur, machte nie Glückliche!

Ich gehorche. Das Thal, (Eden nur schattete,

 Wie es schattet,) der Lenz im Thal

Weilt dich! Lüfte, wie die, welche die Himlischen

 Sanft umathmen, umathmen dich!

Rosen knospen dir auf, daß sie mit süßem Duft

 Dich umströmen! dort schlummerst du!

Wach, ich werfe sie dir leis' in die Locken hin,

 Wach vom Thaue der Rosen auf.

Und (noch bebt mir mein Herz, lange daran verwöhnt,)

 

 Und o wache mir lächelnd auf!

 

"Das Rosenband" (1753)

L'ode "Rosenband" (Ruban de roses), qui introduit le sentiment de l'ineffable, est célèbre par la musique de Schubert, ma vie suspendue à son regard...

 

Im Frühlingsschatten fand ich Sie;

Da band ich Sie mit Rosenbändern:

Sie fühlt' es nicht, und schlummerte.

 

Ich sah Sie an; mein Leben hing

Mit diesem Blick' an Ihrem Leben:

Ich fühlt' es wohl, und wußt' es nicht.

 

Doch lispelt' ich Ihr sprachlos zu,

Und rauschte mit den Rosenbändern:

Da wachte Sie vom Schlummer auf.

 

Sie sah mich an; Ihr Leben hing

Mit diesem Blick' an meinem Leben,

Und um uns ward's Elysium.

 

"Dem Allgegenwärtigen" (1758)

Deux odes religieuses rappellent certains passages en forme d'hymnes de La Messiade, unissant le culte de Dieu à celui de la nature et atteignant à un grandiose que seul Schiller sut égaler, "Die Frühlingsfeier" et l'ode "Dem Allgegenwärtigen" (A l'Omniprésent, 1758), mon âme ressent la finitude, le poids de la terre, mais aspire tant à s'élever, à s'emplir de l'omniprésence divine...

Da du mit dem Tode gerungen, mit dem Tode,

Heftiger du gebetet hattest,

Da dein Schweiß und dein Blut

Auf die Erde geronnen war;

In dieser ernsten Stunde

Thatest du jene große Wahrheit kund,

Die Wahrheit seyn wird

So lang die Hülle der ewigen Seele Staub ist.

Du standest, und sprachst

Zu den Schlafenden:

Willig ist eure Seele,

Aber das Fleisch ist schwach!

Dieser Endlichkeit Loos, die Schwere der Erde

Fühlet auch meine Seele,

Wenn sie zu Gott, zu dem Unendlichen

Sich erheben will.

Anbetend, Vater, sink' ich in den Staub, und fleh,

Vernim mein Flehn, die Stimme des Endlichen,

Gieb meiner Seel' ihr wahres Leben,

Daß sie zu dir sich, zu dir erhebe!

 

Allgegenwärtig, Vater,

Schließest du mich ein!

Steh hier, Betrachtung, still, und forsche

Diesem Gedanken der Wonne nach.

Was wird das Anschaun seyn, wenn der Gedank' an dich,

Allgegenwärtiger! schon Kräfte jener Welt hat!

Was wird es seyn dein Anschaun,

Unendlicher! o du Unendlicher!

Das sah kein Auge, das hörte kein Ohr,

Das kam in keines Herz, wie sehr es auch rang,

Wie es auch nach Gott, nach Gott,

Nach dem Unendlichen dürstete;

Kam es doch in keines Menschen Herz,

Nicht in das Herz deß, welcher Sünder

Und Erd', und bald ein Todter ist,

Was denen Gott, die ihn lieben, bereitet hat.

Wenige nur, ach wenige sind,

Deren Aug' in der Schöpfung

Den Schöpfer sieht! wenige, deren Ohr

Ihn in dem mächtigen Rauschen des Sturmwinds hört,

Im Donner, der rollt, oder im lispelnden Bache,

Unerschafner! dich vernimt,

Weniger Herzen erfüllt, mit Ehrfurcht und Schauer,

Gottes Allgegenwart!

(...)

 


L'ode dédiée à la "Fête du printemps" (Die Frühlingsfeier, 1759) fait revivre la création tout entière. 

 

Nicht in den Ozean der Welten alle

Will ich mich stürzen! schweben nicht,

Wo die ersten Erschaffnen, die Jubelchöre der Söhne des Lichts,

Anbeten, tief anbeten! und in Entzückung vergehn!

Nur um den Tropfen am Eimer,

Um die Erde nur, will ich schweben, und anbeten!

Halleluja! Halleluja! Der Tropfen am Eimer

Rann aus der Hand, des Allmächtigen auch!

Da der Hand des Allmächtigen

Die größeren Erden entquollen!

Die Ströme des Lichts rauschten, und Siebengestirne wurden,

Da entrannest du, Tropfen, der Hand des Allmächtigen!

Da ein Strom des Lichts rauscht', und unsre Sonne wurde!

Ein Wogensturz sich stürzte wie vom Felsen

Der Wolk' herab, und den Orion gürtete,

Da entrannest du, Tropfen, der Hand des Allmächtigen!

Wer sind die tausendmal tausend, wer die Myriaden alle,

Welche den Tropfen bewohnen, und bewohnten? und wer bin ich?

Halleluja dem Schaffenden! mehr wie die Erden, die quollen!

Mehr, wie die Siebengestirne, die aus Strahlen zusammenströmten! ....

 

Parmi les odes les plus célèbres, "Der Eislauf", louée par Goethe dans Poésie et Vérité, "Der Züricher See" (Le Lac de Zurich), qui évoque une promenade en barque effectuée par le jeune Klopstock pendant son séjour auprès de Bodmer en 1751. Sous l'influence des "Nuits" de Young, puis plus tard d'Ossian, Klopstock chante la mélancolie des tombeaux et de la nuit : "Die frühen Gräber" (Les Tombeaux précoces), "Sommernacht" (Nuit d'été)...

"Die frühen Gräber" (1764)

Bienvenue, ô lune argentée,

Belle et silencieuse compagne de la nuit !

Tu t'enfuis ? Ne te hâte pas, reste, ami de la pensée !

 

Voici qu'elle reste, le nuage n'a fait qu'onduler...

 

Willkommen, o silberner Mond,

Schöner, stiller Gefährt der Nacht!

Du entfliehst? Eile nicht, bleib, Gedankenfreund!

Sehet, er bleibt, das Gewölk wallte nur hin.

 

Des Maies Erwachen ist nur

Schöner noch, wie die Sommernacht,

Wenn ihm Tau, hell wie Licht, aus der Locke träuft,

Und zu dem Hügel herauf rötlich er kömmt.

 

Ihr Edleren, ach es bewächst

Eure Male schon ernstes Moos!

O wie war glücklich ich, als ich noch mit euch

Sahe sich röten den Tag, schimmern die Nacht.

 

"Sommernacht" (1815) 

Quand les rayons de la lune descendent

se répand dans les forêts, et que les odeurs

Avec les parfums du tilleul

Dans la fraîcheur de l'air ...

 

Wenn der Schimmer von dem Monde nun herab

In die Wälder sich ergiesst, und Gerüche

Mit den Düften von der Linde

In den Kühlungen wehn:

 

So umschatten mich Gedanken an das Grab

Meiner Geliebten, und ich seh’ im Walde

Nur es dämmern, und es weht mir

Von der Blüte nicht her.

 

Ich genoss einst, o ihr Toten, es mit euch!

Wie umwehten uns der Duft und die Kühlung,

Wie verschönt warst von dem Monde,

Du, o schöne Natur!

 

 


Mais ce qui domine, en particulier dans les odes de la période de Copenhague, c'est une interprétation philosophique et religieuse de la nature. Si au début la nature apparaît avant tout comme la Création, signe visible de la toute-puissance de Dieu, on constate un acheminement à un panthéisme, voire à un "pandynamisme" proches de ceux du jeune Goethe, dont Klopstock n'est finalement séparé que par sa foi inébranlable en un Dieu personnel. Enfin, il n'est pas impossible de trouver dans quelques odes comme Die Gestirne (Les Astres) et dans certains passages du Messias (chant XI) la préfiguration du symbolisme mythique de Novalis.

Enfin, la bien connue réaction de Klopstock à la Révolution française, du moins à ses débuts..

 

"Kennet euch selbst" (Connaissez-vous vous-même, 1789), exaltation des débuts de la Révolution française à destination de l'Allemagne : la France s'est libérée, la plus noble action du siècle s'est élevée jusqu'à l'Olympe, que répondez- vous, peuple d'Allemagne, vous vous taisez, pourquoi ce silence ? est-ce que s'annonce une évolution prochaine, comme le silence étouffant la tempête, qui tourbillonne devant lui? Mais quelques années plus, 1792, sont fustigés les excès de la Révolution, "Die Jacobiner", la France libre est anéantie, coupée en deux, les petits serpents s'agitent dans le sable, Commence une musique qu'on entend rarement deux fois, le voyageur l'entend-il cliqueter ? ...

Kennet euch selbst

 

Frankreich schuf sich frey. Des Jahrhunderts edelste That hub

Da sich zu dem Olympus empor!

Bist du so eng begränzt, dass du sie verkennest, umschwebet

Diese Dämmerung dir noch den Blick,

Diese Nacht: so durchwandre die Weltannalen, und finde

Etwas darin, das ihr ferne nur gleicht,

Wenn du kanst. O Schicksal! das sind sie also, das sind sie

Unsere Brüder die Franken; und wir?

Ach ich frag′ umsonst; ihr verstummet, Deutsche! Was zeiget

Euer Schweigen? bejahrter Geduld

Müden Kummer? oder verkündet es nahe Verwandlung?

Wie die schwüle Stille den Sturm,

Der vor sich her sie wirbelt, die Donnerwolken, bis Glut sie

Werden, und werden Zerschmetterndes Eis!

Nach dem Wetter, athmen sie kaum die Lüfte, die Bäche

Rieseln, vom Laube träufelt es sanft,

Frische labet, Gerüch′ umduften, die bläuliche Heitre

Lächelt, das Himmelsgemählde mit ihr;

Alles ist reg′, und ist Leben, und freut sich! die Nachtigall flötet

Hochzeit! liebender singet die Braut!

Knaben umtanzen den Mann, den kein Despot mehr verachtet!

Mädchen das ruhige, säugende Weib.

 

Die Jakobiner

 

Die Korporazionen (Verzeiht das Wort,

Das schlecht ist, wie die Sache.) vernichtete

Das freie Frankreich; durchgehauen,

Zuckten im Sande die kleinen Schlangen.

 

Und doch erhob sich neben den liegenden

Die Korporazion, der Jakoberklob!

Ihr Kopf durchrast Paris, und ihre

Schlängelung windet sich durch ganz Frankreich.

 

Ha, täubet euch denn Taubheit? vernehmt ihr nicht,

Wie sie aus ihrem scheußlichen Innersten

Musik beginnt, die selten zweimal

Hörte der Wanderer? wie sie klappert?

 

Treibt ihr die Riesenschlang’ in die Höhle nicht

Zurück, und wälzt nicht Felsen dem Schlunde vor;

So wird ihr Geiferbiss die Freiheit,

Welch’ ihr erschuft, in den Staub euch stürzen.

 


1771-1779 - L'importance prise par le "sentiment", valeur refuge, fut, a-t-on dit, pour la bourgeoisie cultivée une fuite pour vivre, en attendant des jours meilleurs, - qui vinrent rapidement -, une infantilisation sociale et politique s dans une Allemagne en pleine construction. En 1745, on écrit des Contributions pour le plaisir de l'intelligence et de l'esprit, pour reprendre un ouvrage du berlinois Alexander Gottlieb Baumgarten (1714-1762), qui définit l'esthétique comme la "science de la connaissance sensible" (1735), un sensible, harmonie des choses et des pensées, promoteur d'un art n'a qui besoin d'aucun idéal ni d'aucune loi et contribue d'emblée à la moralité. Une réflexion qui tente de tracer sa route entre la philosophie rationaliste de tendance leibnizienne et les théologiens rigoristes. 

Un Matthias Claudius (1740-1815), poète, critique et moraliste, ami de Friedrich Gottlieb Klopstock, a composé et publié nombre de poésies et de chansons devenues populaires en Allemagne par l'aimable franchise par laquelle il y dessine sa nature. Il publia pendant cinq ans (1771-1775) une revue, le "Messager de Wandsbeck", d'après la ville du Holstein où il passa la plus grande partie de sa vie, et recueillit sa production sous le titre de "Asmus omnia sua secum portans". Il sera par la suite un passeur, faisant goûter Lessing et Goethe à la bourgeoisie. L'une des œuvres les plus connues de Claudius est sans doute le "Abendlied" ("Der Mond ist aufgegangen"), écrit en 1779 et repris par la suite dans de nombreuses anthologies, avec avec des poèmes très différents tels que "Rheinweinlied" ou "Der Tod und das Mädchen", mise en musique sous forme de Lied par Schubert en 1817...

Le poème "Abendlied" de Matthias Claudius, connu sous le nom de "Der Mond ist aufgegangen" (et inspiré de "Nun ruhen alle Wälder" de Paul Gerhardt) communique et par son contenu et par la sonorité du texte une perception intime de la nature qui progressivement porte le lecteur vers Dieu, "Lass uns einfältig werden". La lune s'est levée, Les petites étoiles dorées brillent Dans le ciel clair et lumineux, La forêt est noire et silencieuse, Et des prairies s'élèvent Le brouillard blanc est merveilleux...

 

Der Mond ist aufgegangen

Die goldnen Sternlein prangen

 Am Himmel hell und klar:

Der Wald steht schwarz und schweiget,

Und aus den Wiesen steiget

 Der weiße Nebel wunderbar.

 

Wie ist die Welt so stille,

Und in der Dämmrung Hülle

 So traulich und so hold!

Als eine stille Kammer,

Wo ihr des Tages Jammer

 Verschlafen und vergessen sollt.

 

Seht ihr den Mond dort stehen?

Er ist nur halb zu sehen,

 Und ist doch rund und schön.

So sind wohl manche Sachen,

Die wir getrost belachen,

 Weil unsre Augen sie nicht sehn.

 

Wir stolze Menschenkinder

Sind eitel arme Sünder,

 Und wissen gar nicht viel;

Wir spinnen Luftgespinste,

Und suchen viele Künste,

 Und kommen weiter von dem Ziel.

 

1771 - Sophie von La Roche (1730–1807), "Die Geschichte des Fräuleins von Sternheim" 

Marie Sophie Gutermann von Gutershofen naquit en 1730 à Kaufbeuren. En 1754, elle épouse Georg Michael Frank von Lichtenfels, dit La Roche, conseiller à la cour de l'électorat de Mayence. Huit enfants naîtront de ce mariage, dont cinq seulement survivent à la petite enfance, l'aînée est Maximiliane, dite Maxe, la future mère de Bettine et Clemens Brentano. Lorsque la situation professionnelle de son mari traverse une phase critique, Sophie von La Roche commence à écrire. "La compagnie de mon cher époux et la réflexion sur les devoirs qui me sont imposés dans le nouveau cercle de ma vie me tiennent en vérité à l'abri de tout autre passe-temps et de tout autre plaisir ; mais elles renouvellent aussi avec vivacité tous les autres nobles sentiments que mon cœur a jamais nourris..." . 

Son premier roman, "Geschichte des Fräuleins von Sternheim" (Mémoires de mademoiselle de Sternheim, 1771, édité par Wieland), premier roman écrit par une femme à être publié en Allemagne, rencontre un immense succès, c'est un roman épistolaire dans un style entièrement "sentimental" (ou sensible), dont l'héroïne, tout en s'efforçant de vivre vertueusement selon les normes de son époque, revendique également une certaine liberté. 

Sophie von Sternheim, fille d'un bourgeois anobli, éduquée selon les principes des Lumières, se retrouve prise dans un un réseau d'intrigues : à mort de ses parents, elle est confiée à un pasteur, dont la fille, Emilien, devient sa confidente, puis à une tante qui l'introduit à la Cour.

Sophie von La Roche ne s'appelle désormais plus que "la Sternheim". À Ehrenbreitstein, où la famille s'installe en 1771, Sophie von La Roche fonde un salon qui devient célèbre ; parmi ses invités, on trouve Johann Wolfgang von Goethe, Wilhelm Heinse, Johann Kaspar Lavater, Friedrich Heinrich Jacobi et de nombreux autres écrivains...

 

"...C'est une joie que vous n'avez pas encore connue en moi ; ne cherchez pas longtemps la cause ; je la dirai sincèrement, car elle me paraît importante. Je ne me suis réjoui de ma toilette bien faite que parce que j'ai été vu par deux Anglais dont je désirais en tout obtenir l'approbation. L'un était milord G., ambassadeur d'Angleterre, et l'autre lord Seymour, son neveu, cavalier de la légation, qui, sous la conduite de son oncle, se rendait habile à ce genre d'affaires, et voulait connaître les cours allemandes.

(Dies ist eine Freude, die Sie noch nicht an mir kannten; Sie sollen auch die Ursache dazu nicht lange suchen; ich will sie aufrichtig sagen, da sie mir bedeutend scheint. Ich war nur deswegen über meinen wohlgeratnen Putz froh, weil ich von zween Engländern gesehen wurde, deren Beifall ich mir in allem zu erlangen wünschte. Der eine war Mylord G., englischer Gesandter, und der andere Lord Seymour, sein Neffe, Gesandtschafts-Kavalier, der sich unter der Anführung seines Oheims zu dieser Art von Geschäften geschickt machen, und die deutschen Höfe kennenlernen will.)

L'ambassadeur fait honneur à son caractère par sa figure, une physionomie noble et spirituelle, et une certaine dignité qui accompagne sa politesse. J'ai aussi entendu faire son éloge en général.

(Der Gesandte macht mit seiner Figur, einer edeln und geistvollen Physionomie, und einer gewissen Würde, die seine Höflichkeit begleitet, seinem Charakter Ehre. Ich hörte ihn auch allgemein loben.)

J'ai vu le jeune lord Seymour pendant une demi-heure en compagnie de Mlle C**, avec laquelle j'étais en conversation, et avec laquelle il se comporte en ami tendre et respectueux. Elle me présenta à lui comme sa nouvelle, mais plus chère amie, dont elle serait inséparable si elle avait à commander à sa propre destinée et à la mienne. Milord ne fit qu'une révérence ; mais son âme parlait si clairement dans toutes ses expressions, qu'on pouvait lire à la fois son respect pour tout ce que disait Mlle C*, et aussi les applaudissements qu'il donnait à son amie.

(Den jungen Lord Seymour sah ich eine halbe Stunde in Gesellschaft des Fräuleins C**, mit der ich in Unterredung war, und mit welcher er als ein zärtlicher und hochachtungsvoller Freund umgeht. Sie stellte mich ihm als ihre neue, aber liebste Freundin dar, von der sie unzertrennlich sein würde, wenn sie über ihr eigenes und mein Schicksal zu gebieten hätte. Mylord machte nichts als eine Verbeugung; aber seine Seele redete so deutlich in allen seinen Mienen, daß man zugleich seine Achtung für alles, was das Fräulein C*, sagte, und auch den Beifall lesen konnte, den er ihrer Freundin gab.)

 

Si l'on me chargeait de représenter en un seul tableau la noblesse et l'amour de l'humanité, unis à un esprit éclairé, je prendrais tout seul la personne et les traits de milord Seymour ; et tous ceux qui auraient jamais eu une idée de ces trois qualités les verraient toutes clairement marquées dans son éducation et dans ses yeux. Je passe sur le ton doux et viril de sa voix, qui semble être entièrement fait pour exprimer les sentiments de sa noble âme ; le feu de ses beaux yeux, tempéré par quelque chose de mélancolique, la décence inimitable, agréable et mêlée de grandeur, de tous ses mouvements, et, ce qui le distingue de tous les hommes dont j'ai vu beaucoup pendant les quelques semaines que je suis ici, c'est (si je puis m'exprimer convenablement) le regard vertueux de ses yeux, qui sont les seuls qui ne m'aient pas offensé, et qui n'aient pas causé dans mon âme un mouvement antipathique contraire.

 

Le désir de Mlle C* de me voir toujours autour d'elle lui fit demander si je ne resterais pas à D. ? Ma réponse fut que je ne le croyais pas, car je n'attendais que le retour de ma tante, la comtesse R., qui avait fait un voyage en Italie avec son mari, et avec laquelle j'irais alors dans ses propriétés.

"Il me semble impossible", me dit-il, "qu'un esprit vif comme le sien puisse s'amuser aux scènes toujours identiques de la vie à la campagne".

"Et il me semble incroyable que milord Seymour puisse penser sérieusement qu'un esprit vif et donc aimant à s'occuper soit exposé à un manque de divertissement à la campagne".

"Je ne pense pas à un manque total, madame, mais au dégoût et à la fatigue qui doivent nécessairement se produire lorsque nous voyons nos réflexions constamment réduites à un reproche de ce genre".

"J'avoue, milord, que depuis mon séjour à la ville, en comparant les deux genres de vie, j'ai trouvé qu'à la campagne on a le même soin de changer ses occupations et ses plaisirs que je vois ici ; avec cette seule différence que dans les travaux et les amusements des gens de la campagne, il reste au fond de l'âme un calme que je n'ai pas remarqué ici ; et ce calme me paraît être une chose très excellente...."

 

1769-1773 - Johann Timotheus Hermes (1738-1821), "Sophiens Reise von Memel nach Sachsen".

"L'Histoire de Mlle Fanny Wilkes" (Geschichte der Miss Fanny Wilkes) (1766) et "Le Voyage de Sophie de Memel en Saxe" (Sophiens Reise von Memel nach Sachsen) (1769-1773, 5 vol.) furent, notamment le deuxième, des romans particulièrement lus à l'époque, livre de chevet du citoyen allemand, dit-on : roman épistolaire imité de Samuel Richardson, son modèle, auquel il ajoute un besoin constant de sermonner. L'univers aristocratique et retors du roman de Richardson devient bourgeois et moral, on y suit sous forme d'épisodes les histoires de nombreux personnages, auxquelles se rattachent des discussions à plusieurs voix sur le bon comportement bourgeois d'un point de vue social, moral et religieux, avec pour central, le mariage. Le langage y est familier, le contexte décrit (Königsberg, Gdansk en 1760) , les personnages bien individualisés. Les "Chants et arias du voyage de Sophie" (Leipzig 1779) mis en musique par Johann Adam Hiller, connurent un même succès. Hermes fut successivement professeur de théologie au Magdalenäum de Breslau (1771), prévôt de la nouvelle ville de Breslau (1775), puis pasteur (1791-1808).

Carl Philipp Emanuel Bach (1714-1788)

L'Empfindsamkeit, que l'on a aussi décrit comme un mouvement préclassique qui se développe essentiellement en Allemagne du Nord, en réaction au rationalisme de l'Aufklärung, de 1740 à 1760 environ, a touché, au-delà de la littérature, la musique, terrain artistique privilégie d'expression de ses sentiments, voire de ses passions. Ce qui signifie une libération de la forme, l'allemand "phantasieren" s'entend « s'abandonner à son imagination », et, en musique, « improviser ». Le deuxième des quatre fils musiciens de Jean-Sébastien Bach, Carl Philipp Emanuel Bach (1714-1788), le « Bach de Berlin et de Hambourg », est le principal représentant de ce mouvement...

La prochaine étape de cet ensemble littéraire et musicale sera l'oeuvre du Sturm und Drang préromantique ...