Charles Dickens (1812-1870) - William Makepeace Thackeray (1811-1863)  - William Wilkie Collins (1824–1889) - Anthony Trollope (1815-1882) - Elizabeth  Gaskell (1810-1865) - Samuel Rogers (1763-1855) - Thomas Carlyle (1795-1881) - Augustus Egg (1816-1863) - William Powell Frith (1819-1909) ...

Last update 12/18/2016


La bataille de Waterloo de 1815 marque non seulement, pour l'Angleterre, la défaite définitive de Napoléon et de la France, mais le début du siècle de la puissance britannique, puissance industrielle, commerciale, coloniale qui culmine autour de 1850. C'est durant l'ère victorienne (1837-1901) que le roman devint la forme prédominante de la littérature anglaise et que les écrivains se tournent vers la classe moyenne qui monte aux affaires et s'impose face à une aristocratie déclinante. La distinction de race et de classe constituent les enjeux essentiels de cette société qui exacerbe du même coup la verve satiriste d'un William Makepeace Thackery ou d'un Anthony Trollope. Un besoin extrême de respectabilité parcourt la société victorienne et va s'incarner dans ce foyer petit-bourgeois qui devient le centre de gravitation de toute existence : Dickens décrit et amplifie ce sentiment de dignité, d'harmonie et d'ordre que le foyer familial oppose à un monde extérieur urbain, les rues sinistres des bas-fonds londoniens, livré à la misère matérielle et morale. A contrario, Emily Brontë laisse pénétrer le sordide de la réalité extérieure au coeur même de ce refuge familial et protecteur, la peur, la violence et l'exploitation s'emparant des esprits au sein même de la maisonnée. On retrouve ainsi comme une constante ce romantisme gothique qui ne cesse de hanter la littérature anglaise..
(Dickens’ Dream,  Robert W. Buss (1804-1875), inachevé)

 

Charles Dickens (1812-1870)
Né près de Portsmouth, dans une famille de la petite bourgeoisie qui vint s'installer à Londres, Charles Dickens a connu très concrètement l'injustice, la misère, physique ou morale : son éducation est interrompue à 12 ans, pendant quelques mois, il doit travailler le jour à la fabrique de cirage de Warren et passer ses dimanches à la prison de la Marshalsea, où son père est incarcéré pour dettes. Cette épreuve et l'humiliation qu'il en éprouvera le marqueront profondément, et ce sont bien les faubourgs populeux du Londres de ses errances, Camden Town, Seven Dials, Whitechapel ou Saint Gile's, que l'on retrouve dans son oeuvre. Ses fonctions de sténographe parlementaire puis ses satires dans The Old Monthly Magazine lui fournissent l'occasion d'observer et d'affiner ses futurs personnages, leurs particularités physiques ou intellectuelles, et ainsi reconstruire, sans heurter la bienséance, sans volonté d'affrontement,  mais en la caricaturant avec le plus souvent un humour tout en nuances, cette société victorienne qui, entre futilité mondaine et servilité des classes populaires, fabrique des individus orphelins menacés par la honte, le mépris, la cruauté, l'inertie, la loi elle-même...

En un temps où les publications hebdomadaires ou mensuelles sont les seules véritables sources de distraction, Dickens s'impose immédiatement avec "The Posthumous Papers of the Pickwick Club", qui paraissent en livraisons mensuelles, illustrées par Phiz, d'avril 1836 à novembre 1837, puis "Oliver Twist", publié en trente-deux feuilletons mensuels dans la revue Bentley's Miscellany, entre février 1837 et avril 1839. Il fonde un temps son éphémère hebdomadaire, Master Humphrey's Clock, et y publie "The Old Curiosity Shop", d'avril 1840 à février 1841.

Dickens épouse en 1836 la fille du directeur de l'Evening Chronicle, Catherine Hogarth et se fait prendre en photographie pour la première fois sur un daguerréotype d'Antoine Claudet(1850).

Ses romans connaissent alors un énorme succès populaire, soutenu par ses fameuses lectures publiques qu'il effectue à partir de 1857 tant en Grande-Bretagne qu'aux Etats-Unis (1876-1868). Ses "Notes américaines" (1842) et "Martin Chuzzlewitt" (1843-1844) semblent accroître le sentiment de malaise qu'il ressent devant ces deux sociétés en pleine croissance que sont l'Angleterre et les Etats-Unis. Ses Contes de Noël ("A Christmas Carol", 1843 ; "The Cricket on the Hearth. A Fairy Tale of Home", 1845), et ses deux romans, "Dombey and Son" (1848) et "David Copperfield" (1849) le reconduisent sur le terrain de l'enfance et de l'autobiographie.

 

Contre les institutions de l'argent, de l'administration, de la justice (l'absurdité du système pénal anglais est un thème souvent repris), contre l'institution scolaire tant décriée dans "The Life and Adventures of Nicholas Nickleby" (1839), Dickens est bien du côté du peuple, du côté de l'humanisation, mais sans la moindre idée d'une remise en question des inégalités et souffrances imposées.
"...The freshness of the day, the singing of the birds, the beauty of the waving grass, the deep green leaves, the wild flowers, and the thousand exquisite scents and sounds that floated in the air -- deep joys to most of us, but most of all to those whose life is in a crowd or who live solitarily in great cities as in the bucket of a human well -- sunk into their breasts and made them very glad... (..Ah ! ce sont de grandes joies pour la plupart d’entre nous, mais surtout pour ceux dont l’existence s’use au sein de la foule ou bien qui passent leur vie isolés, au fond des capitales, comme un seau dans un puits humain...) - The Old Curiosity Shop .
(David arrive à Cantorbéry, par Frank Reynolds (1876-1853) — From The Personal History of David Copperfield,)

 

Le sentimentalisme qu'une lecture plus moderne peut lui reprocher, qui persévère avec "Bleak House"(1852), "Hard Times" (1854), "Little Dorrit" (1855-1857), "Great Expectations" (1860), "Our Mutual Friend" (1864), constitue pourtant son angle d'attaque mais aussi de communication effective avec ce peuple victorien qui s'apitoie sur la triste fin de la jeune orpheline Nell Trent (The Old Curiosity Shop) ou du petit Paul Dombey : "The light about her head is shining on me as I go", dit le petit Paul dans un dernier souffle en entrevoyant sa mère défunte (Dombey and Son). S'apitoyer semble le plus raisonnable possible en ce XIXe siècle : et Dickens est de ceux, rares, qui, dans la littérature victorienne, sut écouter et exprimer directement le cœur des petites gens. On pense à Edward Bulwer-Lytton (1803-1873), auteur du célèbre "The Last Days of Pompei" (1834), mais aussi d'un "Paul Clifford," (1830), qui conte l'inexorable chute d'un gentleman dans les bas-fonds de la Révolution française: "It was a dark and stormy night..."

(William Powell Frith - 1859 Charles Dickens in His Study - Victoria and Albert Museum - London)

 

Certes, les désillusions ont marquées sans fin la route de Dickens jusque dans son intimité, mais à quoi s'attendait-il au fond? L'échec de son premier amour avec Maria Beadnell, la mort subite en 1837 de sa jeune belle-soeur, Mary Scott Hogarth, qui lui inspira nombre de ses personnages féminins, la place prise par sa seconde belle-soeur, Georgina Hogarth, la séparation en 1858 d'avec sa femme, Catherine Hogarth Dickens. Mais c'est dans la littérature qu'il s'investit corps et âme, via ses 15 romans, sa trentaines de nouvelles, ses essais et articles, ses lectures publiques savamment orchestrées, le lancement de revues (Household Words, All the Year Round), la création d'institutions telles que "Urania Cottage" en faveur des "fallen women" avec la célèbre héritière et philanthrope Angela Georgina Burdett-Coutts (1814-1906). Sa popularité - et les bons sentiments -  jamais ne faibliront durant ces trente années d'écriture acharnée : et c'est bien tardivement que la reine Victoria consent à le recevoir, il meurt deux mois après (1870), laissant inachevé un roman, "The Mystery of Edwin Drood"...


L'Angleterre du XIXe siècle a trouvé, en Dickens, l`écrivain qui a su la décrire fidèlement. On y passe en revue l'homme du peuple, dont la répartie se décoche comme une flèche, la vieille fille aigrie, toujours entourée de chats et de canaris, le célibataire endurci dans ses manies, l'astucieux aigrefin dont le verbe et les mains sont également trompeurs et agiles,

le parlementaire, gonflé de beaux discours et bardé de morgue. Il est peu de caractères de son temps et de son pays qu'il n'ait fait entrer dans sa pittoresque galerie de portraits.

Le spirituel écrivain eut l'occasion de les observer, autour de lui, dans la rue, sur les places publiques, au cours de ses voyages professionnels, il a pu converser avec les passagers des vieilles diligences qui assuraient cahin-caha le service d`une extrêmité à l`autre de l'île de son enfance. Il a rencontré les types humains les plus différents dans les clubs, au Palais de Justice, dans les couloirs des Chambres. Sensible à l'humour de ses lecteurs, il tenait compte des lettres qu'il recevait d'eux et, plus d'une fois, pour les divertir davantage, fit entrer de nouveaux personnages dans ses romans, selon les indications ou les inspirations que lui avait fournies son public au cours de leur publication.

C'est à la collaboration de ses lecteurs qu'est due la rédaction de son premier roman, "Les Aventures de Mr. Pickwick, paru en feuilletons en 1886, mais qu'il devait ultérieurement étoffer en y introduisant de nouvelles têtes et de nouvelles situations. Ce livre fut illustré par les meilleurs caricaturistes de l'époque. Leur crayon s'amusait à reproduire les traits de cet homme à la panse grassouillette, au nez toujours chevauché de lunettes, à l'esprit innocemment préoccupé des mœurs des grenouilles, personnage sentimental, dont la douce ingénuité est mise à rude épreuve, tout le long de péripéties judiciaires engendrées par une confusion de personnes. Ces Aventures de Mr. Pickwick furent considérées par les critiques contemporains comme une des créations les plus originales et les plus cocasses de Dickens.


The Posthumous Papers of the Pickwick Club (Dickens, 1837)
Premier roman de Charles Dickens, publié sous forme de feuilleton de 1836 à 1837, qui met en scène d'excentriques petits-bourgeois découvrant le monde, dont l'inénarrable Samuel Pickwick et son valet Sam Weller, Augustus Snodgrass,  Nathaniel Winkle, Tracy Tupman...

 

"THAT punctual servant of all work, the sun, had just risen, and begun to strike a light on the morning of the thirteenth of May, one thousand eight hundred and twenty-seven, when Mr. Samuel Pickwick burst like another sun from his slumbers, threw open his chamber window, and looked out upon the world beneath. Goswell Street was at his feet, Goswell Street was on his right hand as far as the eye could reach, Goswell Street extended on his left ; and the opposite side of Goswell Street was over the way. "Such," thought Mr. Pickwick, "are the narrow views of those philosophers who, content with examining the things that lie before them, look not to the truths which are hidden beyond. As well might I be content to gaze on Goswell Street for ever, without one effort to penetrate to the hidden countries which on every side surround it." And having given vent to this beautiful reflection, Mr. Pickwick proceeded to put himself into his clothes, and his clothes into his portmanteau. Great men are seldom over-scrupulous in the arrangement of their attire ; the operation of shaving, dressing, and coffee-imbibing was soon performed : and in another hour, Mr. Pickwick, with his portmanteau in his hand, his telescope in his great-coat pocket, and his note-book in his waistcoat, ready for the reception of any discoveries worthy of being noted down, had arrived at the coach-stand in St. Martin's-le-Grand. " Cab ! " said Mr. Pickwick. "

"Le soleil, ce ponctuel factotum de l’univers, venait de se lever et commençait à éclairer le matin du 13 mai 1831, quand M. Samuel Pickwick, semblable à cet astre radieux, sortit des bras du sommeil, ouvrit la croisée de sa chambre, et laissa tomber ses regards sur le monde, qui s’agitait au-dessous de lui. La rue Goswell était à ses pieds, la rue Goswell était à sa droite, larue Goswell était à sa gauche, aussi loin que l’oeil pouvait s’étendre,et en face de lui se trouvait encore la rue Goswell. « Telles, pensa M. Pickwick, telles sont les vues étroites de ces philosophes, qui, satisfaits d’examiner la surface des choses, ne cherchent point à en étudier les mystères cachés. Comme eux, je pourrais me contenter de regarder toujours sur la rue Goswell, sans faire aucun effort pour pénétrer dans les contrées inconnues qui l’environnent. » Ayant laissé tomber cette pensée sublime, M. Pickwick s’occupe de s’habiller et de serrer ses effets dans son portemanteau. Les grands hommes sont rarement très-scrupuleux pour leur costume : aussi la barbe, la toilette, le déjeuner se succédèrent-ils rapidement. Au bout d’une heure M. Pickwick était arrivé à la place des voitures de Saint-Martin le Grand, ayant son portemanteau sous son bras, son télescope dans la poche de sa redingote, et dans celle de son gilet sonmémorandum, toujours prêt à recevoir les découvertes dignesd’être notées. « Cocher ! cria M. Pickwick. "


Oliver Twist, or, The Parish Boy's Progress (Dickens, 1838)
Les Aventures d'Olivier Twist
Publié en vingt-quatre feuilletons mensuels dans la revue Bentley's Miscellany, entre février 1837 et avril 1839, conte comment Olivier, enfant trouvé, tombe dans l'engrenage du crime : placé et élevé dans un orphelinat; il devient vite le souffre-douleur du cruel bedeau Bumble qui pour s'en débarrasser, le place comme apprenti chez un fabricant de cercueils. Maltraité, Olivier s'enfuit à Londres où il est enrôlé dans une bande d'enfants-voleurs dirigé par Fagin, un homme redoutable, pour être finalement arraché à une cruelle destinée par une prostituée au grand cœur et un vieillard généreux, qui s'avérera être un proche parent...

"For a week after the commission of the impious and profane offence of asking for more, Oliver remained a close prisoner in the dark and solitary room to which he had been consigned by the wisdom and mercy of the board. It appears, at first sight not unreasonable to suppose, that, if he had entertained a becoming feeling of respect for the prediction of the gentleman in the white waistcoat, he would have established that sage individual's prophetic character, once and for ever, by tying one end of his pocket-handkerchief to a hook in the wall, and attaching himself to the other. To the performance of this feat, however, there was one obstacle: namely, that pocket-handkerchiefs being decided articles of luxury, had been, for all future times and ages, removed from the noses of paupers by the express order of the board, in council assembled: solemnly given and pronounced under their hands and seals. There was a still greater obstacle in Oliver's youth and childishness. He only cried bitterly all day; and, when the long, dismal night came on, spread his little hands before his eyes to shut out the darkness, and crouching in the corner, tried to sleep: ever and anon waking with a start and tremble, and drawing himself closer and closer to the wall, as if to feel even its cold hard surface were a protection in the gloom and loneliness which surrounded him...."

"Après avoir commis le crime impardonnable de redemander du gruau, Olivier resta pendant huit jours étroitement enfermé dans le cachot où l’avaient envoyé la miséricorde et la sagesse du conseil d’administration. On pouvait supposer, au premier abord, que, s’il eût accueilli avec respect la prédiction du monsieur au gilet blanc, il aurait pu établir, une fois pour toutes, la réputation prophétique de ce sage administrateur, en accrochant un bout de son mouchoir à un clou dans la muraille, et en se suspendant à l’autre. Il n’y avait qu’un obstacle à l’exécution de cet acte : c’est que, par ordre exprès du conseil, signé, paraphé et scellé de tous les membres, les mouchoirs, étant considérés comme objets de luxe, avaient été, à toujours, interdits aux pauvres du dépôt ; l’âge si tendre d’Olivier était un second obstacle aussi sérieux ; il se contenta de pleurer amèrement pendant des journées entières ; et, quand venaient les longues et tristes heures de la nuit, il mettait ses petites mains devant ses yeux pour ne pas voir l’obscurité, et se blottissait dans un coin pour tâcher de dormir ; parfois il s’éveillait en sursaut et tout tremblant ; il se collait contre le mur, comme s’il trouvait, à toucher cette surface dure et froide, une protection contre les ténèbres et la solitude qui l’environnaient..."



The Old Curiosity Shop (Dickens, 1841)

- Le Magasin d'antiquités
Publié, en compagnie de quelques nouvelles, dans son anecdotique et éphémère revue Master Humphry's Clock, parue de 1840 à 1841,  "Le Magasin d'antiquités" relate la fuite à travers l'Angleterre de la petite Nell et de son grand-père, poursuivis par un horrible usurier, nain et rapace, Mr Quilp. Une galerie de seconds rôles s'agite sur la toile de fond que représente alors cette Angleterre industrielle dépourvue d'humanité.

 

"Let moralists and philosophers say what they may, it is very questionable whether a guilty man would have felt half as much misery that night, as Kit did, being innocent.  The world, being in the constant commission of vast quantities of injustice, is a little too apt to comfort itself with the idea that if the victim of its falsehood and malice have a clear conscience, he cannot fail to be sustained under his trials, and somehow or other to come right at last; ‘in which case,’ say they who have hunted him down, ‘--though we certainly don’t expect it--nobody will be better pleased than we.’  Whereas, the world would do well to reflect, that injustice is in itself, to every generous and properly constituted mind, an injury, of all others the most insufferable, the most torturing, and the most hard to bear; and that many clear consciences have gone to their account elsewhere, and many sound hearts have broken, because of this very reason; the knowledge of their own deserts only aggravating their sufferings, and rendering them the less endurable.
The world, however, was not in fault in Kit’s case.  But Kit was innocent; and knowing this, and feeling that his best friends deemed him guilty--that Mr and Mrs Garland would look upon him as a monster of ingratitude--that Barbara would associate him with all that was bad and criminal--that the pony would consider himself forsaken--and that even his own mother might perhaps yield to the strong appearances against him, and believe him to be the wretch he seemed--knowing and feeling all this, he experienced, at first, an agony of mind which no words can describe, and walked up and down the little cell in which he was locked up for the night, almost beside himself with grief.
Even when the violence of these emotions had in some degree subsided, and he was beginning to grow more calm, there came into his mind a new thought, the anguish of which was scarcely less.  The child--the bright star of the simple fellow’s life--she, who always came back upon him like a beautiful dream--who had made the poorest part of his existence, the happiest and best--who had ever been so gentle, and considerate, and good--if she were ever to hear of this, what would she think!  As this idea occurred to him, the walls of the prison seemed to melt away, and the old place to reveal itself in their stead, as it was wont to be on winter nights--the fireside, the little supper table, the old man’s hat, and coat, and stick--the half-opened door, leading to her little room--they were all there.  And Nell herself was there, and he--both laughing heartily as they had often done--and when he had got as far as this, Kit could go no farther, but flung himself upon his poor bedstead and wept. It was a long night, which seemed as though it would have no end; but he slept too, and dreamed--always of being at liberty, and roving about, now with one person and now with another, but ever with a vague dread of being recalled to prison; not that prison, but one which was in itself a dim idea--not of a place, but of a care and sorrow: of something oppressive and always present, and yet impossible to define. At last, the morning dawned, and there was the jail itself--cold, black, and dreary, and very real indeed...."

".... Les moralistes et les philosophes diront tout ce qu’ils voudront, il est permis de se demander si un coupable eût éprouvé la moitié au moins de l’angoisse que Kit, malgré son innocence, ressentit cette première nuit. Le monde, rempli comme il l’est d’une foule énorme d’injustices, est un peu trop enclin à se décharger de toute responsabilité, grâce à cet axiome, que, si la victime de sa fausseté et de sa malice a la conscience nette, elle ne pourra manquer de se tirer d’affaire, et que, de manière ou d’autre, le bon droit triomphera à la fin ; auquel cas ceux-là mêmes qui ont plongé le malheureux dans l’embarras, en sont quittes pour dire : « À coup sûr, nous ne nous y attendions pas, mais nous en sommes bien heureux. » Le monde, au contraire, devrait songer que, de toutes les iniquités sociales, l’injustice est pour une âme généreuse et élevée la plus insupportable, celle peut-être qui inflige le plus de tortures. ; et qu’il n’en faut pas davantage pour avoir égaré plus d’une conscience, et brisé plus d’un noble coeur : car le sentiment de leur innocence ne pouvait qu’aggraver leur souffrance et leur en rendre le poids doublement douloureux.
Cependant il n’y avait rien ici à imputer aux erreurs du monde ; Kit était innocent, mais son innocence même et l’idée que ses meilleurs amis ne l’en jugeaient pas moins coupable ; que M. et mistress Garland le regarderaient comme un monstre d’ingratitude ; que Barbe le confondrait avec tout ce qu’il y avait de plus méchant et de plus criminel ; que le poney se croirait abandonné par son ami ; que sa mère elle-même pourrait se laisser aller à la force des apparences qui s’élevaient contre lui et lui imputer sérieusement la faute qu’il semblait avoir commise ; tout cela le plongea d’abord dans un accablement d’esprit inexprimable. Il était presque fou de chagrin, et il arpentait en tous sens la petite cellule dans laquelle on l’avait enfermé pour la nuit.
Même quand la violence de ces émotions premières se fut un peu apaisée ; quand le prisonnier eut commencé à devenir plus calme, une angoisse nouvelle s’empara de son esprit, et celle-là était à peine moins cruelle que le reste. L’enfant, cette brillante étoile qui avait rayonné sur son humble existence ; l’enfant, qui toujours se représentait à son souvenir comme un
beau rêve ; l’enfant qui avait fait, de la partie de sa vie la plus pauvre et la plus misérable, la plus heureuse et la meilleure ; que penserait-elle si elle venait à apprendre cet événement !…
Quand cette idée vint se présenter à son esprit, les murs de la prison semblèrent s’écrouler pour faire place à la vieille boutique d’autrefois, telle qu’elle était par les nuits d’hiver, avec le foyer, avec le souper sur la petite table, avec le chapeau, l’habit et la canne du vieillard, avec cette porte demi-close qui menait à la chambrette de l’enfant : tout revivait dans son souvenir, tout était à sa place. Nell y était, et lui aussi, tous deux riant de bon coeur comme ils avaient fait souvent ; et après s’être égaré dans ces douces visions, Kit ne put aller plus loin ; il se jeta sur sa misérable couchette pour s’abandonner à ses larmes.
Qu’elle fut longue cette nuit-là ! longue à n’en plus finir ! Cependant Kit s’endormit et rêva. Il se voyait toujours en liberté et cheminant tantôt avec une personne, tantôt avec une autre ; mais une vague crainte d’être remis en prison traversait constamment ces rêves : ce n’était pas cette prison même qui s’offrait à son imagination, mais bien plutôt une idée lugubre, l’image sombre sinon d’un cachot, du moins de la tristesse et de la peine, l’image d’un événement accablant, image toujours présente, quoique toujours indéfinissable.L’aube apparut enfin, et avec elle la réalité froide, noire, effrayante, la réalité en un mot...



David Copperfield (Dickens, 1850)
Souvenirs intimes de David Copperfield
Publié en vingt numéros entre 1849 et 1850, "David Copperfield" restitue avec intensité la pauvreté et la brutalité d'un monde qui brise la destinée de tant d'enfants, internés dans ces "Workhouses" ou ces "Yorkshire Schools" dénoncés dans "The Life and Adventures of Nicholas Nickleby". L'existence de David Copperfield était alors sans histoire jusqu'au jour où sa mère, Clara Copperfield, se remarie : commence alors une douloureuse descente aux enfers, maltraité par son beau-père (Edward Murdstone), envoyé en pension, travaillant à Londres pour survivre, rencontrant une galerie de sinistres personnages : James Steerforth, futile et manipulateur, Uriah Heep, servile et hypocrite. Il n'a plus qu'une idée en tête, retrouver le bonheur perdu, en comptant sur ces quelques anges gardiens que la Providence place sur sa route, Clara Peggotty, la gouvernante, Tommy Traddles, le camarade d'école, Miss Betsey Trotwood, sa grand-tante, Mr and Mrs Wilkins Micawber, Daniel Peggotty... Mais au fond le sentiment d'être passé à côté de sa vie...

 

"After dinner, when we were sitting by the fire, and I was meditating an escape to Peggotty without having the hardihood to slip away, lest it should offend the master of the house, a coach drove up to the garden-gate and he went out to receive the visitor. My mother followed him. I was timidly following her, when she turned round at the parlour door, in the dusk, and taking me in her embrace as she had been used to do, whispered me to love my new father and be obedient to him. She did this hurriedly and secretly, as if it were wrong, but tenderly; and, putting out her hand behind her, held mine in it, until we came near to where he was standing in the garden, where she let mine go, and drew hers through his arm.
.."

Après le dîner, nous étions assis au coin du feu, et je méditais d’aller retrouver Peggotty, mais la crainte que j’avais de mon nouveau maître m’ôtait la hardiesse de m’échapper, lorsqu’on entendit une voiture s’arrêter à la grille du jardin ; M. Murdstone sortit pour aller voir qui c’était ; ma mère se leva aussi. Je la suivais timidement, quand à la porte du salon elle s’arrêta, et profitant de l’obscurité, elle me prit dans ses bras comme elle faisait jadis, en me disant tout bas qu’il fallait aimer mon nouveau père et lui obéir. Elle me parlait rapidement et en cachette comme si elle faisait mal, mais très tendrement, et elle me tint une main dans la sienne jusqu’à ce que nous fûmes près de l’endroit du jardin où était son mari, alors elle lâcha ma main et passa la sienne dans le bras de M. Murdstone.



Bleak House (1853)
"La Maison d'Âpre-Vent" a été publié par épisodes mensuels entre mars 1852 et septembre 1853. Roman immense et complexe reconnu comme l'un des meilleurs de Dickens, le récit se déroule principalement à Londres, mais aussi dans le Lincolnshire. Le sujet en est principalement les iniquités du système juridique anglais de l'époque dont l'opacité et le manque d'humanité détruisent la vie de nombre d'innocents. L'histoire s'articule autour d'un procès, l'affaire Jarndyce contre Jarndyce, une affaire de contestation d'héritage dont plus personne ne connaît en fait le motif tant les choses traînent en longueur. C'est aussi par bien des aspects un roman policier avec ses intrigues, ses secrets, une foule de personnages - dont les trois orphelins , personnages principaux, Esther Summerson, Ada Clare et Richard Carstone, John Jarndyce, leur bienfaiteur, le caricatural pasteur Chadband, l'inspecteur Bucket, etc - et ses retournements de situation. Le début du roman est connu pour une description de Londres, en plein mois de novembre, obscurcie par le brouillard glacial montant de la Tamise, symbole de la corruption qui règne tant à la cour de la Chancellerie qu'à Chesney Wold, l'aristocrate demeure de sir Leicester et lady Honoria Dedlock.

 

"...Fog everywhere. Fog up the river, where it flows among green aits and meadows; fog down the river, where it rolls defiled among the tiers of shipping and the waterside pollutions of a great (and dirty) city. Fog on the Essex marshes, fog on the Kentish heights. Fog creeping into the cabooses of collier-brigs; fog lying out on the yards and hovering in the rigging of great ships; fog drooping on the gunwales of barges and small boats. Fog in the eyes and throats of ancient Greenwich pensioners, wheezing by the firesides of their wards; fog in the stem and bowl of the afternoon pipe of the wrathful skipper, down in his close cabin; fog cruelly pinching the toes and fingers of his shivering little 'prentice boy on deck. Chance people on the bridges peeping over the parapets into a nether sky of fog, with fog all round them, as if they were up in a balloon and hanging in the misty clouds.
Gas looming through the fog in divers places in the streets, much as the sun may, from the spongey fields, be seen to loom by husbandman and ploughboy. Most of the shops lighted two hours before their time--as the gas seems to know, for it has a haggard and unwilling look.."

 

".. Partout du brouillard : sur les marais d’Essex et les hauteurs du Kent ; en amont de la Tamise, où il s’étend sur les îlots et les prairies ; en aval, où il se déploie au milieu des navires qu’il enveloppe, et se souille au contact des ordures que déposent sur la rive les égouts d’une ville immense et fangeuse. Il s’insinue dans la cambuse des bricks, s’enroule aux vergues et plane au-dessus des grands mâts ; il pèse sur le plat-bord des barques ; il est partout, dans la gorge des pensionnaires de Greenwich qu’il oppresse, dans la pipe que le patron irrité fume au fond de sa cabane ; il pince les doigts et les orteils du petit mousse qui grelotte sur le pont ; et les passants qui, du haut des ponts, jetant par-dessus le parapet un regard au ciel bas et sombre, entourés eux-mêmes de cette brume, ont l’air d’être en ballon et suspendus entre les nuages.
Le gaz apparaît de loin en loin dans la ville, comme, dans les champs imbibés d’eau, le soleil, avant le jour, laisse apercevoir au laboureur ses rayons voilés d’ombre. Il semble reconnaître qu’on l’allume avant l’heure, tant il prête de mauvaise grâce sa lumière aux boutiques..."



Hard Times (Dickens, 1854)
Temps difficiles
"Les Temps difficiles" paraissent en feuilleton hebdomadaire dans la revue Household Words, du 1er avril au 12 août 1854 : on l'a rapproché des descriptions que fit Engels des ravages de la révolution industrielle sur les campagnes anglaises et de l'exploitation de ce tout nouveau prolétariat encore inorganisé, victime toute désignée de politiciens sans scrupules et d'une bourgeoisie, parfois compatissante, toujours persuadée de la divinité de ses droits. Dans la ville de Coketown (Manchester), Thomas Gradgrind a donné à ses enfants Tom et Louise, une éducation rigoureuse, rationaliste, ne laissant place ni à l'imagination, ni à la rêverie : "Les faits sont la seule chose dont on ait besoin ici-bas.". Louise épouse M. Bounderby, l'ami de M Gradgrind, riche industriel parti de rien et fier de sa réussite. Il emploiera Tom dans sa banque comme comptable. Le destin semble tracé pour tout le monde, quand un nouveau personnage entre en scène, James Harthouse, un jeune dandy qui a beaucoup d'influence sur Tom. De plus un vol survient à la banque de M. Bounderby. Un honnête ouvrier, Étienne Blackpool, est accusé du vol...

 


Great Expectations (Dickens, 1861)

- Les Grandes Espérances
Publié en feuilleton de décembre 1860 à août 1861 dans le magazine de Dickens All the Year Round, "Les Grandes Espérances" est écrit dans un contexte de forte tension pour Dickens qui affronte non seulement l'échec de sa vie conjugale mais, semble-t-il, une certaine désillusion quant à l' "humanisation" possible de la société victorienne. Le roman s'ouvre sur les marais brumeux du Kent. Pip, orphelin élevé par sa marâtre de soeur, Mrs Joe, rongé par la honte d'être à la charge de son beau-père, le forgeron Joe Garnery, par celle celle d'avoir aidé, dans les marais, un forçat évadé, Magwitch, et celle, enfin, de sa pauvreté devant Estella, la pupille de la riche Melle Havisham. Le temps passe et la vie de Pip change radicalement lorsqu'un bienfaiteur anonyme lui permet de s'élever dans la société. L'intrigue met en scène des personnages mémorables, Pip parvient à vaincre les forces du mal qui agitent le macrocosme victorien de Londres, mais la découverte de la véritable identité va bouleverser toute son existence...

 


Our Mutual Friend (Dickens, 1865)

- L'Ami commun
Quatorzième et dernier roman achevé de Charles Dickens, a été publié par Chapman & Hall en vingt feuilletons en 1864 et 1865 avec des illustrations de Marcus Stone. "L"Ami commun est dans la lignée des énormes machines lancées par Dickens dès 1836 : un millier de pages, où prolifèrent avec exubérance incidents, personnages, lieux, mots, images et idées. Le comique y fait toujours aussi bon ménage avec l'émotion. La nouveauté réside dans la fermeté avec laquelle le romancier tient les fils de ses complexes intrigues, dans la hardiesse encore accrue de son invention langagière, dans la vigoureuse ampleur de sa réflexion sur la société, la politique, la finance, l'éducation, l'homme, l'amour et le mariage : le corps d'un homme est retrouvé dans la Tamise. Après identification, il s'agit de John Harmon, de retour à Londres pour recevoir son héritage. Le père de John avait ajouté une clause particulière à son testament: Il ne pourrait recevoir l'héritage qu'à la condition d'épouser la jolie Bella Wilfer, dont il ignorait tout."
Italo Calvino, dans "Pourquoi lire les classiques" (Seuil, 1984) : "les commencements des romans de Dickens sont souvent mémorables, mais aucun de dépasse le premier chapitre de L'Ami commun, l'avant-dernier roman qu'il ait écrit, le dernier qu'il ait achevé. Portés par la barque du pêcheur de cadavres, nous avons l'impression d'entrer dans l'envers du monde. Dès le deuxième chapitre, tout change, et nous nous retrouvons au beau milieu d'une comédie de moeurs et de caractères : un dîner chez un parvenu où tous les convives feignent d'être amis depuis longtemps alors qu'ils se connaissent à peine."

"In these times of ours, though concerning the exact year there is no need to be precise, a boat of dirty and disreputable appearance, with two figures in it, floated on the Thames, between Southwark bridge which is of iron, and London Bridge which is of stone, as an autumn evening was closing in.
The figures in this boat were those of a strong man with ragged grizzled hair and a sun-browned face, and a dark girl of nineteen or twenty, sufficiently like him to be recognizable as his daughter. The girl rowed, pulling a pair of sculls very easily; the man, with the rudder-lines slack in his hands, and his hands loose in his waistband, kept an eager look out. He had no net, hook, or line, and he could not be a fisherman; his boat had no cushion for a sitter, no paint, no inscription, no appliance beyond a rusty boathook and a coil of rope, and he could not be a waterman; his boat was too crazy and too small to take in cargo for delivery, and he could not be a lighterman or river-carrier; there was no clue to what he looked for, but he looked for something, with a most intent and searching gaze. The tide, which had turned an hour before, was running down, and his eyes watched every little race and eddy in its broad sweep, as the boat made slight head-way against it, or drove stern foremost before it, according as he directed his daughter by a movement of his head. She watched his face as earnestly as he watched the river. But, in the intensity of her look there was a touch of dread or horror.
Allied to the bottom of the river rather than the surface, by reason of the slime and ooze with which it was covered, and its sodden state, this boat and the two figures in it obviously were doing something that they often did, and were seeking what they often sought. Half savage as the man showed, with no covering on his matted head, with his brown arms bare to between the elbow and the shoulder, with the loose knot of a looser kerchief lying low on his bare breast in a wilderness of beard and whisker, with such dress as he wore seeming to be made out of the mud that begrimed his boat, still there was a business-like usage in his steady gaze. So with every lithe action of the girl, with every turn of her wrist, perhaps most of all with her look of dread or horror; they were things of usage.
‘Keep her out, Lizzie. Tide runs strong here. Keep her well afore the sweep of it.’
Trusting to the girl’s skill and making no use of the rudder, he eyed the coming tide with an absorbed attention. So the girl eyed him. But, it happened now, that a slant of light from the setting sun glanced into the bottom of the boat, and, touching a rotten stain there which bore some resemblance to the outline of a muffled human form, coloured it as though with diluted blood. This caught the girl’s eye, and she shivered.
‘What ails you?’ said the man, immediately aware of it, though so intent on the advancing waters; ‘I see nothing afloat.’

"Inutile de préciser la date ; mais de nos jours, vers la fin d’une soirée d’automne, un bateau fangeux et d’aspect équivoque flottait sur la Tamise entre le pont de Southwark, qui est en fonte, et le pont de Londres, qui est en pierre.
Deux personnes étaient dans ce bateau : un homme vigoureux, à cheveux gris et en désordre, au teint bronzé par le soleil, et une jeune fille de dix-neuf à vingt ans qui lui ressemblait assez pour que l’on reconnût qu’il était son père. La jeune fille ramait, et maniait ses avirons avec une grande aisance. L’homme aux cheveux gris, les cordes lâches du gouvernail entre les mains, et les mains dans la ceinture, fouillait la rivière d’un oeil avide. Il n’avait pas de filet, pas d’hameçons, pas de ligne ; ce ne pouvait pas être un pêcheur. Ce n’était pas non plus un batelier ; son bateau n’offrait ni inscription, ni peinture, ni siège où un passager pût s’asseoir ; nul autre objet qu’un rouleau de corde, plus une gaffe couverte de rouille ; et ce bateau n’était ni assez grand, ni assez solide pour servir au transport des marchandises.
Rien dans cet homme, ni dans son entourage, ne laissait deviner ce qu’il cherchait ; mais il cherchait quelque chose, et du regard le plus attentif. Depuis une heure que la marée descendait, le moindre courant, la moindre ride qui se produisait sur sa large nappe, était guettée par l’homme, tandis que le bateau présentait au reflux soit la proue, soit la poupe, suivant la direction que lui imprimait la fille sur un signe de tête du père. La rameuse épiait le visage du guetteur non moins attentivement que celui-ci épiait l’eau du fleuve ; mais il y avait dans la fixité du regard de la jeune fille une nuance de crainte ou d’horreur. Ce bateau moussu, plus en rapport avec le fond de la Tamise qu’avec la surface de l’eau, en raison de la bourbe dont il était couvert, servait évidemment à son usage habituel ; et, non moins évidemment, ceux qu’il portait faisaient une chose qu’ils avaient souvent faite, et cherchaient ce qu’ils avaient souvent cherché.
Sa barbe et ses cheveux incultes, sa tête nue, ses bras fauves, ses manches relevées au-dessus du coude, le mouchoir au noeud lâche qui pendait sur sa poitrine découverte ; ses vêtements, qu’on eût dit formés de la boue dont sa barque était souillée, donnaient à l’homme un air à demi sauvage ; mais la constance et la fermeté de son regard annonçaient une occupation familière. De même pour la jeune fille : la souplesse de ses mouvements, le jeu de ses poignets, peut-être plus encore l’effroi ou l’horreur qu’on lisait dans ses yeux, tout cela était affaire d’habitude.
« Détourne le bateau, Lizzie ; le courant est fort à cette place. Tiens ferme devant la marée. »
Se fiant à l’adresse de sa fille, il n’usa même pas du gouvernail, et se pencha vers le flot avec une attention qui l’absorba.
Le regard que sa fille attachait sur lui n’était pas moins attentif ; mais un rayon du couchant vint briller au fond du bateau ; il y rencontra une ancienne tache qui rappelait la forme d’un corps humain, enveloppé d’un manteau ou d’un suaire, et la colora d’une teinte sanglante. Cette tache animée frappa Lizzie, et la fit tressaillir.
« Qu’est-ce que tu as ? Je ne vois rien, » dit l’homme, qui, malgré l’attention qu’il donnait aux vagues arrivantes, n’en eut pas moins conscience de l’émotion de sa fille..."



Wilkie Collins (1824-1889)
Fils du peintre paysagiste William Collins, Wilkie Collins s'impose comme l'un des maîtres du "sensation novel" (roman à sensation) avec  "After Dark" (1856), "The Dead Secret" (1857), et comme l'auteur du premier roman policier anglais, "The Moonstone" (1868). Il rencontre Charles Dickens en 1851 et contribue à son magazine "All the Year Round" avec deux romans publiés en feuilleton, "The Woman in White" (La Femme en blanc, 1859-1860), "The Moonstone" (La Pierre de lune, 1868), qui lui apportent tous deux un énorme succès. Cet anticonformiste qui entretint deux foyers, et donc deux maîtresses, Caroline Graves et Martha Rudd, ancre ses récits dans une société dont il dénonce les abus, les peuples de personnages inquiétants ou difformes, fantomatiques certes mais tirés la plupart du temps de faits véritables. On date généralement l'apparition du roman à sensation de l'adoption du "Matrimonial Causes Act" (1857), première loi sur le divorce qui, avec la multiplication des procès, va révéler au public les pratiques parfois scabreuses de la bourgeoisie victorienne : le foyer familial devient ainsi le théâtre potentiel de situations non simplement dramatiques mais littéralement effroyables. Le genre est lancé, bien différent de la littérature gothique, aux cadavres ensanglantés succèdent les mensonges et dissimulations d'identité. On a pu estimer, d'autre part, que Collins influença Dickens dans l'écriture de "Bleak House" et de "Little Dorrit". Opiomane invétéré pour oublier les douleurs de l'arthrite dont il souffrait, sa popularité s'éteignit avec le genre littéraire qu'il incarnait dans les années 1870.
(Portrait de Wilkie Collins, John Everett Millais , National Portrait Gallery, London)

 

"The Woman in White"

(Wilkie Collins , La Femme en blanc, 1859-1860)
C'est le roman qui lance la vogue du "sensation novel" dans les années 1860-1870. Ici les héroïnes n'incarnent plus ce réalisme domestique qui prédominait alors, mais d'étranges et passionnées créatures dissimulant plus d'un secret. Collins utilise dans ce roman une technique de narration multiple, chaque personnage relatant une partie des évènements dont il est témoin. L'histoire est inspirée d'une affaire célèbre de l'époque, une Madame de Douhault droguée et internée par un mari qui entendait lui subtiliser sa fortune. L'une des scènes les plus représentatives de ce qui a pu être interprété comme symbole de cette crainte irrationnelle de la société victorienne envers les mystères de la femme, débute le roman, lorsque le jeune professeur de dessin Walter Hartright part pour Limmeridge ...

 

"The Moonstone"

(Wilkie Collins , La Pierre de lune, 1868),
Le récit tourne autour du vol mystérieux d'un diamant indien maudit, la pierre de lune, dans une demeure de la campagne anglaise. Collins recourt une nouvelle fois au procédé des narrateurs multiples pour tenter de dénouer l'affaire, rebondissements et fausses pistes, mais aussi faux suspects et policier chargé de l'enquête incompétent enrichissent un roman que T.S.Eliot porta aux nues.

 


La première édition de" Vanity Fair", "A Weekly Show of Political, Social, and Literary Wares",  paraît à Londres le 7 novembre 1868, à l'initiative de Thomas Gibson Bowles : le titre s'inspire du célèbre roman de William Makepeace Thackeray, "La Foire aux vanités", publié la première fois en 1846-1847 dans Punch, et entend dénoncer, par la caricature, la vanité de ces personnages, membres de la famille royale, de l'église anglicane, ou du parlement britannique, aristocrates, écrivains, artistes,  qui peuplent alors une société victorienne qui tentent à tout prix de sauver les apparences. L'hebdomadaire satirique cessera toute publication en 1914.
Sous l'imperturbable posture des convenances, écrivains irlandais et britanniques se livrent une satire de la société victorienne, empruntant les chemins des "novels of the big house" de la société anglo-irlandaise, du roman gothique et de ses terreurs , du "sensational novel" dans un Londres obscur qui se complexifie, de ses analyses détaillées scrutant les moeurs feutrées de la vie provinciale, de ces "books of nonsense" ou de cette littérature enfantine aux interprétations multiples ..

 

         “... Life is a mirror: if you frown at it, it frowns back; if you smile, it returns the greeting....”

 

William Makepeace Thackeray (1811-1863)
Né à Calcutta, dans famille aisée, Thackeray rejoint l'Angleterre pour un parcours scolaire et universitaire sans diplôme, s'installe à Paris de 1834 à 1837, se fait journaliste et contribue au journal satirique Punch de 1842 à 1854, dans lequel il publie son premier succès, "The Book of Snobs" (1846-7). Ses grands romans sont écrits dans les années 1840 :  "Vanity Fair" (1847-48), "Pendennis" (1849-50), "The History of Henry Esmond" (1852), "The Newcomes" (1853-55), "The Virginians" (1857-59). Le réalisme de Thackeray fut souvent opposé à celui de Dickens, mais le surpasse par la férocité avec laquelle il met en scène des personnages sans scrupule, arriviste ou égoïste. Le satiriste qui ridiculise tant la bêtise humaine utilise un humour décapant pour restituer tout le sel de l'absurdité de la société victorienne.

 

"The Book of Snobs"

(William Makepeace Thackeray, Le Livre des snobs, 1846-1847) 
"Il existe une affreuse maladie du siècle qui s'appelle : snobisme de l'âme. Le germe s'en est développé dans la culture moderne avec virulence, depuis que le bacille en a été isolé, voici soixante ans par Thackeray. C'est à lui que le vocabulaire anglais est redevable du mot "snob"." (Rudyard Kipling) - Le Livre des Snobs fut publié en 1848. Thackeray y entreprend la critique de la société de son temps, dont il fustige le défaut principal, le "snobisme". Le snobisme consiste à vouloir paraître plus que ce qu'on est, à rechercher les honneurs de plus haut placé que soi au prix de tous les avilissements, à tout faire pour plaire et impressionner, dénaturant ainsi les relations humaines au point d'en faire un enjeu de pouvoir permanent dont tout sentiment et toute affection sincère sont exclus. (Editions Payot&Rivages)

 

 "Now let us consider how difficult it is even for great men to escape from being Snobs. It is very well for the reader, whose fine feelings are disgusted by the assertion that Kings, Princes, Lords, are Snobs, to say ‘You are confessedly a Snob yourself. In professing to depict Snobs, it is only your own ugly mug which you are copying with a Narcissus-like conceit and fatuity.’ But I shall pardon this explosion of ill-temper on the part of my constant reader, reflecting upon the misfortune of his birth and country. It is impossible for ANY Briton, perhaps, not to be a Snob in some degree. If people can be convinced of this fact, an immense point is gained, surely. If I have pointed out the disease, let us hope that other scientific characters may discover the remedy.
If you, who are a person of the middle ranks of life, are a Snob,—you whom nobody flatters particularly; you who have no toadies; you whom no cringing flunkeys or shopmen bow out of doors; you whom the policeman tells to move on; you who are jostled in the crowd of this world, and amongst the Snobs our brethren: consider how much harder it is for a man to escape who has not your advantages, and is all his life long subject to adulation; the butt of meanness; consider how difficult it is for the Snobs’ idol not to be a Snob."

 

"Nous allons voir maintenant combien il est difficile, même aux mortels du plus haut rang, d'échapper aux influences du Snobisme. Je vois déjà d'ici le lecteur, dont j'ai froissé les nobles instincts en affirmant que rois, princes et lords sont atteints de Snobisme, s'écrier tout en courroux « Mais vous qui parlez, qui êtes-vous donc?  oserez-vous nier que vous soyez un Snob ? et en annonçant bien haut que vous allez faire le portrait des Snobs, n'est-ce pas votre vilain museau que vous nous donnez en peinture, avec toute la fatuité et la prétention d'un autre Narcisse? »
Mais je pardonne à mon aimable lecteur cette boutade de mauvaise humeur ce n'est point sa faute si un astre contraire l'a fait naître dans ce pays or, il n'est pas possible à un sujet des États britanniques de n'être pas quelque peu Snob, sauf la gradation du plus au moins. Si l'on pouvait bien se pénétrer de cette importante vérité, ce serait là un grand point de gagné. J'ai signalé le foyer du mal, espérons que quelque homme de science saura découvrir le remède.
Si vous n'avez pu vous soustraire au Snobisme, vous qui êtes placés dans les couches intermédiaires de la société vous que personne n'a mission de flatter, qui n'avez point de courtisans en titre vous dont la porte n'est point sans cesse assiégée par une valetaille abjecte et servile, ou par un monde à l'échine 'flexible; vous que les agents de police apostrophent sans plus de façon pour vous dire de circuler; vous enfin qui vous trouvez confondus et poussés dans la foule au milieu des autres Snobs vos frères: comment, je vous prie, pourrait s'en défendre un homme qui n'a pas tous ces avantages, dont toute la vie n'est qu'une longue suite d'adulations, qu'on a fait l'idole d'un fétichisme qui ne se lasse point? Comment voulez-vous que cette divinité 'des Snobs ne finisse pas par être aussi Snob que ceux qui l'adorent?

 


"Vanity Fair"

(William Makepeace Thackeray, La Foire aux vanités, 1847-1848)
Dans "Vanity Fair", l'un des plus grands romans anglais du XIXe siècle, Thackeray dénonce avec ironie les hypocrisies et les turpitudes de la vie sociale à travers les exploits de la sulfureuse et calculatrice Rebecca Sharp que tout oppose à son amie, Amélia Sedley, fragile et douce jeune femme issue d'une famille bourgeoise aisée. Alors qu'Amélia est promise à son cousin George Osborne, Rebecca entend se faire une place dans la haute société anglaise et épouse un riche héritier. La bataille de Waterloo et la mobilisation de son mari vont bouleverser la vie d'Amélia tandis que la roue tourne pour Rebecca ....

 

"If Miss Rebecca Sharp had determined in her heart upon making the conquest of this big beau, I don't think, ladies, we have any right to blame her; for though the task of husband-hunting is generally, and with becoming modesty, entrusted by young persons to their mammas, recollect that Miss Sharp had no kind parent to arrange these delicate matters for her, and that if she did not get a husband for herself, there was no one else in the wide world who would take the trouble off her hands.  What causes young people to "come out," but the noble ambition of matrimony? What sends them trooping to watering-places? What keeps them dancing till five o'clock in the morning through a whole mortal season? What causes them to labour at pianoforte sonatas, and to learn four songs from a fashionable master at a guinea a lesson, and to play the harp if they have handsome arms and neat elbows, and to wear Lincoln Green toxophilite hats and feathers, but that they may bring down some "desirable" young man with those killing bows and arrows of theirs?

"Que miss Sharp ait résolu au fond de son coeur de faire la conquête de ce gros et gras garçon, nous n’avons, mesdames, aucun droit de l’en blâmer. Car, si le soin de la chasse aux maris est généralement, par un sentiment de modestie très-louable, départi par les jeunes filles à la sagesse de leurs mères, il faut se souvenir que miss Sharp n’avait nul parent d’aucun genre pour entrer à sa place dans ces négociations délicates. Si donc elle ne cherchait un mari pour son propre compte, il y avait peu de chance qu’elle trouvât, dans tout l’univers, quelqu’un qui s’en occupât pour elle. Qu’est-ce qui engage toute notre belle jeunesse à aller dans le monde, si ce n’est la noble ambition du mariage ? Qu’est-ce qui fait partir toutes ces bandes pour les eaux ? Qu’est-ce qui fait danser jusqu’à cinq heures du matin dans une saison mortelle ? Qu’est-ce qui fait travailler les sonates au piano-forte et apprendre quatre romances d’un maître à la mode, qu’on paye une guinée le cachet ; jouer de la harpe quand on a le bras joli et bien fait, et porter des chapeaux et des fleurs vert Lincoln, si ce n’est l’espérance qu’avec tout cet arsenal et ces traits meurtriers on frappera au coeur quelque souhaitable jeune homme ? "



Augustus Egg (1816-1863)
Né à Londres, Augustus Egg  fonde avec Charles Dickens la Guild of Literature and Art, une organisation philanthropique dont le but était de récolter des fonds pour les artistes et écrivains en difficulté. Membre de The Clique, un groupe d'artistes-peintres, il y rencontre Richard Dadd (1817-1886), peintre préraphaélite célèbre pour "The Fairy Fellers' Master-Stroke" qu'il peint entre 1855 et 1864 alors qu'il est interné, et William Powell Frith (1819-1909).

(Augustus Leopold Egg - 1858 - Self Portrait as a Distressed Poet - Hospitalfield Centre for Art & Culture,  Arbroath)

 

Dans son célèbre triptyque dickensien "Passé et Présent" (Past and Present, 1858), Egg décrit la décomposition d'une famille de classe moyenne à l'époque victorienne,  les deux scènes latérales montrant les conséquences de l'adultère dans une famille aisée figurant dans le panneau central.

 

 

Autre curiosité célèbre d'Augustus Egg , son tableau "Les Compagnons de voyage" (The Travelling Companions, 1862), qui représente deux voyageuses quasi identiques, sujet à d'innombrables interprétations...


William Powell Frith (1819-1909)
Reconnu comme comme le plus grand peintre britannique de la scène sociale depuis Hogarth et pourtant fortement critiqué par les préraphaélites, ses grandes toiles anecdotiques, souvent moralisatrices, lui obtinrent un succès populaire considérable : "The Derby Day" (1856-1858 - Tate Britain - London), "Eastham Ferry Boat" (1862, Williamson Art Gallery Museum  Liverpool), "Life at the Seaside" (1905, Russell-Cotes Art Gallery and Museum  - Bournemouth), "The Railway Station" (1862, Royal Holloway, University of London), "The Private View of the Royal Academy" (1881), "Noon - Regent Street" (1862), "Night -Haymarket" (1862), "The Salon d'Or, Homburg" (1871, Rhode Island School of Design Museum of Art) ...

(William Powell Frith - 1838 - Self-Portrait - National Portrait Gallery - London)

William Powell Frith - Life at the Seaside (1905, Russell-Cotes Art Gallery and Museum  - Bournemouth)

 


Anthony Trollope (1815-1882)
Trollope, né dans une famille ruinée par la spéculation, débute son existence comme petit employé au General Post Office de Londres (1834 à 1841) et devient l'un des romanciers les plus lus de l'époque victorienne, et sans doute l'un des écrivains qui sut en restituer son atmosphère très particulière. Cette entrée en littérature peut paraître assez surprenante. Il rompt en effet soudainement avec une existence relativement médiocre lorsqu'il s'installe en Irlande, à Clonmel, comté de Tipperary,  et épouse Rose Heseltine, en 1844 : le "bureau de poste" se meut en lieu d'émancipation le propulsant dans la vie sociale et la carrière littéraire. L'intuition finale se situerait en 1852 après une "méditation" passée dans la cathédrale de Salisbury.

Durant les douze années qui suivirent, Trollope produisit pas moins de six ouvrages, tous situés  dans le comté imaginaire de Barsetshire et contant une société provinciale dans laquelle l'argent et le prestige social jouent un rôle déterminant : "The Warden" (1855), le premier de la série, dresse  le portrait saisissant d'un bedeau au service de vieilles personnes qui se voit accusé de tirer trop grand profit de sa besogne charitable; suivent "Barchester Towers" (1857), "Doctor Thorne" (1858),  "Framley Parsonage" (1861), "The Small House at Allington" (1864), "The Last Chronicle of Barset" (1867). Ici, l'aristocratie terrienne préserve pour quelque temps encore un ordre social menacé par l'influence de la ville. Trollope n'est pas, comme Dickens, le peintre de de la paupérisation de masse et de la crise sociale sous l'effet du développement industriel, mais celui des effets de la crise institutionnelle, normalisation et réformes, qu'entreprend alors la société victorienne, non sans indulgence.

Suivent des romans "politiques" : "Can You Forgive Her?" (1864) , "Phineas Finn" (1869), "The Eustace Diamonds" (1873), "Phineas Redux" (1874), "The Prime Minister" (1876) qui, tout en acceptant les valeurs de la société qu'il décrit, donnent un tableau saisssant de cette haute bourgeoisie du XIXe siècle qui aspire au pouvoir. Dans ses derniers romans, "He Knew He Was Right" (1869), "The Way We Live Now" (1875), "M. Scarborough's Family" (1883), le réalisme de Trollope se fait satire. A la fin de sa vie, il aura écrit quarante-sept romans et des douzaines de nouvelles et entraîné ses lecteurs de livre en livre, à la différence, par exemple, de Georg Eliot qui ne s'impose que et pour un seul ouvrage, "Middlemarch". Pourtant Henry James sera de ceux qui relativiseront la qualité littéraire de son oeuvre : "son grand, son incontestable mérite, c'est une totale compréhension du routinier" et les personnages de  Trollope, quelque soit leur position sociale, sont obsédés par des actions insignifiantes, de minuscules différends, des intrigues sans fin.

 

La Dernière Chronique de Barset

(Anthony Trollope, Last Chronicle of Barset, 1867)
Rédigés entre 1855 et 1867, les six romans de "Barchester" reflètent la fascination de Trollope pour la quotidien de la vie provinciale de l'Angleterre victorienne, l'Eglise, le mariage, la politique, "La Dernière Chronique" étant jugé le roman le plus représentatif du cycle. On y retrouve Josiah Crawley, le pasteur asocial condamné à tort et humilié pour un vol qu'il n'a pas commis, et Lily Dale, qui s'accroche au souvenir de l'homme qui l'a abandonnée le jour de son mariage.

 

Phinéas Finn (Anthony Trollope, Phineas Finn, the Irish Member, 1869)
Tout comme son héros irlandais, Anthony Troloppe eut des ambitions politiques, qu'il ne put satisfaire. Il écrit alors le cycle dit "Palliser" qui analyse la vie et les amours des ministres et de leurs familles, les intrigues des parlementaires et des politiciens, contexte dans lequel l'émotif Phinas Finn va tenter de faire progresser sa carrière. L'ouvrage n'est pas un manuel de philosophie politique mais entend se livrer à une analyse des mécanismes psychologiques mis en oeuvre dans un monde politique semé d'embûches et dévastant toute vie privée.

 

"Barchester Towers" (Anthony Trollope, Les Tours de Barchester, 1857)
"Les Tours de Barchester, le plus populaire des romans de Trollope, appartient au cycle des Chroniques de Barsetshire, qui décrit la vie d'un comté anglais vers 1850. Pour résumer brièvement un livre fertile en intrigues et en rebondissements, disons qu'il s'agit de la lutte qui, à Barchester, oppose l'épouse du nouvel évêque, l'énergique Mrs Proudie, à son chapelain, le cauteleux Mr Slope _ chacun essayant d'imposer son candidat au poste de directeur de l'hospice de Hiram. Tempête dans une tasse de thé? Non point, car l'Eglise anglicane occupe une place prépondérante dans la vie de l'Anglais victorien, et ses conflits, dont les implications sont autant économiques que politiques, se répercutent du haut en bas de l'échelle sociale. Ce qui distingue Trollope des deux autres grands romanciers victoriens, Dickens et Thackeray, c'est qu'il décrit son époque avec une richesse de détails qui fait de toute son oeuvre une inépuisable mine de renseignements pour historiens et sociologues. Mais, bien sûr, Trollope n'a pas voulu que décrire. Armé d'une ironie qui n'a pas d'équivalent à son époque, d'une érudition qui lui permet métaphores et sous-entendus d'un comique frisant parfois le vaudeville, il brocarde sans ménagement la corruption, l'hypocrisie et le conservatisme qui minent alors l'Eglise d'Angleterre _ et toute la société anglaise, refermée comme une huître après les élans (et les excès?) de la période romantique." (Editions Fayard)

 

"The Way We Live Now" (Anthony Trollope, Quelle époque !, 1875)
"Dans cet ample roman victorien aux ramifications multiples, le centre de gravité est occupé par Augustus Melmotte, un financier véreux qui lance une vaste opération spéculative en Angleterre et en Amérique pour prendre au piège les investisseurs naïfs. Le procédé qu’il met en œuvre à Londres dans les années 1870 préfigure curieusement certaines affaires du vingt et unième siècle. Melmotte n’est pas le seul à tricher. Les jeunes gens de bonne famille désargentés n’hésitent pas à payer leurs dettes de jeu en monnaie de singe et à faire la cour à de riches héritières dans le seul but de reconstituer leur fortune. On triche aussi dans le monde littéraire, où une romancière sans talent veut s’assurer les bonnes grâces des critiques pour faire vendre ses livres. On triche enfin dans le monde du journalisme et de la politique. Quelle époque! Anthony Trollope nous en brosse un portrait sans concession dans ce roman satirique que connaisseurs et spécialistes saluent comme son chef-d’œuvre." (Editions Fayard)

 

"Doctor Thorne " (Anthony Trollope, Le docteur Thorne, 1858)
"Le Docteur Thorne, qui a valu à Anthony Trollope son plus grand succès, constitue l’une des premières apparitions dans le roman anglais du personnage du médecin, appelé à un bel avenir littéraire. Les rapports entre le mariage et l’argent, dans une société inégalitaire mais mobile, sont au cœur d’une intrigue attachante. Le docteur Thorne, célibataire endurci, a recueilli chez lui sa nièce Mary, orpheline, qui est devenue une belle jeune fille. Il souffre de la voir mise à l’écart par la bonne société du village, du fait qu’elle est de naissance obscure et sans fortune. Elle ne saurait épouser celui qu’elle aime, Frank Gresham, un jeune héritier désargenté qui l’aime également, mais dont le devoir est d’épouser « une fortune » pour sauver le domaine familial hypothéqué. Trollope nous offre ici un magnifique roman d’amour, qui se distingue, comme toujours, par la richesse psychologique de ses personnages, l’intérêt de son étude de mœurs et son inspiration aimablement satirique." (Editions Fayard)

 


Elizabeth  Gaskell (1810-1865)
Née à Lindsey Row (Chelsea), Elizabeth Cleghorn Stevenson épouse un pasteur unitairien, William Gaskell, et découvre à Manchester, où le couple s'installe en 1832, la misère ouvrière. C'est ici même que Friedrich Engels écrira en 1844 son fameux "The Conditions of the Working Class in England" ("The workers dwellings of Manchester are dirty, miserable and wholly lacking in comforts. In such houses only inhuman, degraded and unhealthy creatures would feel at home"). Son premier roman, "Mary Barton, A Tale of Manchester Life" (1848), est une sévère critique de l'Angleterre industrielle et lui vaut le soutien de Dickens et de Thomas Carlyle : "How deep might be the romance in the lives of some of those who elbowed me daily in the busy streets of the town in which I resided. I had always felt a deep sympathy with the careworn men, who looked as if doomed to struggle through their lives in strange alternations between work and want." L'impact du livre est tel que Charles Dickens l'embauche dans son journal Household Words. Elle y publie "Cranford" (1853), chronique villageoise qui connut un immense succès, puis "North and South" (1855), où l'Angleterre traditionnelle affronte la modernité des régions industrialisées à travers l'idylle qui se noue entre une fille de pasteur et un jeune industriel. Avec "Ruth" (1853), Elizabeth  Gaskell, contant l'histoire d'une fille-mère, plaide avec subtilités pour l'égalité sexuelle. "Sylvia's Lovers" (1863) conte l'impact des guerres napoléonniennes sur les gens les plus simples. "Wives and Daughters" publié mensuellement par le Cornhill Magazine à partir d'août 1864 restera inachevé.

Outre de nombreuses nouvelles (Cousine Phyllis), on doit aussi à Gaskell une biographie de Charlotte Brontë (1857). Les valeurs religieuses unitarienne, notamment la tolérance, animent en profondeur ses préoccupations sociales, mais sans jamais verser dans le moralisme. Devenue une romancière incontournable de l'ère victorienne, elle fut en relation avec Charlotte Brontë, John Ruskin, les Carlyles, Charles Kingsley et Florence Nightingale. 

 

"Mary Barton, A Tale of Manchester Life"  (Elizabeth  Gaskell, Mary Barton, 1848)
"Angleterre, 1839. Les ouvriers des filatures de Manchester, durement éprouvés par la misère et la maladie, se mettent en grève. La jeune et jolie Mary Barton, apprentie couturière, vit seule avec son père, syndicaliste aux positions radicales. Courtisée à la fois par Jem Wilson, le fils de l’ami de son père, et par Harry Carson,  le fils du patron des filatures, elle va devoir choisir.
Premier roman d’Elizabeth Gaskell, et publié anonymement, Mary Barton (1848) suscita une controverse lors de sa parution lorsqu’on apprit que cette représentation vigoureuse de la vie des ouvriers et des luttes qui opposent ceux-ci aux patrons était l’œuvre d’une femme ! C’est aussi un roman d’éducation qui explore la confusion des sentiments chez une toute jeune fille.  L’intrigue, habilement tissée, ménage un suspense tendu qui entraîne le lecteur dans une course contre la montre haletante." (Fayard)

"Cranford" (Elizabeth  Gaskell, Les Dames de Cranford, 1853)
"Dans une petite ville du nord-ouest de l’Angleterre, la narratrice Mary Smith raconte les mille et un petits riens qui font la vie quotidienne de Cranford, notamment celle de ses amies Mlle Matty et Matilda Jenkyns. Elle dresse le portrait réjouissant et chaleureux  d’une communauté de femmes, et propose une peinture savoureuse de cette société rurale victorienne éprise de traditions."

"North and South" (Nord et Sud, Elizabeth  Gaskell, 1854)
"C’est le choc de deux Angleterre que le roman nous invite à découvrir : le Sud, paisible, rural et conservateur, et le Nord, industriel, énergique et âpre. Entre les deux, la figure de l’héroïne, la jeune et belle Margaret Hale. Après un long séjour à Londres chez sa tante, elle regagne le presbytère familial dans un village du sud de l’Angleterre. Peu après son retour, son père renonce à l’Église et déracine sa famille pour s’installer dans une ville du Nord. Margaret va devoir s’adapter à une nouvelle vie en découvrant le monde industriel avec ses grèves, sa brutalité et sa cruauté. Sa conscience sociale s’éveille à travers les liens qu’elle tisse avec certains ouvriers des filatures locales, et les rapports difficiles qui l’opposent à leur patron, John Thornton. En même temps qu’un étonnant portrait de femme dans l’Angleterre du milieu du xixe siècle, Elizabeth Gaskell brosse ici une de ces larges fresques dont les romanciers victoriens ont le secret." (Fayard)

"Sylvia's Lovers" (1863)
"1796. La guerre contre la France révolutionnaire fait rage et ses répercussions ébranlent les provinces anglaises les plus lointaines. Le petit port baleinier de Monkshaven (Yorkshire) paie un lourd tribut en hommes valides, que les sergents recruteurs, haïs par la population, kidnappent de force pour servir le Roi. L’héroïne, Sylvia Robson, seize ans, fille unique de fermiers locaux, est une jolie sauvageonne, follement aimée par son terne cousin, Philip Hepburn. Arrive un harponneur audacieux et généreux, qui tombe amoureux d’elle et chavire son coeur. Hélas, les recruteurs vont bouleverser ces vies… Le caractère de Sylvia, fait pour l’insouciance et la légèreté, se trempe et prend une envergure dont personne ne l’aurait crue capable. Dans ce grand roman victorien, Elizabeth Gaskell montre les passions à l’oeuvre chez des gens ordinaires, et décline sur plusieurs tons le thème de l’amour frustré. Plongés dans une tourmente qui les dépasse, les personnages sont livrés à la violence de leurs sentiments, qui fait écho à celle de l’Histoire.' (Fayard)