Utilitarisme - Jeremy Bentham (1748-1832), "Panopticon" (1787), "Déontologie ou Science de la morale" (1834), "Traité des peines et des récompenses" (1811) - John Stuart Mill (1806-1873), "Principes d’économie politique" (1848), "Sur la liberté" (1859), "l’Utilitarisme" (1861) - ...

Last update: 07/07/2022


Jeremy Bentham (1748-1832), on l'a oublié, jurisconsulte et philosophe britannique, grand théoricien de l'utilitarisme dit moral, est celui qui a sans doute le plus contribué à donner un de ses principaux fondements à l'idéologie bourgeoise qui règne depuis le XIXe siècle sur la planète Terre, en associant, avec la magie du verbe, «le principe du plus grand bonheur du plus grand nombre d'individus» à une «arithmétique des plaisirs». Mais alors que Bentham, et le père de Mill, James Mill, - qui en était un fervent disciple et qui voulait faire de son fils un modèle d'éducation utilitariste -, raisonnent en moraliste, plus nuancé, plus hésitant, plus ouvert à la société, John Stuart Mill va raisonner en "psychologue" en quête tout de même de la félicité humaine...

Malgré ses doutes (partagés, dit-on, entre Jeremy Bentham et la passion de sa vie, Harriet Taylor), mais soutenu par une pensée étendue et scrupuleuse, John Stuart Mill, qui fut le penseur de langue anglaise le plus influent du XIXe siècle, endosse la cause de l’«utilitarisme», réaffirme l’identité du bonheur général avec le bonheur individuel et faisant du premier le principe directeur de sa démarche : il va, ce faisant, contribuer à parachever un idéal politique libéral qui s'impose progressivement dans le monde occidental, un idéal fondé sur le respect légal des droits naturels de l'être humain, grâce à la réalisation pleine et effective de la démocratie... 

L'individu et sa quête personnelle du bonheur, et non la société, sont donc au centre des préoccupations de Mill, et la liberté de cet individu est pour lui fondamentalement la simple absence de contraintes : c'est affirmer pour la première fois dans notre pensée et notre société, avec netteté et argumentaire, l'ouverture du droit à la dissidence et au non-conformisme. Dans un climat de méfiance à l'égard d'un phénomène de masse et de bouleversement social sur lesquels s'interrogeaient un certain nombre d'intellectuels (Tocqueville), Mill affirmait son opposition à un système aveugle de droits déterminés démocratiquement, craignant un tyrannie de la majorité réprimant les défenseurs des points de vue minoritaires. Mais plaidant pour des droits les plus étendus possibles, il sera conduit à les déterminer via un principe de non-nuisance (harm-principle), qui énonce la restriction suivante : s'il est besoin de limites à cette liberté, et il en est besoin, ces limites ne doivent être appliquées qu'aux libertés qui risquent de nuire à autrui ou de causer une restriction de ses droits et libertés. Un Isaiah Berlin, dans son essai "Deux conceptions de la liberté" (1958) rappellera, à plus d'un siècle de distance, toute la complexité de ce concept de "liberté" et objectera que cette définition telle que formulée par Mill peut aisément conduire à l'intolérance, les êtres humains sont en totale interdépendance, et "aucun de leurs actes n'est à ce point privé qu'il ne risque d'interférer dans la vie des autres". Aussi distinguera-t-il "liberté positive" (liberté de vivre sa vie) et "liberté négative" (affranchissement de la contrainte", un compromis possible entre ces deux aspects et nécessaire dans toute société libérale. En attendant, à ce jour, nul n'a repris ces interrogations, considérant sans doute que la philosophie politique n'a plus rien à ajouter tant nos systèmes démocratiques constituent désormais les meilleurs structures socio-politiques possibles ...

 

John Stuart Mill est issu d'un milieu culturellement très favorisé, et sera très jeune familiarisé, ayant par ailleurs souffert de son éducation pesante et livresque, avec une tradition philosophique britannique qui s'enracine dans l'empirisme de Hume et de Locke, loin du rationalisme des penseurs de l'Europe continentale de l'époque.

Mais à la fin du XVIIIe siècle, la philosophie anglaise subit l'influence des idées romantiques venues du continent, et de cette philosophie politique qui a inspiré les révolutions du XVIIIe siècle tant en Europe qu'en Amérique : l'utilitarisme en constitue son interprétation spécifique, Jérémy Bentham en est l'inventeur et Mill son interprète, pour ne pas dire coauteur, prônant la réforme plus que la révolution, l'adaptant avec plus d'opportunité au droit et à la politique, et constituant ainsi la base du libéralisme qui va s'imposer au cours de la seconde moitié du XIXe siècle.

A 20 ans, une certaine remise en question de son éducation utilitariste lui fera comprendre, dit-on, l'importance du sentiment immédiat et non réfléchi. En 1822, après avoir abandonné l'université, Mill entre dans la Compagnie des Indes orientales, dans l' Examiner's Office de l'India House, où son père occupait un poste important. . En 1843, il publie son premier ouvrage, "Système de logique déductive et inductive", imposant monument de six volumes, puis se tourne vers la philosophie morale, et plus singulièrement vers les théories de Bentham, sensible à sa fameuse formule, - le plus grand bonheur pour le plus grand nombre", qui reposait alors sur une abstraction bien connue, le "calcul hédonique", qui permettrait de mesurer le bonheur. Reste le passage de la théorie à la pratique, et ce qui fait la particularité de John Stuart Mill, c'est qu'il ne va pas seulement s'intéresser à l'utilisation de cette formule dans les choix uniquement moraux, mais dans son application concrète, tant sociale que politique, et donc en terme de gouvernance. 

Dans cette optique, il s'agit d'oeuvrer non seulement par la législation, mais tout autant par l'éducation et l'opinion publique pour créer, en chaque être humain, cette "association indissoluble entre son bonheur personnel et le bien de la société". En 1848, Mill publie ses "Principes d'économie politique", presque au même moment que le Manifeste du parti communiste de Karl Marx et Friedrich Engels (il y consacrera un chapitre spécifique à l'avenir de la classe ouvrière), puis en 1859, "La Liberté", en 1861 "Du gouvernement représentatif". 

Premier axe de réflexion, la liberté et son exercice. Si la liberté de cette quête du bonheur est à encourager au niveau de chaque individu et protégée par l'Etat, elle doit aussi être compatible avec celle des autres membres de la société, c'est le fameux principe de non-nuisance ou principe du tort...

Axe suivant, le bonheur, qu'est ce bonheur, peut-on le définir et le mesurer, en la matière on distinguera désir immédiat , le désir du plaisir, et action volontaire qui nous porte au bonheur avec sa réalisation...

De retour en Angleterre en 1857, Mill épouse Harriet Taylor, une militant des droits de la femme qui va particulièrement l'influencer et qu'il fréquente depuis 1830. Dans "Auguste Comte and Positivism" (1865) il va renouveler l'empirisme sur la base de la psychologie associationniste empruntée à Hume. De 1865 à 1868, il sera membre du Parlement britannique, plaidera pour la défense de la liberté de parole, pour la promotion des droits élémentaires de la personne humaine et contre l'esclavage et demandera le droit de vote pour les femmes (il est l'auteur de "The Subjection of Women" (1869) et affirme que la subordination des femmes était "l'un des principaux obstacles à l'amélioration de l'humanité"). Sa philosophie libérale s'étendra à l'économie, tout en restant classique, se montrera partisan du libre-échange et d'un Etat aux interventions minimales. En 1867, il devient recteur de l’université écossaise de St Andrews, et, n’étant pas réélu l’année suivante au Parlement, il se retire définitivement en Avignon...

 

SYSTÈME DE LOGIQUE DÉDUCTIVE ET INDUCTIVE

(A System of Logic ratiocinative and inductive, being connected view of the Principles of Evidence, and the Methods of scientific Investigtion, 1843). 

Mill se proposait, en écrivant ce livre, d`encourager le progrès de l`humanité à laquelle manquait, estimait-il. dans le domaine éthico-social, cette base pour un consensus que les sciences avaient atteint dans le leur. Et l`influence du Système sur la pensée anglaise fut en affet considérable ...

John Stuart Mill était persuadé que les préjugés sociaux et religieux et les fausses opinions ne sauraient être extirpés si l`on ne cesse de reconnaître la valeur des jugements a priori de l'intuition immédiate, Mill s`efforce donc de prouver l`excellence de l`induction scientifique. Et comme moyen pour passer des faits analytiques fournis par l`observation et par l`expérimentation à une loi générale, il propose les quatre règles fondamentales bien connues, de la concordance. de la différence, des résidus, des variations concomitantes. et montre en quoi consiste la méthode inductive. 

A la différence de Hume, la référence en la matière, il croit que ce passage de l'expérience des rapports entre phénomènes particuliers à leurs causes et aux lois générales se fonde sur le postulat de la constance des lois de la nature : les mêmes causes, dans les mêmes conditions, produisent les mêmes effets. 

Le principe de la causalité a, d`après Mill, une origine et une valeur expérimentales ; il ne provient pas d'une exigence de la pensée et est limité au champ de l'expérience. Le principe de contradiction lui-même est, à ses yeux, un état mental variable et limité au domaine expérimental. Les principes mathématiques sont eux aussi d`origine empirique; du moment que les axiomes de la géométrie trouvent leur vérification dans l'expérience, il n'y a aucune raison pour affirmer qu'ils sont expérimentalement indémontrables. La nécessité des axiomes n'est pas d`ordre logique, mais psychologique ; les déductions qu`on tire à partir de principes généraux sont sans valeur, car ces principes ne font que résumer les données de l'expéríence à laquelle ils nous renvoient en dernier ressort. Dans le raisonnement on ne va pas du général au particulier, mais d`un certain groupe de particuliers à un autre groupe. Hume avait fait appel à une habitude instinctive pour expliquer la croyance en la réalité du monde extérieur; Mill va plus loin et admet que, même quand nous n`avons pas de sensations actuelles. nous nous attendons à ce qu`elles se produisent dans certaines circonstances ; c`est ainsi que se forme en nous l`idée abstraite d`une POSSIBILITE PERMANENTE DE SENSATIONS....

 

Critique du syllogisme - Opposant l'induction à la déduction, Stuart Mill montre que l`on ne peut parvenir à la découverte de vérités nouvelles par les seules ressources de la logique formelle : 

".. Il doit d`abord être accordé que dans tout syllogisme, considéré comme un argument prouvant une conclusion, il y a une "petitio príncipii". Quand on dit : Tous les hommes sont mortels, Socrate est homme, Donc Socrate est mortel, les adversaires de la théorie du syllogisme objectent irréfutablement que la proposition "Socrate est mortel" est présupposée dans l'assertion plus générale "Tous les hommes sont mortels"; que nous ne pouvons pas être assurés de la mortalité de tous les hommes, à moins d'être déjà certains de la mortalité de chaque homme individuel; que s'ill est encore douteux que Socrate soit mortel, l'assertion que tous les hommes sont mortels est frappée de la même incertitude; que le principe général, loin d'être une preuve du cas particulier, ne peut lui-même être admis comme vrai, tant qu'il reste l'ombre d`un doute sur un des cas qu'il embrasse et que ce doute n'a pas été dissipé par une preuve "aliunde"; et, dès lors, que reste-t-il à prouver au syllogisme? Bref, ils concluent qu'aucun raisonnement du général au particulier ne peut, comme tel, rien prouver, puisque d'un principe général on ne peut inférer d`autres faits particuliers que ceux que le principe même suppose connus."  (Logique. I.)

 

Théorie empiriste du moi - Reprenant un thème de Hume, Stuart Mill montre que le MOI n'est pas autre chose qu'une collection d'états de conscience (phénoménisme) ...

"Nous ne concevons pas l`esprit tout seul, en tant que distinct de ses manifestations de conscience. Nous ne le connaissons pas et nous ne pouvons pas nous le figurer, si ce n'est comme représenté par la succession des divers sentiments que les métaphysiciens appellent du nom d'états ou de modifications de l'Esprit.

Néanmoins, il est vrai que notre notion de l`esprit, aussi bien que celle de la matière, est la notion de quelque chose dont la permanence contraste avec le flux perpétuel des sensations et des autres sentiments ou états de conscience que nous y rattachons; de quelque chose que nous nous figurons comme restant le même, tandis que les impressions particulières par lesquelles il révèle son existence changent. Cet attribut de permanence. en supposant qu'il n'y ait rien autre chose à considérer, pourrait s'expliquer pour l'esprit comme pour la matière. La croyance que mon esprit existe, alors même qu'il ne sent pas, qu'il ne pense pas, qu`il n'a pas conscience de sa propre existence, se réduit à la croyance d'une possibilité permanente de ces états. Si je me conçois plongé dans un sommeil sans rêve, ou dans le sommeil de la mort, et si je crois que mon moi, ou, en d'autres termes, mon esprit existe ou existera sous ces étals, bien que ce ne soit pas d`une manière consciente, l'examen le plus scrupuleux de ma croyance n'y découvrira qu`une chose, c'est que je crois effectivement que ma capacité de sentir n'est pas détruite dans cet intervalle, et qu'elle n'est suspendue que parce qu'elle ne rencontre pas la combinaison de conditions qui pourrait la mettre en action; que dès qu`elle la rencontrera, elle revivra, et par conséquent qu'elle demeure une possibilité permanente. Ainsi, je ne vois rien qui nous empêche de considérer l'esprit comme n'étant que la série de nos sensations (auxquelles il faut joindre nos sentiments internes) telles qu`elles se présentent effectivement, en y ajoutant des possibilités indéfinies de sentir qui demandent pour leur réalisation actuelle des conditions qui peuvent avoir ou n'avoir pas lieu, mais qui, en tant que possibilités, existent toujours, et dont beaucoup peuvent se réaliser à volonté...

Il n'est pas croyable que notre première sensation éveille en nous une notion d'un Moi ou Soi. La rapporter à un Soi, c'est la considérer comme une partie d'une série d'états de conscience dont une portion est déjà écoulée. .le pense que ce qui constitue la perception que c`est moi  qui sens un état présent de conscience, c'est que je l'identifie avec un état remémoré que je connais comme passé. "Je" veut dire celui qui a vu, touché ou senti quelque chose hier ou avant-hier. Nulle sensation isolée ne peut suggérer l'identité personnelle : pour cela il faut une série de sensations conçues sous la forme d'une file de successions, et fondues par la pensée en une Unité...." (Philosophie de Hamilton, Chap. 12 et 13.)

 

Théorie empiriste des mathématiques - Dépassant Hume, Stuart Mill applique aux notions mathématiques la théorie empiriste de l'origine des idées ...

"Pour sauver le crédit de l'hypothèse des vérités nécessaires, on a coutume de dire que les points, lignes, cercles et carrés de la géométrie existent seulement dans nos conceptions et font partie dc notre esprit, lequel esprit, travaillant sur ses propres matériaux, construit une science a priori dont l`évidence est purement mentale et n'a rien à faire du tout avec l`expérience externe. Quelque considérables que soient les autorités en faveur de cette doctrine, elle me semble psychologiquement inexacte. Les points, les lignes. les cercles que chacun a dans l'esprit sont, il me semble, de simples copies des points, lignes, cercles et carrés qu'il a connus par l`expérience. Notre idée du point est simplement l`idée du minimum visible, c'est-à-dire la plus petite portion de surface que nous puissions voir (...).

ll ne reste qu`une chose à dire, c'est que la géométrie a pour objet les lignes, les angles et les figures tels qu`ils existent; et que les définitions doivent être considérées comme nos premières, nos plus évidentes généralisations relatives à ces objets naturels (....).

Reste la question : quel est le fondement de notre croyance aux axiomes? sur quoi repose leur évidence? Je réponds : ce sont des vérités expérimentales; des généralisations de l'observation. La proposition : deux lignes droites ne peuvent enfermer un espace, ou, en d'autres termes : deux lignes droites qui se sont rencontrées une fois ne se rencontrent plus et continuent de diverger, est une induction résultant du témoignage de nos sens (..) l'axiome est, en fait, confirmé presque à tout instant de notre vie, puisque nous ne pouvons pas regarder deux lignes droites qui se croisent, sans voir que de ce point d`intersection elles divergent de plus on plus...." (Système de Logique, Tome l, ll, 5.)

 

On Liberty - Introductory

"The subject of this Essay is not the so-called Liberty of the Will, so unfortunately opposed to the misnamed doctrine of Philosophical Necessity ; but Civil, or Social Liberty : the nature and limits of the power which can be legitimately exercised by society over the individual. A question seldom stated, and hardly ever discussed, in general terms, but which profoundly influences the practical controversies of the age by its latent presence, and is likely soon to make itself recognised as the vital question of the future. It is so far from being new, that, in a certain sense, it has divided mankind, almost from the remotest ages ; but in the stage of progress into which the more civilized portions of the species have now entered, it presents itself under new conditions, and requires a different and more fundamental treatment.

The struggle between Liberty and Authority is the most conspicuous feature in the portions of history with which we are earliest familiar, particularly in that of Greece, Home, and England. But in old times this contest was between subjects, or some classes of subjects, and the Government. 

By liberty, was meant protection against the tyranny of the political rulers. The rulers were conceived (except in some of the popular governments of Greece) as in a necessarily antagonistic position to the people whom they ruled. They consisted of a governing One, or a governing tribe or caste, who derived their authority from inheritance or conquest, who, at all events, did not hold it at the pleasure of the governed, and whose supremacy men did not venture, perhaps did not desire, to contest, whatever precautions might be taken against its oppressive exercise. Their power was regarded as necessary, but also as highly dangerous ; as a weapon which they would attempt to use against their subjects, no less than; against external enemies. To prevent the weaker members of the community from being preyed upon by innumerable vultures, it was needful that there should be an animal of prey stronger than the rest, commissioned to keep them down. But as the king of the vulture would bo no less bent upon preying on the flock than any of the minor harpies, it was indispensable to be in a perpetual attitude of defence against his beak and claws. The aim, therefore, of patriots was to set limits to the power which the ruler should be suffered to exercise over the community ; and this limitation was what they meant by liberty. It was attempted in two ways. 

First, by obtaining a recognition of certain immunities, called political liberties or rights, which it was to be regarded as a breach of duty in the ruler to infringe, and which if he did infringe, specific resistance, or general rebellion, was held to bo justifi- able. A second, and generally a later expedient, was the establishment of constitutional checks, by which the consent of the community, or of a body of some sort, supposed to represent its interests, was made a necessary condition to some of the more important acts of the governing power..."

 

DE LA LIBERTE

(On Liberty, 1859)

Qu'est-ce que la liberté, et que signifie être libre? John Stuart Mill est sans doute l'un des premiers qui n'ait pas fait de la liberté un principe abstrait et qui va a tenté de donner forme à ce concept dans notre existence proprement dite. Et dans le champ de tension et de conflit qui ne cesse d'apparaître entre l'individu et la société, il prend le parti de l'individu qui ne veut pas être tenu en laisse ni courir derrière le troupeau comme un mouton ...

Notre société s'est transformée, passant de formes d'organisation aristocratiques à des formes de plus en plus démocratiques, générant de réelles et bénéfiques évolutions mais tout autant certains dangers, notamment lorsqu'elle peut signifier la domination d'une masse sociale plus puissante, plus uniforme et plus omniprésente que les souverains des époques précédentes. La domination de la majorité, selon Mill, présente ainsi de nouvelles menaces de tyrannie sur l'individu. Ces restrictions de liberté comprenaient tant les restrictions de la liberté promulguées par la loi, que "la contrainte et le contrôle, que les moyens utilisés soient la force physique sous la forme de sanctions légales, ou la contrainte morale de l'opinion publique" (compulsion and control, whether the means used be physical force in the form of legal penalties, or the moral coercion of public opinion, Liberty, XVIII, 223). Mill craignait en conséquence que l'exercice de tels pouvoirs ne conduise à un conformisme étouffant vis-à-vis tant de la pensée que de l'action : "l'objet de cet essai est d'affirmer un principe très simple [...] Ce principe est que la seule fin pour laquelle les hommes sont justifiés, individuellement ou collectivement, d'interférer avec la liberté d'action de l'un d'entre eux, est l'auto-protection" (The object of this Essay is to assert one very simple principle […] That principle is, that the sole end for which mankind are warranted, individually or collectively, in interfering with the liberty of action of any of their number, is self-protection). Les arguments de Mill en faveur de la liberté vont alors se fonder sur l'observation des conditions dans lesquelles les êtres humains s'épanouissent et sont heureux...

Mais dans sa défense de la liberté de pensée et de discussion, Mill commence par montrer qu'il ne sert à rien de tenter de contrôler "the expression of opinion", nous n'avons pas en effet d'appréhension directe a priori de la vérité, toutes nos croyances doivent donc pouvoir être exprimables et laissées à la confrontation d'observations complémentaires éventuelles. On pourrait soutenir, certes, que certaines croyances vraies devraient être supprimées parce que, bien que vraies, elles sont considérées comme nuisibles, mais soutenir que nous devrions supprimer une opinion parce qu'elle est néfaste reviendrait soit à supposer l'infaillibilité de son statut de néfaste, soit à autoriser un débat sur cette question - qui, à son tour, doit impliquer un débat sur la question de fond elle-même. Et même lorsqu'une croyance est fausse, son affirmation peut encore contribuer à l'obtention de la vérité. L'affirmation d'opinions fausses mène au débat, qui à son tour mène à une meilleure compréhension : "However unwillingly a person who has a strong opinion may admit the possibility that his opinion may be false, he ought to be moved by the consideration that however true it may be, if it is not fully, frequently, and fearlessly discussed, it will be held as a dead dogma, not a living truth.". Le ton est donné. Les individus sont rarement en mesure d'apercevoir la "vérité entière" par eux-mêmes, et la seule façon pour elle d'émerger est donc "la réconciliation et la combinaison des opposés" (the reconciling and combining of opposites)...

Mill aborde ensuite le concept de liberté en terme de nature humaine et d'action : il est préférable de donner aux individus, si dissemblables par ailleurs, la liberté et l'espace nécessaires pour qu'ils développent leur nature propre, la nature humaine n'est pas une machine que l'on construit d'après un modèle et qui doit faire exactement la tâche qui lui est prescrit, mais un arbre qui doit croître et se développer de tous côtés, selon la tendance des forces intérieures qui en font une chose vivante. Et par rapport à la société, cette diversité des êtres humains ne peut être que productive, et si la société victorienne, régie par une éthique de la bienséance, semble basée sur une abnégation toute chrétienne, Mill encourage "l'idéal grec de l'épanouissement personnel". Une "diversité de caractère et de culture" fournit le moteur de la tension productive qui fait avancer une nation, alors que le despotisme de la coutume est partout l'obstacle permanent au progrès humain.

Les chapitres 4 et 5 aborde la fameuse question de la coercition légitime guidée par le "principe du préjudice" (harm principle) : aucune personne n'est un être entièrement isolé, le seul but pour lequel un pouvoir peut être légitimement exercé sur tout membre d'une communauté civilisée, contre sa volonté, est d'éviter de nuire à autrui (the only purpose for which power can be rightfully exercised over any member of a civilised community, against his will, is to prevent harm to others).Le principe énoncera simplement les conditions dans lesquelles l'intervention est permise, mais non les conditions dans lesquelles elle est souhaitable. Ce n'est que lorsqu'un individu "viole une obligation distincte et assignable envers une ou plusieurs autres personnes, que le cas sort de la classe des comportements qui se respectent eux-mêmes, nous ne portons préjudice à un individu que lorsque nous violons une obligation envers cet individu. On le voit, le souci de Mill, tout au long de son texte, est de préserver la liberté de l'individu non seulement face à la menace de la coercition législative ou étatique, mais aussi face à la menace de formes plus insidieuses de coercition sociale qui peuvent pénétrer "beaucoup plus profondément dans les détails de la vie, et asservissant l'âme elle-même". Et pourtant, bien sûr, Mill soutient que les individus sont eux-mêmes libres de former des opinions défavorables sur le caractère des autres. La ligne de démarcation entre l'usage légitime et illégitime de notre liberté reste bien difficile à tracer...

 

"CHAPTER IV. OF THE LIMITS TO THE AUTHORITY OF SOCIETY OVER THE INDIVIDUAL

"What, then, is the rightful limit to the sovereignty of the individual over himself? Where does the authority of society begin ? How much of human life should be assigned to individuality, and how much to society ?

Each will receive its proper share, if each has that which more particularly concerns it. To individuality should belong the part of life in which it is chiefly the individual that it interested ; to society, the part which chiefly interests society. 

Though society is not founded on a contract, and though no good purpose is answered by inventing a contract in order to deduce social obligations from it, every one who receives the protection of society owes a return for the benefit, and the fact of living in society renders it indispensable that each should be bound to observe a certain line of conduct towards the rest. This conduct consists, first, in not injuring the interests of one another ; or rather certain interests, which, either by express legal provision or by tacit understanding, ought to be considered as rights ; and secondly, in each person's bearing his share (to be fixed on some equitable principle) of the labours and sacrifices incurred for defending the society or its members from injury and molestation. These conditions society is justified in enforcing, at all costs to those who endeavour to withhold fulfilment. Nor is this all that society may do. The acts of an individua! may be hurtful to others, or wanting in due consideration for their welfare, without going to the length of violating any of their constituted rights. The offender may then be justly punished by opinion, though not by law. As soon as any part of a person's conduct affects prejudicially the interests of others, society has jurisdiction over it, and the question whether the general welfare will or will not be promotednby interfering with it, becomes open to discussion. But there is no room for entertaining any such question when a person's conduct affects the interests of no persons besides himself, or needs not affect them unless they like (all the persons concerned being of full age, and the ordinary amount of understand- ing). In all such cases, there should be perfect freedom, legal and social, to do the action and stand the consequences.

"Quelle est donc la limite légitime de la souveraineté de l'individu sur lui-même ? Où commence l'autorité de la société ? Quelle part de la vie humaine doit être attribuée à l'individualité, et quelle part à la société ?

Chacun recevra la part qui lui revient, si chacun dispose de ce qui le concerne plus particulièrement. A l'individualité doit appartenir la partie de la vie qui intéresse principalement l'individu ; à la société, la partie qui intéresse principalement la société. 

Quoique la société ne soit pas fondée sur un contrat, et qu'on ne réponde à aucun but utile en inventant un contrat pour en déduire des obligations sociales, celui qui reçoit la protection de la société doit une contrepartie à ce bienfait, et le fait de vivre en société rend indispensable que chacun soit tenu d'observer une certaine conduite envers les autres. Cette conduite consiste, d'abord, à ne pas porter atteinte aux intérêts des uns et des autres, ou plutôt à certains intérêts qui, soit par une disposition légale expresse, soit par un accord tacite, doivent être considérés comme des droits ; ensuite, à faire supporter à chacun sa part (fixée d'après quelque principe équitable) des travaux et des sacrifices consentis pour défendre la société ou ses membres contre les atteintes et les molestations. Ces conditions, la société est fondée à les faire respecter, à n'importe quel prix, par ceux qui s'efforcent d'en refuser l'exécution. Ce n'est pas tout ce que la société peut faire. Les actes d'un individu peuvent être préjudiciables aux autres, ou manquer de considération pour leur bien-être, sans aller jusqu'à violer l'un de leurs droits constitués. Le délinquant peut alors être puni à juste titre par l'opinion, mais non par la loi. Dès qu'une partie de la conduite d'une personne affecte de manière préjudiciable les intérêts d'autrui, elle relève de la compétence de la société, et la question de savoir si le bien-être général sera ou non favorisé par une intervention dans cette conduite, devient ouverte à la discussion. Mais il n'y a pas lieu d'examiner une telle question lorsque la conduite d'une personne n'affecte les intérêts d'aucune autre personne que la sienne, ou n'a pas besoin de les affecter à moins qu'elles ne le veuillent (toutes les personnes concernées étant majeures et possédant un niveau de compréhension ordinaire). Dans tous ces cas, il devrait y avoir une parfaite liberté, légale et sociale, pour faire l'action et en supporter les conséquences.

 


It would be a great misunderstanding of this doctrine, to suppose that it is one of selfish indifference, which pretends that human beings have no business with each other's conduct in life, and that they should not concern themselves about the well-doing or wellbeing of one another, unless their own interest is involved. Instead of any diminution, there is need of a great increase of disinterested exertion to promote the good of others. But disinterested benevolence can find other instruments to persuade people to their good, than whips and scourges, either of the literal or the metaphorical sort. I am the last person to undervalue tho self-regarding virtues; they are only second in importance, if even second, to the social. It is equally the business of education to cultivate both. But even education works by conviction and persuasion as well as by compulsion, and it is by the former only that, when the period of education is passed, the self-regarding virtues should be inculcated. Human beings owe to each other help to distinguish the better from the worse, and encouragement to choose the former and avoid the latter. They should be for ever stimulating each other to increased exercise of their higher faculties, and in- creased direction of their feelings and aims towards wise instead of toolish, elevating instead of degrading, objects and contemplations. But neither one person, nor any number of persons, is warranted in saying to another human creature of ripe years, that he shall not do with his life for his own benefit what he chooses to do with it. He is the person most interested in his own well-being: the interest which any other person, except in cases of strong personal attachment, can have in it, is trifling, compared with that which he himself has ; the interest which society has in him individually (except as to his conduct to others) is fractional, and altogether indirect: while with respect to his own feelings and circumstances, the most ordinary man or woman has means of knowledge immeasurably surpassing those that can be possessed by any one else. The interference of society to overrule his judgment and purposes in what only regards himself, must be grounded on general presumptions ; which may be altogether wrong, and even if right, are as likely as not to be misapplied to individual cases, by persons no better acquainted with tne circumstances of such cases than those are who look at them merely from without. In this department, therefore, of human affairs, Individuality has its proper field of action. In the conduct of human beings towards one another, it is necessary that general rules should for the most part be observed, in order that people may know what they have to expect: but in each person's own concerns, his individual spontaneity is entitled to free exercise. Considerations to aid his judgment, exhortations to strengthen his will, may be offered to him, even obtruded on nim, by others ; but he himself is the final judge. All errors which ho is likely to commit against advice and warning, are far outweighed by the evil of allowing others to constrain him to what they deem his good.

 

Ce serait une grande méconnaissance de cette doctrine que de penser qu'il s'agit d'une indifférence égoïste, qui prétend que les êtres humains n'ont rien à faire de la conduite des autres dans la vie, et qu'ils ne doivent pas se préoccuper du bien ou du bien-être des autres, à moins que leur propre intérêt ne soit en jeu. Au lieu de toute diminution, il faut une grande augmentation de l'effort désintéressé pour promouvoir le bien d'autrui. Mais la bienveillance désintéressée peut trouver d'autres instruments pour persuader les gens de leur bien, que les fouets et les fléaux, soit au sens littéral, soit au sens métaphorique. Je suis la dernière personne à sous-estimer les vertus égocentriques ; elles ne viennent qu'en second lieu, si même elles viennent en second lieu, après les vertus sociales. C'est également le rôle de l'éducation de cultiver les deux. Mais même l'éducation fonctionne par la conviction et la persuasion aussi bien que par la contrainte, et c'est par la première seulement que, lorsque la période d'éducation est passée, les vertus personnelles devraient être inculquées. Les êtres humains se doivent mutuellement de les aider à distinguer le meilleur du pire, de les encourager à choisir le premier et à éviter le second. Ils devraient se stimuler mutuellement à exercer davantage leurs facultés supérieures et à orienter davantage leurs sentiments et leurs objectifs vers des objets et des contemplations sages plutôt qu'inutiles, élévateurs plutôt que dégradants. Mais ni une personne, ni un certain nombre de personnes n'ont le droit de dire à une autre créature humaine d'âge mûr qu'elle ne doit pas faire de sa vie, pour son propre bénéfice, ce qu'elle décide d'en faire. Il est la personne la plus intéressée à son propre bien-être : l'intérêt que toute autre personne, sauf en cas de fort attachement personnel, peut y porter, est insignifiant, comparé à celui qu'il a lui-même ; l'intérêt que la société a pour lui individuellement (sauf en ce qui concerne sa conduite envers les autres) est fractionné, et tout à fait indirect : tandis qu'en ce qui concerne ses propres sentiments et circonstances, l'homme ou la femme le plus ordinaire a des moyens de connaissance dépassant incommensurablement ceux que peut posséder quiconque. L'intervention de la société pour écarter son jugement et ses desseins dans ce qui ne concerne que lui, doit être fondée sur des présomptions générales, qui peuvent être tout à fait fausses, et qui, même si elles sont justes, ont autant de chances d'être mal appliquées à des cas particuliers, par des personnes qui ne connaissent pas mieux les circonstances de ces cas que celles qui les regardent simplement de l'extérieur. Dans la conduite des êtres humains les uns envers les autres, il est nécessaire que les règles générales soient en grande partie observées, afin que les gens sachent ce qu'ils doivent attendre : mais dans les préoccupations propres à chacun, sa spontanéité individuelle a droit au libre exercice. Des considérations pour aider son jugement, des exhortations pour fortifier sa volonté, peuvent lui être proposées, voire imposées par d'autres ; mais c'est lui qui est le juge en dernier ressort. Toutes les erreurs qu'il est susceptible de commettre contre les conseils et les avertissements sont largement compensées par le mal qu'il y a à permettre aux autres de le contraindre à ce qu'ils considèrent comme son bien.

 

I do not mean that the feelings with which a person is regarded by othors, ought not to be in any way affected by his self-regarding qualities or defi- ciencies. This is neither possible nor desirable. If he is eminent in any of the qualities which conduce to his own good, he is, so far, a proper object of admiration. He is so much the nearer to the ideal perfection of human nature. If he is grossly deficient in those qualities, a sentiment the opposite of admiration will follow. There is a degree of folly, and a degree of what may be called (though the phrase is not unobjectionable) lowness or depravation of taste, which, though it cannot justify doing harm to the person who manifests it, renders him necessarily and properly a subject of distaste, or, in extreme cases, even of contempt : a person could not have the opposite qualities in due strength without entertaining these feelings. Though doing no wrong to any one, a person may so act as to compel us to judge him, and feel to him, as a fool, or as a being of an inferior order: and since this judgment and feeling are a fact which he would prefer to avoid, it is doing him a service to warn him of it beforehand, as of any other disagree- able consequence to which he exposes himself. It would be well, indeed, it this good office were much more freely rendered than the common notions of politeness at present permit, and if one person could honestly point out to another that he thinks him in fault, without being considered unmannerly or presuming. We have a right, also, in various ways, to act upon our unfavourable opinion of any one, not to the oppression of his individuality, but in the exercise of ours. We are not bound, for example, to seek his society ; we have a right to avoid it (though not to parade the avoidance), ior we have a right to choose the society most acceptable to us. We have a right, and it may be our duty, to caution others against him, if we think his example or conversation likely to have a pernicious effect on those with whom ho associates. We may give others a preference over him in optional good offices, except those which tend to his improvement ...

Je ne veux pas dire que les sentiments avec lesquels une personne est considérée par les autres ne doivent en aucun cas être affectés par ses qualités ou ses défauts. Cela n'est ni possible ni souhaitable. S'il est éminent dans l'une des qualités qui contribuent à son propre bien, il est, jusqu'à présent, un objet d'admiration approprié. Il est d'autant plus proche de la perfection idéale de la nature humaine. S'il est gravement déficient dans ces qualités, un sentiment opposé à l'admiration s'ensuit. Il y a un degré de folie et un degré de ce que l'on peut appeler (bien que l'expression ne soit pas indiscutable) la bassesse ou la dépravation du goût, qui, bien qu'il ne puisse pas justifier de faire du mal à la personne qui le manifeste, le rend nécessairement et correctement un sujet de dégoût, ou, dans des cas extrêmes, même de mépris : une personne ne pourrait pas avoir les qualités opposées en force sans éprouver ces sentiments. Bien qu'elle ne fasse de mal à personne, une personne peut agir de manière à nous obliger à la juger et à la considérer comme un imbécile ou comme un être d'un ordre inférieur : et comme ce jugement et ce sentiment sont un fait qu'elle préférerait éviter, c'est lui rendre service que de l'en avertir d'avance, comme de toute autre conséquence désagréable à laquelle elle s'expose. Il serait bon, en effet, que ce bon office soit rendu beaucoup plus librement que ne le permettent les notions courantes de politesse à l'heure actuelle, et qu'une personne puisse honnêtement faire remarquer à une autre qu'elle la croit en faute, sans être considérée comme mal élevée ou présomptueuse. Nous avons aussi le droit, de diverses manières, d'agir en fonction de l'opinion défavorable que nous avons de quelqu'un, non pas en opprimant son individualité, mais dans l'exercice de la nôtre. Nous ne sommes pas obligés, par exemple, de rechercher sa société ; nous avons le droit de l'éviter (mais pas de faire parade de cet évitement), ou nous avons le droit de choisir la société la plus acceptable pour nous. Nous avons le droit, et c'est peut-être même notre devoir, de mettre les autres en garde contre lui, si nous pensons que son exemple ou sa conversation risque d'avoir un effet pernicieux sur ceux qu'il fréquente. Nous pouvons donner aux autres la préférence sur lui dans les bons offices facultatifs, sauf ceux qui tendent à son amélioration ...

 


"WHAT UTILITARIANISM IS...

A PASSING remark is all that needs be given to the ignorant blunder of supposing that those who stand up for utility as the test of right and wrong use the term in that restricted and merely colloquial sense ia which utility is opposed to pleasure. An apology is due to the philosophical opponents of utilitarianism, for even the momentary appearance of confounding them with any one capable of so absurd a misconception, which is the more extraordinary, inasmuch as the contrary accusation, of referring everything to pleasure, and that too in its grossest form, is another of the common charges against utilitarianism : and, as has been pointedly remarked by an able writer, the same sort of persons, and often the very same persons, denounce the theory ' as impracticably dry when the word utility precedes the word pleasure, and as too practicably voluptuous when the word pleasure precedes the word utility...."

 

L'UTILITARISME

(Utilitarianism, 1863)

La morale de Jeremy Bentham, dans son "Introduction aux principes de morale et de législation", partait du principe que le plaisir est l'unique but de l'existence : Stuart Mill pense, plus réaliste, que même une morale utilitaire ne saurait se passer d'éléments intérieurs et va doter celle-ci d'une conscience, d`un sentiment du devoir et d`une obligation morale. Bentham avait lancé la célèbre formule, "Chercher le bonheur du plus grand nombre en identifiant toujours l'intérêt de l`individu à l`intérêt universel". Mill, sans combattre ce point de vue, observe qu`on trouve d`autant mieux le bonheur personnel qu`on le cherche moins. et qu`on le trouve en travaillant au bonheur des autres, à l`amélioration du sort de l`humanité. Faire à autrui ce qu`on aimerait qu`il vous fit, aimer son prochain comme soi-même, voilà les deux règles de perfection idéale de la morale utilitaire, une peut-être revue à la lumière de Harriet Taylor (1807-1858), tant on a considéré qu'elle avait fait de son philosophe de mari un être "beaucoup plus humain, sensible et empathique qu'il ne l'aurait été autrement"...

Dans l`appréciation des plaisirs. au critère utilitaire de la "quantité", chose extérieure et fortuite. Stuart Mill adjoint celui de la "qualité", toute intérieure et d'une valeur supérieure. Mais il rejette les théories de l`école intuitive, selon laquelle il existerait en nous une faculté morale naturelle, capable de nous fournir les principes généraux de nos jugements moraux, et affirme que "pour l`école inductive le bien et le mal, comme le vrai et le faux, sont "affaire d`expérience". ll n`existe pas de hiérarchie absolue des valeurs, une obligation en soi de choisir telle ou telle chose. Mill voit la consécration de l`obligation morale dans le sentiment du devoir fondé sur les sentiments sociaux de l`humanité, sur le désir d`être en relation étroite avec nos semblables, un "Principe puissant de la nature humaine et qui, grâce aux progrès de la civilisation [...], tend à devenir chaque jour plus puissant." Ces sentiments sociaux manquent pourtant chez beaucoup d`individus; aussi, en dehors des sanctions intérieures de la satisfaction et du remords, Stuart Mill fait-il une place très importante au sentiment de sympathie et de fraternité humaines, qui est d`après lui à la base de la religion de l`humanité (on y voit ici l'inluence d'Adam Smith et d`Auguste Comte). Cette religion de l`humanité est, en fait, le ressort de la vie morale. La vertu a une origine utilitaire, bien que, une fois formée l`association entre la vertu et le bonheur, on en vienne, comme l`argent, à la désirer en tant que "bien en soi", où le plaisir de la posséder se mêle au regret de n`en pas avoir atteint un degré plus élevé. 

Stuart Mill se propose ainsi d`introduire dans la morale utilitaire un élément qui lui manquait, le psychologisme, l`intériorité, et de lui retirer ce que Bentham lui avait imposé de mécanique et d`extérieur : de faire, en un mot, d`une science physique et économique, une science psychologique, une métamorphose rendue possible grâce à cet associationnisme que professait Hume, en logique, un associationnisme fondé sur la réalité du monde extérieur et celle des esprits ...

 

Utilitarisme - "ll vaut mieux être un homme mécontent qu'un pourceau satisfait..." - Comme l'épicurisme, l'utilitarisme voit dans le principe du plus grand bonheur l'essentiel de la morale, ce qui ne l'empêche pas d'accorder plus de valeur aux plaisirs de l`esprit qu'aux plaisirs du corps ...

"La croyance selon laquelle le fondement de la morale est l'utilité ou principe du plus grand bonheur, affirme que les actions sont bonnes dans la mesure du bonheur qu'elles donnent, mauvaises, si elles ont pour résultat de produire le contraire du bonheur. Par le mot bonheur, est entendu le plaisir ou l'absence de souffrance; par malheur, la souffrance et l'absence de bonheur (...)  Le plaisir et l'absence de souffrance, voilà les seules choses désirables. soit pour le plaisir inhérent en elles, soit comme moyen de se procurer le plaisir, d'écarter la souffrance. 

Cette théorie de la vie provoque en beaucoup d`esprits une antipathie profonde, parce quelle va à l`encontre d'un sentiment très respectable. Supposer que la vie n'a pas de but plus élevé, d`objet préférable et plus noble à poursuivre que le plaisir, c'est, suivant ces esprits, une doctrine bonne tout au plus pour les pourceaux. On traitait de la sorte, il y a peu de temps encore, les disciples d'Epicure; et actuellement, les adversaires de la morale utilitaire, allemands, français, anglais, n'usent pas de termes de comparaison plus polis.

Ou doit admettre cependant qu`eu général les philosophes utilitaires ont reconnu la supériorité des plaisirs de l'esprit sur ceux du corps, principalement dans la plus grande durée, certitude, intensité, etc., des premiers, c'est-à-dire plutôt dans les avantages qu`ils procurent que dans leur nature intrinsèque.

 Un être dont les facultés de jouissance sont inférieures, a incontestablement de très grandes chances de les satisfaire complètement, tandis que l`être pourvu de facultés supérieures éprouvera toujours l'imperfection des plaisirs qu`il désire.

Toutefois cet être supérieur apprendra facilement à supporter une telle imperfection :  il ne sera pas jaloux de l`être qui n'a pas conscience de cette imperfection, parce qu'il n'entrevoit pas l'excellence que fait envisager toute imperfection. ll vaut mieux être un homme mécontent qu'un pourceau satisfait, être Socrate malheureux plutôt qu'un imbécile content, et si l'imbécile et le pourceau sont d`un autre avis, c`est qu'ils ne connaissent qu`un côté de la question. Les autres connaissent les deux côtés [...].

En conséquence, d'après le principe du plus Grand Bonheur dont il a été question plus haut, la fin suprême (qu`il s`agisse de notre propre bien ou de celui des autres) est une vie aussi exempte que possible de douleur, aussi riche que possible en plaisirs, au double point de vue de la quantité et de la qualité ...." (De l'utilítarísme, 2.)