Henry James (1843-1916), "The American" (1877), "The Europeans" (1878), "Daisy Miller" (1879), "Portrait of a Lady" (1881), "What Maisie Knew" (1897), "The Turn of the Screw" (1898, Le tour d'écrou), "In the Cage" (1898), "The Wings of Dove" (1902, Les Ailes de la colombe), "The Ambassadors" (1903),  "The Golden Bowl" (1904, La Coupe d’or) - Henry Bacon (1839-1912) - ...

Last update : 18/12/2016


S'adossant à l'impérialisme britannique, le roman anglais s'ouvre, autant que son sentiment de supériorité et des conventions le lui permet (John Galsworthy, Edith Wharton, E.M.Forster), aux différentes cultures du monde, - mais d'un monde perçu au travers de la colonisation - à l' "aventure" (Rudyard Kipling), aux atmosphères mystérieuses (Conan Doyle), aux conquêtes qui valorisent l'apprentissage de l'homme face au monde des océans (Joseph Conrad), aux rivalités politiques et nationales, au jeu complexe des relations civilisées qu'entretient la haute société pour endiguer les "horreurs de la saison mondaine" (Henry James). C'est au travers de ces différentes prises de distance, et de l'éclairage des cultures étrangères, qu'apparaît plus vive l'hypocrisie des conventions sociales. 

La littérature s'empare d'une nouvelle thématique, les différences culturelles entre l'Europe, le plus souvent l'Angleterre, et les Etats-Unis : on parle de "Transatlantic Literature" et l'on établit un contraste entre les manières frustres des Américains et la sophistication voire le cynisme des Européens, l'indépendance d'esprit fondée sur la liberté et la poursuite du bonheur, d'un côté de l'Atlantique, la tradition rigide et la peur de perdre ses privilèges, de l'autre. Devenue nation, les Etats-Unis prennent confiance en eux, Henry James, né à New York, est l'exemple même de l'Américain raffiné, voyage en Europe et porte un regard détaché sur ses compatriotes. Quatre romans jalonnent cette nouvelle thématique : "The Life and Adventures of Martin Chuzzlewit" (1843-1844) de Charles Dickens se déroule tant aux Etats-Unis qu'en Grande-Bretagne, "The Way We Live Now" (1875) d'Anthony Trollope conte l'histoire d'un financier européen corrompu en Amérique, "Madame de Treymes" (1907) d'Edith Wharton décrit la vie d'Américains résidant en France, enfin Henry James décline les tensions entre Vieux et Nouveau Monde dans "The Portrait of a Lady" (1881).(1877 - Henry Bacon (1839-1912) - On the Open Sea- The Transatlantic Seamship Péreire - Museum of Fine Arts - Boston)

 

The Art of Fiction...

"Humanity is immense, and reality has a myriad forms; the most one can affirm is that some of the flowers of fiction have the odour of it, and others have not; as for telling you in advance how your nosegay should be composed, that is another affair". Il faut écrire à partir de l'expérience, de quel type d'expérience s'agit-il, et où commence-t-elle et où finit-elle ? L'expérience n'est jamais limitée, elle n'est jamais complète ; "c'est une immense sensibilité, une sorte d'immense toile d'araignée aux fils de soie les plus fins, suspendue dans la chambre de la conscience, et qui attrape dans son tissu toutes les particules en suspension dans l'air. C'est l'atmosphère même de l'esprit ; et lorsque l'esprit est imaginatif - encore plus lorsqu'il s'agit d'un homme de génie - il s'approprie les moindres indices de la vie, il convertit les pulsations mêmes de l'air en révélations" (Experience is never limited, and it is never complete; it is an immense sensibility, a kind of huge spider- web of the finest silken threads suspended in the chamber of consciousness, and catching every airborne particle in its tissue. It is the very atmosphere of the mind; and when the mind is imaginative — much more when it happens to be that of a man of genius — it takes to itself the faintest hints of life, it converts the very pulses of the air into revelations). 

"I remember an English novelist, a woman of genius, telling me that she was much commended for the impression she had managed to give in one of her tales of the nature and way of life of the French Protestant youth. She had been asked where she learned so much about this recondite being, she had been congratulated on her peculiar opportunities. These opportunities consisted in her having once, in Paris, as she ascended a staircase, passed an open door where, in the household of a pasteur, some of the young Protestants were seated at table round a finished meal. The glimpse made a picture; it lasted only a moment, but that moment was experience. She had got her direct personal impression, and she turned out her type. She knew what youth was, and what Protestantism ..."

"... Je me souviens d'une romancière anglaise, femme de génie, qui me disait qu'elle avait été très félicitée pour l'impression qu'elle avait réussi à donner, dans un de ses récits, sur la nature et le mode de vie de la jeunesse protestante française. On lui avait demandé où elle avait appris tant de choses sur cet être recondit, on l'avait félicitée des occasions particulières qu'elle avait eues. Ces occasions consistaient en ce qu'un jour, à Paris, en montant un escalier, elle passa devant une porte ouverte où, dans la maison d'un pasteur, quelques jeunes protestants étaient assis à table autour d'un repas terminé. Le coup d'œil fit image ; il ne dura qu'un instant, mais cet instant fut une expérience. Elle avait eu son impression personnelle directe, et elle en avait tiré son type. Elle savait ce qu'était la jeunesse, et ce qu'était le protestantisme ..."



"Qu’est-ce que nous appelons notre personnalité ? Où commence-t-elle, où finit-elle ? Elle imprègne tout ce qui nous appartient, puis s’en retire. Je sais qu’une grande partie de la mienne tient dans les robes que je choisis. J’ai un grand respect pour les choses. La personnalité, pour les autres, c’est l’expression de l’être, et une maison, des meubles, des vêtements, les livres qu’on lit, les gens que l’on fréquente, tout cela exprime quelque chose..." - "What shall we call our ‘self’? Where does it begin? Where does it end? It overýows into everything that belongs to us — and then it ýows back again. I know a large part of myself is in the clothes I choose to wear. I’ve a great respect for things! One’s self — for other people — is one’s expression of one’s self; and one’s house, one’s furniture, one’s garments, the books one reads, the company one keeps — these things are all expressive) - ...

THE PORTRAIT OF A LADY (1881) est une œuvre charnière dans la carrière du romancier américain Henry James. Lorsqu'il a commencé à l'écrire, James était un auteur populaire de romans et de récits portant sur les Américains expatriés en Europe, de ces Américains, qui disposaient de suffisamment d'argent et de temps libre pour passer de longs séjours à l'étranger, et notamment en Europe, en Angleterre et en Italie. Avec "THE PORTRAIT", son écriture atteint plus de subtilité et plus de profondeur. Le livre conte l'histoire d'Isabel Archer, une jeune Américaine fortunée alors remplie d'espoir et et assumant totalement une indépendance d'esprit toute singulière, la voici en Europe, nous suivons une prise de conscience progressive, déstabilisatrice, sa fortune ne l'aidera pas à échapper à la société étouffante dans laquelle elle se trouve, sa fortune ne lui donnera cette liberté tant désirée, bien au contraire, le monde est plus complexe qu'il n'y paraît ...

 

(...) ." (CHAPTER 19 - "When you’ve lived as long as I you’ll see that every human being has his shell and that you must take the shell into account. By the shell I mean the whole envelope of circumstances. There’s no such thing as an isolated man or woman; we’re each of us made up of some cluster of appurtenances. What shall we call our ‘self’? Where does it begin? where does it end? It overflows into everything that belongs to us — and then it flows back again. I know a large part of myself is in the clothes I choose to wear. I’ve a great respect for THINGS! One’s self — for other people — is one’s expression of one’s self; and one’s house, one’s furniture, one’s garments, the books one reads, the company one keeps — these things are all expressive.”

This was very metaphysical; not more so, however, than several observations Madame Merle had already made. Isabel was fond of metaphysics, but was unable to accompany her friend into this bold analysis of the human personality. “I don’t agree with you. I think just the other way. I don’t know whether I succeed in expressing myself, but I know that nothing else expresses me. Nothing that belongs to me is any measure of me; everything’s on the contrary a limit, a barrier, and a perfectly arbitrary one. Certainly the clothes which, as you say, I choose to wear, don’t express me; and heaven forbid they should!”

“You dress very well,” Madame Merle lightly interposed...."

 

(...) "Quand vous aurez vécu aussi longtemps que moi, vous verrez que tout être humain possède sa coquille, et qu’il faut bien en tenir compte. Par coquille, j’entends tout le jeu des circonstances. Vous ne trouverez jamais un homme ou une femme isolés : chacun de nous est un faisceau de réciprocités. Qu’estce que nous appelons notre personnalité ? Où commence-t-elle, où finit-elle ? Elle imprègne tout ce qui nous appartient, puis s’en retire. Je sais qu’une grande partie de la mienne tient dans les robes que je choisis. J’ai un grand respect pour les choses. La personnalité, pour les autres, c’est l’expression de l’être, et une maison, des meubles, des vêtements, les livres qu’on lit, les gens que l’on fréquente, tout cela exprime quelque chose. »

Ces réflexions étaient d’ordre assez philosophique, comme nombre de celles que faisait Madame Merle. Isabel aimait la philosophie, mais n’était pas de taille à suivre son amie dans cette analyse hardie de la  personnalité humaine. « Je ne suis pas de votre avis, pas du tout. Je ne sais si j’arrive à m’exprimer moi-même, mais je suis certaine qu’aucun objet ne saurait le faire. Rien de ce qui m’appartient n’est à ma mesure ; au contraire, tout est limite et barrière parfaitement arbitraire. Non certainement : les robes que je choisis, comme vous dites, ne révèlent pas mon être, et j’en rends grâces au ciel.

— Vous vous habillez très bien, lança doucement Madame Merle..."


Henry James (1843-1916)

Américain de naissance, ayant choisi l'Angleterre comme patrie d'adoption, Henry James est l'écrivain de la personnalité mouvante, de l'univers des consciences dans leurs multiplicités, leurs richesses, leurs interactions. Henry James épie, capte, en l'état, la richesse insaisissable des êtres, dans une écriture qui ne conclut jamais et laisse en suspens ce que le regard a pu, un instant, posséder. 

Petit-fils de puritain irlandais, fils d'un intellectuel renommé de Boston qui se passionna pour Swedenborg et Fourier, il est le frère de William James, visionnaire, pionnier de la psychologie et militant anti-impérialiste, qui fonda le pragmatisme. L'influence des travaux de son frère se double chez James d'un intérêt très vif pour les études de Charcot sur l'hystérie, et se fait sentir dans la volonté de l'écrivain d'étudier les ambiguïtés de la subjectivité à travers les formes narratives. Vite célèbre en Amérique comme nouvelliste (Un pèlerin passionné, 1871), il gagne Paris, Venise, Londres, faisant du voyage en Europe la clé de la révélation artistique. C'est l'Amérique et la vie américaine elle-même qu'il finit par mettre à distance, et il s'établit en Europe. En 1915, par solidarité avec l'Angleterre en guerre, il demande la nationalité britannique.

Henry James est en effet connu pour son analyse des rapports complexes entre Américains naïfs et Européens cosmopolites. Ce que son biographe Leon Edel appelle sa première phase, dite «internationale», englobe des œuvres telles que "Transatlantic Sketches" (1875), "L’Américain" (1877), "Daisy Miller" (1879) et le chef-d’œuvre "Portrait de femme" (1881). Dans L’Américain, par exemple, Christopher Newman, industriel millionnaire, arrivé par son seul mérite, intelligent et idéaliste, mais naïf, part pour l’Europe afin d’y chercher femme. Lorsque la famille de la jeune fille le repousse parce qu’il n’a pas d’origines aristocratiques, il a l’occasion de se venger; il renonce pourtant, apportant ainsi la démonstration de sa supériorité morale. "H. James, d'une manière tantôt consciente, tantôt involontaire, rend très bien le déchirement de l'Américain avide de culture, irrésistiblement attiré par l'aura magique d'un art de vivre, mais rebuté par une certaine sclérose, une étroitesse d'esprit et de mœurs."

Dans une deuxième période, James traite de nouveaux sujets – le féminisme et la réforme sociale dans "Les Bostoniens" (1886), et l’intrigue politique dans "La Princesse Casamassima" (1885).

Puis James revient aux sujets internationaux, qu’il traita avec plus de raffinement et de pénétration psychologique. C'est l'époque des romans quasi mythiques, complexes, que sont "Les Ailes de la colombe" (1902), "Les Ambassadeurs" (1903) et "La Coupe d’or" (1904). "Si le principal thème de l’œuvre de Mark Twain porte sur l’apparence et la réalité, la préoccupation constante de James est la perception. Chez lui, la conscience de soi et la perception nette des autres peuvent seules engendrer la sagesse et l’amour dans l’abnégation. Avec le temps, ses romans deviennent plus psychologiques. Dans ses dernières œuvres, les événements qui comptent sont souvent des instants d’illumination intense qui révèlent aux personnages leur aveuglement passé". Ainsi, dans "Les Ambassadeurs", l’idéaliste Lambert Strether, découvre une histoire d’amour restée secrète et prend conscience d'une complexité nouvelle dans sa vie intérieure. Sa morale droite et rigide s'humanise et s'élargit, tandis qu'il se découvre la capacité d'accepter ceux qui ont péché.  


"The American" (L’Américain, 1877)

Christopher Newman, riche Américain, part pour l'Europe avec l'intention de se cultiver et de se marier. Il s'éprend bientôt d'une jeune veuve, la marquise Claire de Cintré, mais se heurte rapidement à un monde fermé, rempli de préjugés, l'obligeant à renoncer à ce projet. Newman découvre alors un secret qui, s'il était divulgué, couvrirait de honte la mère et le frère de son ancienne fiancée. Sa loyauté naturelle le fait renoncer à cette vengeance. Claire, quant à elle, dit adieu à liberté et à la vie et se fait carmélite...

"On a brilliant day in May, in the year 1868, a gentleman was reclining at his ease on the great circular divan which at that period occupied the centre of the Salon Carré, in the Museum of the Louvre. This commodious ottoman has since been removed, to the extreme regret of all weak-kneed lovers of the fine arts, but the gentleman in question had taken serene possession of its softest spot, and, with his head thrown back and his legs outstretched, was staring at Murillo’s beautiful

moon-borne Madonna in profound enjoyment of his posture. He had removed his hat, and flung down beside him a little red guide-book and an opera-glass. The day was warm; he was heated with walking, and he repeatedly passed his handkerchief over his forehead, with a somewhat wearied gesture. And yet he was evidently not a man to whom fatigue was familiar; long, lean, and muscular, he suggested the sort of vigor that is commonly known as “toughness.” But his exertions on this particular day had been of an unwonted sort, and he had performed great physical feats which left him less jaded than his tranquil stroll through the Louvre. He had looked out all the pictures to which an asterisk was affixed in those formidable pages of fine print in his Bädeker; his attention had been strained and his eyes dazzled, and he had sat down with an æsthetic headache. He had looked, moreover, not only at all the pictures, but at all the copies that were going forward around them, in

the hands of those innumerable young women in irreproachable toilets who devote themselves, in France, to the propagation of masterpieces, and if the truth must be told, he had often admired the copy much more than the original. His physiognomy would have sufficiently indicated that he was a shrewd and capable fellow, and in truth he had often sat up all night over a bristling bundle of accounts, and heard the cock crow without a yawn. But Raphael and Titian and Rubens were a new kind of arithmetic, and they inspired our friend, for the first time in his life, with a vague self-mistrust.

An observer with anything of an eye for national types would have had no difficulty in determining the local origin of this undeveloped connoisseur, and indeed such an observer might have felt a certain humorous relish of the almost ideal completeness with which he filled out the national mould. The gentleman on the divan was a powerful specimen of an American. But he was not only a fine American; he was in the first place, physically, a fine man. He appeared to possess that kind of health and strength which, when found in perfection, are the most impressive--the physical capital which the owner does nothing to “keep up.” If he was a muscular Christian, it was quite without knowing it. If it was necessary to walk to a remote spot, he walked, but he had never known himself to “exercise.” He had no theory with regard to

cold bathing or the use of Indian clubs; he was neither an oarsman, a rifleman, nor a fencer--he had never had time for these amusements -- and he was quite unaware that the saddle is recommended for certain forms of indigestion. He was by inclination a temperate man; but he had supped the night before his visit to the Louvre at the Café Anglais -- someone had told him it was an experience not to be omitted -- and he had slept none the less the sleep of the just. His usual attitude and carriage were of a rather relaxed and lounging kind, but when under a special inspiration, he straightened himself, he looked like a grenadier on parade. He never smoked. He had been assured -- such things are said -- that cigars were excellent for the health, and he was quite capable of believing it; but he knew as little about tobacco as about homœopathy. He had a very well-formed head, with a shapely, symmetrical balance of the frontal and the occipital development, and a good deal of straight, rather dry brown hair. His complexion was brown, and his nose had a bold well-marked arch. His eye was of a clear, cold gray, and save for a rather abundant moustache he was clean-shaved. 

He had the flat jaw and sinewy neck which are frequent in the American type; but the traces of national origin are a matter of expression even more than of feature, and it was in this respect that our friend’s countenance was supremely eloquent. The discriminating observer we have been supposing might, however, perfectly have measured its expressiveness, and yet have been at a loss to describe it. It had that typical vagueness which is not vacuity, that blankness which is not simplicity, that look of being committed to nothing in particular, of standing in an attitude of general hospitality to the chances of life, of being very much at one’s own disposal so characteristic of many American faces. It was our friend’s eye that chiefly told his story; an eye in which innocence and experience were singularly blended. It was full of contradictory suggestions, and though it was by no means the glowing orb of a hero of romance, you could find in it almost anything you looked for. Frigid and yet friendly, frank yet cautious, shrewd yet credulous, positive yet sceptical, confident yet shy, extremely intelligent and extremely good-humored, there was something vaguely defiant in its concessions, and something profoundly reassuring in its reserve...."

 

"Un beau jour de mai 1868, sous les lambris du Louvre, un homme était nonchalamment assis sur le grand canapé circulaire qui occupait alors le centre du Salon Carré. La spacieuse ottomane a été, depuis, retirée de ce lieu, au grand regret des amants des beaux-arts qui souffrent d'une faiblesse des jarrets - mais ce jour-là notre homme avait tranquillement pris possession du coin le plus moelleux de la banquette; il faisait vis-à-vis à cette Vierge de Murillo qu'on voit s'élevant dans les nues, portée par un croissant de lune. La tête rejetée en arrière, les jambes étendues devant lui, il goûtait au plus haut point l'agrément de cette position confortable; il avait retiré son chapeau et posé à côté. de lui un petit guide à la couverture rouge et des jumelles de théâtre. La journée était chaude et il avait longtemps marché; de moment en moment, il passait un mouchoir sur son front, d'un geste las; pourtant il n'offrait guère l'apparence d'un homme à qui la fatigue fût habituelle : grand, maigre, solidement charpenté, il semblait doué de cette sorte de vigueur à laquelle on donne communément le nom de "résistance". Mais les efforts qu'il avait faits ce jour-là n'étaient pas de ceux auxquels il était accoutumé, et sa paisible promenade dans les galeries du Louvre l'avait épuisé bien davantage que les exploits

exténuants qu'il lui était souvent arrivé d'accomplir. Il avait voulu voir tous les tableaux signalés par un astérisque dans les pages fabuleuses et substantifiques de son indispensable Bädeker. Les yeux éblouis, épuisé par un excès d'attention, il avait fini par s'asseoir, en proie à une migraine esthétique. Au reste, c'est peu de dire qu'il avait regardé tous les tableaux: il avait regardé, du même œil attentif, toutes les copies qui naissaient à l'entour des mains de ces nuées de jeunes demoiselles, irréprochablement vêtues, qui se consacrent, en France, à la multiplication des chefs-d'œuvre - ajoutons, puisqu'il faut tout dire, qu'il avait souvent admiré la copie plus que l'original. Pourtant, il suffisait de considérer sa physionomie pour reconnaître l'homme avisé, habile, compétent, et il lui était souvent arrivé de passer la nuit penché sur des montagnes de chiffres et d'entendre le coq chanter sans avoir bâillé une seule fois. Mais Raphaël, Titien, Rubens représentaient pour lui un nouveau genre d'arithmétique et pour la première fois de sa vie, notre homme ne se sentait plus tout à fait sûr de lui-même.

Un observateur tant soit peu doué pour reconnaître les types nationaux n'aurait guère eu de peine à déterminer l'origine de cet amateur inexpérimenté; il aurait même ressenti une sorte de satisfaction amusée à constater avec quelle exactitude il reproduisait tous les traits de son modèle. C'était un magnifique spécimen d'Américain. Ce n'était pas seulement un bel Américain, c'était avant tout un bel homme. Il possédait cette vigueur et cette santé qui impressionnent d'autant plus, quand elles se rencontrent dans leur perfection, que celui qui les possède ne fait rien pour les "entretenir". Ce robuste chrétien ne se savait pas robuste. S'il lui fallait faire une longue marche, il la faisait sans peine - comme une nécessité mais jamais comme un exercice. Il n'avait aucune sorte de théorie sur les avantages des bains froids ou sur le maniement du mil. Il ne pratiquait point l'aviron, ni le tir, ni l'escrime -- il n'avait jamais eu le temps de se livrer à ces sortes d'amusements --, et il ignorait tout à fait que l'équitation fût recommandée dans certaines formes de dyspepsie. Il était sobre par nature, mais il avait soupé la veille au Café Anglais parce qu'on lui avait dit que c'était une chose qu'il ne fallait pas manquer, et il n'en avait pas moins dormi du sommeil du juste. Son maintien ordinaire était une sorte d'aisance souple et dégagée, mais quand sous le coup d'une inspiration particulière il lui prenait envie de se roidir, il avait l'air d'un brigadier à la parade. Il ne fumait jamais. On lui avait assuré que le cigare était excellent pour la santé (que n'entend-on pas dire ?) et il aurait été tout à fait capable de le croire, mais il en savait aussi peu sur le tabac que sur l'homéopathie. Sa tête, parfaitement proportionnée, offrait un équilibre harmonieux et symétrique entre la partie frontale et la partie occipitale et portait une masse drue de cheveux bruns, raides et secs. Il avait le teint mat. Son nez s'arquait avec audace, son œil était d`un gris limpide et froid. Il portait une moustache d'une belle venue, mais le reste de son visage était soigneusement rasé.

Ajoutons qu'il avait la mâchoire plate et le cou nerveux qui se rencontrent souvent dans, le type américain; mais les signatures nationales sont affaire d'expression plus encore que de traits, et c'est sous ce dernier rapport que la physionomie du personnage était suprêmement éloquente. Pourtant, l'observateur perspicace dont nous avons supposé la présence aurait pu ressentir vivement la force d'expression de cette physionomie et se trouver néanmoins fort en peine de la décrire. Elle réunissait ce "vague" caractéristique qui n est pas la vacuité, ce côté "page blanche" qui n'est pas la simplicité, cet air de ne se sentir engagé à rien de défini, d'être prêt à accueillir toutes les occasions - bref, cet air de "disponibilité" qui est la signature particulière de tant de visages américains. Chez notre ami, c'étaient les yeux qui parlaient le plus. Ces yeux, où l'innocence et l'expérience étaient singulièrement confondues, exprimaient simultanément les qualités les plus contradictoires. Ce n'étaient certes pas les prunelles ardentes d'un héros de roman; cela dit, on pouvait y trouver à peu près tout ce qu'on voulait y chercher: la froideur et la sympathie, la franchise et la circonspection, la lucidité et la bonhomie, la confiance et la réserve, l'esprit positif et le doute sceptique..." 



Daisy Miller (1878)

"At the little town of Vevey, in Switzerland, there is a particularly comfortable hotel.  There are, indeed, many hotels, for the entertainment of tourists is the business of the place, which, as many travelers will remember, is seated upon the edge of a remarkably blue lake--a lake that it behooves every tourist to visit.  The shore of the lake presents an unbroken array of establishments of this order, of every category, from the "grand hotel" of the newest fashion, with a chalk-white front, a hundred balconies, and a dozen flags flying from its roof, to the little Swiss pension of an elder day, with its name inscribed in German-looking lettering upon a pink or yellow wall and an awkward summerhouse in the angle of the garden. One of the hotels at Vevey, however, is famous, even classical, being distinguished from many of its upstart neighbors by an air both of luxury and of maturity..."

Dans les années 1870, "Daisy Miller" va participer de la réputation de henry James (chaque décennie aura son oeuvre emblématique, dans les années 1880, "The Aspern Papers", dans les années 1890, "The Turn of the Screw", et au début du XXe siècle, "The Beast in the Jungle". Le contraste entre Américains et Européens est parfaitement illustré par le personnage de Daisy Miller, jeune Américaine belle et riche qui supplée à un manque de raffinement par la désinvolture. Indépendante. coquette mais sincère, constamment entourée d'une cour d'adorateurs, ses manières excentriques choquent la vieille société européenne, qui la met quelque peu à l'index et lui ferme ses portes. Daisy a un chevalier servant, Giovanelli, mondain accompli et chasseur de dot; elle le reçoit dans sa chambre d'hôtel et se montre partout avec lui dans les rues de Rome. Toutes les apparences sont donc contre elle : Winterbourne, son meilleur ami, ne croit plus en son innocence. Un soir où elle est allée avec Giovanelli admirer le clair de lune sur le Colisée, elle contracte une grave maladie (la malaria) qui l'emporte quelques jours plus tard. Devant sa tombe, Winterbourne  apprend la vérité de la bouche de Giovanelli : Daisy Miller est morte pure et innocente ; elle portait seulement en elle le désir de connaître le monde et de vivre libre et heureuse. Daisy Miller est considérée comme l'une des figures féminines les mieux venues de toute l'œuvre de James. « Avec elle, c'est un nouveau personnage qui est entré dans la littérature, la jeune fille américaine, l'héritière de tous les âges, dont l'étonnante carrière trouvera sa consécration dans l`œuvre de Scott Fitzgerald" ...

 


Les Européens  (The Europeans, 1878)

"A narrow grave-yard in the heart of a bustling, indifferent city, seen from the windows of a gloomy-looking inn, is at no time an object of enlivening suggestion; and the spectacle is not at its best when the mouldy tombstones and funereal umbrage have received the ineffectual refreshment of a dull, moist snow-fall. If, while the air is thickened by this frosty drizzle, the calendar should happen to indicate that the blessed vernal season is already six weeks old, it will be admitted that no depressing influence is absent from the scene. This fact was keenly felt on a certain 12th of May, upwards of thirty years since, by a lady who stood looking out of one of the windows of the best hotel in the ancient city of Boston. She had stood there for half an hour--stood there, that is, at intervals; for from time to time she turned back into the room and measured its length with a restless step. In the chimney-place was a red-hot fire which emitted a small blue flame; and in front of the fire, at a table, sat a young man who was busily plying a pencil. He had a number of sheets of paper cut into small equal squares, and he was apparently covering them with pictorial designs-- strange-looking figures...."

 

Le roman est centré sur l’incommunicabilité entre la vieille Europe et la toute jeune Amérique. Venus d'Europe, la baronne Eugénie et son frère Félix s'installent à Boston afin de pouvoir visiter bientôt leur cousins américains. Eugénie est une femme cultivée, aimant attirer l’attention et fasciner son entourage non sans une certaine hypocrisie. La candeur et l'austérité des Américains, représentés par Mr Wentworth, ses deux filles Gertrude et Charlotte, son fils Clifford, le ministre du culte Mr Brand, Mr Robert Acton et sa sœur Lizzie,  s'oppose aux attitudes « civilisées » des Européens qui reposent sur des demi-vérités et des conventions hypocrites causées par une longue fréquentation du beau monde. Félix, quant à lui, est enjoué, épicurien, s’émerveille de tout et surtout de sa jolie cousine Gertrude qui incarne le passage entre les deux mondes. Félix épouse Gertrude Wentworth et Eugènie, qui aurait pu céder aux demandes du séduisant Robert Acton, finit par se convaincre qu'elle n'a d'autre choix que de retourner en Europe.


Portrait de femme (The Portrait of a Lady, 1881)

 

C'est l'œuvre la plus célèbre de Henry James parce que, dit-on le plus souvent, elle possède tout à la fois de quoi intéresser le lecteur le plus superficiel en même temps que le lecteur le plus exigeant. James y conte en effet, les aventures d'une jeune fille attrayante qui affronte la vie avec confiance, obtient quelques jolis succès et s`attire mainte sympathie assez honnête. Toutefois trop de vanité vont finir par lui tourner la tête. Elle connaît alors le malheur, tente de s'en échapper, puis se soumet, par devoir, à la triste vie qu'elle s'est créée elle-même. 

"Un portrait de femme" parut quelques années après l’installation définitive de Henry James à Londres, en 1876. L’écriture du roman débute au printemps 1880. L’auteur est de retour en Italie , et s’installe deux mois à Florence : « Florence était divine à son habitude, écrit-il dans ses Carnets. À Bellosguardo, lieu délicieux, j’ai commencé Un portrait de femme à l’hôtel Arno, dans une chambre en façade de cette profonde retraite » – et à partir d’une « ancienne ébauche faite il y a longtemps . » De retour à Londres au mois de juin, James travaille assidûment à son roman qui commence à paraître en feuilleton dès octobre 1880 et sera publié en volume en octobre 1881...

 

"Chapter I -  Under certain circumstances there are few hours in life more agreeable than the hour dedicated to the ceremony known as afternoon tea. There are circumstances in which, whether you partake of the tea or not — some people of course never do, — the situation is in itself delightful. Those that I have in mind in beginning to unfold this simple history offered an admirable setting to an innocent pastime. The implements of the little feast had been disposed upon the lawn of an old English country-house, in what I should call the perfect middle of a splendid summer afternoon. Part of the afternoon had waned, but much of it was left, and what was left was of the finest and rarest quality. Real dusk would not arrive for many hours; but the flood of summer light had begun to ebb, the air had grown mellow, the shadows were long upon the smooth, dense turf. They lengthened slowly, however, and the scene expressed that sense of leisure still to come which is perhaps the chief source of one’s enjoyment of such a scene at such an hour.

 

"Il y a, dans la vie, et sous certaines conditions, peu de moments plus aimables que l’heure consacrée à la cérémonie connue sous le nom de goûter. Que l’on participe ou non au repas, dont certains s’abstiennent toujours, il y a telles circonstances qui rendent le moment exquis en soi. Et celles que j’envisage au début de ce modeste récit formaient un cadre admirable pour un passe-temps innocent. Les éléments du petit festin étaient disposés sur la pelouse d’une vieille maison de campagne anglaise , à l’heure que l’on pourrait appeler le cœur véritable d’un magnifique après-midi d’été. Une bonne part s’en était écoulée, mais il en subsistait un long reste, et ce reste était de la plus belle et de la plus rare qualité. Bien que le crépuscule ne dût pas tomber avant plusieurs heures, le flot de lumière estivale commençait à se retirer, l’air s’amollissait, les ombres s’étiraient sur le feutre uni de la pelouse.

Elles ne s’allongeaient pourtant que lentement, et la scène exprimait ce sentiment de loisir attentif, qui fait sans doute le principal attrait de pareille scène à pareille heure. 

 

From five o’clock to eight is on certain occasions a little eternity; but on such an occasion as this the interval could be only an eternity of pleasure. The persons concerned in it were taking their pleasure quietly, and they were not of the sex which is supposed to furnish the regular votaries of the ceremony I have mentioned. The shadows on the perfect lawn were straight and angular; they were the shadows of an old man sitting in a deep wickerchair near the low table on which the tea had been served, and of two younger men strolling to and fro, in desultory talk, in front of him. The old man had his cup in his hand; it was an unusually large cup, of a different pattern from the rest of the set and painted in brilliant colours. He disposed of its contents with much circumspection, holding it for a long time close to his chin, with his face turned to the house. His companions had either finished their tea or were indifferent to their privilege; they smoked cigarettes as they continued to stroll. One of them, from time to time, as he passed, looked with a certain attention at the elder man, who, unconscious of observation, rested his eyes upon the rich red front of his dwelling. The house that rose beyond the lawn was a structure to repay such consideration and was the most characteristic object in the peculiarly English picture I have attempted to sketch.

 It stood upon a low hill, above the river — the river being the Thames at some forty miles from London. A long gabled front of red brick, with the complexion of which time and the weather had played all sorts of pictorial tricks, only, however, to improve and refine it, presented to the lawn its patches of ivy, its clustered chimneys, its windows smothered in creepers..."

 

De cinq à huit heures, ce temps représente une petite éternité, en certaines occurrences, mais en l’espèce ce ne pouvait être qu’une éternité de plaisir. Les personnages dont je vais parler savouraient paisiblement ce plaisir, bien qu’ils n’appartinssent pas au sexe qui passe pour fournir les zélateurs habituels de la susdite cérémonie. Leurs ombres projetaient sur la noble pelouse des formes droites et anguleuses ; c’étaient celles d’un vieillard assis au fond d’un fauteuil d’osier, près d’une table basse, et de deux hommes plus jeunes qui allaient et venaient devant lui, en échangeant des propos décousus. Le vieillard tenait sa tasse à la main,  une tasse de dimensions inhabituelles, différente de forme du reste du service, et de couleur vive. Il disposait de son contenu avec beaucoup de circonspection, et la gardait longtemps contre son menton, le visage tourné vers la maison. Ses compagnons avaient fini leur thé ou restaient indifférents à leur privilège, et fumaient des cigarettes sans interrompre leur promenade. De temps en temps, l’un d’eux, au passage, regardait avec une certaine insistance le vieillard, qui, sans se douter de cette attention, reposait ses yeux sur la belle façade rouge de sa demeure. La bâtisse qui se dressait au bout de la pelouse avait de quoi justifier pareille contemplation, et constituait le trait le plus caractéristique du tableau spécifiquement anglais que j’ai tenté d’esquisser.

Elle se dressait sur un petit tertre, au-dessus d’une rivière, la Tamise, à quelque quarante milles de Londres. Une longue façade basse à pignons de briques rouges, dont la teinte, livrée à toutes les fantaisies tinctoriales du temps et des intempéries, n’avait fait que s’enrichir et s’affiner, présentait à la pelouse ses plaques de lierre, ses faisceaux de cheminées, ses fenêtres étouffées par les plantes grimpantes...."

 

Isabelle Archer, l'héroïne, s'étiole dans sa morne maison d'Albany, quand sa tante, femme riche et extravagante qui se nomme Mrs. Touchett, vient lui proposer quelque voyage en Europe. Isabelle accepte avec d`autant plus d'empressement qu'elle pourra ainsi se soustraire à la cour trop assidue que lui fait le jeune Gaspar Goodwood, un garçon auquel la jeune fille n'entend point sacrifier sa liberté. La première étape de ce voyage est l'Angleterre. Elle arrive dans la luxueuse maison de campagne qu'habitent le mari de Mrs. Touchett, ainsi, d'ailleurs, que son fils, Ralph. D'emblée ce dernier sympathise avec la jeune fille que sa beauté, sa simplicité et son intelligence rendent des plus attrayantes. Davantage : étant tombé amoureux d'elle, et se sachant atteint d`une maladie incurable, Ralph se garde bien d'en souffler mot à la jeune fille. Un de ses amis, lord Warburton, jeune homme plein d'avenir, vient, lui aussi, à s'éprendre d'lsabelle et lui demande aussitôt sa main. Mais notre héroïne aspire trop à faire son voyage en Europe pour répondre à ce désir. Le vieux Touchett étant mort, elle hérite de la moitié de sa fortune. Elle ignore que la générosité de son oncle est due à l'intervention de Ralph. En amoureux totalement désintéressé, Ralph a tenu, par ce biais. à offrir à Isabelle une vie plus large dans tous les domaines. Pourtant la richesse sera nuisible à Isabelle, car elle la mettra en contact avec une certaine Mme Merie, aventurière de son métier dans toute la force du terme. Pour assurer le bien-être de la fille qu'elle a eue de son amant, Gilbert Osmond, elle fait en sorte qu'Isabelle le rencontre et s'éprenne de lui. Abusée par l'air noble et digne sous lequel Osmond cache un effroyable cynisme, Isabelle tombe éperdument amoureuse de lui. Passant outre à l`avis de Mrs. Touchett et de Ralph, elle l'épouse aussitôt. Hélas, elle s`apercevra vite de son erreur. Bien que par orgueil elle

ne veuille pas se l'avouer, elle finira par se confier à Ralph agonisant, qui l'a fait appeler pour s'entretenir avec elle une dernière fois. A Londres, elle retrouve son ancien amoureux Gaspar Goodwood. Bien qu'elle se rende compte qu”elle pourrait trouver chez lui le refuge auquel son cœur aspire en vain, elle n'en retourne pas moins chez son indigne mari, le sens du devoir n'allant pas ici sans un certain goût du malheur. (Trad. Stock, 1933).

 

"The Portrait of a Lady" est conté à la troisième personne, et le ton du narrateur semble suggérer parfois une certaine prise de distance émotionnelle vis-à-vis de ses personnages. Cependant, le roman est également souvent raconté du point de vue d’Isabel, le texte traduit alors en l'état ses sentiments et ses espoirs : au chapitre 42, au deux tiers du livre, Isabel va passe toute une nuit à faire le point tant à sur sa vie que sur ses relations. James était alors l'un des premiers écrivains à exprimer chez ses personnages une telle intensité de prise de conscience de soi et de sa relation aux autres ...

 

"She had answered nothing because his words had put the situation before her and she was absorbed in looking at it. There was something in them that suddenly made vibrations deep, so that she had been afraid to trust herself to speak. After he had gone she leaned back in her chair and closed her eyes; and for a long time, far into the night and still further, she sat in the still drawing-room, given up to her meditation. 

A servant came in to attend to the fire, and she bade him bring fresh candles and then go to bed. Osmond had told her to think of what he had said; and she did so indeed, and of many other things. The suggestion from another that she had a definite influence on Lord Warburton — this had given her the start that accompanies unexpected recognition. Was it true that there was something still between them that might be a handle to make him declare himself to Pansy — a susceptibility, on his part, to approval, a desire to do what would please her? Isabel had hitherto not asked herself the question, because she had not been forced; but now that it was directly presented to her she saw the answer, and the answer frightened her. Yes, there was something — something on Lord Warburton’s part. When he had first come to Rome she believed the link that united them to be completely snapped; but little by little she had been reminded that it had yet a palpable existence. It was as thin as a hair, but there were moments when she seemed to hear it vibrate.

For herself nothing was changed; what she once thought of him she always thought; it was needless this feeling should change; it seemed to her in fact a better feeling than ever. But he? had he still the idea that she might be more to him than other women? Had he the wish to profit by the memory of the few moments of intimacy through which they had once passed? Isabel knew she had read some of the signs of such a disposition. But what were his hopes, his pretensions, and in what strange way were they mingled with his evidently very sincere appreciation of poor Pansy? Was he in love with Gilbert Osmond’s wife, and if so what comfort did he expect to derive from it? If he was in love with Pansy he was not in love with her stepmother, and if he was in love with her stepmother he was not in love with Pansy. Was she to cultivate the advantage she possessed in order to make him commit himself to Pansy, knowing he would do so for her sake and not for the small  creature’s own — was this the service her husband had asked of her? 

 

" Isabel n’avait rien répondu parce que son mari venait de résumer la situation, et qu’elle réfléchissait à ce qu’il avait dit. Elle distinguait, dans ces paroles, un accent qui éveillait tout à coup en elle des vibrations profondes, et lui faisait redouter le son de sa propre voix. Après qu’Osmond fut parti, elle se renversa dans son fauteuil en fermant les yeux, et pendant longtemps, bien avant dans la nuit, et plus avant encore, elle resta dans le salon muet, plongée dans sa méditation. 

Un domestique vint arranger le feu ; elle lui demanda d’apporter des bougies neuves et d’aller se coucher. Osmond la priait de penser à ce qu’il avait dit, et elle y pensa de toutes ses forces, en même temps qu’à bien d’autres choses. La suggestion, sortie d’une autre bouche, qu’elle exerçait une influence définie sur Lord Warburton, l’avait agitée de ce tressaillement qui accompagne les découvertes inattendues. Était-il vrai qu’il persistât entre eux une entente secrète, qui pût amener son ancien prétendant à faire sa déclaration à Pansy, un besoin d’approbation de la part de Warburton, un désir d’accomplir ce qui pouvait lui faire plaisir à elle ? Isabel ne s’était pas encore interrogée à ce sujet, faute de s’y sentir contrainte, mais maintenant que la question lui était nettement posée, elle découvrait la réponse, et la réponse l’épouvantait. Oui, il subsistait quelque chose, quelque chose du côté de Lord Warburton. Lors de son arrivée à Rome, elle s’était figuré que le lien qui les unissait était complètement rompu, puis peu à peu, elle avait senti qu’il conservait une existence palpable. Il était mince comme un cheveu, mais il y avait des moments où Isabel croyait l’entendre vibrer. Chez elle rien n’était changé ; ce qu’elle avait un jour pensé de lui, elle le pensait toujours ; il était inutile que ce sentiment fût altéré, et elle y trouvait même une sorte de réconfort nouveau. Mais lui ? Gardait-il toujours l’idée qu’elle pourrait devenir pour lui plus que d’autres femmes ? Voulait-il s’armer du souvenir des quelques moments d’intimité qu’ils avaient connus autrefois ? Isabel prenait bien conscience de certains symptômes d’une telle disposition. Mais quels étaient ses espoirs, ses prétentions, et de quelle étrange façon les mêlait-il à son goût évidemment très sincère pour la pauvre Pansy ? Était-il épris de la femme de Gilbert Osmond, et, en ce cas, quelle douceur espérait-il tirer d’un pareil sentiment ? S’il aimait Pansy, il ne pouvait pas aimer sa belle-mère, et s’il aimait la bellemère, il ne pouvait être amoureux de Pansy. Devait-elle se prévaloir des avantages qu’elle possédait, pour l’amener à se lier à Pansy, tout en sachant qu’il le ferait pour l’amour d’elle, et non pour l’amour de la jeune fille ? Était-ce là le service que son mari attendait d’elle ?

 

This at any rate was the duty with which she found herself confronted — from the moment she admitted to herself that her old friend had still an uneradicated predilection for her society. It was not an agreeable task; it was in fact a repulsive one. She asked herself with dismay whether Lord Warburton were pretending to be in love with Pansy in order to cultivate another satisfaction and what might be called other chances. Of this refinement of duplicity she presently acquitted him; she preferred to believe him in perfect good faith. But if his admiration for Pansy were a delusion this was scarcely better than its being an affectation. Isabel wandered among these ugly possibilities until she had completely lost her way; some of them, as she suddenly encountered them, seemed ugly enough. Then she broke out of the labyrinth, rubbing her eyes, and declared that her imagination surely did her little honour and that her husband’s did him even less. Lord Warburton was as disinterested as he need be, and she was no more to him than she need wish. She would rest upon this till the contrary should be proved; proved more effectually than by a cynical intimation of Osmond’s.

 

C’était, en tout cas, le devoir en face duquel elle se trouvait, du moment où elle s’avouait que son ancien admirateur gardait pour sa société une indéfectible prédilection. Ce n’était pas une tâche agréable, et l’idée même lui en était odieuse. Elle se demandait si Lord Warburton faisait seulement semblant d’être épris de Pansy, pour poursuivre une autre satisfaction, et courir ce que l’on aurait pu appeler d’autres chances ? Elle l’acquitta bientôt de ce raffinement de duplicité : elle préférait croire à sa parfaite bonne foi. Mais admettre

que son admiration pour Pansy fût une illusion, cela ne valait guère mieux que d’y voir un faux semblant. À force d’errer dans les détours de ces possibilités détestables, Isabel finit par y perdre complètement son chemin : certaines d’entre elles, lorsqu’elle les voyait face à face, semblaient odieuses. Puis s’arrachant au labyrinthe et se frottant les yeux, elle se dit que son imagination lui faisait sûrement peu d’honneur, et que celle de son mari lui en faisait encore moins. Lord Warburton était aussi désintéressé que l’honneur le lui commandait, et elle n’était pas plus pour lui qu’elle n’avait à le souhaiter. C’est sur cette certitude qu’elle s’appuierait jusqu’à preuve du contraire, jusqu’à ce qu’elle eût découvert une preuve plus probante qu’une cynique affirmation d’Osmond.

 

Such a resolution, however, brought her this evening but little peace, for her soul was haunted with terrors which crowded to the foreground of thought as quickly as a place was made for them. What had suddenly set them into livelier motion she hardly knew, unless it were the strange impression she had received in the afternoon of her husband’s being in more direct communication with Madame Merle than she suspected. That impression came back to her from time to time, and now she wondered it had never come before. Besides this, her short interview with Osmond half an hour ago was a striking example of his faculty for making everything wither that he touched, spoiling everything for her that he looked at. It was very well to undertake to give him a proof of loyalty; the real fact was that the knowledge of his expecting a thing raised a presumption against it. It was as if he had had the evil eye; as if his presence were a blight and his favour a misfortune. Was the fault in himself, or only in the deep mistrust she had conceived for him? This mistrust was now the clearest result of their short married life; a gulf had opened between them over which they looked at each other with eyes that were on either side a declaration of the deception suffered. It was a strange opposition, of the like of which she had never dreamed — an opposition in which the vital principle of the one was  a thing of contempt to the other. It was not her fault — she had practised no deception; she had only admired and believed. 

 

Mais, ce soir-là, cette résolution ne lui apporta qu’un apaisement médiocre, car son âme était assaillie par des terreurs qui se  précipitaient au premier plan de ses pensées, dès qu’elles y découvraient une place libre. Ce qui les avait ainsi mises en mouvement, elle n’eût pas trop su le dire, à moins que ce ne fût l’étrange surprise qu’elle avait éprouvée cet après-midi-là, en découvrant que son mari était avec Madame Merle en communication plus étroite qu’elle ne le soupçonnait. Cette impression lui revenait de temps à autre, et elle s’étonnait maintenant de n’en avoir jamais été frappée. En outre, son entretien récent et bref fournissait un exemple frappant de la faculté d’Osmond de dessécher tout ce qu’il regardait. Il était très joli pour Isabel de tenter de lui donner une preuve de loyauté : mais, à la vérité, le simple fait qu’il espérait une chose suffisait à l’entacher de suspicion. On aurait pu croire qu’il avait le mauvais œil, que sa présence était une flétrissure et sa faveur une infortune. La faute en était-elle à lui, ou fallait-il en accuser la profonde méfiance que sa femme avait conçue de sa personne ? Cette méfiance était le fruit le plus clair de leur brève vie conjugale ; entre eux s’était ouvert un abîme, par-dessus lequel ils se regardaient avec des yeux où s’affirmait de part et d’autre la déception qu’ils avaient subie. C’était un antagonisme étrange, dont Isabel n’aurait jamais rêvé, un antagonisme dans lequel le principe vital d’un des adversaires était pour l’autre objet de mépris. Ce n’était pas la faute d’Isabel ; elle n’avait pas usé de tromperie ; elle s’était contentée d’admirer et de croire. 

 

She had taken all the first steps in the purest confidence, and then she had suddenly found the infinite vista of a multiplied life to be a dark, narrow alley with a dead wall at the end. Instead of leading to the high places of happiness, from which the world would seem to lie below one, so that one could look down with a sense of exaltation and advantage, and judge and choose and pity, it led rather downward and earthward, into realms of restriction and depression where the sound of other lives, easier and freer, was heard as from above, and where it served to deepen the feeling of failure. It was her deep distrust of her husband — this was what darkened the world. That is a sentiment easily indicated, but not so easily explained, and so composite in its character that much time and still more suffering had been needed to bring it to its actual perfection. Suffering, with Isabel, was an active condition; it was not a chill, a stupor, a despair; it was a passion of thought, of speculation, of response to every pressure. She flattered herself that she had kept her failing faith to herself, however, — that no one suspected it but Osmond. Oh, he knew it, and there were times when she thought he enjoyed it. It had come gradually — it was not till the first year of their life together, so admirably intimate at first, had closed that she had taken the alarm. Then the shadows had begun to gather; it was as if Osmond deliberately, almost malignantly, had put the lights out one by one. The dusk at first was vague and thin, and she could still see her way in it. 

 

Ses premiers pas, elle les avait faits avec la plus parfaite confiance, jusqu’à l’heure où elle s’était soudain aperçue que la perspective infinie d’une vie multipliée n’était qu’une allée étroite et sombre, avec un mur nu au bout. Au lieu de monter vers les hautes sphères du bonheur, d’où l’on aurait le monde sous les yeux et d’où l’on pourrait regarder avec un sentiment d’exaltation et de supériorité, d’où l’on pourrait juger, choisir et s’apitoyer, elle s’enfonçait plutôt sous la terre, dans des royaumes de restriction et de tristesse, où semblait descendre de très haut le bruit d’existences plus faciles et plus libres, qui ne servait qu’à accentuer un sentiment de vie manquée. C’était la méfiance profonde qu’elle avait conçue de son mari qui assombrissait le monde. Sentiment facile à indiquer, mais moins facile à expliquer, et de caractère si complexe, qu’il avait fallu beaucoup de temps et plus encore de souffrance pour l’amener à son état de perfection actuelle. La souffrance, chez Isabel, constituait un état actif : ce n’était pas une stupeur, un désespoir, un refroidissement de la vie ; c’était une passion de pensée, de raisonnement, de réponses à toutes les excitations. Pourtant elle se flattait d’avoir gardé pour elle le secret de sa foi chancelante, et de ne l’avoir laissé deviner qu’à Osmond. Lui ne l’ignorait point, et il y avait des moments où Isabel pensait qu’il s’en amusait. La chose était venue petit à petit ; ce n’est qu’à la fin de leur première année commune, si délicieusement intime d’abord, qu’Isabel s’était inquiétée. 

 

But it steadily deepened, and if now and again it had occasionally lifted there were certain corners of her prospect that were impenetrably black. These shadows were not an emanation from her own mind: she was very sure of that; she had done her best to be just and temperate, to see only the truth. They were a part, they were a kind of creation and consequence, of her husband’s very presence. 

They were not his misdeeds, his turpitudes; she accused him of nothing — that is but of one thing, which was NOT a crime. She knew of no wrong he had done; he was not violent, he was not cruel: she simply believed he hated her. That was all she accused him of, and the miserable part of it was precisely that it was not a crime, for against a crime she might have found redress. He had discovered that she was so different, that she was not what he had believed she would prove to be. He had thought at first he could change her, and she had done her best to be what he would like. But she was, after all, herself — she couldn’t help that; and now there was no use  pretending, wearing a mask or a dress, for he knew her and had made up his mind. She was not afraid of him; she had no apprehension he would hurt her; for the ill-will he bore her was not of that sort. He would if possible never give her a pretext, never put himself in the wrong. Isabel, scanning the future with dry, fixed eyes, saw that he would have the better of her there. She would give him many pretexts, she would often put herself in the wrong. 

 

Puis l’ombre s’était épaissie, comme si Osmond avait, de propos délibéré, et presque malignement, éteint les lumières une à une. L’obscurité, d’abord, avait été peu marquée, et l’on y pouvait encore voir sa route. Puis elle s’était rapidement épaissie, et si elle se levait de temps à autre, certains coins de la scène restaient impénétrablement sombres. Ces ombres n’étaient pas des émanations de l’esprit d’Isabel, elle en était parfaitement certaine ; elle avait fait son possible pour être juste et raisonnable, pour ne voir que la vérité. Elles étaient une part, une sorte de sécrétion et de conséquence, de la présence même de son mari. Ce n’étaient ni des vilenies ni des turpitudes ; elle ne portait contre lui aucune accusation, sauf d’une action qui n’était pas un crime. Elle ne connaissait pas de méfait à lui reprocher ; il n’était ni violent, ni cruel ; elle croyait seulement sentir qu’il la haïssait. Voilà tout ce dont elle l’accusait, et la misère de la chose, c’était précisément de n’avoir pas affaire à un crime, car contre un crime elle eût pu trouver un recours. Il s’était aperçu qu’elle était absolument différente, qu’elle n’était en rien ce qu’il attendait d’elle. Il avait d’abord espéré pouvoir la changer, et elle avait fait de son mieux pour devenir telle qu’il la souhaitait. Mais elle était après tout elle-même, sans y pouvoir rien, et maintenant elle n’avait plus que faire de faux semblants, de robes ou de masques, car il la connaissait, et avait pris sa résolution. Elle n’avait pas peur de lui ; elle ne redoutait pas de blessures de sa part, car la rancune qu’il lui portait n’était pas de cette espèce-là. Il ferait tout ce qu’il pourrait pour ne jamais fournir de prétexte à sa femme, pour ne jamais se mettre dans son tort. Isabel, qui fixait sur l’avenir des yeux secs et dilatés, voyait bien qu’en cela il l’emporterait sur elle. Elle lui fournirait de nombreux prétextes ; elle se mettrait bien des fois dans son tort.

 

There were times when she almost pitied him; for if she had not deceived him in intention she understood how completely she must have done so in fact. She had effaced herself when he first knew her; she had made herself small, pretending there was less of her than there really was. It was because she had been under the extraordinary charm that he, on his side, had taken pains to put forth. He was not changed; he had not disguised himself, during the year of his courtship, any more than she. But she had seen only half his nature then, as one saw the disk of the moon when it was partly masked by the shadow of the earth. She saw the full moon now — she saw the whole man. She had kept still, as it were, so that he should have a free field, and yet in spite of this she had mistaken a part for the whole.

 

Venaient des heures où elle s’apitoyait presque sur son compte ; car si elle ne l’avait pas volontairement déçu, elle comprenait avec quelle  plénitude en définitive elle l’avait fait. Elle s’était effacée lors de leurs premières rencontres ; elle s’était faite toute petite, comme pour laisser croire qu’elle avait moins d’importance qu’en réalité. C’est parce qu’elle s’était abandonnée à un charme extraordinaire, qu’Osmond, de son côté, avait pris la peine de se mettre en avant. Il n’avait pas changé ; il ne s’était pas déguisé plus qu’elle, pendant l’année de leurs accordailles. Mais elle ne voyait que la moitié de sa nature, comme on voit le disque de la lune, quand il est en partie masqué par l’ombre de la terre. Elle voyait la pleine lune maintenant ; elle voyait l’homme tout entier. Elle était restée pour ainsi dire à l’écart, pour lui laisser le champ libre, mais cette discrétion ne l’avait pas empêchée de prendre une partie pour le tout.

 

Ah, she had been immensely under the charm! It had not passed away; it was there still: she still knew perfectly what it was that made Osmond delightful when he chose to be. He had wished to be when he made love to her, and as she had wished to be charmed it was not wonderful he had succeeded. He had succeeded because he had been sincere; it never occurred to her now to deny him that. He admired her — he had told her why: because she was the most imaginative woman he had known. It might very well have been true; for during those months she had imagined a world of things that had no substance. She had had a more wondrous vision of him, fed through charmed senses and oh such a stirred fancy! — she had not read him right. A certain combination of features had touched her, and in them she had seen the most striking of figures. That he was poor and lonely and yet that somehow he was noble — that was what had interested her and seemed to give her her opportunity. There had been an indefinable beauty about him — in his situation, in his mind, in his face. She had felt at the same time that he was helpless and ineffectual, but the feeling had taken the form of a tenderness which was the very flower of respect. He was like a sceptical voyager strolling on the beach while he waited for the tide, looking seaward yet not putting to sea. It was in all this she had found her occasion. She would launch his boat for him; she would be his providence;  it would be a good thing to love him. And she had loved him, she had so anxiously and yet so ardently given herself — a good deal for what she found in him, but a good deal also for what she brought him and what might enrich the gift. As she looked back at the passion of those full weeks she perceived in it a kind of maternal strain — the happiness of a woman who felt that she was a contributor, that she came with charged hands. But for her money, as she saw to-day, she would never have done it. And then her mind wandered off to poor Mr. Touchett, sleeping under English turf, the beneficent author of infinite woe! For this was the fantastic fact. At bottom her money had been a burden, had been on her mind, which was filled with the desire to transfer the weight of it to some other conscience, to some more prepared receptacle. What would lighten her own conscience more effectually than to make it over to the man with the best taste in the world? ...

 

Ah ! elle s’était sentie puissamment sous le charme. Et le charme n’avait pas perdu son pouvoir, il opérait encore ; elle savait parfaitement ce qui rendait Osmond exquis quand il le voulait. Il avait voulu l’être, lorsqu’il lui faisait la cour, et comme elle demandait à être charmée, il n’y avait rien d’étonnant à ce qu’il y eût réussi. Il avait réussi parce qu’il était sincère ; Isabel n’aurait jamais songé à mettre en doute cette sincérité. Il l’admirait et ne lui cachait pas qu’elle était la femme la mieux douée d’imagination qu’il eût connue. Rien de plus plausible, car au cours de ces mois elle avait inventé un monde de choses sans substance. Elle s’était fait de lui une vision prodigieuse, nourrie par des sens enchantés et une imagination follement en éveil ; elle ne l’avait pas bien vu. Elle s’était laissé toucher par certaines combinaisons de traits, qui formaient par leur assemblage la plus frappante des figures. Qu’il fût pauvre et solitaire, et noble aussi par certains côtés, voilà ce qui l’intéressait et semblait lui fournir sa chance. Il y avait une indéfinissable beauté en lui, dans sa situation, dans son esprit, dans ses traits. Elle sentait du même coup qu’il était désarmé et impuissant, mais ce sentiment prenait la forme d’une tendresse qui était la fleur même du respect. 

Il la faisait songer à un voyageur sceptique errant sur le rivage dans l’attente de la marée, regardant la haute mer, et ne se décidant pas à embarquer. C’était là que gisait pour elle l’occasion. Elle lancerait le bateau pour lui ; elle serait sa providence ; ce serait une bonne chose de l’aimer. Et elle l’avait aimé, elle s’était anxieusement et ardemment donnée, beaucoup au nom de ce qu’elle trouvait en lui, mais beaucoup aussi pour ce qu’elle lui apportait et qui pourrait enrichir le don. En considérant la passion de ces semaines débordantes, elle y voyait une sorte de trait maternel, le bonheur de la femme qui se sentait bienfaisante, qui arrivait avec des mains pleines. Sans son argent, elle s’en rendait compte aujourd’hui, il n’eût jamais envisagé ce mariage. Et ses pensées allaient alors au pauvre Mr Touchett, qui dormait sous la terre anglaise, au bienveillant auteur d’un infini de peine. Car tel était le fait prodigieux. Au fond, son argent avait été un fardeau pour elle, ..."

 

Une adaptation cinématographique de "The Portrait of a Lady" fut réalisée par  Jane Campion en 1996, avec  Nicole Kidman, Barbara Hershey, John Malkovich, Mary-Louise Parker, et Martin Donovan...


Washington Square (1881) 

"DURING a portion of the first half of the present century, and more particularly during the latter part of it, there flourished and practised in the city of New York a physician who enjoyed perhaps an exceptional share of the consideration which, in the United States, has always been bestowed upon distinguished members of the medical profession.  This profession in America has constantly been held in honour, and more successfully than elsewhere has put forward a claim to the epithet of “liberal.”  In a country in which, to play a social part, you must either earn your income or make believe that you earn it, the healing art has appeared in a high degree to combine two recognised sources of credit..."

 

Le docteur Sloper, médecin célèbre et riche, est resté veuf alors qu'il est encore entre deux âges ; il vit avec sa fille, insignifiante, peu à même de le consoler de la mort de sa femme, et son fils. Dans un esprit de charité qui ne lui est pas coutumier, il fait venir près de lui une de ses sœurs, veuve assez peu intelligente, dont la compagnie ne saurait contribuer à accroître les facultés intellectuelles de sa fille Catherine. Celle-ci. ayant atteint l`âge de vingt ans, fait la connaissance d`un jeune homme, beau et ruiné, Morris Townsend, qui lui fait la cour. Le docteur, qui sait sa fille trop insignifiante pour inspirer une véritable passion, suspecte les intentions du jeune homme, se doutant bien qu'il recherche la grosse dot. C`est pourquoi le docteur s'arrange pour que le prétendant n'ignore pas que Catherine en se mariant n`aura que la maigre fortune héritée de sa mère. Cette certitude refroidit quelque peu l`amour de Morris. Le docteur emmène alors sa fille en Europe non tellement pour qu'elle oublie cet amour, mais pour que le jeune homme pendant ce temps la délaisse. Mais, plus Morris tente de se détacher d`eIle. et plus la jeune fille, follement amoureuse, tente de se lier à lui. Seule une lettre d'adieu sans ambiguïté du jeune homme met un point final à cette intrigue. Cependant les années passent. Le docteur Sloper meurt. et Catherine, devenue une vieille coquette, vit encore avec sa tante à Washington Square, quand, devenu chauve et obèse, le bel amoureux d`autrefois revient à l`assaut. La tante trouve cela très romantique; mais Catherine, à qui les longues années d`amertume ont donné un esprit qu`on n`attendait pas d`elle, met à la porte poliment son ancien soupirant. Bref, roman ou longue nouvelle, ce récit est conduit d'une manière agile et ironique (Trad. Denoël, 1953).

"Il y avait à New-York vers le milieu du siècle dernier un médecin du nom de Sloper qui avait su se faire une situation exceptionnelle dans la haute société. Les médecins de qualité ont toujours joui d’une grande considération en Amérique, et, là plus qu’ailleurs, cette profession a su conquérir le nom de « libérale ». Dans un pays où, pour faire figure dans le monde, il faut ou bien gagner de l’argent, ou avoir l’air d’en gagner, l’art d’Esculape semble avoir combiné le plus heureusement deux motifs de se faire estimer. Être médecin, c’est se servir de ses yeux, de ses mains, ce qui, aux États-Unis, vous classe toujours parmi les honnêtes gens ; c’est aussi appartenir au domaine mystérieux de la science, mérite très apprécié dans une nation où l’amour du savoir n’a pas toujours trouvé de loisirs ni de facilités à sa mesure.

De l’avis général, le docteur Sloper était un grand médecin parce que son savoir égalait son savoir-faire. C’était ce que l’on pourrait appeler un savant, et cependant il ne soignait pas ses malades dans l’abstrait, si l’on peut dire, et leur donnait toujours des médicaments à prendre. Tout en étudiant chaque cas à fond, il n’infligeait pas à ses clients trop d’exposés théoriques, et, bien que d’une minutie parfois agaçante dans ses explications, il ne se contentait pas (comme font, paraît-il, certains médecins) de prescriptions verbales, mais laissait toujours en partant une ordonnance… d’ailleurs illisible. Il y avait d’autres médecins qui rédigeaient une ordonnance sans avoir auparavant rien expliqué ; mais loin de procéder ainsi, il laissait cette manière de faire aux petits miteux de la profession.

On aura compris que je parlais d’un homme intelligent ; il ne faut pas chercher ailleurs les raisons de la grande renommée qu’avait acquise le docteur Sloper. À l’époque où il allait devenir le personnage central de notre récit, il avait atteint la cinquantaine et sa popularité était à son apogée. Il avait beaucoup d’esprit et il était considéré dans la meilleure société de New-York comme un homme du monde – ce qu’il était en fait, sans aucun doute. Je me hâte d’ajouter, afin qu’il n’y ait pas là-dessus d’équivoque, que ce n’était pas le moins du monde un charlatan. C’était le plus honnête des hommes, plus honnête peut-être que la vie ne lui avait jamais donné l’occasion de le prouver ; et même si on laisse de côté le bel enthousiasme de son cercle de clients, qui se vantaient à tout propos d’avoir le médecin le plus « merveilleux » d’Amérique, il se montrait en tous points digne de l’idée que l’on se faisait de ses talents. C’était un observateur, un philosophe même, et il lui était si naturel d’être un grand médecin (ou plutôt facile, comme disait la voix populaire), qu’il ne cherchait jamais à se faire valoir, et dédaignait les petits trucs professionnels aussi bien que les airs imposants qui sont l’apanage des médiocres.

Il faut reconnaître qu’il avait été favorisé par la fortune, et que le succès lui avait été spécialement aisé. Il avait fait à vingt-sept ans un mariage d’amour avec la très charmante Miss Harrington, de New-York, qui, en plus de tous ses charmes, avait une très belle dot. Mrs. Sloper était aimable, gracieuse, cultivée, élégante, et avait été en 1820 l’une des plus jolies héritières de cette capitale peu étendue, mais en pleine croissance, qui avait pour centre la Battery, entre les deux rives de la Bay, et dont la limite au nord se perdait alors dans les chemins herbeux de Canal Street. À peine âgé de vingt-sept ans, Austin Sloper était déjà en assez bonne posture pour rendre moins surprenant le choix qu’avait fait de sa personne, parmi une bonne douzaine de soupirants, une jeune fille de la haute société qui avait dix mille dollars de rente et les yeux les plus ravissants de tout Manhattan. Ces yeux, et bien d’autres merveilles encore, firent du jeune médecin, qui était aussi amoureux qu’aimé, un homme vraiment comblé. Son bonheur dura environ cinq ans. Son mariage avec une femme riche ne l’avait pas écarté d’un pouce de la voie qu’il s’était tracée, et il se donnait à son métier aussi totalement que s’il n’avait encore d’autre fortune personnelle que le modeste héritage qu’il avait partagé avec ses frères et sœurs à la mort de son père.

Et ce n’était pas tellement le désir de s’enrichir qui le poussait que la passion d’apprendre encore et de travailler. Apprendre des choses intéressantes et travailler à des choses utiles – tel était en deux mots le programme qu’il s’était fixé et qui ne lui paraissait pas devoir comporter le moindre changement du fait que sa femme se trouvait être riche. Il aimait son métier et se plaisait à déployer une maîtrise dont il se sentait fier ; et tout en lui prouvait si clairement qu’il était né pour être médecin, qu’il prétendait rester médecin quoi qu’il advienne, et exercer la médecine de la meilleure façon possible. Évidemment, l’aisance de sa vie domestique lui épargnait les côtés les plus déplaisants de sa profession, et les relations qu’avait sa femme parmi les « gens huppés » faisaient qu’il recevait dans son cabinet un bon nombre de malades dont les symptômes, pour n’être pas plus intéressants en eux-mêmes que ceux des classes populaires, se révèlent du moins avec plus de netteté. Il souhaitait enrichir son expérience, et en l’espace de vingt années, il apprit en effet une infinité de choses. Il est juste de dire qu’il acquit une partie de cette expérience dans des conditions telles qu’il eût préféré mille fois s’en passer, quelque enseignement qu’il y puisât. Son premier enfant avait été un petit garçon admirablement doué, de l’aveu même du docteur à qui l’on ne pouvait jamais reprocher d’excès d’enthousiasme ; il l’avait perdu à l’âge de trois ans, malgré tout ce que l’amour de sa mère et la science de son père avaient pu inventer pour le sauver. Deux ans plus tard, Mrs. Sloper avait donné le jour à un autre enfant – enfant d’un sexe qui faisait de la pauvre créature une piètre compensation pour la perte du premier-né tant regretté et dont le père s’était juré de faire un homme accompli.

La petite fille qui naquit fut donc une déception ; mais le pire était encore à venir. Une semaine après la naissance de l’enfant, la jeune mère qui, suivant la formule consacrée, se portait bien, se trouva soudain prise de graves malaises, et, avant qu’une deuxième semaine se fût écoulée, Austin Sloper se trouvait veuf. Pour un homme dont la profession est d’empêcher les gens de mourir, il n’avait vraiment pas trop bien réussi ; un docteur de talent qui perd en l’espace de trois ans sa femme et son fils pourrait craindre que l’on mît en doute ses capacités professionnelles aussi bien que son amour. Notre ami, cependant, échappa aux critiques ; entendons-nous : il échappa aux critiques du monde extérieur. Car pour ce qui était de lui, il se fit les reproches les plus sanglants qu’un homme peut se faire. Il dut subir jusqu’à la fin de sa vie le joug de cette censure intime et garda toujours les marques de la correction que la main la plus dure qu’il connût lui avait administrée pendant la nuit qui suivit la mort de sa femme.

Le monde qui, je l’ai dit, avait de l’amitié pour lui, le plaignait trop pour faire de l’ironie ; son malheur le rendit plus intéressant encore, et acheva de faire de lui l’homme à la mode. Les gens se dirent qu’après tout les familles des médecins ne peuvent échapper aux formes les plus malignes des maladies, et que le docteur avait vu mourir d’autres malades que ceux dont nous venons de parler, ce qui créait un précédent honorable. Il lui restait sa petite fille, et, bien qu’elle ne fût pas ce qu’il avait désiré, il résolut de l’élever aussi parfaitement que possible. Il avait en réserve beaucoup d’autorité inemployée dont la petite fille bénéficia largement pendant ses premières années. On lui avait donné, naturellement, le nom de sa pauvre mère, et même lorsqu’elle n’était encore qu’un tout petit bébé au maillot, le docteur ne l’appela jamais autrement que Catherine. En grandissant, elle s’affirma de nature saine et robuste, et son père se disait, en la regardant, qu’avec cette mine-là, il ne courait pas le moindre risque de la perdre. J’ai dit : « avec cette mine-là », parce que, à la vérité… Mais ce n’est pas de cela que je veux parler pour le moment...." 


Les Bostoniennes  (The Bostonians, 1886)

"OLIVE will come down in about ten minutes; she told me to tell you that. About ten; that is exactly like Olive. Neither five nor fifteen, and yet not ten exactly, but either nine or eleven. She didn't tell me to say she was glad to see you, because she doesn't know whether she is or not, and she wouldn't for the world expose herself to telling a fib. She is very honest, is Olive Chancellor; she is full of rectitude. Nobody tells fibs in Boston; I don't know what to make of them all. Well, I am very glad to see you, at any rate."  -  These words were spoken with much volubility by a fair, plump, smiling woman who entered a narrow drawing-room in which a visitor, kept waiting for a few moments, was already absorbed in a book. The gentleman had not even needed to sit down to become interested: apparently he had taken up the volume from a table as soon as he came in, and, standing there, after a single glance round the apartment, had lost himself in its pages. He threw it down at the approach of Mrs. Luna, laughed, shook hands with her, and said in answer to her last remark, "You imply that you do tell fibs. Perhaps that is one...."

 

Boston, à la fin du 19e siècle, la plus européenne des villes américaines, dans les milieux bourgeois cultivés et progressistes. "LES BOSTONIENNES" semble avoir le caractère d'une polémique contre le vote des femmes dont l'auteur retrace, d'une plume alerte et légèrement ironique, les multiples vicissitudes. Mais, bien que d'esprit conservateur, il revêt un sens plus profond, en tant qu'il sonde le cœur humain dans ses zones les plus obscures. Basil Ransom, un jeune et intelligent avocat du Sud, ruiné par la guerre, est venu s'établir à New York pour y exercer sa profession. Se trouvant à Boston pour affaires, il a l'idée de rendre visite à une cousine éloignée, Olive Chancellor, féministe engagée dont il a beaucoup entendu parler par sa sœur, Mrs, Luna, qui vit à New York. Bien qu'ennemie jurée de tout le sexe fort, Olive invite le jeune homme à déjeuner. Dans le feu de la conversation, tout en cherchant à le convertir à ses idées, elle mentionne une réunion de suffragettes qui doit avoir lieu ce jour-là, et propose au jeune avocat de l'y accompagner. Basil trouve la chose amusante et, pensant s`y instruire sur les gens de Boston, accepte l'offre de sa cousine. Mais la grande suffragette qui devait faire le discours ne vient pas et se trouve remplacée au pied levé par une fille aux cheveux rouges à laquelle son père, un peu sorcier, prétend avoir infusé un fluide magnétique capable de la rendre aussi éloquente qu”un orateur consommé. De fait, la jeune fille se surpasse, conquiert son auditoire et en particulier la fanatique Olive qui l'invite à venir chez elle. Basil, que cette curieuse personne intéresse, s'arrange pour venir voir sa cousine en même temps que la jeune fille dont le nom est Véréna Tarrant. Véréna ne perd rien à être vue de près, et les sentiments de Ransom à son égard deviendraient très vite assez tendres si son travail ne l'obligeait à regagner New York. De son côté, Olive, de plus en plus enthousiasmée par Vérèna en qui elle voit une prophétesse du suffrage féminin, persuade les parents de celle-ci de la laisser vivre avec elle, et, afin de la soustraire aux assiduités d'un jeune et riche étudiant de Harvard, elle l'emmène en Europe. Entretemps, Basil, qui est mis au courant de tous ces événements par Mrs. Luna, est pris d'un vif désir de revoir la jeune fille avant qu'elle ne parte. Une occasion de retourner à Boston se présente; il en profite et s'aperçoit, en revoyant Véréna, qu'il est vraiment amoureux d'elle. Alors commence la guerre entre Olive et Basil qui se disputent la jeune fille, Olive prétendant que sa mission est de libérer les femmes et Basil prétendant que l'unique mission de la femme est de se marier et d'avoir des enfants. La victoire reste à Ransom qui enlève Véréna juste au moment où elle allait prononcer un nouveau discours. - (Trad.Denoël, 1955).


The Figure in the Carpet (L'image dans le tapis, nouvelle 1896)

Un jeune écrivain (l`auteur supposé de la nouvelle) est tout étonné d'apprendre de la bouche du grand romancier Hugh Vereker que l'article qu'il a consacré à son dernier livre, article chaleureux et compréhensif, est passé à côté de l'essentíeI, comme l'ont toujours fait les critiques. En tête à tête, Vereker lui explique ensuite que son œuvre est basée sur une "petite trouvaille", un motif développé de livre en livre et qui lui paraît évident, mais qu'aucun critique n'a jamais vu ; il trouve d'ailleurs plaisant de ne pas le révéler. Piqué au vif, l`auteur reprend alors tous les livres de Vereker et, durant des semaines, va s'efforcer d'épuiser toutes leurs significations pour découvrir cette "image dans le tapis" que dissimule leur trame formelle ou spirituelle, mais il ne réussit qu'à épuiser la passion qu'il portait à l`œuvre de Vereker. Il confie son aventure à son ami Corvick, celui-là même qui lui avait commandé l'article, et Corvick se met en tête de trouver le secret, persuadé d'ailleurs qu`il en a déjà l'intuition. Corvick est l'ami d'une jeune romancière, Gwendolen Erme ; la quête du secret devient la base de leurs rapports, au fond l' "image dans le tapis" de leur propre union, l'auteur demeurant quant à lui le spectateur curieux du phénomène. Quelques mois plus tard, Corvick part faire un reportage aux Indes, et c'est de là qu'il câble un "Eureka" aussi définitif que mystérieux. Gwendolen et l`auteur communient dans la même attente. mais les lettres de Corvick demeurent évasives ; il a quitté les Indes pour l'ltalie où réside Vereker; il lui a soumis sa découverte et reçu son approbation. Obligé de se rendre en Allemagne avant le retour de Corvick, c'est à l'étranger que l'auteur apprend le mariage de Gwendolen et de Corvick, puis la mort accidentelle de ce dernier. Malgré leurs rapports amicaux, Gwendolen se refuse à lui confier le secret dont elle a hérité, et il devine que cette communion en exigerait peut-être une autre, le mariage, Gwendolen lui ayant déclaré que le secret est devenu "sa vie". Cependant le temps passe; Vereker meurt et Gwendolen épouse Drayton Deane, jeune critique brillant pour lequel l'auteur n'a pas grande considération mais dont il épie tous les articles dans l'espoir d'y voir passer quelque chose du secret dont il le croit à présent dépositaire. Un an après la mort de Gwendolen, il se décide enfin à interroger ce dépositaire pour en finir avec sa hantise du secret, mais Deane ne sait rien, n'a visiblement jamais rien su. C`est alors à son tour d'être hanté par cette "image dans le tapis" qu'il n'avait pas soupçonnée et qui devient son obsession. 

L`idée de cette nouvelle, qui est l'un des chefs-d'œuvre de James et dont le titre est devenu proverbial, apparaît dans les Carnets à la date du 24 octobre 1895 ; cette idée cristallisait la propre expérience de James, vingt ans de travail et autant de livres ne lui ayant valu que de vagues considérations banales de la part de la critique. Cependant, au lieu d'en faire le thème de quelque plainte poignante, James inverse la donnée; ce n'est pas l`écrivain de génie qui souffre de l'incompréhension dont il est l'objet, mais le critique qui désespère de saisir son secret. Ce drame ambigu est mené avec une science et une maîtrise incomparables qui utilisent l'oscillation perpétuelle entre le symbole et la mystification pour nous rendre sensible, comme en se jouant mais avec une intensité grandissante, la présence de cette "image" essentielle à toute œuvre.

 


Ce que savait Maisie (What Maisie Knew, 1897)

En 1897, Henry James n'avait pas encore écrit les grands romans de la fin de sa carrière (Les Ailes de la colombe, Les Ambassadeurs, La Coupe d'or), mais il était déjà I'auteur de "Roderíck Hudson" (1876), de "L'Américain", de "Daisy Miller", et de "Un portrait de femme". Dans "Ce que savait Maisie", nous voyons Henry James, qui fut toujours un romancier passionné de technique, adopter avec une rigueur absolue le principe de l' "unité du centre de vision". Tous les personnages, tous les événements nous sont rapportés tels qu'íls sont

vus et vécus par le même personnage, ici la petite Maisie. Le roman s`ouvre sur le procès en divorce où le tribunal, pratiquant une justice salomonique, accorde à chaque parent de garder la fillette six mois de l'année. Maisie va se trouver devenir ainsi la messagère, inconsciente d'abord, puis de plus en plus lucide, du dépit, de la haine que les deux divorcés nourrissent l'un pour l'autre. Elle va passer de gouvernante en gouvernante. L'une d'elles, miss Overmore, fort jolie, engagée par la mère, aura l'occasion, en ramenant Maisie à Beale Farange, le père, de faire la connaissance de celui-ci. Maisie, qui a servi de prétexte, servira ensuite de trait d'union entre miss Overmore et Beale Farange, lequel fera de la jolie  gouvernante sa maîtresse. De son côté, la mère de Maisie rencontrera le beau sir Claude, qu'elle finira par épouser. Cela permettra à miss Ovennore de se faire épouser par Beale Farange. Les parents de Maisie, chacun remarié de son côté, la situation de la petite fille va changer du tout au tout. Alors qu'auparavant elle était choyée par le père et la mère, anxieux chacun de supplanter l'autre dans l`âme de l`enfant, maintenant ils n'ont, au contraire, qu'un souci : se débarrasser sur l'autre de Maisie devenue, à mesure qu'elle grandit, un témoin de plus en plus lucide et gênant. Et Maisie serait très malheureuse si elle n'avait l'affection d'une vieille gouvernante, Mrs. Wix, qui a perdu une fillette à peu près de l'âge de Maisie et qui reporte sur celle-ci son affection maternelle frustrée. Toutefois, avec maintenant deux pères et deux mères, Maisie aura bien du mal à s'y retrouver. L`imbroglio sera complet le jour où sir Claude, le second mari de sa mère, tombera amoureux de l'ex-miss Overmore, la seconde femme de son père - lequel s'est fait enlever par une vieille comtesse fort laide et fort riche. Le roman s'achève sur une scène où miss Ovemiore essaye de convaincre Maisie de rester avec elle et sir Claude. Mais l'enfant s'en ira avec Mrs. Wix, le seul être dont elle sente qu'il tient vraiment à elle.

Le milieu social est celui de la bonne société anglaise, milieu qu'Henry James évoque et juge avec une ironie supérieure, bien qu'il ait choisi comme observateur et porte-parole une petite fille. Et cela constitue un autre tour de force technique. Quant à l'analyse des sentiments, elle est d'une minutie stupéfiante. La recréation d'une sensibilité enfantine est un des sommet de l'art de l'auteur ...

"The child was provided for, but the new arrangement was inevitably confounding to a young intelligence intensely aware that something had happened which must matter a good deal and looking anxiously out for the effects of so great a cause. It was to be the fate of this patient little girl to see much more than she at first understood, but also even at first to understand much more than any little girl, however patient, had perhaps ever understood before. Only a drummer-boy in a ballad or a story could have been so in the thick of the fight. She was taken into the confidence of passions on which she fixed just the stare she might have had for images bounding across the wall in the slide of a magic-lantern. Her little world was phantasmagoric--strange shadows dancing on a sheet. It was as if the whole performance had been given for her--a mite of a half-scared infant in a great dim theatre. She was in short introduced to life with a liberality in which the selfishness of others found its account, and there was nothing to avert the sacrifice but the modesty of her youth.

 

Her first term was with her father, who spared her only in not letting her have the wild letters addressed to her by her mother: he confined himself to holding them up at her and shaking them, while he showed his teeth, and then amusing her by the way he chucked them, across the room, bang into the fire. Even at that moment, however, she had a scared anticipation of fatigue, a guilty sense of not rising to the occasion, feeling the charm of the violence with which the stiff unopened envelopes, whose big monograms - Ida bristled with monograms - she would have liked to see, were made to whizz, like dangerous missiles, through the air. The greatest effect of the great cause was her own greater importance, chiefly revealed to her in the larger freedom with which she was handled, pulled hither and thither and kissed, and the proportionately greater niceness she was obliged to show.

 

Her features had somehow become prominent; they were so perpetually nipped by the gentlemen who came to see her father and the smoke of whose cigarettes went into her face. Some of these gentlemen made her strike matches and light their cigarettes; others, holding her on knees violently jolted, pinched the calves of her legs till she shrieked--her shriek was much admired--and reproached them with being toothpicks. The word stuck in her mind and contributed to her feeling from this time that she was deficient in something that would meet the general desire. She found out what it was: it was a congenital tendency to the production of a substance to which Moddle, her nurse, gave a short ugly name, a name painfully associated at dinner with the part of the joint that she didn't like.

 

She had left behind her the time when she had no desires to meet, none at least save Moddle's, who, in Kensington Gardens, was always on the bench when she came back to see if she had been playing too far. Moddle's desire was merely that she shouldn't do that, and she met it so easily that the only spots in that long brightness were the moments of her wondering what would become of her if, on her rushing back, there should be no Moddle on the bench. They still went to the Gardens, but there was a difference even there; she was impelled perpetually to look at the legs of other children and ask her nurse if THEY were toothpicks. Moddle was terribly truthful; she always said: "Oh my dear, you'll not find such another pair as your own." It seemed to have to do with something else that Moddle often said: "You feel the strain--that's where it is; and you'll feel it still worse, you know."

 

Thus from the first Maisie not only felt it, but knew she felt it. A part of it was the consequence of her father's telling her he felt it too, and telling Moddle, in her presence, that she must make a point of driving that home. She was familiar, at the age of six, with the fact that everything had been changed on her account, everything ordered to enable him to give himself up to her..."

 

"L'avenir de l'enfant était assuré, mais le nouvel arrangement était certes fait pour confondre toutes les notions dans une jeune intelligence intensément sensible au fait que quelque chose de très important s'était sans doute passé, et cherchant autour de soi avec anxiété les effets d'une si grande cause. Le destin de cette passive petite fille était de voir beaucoup plus de choses qu'elle n'en pouvait tout d'abord comprendre, mais aussi, et dès le début, de comprendre bien plus que toute autre petite fille, si passive qu'elle eût jamais l'occasion d'être, n'avait jamais compris avant elle. Seul un tambour dans une ballade ou dans un conte aurait pu se trouver ainsi au coeur de la mêlée. Elle était prise pour confidente par des passions sur lesquelles elle fixait le même regard ébahi qu'elle aurait pu avoir pour des images se poursuivant sur un mur à travers une lanterne magique. Son petit univers était une fantasmagorie : des ombres étranges dansant sur un drap. On eût dit que le spectacle se donnait pour elle : petite enfant de rien du tout un peu intimidée dans ce grand théâtre obscur. Bref, l'expérience de la vie lui était prodiguée avec une largesse à laquelle l'égoïsme des autres trouvait son compte, et seule l'innocence de sa jeunesse pouvait détourner le danger. 

Son premier semestre se passa chez son père, qui n'eut . d'autres ménagements envers elle que de l'empêcher de lire les furieuses lettres que lui adressait sa mère. Il se contentait de les brandir hors de sa portée en exhibant sa denture, l'amusant ensuite par la manière dont il il les lançait dans le feu à travers la chambre. Même à ce moment, d'ailleurs, elle éprouvait un craintif avant-goût de fatigue, un sentiment un peu coupable de n'être pas à la hauteur, tout en se laissant charmer par la violence avec laquelle les raides enveloppes non ouvertes, dont elle aurait aimé examiner de près les grands monogrammes (Ida était tout hérissée de monogrammes), se trouvaient bruyamment projetées en I'air comme de dangereux projectiles. Le plus grand effet de cette grande cause était son importance à elle devenue plus grande aussi, et que lui révélaient surtout les plus fortes libertés  prises avec sa personne tirée à hue et à dia, maniée, embrassée, et obligée de faire preuve d'une gentillesse proportionnellement accrue. Ses traits étaient devenus quelque peu proéminents, à force d'avoir été pris entre le pouce et l'index par des messieurs qui venaient voir son père, et lui soufflaient au visage la fumée de leurs cigares Quelques-uns de ces fumeurs la chargeaient d'enflammer pour eux une allumettes; d'autres, tenant l'enfant sur leurs genoux, et lui imprimant force secousses, lui pinçaient les mollets à la faire crier (on admirait beaucoup ce cri), et lui reprochaient d'avoir pour jambes des baguettes de tambour.  Le mot lui resta dans l'esprit, et contribua dès cette époque à la persuader qu'il lui manquait une qualité qui l'eût rendue agréable à tous. Elle découvrit de quelle qualité il s'agissait : c'était cette tendance congénitale à la production d'une substance à laquelle Moddle, sa bonne, donnait un vilain nom monosyllabique, péniblement associé pour Maisie au souvenir des morceaux gras qu'elle refusait de manger.

Maisie avait laissé loin derrière elle l'époque où elle n'avait à se rendre agréable à personne, sauf à cette même Moddle que la fillette trouvait toujours assise sur le même banc dans les jardins de Kensington, quand elle revenait pour s'informer si elle ne s'était pas trop éloignée au cours de ses jeux. Moddle n'avait qu'un désir :que Maisie ne s'éloignât pas trop, et ce désir était si facile à satisfaire que les seules ombres de ces longs beaux jours consistaient pour l'enfant à se demander ce qui adviendrait d'elle, si jamais, quand elle revenait en courant vers Moddle, il lui arrivait de ne plus la trouver assise sur le banc. Elles allaient encore aux jardins, mais même là il y avait une différence; Maisie ne pouvait s'empêcher de regarder sans cesse les autres enfants et de demander à sa bonne si ceux-là aussi avaient pour jambes des baguettes de tambour. Moddle était terriblement sincère : elle répondait : "Pour ça, ma chérie, vous n'en trouverez jamais de pareilles aux vôtres." Et cette phrase ne semblait pas sans rapports avec une autre que Moddle répétait souvent : "Vous vous en ressentez, voilà ce que c'est. Et vous vous en ressentirez encore plus, je vous dis."

Ainsi dès le début, Maisie non seulement ressentit ces choses, elle sut qu'elle les ressentait. En partie, ce fut le résultat des déclarations de son père lui affirmant qu'il s'en ressentait aussi, et disait à Moddle, en présence de l'enfant, qu'il comptait sur elle pour le faire savoir à qui de droit. Elle était familière, dès l'âge de six ans, avec l'idée que tout avait été modifié à cause d'elle, et que tout avait été mis en oeuvre pour permettre à son père de se dévouer à elle entièrement..."



Le tour d'écrou (The Turn of the Screw, 1898) 

""I remember the whole beginning as a succession of flights and drops, a little seesaw of the right throbs and the wrong. After rising, in town, to meet his appeal, I had at all events a couple of very bad days--found myself doubtful again, felt indeed sure I had made a mistake. In this state of mind I spent the long hours of bumping, swinging coach that carried me to the stopping place at which I was to be met by a vehicle from the house. This convenience, I was told, had been ordered, and I found, toward the close of the June afternoon, a commodious fly in waiting for me..."

 

"Le Tour d 'écrou" (1898) est souvent considérée comme la plus célèbre des nouvelles de Henry James - celle, en tout cas, qu`on trouve le plus souvent réimprimée séparément. Cette "histoire de fantômes" est lue, la veille de Noël, devant un groupe d`amis, par une personne possédant une relation écrite d`un témoin direct des faits qui vont être rapportés. Dans des circonstances quelque peu mystérieuses, on a confié deux enfants, Miles et Flora, à une gouvernante, qui acquiert bientôt la certitude que les esprits damnés d`un vieux domestique et de la gouvernante précédente persécutent les deux petits. Mais ceux-ci. par une sorte de connivence, gardent jalousement pour eux le secret, qu`ils croient ignoré de tous. Malgré tout, la gouvernante entreprend de libérer les deux enfants de l`influence maléfique et réussit à éloigner la petite fille de la maison. Mais le petit garçon, au moment où la vision qui le persécute est dominée par le courage sans défaillance de cette femme, meurt. Le titre de l'ouvrage provient de l'observation selon laquelle la présence d'un enfant dans une histoire de ce genre est un « tour de vis », c`est-à-dire un accroissement d'horreur. James va traiter ce sujet singulier avec une habileté sans faille. Les spectres n'assument pas plus de réalité qu'en peut avoir une hallucination, mais les personnes vivantes elles-mêmes participent de cette irréalité, comme si les spectres et ceux qui peuvent les voir étaient dotés d'une certaine affinité.

 

"... Je ne me rappelle tout ce commencement que comme une succession de hauts et de bas, un va-et-vient d’émotions diverses, tantôt bien naturelles et tantôt injustifiées. Après le sursaut d’énergie qui m’avait entraînée, en ville, à accepter sa demande, j’eus deux bien mauvais jours à passer ; tous mes doutes s’étaient réveillés, je me sentais sûre d’avoir pris le mauvais parti. Ce fut dans cet état d’esprit que je passai les longues heures du voyage dans une diligence cahotante et mal suspendue qui m’amena à la halte désignée. J’y devais rencontrer une voiture de la maison où je me rendais, et je trouvai, en effet, vers la fin d’un après-midi de juin, un coupé confortable qui m’attendait.

En traversant à une telle heure, par un jour radieux, un pays dont la souriante beauté semblait me souhaiter une amicale bienvenue, toute mon énergie me revint et, au tournant de l’avenue, m’inspira un optimisme ailé qui ne pouvait être que la réaction à un bien profond découragement. Je suppose que j’attendais, ou craignais, quelque chose de si lamentable que le spectacle qui m’accueillait était une exquise surprise. Je me rappelle l’excellente impression que me fit la grande façade claire, toutes fenêtres ouvertes, les deux servantes qui guettaient mon arrivée ; je me rappelle la pelouse et les fleurs éclatantes, le crissement des roues sur le gravier, les cimes des arbres qui se rejoignaient et au-dessus desquelles les corneilles décrivaient de grands cercles, en criant dans le ciel d’or. La grandeur de la scène m’impressionna.

C’était tout autre chose que la modeste demeure où j’avais vécu jusqu’ici. Une personne courtoise, tenant une petite fille par la main, apparut, sans tarder, à la porte ; elle me fit une révérence aussi cérémonieuse que si j’eusse été la maîtresse de la maison, ou un hôte de première importance. L’impression qui m’avait été donnée de l’endroit à Harley Street était beaucoup plus modeste : je me rappelle que le propriétaire m’en parut encore plus gentilhomme, et cela me fit penser que les agréments de la situation pourraient être supérieurs à ce qu’il m’avait laissé entendre. Je n’eus aucune déception jusqu’au jour suivant, car je passai des heures triomphantes à faire la connaissance de ma plus jeune élève. Cette petite fille, qui accompagnait Mrs. Grose, me frappa sur-le-champ comme une créature tellement exquise que c’était un véritable bonheur d’avoir à s’occuper d’elle.

Jamais je n’avais vu plus bel enfant, et, plus tard, je me demandai comment il se faisait que mon patron ne m’en eût pas parlé. Je dormis peu, cette première nuit : j’étais trop agitée, et cela me frappa, je m’en souviens, m’obséda, s’ajoutant à l’impression causée par la générosité de l’accueil qui m’était offert. Ma grande chambre imposante, – l’une des plus belles de la maison, – son grand lit, qui me paraissait un lit de parade, les lourdes tentures à ramages, les hautes glaces dans lesquelles, pour la première fois, je me voyais de la tête aux pieds, – tout me frappait (de même que l’étrange attrait de ma petite élève), comme étant un ordre de choses naturel ici.

Ce fut aussi, dès le premier jour, une chose toute naturelle que mes rapports avec Mrs. Grose : j’y avais réfléchi avec inquiétude pendant mon voyage en diligence. Le seul motif, qui, à première vue, aurait pu renouveler cette inquiétude, était sa joie anormale de mon arrivée. Dès la première demi-heure, je la sentis contente au point qu’elle se tenait positivement sur ses gardes – c’était une forte femme, simple, nette et saine – pour ne pas trop le montrer. Je m’étonnai même un peu, à ce moment, qu’elle préférât s’en cacher, et à la réflexion, évidemment, quelque soupçon aurait pu s’élever en moi à ce sujet et me causer du malaise. Mais c’était un réconfort de penser qu’aucun malaise ne pouvait surgir de cette vision béatifique qu’était l’image radieuse de ma petite fille, vision dont l’angélique beauté était, plus que tout le reste probablement, la cause de cette agitation qui, dès avant le jour, me fit me lever et marcher à travers ma chambre, avec le désir de me pénétrer davantage du décor et de la vue tout entière, de guetter, de ma fenêtre, l’aurore commençante d’un jour d’été, de découvrir les autres parties de la maison que ma vue ne pouvait embrasser, et, tandis que dans l’ombre finissante les oiseaux commençaient à s’appeler, entendre peut-être de nouveau certains sons moins naturels et venant, non du dehors, mais du dedans, et que je me figurais avoir entendu.

Un moment, j’avais cru reconnaître, faible et dans l’éloignement, un cri d’enfant ; à un autre, j’avais tressailli presque inconsciemment, comme au bruit d’un pas léger qui se serait fait entendre devant ma porte. Mais de telles imaginations n’étaient pas assez accusées pour n’être pas aisément repoussées, et ce n’est qu’à la lumière – ou plutôt à l’ombre – des événements postérieurs, qu’elles me reviennent à la mémoire. Surveiller, instruire, « former » la petite Flora, c’était là, à n’en pas douter, l’œuvre d’une vie heureuse et utile. Nous avions convenu, après le souper, qu’après la première nuit, elle coucherait, bien entendu, dans ma chambre, son petit lit blanc y étant déjà tout arrangé à cet effet. Je devais me charger d’elle complètement, et elle ne restait une dernière fois auprès de Mrs. Grose que par déférence pour mon dépaysement inévitable et sa timidité naturelle. En dépit de cette timidité, je me sentais sûre d’être vite aimée d’elle. Chose bizarre, l’enfant s’était expliquée franchement et bravement à ce sujet ; elle nous avait laissé, sans aucun signe de malaise, – avec véritablement la douce et profonde sécurité d’un ange de Raphaël, – en discuter, l’admettre et nous y soumettre. Une part de ma sympathie pour Mrs. Grose venait du plaisir que je lui voyais éprouver devant mon admiration et mon émerveillement, tandis que j’étais assise avec mon élève devant un souper de pain et de lait, éclairé de quatre hautes bougies, l’enfant en face de moi sur sa haute chaise, en tablier à bavette. En présence de Flora, naturellement, il y avait bien des choses que nous ne pouvions nous communiquer que par des regards joyeux et significatifs, ou des allusions indirectes et obscures ..." 


Les Ailes de la colombe (The Wings of Dove, 1902)

"She waited, Kate Croy, for her father to come in, but he kept her unconscionably, and there were moments at which she showed herself, in the glass over the mantel, a face positively pale with the irritation that had brought her to the point of going away without sight of him. It was at this point, however, that she remained; changing her place, moving from the shabby sofa to the armchair upholstered in a glazed cloth that gave at once--she had tried it--the sense of the slippery and of the sticky. She had looked at the sallow prints on the walls and at the lonely magazine, a year old, that combined, with a small lamp in coloured glass and a knitted white centre-piece wanting in freshness, to enhance the effect of the purplish cloth on the principal table; she had above all from time to time taken a brief stand on the small balcony to which the pair of long windows gave access. The vulgar little street, in this view, offered scant relief from the vulgar little room; its main office was to suggest to her that the narrow black house-fronts, adjusted to a standard that would have been low even for backs, constituted quite the publicity implied by such privacies. One felt them in the room exactly as one felt the room--the hundred like it or worse--in the street...."

 

Cette oeuvre est connue pour être sans doute le plus sombre des drames moraux de James, et tout l'intérèt du roman réside dans une analyse psychologique extrêmement poussée des motifs qui font agir les quelques personnages, sur un triangle amoureux passionné entre l'énigmatique Kate Croy, Merton Debsher, son fiancé secret, et Milly Theale, jeune héritière américaine condamnée par la maladie. Le désir désespéré de celle-ci de connaître "le sentiment d'avoir vécu" fait naître en Kate un mobile à la fois compatissant et intéressé ...

Une jolie Londonienne, Kate Croy, se voit obligée de se réfugier, à la suite d`une série de catastrophes familiales, auprès d'une tante fort riche, Maud Lowder, qui rêve pour sa nièce d'un brillant mariage et d'un bel avenir. Mais la jeune fille s`éprend d'un jeune journaliste,  Merton Densher, destiné par les circonstances et par son propre caractère à un avenir modeste. Les deux jeunes gens se fiancent secrètement et, pour ne pas éveiller les soupçons de sa tante, Kate fait semblant de se laisser courtiser par un richissime prétendant, lord Mark. Sur ces entrefaites, une vieille amie de collège de la tante, Suzan Stringham, arrive à Londres venant, elle aussi, d`Amérique à titre de dame de compagnie de Milly Theale, une jeune fille qui a hérité d'une fortune immense et qui se trouve orpheline. Milly est une créature d'élite, intelligente et sensible, consciente de porter en elle le germe de la maladie qui a tué ses parents. Elle est résolue à consacrer le peu de temps qu'elle doit passer sur terre à une œuvre de beauté, dont les autres, autant qu'elle-même. bénéficieront. Le hasard fait qu`elle connaissait Merton et qu'elle le retrouve auprès de Maud à laquelle la lie une profonde amitié. Sa sympathie pour le jeune homme est évidente : Kate pense à en tirer profit : que Merton épouse Milly (en feignant de l'aimer), ainsi il deviendra riche et. après la mort de sa femme, Kate pourra à son tour l'épouser. Bien qu`il hésite tout d'abord, Merton finit par suivre le conseil de la jeune fille et se laisse emmener par elle à Venise où Milly l'accueille dans un vieux palais. Mais aussitôt commence à naître en lui un sentiment complexe pour cette créature que Kate elle-même appelle la "colombe" et qui accepte son destin avec un courage admirable. Elle meurt, laissant sa fortune à Merton, bien qu'elle sache qu'il aime Kate en réalité. Alors, le jeune homme se sent moralement obligé de renoncer à cet héritage, sans vouloir cependant renoncer à Kate. (Trad. Robert Laffont, 1947).


"In the Cage" (Dans la cage, nouvelle, 1898)

La "Cage" est un petit bureau de poste annexé à une pharmacie-droguerie et séparé de celle-ci par une grille. Nous sommes dans le quartier le plus aristocratique de Londres, et l'oiseau dans la cage est une jeune employée, vive, romanesque et pleine de fantaisie, qui vit à travers les télégrammes plus ou moins mystérieux qui, chaque jour, lui passent par les mains, et la vie, qui lui paraît enchantée, des nobles et riches clients du bureau. Son attention finit par se concentrer sur une femme, la plus belle qu'elle ait jamais vue, et sur l'homme autour duquel tourne la vie de cette femme. Bientôt s'établit entre la jeune employée et le capitaine Everard une sorte d'accord tacite, qui donne à l'héroïne des frissons d'émotion intense et l'amène à faire un soir une promenade à la fois imprévue et inoubliable, dont son fiancé, quand elle lui en parle, a tort de ne pas se montrer jaloux. Cette jeune fille a une amie, Mme Jordan, une veuve, dont la profession, pour le moins originale, consiste à changer et renouveler les fleurs des "homes" des riches célibataires : intrusion précieuse et périlleuse, celle-là aussi, dans un monde brillant dont les confidences exaltent la bonne dame. L'intrigue, à travers mille péripéties sentimentales, s'achève par l'écroulement des espoirs que l'héroïne principale ainsi que Mme Jordan nourrissaient sans avoir osé se l'avouer à elles-mêmes. Le zèle de la jeune employée, accru par l'intérêt morbide qu'elle porte au héros de ses rêves, réussit à sauver celui-ci d'un imbroglio d'aventures assez obscures. Quoi qu'il en soit, l'heureuse issue de ses aventures n'est autre que son mariage avec la belle dame des télégrammes qui a pour conséquence sa disparition de la scène. De son côté, Mme Jordan finit par révéler à son amie qu'elle se marie. Qui épouse-t-elle? Lord Rye? Non; elle épouse Drake, l'ancien majordome de lord Rye. C'est la revanche de la jeune  romantique : un majordome, un serviteur! Mais Drake entre au service de la veuve de lord Bradeen, mort récemment, laquelle s'apprête à épouser en secondes noces le fameux capitaine Everard. Celui-ci, qui n`est pas riche mais couvert de dettes, a été sauvé du déshonneur grâce au zèle de la jeune employée qui a permis à lady Bradeen de rentrer en possession d'un télégramme compromettant. 

Et l'histoire est se termine : l'héroïne doit quitter le quartier de Mayfair et servir désormais dans un bureau de banlieue dont M. Mudge, qui bientôt sera son mari, est le receveur principal. Mayfair n'a plus d'intérêt pour elle. Nous nous rendons compte à présent que la "cage" a aussi un sens métaphorique, c'est la classe sociale dans laquelle, malgré leurs incursions fantaisistes dans le monde de la noblesse et de l'argent, l'héroïne et Mme Jordan sont condamnées à vivre sans pouvoir s'en évader. 

Le charme de cette histoire, racontée du point de vue de son héroïne, consiste dans la légèreté de touche avec laquelle les différents fragments qui la composent se soudent, peu à peu, les uns aux autres pour former un tableau délicieusement imprécis dans ses lignes ...


Les Ambassadeurs (The Ambassadors, 1903)

Le roman est considéré comme la plus grande oeuvre de Henry James. "Avec le personnage de Lambert Stether, un cinquantenaire de la Nouvelle-Angleterre confronté aux charmes sociaux et esthétiques d'un Paris captivant, son style narratif à la première personne du singulier atteint la perfection. Strether, envoyé en Europe pour le compte de sa fiancée, Mrs Newsome, est chargé de mettre fin à la liaison de son fils, Chad, qu'elle considère comme dépravé par le relâchement moral européen. Mais à son arrivée, Strether découvre une aventure bien plus compliquée qui l'amène à réévaluer les cultures américaines et européennes."  

 

"Strether's first question, when he reached the hotel, was about his friend; yet on his learning that Waymarsh was apparently not to arrive till evening he was not wholly disconcerted. A telegram from him bespeaking a room "only if not noisy," reply paid, was produced for the enquirer at the office, so that the understanding they should meet at Chester rather than at Liverpool remained to that extent sound. The same secret principle, however, that had prompted Strether not absolutely to desire Waymarsh's presence at the dock, that had led him thus to postpone for a few hours his enjoyment of it, now operated to make him feel he could still wait without disappointment. They would dine together at the worst, and, with all respect to dear old Waymarsh--if not even, for that matter, to himself--there was little fear that in the sequel they shouldn't see enough of each other. The principle I have just mentioned as operating had been, with the most newly disembarked of the two men, wholly instinctive--the fruit of a sharp sense that, delightful as it would be to find himself looking, after so much separation, into his comrade's face, his business would be a trifle bungled should he simply arrange for this countenance to present itself to the nearing steamer as the first "note," of Europe. Mixed with everything was the apprehension, already, on Strether's part, that it would, at best, throughout, prove the note of Europe in quite a sufficient degree...."

 

"LES AMBASSADEURS" constitue le Livre indispensable à la connaissance de Henry James, il : vécut en Europe (à Paris,  d`abord, puis à Londres) les quarante dernières années de sa vie et se fit naturaliser anglais en 1915, il s'est senti, et dans une grande mesure "voulu", européen. Toute une partie de son œuvre de romancier et d`essayiste est une explication de l'Europe. "es Ambassadeurs" sont, à cet égard, son roman le plus important, celui où est exposé le plus clairement le conflit, intériorisé par l'auteur, entre deux civilisations ou, mieux sans doute, entre la civilisation et la barbarie. Pour James, écrira le critique américain Herbert Read, la civilisation c'est "la tradition ininterrompue de culture que l'Europe occidentale hérita du monde antique et, dans un sens plus restreint, la tradition de la Renaissance..." En même temps, l'Amérique, pour James, c'est, en opposition à l'Europe, le parti de l'innocence, le côté puritain, moralisant, bostonien. "Sous l'esthète déraciné nous retrouvons le puritain mystique de la Nouvelle-'Angleterre" (André Maurois). Tout le drame des Ambassadeurs est dans cette opposition.

Lambert Strether, quinquagénaire bostonien, est envoyé en Europe, à Paris, pour ramener dans son pays un jeune héritier bostonien, Chad Newsome, "séduit" par la capitale. Mais l'ambassadeur est conquis à son tour - par Paris, sa liberté. et la liberté de l'amour qui règne entre Chad et sa maîtresse française, Mme de Vionnet. La hiérarchie des valeurs sur laquelle vivait Strether bascule lentement. Il passe du côté de l`ennemi. Cela ne l'empêchera pas de regagner Boston. Mais il aura conquis le sens de la vie, de sa vie. Il saura que le rôle de "l'homme supérieur", vis-à-vis d'une grande civilisation, est d'en assumer librement les périls et les joies. (Trad. Robert Lalïont, 1950). `

 


La bête dans la jungle  (The Beast in the Jungle, 1903)

"What determined the speech that startled him in the course of their encounter scarcely matters, being probably but some words spoken by himself quite without intention--spoken as they lingered and slowly moved together after their renewal of acquaintance. He had been conveyed by friends an hour or two before to the house at which she was staying; the party of visitors at the other house, of whom he was one, and thanks to whom it was his theory, as always, that he was lost in the crowd, had been invited over to luncheon. There had been after luncheon much dispersal, all in the interest of the original motive, a view of Weatherend itself and the fine things, intrinsic features, pictures, heirlooms, treasures of all the arts, that made the place almost famous; and the great rooms were so numerous that guests could wander at their will, hang back from the principal group and in cases where they took such matters with the last seriousness give themselves up to mysterious appreciations and measurements...."

 

Sous ce titre métaphorique, Henry James devait composer, en 1903, un très singulier colloque sentimental qui est en même temps, l'une de ses nouvelles les plus abouties. Adaptée au théâtre par Marguerite Duras, elle illustre peut-être mieux que toute autre œuvre de Henry James la vaine recherche des âmes qui n`arrivent pas à se comprendre. 

 

Au hasard d'une rencontre dans une somptueuse demeure londonienne où rayonne la poésie de l'histoire, John Marcher éprouve soudain face à May Bartram, le sentiment de retrouver le fil d'une histoire dont il aurait manqué le début. Pour quel mystérieux accomplissement Marcher a-t-il si soigneusement préservé sa solitude ? Quel secret s'apprête à surgir de leurs entretiens ? La révélation viendra, tardive, tragique, irrémédiable.

John Marcher confie à May Bartram le pressentiment qui l'oppresse : un fait extraordinaire surgira un jour dans sa vie. Cette confidence lie les deux jeunes gens par une profonde et fidèle amitié. Marcher continue de vivre dans l'attente de l'événement, mais Miss Bartram se met à dépérir et s'achemine vers la mort. Un jour, elle crie ce qui la tue : un grand événement est arrivé mais Marcher ne s'en est pas aperçu. ll continue d`ailleurs à ne pas s'en apercevoir. Il comprend trop tard. un jour où il est allé s`incliner sur la tombe de son amie. C`est là que le destin lui porte le coup terrible qui lui était réservé : à cause de son égoïsme et de son incapacité d'aimer. il n'a pas compris le cri de celle qui est morte par sa faute. Alors devant lui sort la bête de la jungle, et il se jette sur la tombe pour tenter de la fuir....


La Coupe d'or (The Golden Bowl, 1904)

"The Prince had always liked his London, when it had come to him; he was one of the modern Romans who find by the Thames a more convincing image of the truth of the ancient state than any they have left by the Tiber. Brought up on the legend of the City to which the world paid tribute, he recognised in the present London much more than in contemporary Rome the real dimensions of such a case. If it was a question of an Imperium, he said to himself, and if one wished, as a Roman, to recover a little the sense of that, the place to do so was on London Bridge, or even, on a fine afternoon in May, at Hyde Park Corner. It was not indeed to either of those places that these grounds of his predilection, after all sufficiently vague, had, at the moment we are concerned with him, guided his steps; he had strayed, simply enough, into Bond Street, where his imagination, working at comparatively short range, caused him now and then to stop before a window in which objects massive and lumpish, in silver and gold, in the forms to which precious stones contribute, or in leather, steel, brass, applied to a hundred uses and abuses, were as tumbled together as if, in the insolence of the Empire, they had been the loot of far-off victories. The young man's movements, however, betrayed no consistency of attention--not even, for that matter, when one of his arrests had proceeded from possibilities in faces shaded, as they passed him on the pavement, by huge beribboned hats, or more delicately tinted still under the tense silk of parasols held at perverse angles in waiting victorias....."

 

C'est le dernier de la série des neuf grands romans de James et il contient toutes les principales caractéristiques de l'œuvre de cet auteur : sa vision artistique compliquée, ses analyses psychologiques extrêmement subtiles, riches en détours et en arabesques qui font pressentir Proust (sur qui James eut une influence certaine). Une riche jeune fille américaine, Maggie Verver, fille d'un collectionneur insignifiant qu'elle aime tendrement et qu'elle admire, épouse un prince romain, Amérigo, puis, préoccupée de la solitude de son père qui est veuf, l'encourage à épouser Charlotte Stant, une Américaine, dont elle ignore qu'elle avait été une amie du prince Amérigo devenu son mari. Malgré sa nouvelle vie, Maggie reste très liée avec son père, abandonnant le poids de la vie mondaine à Amérigo et à Charlotte. De ce fait, leur ancienne passion renaît de ses cendres. La situation est scabreuse et aurait pu se prêter à un développement intéressant quant au côté physique des relations des deux amants, si James, selon la théorie qu'il exprime dans deux de ses essais, - à propos des deux romanciers italiens D'Annunzio et Mathilde Serao -, n'y attachait qu'un intérêt secondaire. Après avoir passé un après-midi de violente passion avec Charlotte à Gloucester, Amérigo trouve en rentrant chez lui sa femme qui l'attend, merveilleusement vêtue et qui lui apprend qu'elle est au courant de ses relations avec Charlotte. L'antiquaire, chez lequel Amérigo et Charlotte avaient ensemble admiré une coupe d'or, l'a aidée à reconstruire la vérité. Elle reconnaît d'ailleurs qu'elle a eu tort de donner plus de son temps à son père qu'à son mari. Maintenant, elle est décidée à agir. Avec toute la sagesse qui est le propre de son caractère, elle réussit à rapprocher son père de Charlotte et les pousse à repartir ensemble pour l'Amérique. Le chagrin qu'elle ressent à se séparer de son père sera atténué par le fait qu'elle se rapprochera de son époux. 

Comme dans ses autres romans, James nous montre le caractère américain comme un caractère droit et sain, et qui sait réagir contre l'ambiance environnante. "La Coupe d'or" est le point culminant de l'art de James. Certes, le livre est truffé de réflexions et de maximes qui nuisent à l'action : chaque situation a un sens, chaque sentiment est analysé pour lui-même ... (Trad. Robert Laffont, 1954).