Le désir de couleur et les joies de l'existence... 

Le Fauvisme (1905-1907) Le fauvisme apparaît en France à la même période que l’expressionnisme en Allemagne. Mais si l’expressionnisme allemand se caractérise par une atmosphère tourmentée, parfois violente, la forme d’expressivité du fauvisme est tout autre. La dynamique de ce groupe est beaucoup plus positive et pleine de vitalité, et c'est avant tout un mouvement spontané et fervent, qui, de par son exaltation même, ne durera que le temps d'une flambée.. Le fauvisme naît avec "L'intérieur à Collioure" (1905) de Matisse, où sujet et composition sont métamorphosés en tâches colorées : la tache verte-bleue d'une robe sur la tache rose d'un drap. Le jeu des couleurs chez Matisse n'aura jamais la virulence de celles de Derain, mais ses Notes d'un Peintre révèlent une technique dont se réclame l'ensemble du fauvisme : "Si, sur une toile blanche, je dispose des sensations de bleu, de vert, de rouge, à. mesure que j'ajoute des touches, chacune de celles que j 'ai posées antérieurement perd de son importance. J'ai à peindre un intérieur; j'ai devant moi une armoire, elle me donne une sensation de rouge bien vivant, et je pose un rouge qui me satisfait. Un rapport s'établit entre ce rouge et le blanc de la toile. Que je pose à côté un vert, que je rende le parquet par un jaune, et il y aura encore, entre ce vert ou ce jaune et le blanc de la toile, des rapports qui me satisferont. Mais ces différents tons se diminuent mutuellement. Il faut que les signes divers que j'emploie soient équilibrés de telle sorte qu 'ils ne se détruisent pas les uns les autres. Pour cela, je dois mettre de l'ordre dans mes idées : la relation entre les tons s'établira de telle sorte qu 'elle les soutiendra au lieu de les abattre..." (Matisse, Notes d'un peintre, La Grande Revue, 1908).

Au Salon d'Automne. (1905) exposent  Matisse, Marquet, Camoin, Mauguin, qui viennent de l'atelier de Gustave Moreau, Friesz et Dufy, originaire du Havre, Derain et Maurice de Vlaminck (1876-1958), de Chatou, Kees van Dongen (1877-1968), de Montmartre, tous, rejetant perspective et valeurs de l'art classique, exaltent la couleur, une couleur qui atteint, à travers l'exaltation fauviste, aux limites supportables du paroxysme... 

A la même époque : Pierre Bonnard (1867-1947), et bien des peintres goûteront à cette liberté fauviste... 

 

The desire for colour and the joys of life... 

Fauvism (1905-1907)  - Fauvism appears in France at the same time as expressionism in Germany. But while German expressionism is characterized by a tormented, sometimes violent atmosphere, the form of expressiveness of Fauvism is quite different. The dynamic of this group is much more positive and full of vitality, and it is above all a spontaneous and fervent movement, which, by its very exaltation, will only last for the duration of an outbreak. Fauvism was born with Matisse's "L' intérieur à Collioure" (1905), in which subject and composition were transformed into coloured spots: the green-blue spot of a dress on the pink spot of a sheet. The play of colours in Matisse's paintings will never have the virulence of Derain's, but his Notes d' un Peintre reveals a technique claimed by the whole of Fauvism:"If, on a white canvas, I have sensations of blue, green, red, as I add touches, each of those I have previously posed become less important. I have to paint an interior; I have a wardrobe in front of me, it gives me a very lively red feeling, and I put a red one that satisfies me. A relationship is established between this red and the white of the canvas. That I lay next to a green, that I return the parquet floor by a yellow one, and there will still be, between this green or yellow and the white of the canvas, reports that will satisfy me. But these different tones diminish each other. The various signs I use must be balanced so that they do not destroy each other. To do this, I have to put order in my ideas: the relationship between the tones will be established in such a way that it will support them instead of destroying them" (Matisse, Notes d' un peintre, La Grande Revue, 1908).

El deseo de color y las alegrías de la vida....

Fauvismo (1905-1907)  - El fauvismo aparece en Francia al mismo tiempo que el expresionismo en Alemania. Pero mientras que el expresionismo alemán se caracteriza por una atmósfera atormentada, a veces violenta, la forma de expresividad del fauvismo es muy diferente. La dinámica de este grupo es mucho más positiva y llena de vitalidad, y sobre todo es un movimiento espontáneo y fervoroso, que, por su propia exaltación, sólo durará durante un brote. El fauvismo nace con "L' intérieur à Collioure" de Matisse (1905), en la que el tema y la composición se transforman en manchas de color: la mancha verde-azulada de un vestido sobre la mancha rosa de una sábana. El juego de colores en las pinturas de Matisse no tendrá nunca la virulencia de Derain' s, pero sus Notes d' un Peintre revelan una técnica reivindicada por el conjunto del fauvismo:"Si, sobre un lienzo blanco, tengo sensaciones de azul, verde, rojo, a medida que añado toques, cada uno de los que he planteado anteriormente se vuelve menos importante. Tengo que pintar un interior; tengo un armario delante de mí, me da una sensación de rojo muy vivo, y pongo uno rojo que me satisface. Se establece una relación entre este rojo y el blanco del lienzo. Que me acuesto junto a un verde, que devuelvo el suelo de parquet por un amarillo, y todavía habrá, entre este verde o amarillo y el blanco del lienzo, informes que me satisfarán. Pero estos diferentes tonos se disminuyen entre sí. Las diversas señales que utilizo deben ser equilibradas para que no se destruyan unas a otras. Para ello, tengo que poner orden en mis ideas: la relación entre los tonos se establecerá de tal manera que los sostenga en lugar de destruirlos" (Matisse, Notes d' un peintre, La Grande Revue, 1908).

 


Le Fauvisme, qui réunit pour quelques années quelques-uns des principaux peintres du XXe s., correspond plus à une phase commune de recherches, en quelque sorte scellée par le succès de scandale, qu'à un véritable mouvement esthétique doté d'un programme. Le Salon d'automne de 1905 consacre une peinture existant de fait depuis près de cinq ans, œuvre de jeunes artistes qui, souvent, ne se connaissaient pas. Cette peinture s'était affirmée par poussées successives, " d'abord discontinues, intermittentes, qui finalement convergent et s'embrasent en brève et somptueuse flambée " (J.Leymarie).

Si l'on veut définir ce qu'ont de commun et de nouveau les toiles fauves, on parvient à des données très simples : exaltation de la couleur pure, rejet de la perspective et des valeurs de l'art classique, rejet également de l'espace, de la lumière et du naturalisme impressionnistes. Pourtant, plus que d'une explosion spontanée, le Fauvisme naît au point de rencontre de trois traditions apparemment contradictoires du Post-Impressionnisme : Gauguin, le Néo-Impressionnisme et Van Gogh.

 

Au cours de son voyage à Tahiti, Gauguin découvre la splendeur des couleurs du pays. Cherchant lui aussi à exprimer l’éclatement et l’intensité de ces teintes et lumières magiques qu’il observe, il aboutit à une simplification du dessin.Vers la fin de sa vie, Gauguin aboutit à des peintures où la couleur prend indéniablement le pas sur le dessin et s’exprime avec une intensité et une virulence encore jamais observées. Les peintres fauves vont poursuivre cette voie ouverte et aller encore plus loin dans cette démarche. Le dessin tend alors à disparaître et laisse place à des taches colorées, surfaces posées en touches épaisses et larges de couleurs pures. Dès lors la forme se dessine directement par l'étendue colorée. C’est une expression sensuelle et spontanée.


Du "Café de nuit à Arles, 1888", de Vincent van Gogh à André Derain, "Effets de soleil sur l'eau, Londres, 1906" (L'Annonciade, musée de Saint-Tropez) ...

"Influencés par l'impressionnisme à leurs débuts, les Fauves sont animés du même désir de s'en démarquer. Ce mouvement encore dominant en 1900 paraît toutefois à bout de souffle, devenu entre les mains de ses nombreux épigones, la simple application d'un procédé. De cet embrasement de couleurs, de cet incendie qu'ont allume, les impressionnistes nous laissent éblouis, et cependant voit s'éteint le feu d'artifice, nous voici frappés de cécité. A l'instar des impressionnistes, les Fauves s'insurgent contre l'académisme et l'ordre établi, revendiquant l'indépendance de l'artiste. Tributaires de leur liberté d'expression et de leur palette claire aux couleurs vives, ils se refusent cependant à rendre la nature sous le signe de l'instable, à fixer des impressions fugitives. Prenant appui sur l'imagination et la mémoire, ils visent, selon les termes de Derain, ce qui au contraire des impressionnistes, a du "fixe", de l'éternel, du complexe. Et Matisse explique:  "Une traduction rapide du paysage ne donne de lui qu'un moment de sa durée. [...] ll ne m'est pas possible de copier servilement la nature, que je suis force d'interpréter et de soumettre à l'esprit du tableau." Ils voient en Van Gogh l'instaurateur de ce nouveau rapport de l'artiste à la nature et tous reconnaissent leur dette à son égard pour avoir anticipé la libération des couleurs. Van Gogh recommandait pour une meilleure expression de les employer "hardiment", "trop crues", même "arbitrairement" et préconisait "des endroits de toile pas couverts par-ci, par-là, des coins laissés totalement inachevés. des reprises, des brutalités". A propos de "Café de nuit à Arles", il écrit à Théo, le 8 septembre 1888 : "J'ai cherché à exprimer avec le rouge et le vert les terribles passions humaines. La salle est rouge sang et jaune sourd ; un billard vert au milieu, quatre lampes jaune citron à rayonnement orange et vert. C'est partout un combat et une antithèse des rouges et des verts les plus différents dans les personnages de voyous dormeurs petits dans la salle vide et triste, du violet et du bleu..." Les Fauves retiennent sa passion pour la couleur, la véhémence des tons et les contrastes heurtés mais ils n'attribuent aucune signification symbolique à la couleur comme pouvait le faire van Gogh, convaincu de son pouvoir suggestif.

"Il faut attaquer le dessin avec la couleur pour bien dessiner", Van Gogh à son frère Théo, Arles, septembre 1888 - Une première rétrospective de Van Gogh avait été organisée par Signac au Salon des Indépendants en 1891, l'année suivant la mort de l'artiste, mais c'est en mars 1901, à la galerie Bernheim-Jeune. que Vlaminck et Derain le découvrent. Vlaminck en sort "l'âme bouleversée", retrouvant chez lui certaines de ses aspirations "en même temps qu'un sens révolutionnaire, un sentiment presque religieux de l'interprétation de la nature". Derain. dans une lettre adressée à Vlaminck en 1902, se dit hanté par le souvenir de Van Gogh et à l'occasion de la rétrospective du Salon des lndépendants de 1905  précise : "Le fauvisme était dans l'air, dans les mœurs, l'exposition de Van Gogh l'avait authentifié". Marquet pourra par suite affirmer, "C'est du Hollandais que vient la plus forte impression". Octave Maus constate que les tableaux de Derain exposés aux Indépendants de 1906 paraissent avoir hérité du coloris exaspéré de Van Gogh ("Le Salon des Indépendants", L'Art moderne, 29 avril 1906). En effet, le souvenir des paysages exécutés à Saint-Rémy est sensible dans "Les Montagnes à Collioure", tandis que "La Raie verte" de Matisse évoque l' "Autoportrait à la pipe" de Van Gogh. Toutefois,  ce sont les toiles de Vlaminck, qui, à partir de la fin de 1905, accusent le plus nettement l'influence de Van Gogh par leur intensité, leurs dissonances, la touche divisée, posée en coups de pinceau très apparents (points, hachures, virgules) et leur violence expressive. Comme Van Gogh, Vlaminck peut étaler la couleur directement du tube sur la toile et dessiner au moyen du pinceau. Les artistes avant contribué, au XIXe siècle, à affranchir la peinture d'une tradition périmée ont, à la manière de Van Gogh. ouvert la voie au fauvisme. Parmi eux, Eugene Delacroix, considéré comme le créateur incontesté de l'expression par la couleur, retrouve une actualité, par la publication, de 1893 à 1895 de son Journal, jusqu'alors inédit et de l'ouvrage de Signac, "D'Eugène Delacroix ou néo-impressionnisme" en 1899.... (Cf. Le Fauvisme ou l'épreuve du feu, musée de Paris d'Art moderne, 2000).


 

Où rencontrer nos peintres fauves ? Where to meet our Fauvist painters?  ¿Dónde conocer a nuestros pintores Fauvist? 

- Braque "Paysage à l’Estaque", 1906, Art Institute of Chicago     

- Derain « Le Bassin de la Tamise à Londres », 1906, huile sur toile, Tate Gallery, Londres.

- Derain « La Femme en chemise », 1906, huile sur toile, Statens Museum for Kunst, Cologne

- Derain, Trois personnages assis dans l’herbe, 1906, Musée d’Art Moderne de la ville de Paris

- Derain « Le Port de Collioure », 1905, huile sur toile, Musée national d'art moderne, Centre Georges-Pompidou, Paris.

- Dufy « Les Affiches à Trouville », 1906, huile sur toile, Musée national d'art moderne, Centre Georges-Pompidou, Paris

- Dufy « La Dame en rose », 1908, huile sur toile, Musée national d'art moderne, Centre Georges-Pompidou, Paris

- Othon Friesz « La Ciotat », 1905, huile sur toile, Musée national d'art moderne, Centre Georges-Pompidou, Paris

- Manguin « 14 juillet à Saint-Tropez », 1905, huile sur toile, 61 × 50 cm, collection particulière

- Marquet « Le 14 juillet au Havre », 1906, huile sur toile, Musée de Bagnols-sur-Cèze

- Matisse, Luxe, calme et volupté, 1904-1905,  Paris, Musée d’Orsay

- Matisse « La Femme au chapeau », 1905, huile sur toile,  Museum of Modern Art, San Francisco

- Matisse « Madame Matisse à la raie verte », 1905, huile sur toile, Statens Museum for Kunst, Cologne

- Matisse « Nature morte à la chocolatière", 1900, Musée national d'art moderne, Centre Georges-Pompidou, Paris.

- Matisse « Portrait d'André Derain », 1905, huile sur toile, Tate Gallery, Londres.

- Matisse, La joie de vivre, 1905-1906, Merion, Pennsylvanie, Fondation Barnes

- Marquet, Fête foraine au Havre, 1906, Bordeaux, Musée des Beaux-Arts

- Kees van Dongen, Portrait de femme, Fernande Olivier, 1905 (Collection particulière)

- Metzinger « Paysage coloré aux oiseaux aquatique », 1907, huile sur toile, Musée d’art moderne de la Ville de Paris.

- de Vlaminck « Les Arbres rouges », 1906, huile sur toile, Musée national d'art moderne, Centre Georges-Pompidou.

- de Vlaminck « Les Coteaux de Rueil », 1906, huile sur toile, Musée d'Orsay, Paris.

- de Vlaminck « Intérieur de cuisine », 1904, huile sur toile, Musée national d'art moderne, Centre Georges-Pompidou.

- Van Dongen « Saltimbanque au sein nu», 1908, huile sur toile, Musée national d'art moderne, Centre Georges-Pompidou.

 

Comme les impressionnistes, et les postimpressionnistes à la fin du XIXe siècle, les Fauves se trouvèrent exclus des salons officiels, une exclusion qui résultait du fait qu’ils ne se conformaient pas à l’approche académique favorisée par les salons officiels. Leur rejet répété est devenu un facteur de cohésion pour le groupe et ils décidèrent d’exposer ensemble, indépendamment des sanctions officielles. Les Fauves ont été encouragés à continuer leur style "singulier" de cette façon alors que les impressionnistes à ce moment-là étaient de plus en plus acceptés.

Les premiers grands précurseurs des fauves furent les impressionnistes. Ces artistes, Monet, Renoir, Sisley, et d’autres, ont tenté de capturer sur la toile une expérience fugitive et précise de la nature, à travers l’observation et l’analyse de la lumière. Ils renoncèrent à l’utilisation traditionnelle de tons noirs ou bruns pour exprimer le clair-obscur au bénéfice de la seule couleur. Si le travail des impressionnistes était bien connu des Fauves, ceux-ci rejettent leur approche en se concentrant plus sur une composition formelle. Il est reproché aux impressionnistes de ne pas mettre pas assez l’accent sur la composition et de regarder la nature sans imposer une véritable exigence artistique qui leur soit propre.

C'est avec les post-impressionnistes, tels que Van Gogh, Gauguin, Cézanne, et Seurat, que les Fauves développèrent plus d'affinités, notamment dans leur utilisation de la nature comme source première de l’imagination picturale et l’utilisation de la couleur pour créer une forme et son expression. De Van Gogh, la simplification des formes, l'élimination des détails inutiles, l'utilisation de teintes brillantes, de coups de pinceau énergiques, une distorsion de l’espace. De Gauguin,  la prédominance de la couleur, sa symbolique pour exprimer l'essence du sujet, les effets décoratifs, une profondeur créée à travers la ligne et les teintes plates, son extraordinaire palette de tons non-primaires, l'utilisation de silhouette et d'une certaine abstraction des formes. Matisse, entre autres, a été profondément influencé par cette approche de Gauguin. De Cézanne, une cérébralité plus prononcée que chez Van Gogh et Gauguin : Cézanne a expérimenté la création de la forme à travers la couleur, la fusion et l’isolement des volumes et des plans en construisant ses compositions d’une manière presque architecturale. Il a créé des masses et de l’espace par des modulations de couleurs sourdes, la manipulation des formes géométriques, et l’utilisation de ligne austère. Avec Cézanne, la peinture s'exprime comme un univers bidimensionnel. De Seurat, de son divisionnisme,  et de la théorie de la couleur de Chevreul, le bien connu "contraste simultané", comment deux couleurs adjacentes s’influencent mutuellement, chacune imposant à son voisin son propre complémentaire. Mais un divisionnisme limitant toute expression émotionnelle et spontanéité. Presque tous les peintres fauvistes sont passés par une phase de Néo-impressionnisme ...

En 1890, Maurice Denis, un membre des Nabis, résumait ainsi l'un des apports essentiels des post-impressionnistes: «Une image - avant d’être un cheval de guerre, une femme nue, ou une anecdote, est essentiellement une surface plane recouverte de couleurs assemblées dans un ordre particulier. » Mais les Fauves rejetèrent  tout autant le symbolisme littéraire des Nabis, considérant qu'ils allaient trop loin dans l'effet décoratif, se perdant dans l'illustration au détriment de leurs intuitions initiales, physiques et émotionnelles....

En 1837, une autre forme d’art a fait son apparition, une invention qui devait affecter fortement les artistes de ce siècle et la succession des générations. Comme l’a dit Derain, "c’était l’ère de la photographie", fournissant des angles de vision inhabituels, manipulés ou déformés, mais aussi une nouvelle forme de composition, définie par les limites de son cadre ou l'arbitraire de son recadrage. On retrouve tous ces éléments dans la peinture Fauve. Aussi, l'appareil photographique fournira certes des copies plus exactes de la nature en termes scientifiques, mais permettra aux peintres d’aller au-delà de la simple représentation tandis que les couleurs, pour reprendre Derain, furent utilisées comme de véritables bâtons de dynamite, de leurs explosions fut produite la lumière. 

Si Matisse, Derain, et Vlaminck représentent les figures majeures du mouvement, on peut aussi répartir les principaux artistes de Fauvisme selon trois groupes...

 

- Les artistes qui ont étudié dans l’atelier de Gustave Moreau à l’École des Beaux-Arts et qui ont formé ainsi le premier groupe: Henri Matisse (1869-1954), Albert Marquet (1875-1947), Charles Camoin (1879-1965), Henri Manguin (1874-1949), Henri Evenepoel (1872-1899), Jules Flandrin (1871-1947), et Georges Florentin Linaret (1878-1905).

En 1891, Henri Matisse entre dans le cours en perspective à l’École des Arts Décoratifs de Paris. Là, il fait la connaissance d’Albert Marquet, qui était à l’école depuis un an. Les deux jeunes hommes, (Matisse était l’aîné de six ans) sont vite devenus amis. Avec le temps, ils deviennent des compagnons proches, travaillant souvent ensemble dans l’atelier de Matisse et voyageant à la périphérie de Paris à la recherche de paysages intéressants à peindre. Leur amitié devait durer un demi-siècle. En 1893, Matisse, qui devint le principal théoricien du mouvement Fauve, fut accepté dans l’atelier de Moreau. Henri Manguin, qui allait devenir un disciple de Matisse, était déjà là depuis un an. Il faudra attendre l'hiver 1896-1897 pour voir Matisse se laisser gagner par l'impressionnisme, se détourner de ses gris habituels pour expérimenter couleur et simplification des formes.  En avril 1898, Gustave Moreau meurt, et un autre professeur à l’École, Cormon, reprend l’atelier de Moreau. Matisse ne s’entendait pas bien avec Cormon, qui était l’un des professeurs académiques typiques à l’École. Cormon était préoccupé par des points techniques mineurs et il a souvent critiqué le style lâche de Matisse. Matisse convainc Marquet, qui n’a jamais été l’élève modèle, de quitter le studio et de passer la journée à peindre dans les jardins du Luxembourg et à Arcueil, en périphérie de Paris. En 1898, Matisse et Marquet débutaient leurs premières expériences néo-impressionnistes après avoir lu un article de Paul Signac dans la Revue Blanche, base de son livre "De Eugène Delacroix au néo-impressionnisme". En 1899, Matisse loue un appartement sur le quai San Michel et commence à peindre des scènes de Paris depuis ses fenêtres. Souhaitant peindre des nus, il s’inscrit à l’Atelier Biette où Carrière est professeur, Matisse y rencontrera plus tard André Derain et Jean Puy. 1899-1900, Matisse est en pleine expérimentation de son nouveau style...

- Le deuxième groupe était composé de deux artistes qui ont travaillé ensemble à Chatou (1900-1905), André Derain (1880-1954) et Maurice de Vlaminck (1876-1958).

Derain rencontre Vlaminck dans le train Paris-Chatou et se découvrent un intérêt commun pour la peinture. Derain, étudiant en histoire de l’art, peintre de tradition, convainquit Vlaminck, le violoniste, le coureur de vélo, le pugiliste, de prendre sa peinture au sérieux. Ils sont devenus des amis proches et ont décidé de partager un studio près du pont de Chatou. Ils étaient tous deux enthousiastes à propos des impressionnistes, mais ils étaient également attirés par l’utilisation de couleurs pures. En tant qu’artistes, ils étaient presque complètement opposés, Derain, l’intellectuel, ouvert et répondant à toutes les influences, faisant toujours des préparations et des études minutieuses, était incertain dans sa direction et ses capacités en tant qu’artiste. Les tableaux de Derain conçus en 1900 sont presque impossible à trouver. Vlaminck, homme d’instinct, de tempérament violent et d’orgueil ardent, ne manquait pas de confiance en lui. Il fait peu de croquis préparatoires, et peint pour s’exprimer, pour libérer toutes ses pulsions antisociales. Vlaminck découvre Van Gogh, invente le fauvisme et peint en 1900 "Au bar", une femme dans un chemisier blanc, debout derrière un comptoir de bar et sur un fond bleu foncé avec une lanterne sombre au loin sur la gauche, un grand verre de vin rouge placé sur le comptoir au premier plan de la composition, de grands yeux bleus fixent froidement le spectateur, ses traits sont communs, une cigarette à sa bouche rouge maladroitement façonnée, des cheveux coiffés à la diable, le pigment est appliqué de façon épaisse et inégale, le dessin se veut mauvaise qualité, intentionnellement ..

- Enfin, un troisième groupe composé de Raoul Dufy (1877-1953), Othon Friesz (1879-1949) et Georges Braque (1882-1963).

Tous trois s'étaient rencontrés en 1892 alors qu’ils étudiaient à l’École des Beaux-Arts du Havre et se retrouvent  à l'École des beaux-arts de Paris sous l'enseignement de Léon Bonnat. Dufy et Friesz, comme Marquet, étaient amoureux de la mer, des ports, et passaient des heures à dessiner sur le quai du Havre. George Braque, également originaire du Havre, et également fortement attiré par les ports et les eaux, les rejoignit à Paris en 1900. Ces trois artistes ont travaillé dans un style similaire et constituent les dernières recrues majeures au Fauvisme. Beaucoup plus jeunes que Matisse et ses amis, ils étaient trop immatures artistiquement pour contribuer à la phase de formation du mouvement et ont commencé à utiliser la couleur pure après avoir vu des peintures de Vlaminck, Derain, et Matisse au Salon des Indépendants en 1905. Jusqu’en 1904 environ, Dufy peignit des paysages marins et des paysages d’une manière délicatement impressionniste qui ne donnait aucune idée des œuvres colorées qu’il devait peindre plus tard. Sa conversion à l’utilisation de couleurs vives pures se produit en 1905 quand il voit "Luxe , Calme, et Volupté" de Matisse au Salon des Indépendants. Quant à Friesz, les œuvres de Matisse ont été tout aussi influents dans le changement de son cours en peinture comme ils l’avaient été pour Dufy. Ce changement s’est produit à peu près au même moment. Braque passa les années 1901 et 1902 dans l’armée, et quand il reprit la peinture, les impressionnistes furent sa principale influence jusqu’à sa visite au Salon d’Automne en 1905, où il se décida rapidement en faveur de ce nouveau style. Mais en quelques années, en raison de l’impact de Cézanne, il s’est intéressé à une composition plus structurée avec une couleur limitée. À l’automne de 1907, sa participation au mouvement Fauve était terminée. 

 

À partir de 1900, il y eut un certain nombre d’événements artistiques importants qui eurent un effet sur Matisse et d’autres membres du futur groupe Fauve. Tout d’abord, il y a eu une exposition rétrospective de Seurat à la Revue Blanche. Matisse, qui explorait activement différentes approches de la peinture, a fait une étude de nu dans l’atelier d'Eugène Carrrière qui a montré son intérêt renouvelé pour les principes divisionnistes. Le livre du pointilliste et libertaire Paul Signac, "D'Eugène Delacroix au Neo-Impressionisme", publié à peu près à cette époque également, a fourni quelques idées provocantes pour de nombreux artistes, dont Matisse et Derain. En 1901, la première exposition rétrospective Vincent Van Gogh à la galerie Berheim-Jeune, rue Laffite, 71 tableaux, est un choc pour Vlaminck, qui changea sa palette. Derain présenta celui-ci à Matisse, et voici que va se réaliser l'une des prophéties de Van Gogh, "la couleur seule exprime quelque chose; nous ne pouvons pas nous en passer", le peintre du futur est un coloriste comme on ne l’a jamais vu auparavant, il ne s'agit plus d'appliquer des couleurs violentes à coups de pinceau, mais de ré-apprendre à dessiner avec son pinceau. Matisse et Marquet exposent des œuvres aux couleurs pures et aux fortes tendances fauves avec les divisionnistes au Salon des Independants en 1901 puis 1902. En 1903, Charles Camoin les rejoint avec Dufy et Friesz. Les peintres du Havre n’étaient pas encore en contact avec Matisse. En 1902, Berthe Weill est devenu son premier marchand et, en 1904, Ambroise Vollard lui consacre sa première exposition personnelle, année au cours de laquelle Matisse prend un atelier rue de Sèvres, dans l'ancien Couvent des Oiseaux....

 

À partir de 1907, beaucoup d’artistes à l’origine du mouvement choisissent des voies différentes. Georges Braque, aux côtés de Pablo Picasso, privilégie l’espace et sa construction dans le mouvement cubiste naissant. Derain, fauve flamboyant, ne laissera de son œuvre tardive qu’une palette éteinte, respectueuse d’une tradition « classique » de la peinture. Et si Dufy ou Rouault semblent perpétuer le rôle majeur de la couleur, ils exprimeront tous deux des oppositions de plus en plus marquées en réintroduisant l’importance de la ligne dans leurs compositions.

Pour notre part, nous parcourons dans le cadre de cette thématique, les oeuvres de Derain, Manguin, Marquet, Matisse, George Rouault, Kees van Dongen, Maurice de Vlaminck, Dufy ... et Bonnard, et bien d'autres artistes pour qui la couleur devient l'élément incontournable, ne serait-ce que le temps d'une intuition ...