Expressionnisme - Ernst Ludwig Kirchner (1880-1938)  -  Erich Heckel  (1883-1970) - Lina Franziska Fehrmann (1900-1950) - Emil Nolde (1867-1956) - Karl Schmidt-Rottluff (1884-1976) - Max Pechstein (1881-1955) - Otto Mueller (1874-1930) - Wilhelm Morgner (1891-1917) - Heinrich Campendonk (1889-1957) - August Macke (1887-1914) - ..

Last update: 12/11/2016

 

 

La revue Der Sturm a été fondée en 1910 par Herwarth Walden. Elle est incontestablement le centre de l’avant-garde allemande. C’est grâce à Der Sturm que l’expressionnisme s’intègre dans les autres courants artistiques européens et que les expériences d’avant-garde des autres pays se répandent en Allemagne. Aucun mouvement d’avant-garde ne peut se développer sans le soutien d’une revue. 

 

Ernst Ludwig Kirchner (1880-1938)

Kirchner ne put aimer les hommes qu'à travers l'art et ne put se percevoir et s'approcher qu'à travers ce "medium". Natif d'Aschaffenburg dans une bonne famille bourgeoise, Ernst Ludwig Kirchner, personnalité dominante, début et fin du mouvement,  à l'intérieur de la communauté d'artistes "Die Brücke",  va créer un expressionnisme affectif, chargé d'émotion et d'angoisse, lié à son époque. Il développe le plus souvent des formes simples et anguleuses, aux volumes aplatis. Bien qu'incompris, il acquiert une certaine réputation de son vivant, notamment pour avoir exprimé dans des écrits sa position par rapport à son art. Il éclaire à sa façon une nouvelle conception de l'art social en peignant les bourgeoises berlinoises, courtisanes ou femmes demi-mondaines.

"Heckel et un modèle dans l'atelier" (1905, Berlin, Brücke-Museum) montre la toute première fois où Erich Henkel, dont il fait la connaissance en 1904, vint dans son atelier pour dessiner un nu : "il cherchait la libération  comme moi dans le travail libre, et la première chose pour le peintre était le dessin libre d'un homme libre dans son libre naturel. L'atelier devint un foyer pour les gens qui étaient dessinés : ils apprenaient des peintres et les peintres d'eux. Les tableaux enregistraient la vie directement et copieusement." - "Autoportrait avec modèle" (1910, Hambourg, Kunsthalle) montre une expression plastique de couleurs tranchées (rouge, orangé, mauve) et traduit une aspiration à la quiétude, loin de la civilisation pervertie : une fille toute simple en combinaison et bas, derrière Kirchner, enveloppé dans un manteau dont les motifs expriment bien toute la résonance de sa tension mentale.  "Erich Heckel et Otto Mueller jouant aux échecs" (Paris, Musée national d'Art moderne) que peint Kirchner marque la dissolution du Brücke de Dresde : les deux meilleurs amis du peintre jouent ici aux échecs, concentrés, tendus, la compagne est allongée, nonchalante et nue, au centre une lampe jaune domine une nature morte cubiste bleu clair, l'ensemble dénote une évolution stylistique de Kirchner, le monde n'est plus perçu d'un unique point fixe et la palette s'est plus richement nuancée...

Kirchner était principalement un solitaire: "mon travail vient du désir de solitude, j'ai toujours été seul". Vulnérable et intransigeant, prétentieux et sensible, il vécut sous une constante tension mentale, provoquée par la déception de ses espérances dans la Première guerre mondiale, les années de post-guerre et la terreur nazie. Pour finir, la maladie et la désespérance ont porté Kirchner au suicide en 1938...

 

Lina Franziska Fehrmann (1900-1950), tout jeune modèle et muse d'Ernst Ludwig Kirchner, Erich Heckel et Max Pechstein, que l'on retrouve par exemple dans "Fränzi vor geschnitztem Stuhl (1910, Ernst Ludwig Kirchner),  "Marzella" (1910, Ernst Ludwig Kirchner), "Sitzendes Mädchen" (1910, Ernst Ludwig Kirchner). Franz incarne l'enfant à l'état de nature, une sorte d'utopie de liberté et le peintre tente de restituer l'état d'esprit de la fillette qui semble se dérober à lui. Le tableau représentantr la fillette nue (Stockholm, Moderna Museet) consituera une oeuvre emblématique de l'expressionnisme de la Brücke de Dresde, les bras croisés davant son corps anguleux, les yeux sombres et fixés sur le spectateur, un ruban blance dans les cheveux : "peut-être, écrira Kirchner, que maintes choses sont plus achevées chez elle que chez les filles plus mûres et s'atrophieront à nouveau.."

C'est en octobre 1911 que Kirchner quitte la paisible Dresde pour l'animation intense de Berlin : ce changement de climat ne fut pas sans influence sur un peintre connu pour son extrême sensibilité et des tableaux tels que "Rotes Elisabethufer in Berlin" ou "Der rote Turm in Halle" montrent une ville irréelle, menaçante, excluant l'homme. L'humain, dans le monde urbain si menaçant de Kirchner, apparaît avec ses célèbres scènes de rues qui datent des années 1913-1915 et se concentrent sur les attitudes des corps et des vêtements, des corps anguleux, surdimensionnés, avec une fascination particulière pour les cottes berlinoises, femmes dominantes, mondaines, droites, assurées. L'agitation, la nervosité du peintre se reflètent dans l'expression dynamique du tracé : la cocotte comme le peintre se perdent dans l'anonymat de la bourgeoisie et n'a d'existence que par la dominance des couleurs agressives. En 1911, Kirchner s'est séparée de Dodo, avec qui il avait vécu dans la provinciale Dresde, pour une nouvelle compagne, berlinoise, Erna Schilling, danseuse de nightclub et modèle : aux formes douces et arrondies des femmes de Dresde (Nude Portrait of Dodo, c.1910) se succèdent les femmes plus allongées et de formes plus sévères. Le Portrait d'Erna Schilling (Kranke Frau / Dame mit Hut, Neue Nationalgalerie, Berlin) réalisé en 1913, la représente sombrant dans la mélancolie...

En août 1914, la Première Guerre mondiale éclate: porté "involontairement volontaire", Kirchner ne peut supporter l'uniforme, le conformisme, la crainte de la mort, et s'effondre tant physiquement que psychologiquement. En 1915, deux autoportraits témoignent de cette période si sombre : "Le buveur" (Germanisches National museum, Nuremberg) et "Selbstbildnis as Soldat". Kirchner ne travaille plus de jour, mais la nuit, abandonne le nu, semble avoir perdu toute créativité. Il fait alors plusieurs séjours en sanatorium (Berlin-Charlottenburg), s'installe en 1917 à Davos,  tente de reprendre vie dans la solitude et peint de nombreux paysages montagneux :  "Stafelalp im Mondschein" (1919, Dortmund, Museum am Ostwall) peut être considérée comme sa dernière oeuvre la plus emblématique de son style, on y retrouve cette atmosphère irréelle et pathétique qu'il exprimait dans le tissu coloré et nerveux de ses scènes de rues berlinoises. Epilogue de sa vie, son célèbre tableau, "Eine Künstlergruppe: Mueller, Kirchner, Heckel, Schmidt-Rottluff" de 1927, est un dernier hommage à la communauté "Die Brucke" de 1913, dissoute depuis. Kirchner écrit alors nombre d'articles sous le pseudonyme de Louis de Marsalle et pendant les années 1933/1934 s'enthousiasme pour certains tableaux de Picasso (Drei Akte im Wald, Ludwigshafen) : mais , jamais totalement remis de ses problèmes psychologiques, sensible aux moindres signes de critique, il ne supporte pas de voir sa production artistique qualifiée de "dégénéré" dans l'Allemagne nazie et se suicide le 15 juin 1938.... 

Kirchner et Pechstein peignent des nus pour retrouver avec de nouveaux moyens "l'homme libre dans son libre naturel" : "nous nous jetions sur la nature dans les filles", écrit Kirchner qui poursuit: "souvent je me levais au beau milieu du coït pour noter un mouvement, une expression..." Le style Brücke emprunte aux Fauves le plaisir primitif de peindre intuitivement, mais à cette franchise s'ajoute un angle de vue souvent inhabituel et dynamique, inspiré d'une dynamique spontanée tel qu'on peut l'observer dans "Deux nus féminins dans la chambre" de Max Pechstein (Cologne, Museum Ludwig). Kirchner, dans la vue de dos de sa maîtresse Dodo (Doris Grosse), montre un corps vert, ombré de bleu et cerné de rouge...

Où rencontrer Ernst Ludwig Kirchner?

- "Tête de femme devant des tournesols" (Frauenkopf vor Sonnenblumen), 1906, Offenburg, Collection Burda

- "Rue à Dresde" (Straße in Dresden), 1908, Museum of Modern Art, New York

- "Dodo et son frère" (Dodo und ihr Bruder), 1908, Northampton (Mass.), Smith College Museum of Art

- "Marcella" (Marcella), 1910, Berlin, Brücke Museum

- "Deux jeunes filles" (Zwei Mädchen), 1910, Düsseldorf, Kunstmuseum

- "Nu allongé devant un miroir" (Liegender Akt vor Spiegel), 1910, Berlin, Brücke-Museum

- "Le Jugement de Pâris" (Das Urteil des Paris), 1912, Ludwigshafen, Wilhelm-Hack-Museum

- "Elisabethufer rouge à Berlin" (Rotes Elisabethufer in Berlin), 1912, Munich, Staatsgalerie moderner Kunst

- "Scène de rue berlinoise", 1913 (Berliner Straßenszene), 1913, Berlin, Brücke-Museum

- "Demi-nu féminin avec chapeau" (Weiblicher Akt mit Hut), 1911, Cologne, Musée Ludwig

- "Potsdamer Platz", 1914, Berlin, Staatliche Museum

- "La tour rouge à Halle" (Der rote Turm in Halle), 1914, Essen, Museum Folkwang

- "Autoportrait habillé en soldat" (Selbstbildnis as Soldat), 1915, Berlin, Brücke Museum

- "Un Groupe d'artistes" (Eine Künstlergruppe: Mueller, Kirchner, Heckel, Schmidt-Rottluff), 1927, Cologne, Museum Ludwig

.... et  le Kirchner Museum Davos, en Suisse...


Max Pechstein (1881-1955)

Natif de Zwickau, Max Pechstein adhère à Die Brücke en 1906, - sa nature morte "Stilleben mit Judenkirsche und Pfefferschoten" est révélateur de son style avant son adhésion -,  voyage en Italie l'année suivante, s'enthousiasme pour Giotto, et revient en Allemagne en passant par Paris, où il rencontre Van Dongen. À la fin de 1908, il est le premier des artiste du mouvement à s'installer à Berlin, où il acquiert avant la guerre une certaine notoriété. Ses gravures sur bois offrent les simplifications abruptes en honneur à Die Brücke (Tête de pêcheur, 1911, Düsseldorf, K. M.) ; en revanche, sa peinture, - notamment ses portraits -, plus accessible aux influences françaises, est beaucoup moins virulente et respecte souvent l'identité du motif dans une souple mise en page et un coloris moins arbitraire, voisin de celui des fauves (Jeune Fille en maillot jaune et noir, 1909). Dans une production qui comprend essentiellement des figures et des paysages, son modernisme alla s'atténuant. Le fameux "Maillot jaune et noir" (Das gelbschwarze Tricot, 1910) montre dans une nature aux couleurs exacerbées, ciel tourmenté, silhouettes nues dans la prairie, une fillette insouciante dont le maillot à rayures frappe le spectateur, et sans doute s'agit-il de Marcella... La tradition expressionniste ne se maintint guère au-delà du début des années 20 (Jeune Femme étendue, 1922). Tout comme Kirchner, la guerre le laissa en 1917 psychiquement détruit, mais a contrario de lui, poursuivit son chemin en privilégiant un monde paisible et harmonieux ...

Où rencontrer Max Pechtstein?

- "Freilicht (Badende in Moritzburg)", 1910, Duisburg, Wilhelm-Lehmbruck-Museum

- "Indian and Woman", 1910, Collection Morton D. May, St. Louis

- "Das gelbschwarze Tricot", 1910, Brücke-Museum Berlin, Dauerleihgabe aus Privatbesitz

- "The Green Sofia", 1910, Museum Ludwig, Cologne

- "Zwei Frauen Akte im Zimmer", 1909. Cologne., Musée Ludwig

- "Mädchen. Sitzender weiblicher Akt", 1910, Staatliche Museen zu Berlin, Nationalgalerie

- "Stilleben mit Judenkirsche und Pfefferschoten", 1906, Hanovre, Sprengel Museum

- "Mädchen in Rot unter Sonnenschirm", 1909, Darmstadt, Hessisches Landesmuseum

- "Drei Akte in einer Landschaft", 1911, Paris, Musée national d'Art moderne

- "Früher Morgen", 1911, Ravensburg, Collection Peter Selinka

- "Rote Häuser", 1923, Hanovre, Sprengel Museum


Erich Heckel  (1883-1970) 

Natif de Döbeln (Saxe), Erich Heckel aborde la peinture par l'architecture, des études de peinture étant inconcevables dans une famille bourgeoise, puis se consacre d'abord à la lithographie et à la gravure, techniques dont il acquiert rapidement la maîtrise. Puis il mûrit ses propres options picturales sous l’influence de Munch, du postimpressionnisme et des primitifs. Les premiers tableaux, de couleurs vives, influencés par Van Gogh, laissent progressivement la place à des paysages (Moutons rouges, 1908, Bielefeld, Kunsthalle) et surtout à un ensemble de nus (Jeune Homme et femme, 1909, Berlin, Brücke Museum) de couleurs éclatantes. Heckel, pivot de l’expérience expressionniste, fut le peintre du groupe Die Brucke le plus enclin à la mélancolie. Mais trop de ses tableaux datant de l'époque Die Brücke n'ont pu survivre à l'Allemagne nazie. C'est le tableau "La Briqueterie" (Die Ziegelei, 1907), peint à Dangast, qui est considérée comme son oeuvre clef : le motif est désormais déterminé par le contraste des couleurs complémentaires formé par les toits de tuile rouge et le vert des prairies. Mais c'est avec le tableau "Rote Häuser", de 1908, que Heckel atteint le style du groupe Die Brücke : les couleurs forment des segments picturaux construits par des grandes surfaces colorées séparées par des contours noirs inachevés. Dans "Pechstein endormi", loin d'une apparente sérénité, Heckel peint en dominante rouge, la terre, les vêtements, le visage du dormeur, soit une violence toute chromatique pour une scène qui semblait ne pas la susciter.

Dans ce premier temps, Heckel puise ses motifs dans ses longs séjours à la campagne et ses voyages (l'Italie en 1909, la Baltique en 1912..). Sous l'influence du groupe du Blaue Reiter, Heckel va géométriser les volumes et cloisonner les surfaces dans ses paysages et dans les visages émaciés de ses portraits. La lumière semble se retirer peu à peu de sa peinture qui, après 1918, devient d'une grande banalité....

Fasciné par Dostoïevski, notamment L'idiot, l'hypersensibilité d'Erich Heckel s'exprime toute entière dans le fameux "L Fou ou L'asile d'aliéné" (1914, "Der Verrückte", Gelsenkirchen, Städtisches Museum) qu'il peint alors qu'il est à Berlin depuis 1911. Le déchirement intérieur et la solitude ressentie dans la capitale de l'empire wilhelminien, une prison de l'âme s'exprime ici, des parois ombrées de vert enserrent le drame de la perte de soi, de la peur du monde : Heckel se dresse au premier plan, fixant le spectateur comme pour lui sommer de faire demi-tour et de passer outre toute cette tragédie intérieure qui l'étreint... En 1912, Heckel a réalisé une autre grande composition inspirée de même de Dostoïevski, "Deux hommes à tables" (Zwei Männer am Tisch)...

C'est dans les années 1909-1910, près de Dresde, au bord des étangs de Moritzburg, que Heckel aborde le nu dans ses oeuvres (Badende im Schilf, 1909, Kunstmuseum Düsseldorf) : un trait rapide résume très sommairement toutes les formes, l'humain et la nature se fondent l'un dans l'autre indistinctement. "Studioszene" (Hemmenhofen, legs Erich Heckel) présente une scène intimiste de l'atelier de la Brücke, quatre modèles de nus se détendent, arabesques comme naturelles dans l'espace du studio, qu'auraient pu peindre Kirchner, puisque nous sommes en 1910 : tout passe alors )par la peinture, l'amour pour sa compagne, le décor reconstitué ou fabriqué, l'atmosphère de liberté, avec simplification des formes.  Alors qu'a lieu en 1913, à Berlin, la première exposition de ses oeuvres, et que se dissout "Die Brücke", "Der gläserne Tag" marque le début d'une évolution de style, plus futuriste par sa forme. Les images intimes et la maladie de sa compagne Sidi  Riha qu'il avait connu en 1910 pénètrent dans ses oeuvres. Après la guerre de 1914, alors que ses tableaux illustrent la vie de soldat ou le vaste pays flamand qu'il traverse, Heckel quitte le style expressionniste...

Où rencontrer Erich Heckel?

- "Pechstein Asleep", 1910, Staatsgalerie Moderner Kunst, Munich

- "Autoportrait" (Selbstbildnis), 1919, Gravure sur bois, Collection particulière

- "Maisons rouges" (Rote Haüser), 1908, Bielefeld, Kunsthalle der Stad Bielefeld

- "Villages saxon" (Sächsisches Dorf), 1910, Wuppertal, Von der Heydt-Museum

- "Szene am Meer"(Badende Frauen), 1912, Wuppertal, Von der Heydt-Museum

- "Der gläserne Tag" (Le Jour de verre), 1913, Munich, Staatsgalerie moderner Kunst

- "Stadtbahn in Berlin zwischen Gleisdreieck und Görlitzer Bahnof", 1911, Mönchengladbach, Städtisches Museum Abteiberg

-"Fronleichnamstag in Brügge", 1914, Mülheim Ruhr, Städtisches Museum

- "Frühling", 1918, Berlin, Nationalgalerie

 

 

De 1912 à 1914, loin de Berlin, Kirchner, Heckel, Schmidt-Rottluff et Pechstein gagnent les paysages très élémentaires de la Baltique, ses plages isolées, l'île de Fehman, le phare de la Staberhuk, des figures minces, géométriquement structurées, se fondent dans un paysage dynamique et coloré, et c'est dans la baie de Flensburg que Heckel peint l'une de ses oeuvres majeures, "Der gläserne Tag" (1913, Le Jour de verre), où pointent les orientations cubo-futuristes de Franz Marc et Lyonel Feininger...


 Emil Nolde (1867-1956)

Natif d'Allemagne du Nord, près de la frontière danoise, issu d'une famille de paysans, Emil Emil Hansen, - qui prendra pour patronyme le nom de son village natal, Nolde, en 1902, après son mariage avec la jeune comédienne Ada Vilstrup -, travaille comme dessinateur dans une fabrique de meubles et enseigne le dessin  d'ornementation à l'école de d'art industriel de Saint-Gall, en Suisse. En 1900-1901, Nolde est à Copenhague et fréquente l’école du coloriste Kristian Zartman, puis en 1903, loue une résidence à Guderup, sur la côte sud de l’île d’Alsen, où il passera chaque été jusqu’en 1916 : c'est là que la couleur va devenir pour lui un support d'expression déterminant. Dans le cercle du grand collectionneur Karl Ernst Osthaus, fondateur du célèbre Musée Folkwang à Hagen, Nolde découvre Van Gogh, Gauguin, Ensor, rencontre Munch et rejoint la Brücke en février 1906 : artiste très solitaire se rapprochant des symbolistes avec des oeuvres exemplaires par la très forte schématisation des personnages, Nolde quittera le mouvement à la fin de 1907. La période de maturité de l'oeuvre de Nolde, de 1910 à 1920, s'accompagne alors de diverses crises personnelles, qui contribuent à en accentuer la charge émotionnelle. Dans la célèbre "Danse autour du veau d'or" (galerie d'art, Munich, 1910), la déformation des lignes et de la perspective s'allie à une utilisation immodérée de couleurs crues et vives.  Ses "tempêtes de couleur" vont électriser bien des jeunes de peintres. Ses "tempêtes de couleur" vont électriser bien des jeunes de peintres. Nolde poursuit donc sa route, avec un expressionnisme dit mystique, et se rapproche d'un Schmidt-Rottluff qui fuit la dynamique puissante de Die Brücke....

A partir de 1909,  dans le village de Ruttebüll, Nolde peint en "état de transe" une importante série d’oeuvres religieuses, dont la "Légende de Marie l'Egyptienne", considérée comme l'une de ses contributions les plus importantes, et qui entend se focaliser sur le contenu spirituel, les profondeurs mystiques de l'être humain-divin représentées à la manière des primitifs, Marie y est baignée d'une lueur jaune d'or, les pointes de ses seins ont des reflets pourpres, un sourire lascif illumine son visage, et sur le volet droit du fameux triptyque, la pécheresse repentie s'est couchée pour mourir : "Verspottung Christi" (1909, Berlin, Brücke-Museum), "Joseph erzählt seine Träume" (1910, Wien, Belvedere), "Heilige Maria von Ägypten" (1912, Essen, Folkwang-Museum), "Maria Ägyptiaca" (Triptychon, 1912, Hamburg, Hamburger Kunsthalle), "Maria und Simeon im Tempel" (1915, Halle an der Saale, Moritzburg)...

En 1905, Emil Nolde découvre les couleurs de Gauguin et le monde exotique dans lequel celui-ci s'est réfugié devient objet de désir : Nolde écume le musée ethnographique de Berlin et accompagne une expédition scientifique en Nouvelle-Guinée, en passant par la Russie, la Chine, le Japon. Si la Première Guerre mondiale n'apparaît jamais dans ses thématiques, ce sont bien les plages tropicales, la mer et l'horizon où le soleil se lève et se couche, une oeuvre "trop primitive" pour Kirchner alors que Nolde croit y voir au contraire une authentique expérience de l'âme allemande : en 1935, il adhère avec conviction au parti nazi, encouragé par un Goebbels, un temps amateur d'expressionnisme, mais dès 1941 Nolde est expulsé de l'Académie des arts et son oeuvre cataloguée d'Art dégénéré :  : "Lichte See" (1915, Halle an der Saale, Moritzburg), "Nasser Tag"  (1918, Nolde Stiftung Seebüll)....


Karl Schmidt-Rottluff (1884-1976)

Karl Schmidt-Rottluff vint à Dresde en 1905 pour étudier l'architecture. Il y retrouve Heckel et se lie avec Ludwig Kirchner et Fritz Bleyl. Les quatre jeunes gens forment la même année la communauté à laquelle ils donnent le nom de Die Brücke, dont Schmidt-Rottluff restera membre jusqu'à sa dissolution en 1913. Il est de tous les artistes de la Brücke le plus coloriste et préfère peindre des paysages inspirés,  les bas-champs de la baie de Jade par exemple, plutôt que de peindre des scènes urbaines.  Il découvre le cubisme lors d’une exposition à Cologne, ce qui influence ses sculptures puis sa peinture où les formes sont de plus en plus simplifiées. En 1911, il s'installe à Berlin, qu'il a peu quitté, si l'on excepte trois années sous l'uniforme et un certain nombre de voyages, surtout vers 1930. En 1912, Schmidt-Rottluff  peint le portrait d'une femme pensive dans un intérieur privé (Femme songeuse, "Sinnende Frau", Berlin, Brücke-Museum) : le pressentiment de la guerre toute proche semble jeter une ombre sur son oeuvre, les joies incandescentes de Nidden ont disparu, l'unité cosmique de la femme et de la nature semble dorénavant très lointaine. En mai 1915, il est soldat en Russie et en Lituanie, "pour moi, écrira-t-il, la guerre a balayé tout le passé et je vois soudain les choses dans leur violence terrible. Je n'ai jamais aimé l'art qui n'est rien d'autre qu'un bel attrait visuel, et pourtant je remarque fondamentalement que l'on doit recourir à des formes encore plus fortes, si fortes qu'elles résistent à l'impact d'une telle folie populaire." La sensualité ardente cède dans "Fillette verte" (Berlin, Staatliche Museen zu Berlin) à un visage fermé, le vert et le brun l'emporte, pourtant la bouche reste boudeuse et le regard venimeux. En 1933, il sera expulsé par le régime nazi de l’Académie de l’Art en tant qu’artiste dégénéré, mais il continuera de peindre de grands paysages aux couleurs vives...

Schmidt-Rottluff n'intègre l'humain dans ses compositions qu'à partir de 1912 : dans "Après le bain" (Nach dem Bade), deux opulentes femmes nues peignent en cadence leur chevelure d'un noir bleuté. Après 1913, la séparation du groupe Die Brücke étant consommée, Schmidt-Rottluff se rend à Nidden dans le Kurische Nehrung et produit des nus en plein air dans l'isthme de Courlande.  "Trois nus ou Les dunes de Nidden" (Akte in den Dünen, Brücke-Museum, Berlin) représente, sur un mode primitif, en rouge et vert, des corps immenses qui se fondent dans la nature. Seul, le peintre vit et travaille dans une simple cabane de pêcheur, sur la plage : "Vier Badende am Strand", chaque nu est alors composé de lignes sommaires, monumental, sans interaction. Avec la guerre, la palette du peintre s'assombrit et les derniers nus exposent des membres allongés souvent de façon disproportionnés....

Où rencontrer Karl Schmidt-Rottluff?

- "Mädchen bei der Toilette", 1912, Berlin, Brücke-Museum

- "Deichdurchbruch", 1910, Berlin, Brücke-Museum

- "Landschaft in Dangast", 1910, Amsterdam, Stedelijk Museum

- "Vorfrühling", 1911, Dortmund, Museum am Ostwall

- "Selbstbildnis mit Einglas", 1910, Berlin, Nationalgalerie

- "Lofthus", 1911, Hambourg, Kunsthalle

- "Bildnis Rosa Schapire", 1911, Berlin, Brücke-Museum

- "Vier Badende am Strand", 1913, Hanovre, Sprengel Museum

- "Nach dem Bade", 1912, Dresde, Staatliche Kunstsammlungen

- "Häuser bei Nacht", 1912, New York, Museum of Modern Art

- "Zwei Frauen", 1912, Tate Gallery, London

- "Doppelbildnis S. und L.", 1925, Dortmund, Museum am Ostwall


August Macke (1887-1914)

Né à Meschede, en Westphalie, August Macke (Self-portrait, 1906) étudie à l'École des beaux-arts de Düsseldorf, cherche sa voie, Corinth, Böcklin, mais c'est dans la collection de Bernard Koehler  et avec la peinture impressionniste qu'il trouve ses propres traits stylistiques, assimilant aussi les acquis du cubisme, du futurisme et des tendances artistiques les plus avancées. C'est que Macke, bien que lié à l'Expressionnisme, ne partage pas les explosions de formes ou de couleurs qu'il peut atteindre, ni même les motifs socio-critiques, les raccourcis, les excès destinés à provoquer le bourgeois. Macke, dit-on, est le seul expressionniste allemand à s'être approprié, en allemand, le vocabulaire artistique français, et ce qu'il privilégie par-dessus tout, les couleurs, couleurs des vêtements féminins, couleurs des cafés et des jardins publics. "La dame en veste verte" (1913, Museum Ludwig, Köln) est considérée comme son oeuvre majeure, l'équilibre émotionnel qu'on y lit est parfait, la dame n'a pas de visage explicite, sa silhouette est allongée, quatre autres silhouettes l'entourent, une rivière se déploie en arrière-plan, le paysage et les feuilles des arbres sont simplifiés, le tout est baigné de soleil, animé en toute quiétude par une vibration intérieure : c'est comme le peintre donnait un son, le son le plus clair, à la couleur, écrira Franz Marc...

 Il épouse Elisabeth Gerhardt en 1909 et s'installe à Tegernsee, rencontre en 1910 Franz Marc, à Munich, et participe à la création du Der Blaue Reiter, mais reste isolé : les artistes du Blaue mouvement font preuve d'une certaine hostilité envers toute démarche purement formelle (le travail sur l'espace et sur la couleur est  "une expression extérieure du processus intérieur"). En 1912, il rencontre Robert Delaunay, et son travail pictural marqué par l'orphisme, et l'exposition futuriste de Cologne le fascine particulièrement. Le peintre se rend avec P. Klee et L. Moilliet en Tunisie où il exécute une série d'aquarelles de facture cubiste, riches en modulations chromatiques. Lui aussi élabore une grammaire plastique fondée sur la valeur émotive de la couleur et s'inspire de l'analyse de l'objet figuratif accomplie par les cubistes (Femme devant une vitrine, 1914, Folkwang Museum, Essen).

Il meurt, alors qu'il semblait s'engager sur la voie de l'abstraction, au tout début de la Première Guerre mondiale, laissant une œuvre en pleine évolution...