William S. Burroughs (1914-1997), "Junky" (1953),"Naked Lunch" (1962), "The Soft Machine" (1961), "The Ticket That Exploded" (1962), "Nova Express" (1964), "Cities of the Red Night" (1981), "The Place of Dead Roads" (1984), "The Western Lands" (1987) - ...

Last Update: 11/11/2016


Dans la prose américaine, la résistance à la culture dite orthodoxe ou conventionnelle a pris bien des formes, et le contraste entre par exemple un Jack Kerouac (1922-1969) et un William Burroughs (1914-1997) montre ces différences de vision et de tempéraments au sein d'un même mouvement, le mouvement beat en l'occurrence. En dehors de ce mouvement, d’autres figures majeures de la dissidence littéraire, comme Henry Miller (1891-1980), J. D. Salinger (1919-2010), Charles Bukowski (1920-1994), Richard Brautigan (1935-1984) et Ken Kesey (1935-2001), offrent des personnalités tout autant contrastées. Ce que ces écrivains ont en commun, cependant (et c’était parfois tout ce qu’ils avaient en commun), est un intérêt primordial et central dans l’esthétique et la politique de la "rébellion". Des écrivains tels que William S. Burroughs, Joseph Heller, Ken Kesey, Thomas Pynchon, Philip K. Dick et Don DeLillo ont adopté des modes d’écriture que l'on peut qualifier de "non réalistes" dans leurs récits d’individus victimes de vastes mais souvent vagues conspirations qui contrôlent leur vie. Et de fait, il semble qu'il y est une ligne de démarcation bien mince, parfois invisible, entre leur propre vie et la vie de leurs protagonistes, expulsés de la culture dominante, poussés ou dirigés de leurs propres initiatives aux marges de la société. Mais leur écriture n'est pas que fiction, c'est bien une alternative qu'ils recherchent, une alternative à ce que Kerouac appelait autrefois «the whorey smell» de l’Amérique orthodoxe, poussant ainsi plusieurs générations non seulement à imaginer, mais à essayer des vies différentes, à créer un territoire séparé pour eux-mêmes. Kerouac a inspiré the Beats, Burroughs a clairement influencé à la fois the Beats et les mouvements psychédéliques, Kesey et Brautigan, à leur tour, ont contribué à façonner hippie et autres, les formes ultérieures d'une culture alternative...


William S. Burroughs, dont l'image caricaturale, détournée et façonnée par les médias, est désormais devenu icône commercialisable à souhait de ce qu'on appelle la contre-culture, sans bien savoir en fin de compte ce qu'elle peut être, nous livre une analyse de la culture occidentale qui va bien au-delà des supposés plaisirs de la drogue et excès homosexuels.

Dans notre société de consommation, la notion de "dépendance" est profondément enracinée, nous sommes nous aussi perdus dans le monde du junky, nous pouvons être, pour peu que nous déplacions notre point de vue auto-protecteur, conscients du fait que les visions paranoïaques provoquées par la drogue sont en fin de compte peut-être plus "vraies" que les histoires rassurantes à laquelle nous nous accrochons en revendiquant une soi-disante indépendance de notre volonté individuelle. Là où il y a du pouvoir, il y a nécessairement de la manipulation. L'écriture de Burroughs donne toute son intensité à cette vision, au long de ses scènes de violence et de chaos d'une extraordinaire énergie, des récits qui débutent, s'entremêlent et se perdent, de scénarios qui, à peine aperçus, disparaissent aussitôt, ses personnages se heurtent constamment aux murs de cette cellule qu'est devenue leur vie, ils sont bien conscients du "système" mais trop paralysés par la dépendance pour s'y soustraire ou y échapper. Et dans ce contexte, le langage est bien cette arme à double tranchant qui donne existence tout en s'emparant d'elle ..

 

Le succès de Burroughs dans ses « blocs d’association », en utilisant un langage pour détruire le langage, est un sujet de débat. Ce qui est clair, cependant, c’est qu’il répondait à un besoin, ressenti par les beats et de nombreux écrivains américains précédents, de se débarrasser de toutes les contraintes sur soi. « Les mots, du moins la façon dont nous les utilisons, peuvent faire obstacle à ce que j’appelle l’expérience non corporelle », a dit W. Burroughs (en utilisant des mots, bien sûr). Cela répond à un impératif aussi ancien, au moins, que le rêve de l’Amérique : échapper aux contraintes de la société, de l’histoire, de la langue, ou quoi que ce soit, de perdre même les contraintes d’une identité particulière dans une condition d’espace absolu, un territoire fluide qui se trouve quelque part devant nous ...

 

En 1997, au moment de sa mort, Burroughs était reconnu comme l'un des principaux écrivains américains de l'après-guerre et il était devenu une figure culte, pour plusieurs générations de jeunes, laissant une empreinte, une certaine aura médiatique sur le punk rock, la "performance art" et le cinéma indépendant, mais ce qui ne signifie plus de nos jours un lectorat attentif et maîtrisant les intentions de l'auteur. Le sexe fait plus recette que les questions fondamentales qui ont trait au langage, un langage avec lequel pourtant nous construisons une réalité et des vérités qui nous semblent d'évidence, tant sur soi, que sur les autres et le monde. On en a peut-être oublié ses ambitions de destruction des machines à contrôler l'esprit, des machines asservant des moyens psychiques, électroniques, sexuels, pharmaceutiques, subliminaux tels que décrits dans "The Ticket That Exploded"(1962), pièce fondamentale, obscure certes, de la "Nova Trilogy",  avec "The Soft Machine" et "Nova Express". Il s'agit bien pour Burroughs de tenter de déraciner et de transformer les concepts occidentaux de la personne et du langage, voire de la personne et du langage eux-mêmes, afin de produire une nouvelle proclamation d'émancipation pour le vingt-et-unième siècle. Inévitablement, dans son dernier roman, "The Western Lands", il a jugé sa tentative comme un échec, mais il a également noté que le simple fait d'imaginer un succès à une échelle aussi radicale pouvait être aussi interprétée comme une victoire ...

 

Comme Hemingway, comme Ginsberg et Kerouac, et tant d'autres, William S. Burroughs aspirait à « écrire sa propre vie et sa propre mort » (write his own life and death), à laisser quelque chose comme un enregistrement complet de son expérience sur la planète ; de son propre aveu, il n’y a finalement qu’un seul personnage dans sa fiction : lui-même; mais il y a peut-être une complexité dans la formulation narrative de ce solipsisme qui paraît si simple.  Mais Burroughs n’est pas dans un sens usuel un écrivain confessionnel ou autobiographique, ce qu'il semble l'obséder c'est de faire l'inventaire de tout ce qui est en lui et hors de lui, mais en lien avec lui, et de le reconstruire. "Your surroundings are your surroundings", écrira-t-il dans "The Soft Machine", "Every object you touch is alive with your life and your will" ( Chaque objet que vous touchez est vivant avec votre vie et votre volonté). Dans une célèbre phrase de "Naked Lunch", Burroughs a écrit, qu’il n’était qu’un « instrument d’enregistrement » (recording instrument) .... encore faut-il s'entendre sur le sens de cette remarque quasi existentielle ...

 

 "What do I know of this yellow junky face subsisting on raw opium? I tried to tell him: ‘Some morning you will wake up with your liver in your lap’ and how to process raw opium so it is not plain poison. But his eyes glaze over and he don’t want to know. Junkies are like the most of them they don’t want to know … and you can’t tell them anything.… A smoker doesn’t want to know anything but smoke.… And a heroin junky same way.… Strictly the spike and any other route is Farina.… 

So I guess he is still sitting there in his 1920 Spanish villa outside Tanger eating that raw opium full of shit and stones and straw … the whole lot for fear he might lose something.…

There is only one thing a writer can write about: what is in front of his senses at the moment of writing.… I am a recording instrument.… I do not presume to impose ‘story’ ‘plot’ ‘continuity.’ … Insofaras I succeed in Direct recording of certain areas of psychic process I may have limited function.… I am not an entertainer.…

‘Possession’ they call it.… Sometimes an entity jumps in the body – outlines waver in yellow orange jelly – and hands move to disembowel the passing whore or strangle the neighbor child in hope of alleviating a chronic housing shortage. As if I was usually there but subject to goof now and again…. Wrong! I am never here.… Never that is fully in possession, but somehow in a position to forestall ill-advised moves.… Patrolling is, in fact, my principal occupation.… No matter how tight Security, I am always somewhere Outside giving orders and Inside this strait jacket of jelly that gives and stretches but always reforms ahead of every movement, thought, impulse, stamped with the seal of alien inspection.…"

 

"Que sais-je de ce visage jaune junky subsistant sur de l’opium cru ? J’ai essayé de lui dire : « Un matin, vous vous réveillerez avec votre foie sur les genoux » et comment traiter l’opium brut pour qu’il ne soit pas du poison ordinaire. Mais ses yeux se voilent et il ne veut pas savoir. Les junkies sont comme la plupart d’entre eux, ils ne veulent pas savoir… et vous ne pouvez rien leur dire. Un fumeur ne veut rien savoir d’autre que de la fumée… Et un accro à l’héroïne de la même façon… Strictement le pic et toute autre voie est Farina. Je suppose donc qu’il est toujours assis là dans sa villa espagnole de 1920 à l’extérieur de Tanger, à manger cet opium cru plein de merde, de pierres et de paille… le tout de peur de perdre quelque chose. 

Il n’y a qu’une seule chose qu’un écrivain peut écrire : ce qui est devant ses sens au moment de l’écriture… Je suis un instrument d’enregistrement. Je ne prétends pas imposer « histoire » « intrigue » « continuité ». Je réussis dans l’enregistrement direct de certains domaines du processus psychique. Je peux avoir une fonction limitée.… Je ne suis pas un artiste.

« Possession » comme on l’appelle. Parfois, une entité saute dans le corps – les contours ondulent en gelée orange jaune – et les mains se déplacent pour éventrer la prostituée de passage ou étrangler l’enfant voisin dans l’espoir d’atténuer une pénurie chronique de lo/àgements. Comme si j’y étais habituellement, mais que je faisais l’objet de gaffes de temps à autre… Faux! Je ne suis jamais ici. Ce n’est jamais tout à fait en ma possession, mais je suis en quelque sorte en mesure de prévenir les déménagements mal avisés… Patrouiller est en fait mon principal métier. Peu importe à quel point la sécurité est serrée, je suis toujours quelque part à l’extérieur donnant des ordres et à l’intérieur de cette veste de gelée qui donne et s’étire, mais qui se reforme toujours avant chaque mouvement, pensée, impulsion, estampillé du sceau de l’inspection extraterrestre…"

 

"Writers talk about the sweet-sick smell of death whereas any junky can tell you that death has no smell … at the same time a smell that shuts off breath and stops blood … colorless no-smell death … no one can breathe and smell it through pink convolutions and black blood filters of flesh … the death smell is unmistakeably a smell and complete absence of smell … smell absence hits the nose first because all organic life has smell … stopping of smell is felt like darkness to the eyes, silence to the ears, stress with weightlessness to the balance and location sense.…"

 

"Les écrivains parlent de l’odeur douce et malsaine de la mort alors que n’importe quel junky peut vous dire que la mort n’a pas d’odeur… en même temps, une odeur qui arrête la respiration et arrête le sang… la mort incolore sans odeur… personne ne peut respirer et sentir à travers des circonvolutions roses et des filtres de sang noirs de chair… l’odeur de la mort est indubitablement une odeur et l’absence totale d’odeur… l’absence d’odeur frappe le nez en premier parce que toute vie organique a une odeur… L’arrêt de l’odorat est ressenti comme l’obscurité pour les yeux, le silence pour les oreilles, le stress avec apesanteur pour l’équilibre et le sens de l’emplacement…"

 

 ... il ne laissait pas entendre qu’il n’avait fait aucun choix, n’avait exercé aucun contrôle sur ce qu’il écrivait, mais plutôt qu’il voulait apprendre à enregistrer non pas les informations toutes faites (prepackaged)  programmées par des intérêts corporatifs ou des modes artistiques, mais ce qui était réellement là...

 

Pour Burroughs, la « machine de contrôle » (control machine) est presque synonyme de psyché occidentale. Le but est bien d’en sortir, de la battre à son propre jeu en regardant et en décodant les sélections extrêmement partielles qui sont faites du monde extérieur, et qui nos sont imposées comme « réalité » ...


La langue est au centre de la stratégie d'appréhension de notre réalité, elle est devenue en quelque sorte le "virus word", - non pas une oasis littéraire, en Occident, mais bel et bien un lieu parfaitement piégé - la langue était devenue le "virus des mots", le cœur mort de la machine de contrôle. Les expériences avant-gardistes de Burroughs en matière de montage, de cut-up et de narration disjonctive constituaient des tentatives pour libérer la conscience occidentale de sa propre forme d'expression, du langage que nous pensons utiliser mais qui, en vérité, nous utilise...

 

La forme d'hypersensibilité au monde dans laquelle s'enferme Burroughs a sans doute débuté, avec une intensité qui n'a cessé de croître, par un sentiment de vulnérabilité à la toxicomanie puis à la stigmatisation sociale : ce sont en effet deux moyens puissants par lesquels tout ce qui n'es pas soi peut entrer et prendre le contrôle du corps ... Puis, progressivement, l'intérêt de Burroughs s'est déplacé vers la dépendance aux mots, le langage comme forme ultime de contrôle. "THE WRITING OF SILENCE" est la quête ultime de cette libération du moi de tous les systèmes, et des systèmes verbaux en particulier : elle peut certes prendre plusieurs formes, ainsi Pound, qui se penche sur d’autres cultures et vocabulaires qui pourraient résister aux abstractions et aux oppositions de la langue et de la pensée occidentales...


William Burroughs (1914-1997)

Né dans une famille bourgeoise, - à la différence d'un  Ginsberg ou d'un Kerouac -, du Missouri, à Saint-Louis, William Burroughs, après une licence de littérature, entame un parcours particulièrement obscur et affiche un anticonformisme notoire.  L'une de ses le décrit en ces termes : mince, physiquement maladroit, avec un visage étroit et impassible, voire même un visage de chien battu à l'adolescence, Burroughs est facilement considéré comme le garçon le plus impopulaire de la ville. Un parent inquiet le compare à "un cadavre ambulant". Et déjà intéressé par la drogue, l'homosexualité et l'escroquerie, dépourvu d'esprit d'équipe et "incurablement intelligent", il est au mieux un élève problématique, une présence troublante dans plusieurs écoles choisies, dont la Los Alamos Ranch School au Nouveau-Mexique, le site réquisitionné par J. Robert Oppenheimer en 1943 pour les scientifiques engagés dans le projet Manhattan. (Los Alamos a donné naissance aux bombes qui ont détruit Hiroshima et Nagasaki et, corrélativement, à ce que Burroughs appelait sardoniquement "l'âme malade, malade jusqu'à la mort, de l'ère atomique" (the sick soul, sick unto death, of the atomic age), le thème central de son œuvre, un rapprochement qui peut interroger). 

C'est en 1944 que ce déjà trentenaire à la dégaine d'employé de banque minable rencontre Allen Ginsberg, puis Jack Kerouac et leur fait découvrir Nietzsche, Kafka, Spengler, mais aussi la petite pègre qui gravite autour de Times Square. Junkie, homosexuel, libertaire, il tombe amoureux en 1946 de Joan Vollmer, son homologue féminin en bien des points. Elle consomme de telles doses d'amphétamines qu'elle doit être hospitalisée et devient la proie de pulsions autodestructrices. C'est au cours d'un jeu stupide que William Burroughs la tue accidentellement, l'année de ses 28 ans ...

Dès lors commence pour Burroughs une vie d'errance (Joan’s death “maneuvered me into a lifelong struggle in which I had no choice but to write my way out”)...

 

"I live with the constant threat of possession, and a constant need to escape from possession, from Control..."  (Je vis avec la menace constante de possession, et un besoin constant d’échapper à la possession, du contrôle) ... "I am forced to the appalling conclusion that I would never have become a writer but for Joan’s death, and to a realization of the extent to which this event has motivated and formulated my writing. I live with the constant threat of possession, and a constant need to escape from possession, from Control. So the death of Joan brought me in contact with the invader, the Ugly Spirit, and maneuvered me into a lifelong struggle, in which I have had no choice except to write my way out (la mort de Joan m'aura donc mis en contact avec l'envahisseur, avec l'esprit du Mal, et m'aura donc contraint à opter pour la résistance, toute ma vie durant, en ne me laissant d'autre choix que celui d'écrire, et de m'affranchir en écrivant). 

I have constrained myself to escape death. Denton Welch is almost my face. Smell of old coins. Whatever happened to this knife called Allerton, back to the appalling Margaras Inc. The realization is basic formulated doing? The day of Joan’s doom and loss. Found tears streaming down from Allerton peeling off the same person as a Western shootist. What are you rewriting? A lifelong preoccupation with Control and Virus (Toute une vie vécue dans l'obsession du Cntrôle et du Virus). Having gained access the virus uses the host’s energy, blood, flesh and bones to make copies of itself. Model of dogmatic insistence never never from without was screaming in my ear, “YOU DON’T BELONG HERE!” (Tu n'as rien à faire ici!)

A straitjacket notation carefully paralyzed with heavy reluctance. To escape their prewritten lines years after the events recorded. A writers block avoided Joans death. Denton Welch is Kim Carson’s voice through a cloud underlined broken table tapping." ("Queer, écrit en 1952, publié en 1985).


William Burroughs avait presque trente-neuf ans lorsqu’il a quitté Mexico pour la dernière fois, en janvier 1953. Il a laissé derrière lui les ruines de sa vie jusqu’à cet âge : une enfance à St. Louis et une éducation à Harvard, suivie d’un mélange de petits boulots à Chicago et à New York. En 1944, il était devenu accro à l’héroïne; la même année, il a rencontré Allen Ginsberg à Columbia. Ces deux circonstances auraient une profonde effet sur son développement en tant qu’écrivain.

En 1954, William Burroughs s’est installé à Tanger, une ville-sanctuaire qui va lui servir de catalyseur, il y comprend qu'il est arrivé au bout de sa vie : alors que "Junkie: Confessions of an Unredeemed Drug Addict" (confession d'un toxicomane non repenti) et "Queer" (qui se déroule à Mexico)  ont été déjà écrit, va naître une légende, celle que porte "Interzone" (vers 1953-1958), un manuscrit regroupant un certain nombre de textes qui entreront dans l'écriture finale de "Naked Lunch" et dans lequel "Word" constitue La Référence. William S. Burroughs entre en scène ...

 

"The Word is divided into units which be all in one piece and should be so taken, but the pieces can be had in any order being tied up back and forth in and out fore and aft like an innaresting sex arrangement. This book spill off the page in all directions, kaleidoscope of vistas, medley of tunes and street noises, farts and riot yipes and the slamming steel shutters of commerce, screams of pain and pathos and screams plain pathic, copulating cats and outraged squawk of the displaced Bull-head, prophetic mutterings of brujo in nutmeg trance, snapping necks and screaming mandrakes, sigh of orgasm, heroin silent as the dawn in thirsty cells, Radio Cairo screaming like a berserk tobacco auction, and flutes of Ramadan fanning the sick junky like a gentle lush worker in the gray subway dawn, feeling with delicate fingers for the green folding crackle...."

 

Et l'auteur n'épargnera rien à ses "doux lecteurs" ...

"... Mr. America, sugar-cured in rotten protoplasm, smiles idiot self bone love, flexes his cancerous muscles, waves his erect cock, bends over to show his asshole to the audience, who reel back blinded by beauty bare as Euclid. He is hanged by reverent Negroes, his neck snaps with a squashed bug sound, cock rises to ejaculate and turn to viscid jelly, spread through the Body in shuddering waves, a monster centipede squirms in his spine. Jelly drops on the Hangman, who runs screaming in black bones. The centipede writhes around the rope and drops free with a broken neck, white juice oozing out. Ma looks up from knitting a steel-wool jockstrap and says, “That’s my boy.” And Pa looks up from the toilet seat where he is reading The Plastic Age he keeps stashed in a rubber box down the toilet on invisible string of Cowper gland lubricant—hardest fabric known, beat ramie hands down and cocks up. Some people get it, some don’t. A sleeping acquaintance point to my pearl and say, “¿Eso, qué es?” (“What’s that?” to you nameless assholes don’t know Spanish), and I have secrete this orient pearl before a rampant swine not above passing a counterfeit orgasm in my defenseless asshole. It will not laugh a well-greased siege to scorn—heh heh heh—say, “Mother knows best.”

A Marine sneering over his flamethrower quells the centipede with jellied gasoline, ignoring the Defense Attorney scream: “Double Jeopardy: My Client…”

The Author will spare his gentle readers nothing, but strip himself brother naked. Description? I bugger it. My cock is four and one-half inches and large cocks bring on my xenophobia…. “Western influence!” I shriek, confounded by disgusting alterations. “Landsake like I look in the mirror and my cock undergo some awful sorta sea change….” Like all normal citizens, I ejaculate when screwed without helping hand, produce a good crop of jissom, spurt it up to my chin and beyond. I have observed that small hard cocks come quicker slicker and spurtier...."


C’est  Jack Kerouac qui incita Burroughs à raconter son expérience de drogué (il lui avait déjà demandé de l'aider à écrire un roman policier, "And the Hippos Were Boiled in their Tanks"),  en commençant par son voyage en Amazonie, en quête d’une drogue préparée par les Indiens : le yage, utilisé par les médecins indiens d’Amazonie pour trouver des objets perdus, principalement des corps et des âmes (The Yage Letters, 1963). - Sept ans plus tard, Ginsberg au Pérou écrit à son vieux gourou un compte rendu de ses propres visions et terreurs avec le même médicament, appelant à un conseil supplémentaire -. Dans "On the Road"(1957), Kerouac, parmi les personnages réels qu'il a pu côtoyer, introduit Bull Lee, alter ego de William Burroughs. A cette époque, celui-ci vient de publier "Junky" (1953) mais n'a pas encore écrit "Naked Lunch" (1962) ..

 

"...  He had a set of chains in his room that he said he used with his psychoanalyst; they were experimenting with narcoanalysis and found that Old Bull had seven separate personalities, each growing worse and worse on the way down, till finally he was a raving idiot and had to be restrained with chains. The top personality was an English lord, the bottom the idiot. Halfway he was an old Negro who stood in line, waiting with everyone else, and said, “Some’s bastards, some’s ain’t, that’s the score.” Bull had a sentimental streak about the old days in America, especially 1910, when you could get morphine in a drugstore without prescription and Chinese smoked opium. in their evening windows and the country was wild and brawling and free, with abundance and any kind of freedom for everyone. His chief hate was Washington bureaucracy; second to that, liberals; then cops. He spent all his time talking and teaching others. Jane sat at his feet; so did I; so did Dean; and so had Carlo Marx. We’d all learned from him. 

 

"... Au cours d’expériences de narco-analyse, ils avaient découvert que Bill possédait sept personnalités différentes, de dignité décroissante, la dernière étant celle d’un idiot délirant ; quand il atteignait ces abîmes, il fallait l’enchaîner. Sa personnalité supérieure était celle d’un lord anglais, la plus vile celle d’un idiot. Entre les deux, il était le vieux noir, qui faisait la queue comme tout le monde, et qui répétait : « Y en a qui sont salauds, y en a qui le sont pas, c’est comme ça. » Il devenait sentimental quand il évoquait le passé de l’Amérique, vers 1910. L’époque où on pouvait entrer dans une pharmacie acheter de la morphine sans ordonnance, et où, le soir, les Chinois fumaient l’opium à leur fenêtre ; l’époque où le pays était turbulent, batailleur, le temps de l’abondance, de toutes les licences.  La bureaucratie de Washington était sa bête noire. Venaient ensuite, dans cet ordre, les libéraux, puis les flics. Il passait sa vie à discourir et à enseigner. Joan l’écoutait religieusement ; moi aussi ; Neal aussi ; Allen Ginsberg lui-même l’avait fait. Il y avait toujours quelque chose à apprendre auprès de lui. 

 

He was a gray; nondescript-looking fellow you wouldn’t notice on the street, unless you looked closer and saw his mad, bony skull with its strange youthfulness—a Kansas minister with exotic, phenomenal fires and mysteries. He had studied medicine in Vienna; had studied anthropology, read everything; and now he was settling to his life’s work, which was the study of things themselves in the streets of life and the night. He sat in his chair; Jane brought drinks, martinis. The shades by his chair were always drawn, day and night; it was his corner of the house. On his lap were the Mayan Codices and an air gun which he occasionally raised to pop benzedrine tubes across the room. I kept rushing around, putting up new ones. We all took shots and meanwhile we talked. Bull was curious to know the reason for this trip. He peered at us and snuffed down his nose, thfump,like a sound in a dry tank..."

 

À voir comme ça, il ne payait pas de mine, on ne se serait pas retourné sur lui dans la rue ; à y mieux regarder, on découvrait la morphologie démente de son crâne osseux, sa flamme, sa juvénilité singulière — on aurait dit un pasteur du Kansas, phénomène d’exotisme dans sa ferveur et ses mystères. Il avait étudié la médecine à Vienne, connu Freud ; il avait étudié l’anthropologie, il avait tout lu ; à présent, il s’était mis à son grand œuvre, la leçon de choses sur le terrain de la vie et de la nuit. Il était installé dans son fauteuil. Joan servait des cocktails, des martinis. À côté du fauteuil, les stores étaient baissés en permanence, de jour comme de nuit. C’était son coin à lui. Il tenait sur ses genoux les codex mayas et un fusil à air comprimé, qu’il levait de temps en temps pour dégommer les tubes de benzédrine vides, qui traînaient dans la pièce je m’employais à lui en apporter. On se relayait. Pendant ce temps-là, on parlait. Il était curieux de comprendre les raisons de notre voyage. Il nous considérait, en reniflant avec dérision...."


C’est en Amazonie, puis à Paris et à Tanger (sur le conseil de Paul Bowles) que Burroughs vit sa « saison en enfer » et connaît le « désordre systématique de tous les sens » préconisé par Rimbaud. Il faudra attendre 1956, à 42 ans, pour voir Burroughs franchir la porte de la clinique du docteur John Yerbury Dent, à Cromwell Road (London) et entreprendre une cure de désintoxication "quasi définitive" (on le retrouva à Paris, arrêté à l’hôtel Rachou (connu sous le nom de Beat Hotel) et photographié au quartier général de la police). "Naked Lunch" est le premier volet d’un quatuor publié d’abord à Paris,  au prix de nombreuses difficultés avec la censure, puis à New York. En 1957, Ginsberg avait soumis à Maurice Girodias, proprietaire des éditions Olympia Press, une première version en lambeau mais qui ne fut acceptée que deux ans plus tard, Girodias appréciait particulièrement les livres interdits. Olympia publia deux autres romans de Burroughs, "The Ticket that Exploded" et "The Soft Machine", ainsi que The American Express, le seul roman du poète Gregory Corso.. 

Après la publication de "Naked Lunch", Time-Life poursuivit l'auteur avec ce mélange de fascination et de haine qui animait bien des revues américaines à son égard, son séjour parisien dans le célèbre Beat Hotel de la rue Gît-le-Cœur se situe entre 1958 et 1960. En 1962, le livre fit l'objet d'une mise en accusation pour obscénité à Boston, ce qui lui ouvrit la voie à une acceptation générale aux États-Unis ...

Les trois autres volumes, en continuité donc de "Naked Lunch", sont "The Soft Machine" (la Machine molle, 1961), "The Ticket that exploded" (Le ticket qui explosa, 1962) et "Nova Express" (1964). Dans ces œuvres, Burroughs utilise les méthodes du collage, du montage et du mixage, empruntées à la peinture, au cinéma et à la musique : il découpe les pages d’un livre dans le sens de la longueur, mêle les colonnes, reconstitue un texte au hasard. Il utilise aussi la technique du pliage, un texte déjà écrit étant plié sur un autre texte : sans en changer fondamentalement leur sens global, les mots y prennent des "significations nouvelles, plus fortes, plus cinglantes" ...


À coups de scandales littéraires calculés, Burroughs a peu à peu imposé son personnage. « Il devrait, écrit-il, y avoir plus d’émeutes, plus de violences. Notre but est le chaos total. Nous avons l’intention d’anéantir tout système verbal dogmatique. Nous ne voulons plus entendre de discours de famille, de discours de mère, de discours de père, de discours de flic, de discours de prêtre. »

"Sous ces provocations anarchistes, Burroughs semble avoir une conscience aiguë de la nécessité de préserver, contre l’abrutissement et le conformisme des moyens d’information de masse, une certaine vigilance surréaliste. Il a aussi une grande intelligence du drame actuel de la littérature : comme la peinture à l’époque de la photographie, la littérature à l’âge de l’audio-visuel ne peut, selon lui, relever le défi qu’en affirmant l’autonomie du langage par rapport aux choses."


Au cours des années 1970, William Burroughs vit dans un loft du Bowery, dans le Lower East Side de New York : baptisé « The Bunker », son appartement devient un salon littéraire moderne avec des personnalités telles que Andy Warhol, Lou Reed, Patti Smith, Susan Sontag, et son ami poète Allen Ginsberg de passage pour un verre ou un joint et la promesse d'une conversation sans limite raisonnable. Victor Bockris en capturera quelques instants pour écrire "With William Burroughs: A Report from the Bunker" (1979).

"Burroughs returned to New York City from London in 1974 after twentyfive years of self-imposed exile from the United States. Like all the significant geographical moves he has made during his career—from Mexico to Tangier in 1953, from Tangier to Paris in 1958, from Paris to London in 1962—it signaled a new departure in his work as much as it signaled a new period in the cultures in which he is a powerful force. In 1974 the New York punk rock movement was struggling to its feet. In fact, the first person who told me that Burroughs was back in town was Patti Smith. She announced his arrival from the stage of the St. Marks Poetry Project as if it were a move of military significance. “Mr. Burroughs is back in town,” she whooped. “Isn’t that great!” Patti understood more than most his full significance. Not only did Burroughs dream the prophetic vision of the sixties as a “love generation,” he provided the punk rock movement, wittingly or unwittingly, with its basic credo: Nothing is true, everything is permitted. So far as I know, he is the only writer who sent a letter of support to The Sex Pistols when they released “God Save the Queen.” His own piece, “Bugger the Queen,” had been written three years earlier. There was a profound connection between the punks and William Burroughs: They were his children...."

Au cours de ses dernières années, Burroughs publia "Interzone" (1989), réutilisant une grande partie de ses notes datant de Naked Lunch, et "Ghost of Chance" (1991), une reprise de "Cities of the Red Night". Écrire pour lui n’était pas une profession, mais une nécessité, derrière son visage impénétrable, il y avait, écrira Ted Morgan (Literary Outlaw: The Life and Times of William S. Burroughs) un dégoût de soi que seule l’écriture pouvait atténuer. Il ne pouvait pas se pardonner ce qu’il avait fait à sa femme et à son fils, et croyait qu’il était possédé par un esprit mauvais. Je l’ai souvent entendu dire : « My life is an evil river. »

Comme il l’a écrit à Ginsberg après "Queer", un premier livre qu’il avait refusé de publier jusqu’en 1985, « Je suis obligé de conclure effroyablement que je ne serais jamais devenu écrivain sans la mort de Joan, et de réaliser à quel point cet événement a motivé et formulé mes écrits. La mort de Jeanne m’a mis en contact avec l’envahisseur, le Ugly Spirit, et m’a entraîné dans une lutte de toute une vie, dans laquelle je n’ai pas d’autre choix que d’écrire ma sortie. » (I am forced to the appalling conclusion that I would never have become a writer but for Joan’s death, and to a realization of the extent to which this event has motivated and formulated my writing. The death of Joan brought me in contact with the invader, the Ugly Spirit, and maneuvered me into a life-long struggle, in which I have no choice but to write my way out). Il écrivait pour rester en vie ... 


"Word Virus", "The William S. Burroughs  reader", édité par James Grauerholz et Ira Silverberg, avec introduction d'Ann Douglas (1998), présente non seulement les principaux thèmes de Burroughs qui, en 1959, avec The Naked Lunch, faisait entrer la littérature dans un nouveau monde assimilable au postmodernisme, mais replace son œuvre entière dans le contexte de sa vie avec un souci du détail et de l'objectivité qui révèle toute la complexité des multiples facettes d'un personnage aussi singulier que son écriture : il ouvrira ainsi une nouvelle perspective très audacieuse dans une littérature américaine qui n'hésitera plus à aborder, en toute liberté de fond comme de forme, les thématiques les plus audacieuses ... 

"...  Burroughs started out in the 1940s as a founding member of the “Beat Generation”, écrit dans son Introduction Ann Douglas , the electric revolution in art and manners that kicked off the counterculture and introduced "the hipster" to mainstream America, a movement for which Jack Kerouac became the mythologizer, Allen Ginsberg the prophet, and Burroughs the theorist. Taken together, their best-known works - Ginsberg’s exuberant take-the-doors-off-their-hinges jeremiad Howl (1956); Kerouac’s sad, funny, and inexpressibly tender “true story” novel On the Road (1957); and Burroughs’ avant-garde narrative Naked Lunch (1959), a Hellzapoppin saturnalia of greed and lust - managed to challenge every taboo that respectable America had to offer..."



William S. Burroughs, "Junky" (1953)

Avant sa percée de 1959 avec "Naked Lunch", William S. Burroughs, a écrit "Junky", son premier roman, témoignage sincère d'une époque et de lieux aujourd'hui révolus, un rapport de terrain sans fard de l'underground américain de l'après-guerre, publié par Ace Books avec le soutien de Allen Ginsberg. Ne craignant pas de se présenter en 1953 comme un membre confirmé de deux classes inférieures socialement méprisées (un toxicomane et un homosexuel), Burroughs écrivait en anthropologue de formation lorsqu'il décrivait sans complexe un mode de vie - à New York, à la Nouvelle-Orléans et à Mexico - qui, dans les années 1940, était déjà diabolisé par l'hystérie antidrogue artificielle d'une bureaucratie opportuniste et d'une presse cynique et prostrée.  Ce premier roman introduit non seulement le personnage principal, Lee, mais aussi plusieurs des principaux motifs qui apparaissent dans les œuvres ultérieures de Burroughs : la métaphore centrale de la toxicomanie, l’image connexe de l’homme réduit à un sous-humain (généralement une créature insectoïde) par sa drogue et d’autres convoitises, et la suggestion d’une aberration sexuelle concomitante et envahissante...

 

La question est fréquemment posée : Pourquoi un homme devient-il toxicomane? La réponse est qu’il n’a généralement pas l’intention de devenir toxicomane. On ne se réveille pas un matin et on décide de devenir toxicomane ...

 

"... After parting company with the Army, I took a variety of jobs. You could have about any job you wanted at that time. I worked as a private detective, an exterminator, a bartender. I worked in factories and offices. I played around the edges of crime. But my hundred and fifty dollars per month was always there. I did not have to have money. It seemed a romantic extravagance to jeopardize my freedom by some token act of crime. It was at this time and under these circumstances that I came in contact with junk, became an addict, and thereby gained the motivation, the real need for money I had never had before.

The question is frequently asked: Why does a man become a drug addict?

The answer is that he usually does not intend to become an addict. You don’t wake up one morning and decide to be a drug addict. It takes at least three months’ shooting twice a day to get any habit at all. And you don’t really know what junk sickness is until you have had several habits. It took me almost six months to get my first habit, and then the withdrawal symptoms were mild. I think it no exaggeration to say it takes about a year and several hundred injections to make an addict.

The questions, of course, could be asked: Why did you ever try narcotics? Why did you continue using it long enough to become an addict? You become a narcotics addict because you do not have strong motivations in any other direction. Junk wins by default. I tried it as a matter of curiosity. I drifted along taking shots when I could score. I ended up hooked. Most addicts I have talked to report a similar experience. They did not start using drugs for any reason they can remember. They just drifted along until they got hooked. If you have never been addicted, you can have no clear idea what it means to need junk with the addict’s special need. You don’t decide to be an addict. One morning you wake up sick and you’re an addict.

I have never regretted my experience with drugs. I think I am in better health now as a result of using junk at intervals than I would be if I had never been an addict.

When you stop growing you start dying. An addict never stops growing.

Most users periodically kick the habit, which involves shrinking of the organism and replacement of the junk-dependent cells. A user is in continual state of shrinking and growing in his daily cycle of shot-need for shot completed.

Most addicts look younger than they are. Scientists recently experimented with a worm that they were able to shrink by withholding food. By periodically shrinking the worm so that it was in continual growth, the worm’s life was prolonged indefinitely. Perhaps if a junky could keep himself in a constant state of kicking, he would live to a phenomenal age.

Junk is a cellular equation that teaches the user facts of general validity. I have learned a great deal from using junk: I have seen life measured out in eye-droppers of morphine solution. I experienced the agonizing deprivation of junk sickness, and the pleasure of relief when junk-thirsty cells drank from the needle. Perhaps all pleasure is relief. I have learned the cellular stoicism that junk teaches the user. I have seen a cell full of sick junkies silent and immobile in separate misery. They knew the pointlessness of complaining or moving. They knew that basically no one can help anyone else. There is no key, no secret someone else has that he can give you. I have learned the junk equation. Junk is not, like alcohol or weed, a means to increased enjoyment of life. Junk is not a kick. It is a way of life...."

 

"Junk narrows consciousness, écrira en 1978 Burroughs. The only benefit to me as a writer (aside from putting me into contact with the whole carny world) came to me after I went off it. What I want to do is to learn to see more of what's out there, to look outside, to achieve as far as possible a complete awareness of surroundings ..."


Avec "Junkie", publié sous le pseudonyme de William Lee en 1953, et "Queer", écrit en 1953, mais publié 32 ans plus tard, et à partir de ses propres expériences de toxicomanie – ici, le corps est comme immobilisé (fixed) par un pouvoir qui lui est étranger et qui entre en lui et le prend en charge – Burroughs a commencé à développer toute une mythologie liée aux notions de besoin et de contrôle. «The algebra of need», comme Burroughs l’appelle, signifie que le besoin crée la soumission, permettant aux forces malignes de toutes sortes d’entrer et d’exploiter la conscience individuelle. « The face of evil », dit le lecteur au début de The Naked Lunch (Paris, 1959; New York, 1962), «is always the face of total need» (est toujours le visage du besoin total). Et son expérience en tant qu’homosexuel, dans une culture homophobe d’après-guerre qui identifiait les homosexuels avec d’autres ennemis réprimés de l’État comme les communistes, lui a permis de reconnaître comment des formes de contrôle pouvaient être exercées dans le corps politique et le corps politique américain en particulier. Pour Burroughs, les forces malignes qui tentent d’absorber ou d’exploiter l’identité unique de l’individu sont omniprésentes, attendant de faire leur travail parasitaire : «I can feel the heat closing in» (Je peux sentir la chaleur se refermer sur moi), commence le récit de The Naked Lunch, « sentez-les faire leurs mouvements ». « La traînée américaine se referme autour de nous comme aucune autre traînée au monde… il n’y a pas d’autre traînée comme celle des États-Unis » (The US drag closes around us like no other drag in the world … there is no other drag like the US drag), dit le lecteur plus tard dans le même livre. «You can’t see it, you don’t know where it comes from» (Vous ne pouvez pas le voir, vous ne savez pas d’où il vient). 


"Naked Lunch" (1962, Le Festin Nu)

"A frozen moment when everyone sees what is on the end of every fork" - Ce n'est qu'avec l'aide de Jack Kerouac et d'Allen Ginsberg que Burroughs parviendra à en tirer un livre présentable au niveau de la forme, pour le fond, "les mots savent où ils doivent être mieux que vous. Ils n'aiment pas être gardés en cage".  L’auteur lui-même déclare son livre « brutal, obscène, répugnant ». Il y décrit le monde de la drogue en homme qui subit son esclavage : « Depuis plus d’un an je n’avais pas pris de bain ni changé de vêtement. Je ne me déshabillais plus sauf pour planter toutes les heures l’aiguille d’une seringue hypodermique dans ma chair grise et fibreuse. » De cet authentique voyage au bout de la drogue, il rapporte des visions. Il se prétend « simple appareil enregistreur », écrivant sous l’influence de la drogue, selon la méthode surréaliste de l’écriture automatique. Ces fantasmes sont pour la plupart de nature sexuelle et sadomasochistes : viols d’adolescents, pendaisons, tortures. Mais ce qui, chez Sade, est pure imagination et délire de l’écriture est ici rapporté avec le détachement froid d’une sorte de réalisme visionnaire.

 

"Naked Lunch", écrit par William Burroughs et composé de vingt-trois chapitres apparemment désordonné, dans un mélange d'onirisme, d'hallucination et de satire, publié en 1959 (Olympia Press), fut longtemps réputé comme l'un des livres les plus difficiles et les plus ésotériques de l'époque (la traduction d`Eric Kahane en français (1964) fit date). On y est aux prises avec un narrateur le plus souvent halluciné, la toxicomanie constituant le sujet fondamental de l'œuvre et l'auteur se livre ici à une analyse dépourvue de toute complaisance de la "came" et de son fonctionnement. Les "vignettes" dont le livre est composé sont pour la plupart des épisodes surréalistes dans un ensemble disjoint de lieux, seulement très vaguement reliés par quelques personnages récurrents, y compris l’alter ego de Burroughs, William Lee. Il n’y a pas de complot. Ce qui pourrait s'apparentait au début d'un scénario est la « routine » d’ouverture (comme Burroughs appelait les "vignettes") dans laquelle Lee, à la recherche de sa prochaine dose de drogue, fuit deux policiers. Une partie de l’action se déroule au Mexique, où Burroughs a écrit une partie de l’œuvre; et Burroughs invente également des endroits qu'il nomme Freeland, Annexia et Interzone...

 

Introduction - Témoignage à propos d'une maladie ...

"Introduction - deposition: testimony concerning a sickness ...

 

"I awoke from The Sickness at the age of forty-five, calm and sane, and in reasonably good health except for a weakened liver and the look of borrowed flesh common to all who survive The Sickness … Most survivors do not remember the delirium in detail. I apparently took detailed notes on sickness and delirium. I have no precise memory of writing the notes which have now been published under the title Naked Lunch. The title was suggested by Jack Kerouac. I did not understand what the title meant until my recent recovery."

 

"Je me suis réveillé de la maladie à l'âge de quarante-cinq ans, calme et sain d'esprit, et en assez bonne santé, à l'exception d'un foie affaibli et de l'apparence de chair empruntée commune à tous ceux qui survivent à la maladie... La plupart des survivants ne se souviennent pas du délire en détail. J'ai apparemment pris des notes détaillées sur la maladie et le délire. Je n'ai aucun souvenir précis de la rédaction de ces notes qui ont été publiées sous le titre Naked Lunch. Ce titre a été suggéré par Jack Kerouac. Je n'ai pas compris ce qu'il signifiait jusqu'à ma récente guérison. "

 

"The title means exactly what the words say: NAKED Lunch – a frozen moment when everyone sees what is on the end of every fork..."

Le titre signifie exactement ce que les mots disent : NAKED Lunch - un moment figé où tout le monde voit ce qu'il y a au bout de chaque fourchette... 

 

Cette clarté nue à laquelle il fait référence relève de ces moments de sensibilisation accrue revendiquée par des toxicomanes, impressionnistes, irréalistes et souvent crus. Ses excès de violence, de sexe et d'obscénité ont fait que le livre a été interdit sur les côtes est et ouest de l’Amérique. En raison des lois américaines sur l’obscénité, le livre a été initialement publié dans un Paris plus libéral – où il a été partiellement écrit – et n’est apparu dans une édition américaine qu’en 1962. 

 

La maladie est la toxicomanie et j'ai été toxicomane pendant quinze ans...

 

"Naked Lunch", première tentative de Burroughs d’utiliser une intrigue non linéaire et fortement inspiré par la "technique de découpage" de Brion Gynsin, dans laquelle le texte est découpé et réorganisé pour créer de nouvelles phrases, reste un chef-d’œuvre obscur totalement déroutant, décourageant toute tentative de le résumer...

"Naked Lunch" s'ouvre avec les mésaventures de l’alter-ego de Burroughs, William Lee (ou "Lee the Agent"). Lee tente de fuir vers l'Ouest et d'échapper à la police, tout en cherchant désespérément sa prochaine "dose" (fix). Lee traverse plusieurs villes, dont New York, Philadelphie et Chicago. Il rencontre également un ensemble de personnages peu recommandables, tels que The Vigilante et The Rube...


Chapter 1 : And Start West

À New York, le narrateur, alias William Lee, échappe à la police qui l'accuse de trafic de drogue après avoir jeté un compte-gouttes et une cuillère (The dropper and spoon are standard paraphernalia for heroin users). Il monte dans une rame de métro et donne le change à un agent. Dans le train, il observe les autres passagers et entame une conversation avec un "gamin" (kid) qui semble vouloir à tout prix paraître "branché" (hip). Il décrit certains membres de son cercle. Le Boiteux (The Gimp) est tué par un caïd à Philadelphie. Le justicier cherche la bagarre. Le Shoe Store Kid (dont les lecteurs apprendront plus tard qu'il s'agit d'Hassan) et le Rube échangent des faveurs sexuelles contre de la drogue ...

 

" I can feel the heat closing in, feel them out there making their moves, setting up their devil doll stool pigeons, crooning over my spoon and dropper I throw away at Washington Square Station, vault a turnstile and two flights down the iron stairs, catch an uptown A train … Young, good looking, crew cut, Ivy League, advertising exec type fruit holds the door back for me. I am evidently his idea of a character. You know the type comes on with bartenders and cab drivers, talking about right hooks and the Dodgers, call the counterman in Nedick’s by his first name. A real asshole. And right on time this narcotics dick in a white trench coat (imagine tailing somebody in a white trench coat – trying to pass as a fag I guess) hit the platform. I can hear the way he would say it holding my outfit in his left hand, right hand on his piece: ‘I think you dropped something, fella.'

But the subway is moving..."

 

"L'odeur de roussi se rapproche, je les devine dans l'ombre en train de combiner leur coup, de mettre en place leurs mouchards de charme et baver de joie en repérant ma cuiller et le compte-gouttes que j'ai jetés à la station de Washington Square au moment où j'ai sauté le tourniquet pour dévaler la ferraille des deux étages et attraper l'express du centre... Un petit jeune me tient la porte du wagon, il est beau garçon, les cheveux en brosse, la pomme d'un bachelier de la haute devenu chef de publicité et un tantinet pédale. Probable que je suis son idée du héros de feuilleton. Tu connais le style: bon cheval avec les barmen et les chauffeurs de taxi, le gars qui sait causer rugby ou crochets du droit et qui appelle le loufiat du snack Nedick par son prénom. Un trou-du-cul bon teint... Et voilà que le poulet des Stupéfiants arrive le sur le quai dans son bel imperméable blanc (se mettre en blanc pour filer un type, tu te rends compte! Il a dû se dire que le genre tapette passerait inaperçu). Je sais d'avance comment il va me dire ça, en brandissant mes ustensiles dans sa main gauche et son pétard dans la droite : 'J'ai idée que t'as perdu quelque chose, mon pote.'

Mais le métro démarre..."

 

 ‘So long flatfoot!’ I yell, giving the fruit his B production. I look into the fruit’s eyes, take in the white teeth, the Florida tan, the two hundred dollar sharkskin suit, the button-down Brooks Brothers shirt and carrying The News as a prop. ‘Only thing I read is Little Abner.’

A square wants to come on hip.… Talks about ‘pod,’ and smoke it now and then, and keeps some around to offer the fast Hollywood types.

‘Thanks, kid,’ I say, ‘I can see you’re one of our own.’ His face lights up like a pinball machine, with stupid, pink effect.

‘Grassed on me he did,’ I said morosely. (Note: Grass is English thief slang for inform.) I drew closer and laid my dirty junky fingers on his sharkskin sleeve. ‘And us blood brothers in the same dirty needle. I can tell you in confidence he is due for a hot shot.’ (Note: This is a cap of poison junk sold to addict for liquidation purposes. Often given to informers. Usually the hot shot is strychnine since it tastes and looks like junk.)

‘Ever see a hot shot hit, kid? I saw the Gimp catch one in Philly. We rigged his room with a one-way whorehouse mirror and charged a sawski to watch it. He never got the needle out of his arm. They don’t if the shot is right. That’s the way they find them, dropper full of clotted blood hanging out of a blue arm. The look in his eyes when it hit – Kid, it was tasty.…

‘Recollect when I am travelling with the Vigilante, best Shake Man in the industry. Out in Chi … We is working the fags in Lincoln Park. So one night the Vigilante turns up for work in cowboy boots and a black vest with a hunka tin on it and a lariat slung over his shoulder.

 ‘So I says: “What’s with you? You wig already?”

‘He just looks at me and says: “Fill your hand stranger” and hauls out an old rusty six shooter and I take off across Lincoln Park, bullets cutting all around me. And he hang three fags before the fuzz nail him. I mean the Vigilante earned his moniker.…

‘Ever notice how many expressions carry over from queers to con men?

Like “raise,” letting someone know you are in the same line?

‘“Get her!”

‘“Get the Paregoric Kid giving that mark the build up!”

‘“Eager Beaver wooing him much too fast.”

‘The Shoe Store Kid (he got that moniker shaking down fetishists in the shoe stores) say: “Give it to a mark with K.Y. and he will come back moaning for more.” And when the Kid spots a mark he begin to breathe heavy. His face swells and his lips turn purple like an Eskimo in heat. Then slow, slow he comes on the mark, feeling for him, palpating him with fingers of rotten ectoplasm."

 

"Je crie : «Salut pied-plat ! ›› histoire de donner au pédé bachelier son petit frisson de cinéma populaire. Et je me retourne vers le jeunot, je le regarde droit dans les yeux, je note ses dents bien blanches, son hâle des plages de Floride, son costume d'alpaga à deux cents dollars, sa chemise luxe à col boutonné de chez Brooks Brothers et le News qu”il tient à la main pour en installer (« Remarquez, je l'achète uniquement pour les bandes dessinées! ››).

Un jeune cave qui veut avoir l'air à la coule. .. Ça se gargarise en parlant « herbe à Marie ›› et «thé ››, ça va même jusqu”à en fumer de temps à autre et à trimbaler sur soi une petite provision de marijuana pour en offrir aux affranchis de Hollywood.

- Merci petit, dis-je, je vois que tu es des nôtres.

Du coup, sa bobine s'illumine comme un billard électrique, avec des reflets de crétinisme rose bonbon.

- Le salaud, dis-je d'une voix dramatique, il m'a donné.

Je me colle contre lui et pose mes doigts gris de camé sur sa manche d'alpaga :

- Nous deux on est frères de sang, on sort de la même seringue. Et je te signale en confidence que ce bâtard va avoir droit à sa piquouse de braise... (N. B. - Il s'agit d'une capsule de blanche empoisonnée qu'on refile à un camé dont on veut se débarrasser. Méthode usuelle pour liquider les mouchards. C”est généralement de la strychnine, qui a le goût et l'apparence de l'héroïne.)...  Tu as déjà assisté à une séance de braise, petit ? Moi j”ai vu le Boiteux se faire assaisonner à Philadelphie. On avait équipé sa piaule avec un miroir truqué de bordel et les amateurs devaient cracher dix sacs pour voir le spectacle. Il a même pas eu le temps d'ôter l'aiguille de son bras. Quand la dose est bien calculée ça part recta et on retrouve le zig tout bleu, avec la seringue pleine de sang coagulé qui lui pend encore au coude... Et le regard du Boiteux quand il a pris le coup de bambou - fiston, c'était du gâteau...

«Je me souviens du temps où j 'étais en tandem avec le Milicien, un copain qui jouait les lyncheurs sudistes. Personne lui arrivait à la cheville pour l'escroque au faux poulet... C'était à Chicago, on travaillait les pédés de Lincoln Park. Et un soir le Milicien s'amène au boulot en bottes de cow-boy et gilet noir avec un insigne de shérif bidon et un lasso à Pépaule. Alors moi je lui dis : “Non mais ça va pas ? Tu es blindé ou quoi ?” Et lui il me regarde en disant comme dans un western: “Dégaine, l'ami!” Sur quoi il sort un vieux six-coups tout rouillé et je détale à travers le parc avec le plomb qui me siffle aux oreilles. Il a descendu trois pédés avant de se faire épingler par les flics. Le Milicien - on peut dire qu'il avait pas volé son nom...

« Jamais remarqué le nombre d'expressions que les truands ont piquées aux pédés ? Comme “mettre dans l'œuf”. ..

« Oui, et “vise le Môme Parégorique qui balance la purée à son micheton !”.

«Et “File-Vinaigre perd pas son temps à écrémerle cave”...

«Petit Chausse-Pied (il tient son nom du fait qu'il engourdit les fétichistes dans les magasins de chaussures) dit toujours : “Fais-toi un cave à la vaseline et il viendra mendier du rabiot à deux genoux !” Quand Petit Chausse-Pied repère un cave tu as l'impression qu'il peut plus respirer. Sa tranche commence à enfler, ses lèvres virent au violet -il a l'air d'un Esquimau en chaleur. Et puis il marche sur son client à tout petits pas, lent comme un pape, il le cherche à tâtons et se met à le palper avec ses doigts d'ectoplasme pourri..."

 

 "The Rube has a sincere little boy look, burns through him like blue neon. That one stepped right off a Saturday Evening Post cover with a string of bullheads, and preserved himself in junk. His marks never beef and the Bunko people are really carrying a needle for the Rube. One day Little Boy Blue starts to slip, and what crawls out would make an ambulance attendant puke.

The Rube flips in the end, running through empty automats and subway stations, screaming: “Come back, kid!! Come back!!” and follows his boy right into the East River, down through condoms and orange peels, mosaic of floating newspapers, down into the silent black ooze with gangsters in concrete, and pistols pounded flat to avoid the probing finger of prurient  ballistic experts."

 

« Le Glaiseux a un regard de mômichon ingénu, ça lui brille dans les yeux comme du néon bleu. A le voir tu croirais qu'il pose pour une couverture de magazine avec une brochette de pescales frais pêchés à bout de bras. Il est conservé intact, congelé par la came. Les michetons qu'il arnaque ne font jamais d'histoires mais ça empêche pas la maison poulaillon de vouloir lui faire la peau. Un jour son choupin Blouson Bleu a fait une cagade et le résultat était pas beau à voir, de quoi faire dégueuler un interne d'hôpital. Le pauvre Glaiseux en perd la boule et il part en galope à travers les couloirs de métro et les self-services en braillant: “Reviens, mon gosse, ramène-toi!” Il suit son girond jusqu'à l'East River et se balance à la baille avec lui, entre les capotes et les écorces d'oranges et les mosaïques de journaux qui flottent tout partout, et il finit dans le silence noir de la vase en compagnie des truands en carcan de béton et des vieux  flingues maquillés à coups de marteau pour piper les vicieux de la balistique.." (traduction Eric Kahane, Gallimard) ...

 

Le narrateur se rend dans un automate (cafétéria ressemblant à un distributeur automatique), où il voit d'autres junkies dans divers états de délabrement. Il se rend compte qu'il sera comme eux un jour. Il se souvient de certains dealers qu'il a connus et se demande ce qu'ils sont devenus. Sachant que la police est déjà en possession de son attirail de drogue et des informations fournies par Willy the Disk, le narrateur décide de quitter la ville...

 

... Donc les poulets tiennent ma cuillère et mon compte-gouttes, je sais qu'ils arrivent guidés par un mouchard aveugle ...

"Well, the fuzz has my spoon and dropper, and I know they are coming in on my frequency led by this blind pigeon known as Willy the Disk. Willy has a round, disk mouth lined with sensitive, erectile black hairs. He is blind fromshooting in the eyeball, his nose and palate eaten away sniffing H, his body a mass of scar tissue hard and dry as wood. He can only eat the shit now with that mouth, sometimes sways out on a long tube of ectoplasm, feeling for the silent frequency of junk. He follows my trail all over the city into rooms I move out already, and the fuzz walks in some newlyweds from Sioux Falls.

‘All right, Lee!! Come out from behind that strap-on! We know you,’ and pull the man’s prick off straightaway.

Now Willy is getting hot and you can hear him always out there in darkness (he only functions at night) whimpering, and feel the terrible urgency of that blind, seeking mouth. When they move in for the bust, Willy goes all out of control, and his mouth eats a hole right through the door. If the cops weren’t there to restrain him with a stock probe, he would suck the juice right out of every junky he ran down.

I knew, and everybody else knew they had the Disk on me. And if my kid customers ever hit the stand: ‘He force me to commit all kinda awful sex acts in return for junk’ I could kiss the street good-bye.

So we stock up on H, buy a second-hand Studebaker, and start West.

The Vigilante copped out as a schizo possession case:

‘I was standing outside myself trying to stop those hangings with ghost fingers.… I am a ghost wanting what every ghost wants – a body – after the Long Time moving through odorless alleys of space where no life is only the colorless no smell of death.… Nobody can breathe and smell it through pink convolutions of gristle laced with crystal snot, time shit and black blood filters of flesh.’

He stood there in elongated court room shadows, his face torn like a broken film by lusts and hungers of larval organs stirring in the tentative ectoplasmic flesh of junk kick (ten days on ice at time of the First Hearing) flesh that fades at the first silent touch of junk...."

 

Chapter 2 : The Vigilante

Le narrateur raconte l'histoire d'un homme qu'il n'identifie que sous le nom de Vigilante (Le Justicier). On ignore la nature des accusations auxquelles il est confronté, mais on connaît sa propension à la violence et entraîné dans celle-ci sans pouvoir s'arrêter. Lorsque le justicier est attrapé par la police, il "s'est rendu coupable de possession schizophrénique" (copped out as a schizo possession case). Dans une salle d'audience fédérale, il parle d'"essayer d'arrêter ces pendaisons avec des doigts de fantômes" (trying to stop those hangings with ghost fingers). Il est condamné à un hôpital psychiatrique fédéral, où son corps et son esprit se détériorent encore davantage.

 

Chapter 3 : The Rube

Le narrateur et ses compagnons de voyage, dont Rube, sont arrêtés à Philadelphie. Le Rube a un "Mark Inside", il ne peut se contenir, ne peut garder son sang-froid et est susceptible de trahir ses compagnons à tout moment, ce qui fait de lui un "boulet social" (social liability). Ils sont placés dans une cellule avec cinq autres junkies. Le narrateur révèle qu'il garde toujours une "cachette" (stash)sur lui en laissant quelques gouttes de chacun de ses shots s'infiltrer dans ses poches. Il peut utiliser une épingle à nourrice et un compte-gouttes pour s'administrer ces restes, mais il ne veut pas le faire devant les autres junkies. Lorsqu'ils sont libérés, le narrateur laisse le Rube au coin d'une rue (malgré sa vulnérabilité) tandis que le reste du groupe se rend à Chicago et à Saint-Louis. Sur la route, le narrateur observe "qu'il n'y a pas de drogue comme la drogue américaine... et que nos habitudes se développent avec la drogue" (there is no drag like U.S. drag ... and our habits build up with the drag), "U.S. drag" décrit le sentiment d’ennui étouffant émanant de la culture américaine, en particulier lorsqu’ils voyagent à travers le Midwest conservateur. - Ils s'approvisionnent en drogue à Houston et à la Nouvelle-Orléans, puis se dirigent vers le Mexique.

Au Mexique, ils rencontrent Bradley l'Acheteur, un agent des stupéfiants qui a une "habitude de contact" (contact habit). Il a l'air d'un junkie et agit comme tel, mais sa dose consiste à se frotter contre des toxicomanes en échange de drogue (ce frottement reflète la tendance des fonctionnaires à abuser de leur autorité et à profiter des faiblesses des personnes qu’ils sont censés aider). Lorsque son superviseur de district (D.S.) convoque l'acheteur pour lui parler de ses habitudes, l'acheteur commence à se frotter à lui. Il finit par absorber le D.S. dans son propre corps. L'acheteur est libéré. Malgré les soupçons du juge, il n'y a pas de preuves solides contre lui.

 

Enfin Mexico où, trônant comme la déesse aztèque de a Terre, Lupita fourgue ses petis sachets d'héroïne ... - " Mexico City where Lupita sits like an Aztec Earth Goddess doling out her little papers of lousy shit. - ‘Selling is more of a habit than using,’ Lupita says. Non-using pushers have a contact habit, and that’s one you can’t kick. Agents get it too. Take Bradley the Buyer. Best narcotics agent in the industry. Anyone would make him for junk. (Note: Make in the sense of dig or size up.) I mean he can walk up to a pusher and score direct. He is so anonymous, grey and spectral the pusher don’t remember him afterwards. So he twists one after the other.…

 

Well the Buyer comes to look more and more like a junky. He can’t drink.

He can’t get it up. His teeth fall out. (Like pregnant women lose their teeth feeding the stranger, junkies lose their yellow fangs feeding the monkey.) He is all the time sucking on a candy bar. Babe Ruths he digs special. ‘It really disgust you to see the Buyer sucking on them candy bars so nasty,’ a cop says.

The Buyer takes on an ominous grey-green color. Fact is his body is making its own junk or equivalent. The Buyer has a steady connection. A Man Within you might say. Or so he thinks. ‘I’ll just set in my room,’ he says.

‘Fuck ’em all. Squares on both sides. I am the only complete man in the industry.’

But a yen comes on him like a great black wind through the bones. So the Buyer hunts up a young junky and gives him a paper to make it.

‘Oh all right,’ the boy says. ‘So what you want to make?’

‘I just want to rub up against you and get fixed.’

‘Ugh.… Well all right.… But why cancha just get physical like a human?’

Later the boy is sitting in a Waldorf with two colleagues dunking pound cake. ‘Most distasteful thing I ever stand still for,’ he says. ‘Some way he make himself all soft like a blob of jelly and surround me so nasty. Then he gets wet all over like with green slime. So I guess he come to some kinda awful climax.… I come near wigging with that green stuff all over me, and he stink like a old rotten canteloupe.’

‘Well it’s still an easy score.’

The boy sighed resignedly; ‘Yes, I guess you can get used to anything.

I’ve got a meet with him again tomorrow.’

The Buyer’s habit keeps getting heavier. He needs a recharge every half hour. Sometimes he cruises the precincts and bribes the turnkey to let him in with a cell of junkies. It gets to where no amount of contact will fix him...."

 

Le narrateur se procure de la cocaïne, ou C, au Mexique grâce à l'ordonnance d'un autre junkie. Il raconte l'histoire de Jane, une prostituée dont le proxénète est "un de ces artistes de la vibration et du régime" (one of these vibration and dietary artists) qui oblige ses femmes à suivre ses croyances. Il fume de la marijuana (du thé) et est "très puritain en ce qui concerne la camelote" (very puritanical about junk). La narratrice fume avec lui, mais panique rapidement et s'enfuit. Un an plus tard, le narrateur apprend que Jane est morte.

 

Chapter 4 : Benway  

"So I am assigned to engage the services of Doctor Benway for Islam Inc. Dr. Benway had been called in as advisor to the Freeland Republic, a place given over to free love and continual bathing. The citizens are well adjusted, co-operative, honest, tolerant and above all clean. But the invoking of Benway indicates all is not well behind that hygienic façade: Benway is a manipulator and co-ordinator of symbol systems, an expert on all phases of interrogation, brainwashing and control. I have not seen Benway since his precipitate departure from Annexia, where his assignment had been T.D. – Total Demoralization. Benway’s first act was to abolish concentration camps, mass arrest and, except under certain limited and special circumstances, the use of torture.

‘I deplore brutality,’ he said. ‘It’s not efficient. On the other hand, prolonged mistreatment, short of physical violence, gives rise, when skillfully applied, to anxiety and a feeling of special guilt. A few rules or rather guiding principles are to be borne in mind. The subject must not realize that the mistreatment is a deliberate attack of an antihuman enemy on his personal

identity. He must be made to feel that he deserves any treatment he receives because there is something (never specified) horribly wrong with him. The naked need of the control addicts must be decently covered by an arbitrary and intricate bureaucracy so that the subject cannot contact his enemy direct."

 

"J'ai été chargé d'engager les services du docteur Benway au nom de la Société Islam & Cie. Le docteur est le conseiller médico-technique 'de la république de Libertie, territoire voué à 'amour libre et à l'hygiène du bain. Les citoyens sont parfaitement adaptés, serviables, honnêtes, tolérants et, par-dessus tout, bien briqués. Néanmoins, la présence de Benway indique que tout ne va pas pour le mieux derrière cette façade de propreté, sachant qu'il est maître manipulateur et coordinateur du système symboliste, expert en interrogatoires, lavages de cerveaux et contrôles à tous les degrés. Je ne l'avais pas revu depuis son départ précipité d'Annexie, où il dirigeait les services de D. T. - Démoralisation Totale. Sa première mesure là-bas avait été l'abolition des camps de concentration, des arrestations en masse et, hormis certains cas particuliers et limités, de la torture.

- Je réprouve la brutalité, disait-il alors. Elle n'est pas efficace. D'un autre côté, une certaine forme de persécution excluant toute violence physique peut donner naissance, si elle est appliquée de façon prolongée et judicieuse, à un complexe de culpabilité spécifique. Il est indispensable de retenir quelques règles, ou plutôt quelques idées directrices. Le sujet ne doit pas voir dans ce mauvais traitement une agression de sa personnalité par quelque ennemi antihumain. On doit lui faire sentir que la punition qu'il subit, quelle qu'elle soit, est entièrement méritée, c'est-à-dire qu'il est affligé d'une tare horrible - non précisée. Le besoin tout cru des fanatiques du contrôle doit être camouflé décemment derrière une paperasserie aussi arbitraire que complexe, de manière que le patient ne puisse jamais entrer en rapport direct avec son ennemi...."

 

Ainsi le narrateur, Lee, atteint le Mexique et est "assigné" (assigned) à travailler avec le Dr Benway d'Islam Inc. Benway est un chirurgien discrédité qui utilise des méthodes sadomasochistes pour continuer à pratiquer ce qu'il sait parfaitement faire sans remords ni empathie. Maître en manipulation et coordination des systèmes de symboles, il est "un expert de toutes les phases d'interrogatoire, de lavage de cerveau et de contrôle" (an expert on all phases of interrogation, brainwashing and control). Il a été éloigné d'Annexia parce qu'il prétend "abhorrer la brutalité" (abhor brutality). Cependant, l'idée que Benway se fait de l'utilisation de la torture est très large. Il pense que la torture peut être efficace "lorsque le sujet est suffisamment avancé dans son traitement pour accepter la punition comme elle est méritée" (when the subject is just far enough along with treatment to accept punishment as deserved). En visitant l'établissement de Benway, le Reconditioning Center ou R.C. à Freeland, le narrateur découvre que ces "traitements" (treatments) sont une sorte de torture en soi. Il administre des drogues expérimentales et hallucinogènes aux sujets, provoquant des états tels que la catatonie, la schizophrénie et la dépression. Il utilise la psychanalyse pour faire oublier aux sujets leur propre identité. Benway pratique des opérations chirurgicales bâclées et inutiles. Benway incite également ses sujets à prendre part à diverses activités sexuelles dans le cadre de son étude du comportement homosexuel.

 

Vers la fin de la visite, Benway découvre que "le cerveau électronique" (the electronic brain) qui contrôle l'établissement "est devenu fou" (went berserk) et a libéré tous les détenus. Benway et le narrateur s'échappent en hélicoptère. Le narrateur décrit le chaos qu'il voit sur le terrain, notamment les viols collectifs et autres violences. Les touristes de Freeland demandent l'asile pour échapper à l'anarchie. Pendant ce temps, la chambre de commerce appelle au calme, affirmant que la violence n'est due qu'à "quelques fous qui ont perdu la raison" (only a few crazies who have from the crazy place outbroken). 

 

"Every citizen of Annexia was required to apply for and carry on his person at all times a whole portfolio of documents. Citizens were subject to be stopped in the street at any time; and the Examiner, who might be in plain clothes, in various uniforms, often in a bathing suit or pyjamas, sometimes stark naked except for a badge pinned to his left nipple, after checking each paper, would stamp it. On subsequent inspection the citizen was required to show the properly entered stamps of the last inspection. The Examiner, when he stopped a large group, would only examine and stamp the cards of a few.

The others were then subject to arrest because their cards were not properly stamped. Arrest meant ‘provisional detention’; that is, the prisoner would be released if and when his Affidavit of Explanation, properly signed and stamped, was approved by the Assistant Arbiter of Explanations. Since this official hardly ever came to his office, and the Affidavit of Explanation had to be presented in person, the explainers spent weeks and months waiting around in unheated offices with no chairs and no toilet facilities.

Documents issued in vanishing ink faded into old pawn tickets. New documents were constantly required. The citizens rushed from one bureau to another in a frenzied attempt to meet impossible deadlines. All benches were removed from the city, all fountains turned off, all

flowers and trees destroyed. Huge electric buzzers on the top of every apartment house (everyone lived in apartments) rang the quarter hour. Often the vibrations would throw people out of bed. Searchlights played over the town all night (no one was permitted to use shades, curtains, shutters or blinds).

No one ever looked at anyone else because of the strict law against importuning, with or without verbal approach, anyone for any purpose, sexual or otherwise. All cafés and bars were closed. Liquor could only be obtained with a special permit, and the liquor so obtained could not be sold or given or in any way transferred to anyone else, and the presence of anyone else in the room was considered prima facie evidence of conspiracy to transfer liquor.

No one was permitted to bolt his door, and the police had pass keys to every room in the city. Accompanied by a mentalist they rush into someone’s quarters and start ‘looking for it.’

The mentalist guides them to whatever the man wishes to hide: a tube of vaseline, an enema, a handkerchief with come on it, a weapon, unlicensed alcohol. And they always submitted the suspect to the most humiliating search of his naked person on which they make sneering and derogatory comments. Many a latent homosexual was carried out in a straitjacket when they planted vaseline in his ass. Or they pounce on any object. A pen wiper or a shoe tree.

‘And what is this supposed to be for?’

‘It’s a pen wiper.’

‘A pen wiper, he says.’

‘I’ve heard everything now.’

‘I guess this is all we need. Come on, you.’

After a few months of this the citizens cowered in corners like neurotic cats.

Of course the Annexia police processed suspected agents, saboteurs and political deviants on an assembly line basis. As regards the interrogation of suspects, Benway has this to say:

‘While in general I avoid the use of torture – torture locates the opponent and mobilizes resistance – the threat of torture is useful to induce in the subject the appropriate feeling of helplessness and gratitude to the interrogator for withholding it..."

 

Annexia est dépeinte comme un État totalitaire dans lequel les citoyens sont soumis à des fouilles spontanées et doivent suivre les indications de documents en constante évolution. Les villes sont transformées en lieux stériles et inhospitaliers après la destruction des espaces verts. Benway se heurte aux autorités d’Annexia en abolissant "les camps de concentration, les arrestations massives et, sauf dans certaines circonstances limitées et spéciales, la torture." Cependant, Benway est un hypocrite sadique qui se cache derrière l’apparence de la science. Le centre de reconditionnement de Benway est singulier : les patients ne sont pas "reconditionnés" à des fins significatives, mais réduits à des amas de chair humaine entraînés uniquement par leurs instincts les plus primitifs. Benway apprécie clairement ses expériences et le contrôle qu’il a sur ses sujets quand il les fait souffrir. Lorsqu’un dysfonctionnement informatique libère les détenus et que le chaos s’ensuit, ils représentent un danger évident pour les touristes qui viennent à Freeland. On peut s'interroger sur la nature de ces touristes qui viennent dans un endroit comme le Centre de Reconditionnement et la propension de tout gouvernement à minimiser la crise, plus préoccupés par son image que par le bien-être du peuple, n'est plus une découverte ..

 

Chapter 5 : Joselito  

Joselito tousse et un médecin allemand lui diagnostique une tuberculose. Le médecin parle de l'état de Joselito à Carl, le compagnon de Joselito, tout en tripotant Carl. Sur la recommandation du médecin, Joselito est envoyé dans un sanatorium pour y être soigné. Carl rend visite à Joselito au sanatorium. Carl a des hallucinations de bâtiments en ruine, de jungles menaçantes, et "le chemin ... jonché de préservatifs cassés et de capuchons H et de tubes K.Y. vides" (the way ... strewn with broken condoms and empty H caps and K.Y. tubes). Il dit des bêtises sur ses meubles alors que les garçons passent devant le sanatorium en criant le nom de Joselito.

 

Chapter 6 : The Black Meat 

L'histoire se déplace ensuite de manière non linéaire vers un marché. La viande noire y est vendue et comparée à de la "camelote" (junk), c'est-à-dire à de l'héroïne de goudron noir (Black Tar Heroin). Les consommateurs de viande noire se gavent, vomissent abondamment et reprennent des forces pour manger davantage. Le Marin (The Sailor, "des yeux morts, d'un froid de profondeur océaniques, sans la moindre trace d'affection, ni de désir, ni de haine") menace un cireur de chaussures dans un café, se moquant de la qualité de ses veines. Le Marin s'entretient ensuite avec "Fats" Terminal, tentant de conclure avec lui un marché pour de la viande noire (Black Meat). Le Marin se rend dans les rues de la "Ville" (City) jusqu'à une place où se réunissent les trafiquants de viande noire. La viande noire est "la chair du mille-pattes noir aquatique géant" (flesh of the giant aquatic black centipede). The Sailor se rend au Meet Café situé à l'une des extrémités de la place. Il y trouve des Mugwumps nus, des créatures qui se nourrissent de sucreries et qui excrètent de leur pénis un liquide addictif qui prolonge la vie. Les accros à ce fluide sont appelés Reptiles, des créatures charnues couvertes de "poils érectiles creux" (hollow erectile hairs) derrière chaque oreille. La relation symbiotique entre ces deux espèces, Mugwumps et Reptiles, reflète la relation symbiotique qui évolue entre les revendeurs et les toxicomanes : et l'on voit comment ces reptiles ont évolué pour servir toujours au mieux les Mugwumps, révèlant comment cette relation entre dealers et junkies rend les participants monstrueux tant en en apparence et qu'en fonction. The Sailor passe un accord avec l'un de ces reptiles pour acheter de la viande noire contre des graisses.

 

Chapter 7 : Hospital

L'intrigue se déplace ensuite vers l'hôpital sans crier gare. Le Dr Benway se révèle être un masochiste maniaque, qui drogue et torture physiquement et mentalement quelques patients et documente assidûment les résultats. Willy l'agent est à l'hôpital d'Hassan, en cure de désintoxication. Il est paranoïaque et fait des cauchemars hallucinatoires dans lesquels il jette de l'acide sur "un petit Arabe" (a slight short Arab). Il se promène dans l'hôpital où il voit des "Européens à l'air horrible" (horrible-looking Europeans), dont l'une est là avec toute sa famille en attente d'une opération. Il rêve d'acheter de la camelote (junk), car il a besoin d'une dose à la fin de sa désintoxication, "le point critique du sevrage" (the critical point of withdrawal). 

Willy l’Agent, pseudonyme pour William Lee, le narrateur de Naked Lunch, évolue tout au long de cette narration entre la première et la troisième personne, à mesure que la désintoxication se déroule : ce qui permet d'exprimer  que le narrateur subit un certain retrait de sa propre identité alors qu’il tente de se débarrasser de son habitude, dépendance et l’identité ne font qu’un. Le  point critique du retrait n’est pas dans les premiers jours, car il y a trop de souffrance, mais lorsque celle-ci prend fin, le toxicomane craignant alors de lâcher prise et de se perdre lui-même.

Dans les toilettes, le docteur Benway pratique une intervention chirurgicale non spécifiée sur une femme. Il utilise des instruments de nettoyage non stérilisés et prévoit d'utiliser une ventouse pour masser le cœur de la patiente. Il déclare : "Bientôt, nous opérerons à distance des patients que nous ne verrons jamais" (we'll be operating by remote control on patients we never see), déplorant que "la chirurgie perde ses compétences" (skill is going out of surgery). La patiente meurt et Benway déclare : "Eh bien, c'est le travail d'une journée" (Well, it's all in a day's work), avant de se plaindre que son dealer coupe sa cocaïne avec du Saniflush.

Puis Benway opère dans un auditorium plein à craquer. Il déclare que l'opération "n'a absolument aucune valeur médicale" (has absolutely no medical value). Il se compare à un torero. Un homme saute du public avec un scalpel et les aides-soignants l'emmènent. Benway l'appelle un espontaneo, un spectateur d'une corrida qui essaie de participer à l'action dans l'arène.

"Brusquement réveillé cette nuit, quelqu'un me serrait la main, c'était mon autre main.." Toujours en convalescence, Willy l'agent passe devant une chambre qui abritait un "cas de maternité" (maternity case) avec des "bassins remplis de sang, de Kotex et de substances féminines sans nom" (bedpans full of blood and Kotex and nameless female substances). Il entend de la musique patriotique et imagine un diplomate critiquant différents groupes en Amérique. Willy prend des doses d'Eukodol (dihydro-oxy-codéine) toutes les quelques heures. - "Le drogué considère son propre corps de façon tout impersonnelle, comme un instrument destiné à absorber l'élément dans lequel il vit.." -  Il essaie aussi un somnifère appelé Soneryl, qui fait passer l'utilisateur "au sommeil sans transition" (to sleep without transition). Il décrit la consommation de came (junk) du président et l'acte homosexuel utilisé pour le "recharger" (recharge him), une "habitude oblique" (Oblique Habit) qui provoque une agonie si les recharges s'arrêtent.

Le narrateur a repris son point de vue à la première personne après l’intermède des activités du Dr Benway. Il révèle également l’utilisation continue d’un narcotique sur ordonnance et d’un somnifère. L’introduction de ces nouveaux médicaments montre comment leur utilisation a en quelque sorte ramené Willy à sa propre identité. Le narrateur ne ressent plus le besoin de s’éloigner de lui-même. Ses commentaires sur le président introduisent l’idée que tout le monde, même aux plus hauts échelons du pouvoir, a une dépendance d’un genre ou d’un autre ..

 

Chapter 8 : Lazarus Go Home 

"Fumbling through faded tape at the pick up frontier, a languid grey area of hiatus miasmic with yawns and gaping goof holes, Lee found out that the young junky standing there in his room at 10 A. M. was back from two months skin diving in Corsica and off the junk.… - ‘Here to show off his new body,’ Lee decided with a shudder of morning junk sickness...." - Lee se ressaisit, de justesse, pour rencontrer Miguel, une de ses connaissances. Il lui offre "une gorgée" (one snort) d'héroïne. Miguel semble s'être désintoxiqué récemment. Lee trouve Miguel fatigant, son corps grotesque. Lee range l'héroïne et pousse Miguel vers la porte lorsque son propre besoin le submerge. Ici, le narrateur se réfère donc à nouveau à lui-même à la troisième personne, il est Lee, et son interaction avec Miguel, le toxicomane qui s'en est sorti, lui pose problème. Le titre de l’histoire fait référence à l’histoire biblique de Lazare, qui meurt de la lèpre et qui est ramené à la vie par Jésus-Christ. Lee n’est pas prêt à gérer la possibilité de revenir d’entre les morts.

Lee va voir une autre connaissance, NG Joe, qui est devenu dépendant après avoir contracté une maladie appelée Bang-utot à Hawaï. Cette maladie fait croire à ses victimes que "leur pénis va entrer dans leur corps et les tuer" (their penis will enter the body and kill them). Elles craignent d'avoir une érection parce qu'elle pourrait les attaquer (la maladie de NG Joe exprime l’anxiété sexuelle et l’impuissance associées à la dépendance). NG Joe prend de l'héroïne pour éviter d'avoir des érections, ce qui augmente sa dépendance. Lee se rend dans une pharmacie et regarde les enfants jouer dans la rue en attendant l'ouverture du magasin.

Un inspecteur s'entretient avec votre reporter au sujet du traitement des courbatures. L'inspecteur applique une pommade pour traiter ses poux pubiens pendant l'entretien. Le journaliste lui serre la main à la fin de l'échange et se débarrasse ensuite de ses gants, pensant que sa note de frais les couvrira. L’inspecteur, en tant que figure de l’application de la loi, révèle l’hypocrisie des autorités en ce qui concerne les activités sexuelles et son pouvoir lui permet d’attendre une poignée de main, même avec une main couverte d’onguent et de parasites ...

 

Chapter 9 : Hassan's Rumpus Room

Une orgie commence dans la salle de repos "en peluche rouge et dorée" (gilt and red plush) d'Hassan. Elle commence lorsqu'un Mugwump déshabille un jeune homme et a des rapports sexuels avec lui, malgré les protestations du garçon. Plus tard, il fait monter le garçon sur une plate-forme et lui met un nœud coulant. Il pousse le garçon hors de la plate-forme tout en continuant à avoir des relations sexuelles avec lui. L'orgie s'intensifie et divers personnages se livrent à des actes dépravés de plus en plus créatifs, y compris une pendaison collective. (Burroughs juxtapose pour montrer leurs contradictions rencontres sexuelles obscènes et obscénité des pendaisons). Finalement, une "horde de femmes américaines assoiffées de luxure" (horde of lust-mad American women) arrive sur les lieux et demande des rapports sexuels. L’arrivée de celles-ci révèle mépris pour les femmes elles-mêmes et pour la culture américaine.  A.J. sort une épée et décapite les Américaines alors qu'il prend l'apparence d'un pirate. Il fait appel à "un millier d'Esquimaux en rut" (a thousand rutting Eskimos), qui copulent avec les cadavres. Hassan le chasse de la salle de réunion.

 

Chapter 10 : Campus of Interzone University 

Interzone University met en scène un assortiment d'animaux de basse-cour, tandis que des étudiants masculins sont assis sur des bancs publics devant une tribune... "Des ânes et des chameaux, des lamas, des pousse-pousse, des charrettes de marchandises halées par des enfants arc-boutés, les yeux saillants comme des langues de pendus, palpitants, rouges de haine animale. Des troupeaux de moutons, de chèvres et de bétail à longues cornes passent entre les étudiants et l'estrade du professeur. Les étudiants sont installés sur des bancs de square rouillés, sur des blocs de calcaire coquillier et des tinettes de jardin, sur des caisses et des fûts de pétrole, sur des souches d'arbres et des poufs de cuir poussiéreux et des tapis de gymnastique. Ils portent djellabas, blue-jeans, hauts-de-chausses et pourpoints, boivent de l'alcool de maïs dans des bocaux à confiture et du café dans des boîtes de conserve, fument de la marijuana roulée dans du papier d'emballage et des tickets de loterie, se piquent à l'héroïne avec compte-gouttes et épingles de nourrice, étudient journaux hippiques, romans-photos et grimoires mayas... Le Professeur arrive à bicyclette portant une brochette de têtards ..."

 

Le professeur arrive à bicyclette et commence par raconter ses activités sexuelles de la veille, puis une série d'autres expériences sexuelles. Le professeur demande aux étudiants de lui montrer leur pénis pour s'assurer qu'ils sont tous biologiquement des hommes avant d'être admis à l'université (la domination est étroitement associée à la masculinité). Le professeur les encourage à se comporter de manière dominante, comme le font les babouins. Il prononce un discours décousu sur "The Rime of the Ancient Mariner" (1834), un poème de Samuel Taylor Coleridge, et sur le fait qu'il est plus important de parler que d'écouter. Il offre aux élèves des seaux de perles versés dans une mangeoire et ils se précipitent pour les manger.

Un chapitre qui peut apparaître comme la mise en accusation de la valeur de l'enseignement universitaire, mas aussi une métaphore du sermon biblique sur la montagne. Jésus dit à ses disciples : "Ne donnez pas ce qui est saint aux chiens, et ne jetez pas vos perles devant les porcs, de peur qu’ils les piétinent sous leurs pieds, et vous tournent et vous déchirent en morceaux" (Matthieu 7:6). 

 

Chapter 11 : A.J.'s Annual Party 

A.J. organise une fête avec des spectacles, animée par The Great Slashtubitch. Le spectacle commence par un film bleu (pornographique) d'un acte sexuel présenté par Mary, Johnny et Mark. Ils font l'amour entre eux, en partie avec l'aide d'un phallus mécanique artificiel appelé Steely Dan. Ils se pendent mutuellement à une potence en plein coït, puis Johnny s'immole avec Mary. Le film montre Johnny et Mary vivants et faisant l'amour dans une pièce avant que leurs "corps ne se désintègrent dans des explosions vertes" (bodies disintegrate in green explosions).

La scène passe au Beagle (The Beagle, une personne capable de localiser toute drogue qui pourrait être cachée), qui prend de l'héroïne. Le récit décrit une séquence surréaliste impliquant un avion et un cambrioleur. Un vieil homme parle de sa vie sexuelle dans sa jeunesse, entre autres souvenirs. Un shérif exhibe un jeune homme dont le pénis mesure neuf pouces avant de le pendre. Le garçon poursuit un "pédé hurlant sur la piste" (screaming fag down the midway) avant que l'homosexuel ne saute dans une salle d'arcade et n'ait des rapports sexuels avec un homme noir. Mary, Johnny et Mark apparaissent à la fin de ce film bleu pour tirer leur révérence, les cordes encore autour du cou.

 

Chapter 12 : Meeting of International Conference of Technological Psychiatry 

Le Dr. "Fingers" Shafer présente son "Master Work : The Complete All American Deanxietized Man" (Le Manuel du Super-Américain Désangoissé) lors d'une conférence. L'homme est transporté par deux hommes noirs qui le déposent sur une plate-forme. L'homme se transforme en un mille-pattes noir géant. Les membres du public murmurent entre eux avant de s'avancer sur le mille-pattes et de le tuer. Ici la description de la lobotomie en salle d’audience va révéler toute la nature violente d'une pratique qui, au cours du XXe siècle, était devenue un traitement surutilisé pour un certain nombre de maladies mentales, y compris la dépression et l’anxiété. La scène se déplace dans une salle d'audience où les spectateurs sont jugés pour avoir tué une "créature humaine innocente" (innocent human creature) dont le nom est révélé comme étant Clarence Cowie. Le juge rejette leurs allégations concernant le mille-pattes parce qu'il n'y a aucune preuve de son existence - les spectateurs l'ont détruit. Le juge souligne que le Dr Shafer a déjà comparu devant un tribunal pour des accusations de "viol cérébral" (brain rape) ou de lobotomie forcée. Quelques jurés sont choqués ; l'un d'eux meurt sur le coup et trois s'effondrent, "se tordant dans des orgasmes de prurit" (writhing in orgasms of prurience). Le juge crie à la justice alors que le mille-pattes apparaît et se précipite dans la salle, dispersant tout le monde vers les sorties.

 

Chapter 13 : The Market

La ville d'Interzone est décrite comme une cité tentaculaire (mi sud-américaine mi-nord-africaine) composée de "minarets, palmiers, montagnes, jungle" (minarets, palms, mountains, jungle). Les habitants se prélassent, se droguent, jouent, jouent de la musique et quittent la ville pour des "expéditions". La ville est également touchée par des flambées de violence périodiques (permissivité et violence semblent inéluctablement liées). La plupart des activités peu recommandables se concentrent sur le marché de la ville, qui abrite le Meet Café

Burroughs inclut une note indiquant que la section sur la ville et le Meet Café a été écrite dans un état d'intoxication au yage. Cette médecine indigène sud-américaine infusée à partir d'une vigne appelée Banisteriopsis caapi et d'autres plantes (l'ayahuasca, qui est aujourd'hui une drogue populaire) occupe une place prépondérante. Le narrateur décrit l'état de tranquillité que cette préparation induit.

Le narrateur raconte une histoire sur l'utilisation du yage comme outil de divination. Quelques habitants craignent qu'un guérisseur nommé Xiuptutol n'identifie un tueur, mais ils s'organisent pour le déclarer incompétent. Ce qui suit est une série de courts récits de nature farfelue et scandaleuse provenant de plusieurs sources, apparemment des agents d'Islam Inc.

Clem et Jody se rangent à côté d'un cortège funèbre qui traverse le marché. Ils portent leur propre cercueil sur lequel sont inscrits les mots "C'était l'Arabe le plus noble de tous" (This was the noblest Arab of them all). Un cochon portant des vêtements arabes traditionnels tombe du cercueil de Clem et Jody.

Jody décrit les rapports sexuels en apesanteur et la possibilité d'une "conception indirecte" (indirect conception). Elle raconte ensuite qu'A.J. a utilisé un pistolet à eau rempli de sperme à cette fin. Dans le récit d'une audience au tribunal, l'avocat d'A.J. le défend contre les accusations de la plaignante. Il affirme que la femme "se prépare à imiter la Vierge Marie" (preparing to emulate the Virgin Mary), niant l'implication d'A.J..

 La scène se transforme en une sorte de spectacle donné par un "vieux saint fruité" (fruity old Saint) qui discute avec (ou à propos de) Jésus-Christ, Bouddha, Mahomet et Confucius. Il rejette chaque religion à tour de rôle. Dans chaque cas, il présente un monologue parodique caractérisant les prophètes et les divinités comme des escrocs. Cette diatribe s'arrête brusquement lorsqu'il décide de se faire faire une abdominoplastie, suivie d'un commentaire sur cette intervention.

Une vignette sur des rencontres homosexuelles, probablement dans Interzone, est suivie de détails sur la façon dont les personnes de statut social inférieur sont utilisées pour l'avilissement sexuel. Ensuite, A.J. raconte l'histoire d'un homme qui donne de l'argent à son fils pour qu'il aille chercher un "morceau de cul" (piece of ass) auprès d'une prostituée. Le garçon revient avec le cul de la femme, qu'il coupe avant d'avoir des relations sexuelles avec elle.

Clem raconte l'histoire d'une femme nommée Iris, à moitié chinoise et à moitié noire, dépendante de la dihydro-oxy-héroïne. Elle fait partie des expériences du Dr Benway et survit grâce au thé (la boisson, pas la marijuana) et à la cassonade. Iris prétend que ses parties intimes sont grotesques, mais le Dr Benway nie qu'elle ait quoi que ce soit d'anormal.

C'est bien le mépris des différents personnages, des uns envers les autres, qui transparaît ici. Mais on y voit l'hostilité des Etats-Unis envers le monde musulman, déjà présent dans les années 1950, et le rejet de toutes les grandes religions....

 

Chapter 14 : Ordinary Men and Women

Les membres du parti nationaliste d'Interzone déjeunent sur un balcon. Le chef du parti et ses lieutenants parlent des "hommes et femmes ordinaires qui vaquent à leurs occupations quotidiennes" (ordinary men and women going about their ordinary everyday tasks) dans la rue en contrebas. Le chef du parti invite un garçon de rue à s'asseoir avec eux. Il critique les Français en les qualifiant de "bâtards coloniaux"  (Colonial bastards) qui exploitent les citoyens. Le garçon résiste à la tirade du chef du parti contre les Français. Il poursuit en disant qu'il déteste tout le monde. Le chef du parti reproche au garçon de fréquenter des "connards d'étrangers mécréants" (alien unbelieving pricks). Dédain du garçon (les années 1950 voient disparaître le système colonial, mais le ressentiment des populations locales reste vivant).

Dans une série de vignettes (des instantanés de préoccupations ordinaires que l'on peut opposer aux débats d'importance évoqués précédemment), des gens ordinaires exposent leurs plaintes. Une ménagère américaine parle de ses difficultés à faire fonctionner et à entretenir ses appareils ménagers et se plaint de maux physiques tels que le froid et la constipation. Elle souhaite que l'homme à tout faire de l'automate répare tout. Un vendeur parle de ses gadgets, dont un "kit pieuvre" (Octopus Kit) qui permet d'administrer des traitements thermaux complexes et un "kit docteur en médecine" (M.D.'s Can Do Kit) qui permet d'effectuer des interventions médicales. Parfois, il vend le mauvais kit à la mauvaise personne. Un escroc parle des demandes scandaleuses de ses clients.

Un County Clerk parle d'un homosexuel, Brad, qui vient du Texas à New York pour créer des bijoux. Il vend les bijoux de ses clients pour payer ses dettes de jeu et remplace les vrais bijoux par des faux. Les clientes, pour la plupart des femmes riches et âgées, découvrent la supercherie lors d'un gala et appellent la police. Brad rencontre Jim en prison et ils emménagent ensemble. L'une de ses anciennes clientes revient lui proposer du travail, et les deux hommes cuisinent et mangent ses organes génitaux.

Les docteurs Benway et Shafer conçoivent un plan pour rendre le corps humain plus efficace en enlevant des organes et en créant un seul orifice pour manger et déféquer. Benway raconte l'histoire d'un homme qui a appris à son anus à parler. L'anus prend le contrôle de tout le corps de l'homme, ce qui finit par le tuer (s'il existe peu de différence entre la communication humaine et les excréments, jouer avec l’ordre naturel du corps, au nom de la science ou de l’humour, est incompatible avec la vie humaine).

Les Huntsmen, organisés par "Fats" Terminal, se réunissent pour un petit déjeuner dans un bar gay. Les Huntsmen flirtent avec les homosexuels et en jettent parfois un par terre pour lui uriner dessus. Le chef du parti arrive dans une grosse voiture (des paradoxes de la domination masculine face aux homosexuels, et de la croyance rétrograde que l’homosexualité est quelque chose qui peut être guéri). Le Dr Berger anime une émission de radio dans laquelle il s'entretient avec divers patients souffrant de troubles mentaux, dont un "swish" (homosexuel) guéri. Il répond aux questions de manière vide et "hoche la tête et sourit" nods and smiles). Il est rapidement retiré de l'émission. Le technicien de l'émission fait appel à un écrivain guéri, qui ne peut pas parler à l'antenne parce qu'il "a" (has) le bouddhisme. Berger parle de l'écrivain avec mépris.

Le chef du parti parle à ses lieutenants d'organiser "la prochaine émeute" (the next riot). Ils sont rejoints par un certain nombre d'autres personnages, dont le professeur, Clem et Jody, quelques homosexuels et Benway. Une conversation surréaliste s'ensuit, exprimant la suspicion et l'hostilité entre toutes les parties, alors que des bruits d'émeute se font entendre au loin et que le marché s'éclaircit. L'émeute se poursuit, puis la police vient la disperser et le marché reprend son cours normal. (le retour au Chef du Parti nous montre que les émeutes sont un événement ordinaire et régulièrement prévu dans cette société et que le chaos est l’ordre général de la vie dans Interzone).

 

Chapter 15 : Islam Incorporated and the Parties of Interzone

Le narrateur décrit son travail d'agent pour Islam Inc, une organisation nébuleuse "financée par A.J., le célèbre marchand de sexe" (financed by A.J. the notorious Merchant of Sex). A.J. se présente comme "un playboy international et un farceur inoffensif" (an international playboy and harmless practical joker). L'une de ses célèbres farces consiste à ajouter une concoction aphrodisiaque au punch d'une réception de l'ambassade des États-Unis, ce qui déclenche une orgie. Plus tard, A.J. provoque la mort d'un grand chef cuisinier. Il le fait en demandant du ketchup avec son repas et en lâchant des porcs dans le restaurant pendant la mêlée indignée qui suit la demande. (A.J. est subversif, et rien ne lui est sacré et surtout pas le statut social que se donnent les uns et les autres pour paraître). A.J. emmène également un babouin dans une boîte de nuit new-yorkaise et sème le chaos parmi les prostituées de Venise. A.J. ouvre une école pour garçons et, lors de la cérémonie d'ouverture, il dévoile une statue représentant deux garçons dans une pose sexuellement suggestive, sur laquelle est gravée la devise de l'école : "Avec et pour" (With it and for it).

Salvador Hassan O'Leary, connu sous tous ses noms et une vingtaine d'alias, travaille également pour Islam Inc. Il a fait fortune dans le trafic de "slunks", la postérité du bétail, et d'un certain nombre d'autres drogues. Il a investi dans plusieurs commerces illicites après avoir commencé sa carrière en extorquant de l'argent à des "fétichistes dans des magasins de chaussures" (fetishists in shoe stores).

Clem et Jody sont d'anciens acteurs de vaudeville qui travaillent comme agents russes "dont la seule fonction est de représenter les États-Unis sous un jour impopulaire" (whose sole function is to represent the U.S. in an unpopular light). À cette fin, ils voyagent dans le monde entier et se livrent à la sodomie et à d'autres actes avec des locaux. (A.J., Clem et Jody  sont des acteurs du chaos, mais alors que le premier se nourrit du chaos comme moyen de diffamer les puissants, Clem et Jody ont des motifs politiques et économiques bien plus spécifiques pour leurs activités subversives). 

Toutes les personnes impliquées dans Islam Inc. ont un objectif différent. A.J. veut détruire Israël. Clem et Jody veulent détruire les champs pétrolifères du Moyen-Orient "pour augmenter la valeur de leurs avoirs vénézuéliens" (to boost the value of their Venezuelan holdings). Les objectifs d'Hassan sont liés à ses convictions politiques en tant que liquéfactionniste.

De même, les partis politiques d'Interzone ont des objectifs différents (mais tous entendent prendre le contrôle total de la population, et en fait chacun de ces systèmes mène également à l’autodestruction). Les liquéfactionnistes (The Liquefactionists) souhaitent absorber physiquement tout le monde dans leur parti. Leur principale opposition est celle des Envoyeurs  ou Emissionnistes (the Senders), qui tentent de contrôler les populations par télépathie, en transmettant leurs idées à leurs partisans, mais rares sont-ils ceux d'entre eux qui savent ce qu'ils font. Entre ces deux groupes se trouvent les Divisionnistes (the Divisionists), qui cherchent à créer des doubles d'eux-mêmes à partir de leur propre chair et à inonder le monde de répliques (on se détruit pour empêcher les autres d'accroître leur pouvoir). Les Factualistes (the Factualists) existent principalement pour s'opposer à tous ces groupes (cette volonté d'absence totale de contrôle apparaît aussi comme un système insoutenable). Les représentations de ces partis telles que le conçoit Burroughs révèlent une vision très cynique des choix politiques et des idéologies : ils sont en fin de compte parfaitement interchangeables parce qu’ils ont même finalité ... "The broken image of Man moves in minute by minute and cell by cell.… Poverty, hatred, war, police-criminals, bureaucracy, insanity, all symptoms of The Human Virus..."

 

Chapter 16 : The County Clerk 

Le narrateur Lee risque d'être expulsé de sa maison d'Interzone et doit déclarer sous serment qu'il est atteint de la peste bubonique pour pouvoir rester. Il se rend à l'ancien palais de justice pour comparaître devant le greffier du comté. Le greffier est nostalgique des "bons vieux garçons" (good old boys) qu'il a connus et raconte son passage à la pharmacie de Doc Parker. (le réseau dit du "bon vieux garçon" fait partie intégrante de la culture américaine, en particulier dans le Sud et le Midwest, c'est par ce biais qu'ils peuvent échapper aux conséquences juridiques de leurs actions; le commis corrompu est un "bon vieux garçon", donc il utilise son pouvoir en conséquence. Il est capable de fermer les yeux sur l’hostilité raciale et de participer à cette hostilité lorsque l’humeur le prend).

Le County Clerk raconte des ragots sur les problèmes de reproduction de sa femme et sur sa liaison avec une femme noire. Il raconte ensuite que certains de ses amis ont détruit la maison d'un Noir et l'ont brûlé vif, ainsi que d'autres histoires de brutalité raciale. Pendant tout ce temps, il ignore la présence de Lee. Lee finit par dire : "Je m'approche de vous comme un Razor Back d'un autre" (I'm approaching you as one Razor Back to another). (Razor Back fait référence à un club, les anciens de telle ou telle université, et on peut par ce biais se permettre tous les préjugés, même les plus racistes). Le greffier demande à Lee ce qu'il pense des Juifs, ce à quoi Lee répond que "tout ce qu'un Juif veut faire, c'est gribouiller une chrétienne" (all a Jew wants to do is doodle a Christian girl). Le greffier conseille à ses assistants de bien s'occuper de Lee car "c'est un bon vieux garçon".

 

Chapter 17 : Interzone

Aracknid est un chauffeur d'Interzone, connu pour être le seul natif à être à la fois hétérosexuel et indisponible. Il travaille pour un romancier nommé Andrew Keif, qui pardonne les piètres talents de chauffeur d'Aracknid parce que ce dernier lui fournit une excuse utile pour éviter les interactions sociales. Le narrateur décrit "la Zone" comme un grand bâtiment aux murs flexibles, rempli de gens. Il décrit une longue affaire menée par deux marchands, Leif et Marvie, concernant une importante cargaison de lubrifiant personnel K.Y. La transaction traîne pendant 11 mois. L'affaire traîne pendant 11 mois avant que le paiement n'arrive à l'expéditeur qui s'occupe des détails de l'importation.

Au large de l'Interzone se trouve l'île, dirigée par les Britanniques, qui exigent que le président de l'île leur remette chaque année le pouvoir à l'occasion d'une cérémonie. Le poste de président étant humiliant, il est "imposé à un citoyen particulièrement nuisible et impopulaire" (forced on some particularly noxious and unpopular citizen). La plupart des présidents meurent "l'esprit brisé" (a broken spirit) peu de temps après leur élection, mais l'Expéditeur reste en poste pendant cinq ans, soit la durée totale du mandat. Puis il change de nom, subit une opération de chirurgie esthétique et reprend son poste d'Expéditeur. Leif et Marvie, vers la fin de leurs relations avec lui, font référence à son passé insulaire et mettent l'Expéditeur dans une colère noire.

 

Chapter 18 : The Examination

Le docteur Benway convoque Carl Peterson pour un examen au ministère de l'hygiène mentale et de la prophylaxie à Freeland. Carl est obligé de se présenter à l'examen. Freeland est un "État-providence" (welfare state), ce qui signifie que le gouvernement dispose de départements chargés de répondre à tous les besoins humains possibles. Le narrateur explique que "la menace implicite de cette bienveillance enveloppante a étouffé le concept de rébellion" (Freeland was a welfare state.If a citizen wanted anything from a load of bone meal to a sexual partner some department was ready to offer effective aid. The threat implicit in this enveloping benevolence stifled the concept of rebellion.…).

Benway pose à Carl des questions indiscrètes sur son activité sexuelle, essayant de déterminer si Carl est homosexuel. Carl affirme à plusieurs reprises son hétérosexualité, malgré les assurances de Benway. Benway lui dit : "Nous considérons cela comme un malheur... une maladie... certainement rien à censurer ou à sanctionner" (We regard it as a misfortune ... a sickness ... certainly nothing to be censured or sanctioned), pas plus que n'importe quelle autre maladie. Cependant, Benway fait également allusion à la possibilité de traiter cette maladie. Il soumet Carl à des tests qui indiquent son hétérosexualité, mais Benway n'est pas satisfait. Il interroge Carl sur sa connaissance des trafiquants de drogue. Carl décrit finalement ses expériences homosexuelles dans l'armée lorsqu'il était "blank". Carl s'assoupit et se souvient de quelques détails d'une expérience avec un homme nommé Hans. Carl se réveille et tente de partir alors que la pièce s'agrandit et explose "dans l'espace" (out into space).(A Freeland, l’État-providence étendu permet au gouvernement un contrôle total sur les citoyens, vie privée et autonomie ne peuvent être tolérées dans un système où le gouvernement répond à tous les besoins :  Carl va apprendre l'inutilité de toute résistance quand il essaie de sortir du bureau du Dr. Benway, il marche, marche, pour imploser)... "He was walking across the room towards the door. He had been walking a long time. A creeping numbness dragged his legs. The door seemed to recede. - ‘Where can you go, Carl?’ The doctor’s voice reached him from a great distance. - ‘Out … Away … Through the door …’ - ‘The Green Door, Carl?’ - The doctor’s voice was barely audible. The whole room was exploding out into space."

 

Chapter 19 : Have You Seen Pantopon Rose? 

Pantopon est un nom de marque pour l’opium, mais ici Pantopon Rose semble le nom de quelqu’un que le junkie recherche. Un vieux junkie se fraye donc un chemin dans les quartiers malfamés d'une ville, à la recherche de nouvelles drogues. Les images sont décousues et sinistres. On y voit un gangster enfermé dans du béton, des pigeons empoisonnés, des garçons se masturbant dans des ruelles, des junkies à la recherche d'une veine, des trottoirs "glissants de crachats de Koch" (slippery with Koch spit, sperme). Une autre image de l'Amérique selon Burroughs ...

 

Chapter 20 : Coke Bugs 

The Sailor (un sinistre personnage mais qui semble enfermé dans sa solitude) boit un café au comptoir. Il voit un garçon entrer dans le café et reconnaît que l'agitation du garçon est le signe d'une "attente maladive" (sick junk-wait). Le garçon pense qu'il est envahi par des insectes. Joe, derrière le comptoir, répond qu'il s'agit de "punaises de la coke" (coke bugs) et décrit comment une femme qu'il connaissait a été victime des "horreurs de la coke" (the coke horrors) dans le Montana, alors qu'ils étaient en voyage (les symptômes du sevrage sont ici particulièrement documentés). Elle pensait que les flics chinois étaient à ses trousses. Joe a connu une autre femme à Chicago qui a essayé de lui tirer dessus pendant son sevrage de cocaïne.

The Sailor propose au garçon de lui donner de la drogue en échange de son "temps" (Time). Le garçon accepte la proposition, et The Sailor pense qu'ils devraient éviter Queens Plaza (New-York? New York n'est pas moins dangereuse qu'Interzone) parce qu'elle est trop dangereuse, remplie de flics et de "lush workers".

 

Chapter 21 : The Exterminator Does a Good Job

Ce chapitre marque une rupture avec les chapitres précédents, qui n'ont que peu ou pas de liens entre eux. The Sailor emmène le garçon chez lui. Il explique aux garçons que les chambres ont été exterminées à cause des punaises de coke. L'appartement sent la mort, la drogue et le sperme séché. The Sailor offre un paquet de camelote (junk) et demande à nouveau au garçon de lui accorder du "temps". Il touche le garçon puis lui donne une dose d'héroïne. Junk is a one-way street, le garçon est devenu un drogué comme le marin.

Le narrateur s'immisce dans la scène et prétend être l'Exterminateur (The Exterminator), car il a déjà tué de vrais insectes. Aujourd'hui, il extermine les agents transfuges qui pourraient perturber "notre plateau de nourriture" (our food tray). Il note que quelqu'un le cherche aussi, "parce que tous les agents font défection et que tous les résistants se vendent" (Because all Agents defect and all Resisters sell out). Au lieu de tuer des insectes, il prétend éliminer ceux qui pourraient priver les agents d'Islam Inc. des moyens de poursuivre leurs addictions et leurs agendas...

 

Chapter 22 : The Algebra of Need 

"Fats" Terminal (un dealer qui ne semble pas tout à fait humain mais évolue au fur et à mesure qu'il découvre le monde), qui vient des réservoirs sous pression de la ville (The City Pressure Tanks) sur la place de la ville (City Plaza), a appris "l'algèbre du besoin et a survécu" (the Algebra of Need and survived). C'est une créature pathétique aux nerfs à vif, mais un homme lui donne une pièce. Fats sert la viande noire (The Black Meat) et observe la ville autour de lui. Sa conscience en expansion lui permet de voir des agents qui se révèlent les uns aux autres "par le choix de leurs pratiques sexuelles" (by choice of sex practices). Fats est aussi témoin de la dénonciation par The Gimp quelqu'un à l'hôtel Waldorf. Il voit toutes sortes d'activités privées, des garçons qui se touchent dans les toilettes de l'école aux émeutiers qui font l'amour pendant qu'une femme noire brûle. Le narrateur reconnaît la sensation de malaise qui pourrait être le début de la syphilis, en la reliant aux événements violents qui se déroulent dans le monde entier. Le narrateur révèle que le Gimp a été tué dans le chapitre 1, ce qui implique que ces événements se déroulent avant que le narrateur ne se soit enfui de New York. Quant au titre de cette section, il fait donc référence aux calculs que tous les gens - toxicomanes ou non - font pour satisfaire leurs divers besoins, des plus banals aux plus dépravés. L'utilisation du mot algèbre implique le calcul. Fats voit le monde d'une manière transactionnelle, remplie d'échanges et de commerces, et ces transactions lui permettent de survivre. Ces transactions permettent la survie de chacun.

 

Chapter 23 : Hauser and O'Brien

À l'hôtel Lamprey (Les lamproies sont des créatures aquatiques qui s’attachent aux requins afin de se nourrir de leurs restes lorsqu’ils dévorent leurs proies, le nom de l’hôtel Lamprey indique que le narrateur ne se voit que comme un parasite, désespérément attaché à sa dépendance), Hauser et O'Brien, deux agents des stupéfiants, rattrapent Lee, le narrateur, et tentent de l'arrêter. Le narrateur veut prendre une dose d'héroïne avant qu'ils ne l'emmènent, ce qu'ils "ne peuvent pas permettre" (can't allow), ce qui signifie qu'ils veulent une faveur. Le narrateur propose de dénoncer un gros dealer, Marty Steel, mais les policiers sont sceptiques. Après s'être shooté, le narrateur fait gicler de l'alcool sur Hauser, l'aveuglant, puis sort une arme de sa valise et tire sur les deux officiers.

Le narrateur retrouve son dealer, Nick, et lui achète de la camelote avant de se cacher. Il passe la nuit dans les Ever Hard Baths, un lieu de rencontre pour homosexuels. Le lendemain matin, il achète un journal et n'y voit rien sur Hauser et O'Brien. Il appelle le Narcotics Bureau depuis une cabine téléphonique. Le lieutenant Gonzales répond et dit que personne du nom de Hauser ou d'O'Brien ne travaille dans son bureau. Le narrateur monte dans un taxi et réalise qu'il n'aura plus jamais accès à l'autre côté de l'espace-temps ...

 

Chapter 24 : Atrophied Preface

Burroughs explique le but de son livre : expliquer l'expérience de la toxicomanie, livrer sa technique du cut-up et ses idées, sans se dissimuler derrière quelque alter ego. Il raconte quelques histoires d'exploits à Marrakech et à Tanger alimentés par la drogue. Il qualifie "Naked Lunch" de "plan, de livre d'instructions" (a blueprint, a How-To book). Il termine en déclarant son intention de "déverrouiller" (unlock) sa "horde de mots" (word horde), ce qui donne lieu à la série de phrases décousues qui suit . Il semble que l'expérience des mots et du langage prend le pas sur toute recherche de sens, celui-ci ne peut venir que dans un second temps ...

 

"... We sniffed all night and made it four times … fingers down the black board … scrape the white bone. Home is the heroin home from the sea and the hustler home from The Bill.…

The Pitchman stirs uneasily: ‘Take over here will you kid? Gotta see a man about a monkey.’

The Word is divided into units which be all in one piece and should be so taken, but the pieces can be had in any order being tied up back and forth, in and out fore and aft like an innaresting sex arrangement. This book spill off the page in all directions, kaleidoscope of vistas, medley of tunes and street noises, farts and riot yipes and the slamming steel shutters of commerce, screams of pain and pathos and screams plain pathic, copulating cats and outraged squawk of the displaced bull head, prophetic mutterings of brujo in nutmeg trances, snapping necks and screaming mandrakes, sigh of orgasm, heroin silent as dawn in the thirsty cells, Radio Cairo screaming like a berserk tobacco auction, and flutes of Ramadan fanning the sick junky like a gentle lush worker in the grey subway dawn feeling with delicate fingers for the green folding crackle.…

 

"Le Verbe est divisé en unités qui sont d'une seule pièce ainsi qu'il sied, mais qui peuvent être utilisées dans un ordre quelconque puisque assemblées en sens contraire, sens dessus dessous et tête-bêche comme pour fascinante combinaison amoureuse. Ce livre expulse ses pages dans toutes pot-pourri d'ariettes et de bruits de la rue, de vesses et de cris de guerre et de grincements des rideaux de fer dans les ruelles commerçantes - cris d'horreur et de passion, éthos et pathos et pataquès, miaulements du chat fornicateur et piaulements ultrasoniques du poisson-chat déplacé, charabia prophétique du brujo dans les transes de la muscade, claquement de vertèbres des pendus, hurlements des mandragores, soupir de l'orgasme, silence de l'héroïne dans le silence en contrepoint des cellules assoiffées au petit matin, Radio Le Caire s'égosillant comme un commissaire-priseur  pris de délire, les flûtes du Ramadan effleurant les nerfs malades du camé avec la fluide légèreté d'un détrousseur d'ivrognes tapi dans la grisaille du métro à l'aube et cherchant du bout des ongles le froissement vert du billet bouchonné. ..

 

"This is Revelation and Prophecy of what I can pick up without FM on my 1920 crystal set with antennae of jissom.… Gentle reader, we see God through our assholes in the flash bulb of orgasm.… Through these orifices transmute your body.… The way OUT is the way IN.…

Now I, William Seward, will unlock my word horde.… My Viking heart fares over the great brown river where motors put put put in jungle twilight and whole trees float with huge snakes in the branches and sad-eyed lemurs watch the shore, across the Missouri field (The Boy finds a pink arrowhead) out along distant train whistles, comes back to me hungry as a street boy don’t know to peddle the ass God gave him.… Gentle Reader, The Word will leap on you with leopard man iron claws, it will cut off fingers and toes like an opportunist land crab, it will hang you and catch your jissom like a scrutable dog, it will coil round your thighs like a bushmaster and inject a shot glass of rancid ectoplasm.… 

 

Voici la Prophétie et la Révélation... tout ce que je peux capter sans la moindre modulation de fréquence sur mon poste à galène 1920 à  antenne braquée droit sur le spermament...  Aimable Lecteur, c'est sous le flash de l'orgasme que Dieu apparait au fond du cratère anal...

la transmutation du corps s'opère à travers cet orifice... le chemin de la Sortie est celui de l'Entrée...  Moi, William Seward B, je me propose à présent de déchaîner le Verbe. Mon cœur de Viking plane au-dessus du grand fleuve brun, schnouf-schnouf des moteurs de bateaux dans le crépuscule de la jungle, arbres gigantesques qui flottent à la dérive, leurs branches chargées de serpents lovés et de lémuriens contemplant mélancoliquement la rive - il plane sur la plaine lointaine du Missouri (legamin trouve dans l'herbe une pointe de flèche rose) accompagné par les sifflets de trains invisibles, puis il me revient affamé comme un voyou des rues incapable de vendre le baba que Dieu lui a donné... Gentil Lecteur, le Verbe va se ruer sur toi, te broyer avec ses griffes d'homme-léopard, t'arracher doigts et orteils comme on fait aux crabes opportunistes, te pendre au gibet et happer ton foutre comme un chien scrutable, s'enrouler autour de tes cuisses à la manière d'un crotale et te seringuer un de à coudre d'ectoplasme ranci.. 

 

"And why a scrutable dog?

The other day I am returning from the long lunch thread from mouth to ass all the way the days of our years, when I see an Arab boy have this little black and white dog know how to walk on his hind legs.… And a big yaller dog come on the boy for affection and the boy shove it away, and the yaller dog growl and snap at the little toddler, snarling if he had but human gift of tongues: ‘A crime against nature right there.’

So I dub the yaller dog Scrutable.… And let me say in passing, and I am always passing like a sincere Spade, that the Inscrutable East need a heap of salt to get it down.… Your Reporter bang thirty grains of M a day and sit eight hours inscrutable as a turd.

‘What are you thinking?’ says the squirming American Tourist.…

 

Et pourquoi un chien scrutable ?

L'autre après-midi, en rentrant de ce sempíternel déjeuner qui file de bouche en cul chaque jour de notre vie, je tombe sur un petit Arabe qui a un roquet noir et blanc auquel il a appris à marcher sur ses pattes de derrière... et voilà qu'un gros chien jaunasse en carence d'affection s'approche du gosse... le gosse le chasse... le gros chien jaunasse fonce sur le roquet, grogne et montre les crocs et me fait comprendre (à croire qu'il avait le don des langues comme toi et moi) "'est un Crime Contre Nature!"

Voilà pourquoi ]'al baptisé ce gros chien jaunasse Scrutable... Qu'on me permette de dire en passant - et je passe toujours comme un humble Pique noir - qu'il faut une bonne dose de grains de sel pour faire passer l'Orient Inscrutable... Votre Envoyé Spécial s'envoie vingt milligrammes de morphine par jour et reste assis huit heures d'affilée aussi inscrutable qu'un étron. - A quoi pensez-vous donc? demande nerveusement le touriste américain.

 

To which I reply: ‘Morphone have depressed my hypothalamus, seat of libido and emotion, and since the front brain acts only at second hand with back-brain titillation, being a vicarious type citizen can only get his kicks from behind, I must report virtual absence of cerebral event. I am aware of your presence, but since it has for me no affective connotation, my affect having been disconnect by the junk man for the non-payment, I am not innarested in your doings.… Go or come, shit or fuck yourself with a rasp or an asp – tis well done and fitting for a queen – but The Dead and The Junky don’t care.…’ They are Inscrutable.

‘Which is the way down the aisle to the water closet?’ I asked the blonde usherette.

‘Right through here, sir.… Room for one more inside.’

‘Have you seen Pantopon Rose?’ said the old junky in the black overcoat...."

 

Et je réponds :

- La morphine a provoqué une dépression de mon hypothalamus, siège des émotions et de la libido - or donc, sachant que le cerveau antérieur n'agit en quelque sorte qu'au second degré en fonction des titillations du cerveau postérieur, qu'il n'existe que par procuration et ne prend son pied que par-derrière, je me vois contraint de constater l'absence virtuelle de tout événement cérébral. Je suis conscient de votre présence, mais elle n'a pour moi aucune signification affective vu que mon Contact m'a débranché l'affect pour cause de non-paiement, et par conséquent je me fous bien de ce que vous faites ou ne faites pas. Restez ou fichez le camp, baissez culotte ou baisez calotte comme il convient aux lopes de votre farine - ça ne peut intéresser ni les Morts ni les Camés... Les Camés et les Morts sont Inscrutables... 

- Pouvez-vous m'indiquez les toilettes? ai-je demandé à la petite ouvreuse blonde.

- Suivez cette travée, Monsieur... il reste une place à l'intérieur...

 

Chapter 25 : Quick... 

Cette dernière section présente une série de mots et de phrases poétiques, mais souvent grotesques et menaçants. Burroughs présente au lecteur des images telles que "l'odeur incolore de la mort" (trailing the colorless death smell) et "l'accouchement d'un singe gris flétri" (afterbirth of a withered grey monkey). Certaines phrases, comme "Il se tenait là dans un chapeau de paille de 1920 que quelqu'un lui avait donné" (He stood there in a 1920 straw hat somebody gave him), se lisent comme des débuts d'histoires. La dernière phrase est "No glot [...] C'lom Fliday"..., dans les années 20, les fourgueurs chinois émigrés chez nous jugèrent l'Occident si corrompu et indigne de confiance qu'ils fermèrent boutique, et si un camé en manque venait frapper à leur porte, ils répondaient ... plus rien ...

 

" QUICK …

white flash … mangled insect screams …

I woke up with the taste of metal in my mouth back from the dead

trailing the colorless death smell

afterbirth of a withered grey monkey

phantom twinges of amputation …

‘Taxi boys waiting for a pickup,’ Eduardo said and died of an overdose in Madrid.…

Powder trains burn back through pink convolutions of tumescent flesh

… set off flash bulbs of orgasm … pinpoint photos of arrested motion

… smooth brown side twisted to light a cigarette.…

He stood there in a 1920 straw hat somebody gave him … soft mendicant

 words falling like dead birds in the dark street.…

‘No … No more … No mas …’

A heaving sea of air hammers in the purple brown dusk tainted with rotten metal smell of sewer gas … young worker faces vibrating out of focus in yellow halos of carbide lanterns … broken pipes exposed.…

‘They are rebuilding the City.’

Lee nodded absently.…‘Yes … Always …’

Either way is a bad move to The East Wing.…

If I knew I’d be glad to tell you.…

‘No good … no bueno … hustling himself.…’

‘No glot … C’lom Fliday’ " 


The Algebra of Need - L'idée est que nous sommes tous contrôlés par un besoin, quel qu`il soit, et Burroughs élargit encore sa vision à la question du virus, lequel a besoin, lui aussi, de l'organisme où il s'installe. Et Burroughs voit une analogie entre virus et bureaucratie, laquelle "détourne le cours normal de l`évolution humaine - l'élargissement jusqu'à l'infini des vírtualités de l'homme, la différenciation, le choix libre et spontané de l'action - au profit d'un parasítisme de virus". L`être humain serait ainsi menacé de muter en un "patient-víctime", stade final de l`espèce. Comme avec la drogue. Toutefois, Burroughs annonce qu` "on peut à présent isoler et soigner le virus humain", comment? on ne sait encore y répondre, le combat semble commencer avec le langage et c'est Brion Gysin qui lui fournit une des armes attendues, le "cut-up" technique des textes découpés, mélangés, puis récrits. La composition de Naked Lunch a ses origines dans ce que Burroughs appelait des "routines", des croquis surréalistes qui ont été inclus dans des lettres à Allen Ginsberg qui, lui-même poursuivi en Californie pour obscénité, s'interrogeait sur l'extrémisme de certaines d'entre elles .. Et pourtant, disait Burroughs, "I am impressed by my reasonableness..."

 

The title means exactly what the words say: NAKED Lunch – a frozen moment when everyone sees what is on the end of every fork. The Sickness is drug addiction and I was an addict for fifteen years. When I say addict I mean an addict to junk (generic term for opium and/or derivatives including all synthetics from demerol to palfium). I have used junk in many forms: morphine, heroin, dilaudid, eukodal, pantopon, diocodid, diosane, opium, demerol, dolophine, palfium. I have smoked junk, eaten it, sniffed it, injected it in vein-skin-muscle, inserted it in rectal suppositories. The needle is not important. Whether you sniff it smoke it eat it or shove it up your ass the result is the same: addiction...."

 

Elle crée un assujettissement complet; industrie gigantesque et internationale, le seul moyen de la détruire serait d`en saper la base, c'est-à-dire le camé de la rue (traitement physiologique et non policier); le remède existe : il s'agit d`un produit nommé l'apomorphine, dont Burroughs prétend qu`elle l'a guéri à peu près omplètement et définitivement. Mais la drogue apparaît également ici comme un modèle valable pour tout et tous,  "Junk is the mold of monopoly and possession" (La came est le moule du monopole et de la possession) ...

 

"... Junk is the ideal product … the ultimate merchandise. No sales talk necessary. The client will crawl through a sewer and beg to buy.… The junk merchant does not sell his product to the consumer, he sells the consumer to his product. He does not improve and simplify his merchandise. He degrades and simplifies the client. He pays his staff in junk.

Junk yields a basic formula of ‘evil’ virus: The Algebra of Need. The face of ‘evil’ is always the face of total need. A dope fiend is a man in total need of dope. Beyond a certain frequency need knows absolutely no limit or control. 

In the words of total need: ‘Wouldn’t you?’ Yes you would. You would lie, cheat, inform on your friends, steal, do anything to satisfy total need. Because you would be in a state of total sickness, total possession, and not in a position to act in any other way. Dope fiends are sick people who cannot act other than they do. A rabid dog cannot choose but bite. Assuming a selfrighteous position is nothing to the purpose unless your purpose be to keep the junk virus in operation. And junk is a big industry...."

 

Mais la drogue n'est qu'un exemple parmi d'autres -et Burroughs de déployer sa vision de toutes les formes de cannibalisme, vampirisme et parasitisme qui font des individus des "possédés" -, tout le monde est assujetti à quelque chose, même à l'activité sexuelle. Bien

sûr, c'est l'assujettissement au pouvoir qui est le plus grave - l'exemple extrême du "control addict"  étant le diabolique et caricatural Dr Benway. L'humour est une des composantes de base de ce livre, un humour très varié, humour noir, comique de vaudeville, imitation des parlers régionaux, jargons et argots américains. 

 

"The Algebra of Need - ‘Fats’Terminal came from The City Pressure Tanks where open life jets spurt a million forms, immediately eaten, the eaters cancelled by black time fuzz.… Few reach the Plaza, a point where The Tanks empty a tidal river, carrying forms of survival armed with defenses of poison slime, black, flesh rotting, fungus, and green odors that sear the lungs and grab the stomach in twisted knots.…

Because ‘Fats” nerves were raw and peeled to feel the death spasms of a million cold kicks.…‘Fats’ learned The Algebra of Need and survived.…

One Friday ‘Fats’ siphoned himself into The Plaza, a translucent-grey, foetal monkey, suckers on his little soft, purple-grey hands, and a lamprey disk mouth of cold, grey gristle lined with hollow, black, erectile teeth, feeling for the scar patterns of junk.…

And a rich man passed and stared at the monster and ‘Fats’ rolled pissing and shitting in terror and ate his shit and the man was moved by this tribute to his potent gaze and clicked a coin out of his Friday cane (Friday is Moslem Sunday when the rich are supposed to distribute alms).

So ‘Fats’ learned to serve The Black Meat and grew a fat aquarium of body.…

And his blank, periscope eyes swept the world’s surface.… In his wake of addicts, translucent-grey monkeys flashed like fish spears to the junk Mark, and hung there sucking and it all drained back into ‘Fats’ so his substance grew and grew filling plazas, restaurants and waiting rooms of the world with grey junk ooze.

 

"L'algèbre de la nécessité - 'Fats' Terminal est venu des réservoirs sous pression de la ville où des jets de vie ouverts font jaillir un million de formes, immédiatement mangées, les mangeurs annulés par le flou temporel noir.... Peu atteignent la Plaza, un point où les réservoirs se vident d'un fleuve de marée, transportant des formes de survie armées de défenses de bave empoisonnée, de noir, de pourriture de chair, de champignons et d'odeurs vertes qui brûlent les poumons et saisissent l'estomac dans des nœuds tordus....

Parce que les nerfs de "Fats" étaient à vif et pelés pour sentir les spasmes mortels d'un million de coups de pied froids.... "Fats" a appris l'algèbre du besoin et a survécu....

Un vendredi, "Fats" s'est siphonné au Plaza, un singe fœtal gris translucide, des ventouses sur ses petites mains molles, gris violet, et une bouche de disque de lamproie au cartilage froid et gris, bordée de dents creuses, noires et érectiles, tâtant les motifs cicatriciels de la camelote.....

Un homme riche passa et fixa le monstre et "Fats" roula en pissant et en chiant de terreur et mangea sa merde. L'homme fut ému par cet hommage à son regard puissant et sortit une pièce de sa canne du vendredi (le vendredi est le dimanche musulman où les riches sont censés distribuer l'aumône). C'est ainsi que "Fats" apprit à servir la viande noire et se constitua un gros aquarium de corps.....

Et ses yeux vides et périscopiques balayaient la surface du monde.... Dans son sillage de toxicomanes, des singes d'un gris translucide s'élançaient comme des lances à poisson vers le marché de la camelote, et restaient là à sucer, et tout s'écoulait dans "Fats", de sorte que sa substance grandissait et grandissait, remplissant les places, les restaurants et les salles d'attente du monde entier d'un suintement de camelote grise.

 

"Bulletins from Party Headquarters are spelled out in obscene charades by hebephrenics and Latahs and apes, Sollubis fart code, Negroes open and shut mouth to flash messages on gold teeth, Arab rioters send smoke signals by throwing great buttery eunuchs – they make the best smoke, hangs black and shit-solid in the air – onto gasoline fires in a rubbish heap, mosaic of melodies, sad Pan pipes of humpbacked beggar, cold wind sweeps down from post card Chimborazi, flutes of Ramadan, piano music down a windy street, mutilated police calls, advertising leaflet synchronize with street fight spell SOS.

Two agents have identified themselves each to each by choice of sex practices foiling alien microphones, fuck atomic secrets back and forth in code so complex only two physicists in the world pretend to understand it and each categorically denies the other. Later the receiving agent will be hanged, convicted of the guilty possession of a nervous system, and play back the message in orgasmal spasms transmitted from electrodes attached to the penis."

 

Les bulletins du quartier général du parti sont épelés dans des charades obscènes par des hébéphrènes, des Latahs et des singes, le code des pets de Sollubis, les noirs ouvrent et ferment la bouche pour faire clignoter des messages sur des dents en or, les émeutiers arabes envoient des signaux de fumée en lançant de grands eunuques beurrés - ils font la meilleure fumée, La fumée est noire et solide comme de la merde - sur des feux d'essence dans un tas d'ordures, mosaïque de mélodies, triste pipe de Pan d'un mendiant à bosse, vent froid balayant la carte postale de Chimborazi, flûtes du Ramadan, musique de piano dans une rue venteuse, appels de police mutilés, tracts publicitaires synchronisés avec les combats de rue, SOS.

Deux agents se sont identifiés l'un à l'autre par le choix de pratiques sexuelles déjouant les microphones extraterrestres, baisant des secrets atomiques dans un code si complexe que seuls deux physiciens au monde prétendent le comprendre et que chacun nie catégoriquement l'autre. Plus tard, l'agent récepteur sera pendu, condamné pour possession coupable d'un système nerveux, et rediffusera le message sous forme de spasmes orgasmiques transmis par des électrodes fixées au pénis.

 

"Breathing rhythm of old cardiac, bumps of a belly dancer, put put put of a motorboat across oily water. The waiter lets fall a drop of martini of the Man in the Grey Flannel Suit, who lams for the 6.12 knowing that he has been spotted. Junkies climb out the lavatory window of the chop suey joint as the El rumbles past. The Gimp, cowboyed in the Waldorf, gives birth to a litter of rats. (Cowboy: New York hood talk means kill the mother fucker wherever you find him. A rat is a rat is a rat is a rat. Is an informer.) Foolish virgins heed the English colonel who rides by brandishing a screaming peccary on his lance. The elegant fag patronizes his neighbourhood bar to receive abulletin from Dead Mother lives on in synapses and will evoke the exciting Nanny Beater. Boys jacking off in the school toilet know each other as agents from Galaxy X, adjourn to a second-run night spot where they sit shabby and portentous drinking wine vinegar and eating lemons to confound the tenor sax, a hip Arab in blue glasses suspect to be Enemy Sender. The world network of junkies, tuned on a cord of rancid jissom … tying up in furnished rooms … shivering in the sick morning … (Old Pete men suck the Black Smoke in a Chink laundry back room. Melancholy Baby dies from anoverdose of Time or cold turkey withdrawal of breath – in Arabia – Paris – Mexico City – New York – New Orleans –) The living and the dead … in sickness or on the nod … hooked or kicked or hooked again … come in on the junk beam and The Connection is eating Chop Suey on Dolores Street … dunking pound cake in Bickfords … chased up Exchange Place by a baying pack of people. Malarials of the world bundle in shivering protoplasm. Fear seals the turd message with a cuneiform account. Giggling rioters copulate to the screams of a burning Nigra. Lonely librarians unite in soul kiss of halitosis. That grippy feeling brother? Sore throat persistent and disquieting as the hot afternoon wind? Welcome to the International Syphilis Lodge – ‘Methodith Epithcopal God damn ith’ (phrase used to test for speech impairment typical of paresis) or the first silent touch of chancre makes you a member in good standing. The vibrating soundless hum of deep forest and orgone accumulators, the sudden silence of cities when the junky cops and even the Commuter buzzes clogged lines of cholesterol for contact. Signal flares of orgasm burst over the world. A tea head leaps up screaming ‘I got the fear!’ and runs into Mexican night bringing down backbrains of the world.

The Executioner shits in terror at sight of the condemned man. The Torturer screams in the ear of his implacable victim. Knife fighters embrace in adrenalin. Cancer is at the door with a Singing Telegram.…"


"Writers are very powerful", nous dit Burroughs ; ils peuvent écrire et "réécrire" le scénario du film de la réalité. Mais «les mots, du moins la façon dont nous les utilisons, peuvent faire obstacle à ce que j’appelle l’expérience non corporelle», ajoute Burroughs, c'est bien ici renouer avec un impératif aussi ancien, au moins, que le rêve de l’Amérique, celui d'échapper aux contraintes de la société, de l’histoire, de la langue, d'aller jusqu'à supprimer toutes les contraintes d’une identité particulière pour enfin vivre au gré d'une fluidité absolue qui ne serait que liberté ...

Défendant "Naked Lunch" lors du procès pour obscénité de 1966 comme un exemple d'écriture automatique, Norman Mailer a fait remarquer que "les meilleurs écrits semblent n'avoir aucun rapport avec ce à quoi l'on pense" (best writing seems to bear no relation to what one is thinking about). De nombreux écrivains de l'après-Seconde Guerre mondiale ont manifesté un intérêt accru pour les pensées aléatoires qui détournent ou classent le plan d'un roman ou d'un essai, mais c'est Burroughs qui a été le plus proche de l'inversion des rôles traditionnels de la conception et du hasard. Pour lui, l'intention consciente était une forme de prédiction, et la prédiction n'est possible que lorsque le statu quo a des raisons de penser qu'il ne rencontrera pas d'opposition significative. Les sauts peuvent ainsi remplacer les transitions narratives ; les séquences chronologiques directes, quasi documentaires, peuvent être entrecoupées de scènes hors du temps et de l'espace d'overdoses de drogue. L'imagerie symboliste luxuriante et l'argot des durs à cuire, le lyrique et l'obscène s'entrechoquent et se mélangent. Le premier style de Burroughs était fondé sur le jargon de la drogue et le jive talk ; il était fasciné par leur mutabilité, leur qualité fugitive, résultat de la pression que subissaient leurs locuteurs pour échapper à l'autorité et ne pas laisser de traces derrière eux. Ses travaux ultérieurs développent et compliquent ce principe. Aucune forme de langage ne peut occuper le devant de la scène pendant longtemps. L'art de l'évolution rapide est tout ce qu'il y a de mieux ; une domination durable est impossible....

 

Des parties du roman "Naked Lunch" (1959) sont écrites en utilisant la technique du "cut-up" (cut-ups, fold-in texts), avec laquelle les corps du texte original sont découpés et les parties réassemblées au hasard. Ou plus précisément, une scène est juxtaposée à une autre sans tenir compte de l’intrigue, du personnage ou, à court terme, du thème, pour induire, par exemple, une réaction émotionnelle négative du lecteur vis-à-vis du contenu de certaines scènes (perversion sexuelle, toxicomanie, violence insensée) qui se voient littéralement percutées par le contenu allégorique implicite d'autres scènes (exemples de « dépendance » à la drogue, à l’argent, au sexe, au pouvoir). Un tel procédé de déconstruction permet de jouer avec le conventionnel, de prendre distance tout en glissant dans la texture de l'intrigue des contenus extrêmes qui ne pourraient en l'état figurer isolément sans provoquer scandale. La technique permet ainsi d'introduire des pans d'une réalité sexualisée et violente à l'extrême que la littérature, jusque-là, tentait de neutraliser par tous les moyens. De plus, les mots sont vus comme des entités physiques avec lesquelles l'écrivain peut être littéralement en communication tactile  et les diverses techniques de « découpage » et de « pliage » que Burroughs  a conçues avec du texte imprimé, des magnétophones, des films celluloïds, avec ses propres textes et ceux d’autres, sont en partie destinés à donner à l’écrivain une sorte de contact plastique avec son médium. "Nova Express", "The Soft Machine" et "The Ticket That Exploded" sont considérés comme faisant partie de ce qu’on appelle généralement la « cut-up trilogy » de Burroughs et sont caractérisés comme tels dans les nouveaux « restored texts » de 2014, où la couverture de chacun proclame « A book of the cut-up trilogy» : c'est la fameuse "seconde vie" de toute "intuition", commercialisée à souhait et qui tourne désormais à vide ...

 

 

William Burroughs (1914-1997)  et Bryon Gysin 1916-1986),le grand découvreur de la technique et de la Dreammachine ("an American poet and painter, who has lived in Europe for thirty years, was, as far as I know, the first to create cut-ups. His cut-up poem, "Minutes to Go," was broadcast by the BBC and later published in a pamphlet. I was in Paris in the summer of 1960 .."), tentent d'expérimenter, documenter et illustrer leur  “cut-up” methode dans "The Third Mind " (1978), un ouvrage qui n'atteindra sans doute pas l'objectif tant espéré...

 

".. cut-ups make explicit a psychosensory process that is going on all the time anyway. Somebody is reading a newspaper, and his eye follows the column in the proper Aristotelian manner, one idea and sentence at a time. But subliminally he is reading the columns on either side and is aware of the person sitting next to him. That's a cut-up. I was sitting in a lunchroom in New York having my doughnuts and coffee. I was thinking that one does feel a little boxed in in New York, like living in a series of boxes. I looked out the window and there was a great big Yale truck. That's cut-up — a juxtaposition of what's happening outside and what you're thinking of.

I make this a practice when I walk down the street. I'll say, When I got to here I saw that sign, I was thinking this, and when I return to the house I'll type these up. Some of this material I use and some I don't. I have literally thousands of pages of notes here, raw, and I keep a diary as well. In a sense it's traveling in time.

Most people don't see what's going on around them. That's my principal message to writers: For Godsake, keep your eyes open. Notice what's going on around you..."

 

Décrit comme un "collage" (Burroughs "It Belongs to the Cucumbers" The Adding Machine 52-53), le premier cut-up rassemble des lignes du New York Herald-Tribune, de l'Observer, du Daily Mail et des publicités du magazine Life...

 

"There seemed little doubt, however, that Mr Eisenhower said “I weigh 56 pounds less than a man,” flushed and nodded curtly. 

Asked whether he had had a fair trial he looks inevitable and publishes: “My sex was an advantage.” He boasted of a long string of past crimes high-lighted by a total eclipse of however stood in his path when he re-did her apartment." 

(Burroughs et al “The First Cut-Ups”, Minutes to Go 7-8)

 

"Il n'y a guère de doute, cependant, que M. Eisenhower a dit "Je pèse 56 livres de moins qu'un homme", qu'il a rougi et qu'il a hoché la tête sèchement. Lorsqu'on lui demande s'il a bénéficié d'un procès équitable, il prend un air inévitable et publie : "Mon sexe a été un avantage" : "Mon sexe a été un avantage". Il s'est vanté d'une longue série de crimes passés, mis en lumière par une éclipse totale de la femme qui s'est trouvée sur son chemin lorsqu'il a refait son appartement." 

(Burroughs et al "The First Cut-Ups", Minutes to Go 7-8)

 

Dans "The Fall of Art", Burroughs avançait alors que la théorie selon laquelle "la vie est un découpage... chaque fois que vous marchez dans la rue, votre flux de conscience est coupé par des facteurs aléatoires" (life is a cut-up… every time you walk down the street, your stream of consciousness is cut by random factors, The Adding Machine 61) et que, tout comme la peinture figurative avait été remplacée par des formes plus abstraites avec l'avènement de la photographie, les méthodes narratives linéaires seraient remplacées par de nouvelles formes qui refléteraient plus fidèlement la réalité de la vie. Et pendant un temps, tout au potentiel du cut-up, Burroughs, avec l'aide de Brion Gysin, se mt à découper tout ce qui lui tombait sous la main ...


Les ordinateurs dominent peut-être le monde, mais le cerveau est le premier ordinateur ; toutes les informations que les gens ont oubliées y sont stockées. Le problème est celui de l'accès. Ainsi, dans les années 1960, alors que Burroughs développe la méthode du "cut-up" de sa première trilogie, "The Soft Machine" (1961), "The Ticket That Exploded" (1962) et "Nova Express" (1964), il se passionne pour les magnétophones et les caméras. Écrivain de l'ère spatiale, pour qui la science-fiction est un plan d'action, voué à la "mise au courant des marques" (wising up the marks), il enseigne aux lecteurs l'art de la déprogrammation. Marchez dans la rue, n'importe quelle rue, enregistrez et photographiez ce que vous entendez et voyez. Rentrez chez vous, écrivez vos observations, vos sentiments, vos associations et vos pensées, puis vérifiez les résultats par rapport aux preuves fournies par vos enregistrements et vos photos. Vous découvrirez que votre esprit n'a enregistré qu'une infime partie de votre expérience ; ce que vous avez laissé inaperçu est peut-être ce que vous avez le plus besoin de trouver. "La vérité peut n'apparaître qu'une seule fois" (Truth may appear only once), écrivait Burroughs dans son journal en 1997 ; "elle peut ne pas être répétée" (it may not be repeatable). Marcher dans la rue comme le font la plupart des gens, c'est rejeter le seul cadeau que la vie a à offrir, c'est piétiner le prince en se précipitant sur le crapaud, c'est prendre d'assaut le prêteur sur gages pour échanger de l'or contre de la ferraille. Ce que nous appelons "reality", selon Burroughs, n'est que le résultat d'un schéma de balayage défectueux, d'un appareil de décodage qui s'est emballé. Nous sommes tous câblés pour la destruction, et avons désespérément besoin d'être réacheminés, voire mutés...


"WORD IS VIRUS" - Le verbe, qui structure notre existence et ordonne notre conscience, est le maillon faible de notre soit-disante liberté individuelle, en continuité directe avec le monde qui nous environne, il pénètre en nous et véhicule, sans que nous le sachions, un discours qui n'est peut-être pas le nôtre, et plus encore qui nous assujettit à bien des dominations non consenties, mais comme allant de soi ..

Plutôt que de s’efforcer de créer un Naked Lunch "II" ou de céder à l'appel des médias, grands consommateurs de ce qu'on appelle les "biens culturels" (notion qui interroge), Burroughs a poursuivi son désir d’expérimenter avec des enregistrements textuels et audio cet étrange assemblage à qui il avait donné existence, "word is virus", "The Word is literally a virus, and it has not been recognised as such because it has achieved a state of relatively stable symbiosis with its human host… But the Word clearly bears the single identifying feature of virus: it is an organism with no internal function other than to replicate itself."  (Burroughs “Ten Years and a Billion Dollars”, The Adding Machine 47) 

Burroughs pense que le langage est l'instrument de contrôle le plus puissant connu de l'être humain, et c'est bien le langage qui le contrôle, et non l'inverse. On ne peut ignorer la manière dont les mots peuvent être utilisés pour ordonner le monde et les sociétés qui le composent. Le pouvoir de persuasion et de propagande réside dans l'utilisation du langage, et les lois existent en vertu de leur mise en forme écrite. " “words are still the primary instrument of control. Suggestions are words. Persuasions are words. Orders are words. No control machine so far devised can operate without words,” he writes, “and any control machine which attempts to do so relying entirely on external force or entirely on physical control of the mind will soon encounter the limits of control” ( The Limits of Control, 1978). 

Burrough entend briser ces mécanismes de contrôle : il y fait allusion pour la première fois dans Naked Lunch en s'attaquant à la racine même de leur pouvoir : le langage. Sa méthode du cut-up, adoptée, au cours des années 1960 , et expérimentalement répétées à l'infini ont pour finalité de contrecarrer toute imposition subconsciente d'un "ordre" sur les sélections de textes utilisées, les points de coupe et l'ordre d'assemblage. 

Dans "The Ticket That Exploded", Burroughs affirme : "The word is now a virus. The flu virus may have once been a healthy lung cell. It is now a parasitic organism that invades and damages the central nervous system. Modern man has lost the option of silence. Try halting sub-vocal speech. Try to achieve even ten seconds of inner silence. You will encounter a resisting organism that forces you to talk. That organism is the word" (L’homme moderne a perdu l’option du silence. Essayez d’arrêter la parole sous-vocale. Essayez d’atteindre même dix secondes de silence intérieur. Vous rencontrerez un organisme résistant qui vous forcera à parler. Cet organisme est le mot). 

Burroughs concluera "The Soft Machine", avec une routine appelée «cross the wounded galaxies we intersect, poison of dead sun in your brain slowly fading » (traverser les galaxies blessées que nous croisons, le poison du soleil mort dans votre cerveau s’estompant lentement ) qui dépeint un mythe de la création du langage viral qui infecte les singes, qui deviennent humains lorsqu’ils reçoivent la Parole et leurs propres noms. A la fin des années 1960, Burroughs espérait encore pouvoir déloger ou détruire le pouvoir parasitaire du "word virus"...


THE NOVA TRILOGY - Avec la publication de "Naked Lunch" à Paris et sa renommée croissante en tant que personnage mystérieux de l’underground littéraire, Burroughs est devenu l'un des personnages de sa création, comme son narrateur, William Lee, il va se considérer comme un "agent" entouré de forces hostiles et de virus menaçants. Et c'est par l'écriture qu'il peut espérer protection, il lui faut écrire les instructions qui lui permettront de survivre sur la planète.

En 1960, il va commencer à agencer sa future "cut-up trilogy",  de nouvelles pages viennent s'associer à des écrits plus anciens, son « Word Hoard », une masse de notes et de routines qu'il recyclait sans fin. Si des lieux réels viennent se confondre avec des lieux imaginaires, et si des personnages se travestissent inlassablement et se laissent entraînés dans le passé, le présent, l'avenir, c'est que l'auteur comme le lecteur sont irrésistiblement poussés au centre de cet "univers de puissances belliqueuses" que dressent des forces coercitives pour prendre contrôle sur notre quotidien. Seront publiés dans les trois années qui suivent, "The Soft Machine" (Olympia, 1961), "The Ticket That Exploded" (Olympia, 1962) et "Nova Express" (Grove, 1964), ce dernier étant le seul volume que Burroughs ne réécrira pas. Une compilation de "Naked Lunch", "Soft Machine" et "The Ticket that Exploded" fut aussi publiée en Angleterre sous le titre de "Dead Fingers Talk".

 

"Nova Express" est sans doute son roman le plus politique, bien que ses textes polémiques aillent beaucoup plus loin. "Nova Express" exprime des opinions qui seront finalement reprises quelques années plus tard par les contestataires écologique ou altermondialistes, lui s'attaque déjà aux excès des banques et des grandes entreprises mondiales, globalement à l’establishment : « Listen all you boards syndicates and governments of the earth. And you powers behind what filth deals consummated in what lavatory to take what is not yours. To sell the ground from unborn feet forever..." (Écoutez tous vos conseils d’administration et les gouvernements de la terre. Et vous avez les pouvoirs derrière les affaires de saleté consommées dans les toilettes pour prendre ce qui n’est pas le vôtre. Pour vendre le sol des pieds à naître pour toujours)

 

"Listen to my last words anywhere. Listen to my last words any world. Listen all you boards syndicates and governments of the earth. And you powers behind what filth deals consummated in what lavatory to take what is not yours. To sell the ground from unborn feet forever – “Don’t let them see us. Don’t tell them what we are doing –”

Are these the words of the all – powerful boards and syndicates of the earth?

“For God’s sake don’t let that Coca – Cola thing out –”

“Not The Cancer Deal with The Venusians –”

“Not the Green Deal – Don’t show them that –”

“Not the Orgasm Death –”

“Not the ovens –”

Listen: I call you all. Show your cards all players. Pay it all pay it all pay it all back. Play it all pay it all play it all back. For all to see. In Times Square.

In Piccadilly.

“Premature. Premature. Give us a little more time.”

Time for what? More lies? Premature? Premature for who? I say to all these words are not premature. Thesewords may be too late. Minutes to go.

Minutes to foe goal -

“Top Secret – Classified – For The Board – The Elite – The Initiates – “

Are these the words of the all – powerful boards and syndicates of the earth? These are the words of liars cowards collaborators traitors. Liars who want time for more lies, Cowards who can not face your “dogs” your “gooks” your “errand boys” your “human animals” with the truth, Collaborators with Insect People with Vegetable People. With any people anywhere who offer you a body forever. To shit forever. For this you have sold out your sons. Sold the ground from unborn feet forever. Traitors to all souls everywhere. You want the name of Hassan i Sabbah on your filth deeds to sell out the unborn?What scared you all into time? Into body? Into shit? I will tell you: “the word”. Alien Word “the”. “The” word of Alien Enemy imprisons “thee” in Time. In Body. In Shit. Prisoner, come out. The great skies are open. I Hassan i Sabbah rub out the word forever. If you I cancel all your words forever. And the words of Hassan i Sabbah as also cancel. Cross all your skies see the silent writing of Brion Gysin Hassan i Sabbah: drew September 17, 1899 over New York."

 

 


William S. Burroughs, "The Soft Machine" (1961, La Machine molle) 

Burroughs travailla sur "The Soft Machine" quelques six années, la première édition voit le jour en 1961 (Olympia Press), une édition difficile à lire que l'auteur doit revoir et compléter, après deux éditions (1966, Grove Press, US; 1968, John Calder, Great Britain), la quatrième dite "Restored' edition",  par Grove Press en 2014, en marque la fin, - si l'on veut, car ces fameuses versions "restaurées" ne sont pas sans poser bien des problèmes d'interprétation ...

"A long surrealistic novel concerning a great Nova conspiracy to control the world with addictive drugs and make it into a Nova criminal state" -  Le roman raconte, semble-t-il, l’histoire d’un homme qui se transforme en "soft machine" à travers une série d’expériences des plus singulières. Traversant différents lieux et périodes de temps, sa conscience, fragmentée, affronte ses peurs et ses désirs les plus profonds. La technique de découpage crée un récit décousu mais qui semble permettre  au lecteur d’interagir avec le texte, flux de conscience,  métaphore, symbolisme, allégorie nous entraînent dans une expérience humaine, organique, d'exploration des thèmes du pouvoir, du contrôle et de la psyché, du sexe, de la dépendance. "Dead on Arrival", "Who Am I to Be Critical?", "Public Agent", "Trak Trak Trak", "Early Answer", "Case of the Celluloid Kali", "The Mayan Caper", "I Sekuin", "Pretend an Interest", "Last Hints", "Where the Awning Flaps", un flot de mots, de phrases, d'images, entraîne un protagoniste agent secret qui possède la capacité de changer de corps ou de se métamorphoser en utilisant des "U.T." ou tissus indifférenciés. Une sorte d'intrigue prend corps, dans " Case of the Celluloid Kali ", un narrateur à la première personne, Clem Snide, " Private Ass Hole ", tout droit sorti d'un roman policier hard-boiled, engage conversation avec M. Bradly-Martin, "the biggest operative in any time universe" qui est prêt, nous l'apprenons rapidement, "à balancer tout le monde et à fendre cette planète morte en sifflet " (to rat on everybody and split this dead whistle stop planet wide open). Puis, nous nous retrouvons dans une sorte de bar avec Johnny Yen dont la bite sort d'un jock strap, se dissolvant "dans la lumière rose pour redevenir un clitoris, les couilles se rétractant dans la chatte avec un plop fluide " (in pink light back to a clitoris, balls retract into cunt with a fluid plop). Puis nous rencontrons le médecin qui a refait le visage de Johnny après un accident dans une Bentley. Puis Snide se heurte à la police de Nova. Saut de page. Bologne. Puis Rome. Un autre garçon, une drague, une fête nudiste organisée par Contessa di Vile, où nous nous retrouvons à regarder un film mettant en scène la pendaison d'un jeune homme qui éjacule pendant qu'il est pendu. Les spectateurs éjaculent. Le film se déroule au ralenti, puis s'accélère. En l'espace de quelques pages, nous sommes plongés dans une confusion générique, car nous passons du roman policier au porno, à la science-fiction, puis de nouveau au porno, avec peu ou pas de transition. 

Le chapitre suivant, "The Mayan Caper", propose un autre récit, quelque peu cohérent, impliquant un voyage dans le temps et le transfert de l'"âme" du narrateur dans le corps d'un jeune Maya.

Notre agent secret affronte un groupe de prêtres mayas qui utilisent le calendrier maya pour contrôler l'esprit des esclaves utilisés pour planter le maïs : un contrôle effectué par le biais d'images écrites dans des livres qui sont placées sur des bandes magnétiques et transmises sous forme de sons. Cependant, l'agent infiltre les esclaves et remplace la bande magnétique par un nouveau message : "burn the books, kill the priests". Ce nouveau message provoque la chute du régime maya. Cette intrigue linéaire est présentée dans le chapitre VII du livre, intitulé "The Mayan Caper".  

 

Les personnages du livre abondent, hétéroclites, certains tirés d'œuvres précédentes de Burroughs (le Dr Benway, Clem Snide, Sailor, Bill Gains, Kiki et Carl Peterson), et rejoints par  de nouveaux personnages associés à la trilogie Nova (M. Bradly, M. Martin, Sammy le boucher, Tony le Vert, Izzy le Pousseur, Willy le Rat/Uranian Willy, et l'inspecteur J. Lee). On y repère aussi des personnages recyclés de l'œuvre d'autres auteurs, comme "Jimmy Sheffields" du roman "Fury" de Henry Kuttner, "Salt Chunk Mary" du roman "You Can't Win" de Jack Black, et "Danny Deaver" du poème du même titre de Rudyard Kipling. Burroughs inclut également des personnages de la nouvelle "Billy Budd" d'Herman Melville, tels que Billy Budd et le capitaine Verre. Et puis il y a des races extraterrestres ...

 

"The Soft Machine"  se compose de dix-sept routines, et s’ouvre sur des réminiscences autobiographiques de son passé junky. 

Le corps humain, et son genre, la reproduction sexuelle, le temps, le langage parlé, autant de machines s'exprimant dans de multiples récits fragmentaires, Burroughs, comme l'initia Brion Gysin, utilise la "Cut-up technique", les jeux aléatoires de textes découpés et projetés en autant de contextes qui en épuisent le sens, jouant de sa liberté tant physique que sexuelle, au gré de voyages, de vagabondages, d'expériences homosexuelles teintées de violence ou de drogue, pour aboutir à mi-parcours au fameux "coup Maya", l'auteur change de corps, de perceptions, à coup de brisures, - "on m'expliqua que je devais oublier toute pudeur et réticence sexuelle, que le sexe était peut-être l'ancre la plus lourde nous retenant dans le temps présent" -, pour sombrer dans les miasmes de son chair en décomposition, au bout de l'être humain, ce qui ressemble à un enfer...

 


A la fin de années 1960, Burroughs semble passer de mode. Les années 1970 voient Burroughs renoncer aux cut-up, à ses méthodes révolutionnaires et s'installer à Londres. Il publie "The Wild Boys: A Book of the Dead" (1971) et "Port of Saints" (1973), de nombreux articles et textes que l'on retrouve dans ses principales anthologies, "The Burroughs File", "The Adding Machine" (1985),  "Exterminator" (1973) ...  et "The Electronic Revolution" (1971), un manuel dédié à la création d’un chaos anarchique grâce à l’utilisation de l’enregistrement et de la lecture audio provenant de diverses sources.  L'intérêt de Burroughs pour les machineries scientifiques de toutes sortes ne s'est jamais démenti (Korzibki et Reich font partie de son panthéon).

A la fin des années 1970, nouveau changement dans la carrière de Burroughs. L’avènement des scènes punk et No-Wave au Royaume-Uni et aux États-Unis voient affleurer ses vues nihilistes et anti-autoritaires, l’esprit du temps semblait le rattraper, 'The Electronic Revolution", utlié comme un manuel technique de découpage et d'échantillonnage venait nourrir une nouvelle vague d’avant-gardisme....

 

"The Wild Boys" (1971, Les Garçons sauvages) équilibre récit linéaire et tourbillon expérimental dans le décor dévasté d'une Terre dont la population a été réduite des trois quarts par un sinistre que l'auteur ne précise pas. Mortes ici les foules misérables des zones planétaires réduites à la famine pour assurer le grand luxe des métropoles. Le but de ces garçons sauvages est de "détruire toutes les machines policières", "tous les systèmes dogmatiques et les vieilles ordures verbales", "déraciner le bloc familial et sa dangereuse expansion : tribus, pays, nations". Ce sont des groupes de combat ultramobiles, utilisant toutes les armes les plus sophistiquées technologiquement et tout autant celles de leur imagination, les passages relatifs à leurs attaques sont souvent grandioses. Ils ont une langue commune fondée sur les hiéroglyphes, afin d'échapper au discours totalitaire du pouvoir et restituer aux "mots" toute leur inviolable totalité : "les garçons saivages voient, touchent, goûtent, entendent et sentent les mots". Les bandes urbaines allaient apparaître dans notre mode quelques dix années plus tard ...

 


The Red Night trilogy - Retour commercial et fin d'un certain expérimentalisme. Quand il rentre à New York en 1974, Burroughs entreprend un nouveau et ambitieux cycle romanesque."Cities of the Red Night" (1981), "The Place of Dead Roads" (1983), et "The Western Lands" (1987).

Son référentiel évolue, Burroughs fantasme le passé qui a produit le présent et part en quête de ses alternatives avortées, les derniers sites perdus de la possibilité humaine. Le premier est l'Amérique qui a disparu dans son enfance, avant et juste après la Première Guerre mondiale, lorsque l'identité individuelle n'avait pas encore été fixée et réglementée par des passeports et des impôts sur le revenu, lorsqu'il n'y avait ni CIA ni FBI, avant que les bureaucraties et les bombes n'étouffent la conscience créatrice et que les autoroutes ne sillonnent et ne codifient le paysage américain - "parfois, les chemins durent plus longtemps que les routes" (sometimes paths last longer than road), écrit Burroughs dans "Cities of the Red Night" (Les villes de la nuit rouge). À l'apogée du tireur, du combat singulier et des alliances fraternelles de la culture frontalière, les promesses de la révolution américaine n'étaient pas encore synonymes d'exclusion des intérêts personnels des élites. Aujourd'hui, écrit Burroughs, il y a "tant d'acteurs et si peu d'action" (so many actors and so little action) ; il reste peu de place pour les unités sociales indépendantes et coopératives qu'il préconisait, pour les rêves qu'il considérait comme la source magique du renouveau pour des peuples entiers aussi bien que pour des individus.

 

"The Western Lands" (1987, Les Terres occidentales), dernier volume d'une trilogie écrite sur une dizaine années, représentent ce territoire vers lequel les Anciens Égyptiens croyaient que les âmes des morts faisaient un pèlerinage hasardeux dans leur quête d’une véritable immortalité. Les chercheurs – Joe les Morts, Kim Carsons, le scribe Néferti, Hassan i Sabbah, le vieil homme de la montagne – parcourent un univers indéniablement burroughs-esque, d’un danger effroyable et d’une beauté surnaturelle – aujourd’hui, les ruelles de l’Égypte ancienne. Ce n’est qu’en affrontant les dangers les plus extrêmes et en testant les possibilités de mutation biologique que l’homme peut échapper à un monde sans issue...