South Africa - Alan Paton (1903-1988), "Cry, the Beloved Country" - Nadine Gordimer (1923-2014), "A World of Strangers" (1958), "The Late Borgeois World" (1966), "The Conservationist" (1974), "Burger's Daughter" (1979), "July's People" (1981), "Writing and Being" (1995) - André Brink (1935-2015), "A Dry White Season" (1979) - J.M.Coetzee (1940), "In the Heart of the Country" (1977), "Waiting for the barbarians" (1980), "The Life and Times of Michael K." (1983), "Disgrace" (1999) - Zakes Mda (1948),  "Ways of Dying" (1995), "The Heart of Redness" (2000) - Damon Galgut (1963), "The Good Doctor" - ...

Last update: 10/10/2023


L'Afrique du Sud, une société composée d'une majorité noire opprimée par le colonialisme blanc (moins de 20% de la population), puis par le système de ségrégation de l'apartheid, - un système en vigueur pendant près d'un demi-siècle (1948-1991) et qui ne peut qu'avoir marqué profondément le tissu social -, a donné naissance à une littérature singulière, pendant et après l'apartheid :  alors que Nadine Gordimer, lauréate du prix Nobel en 1991, crée des romans profondément ancrés dans le réalisme social, qui visent à témoigner, un autre prix Nobel, en 2003, J. M. Coetzee, ne peut que que prôner l'autonomie de la littérature face à l'histoire, avec des récits où dominent l'ambiguïté et l'incertitude. Publié huit ans après l'abolition de l'apartheid, qui pourtant pouvait porter à l'optimisme, cinq ans après les premières élections libres en Afrique du Sud, "Disgrâce" (1999) révèle des tensions insurmontables :  l'auteur y conte la déchéance progressive, - la "disgrâce" professionnelle, sexuelle, sociale, raciale -  d'un professeur universitaire du Cap, cinquantenaire,  qui incarne l'impasse dans laquelle se trouveraient les Blancs dans une nouvelle société sud-africaine dans laquelle certains ne se sentent ni responsables des tensions raciales ni complètement innocents : "I am living it out from day to day, trying to accept disgrace as my state of being. Is it enough for God, do you think, that I live in disgrace without term?..."

 

La lutte contre l'apartheid en Afrique du Sud fut l'une des grandes batailles politiques des dernières années du XXe siècle. Dès 1948, la victoire aux élections générales du Parti national, partisan de l'apartheid, marque le début d'une période d'oppression conduite par la minorité blanche. J. L. Strijdhom, qui succède à D. F.  Malan qui a initié le système en 1950, lance le slogan du baaskap - la domination du maître blanc - et de l'afrikanerdom, puis H. F. Verwoerd, Premier ministre de 1958 à 1966, va « rationaliser » le système à commencer par le découpage territorial, homelands puis bantoustans. Nelson Mandela devient alors le chef de file de la résistance. Il organise des manifestations publiques et mobilise le soutien à la cause de l'ANC (African National Congress). Le mouvement s'amplifie et se propage au sein de la population, par réaction à la législation du nouveau gouvernement qui met en place sa politique d'apartheid. Cette mobilisation s'inspire directement de défenseurs des droits civiques comme le Mahatma Gandhi et Martin Luther King. L'ANC tente de déstabiliser le gouvernement par la désobéissance civile, l'absentéisme massif et les manifestations publiques. Nelson Mandela, pour qui la priorité n'est pas tant d'attaquer la minorité blanche que de lutter contre l'injustice raciale et la suprématie blanche, organise en 1961 la branche militaire de l'ANCen réponse au massacre de Sharpeville. condamné en 1964 à la réclusion à perpétuité, il ne sera libéré qu'en 1990 pour devenir l'icône du démantèlement de l'apartheid. C'est qu'en effet, jusque vers les années 1980, le système apartheid, étendu au Sud-Ouest africain-Namibie, apparaît inébranlable, résistant à toutes les pressions internes et internationales (condamnations rituelles par l'O.N.U. et par les mouvements anti-apartheid, menaces de sanctions et exclusion des organisations internationales). 

Le 27 avril 1994, "Freedom Day", des millions d'Africains du Sud peuvent enfin exercer leur droit de vote nouvellement acquis : et lors de ces premières élections générales multiraciales du pays, Mandela est élu premier président noir de l'Afrique du Sud.... 



Alan Paton (1903–1988)

Romancier, éducateur et activiste politique, Alan Paton a été l’un des premiers écrivains sud-africains à acquérir une réputation internationale, principalement grâce à la force de ce roman sur le sort de deux familles, une noire et une blanche, quelques mois avant que le gouvernement sud-africain n’institue l’apartheid, légitimant la ségrégation raciale dans toutes les institutions nationales. Quelques années plus tard, Paton, auteur par la suite de "Too Late the Phalarope" (1953), "Tales from a Troubled Land" (1961), "Ah, but Your Land Is Beautiful" (1981), a certes tenté de jouer un rôle plus politique en créant un parti, qui fut rapidement interdit, mais c'est par "Cry, the Beloved Country", qui eut une influence considérable, qu'il souleva véritablement une indignation internationale qui demandait réponse...

 

" Cry, the Beloved Country" (Pleure, ô pays bien-aimé, 1948)

"Cry, the beloved country, for the unborn child that is the inheritor of our fear. Let him not love the earth too deeply. . . . Let him not be too moved when the birds of his land are singing, nor give too much of his heart to a mountain or a valley. For fear will rob him of all if he gives too much." - C'est l'un des plus grands romans d'Afrique du Sud, d'abord publié aux États-Unis, et qui raconte le périple d'un père depuis la campagne sud-africaine, un petit village dans les collines de ce qui s’appelle maintenant KwaZulu-Natal, jusqu'à Johannesburg, à la recherche de son fils : un roman qui a permis au monde entier de découvrir l'histoire tragique de l'Afrique du Sud. Le lecteur ne peut s'empêcher de ressentir de la compassion envers le personnage central, Stephen Kumalo, un pasteur anglican zoulou, et sa difficile entreprise. 

Il découvre que sa sœur est tombée dans la prostitution et c'est en prison qu'il retrouvera son fils, Absalon, accusé du meurtre d'un blanc, James Jarvis, - un propriétaire terrien qui vit non loin de Kumalo dans le pays, un homme, qui, paradoxalement, se préoccupait infiniment du triste sort de la population indigène d'Afrique du Sud, et incarnait la voix du changement jusqu'à sa mort prématurée. On rencontre aussi un autre père, celui de la victime, dont le cheminement personnel à la découverte de son fils permet finalement à son destin et à son chagrin de se retrouver singulièrement entremêlés à ceux de Kumalo. Entremêler les destins des familles expose toute la violence et l’injustice de la ségrégation sud-africaine. Le roman reflète les extrêmes des émotions humaines, et la foi que montre Paton en la dignité humaine dans les pires des circonstances est poignante et exemplaire. Le roman dénonce aussi la brutalité de l'apartheid, mais, en dépit de son portrait sans concessions du désespoir sud-africain, il offre l'espoir d'un avenir meilleur. C'est un cri en faveur de l'Afrique du Sud, pour son peuple, sa terre, et l'espoir, bien timide alors, de sa libération des chaînes de la haine, de la pauvreté et de la peur....


Nadine Gordimer (1923-1979)

Nadine Gordimer est née dans le Transvaal et a toujours vécu en Afrique du Sud. Dans ses recueils de nouvelles et nombre de ses romans tels que "The Late Bourgeois World" (1966), "The Conservationist", qui a remporté le prix Booker en 1974, ou "A Sport of Nature'(1987); elle sait exprimer les dilemmes d'une femme blanche dans un pays confronté à des divisions raciales, mais elle est reconnue pour son opposition implacable au régime d’apartheid. 'est avec "Burger’s Daughter" qu'elle se révèle en dramatisant avec talent le conflit entre vie publique et vie privée, entre individu et famille, entre histoire et destin. Elle recevra le prix Nobel de littérature en 1991, alors que des milliers de livres jugés indésirables avaient été censurés en Afrique du Sud pendant plus d'une vingtaine d'années ...

 

"Burger’s Daughter" (Fille de Burger, 1979)

Nadine Gordimer explore ici l'impossibilité d'avoir une vie privée, tout simplement, dramatiquement. Dans l'Afrique du Sud de la fin des années 1960 et des années 1970, la vie privée est un luxe qui n'appartient qu'aux seuls Blancs et ceux-ci refusent de reconnaître que leur "normalité" puisse s'étendre à d'autres personnes. Avoir une vie privée devient pourtant une nécessité pour Rosa Burger, une stratégie de survie après le décès de son père en prison, un moyen pour elle de refuser d'être compromise par la réputation de ce dernier. Les parents de Rosa étaient tous deux des Afrikaners marxistes partisans de l'intégration raciale, tous deux en sont morts. Le roman nous relate son enfance et la vie de ses parents, puis après leur mort, elle connaît un éveil sensuel, en France, puis un retour inévitable. À la fin du roman, Rosa se retrouve elle aussi en prison. Mais l'échec de ses pénibles efforts pour se définir une vie à elle est singulièrement libérateur. Les histoires jamaís racontées, mêlées à l'histoire de son combat personnel, sont celles de mineurs immigrés, d'ouvriers d'usine, de serviteurs sans maison et d'agriculteurs sans terres...

 

"July's People" (Ceux de July, 1981)

De la vulnérabilité de l'homme blanc ... Un roman apocalyptique qui s'inscrit dans une guerre civile imaginaire qui suivrait l'invasion du Mozambique par l'Afrique du Sud en 1980.Villes et foyers sont en feu lorsque Maureen et Bam Smales partent en camionnette avec leurs enfants et July, leur domestique, pour se mettre à l'abri dans son vilIage lointain. Confrontés aux dures réalités de la vie dans ce village, Maureen s'épanouit alors que Bam, perdu sans son fusil, se sent frustré. Dans le cadre de cette nouvelle dépendance, la relation avec July devient de plus en plus difficile au fur et à mesure que le couple blanc perd de jour en jour contact avec sa culture. Le désir et le devoir sont dorénavant façonnés par le facteur économique, et la présomption libérale de l'homme blanc selon laquelle la nature humaine est universelle est remise en question. 

La prose complexe de Gordimer atteint des sommets dans sa manière de relier, par allusions et insinuations, des certitudes du passé au doute du présent; presque aucun paragraphe ne se situe dans un présent paisible. Ces questions profondes resteront sans doute sans réponse. Quand un hélicoptère atterrit, Maureen court à sa rencontre, sans savoir s'il appartient à l'armée ou aux révolutionnaires, et le roman prend fin, laissant le lecteur lui aussi sans réponses...


André Brink (1935-2015)

Alors que ses premiers romans, "Lobola vir die lewe" (1962; « Le prix de la vie ») et "Die ambassadeur" (1963; L’ambassadeur), étaient essentiellement apolitiques, André Brink, témoin d'une désintégration de plus en plus visible des valeurs humaines sous l’apartheid, en vint à utiliser la relation sexuelle entre un homme noir et une femme blanche pour montrer toute la destructivité de la haine raciale ("Kennis van die aand", 1973, Looking on Darkness; "’N oomblik in die wind", 1975, Un instant dans le vent; "Gerugte van reën", 1978; Rumours of Rain) devenir au niveau international un romancier antiapartheid ('N droë wit seisoen, 1979, A Dry White Season), dans lequel un libéral blanc enquête sur la mort d’un militant noir en garde à vue, des ouvrages interdits en Afrique du Sud et condamnés pour pornographie, notamment. Ses œuvres ultérieures raconteront notamment,  à travers de nombreux points de vue, une révolte d’esclaves en 1825 (Die kreef raak gewoond daaraan, 1991, An Act of Terror) et rien ne semblera l'incliner à quelque optimisme à venir ...

 

"'n Oomblik in die wind" (Un instant dans le vent, 1975)

Roman historique aux échos intemporels qui constitue une exploration émouvante de l'apartheid à un niveau très personnel, un récit particulièrement poignant d'une femme blanche de bonne famille et d'un esclave noir perdus dans la brousse sud-africaine : une métaphore, celle de la sécheresse tout autant climatique que morale ......

Situé en 1749 dans l'arrière-pays (afrikaner) du cap de Bonne-Espérance, il a pour personnage principal Elizabeth Larson, blanche et cultivée, professeur d'histoire. Blottie dans son chariot, c'est la seule rescapée d'une expédition malheureuse guidée par son mari, un explorateur suédois. Leur guide s'est tué, les porteurs hottentots se sont enfuis et son mari a disparu. Le destin lui fait rencontrer Adam Mantoor, esclave noir en fuite qui la force à affronter les questions de race, d'éducation, d'amour et de sexualité cependant que les deux personnages explorent un terrain géographique et affectif complexe dans leur tentative de rejoindre la "civilisation".

L'œuvre de Brink a fait découvrir à un public international la façon dont les séparations radicales de l'apartheid corrompaient et désintégraient la vie quotidienne des personnes qui en souffraient et ce, à un moment où les voix dissidentes étaient rares en Afrique du Sud. Sa prose, sombre, dénonçait l'absurdité et la banalité d'un système racial à deux étages.

 

"A Dry White Season" (1979, Une saison blanche et sèche) 

Ben Du Toit, un gentil instituteur sans prétention, est un Afrikaner de classe moyenne qui apprécie la vie privilégiée des Blancs sous l'apartheid des années 1970. Mais son monde commence à s'écrouler quand, en toute innocence, il accepte d'aider son jardinier à retrouver son fils qui a disparu lors d'une manifestation à Soweto, en compagnie d'autres écoliers noirs.

Alors que son enquête devient de plus en plus  difficile, Ben est entraîné dans un monde corrompu, où règne dissimulation, sectarisme et meurtres, et où l'entourage du pouvoir est impliqué. Pendant ses recherches, Ben comprend qu'il se met à dos de nombreuses personnes de sa communauté, voire sa famille, par son refus de laisser cette histoire aux oubliettes, alors que les Noirs qu'il essaie d'aider se méfient de lui. L'investigation est compliquée et Brink dépeint la marche inexorable de la répression par l'État, qui s'attaque aux personnes sur le plan personnel et humain, broyant finalement notre héros. ll finit par dénoncer les iniquités de la politique de l'apartheid en Afrique du Sud.

André Brink savait fort bien ce que signifiait être menacé lorsqu'il écrivit ce roman. Ses premiers romans en afrikaans (sa langue maternelle) avaient commencé à explorer l'effondrement des valeurs humaines provoqué par les injustices du système de l'apartheid. Cela ne le rendit populaire ni auprès des Afrikaners, ni auprès du gouvernement, qui interdit

ses ouvrages. Brink fut forcé de traduire et écrire ses livres en anglais afin d'espérer toucher un lectorat plus important. Il y réussit, le roman constitua une belle réussite internationale et fut porté à l'écran en 1989, par Euzhan Palcy, avec Donald Sutherland, l'actrice sud-africaine Janet Suzman et Marlon Brandon ...


 J. M. Coetzee (1940)

Romancier, linguiste, traducteur, John Michael Coetzee naquit au sein d'une famille anglophone d'origine néerlandaise, et passa les premières années de sa vie au Cap. Professeur de littérature, ayant séjourné tant à Londres qu'aux Etats-Unis, il reçoit le prix Nobel en 2003 et se retire en Australie ...

 

"Dusklands" (Terres de crépuscule, 1974)

Composé de deux courts récits, dont le premier, "Le Projet Viêtnam", traite des efforts d'Eugene Dawn pour concevoir et analyser des mythographies qui permettront à l'Amérique de justifier sa position dans ce conflit et de saper la résistance vietnamienne. Le deuxième est le récit brutal de Jacobus Coetzee, l'un des "héros qui se sont les premiers aventurés à l'intérieur de l'Afrique du Sud et en ont rapporté la nouvelle de ce dont nous avions hérité".

Entre les deux récits, les parallèles troublants. Les frontières qui séparent les méthodes physiques, psychologiques et culturelles de la domination coloniale sont floues, tandis que la mentalité de l'impérialiste est exposée de façon inquiétante. Derrière cette exploration, jamais réellement visible, se cache une interrogation portant sur la construction de l'histoire. Malgré la densité des allusions théoriques, la prose de Coetzee, comme à son habitude directe, vivante, conjure des visions d'horreur et de compassion, de vérité et de mensonge. Depuis les vingt-quatre photos de la guerre du Viêtnam que Dawn transporte avec lui dans une gamelle, jusqu'à l'horrible "vengeance" impartie par Jacobus Coetzee, le roman parvient à attaquer directement ses cibles et rappelle de façon perturbante l'emprise tentaculaire de la complicité, et la présence dans toutes nos histoires de choses que nous préférerions passer sous silence...

 

"In the Heart of the Country" (Au Coeur de ce pays, 1977)

Deuxième roman de Coetzee, "Au cœur de ce pays" est le récit de la folie, du désir et du  fantasme dans le veld, les larges espaces de la campagne sud-africaine. Magda, célibataire, vit avec son père, fermier veuf et blanc dans leur exploitation isolée. Quand celui-ci séduit la jeune épouse de leur domestique africain, Hendrik, Madga devient jalouse tout en éprouvant un désir ambivalent pour l'amour et la sexualité qu'elle n'a jamais connus. Se sentant desséchée, stérile, asexuée et inutilisée, elle s'imagine gâchée à jamais par l'isolement qu'elle partage avec un père distant et oppresseur - une détérioration qui dans ses fantasmes se transforme en viol paternel. La prose sombre et dépouillée de Coetzee atteint ici une grande poésie cependant que Magda lutte pour combler de mots le vide de son existence. Éloignée de force du cours de l'histoire, elle observe le temps qui s'étend devant et derrière elle sans signification ni interruption, et, à travers son entrelacement incessant d'histoires, elle essaie de donner un certain sens à sa vie. Le langage lui faisant défaut, elle commence à perdre l'esprit. Choquante et troublante, c'est l'une des premières explorations littéraires, de la part de Coetzee, de ces nœuds d'oppression raciale et sexuelle que le règne colonial a légués à l'Afrique du Sud ...

 

"Waiting for the barbarians" (En attendant les barbares, 1980)

On a souvent reproché à Coetzee ses narrations denses et elliptiques interprétées le plus souvent comme des allégories sur l'État sud-africain pendant et après l'apartheid. "En attendant les barbares" semble rentrer dans ce cadre, le roman se déroule en effet dans un empire sans nom, anonyme, à une époque qui n'est pas spécifiée, et raconte l'histoire d'un magistrat qui se heurte à la brutalité de l'appareil étatique en essayant de récompenser une fille "barbare" qui a été torturée par l'impénétrable colonel Joll. Le magistrat collectionne, dans le désert, des bouts de bois qui portent des inscriptions anciennes illisibles. Il conclut que ces fragments constituent une allégorie formée non pas par les inscriptions elles-mêmes, mais par |'ordre et la manière dans lesquels elles sont lues. Le roman apparaît ainsi  comme une réflexion sur l'écriture en soi et sur son incapacité occasionnelle à communiquer son sens. La valeur symbolique est ici  celle de la souffrance qui ne peut être articulée, la femme sauvée par le magistrat parle peu, et c'est celui-ci  qui raconte à sa place et tente de lire dans ses blessures le récit de l'Empire. Parallèlement, à travers la mortification du magistrat, Coetzee peint un portrait de l'engagement politique comme total et pourtant vide d'idéologie ...

 

"The Life and Times of Michael K." (Michael K., sa vie, son temps, 1983)

Voici un roman qui utilise l'idéal champêtre sud-africain pour remettre en question les mythes qui ont soutenu le régime de l'apartheid. Michael K est un "non-Blanc" avec un bec-de-lièvre, qui travaille comme jardinier dans le district de Sea Point au Cap, où sa mère est employée comme domestique. Deux parties. Dans la première, alors que celle-ci est mourante, il essaye de la ramener dans sa ferme natale, dans le Karroo où elle est née, mais elle meurt en chemin. Michael continue seul son voyage pour éparpiller les cendres de sa mère sur la ferme abandonnée. ll s'y installe, cultivant des potirons et vivant de la terre. Pendant ce temps, la guerre civile fait rage. Accusé d'avoir aidé les insurgés, Michael est arrêté et interné dans un camp de travail où il refuse de se nourrir. Il s'en échappe et revient à Sea Point, où il vit comme vagabond.

La seconde partie du roman est un journal tenu 'par l'officier médical du camp de travail. ll y raconte ses efforts pour persuader Michael de se livrer. Mais rien de significatif ne passe par ses lèvres déformées: il mange rarement et parle tout aussi rarement. Son refus de ne faire partie d'aucun système ébranle les certitudes de l'officier médical et toute la richesse du roman réside dans l'enigme que pose Michael et sa résistance vis-à-vis des autorités ...

 

"Disgrace" (Disgrâce, 1999)

Après l'apartheid en Afrique du Sud, des structures auparavant immuables s'effondrent et de nombreux Blancs appartenant à la population autrefois dominante sont contraints de s'adapter. David Lurie est un professeur de cinquante-deux ans dans une université du Cap. La finn du racisme institutionnalisé le dérange moins que la nouvelle culture adoptée dans le pays, qui dévalorise la dévotion qu'il a nourrie toute sa vie pour la littérature, en particulier le romantisme. Convoqué à comparaître devant un conseil de discipline pour avoir séduit une étudiante, il ne peut pas se résoudre à faire son mea-culpa en public et démissionne, affrontant un futur inconnu.

Le récit de Coetzee débute comme une satire du monde universitaire, puis prend des nuances plus sombres avec la visite de Lurie à sa fille Lucy dans sa petite ferme dans l'est de la région du Cap. Lors d'une attaque de la ferme par trois hommes noirs, Lucy est violée et Lurie brûlé. La consternation qu'il éprouve face à cet univers nouveau est exacerbée par le refus de sa fille de rendre son viol public et d'avorter du bébé qui en résulte. ll réagit en se consacrant à un refuge qui recueille les chiens abandonnés de la région pour les euthanasier et en travaillant sur un opéra qui empire au fur et à mesure qu'il le développe. En froid avec sa fille, il espère néanmoins rétablir son "droit de visite".

On peut se douter que le portrait du nouvel ordre social et politique évoqué dans "Disgrâce" suscita de vives polémiques en Afrique du Sud. Pourtant, la position que prend le livre sur la question éthique est plus provocatrice que ne l'est le réalisme douloureux avec lequel il traite certains des problèmes du pays...