The "Lost generation" (1920-1930) - Francis Scott Fitzgerald (1896-1940), "This Side of Paradise" (1920), "Flappers and Philosophers", "Tales of the Jazz Age" (1922), "The Beautiful and Damned" (1922), "The Great Gatsby" (1925), "Tender is the Night)" (1934), "The Last Tycoon" (1941) - ....
Last update: 11/11/2016
The "Lost generation" (1920-1930)
Les romanciers américains de la génération de Fitzgerald, Faulkner, Hemingway furent non seulement confrontés à une modernité en plein développement. mais aussi à la nécessité de définir la culture américaine face à la culture européenne, de trouver ainsi un nouveau langage et un nouveau style pour le roman. Le changement marqué de sensibilité entre les romanciers modernistes et leurs prédécesseurs se résume dans la remarque de Wharton à F. Scott Fitzgerald, à Paris, en 1925, "pour votre génération, je dois représenter l'équivalent littéraire du mobilier tufté et des chandeliers à gaz" (to your generation, I must represent the literary equivalent of tufted furniture and gas chandeliers). Edith Wharton (1862-1937)et, avant elle, Henry James (1843-1916) avaient écrit des récits hautement littéraires, le plus souvent sur les vies et les amours des échelons supérieurs de la société américaine au seuil du siècle. Les romans de Fitzgerald (1896-1940) vont traité ce ce qu'il va appeler l' "ère du jazz", une époque de fluctuation sociale et morale qui va donner un nouvel essor à l'American Dream, et entretenir a contrario le sentiment latent d'un désastre imminent.
Fitzgerald connut très vite le succès avec son premier roman, "This Side of Paradise", L'Envers du paradis, 1920) dans lequel il décrit l'évolution des codes moraux et sociaux après la Première Guerre mondiale. Sous bien des aspects, la base thématique de ses romans reflète les circonstances de sa propre vie. Alors que son premier succès ouvrait la voie vers l'American Dream, son roman suivant, "The Beautiful and the Damned" (Les Heureux et les damnés, 1922). se faisait l'écho de ses craintes que tout cela ne soit trop beau pour être vrai. L'histoire parle d'un magnifique jeune couple dont l'innocence. les espoirs et le potentiel dégênèrent alors qu'ils sont sur le point d'hériter une fortune. Dans l'espoir de fuir le poids des attentes dans sa propre vie, Fitzgerald gagne la France, en 1924, avec Zelda. sa femme. C'est là qu'il acheva son oeuvre la plus connue, "The Great Gatsby" (Gastby le Magnifique, 1925), souvent reconnu comme la quintessence du "Great American Novel", un concept idéalisé de la culture américaine et l'équivalent de la tradition de l'épopée nationale en Europe. L'histoire qui se déroule sur la côte atlantique des États-Unis décrit un monde d'hédonisme, d'égoïsme, de matérialisme, d'hypocrisie et d'amoralité. Bien qu'immergé dans cette culture et qu'ayant fait fortune dans la contrebande d'alcool, son personnage central, Jay Gatsby, en ressort avec une innocence intacte. ll est presque héroïque dans sa façon de conserver sa foi dans l'idéal platonique de l'American Dream.
Vers les années 1930, la propre vie de Fitzgerald va basculer en raison de son alcoolisme croissant et des dépressions répétition de sa femme. ll acheva un autre roman, "Tender ls the Night" (Tendre est la nuit, 1934), dans lequel un psychiatre épouse l'une de ses patientes, et en acheva presque un autre, "The Last Tycoon (Le Dernier nabab), publié à titre posthume en 1941, qui se déroulait à Hollywood où il travaillait comme scénariste. Malgré son décès prématuré, il laissera un héritage imposant, dont des romans et un grand nombre d'excellents courts récits.
A Chart of Manhattan, 1936, by Waldorf Astoria, George Annand
Francis Scott Key Fitzgerald fut à la fois séduit et emporté par les Années folles, mais au fond parfaitement conscient de la vacuité de la promesse d'une vie meilleure qu'elles semblaient exaltées : période des miracles et ère du jazz, période de nouveaux riches et d'optimisme débridé des self-made-man, les années 1920 semblent engendrer une nouvelle mobilité sociale, les fortunes de l'Ouest viennent dépenser sans compter à l'Est, le superflu foisonne, mais un abîme se creuse implicitement.. Fitzgerald tente dans ses romans de faire vivre un monde sincère et rayonnant ..
Francis Scott Fitzgerald (1896-1940)
Francis Scott Key Fitzgerald est le romancier des « années folles ». Son premier roman lui apporte la gloire en 1920, mais il meurt seul, oublié, pauvre en
automne 1940, quand le nazisme déferle sur le monde. Coincée entre deux guerres mondiales, son œuvre est caractéristique des « jeunes gens tristes » (All the Sad Young Men, 1926). Dans
ses nouvelles surtout (Flappers and Philosophers, 1920 ; Tales of the Jazz Age, 1922), il a saisi la frénésie nostalgique de l'« âge du jazz » et le désenchantement de cette génération de jeunes
américains déçus par une paix qui ne donnait pas de sens à la victoire. La guerre, même pour ceux qui ne l'avaient pas faite, comme Fitzgerald, qui n'arriva à Paris qu'en 1921, les avait arrachés
à l'Amérique. « La génération antérieure a pratiquement ruiné le monde avant de nous le passer. » Leurs pères ayant consommé le péché originel, ils se sentaient la première génération damnée,
vivant sur "l'Envers du paradis", titre du premier roman de Fitzgerald (1920). Le titre du second, "les Heureux et les damnés" (The Beautiful and Damned, 1922), est aussi éloquent. Fitzgerald est
à la fois le chantre et le héros de la « génération perdue », qui a la nostalgie des combats et cherche dans l'alcool, la vitesse et la bringue l'oubli d'elle-même. Mais jamais, au cœur
des extravagances ou de l'alcoolisme, Fitzgerald ne perd sa lucidité : il se regarde, fasciné par sa propre destruction. Du premier roman à la dernière nouvelle, il s'agit bien d'une
œuvre autobiographique.
Il meurt à quarante-quatre ans d'avoir raté ses rêves de vingt ans, il y a quelque chose de brisé, une fêlure, comme il intitule sa dernière œuvre.
"Fitzgerald est né dans une famille pauvre et prétentieuse. Son père, après une faillite dans l'ameublement, était représentant de commerce. Sa mère se
privait et le faisait savoir pour lui payer des cours de danse, des écoles chic et finalement l'université de Princeton. Mince, blond, beau, Fitzgerald affecte des allures de dandy. Il a du
succès. Mais Ginevra King, l'héritière qui deviendra la Joséphine du roman, refuse de l'épouser. Sorti de Princeton sans diplôme, Fitzgerald s'engage dans l'armée en 1917. Sous-lieutenant dans un
camp de l'Alabama, il rencontre Zelda Sayre, fille d'un juge et petite-fille d'un sénateur. Zelda, comme la Nicole de "Tendre est la nuit", est une héritière admirée, courtisée, une « flapper »
aux allures de garçonne, belle, provocante, elle sera la femme de sa vie et de sa mort. Démobilisé par l'armistice de 1918, Fitzgerald travaille pour une agence de publicité, à 90 dollars par
mois, et écrit un roman et des nouvelles refusés par deux cent vingt-deux éditeurs et directeurs de journaux. Découragé, il commence à boire comme il l'évoque dans la nouvelle Premier Mai (May
Day), avec la nostalgie du jeune homme brillant qui n'arrive pas.
En septembre 1919, Scribner accepte son roman, qui paraît en 1920 : "L'Envers du paradis" (This Side of Paradise) est un succès. Malgré les défauts, les
faiblesses de l'intrigue et les facilités d'écriture, dira la critique de son oeuvre, il y a une magie. "Il y a chez lui, comme chez Keats, un génie de l'instantané, un pressentiment de la fin,
un acharnement à saisir la beauté de l'instant. Ses personnages sont dégagés du conditionnement réaliste : ce ne sont pas des types sociaux, mais des sensibilités. Moins puissant que Faulkner,
moins discipliné que Hemingway, Fitzgerald est plus attachant."
Zelda accepte de l'épouser. Le rêve commence : il est jeune, beau, célèbre, l'Amérique sent la prospérité, le succès, la joie de vivre. De 1920 à 1929, dans une atmosphère d'inflation et de boom économique, Scott et Zelda seront les héros d'une fabuleuse kermesse qui s'achèvera dans la catastrophe économique de 1929.
En 1921, c'est leur premier voyage à Paris, ils arrivent à Paris, s'installent à l’hôtel St-James et Albany, rue Saint-Honoré, jettent l'argent par les fenêtres, boivent, se battent, se font expulser de l'hôtel. Fitzgerald gaspille son génie à écrire des textes qu'il vend cher. En 1922, son second roman, "The Beautiful and Damned", raconte cette dérive d'un couple de fêtards et les extravagances de Zelda. «J'ai gâché 1922 et 1923, écrit-il. J'ai fait un travail infernal, mais rien que de la camelote alimentaire.» En 1924, le couple retourne en France, sur la French Riviera (Saint-Raphaël), Fitzgerald termine "Gatsby le magnifique" (commencé en juillet 1923), mais le séjour est perturbé par l’aventure de Zelda avec un aviateur français, Edouard Jozan. Fitzgerald s'interroge alors sur sa masculinité et c'est dans ce contexte que naîtra son admiration pour Ernest Hemingway, qu'il rencontre en mai 1925 alors que le couple habite rue de Tilsitt, non loin de l'Arc de Triomphe. C'est l'épisode bien connu au cours duquel Fitzgerald partage avec Hemingway son manuscrit de" Gatsby le Magnifique" à la terrasse de La Closerie des Lilas. Mais l'alcoolisme, le surmenage, l'insomnie, les relations avec Zelda minent Fitzgerald. Hemingway, dans "Paris est une fête", a cruellement décrit les angoisses de Fitzgerald : «On peut écrire une nouvelle en sifflant une bouteille, mais pas un roman.» C'est aussi à cette époque, et alors que Zelda commence à sombrer dans la schizophrénie, que Fitzgerald débute "Tender is the Night" (qui ne sera publié qu'en 1934).
Entre deux crises éthyliques, Fitzgerald rencontre Edith Wharton, puis, comme Hemingway, fréquente la maison de Gertrude Stein et la librairie de Sylvia Beach. Son troisième roman, "Gatsby le Magnifique" (The Great Gatsby), est donc un drame autobiographie du déclassement qui se vendra sans réellement rencontrer le succès espéré : Gatsby a épousé la fille d'un milliardaire, mais elle lui échappe, comme Nicole échappe à Dick à la fin de Tendre est la nuit. « C'est ce que j'ai toujours vécu, avoue Fitzgerald : un garçon pauvre dans une ville riche, pauvre dans une école de riches, pauvre dans une université de riches. Je n'ai jamais pu pardonner aux riches d'être riches, ce qui a assombri ma vie et toutes mes œuvres. Tout le sens de Gatsby, c'est l'injustice qui empêche un jeune homme pauvre d'épouser une jeune fille qui a de l'argent. Ce thème revient parce que je l'ai vécu.» D’avril à octobre 1928, le couple Fitzgerald séjourne rue de Vaugirard et rencontre Joyce, puis en 1929 se partagent entre Nice, Paris et Cannes. En 1930, la schizophrénie de Zelda est confirmée à Paris. "Save Me the Waltz", le seul roman qu'est écrit Zelda et paru en 1932, révèle une personnalité sensible, souffrant de solitude et d'incompréhension, au talent littéraire indéniable mais étouffé par l'instabilité chronique de Fitzgerald.
En octobre 1929, l'écroulement des cours à la Bourse de New York sonne le glas des «années folles ». Les années noires commencent pour le monde et pour les
Fitzgerald. En 1930, Zelda est internée dans une clinique psychiatrique près de Genève. Fitzgerald erre en Suisse, lisant des manuels de psychiatrie. Le sujet de "Tendre est la nuit" (Tender is
the Night) se confirme : l'histoire de Dick Diver, le petit psychiatre qui épouse sa riche malade, la guérit et y ruine sa carrière, son amour et sa vie. Longtemps remanié, le livre est publié en
avril 1934. C'est un roman de la dissolution. « Toute vie est un processus de démolition », écrit-il. La démolition psychologique, sentimentale, sociale et professionnelle du docteur Diver est
totale.
Malgré les cures de désintoxication, Fitzgerald boit de plus en plus, écrit de moins en moins. Dans "l'Après-midi d'un écrivain" (Afternoon of an Author) et
"la Fêlure" (The Crack-up), publiés après sa mort, il raconte, avec une simplicité dépouillée, aux accents presque mystiques, cette déchéance : « Tout ce que j'ai pu faire et être est perdu,
dépensé, enfui, irrécupérable. Dans la vraie nuit de l'âme, il est éternellement trois heures du matin. » Deux fois, il tente de se suicider. En 1937, oublié, il travaille à Hollywood comme
scénariste. Il n'a pas le temps d'achever son dernier roman, "le Dernier Nabab "(The Last Tycoon). Il meurt d'une crise cardiaque le 20 décembre 1940. En 1948, Zelda périt brûlée vive dans
l'incendie de l'asile psychiatrique où elle était traitée."
1920 - L'Envers du paradis (This Side of Paradise)
"I know myself, but that is all..." - "Ce livre a
été une bombe. Il a éclaté dans le ciel de New York, au lendemain de la Première Guerre mondiale, comme le manifeste d'une génération. Scott Fitzgerald décrivait la vie nouvelle, libre, hardie de
la jeunesse. Le jeune provincial du Middle West, fraîchement débarqué, avait écrit sans le savoir une bible, celle de l'âge du jazz."
C'est un roman d'un très jeune homme et un livre de souvenirs, l'auteur y a mis des fragments de tout ce qu'il avait écrit jusque-là. A l'ère du jazz, des séquelles morales de la Première guerre mondiale et de la prohibition, d'un certain vide intellectuel mais aussi émotionnel, cette jeunesse est incarnée par Amory Blaine dont on suit la vie, de son enfance au seuil de sa vingtième année. "Here was a new generation, shouting the old cries, learning the old creeds, through a revery of long days and nights; destined finally to go out into that dirty gray turmoil to follow love and pride; a new generation dedicated more than the last to the fear of poverty and the worship of success; grown up to find all Gods dead, all wars fought, all faiths in man shaken.."
Le jeune homme est en quête de lui-même, il va franchir une à une les marches de l'existence, celle des conventions et du conformisme, puis celle des femmes et enfin celle de l'argent. Chacune de ces étapes est en fond de la société américaine traditionnelle et notre héros, qui tente de se construire pas à pas, va se confronter à chacune d'elles, ou du moins s'interroger sur leur réelle valeur dans un monde dont la surface se craquelle ici et là. S'interroger non pas en élaborant des théories ou des critiques construites, mais en poussant à tâtons un égocentrisme encore malhabile dans le tissu social qui l'environne. Le monde d'Amory est un monde-miroir, il y cherche sa propre image, comme naturellement. Ni révolte, ni tragédie....
Amory parcourt le pays avec sa mère, Béatrice, une femme riche et sophistiquée, fréquente l'école dans le Midwest, puis l'internat, et enfin Princeton. Dans l'atmosphère négligemment aristocratique de Princeton, et du Cottage Club, Amory s'interroge sur la politique, la classe sociale, la religion, le pacifisme et le socialisme, avec son camarade, Burne Holiday, s'appuie sur un vieil ami de sa mère, Monseigneur Darcy, un membre du clergé qui sert de mentor et de figure paternelle. Progressivement un sentiment de supériorité grandit en lui mais ne sait toujours pas que faire de sa vie. Il abandonne Princeton pour s'engager dans la Première Guerre mondiale. À son retour en Amérique, le monde est différent, règne un sentiment de désillusion, de nouvelles attitudes à l'égard de la société et de la moralité. Amory, qui entre-temps a perdu sa mère, perd aussi sa fortune. Et s'il tombe amoureux de Rosalind Connage, celle-ci ne tarde pas à lui briser le coeur en choisissant un autre partie, le fortuné Dawson Ryder. Amory Blaine semble avoir tout perdu, il a certes acquis une meilleure connaissance de lui-même, mais à quoi bon...
" - “Amory, sorry for them, was still not sorry for himself - art, politics, religion, whatever his medium should be, he knew he was safe now, free from all hysteria - he could accept what was acceptable, roam, grow, rebel, sleep deep through many nights...
There was no God in his heart, he knew; his ideas were still in riot; there was ever the pain of memory; the regret for his lost youth - yet the waters of disillusion had left a deposit on his soul, responsibility and a love of life, the faint stirring of old ambitions and unrealized dreams...
And he could not tell why the struggle was worth while, why he had determined to use to the utmost himself and his heritage from the personalities he had passed...
He stretched out his arms to the crystalline, radiant sky.
"I know myself," he cried, "but that is all.”- ".
"BOOK ONE — The Romantic Egotist
CHAPTER 1. Amory, Son of Beatrice
Amory Blaine inherited from his mother every trait, except the stray inexpressible few, that made him worth while. His father, an ineffectual, inarticulate man with a taste for Byron and a habit of drowsing over the Encyclopedia Britannica, grew wealthy at thirty through the death of two elder brothers, successful Chicago brokers, and in the first flush of feeling that the world was his, went to Bar Harbor and met Beatrice O’Hara. In consequence, Stephen Blaine handed down to posterity his height of just under six feet and his tendency to waver at crucial moments, these two abstractions appearing in his son Amory. For many years he hovered in the background of his family’s life, an unassertive figure with a face half-obliterated by lifeless, silky hair, continually occupied in “taking care” of his wife, continually harassed by the idea that he didn’t and couldn’t understand her.
But Beatrice Blaine! There was a woman! Early pictures taken on her father’s estate at Lake Geneva, Wisconsin, or in Rome at the Sacred Heart Convent — an educational extravagance that in her youth was only for the daughters of the exceptionally wealthy — showed the exquisite delicacy of her features, the consummate art and simplicity of her clothes. A brilliant education she had — her youth passed in renaissance glory, she was versed in the latest gossip of the Older Roman Families; known by name as a fabulously wealthy American girl to Cardinal Vitori and Queen Margherita and more subtle celebrities that one must have had some culture even to have heard of. She learned in England to prefer whiskey and soda to wine, and her small talk was broadened in two senses during a winter in Vienna. All in all Beatrice O’Hara absorbed the sort of education that will be quite impossible ever again; a tutelage measured by the number of things and people one could be contemptuous of and charming about; a culture rich in all arts and traditions, barren of all ideas, in the last of those days when the great gardener clipped the inferior roses to produce one perfect bud.
In her less important moments she returned to America, met Stephen Blaine and married him — this almost entirely because she was a little bit weary, a little bit sad. Her only child was carried through a tiresome season and brought into the world on a spring day in ninety-six.
When Amory was five he was already a delightful companion for her. He was an auburn-haired boy, with great, handsome eyes which he would grow up to in time, a facile imaginative mind and a taste for fancy dress. From his fourth to his tenth year he did the country with his mother in her father’s private car, from Coronado, where his mother became so bored that she had a nervous breakdown in a fashionable hotel, down to Mexico City, where she took a mild, almost epidemic consumption. This trouble pleased her, and later she made use of it as an intrinsic part of her atmosphere — especially after several astounding bracers.
So, while more or less fortunate little rich boys were defying governesses on the beach at Newport, or being spanked or tutored or read to from “Do and Dare,” or “Frank on the Mississippi,” Amory was biting acquiescent bell-boys in the Waldorf, outgrowing a natural repugnance to chamber music and symphonies, and deriving a highly specialized education from his mother. “Amory.”
“Yes, Beatrice.” (Such a quaint name for his mother; she encouraged it.) “Dear, don’t think of getting out of bed yet. I’ve always suspected that early rising in early life makes one nervous. Clothilde is having your breakfast brought up.”
“All right.”
“I am feeling very old to-day, Amory,” she would sigh, her face a rare cameo of pathos, her voice exquisitely modulated, her hands as facile as Bernhardt’s. “My nerves are on edge — on edge. We must leave this terrifying place to-morrow and go searching for sunshine.” Amory’s penetrating green eyes would look out through tangled hair at his mother. Even at this age he had no illusions about her. “Amory.”
“Oh, yes.”
“I want you to take a red-hot bath as hot as you can bear it, and just relax your nerves. You can read in the tub if you wish.”
She fed him sections of the “Fetes Galantes” before he was ten; at eleven he could talk glibly, if rather reminiscently, of Brahms and Mozart and Beethoven. One afternoon, when left alone in the hotel at Hot Springs, he sampled his mother’s apricot cordial, and as the taste pleased him, he became quite tipsy. This was fun for a while, but he essayed a cigarette in his exaltation, and succumbed to a vulgar, plebeian reaction. Though this incident horrified Beatrice, it also secretly amused her and became part of what in a later generation would have been termed her “line.”
“This son of mine,” he heard her tell a room full of awestruck, admiring women one day, “is entirely sophisticated and quite charming — but delicate — we’re all delicate; here, you know.” Her hand was radiantly outlined against her beautiful bosom; then sinking her voice to a whisper, she told them of the apricot cordial. They rejoiced, for she was a brave raconteuse, but many were the keys turned in sideboard locks that night against the possible defection of little Bobby or Barbara....
These domestic pilgrimages were invariably in state; two maids, the private car, or Mr. Blaine when available, and very often a physician. When Amory had the whooping-cough four disgusted specialists glared at each other hunched around his bed; when he took scarlet fever the number of attendants, including physicians and nurses, totalled fourteen. However, blood being thicker than broth, he was pulled through.
(...)
Livre 1er - L’Égotiste romantique
Amory, fils de Béatrice
De sa mère, Amory Blaine avait hérité tous ses traits, sauf ceux, d’une qualité rare et indéfinissable, qui faisaient sa valeur. Son père, inefficace, confus, avec un goût marqué pour Byron et l’habitude de s’assoupir sur l'Encyclopædia Britannica, devint riche à trente ans, par la mort de ses deux frères aînés, courtiers à Chicago, et, dans la première griserie de sentir le monde lui appartenir, s’en fut à Bar Harbor où il fit la connaissance de Béatrice O’Hara. En conséquence, Stephen Blaine transmit à la postérité sa taille de 1 m 80 et sa tendance à hésiter aux moments critiques, caractéristiques qui se retrouvèrent chez son fils Amory. Pendant de nombreuses années, il flotta à l’arrière-plan de sa famille, silhouette effacée dont la chevelure molle, soyeuse, oblitérait le visage, se vouant en permanence à « prendre soin » de sa femme, harcelé par l’idée qu’il ne la comprenait pas et ne pouvait la comprendre.
Mais, Béatrice Blaine ! Voilà une femme ! Des photographies prises dans la propriété de son père, à Lake Geneva, dans le Wisconsin, ou à Rome, au Couvent du Sacré-Cœur – luxe réservé, au temps de son adolescence, aux filles de familles exceptionnellement riches – montraient la délicatesse exquise de ses traits, l’art et la simplicité consommés de ses vêtements. Elle reçut une brillante éducation – sa jeunesse s’écoulait dans les splendeurs de la Renaissance, elle savait les derniers potins des vieilles familles romaines ; son nom était connu du cardinal Vitori, de la reine Margherita et de célébrités plus subtiles, familières aux seuls initiés, comme celui d’une jeune Américaine fabuleusement riche. Elle apprit en Angleterre à préférer au vin le whisky and soda, un hiver viennois assouplit sa conversation. En somme, Béatrice O’Hara acquit une formation désormais impossible ; une distinction mesurée par le nombre de choses et de gens qu’on pouvait traiter par le mépris ou par le charme ; une culture riche de tous les arts et de toutes les traditions, dénuée de toute idée, à la fin de cette époque où le grand jardinier coupait les roses inférieures pour produire une seule fleur parfaite.
En des jours moins importants, elle retourna en Amérique, rencontra Stephen Blaine et l’épousa, presque uniquement parce qu’elle était un peu lasse, un peu triste. Elle porta son enfant au long d’une pénible « saison » mondaine et le mit au monde un jour du printemps quatre-vingt-seize.
À cinq ans, Amory était déjà pour elle un charmant compagnon. Les cheveux châtains, de grands yeux qu’il rattraperait plus tard, il avait l’esprit agile, imaginatif, et le goût de se déguiser. De sa quatrième à sa dixième année, il « fit » le pays avec sa mère dans le wagon privé de celle-ci, depuis le Coronado, où elle s’ennuya si fort qu’elle eut une dépression nerveuse dans un hôtel élégant, jusqu’à Mexico, où elle contracta une douce, presque chronique consomption. Ce mal lui plut, et elle s’en servit plus tard comme d’une partie intrinsèque de son ambiance personnelle – surtout après quelques boissons violentes.
Ainsi, tandis que les petits garçons riches, plus ou moins fortunés, défiaient leurs gouvernantes sur la plage de Newport, recevaient des fessées,
des cours particuliers ou écoutaient des passages de Do and Dare ou Frank sur le Mississippi, Amory mordait des grooms consentants au Waldorf, surmontait sa répugnance naturelle pour la musique de chambre et les symphonies, et tenait de sa mère une éducation hautement spécialisée.
— Amory ?
— Oui, Béatrice ? (Quelle façon exquise d’appeler sa mère ! Elle l’encourageait.)
— Chéri, il n’est pas question que tu te lèves déjà. J’ai toujours soupçonné que cela rend nerveux de se lever tôt dans son enfance. Clothilde te fait monter ton petit déjeuner.
— D’accord.
— Je me sens très vieille aujourd’hui, Amory, soupirait-elle, le visage d’un rare pathétisme, la voix exquisément modelée, la main aussi expressive que celle de Sarah Bernhardt. Je suis à bout de nerfs, à bout. Il faut que nous quittions ce sinistre endroit demain, que nous allions chercher le soleil.
Les yeux pénétrants d’Amory regardaient sa mère à travers ses cheveux emmêlés. Même à cet âge, il ne se faisait pas d’illusions sur elle.
— Amory !
— Oui…
— Je veux que tu prennes un bain brûlant – aussi chaud que tu peux le supporter, et que tu te détendes. Tu peux lire dans la baignoire, si tu veux.
Il n’avait pas dix ans qu’elle le nourrissait d’extraits des Fêtes galantes ; à onze ans, il était capable de parler de façon éloquente, sinon très personnelle, de Brahms, Mozart, Beethoven. Un après-midi, se trouvant seul à l’hôtel de Hot Springs, il goûta au cordial à l’abricot de sa mère ; le goût lui plut, il s’enivra. Ce fut d’abord très amusant, mais, dans son exaltation, il essaya une cigarette et succomba à une réaction vulgaire, plébéienne. Tout en horrifiant Béatrice, cet incident l’amusa secrètement, et s’inclut dans ce qu’une génération postérieure eût appelé son « genre ».
— Mon fils est totalement sophistiqué et charmant, l’entendit-il un jour annoncer à une assemblée de femmes pétrifiées de respect et d’admiration, mais si délicat… Nous sommes tous délicats, d’ici, vous savez…
Sa main éblouissante se détacha sur sa jolie poitrine ; puis, la voix réduite à un murmure, elle leur raconta le cordial à l’abricot. On applaudit, car c’était une brillante narratrice, mais on tourna ce soir-là plus d’une clé dans les serrures des placards pour prévenir le faux pas éventuel du petit Bobby ou de Barbara.
Ces pèlerinages domestiques se faisaient en grande pompe ; deux femmes de chambre, le wagon personnel, Mr Blaine lorsqu’il était disponible, et très souvent un médecin. Quand Amory eut la coqueluche, quatre spécialistes vexés échangèrent par-dessus son lit des regarda furieux ; quand il contracta la scarlatine, son personnel médical, médecins et infirmières compris, atteignit le nombre de quatorze. Pourtant, la nature étant la plus forte, on le sauva.
(...)
1920 - Friponnes et Philosophes (Flappers and Philosophers)
Les recueils français, faut-il le noter, répartissent de façon différente les nouvelles de Fitzgerald. Ici, nous reprenons l'ordre des publications effectuées de son vivant. Donc un recueil de huit nouvelles, "The Offshore Pirate", "The Ice Palace", "Head and Shoulders", "The Cut-Glass Bowl", "Bernice Bobs Her Hair", "Benediction", "Dalyrimple Goes Wrong", "The Four Fists".
Mais tout d'abord qui sont ces "flappers"? Dans les années 1920, il s'agit de la jeune fille américaine émancipée - ou qui se croit telle - portant cheveux courts et taille basse. "Bernice Bobs Her Hair" (Bérénice se fait couper les cheveux) est la meilleure histoire de "flapper", parmi celles qui firent tant pour la popularité de Fitzgerald. Quand cette nouvelle fut publiée en 1920, la mode des cheveux courts pour les femmes était un évènement national aussi important que la loi sur la prohibition..
Clara Bow personnifia à Hollywood la "flapper", notamment dans "The Plastic Age" (1925) et "It" (1927, Josef von Sternberg, Clarence G. Badger), fuyant les contraintes d'un foyer sans lumière pour la ville où les flirts innocents représentaient l'indépendance, et où il fallait impérativement mettre la main sur un homme désirable sans perdre pour autant sa vertu. Des films qui ne remettaient pas pour autant en cause la morale conventionnelle, mais montrant comment l'hédonisme moderniste de la vie urbaine était concevable dans les limites de l'ordre social établi.
Le Paris des années vingt devint la Terre promise de tout jeune Américain qui aspírait au génie artistique ou littéraire. La communauté artistique mettait en vogue une vie de bohème plus en avance sur le philistinisme bourgeois qu'opposé à lui. Quant aux femmes "libérées" qui gravitaient dans les cercles d`expatriés, elles étaient en général aussi exploitées que la petite bourgeoisie au foyer, et leur quête de liberté sexuelle profitait souvent à leurs amants plus qu'à elles-mêmes. Zelda, la femme de l'écrivain Scott Fitzgerald, par exemple, fut victime de dépressions nerveuses répétées; Nina Hammet, une artiste prometteuse, sombra dans l'alcoolisme, et Nancy Cunard - pour beaucoup le symbole même de la femme des années vingt, grande collectionneuse d'art africain et muse de si nombreux écrivains et artistes des années 1920 et 1930, parmi lesquels Wyndham Lewis, Aldous Huxley, Tristan Tzara, Ezra Pound, Louis Aragon, Ernest Hemingway, James Joyce... - était devenue stérile à la suite d'avortements meurtriers ....
Les "libertés" dans les "années folles"? Dans les années vingt aux Etats-Unis, une culture de la jeunesse et des loisirs s'appuya sur le cinéma hollywoodien pour présenter une "autre vie" à l`Amérique : à La Nouvelle-Orléans, les musiciens afro-américains jouaient un jazz de plus en plus populaire, qui inspira de nouvelles formes de danse -le Charleston et le black-bottom -, toutes visuellement suggestives, et dans lesquelles les moralistes bon teint voulaient voir la preuve de l'effondrement imminent de tout sens moral. Les parents se sentaient dépassés face à cette tempête qui déferlait sur la jeunesse, et la plupart des jeunes se voyaient comme extravagants et provocateurs. Il existait probablement moins de modifications du comportement sexuel qu'on ne le croyait alors, mais on expérimentait, et l`on discutait plus ouvertement du romantisme amoureux en tant que notion d'accomplissement sexuel dans le cadre du mariage.
La jeune femme "moderne" occupait une place particulière dans le souci de stabilité de la société, dans la mesure où elle refusait les contraintes placées sur son apparence et son comportement par la tradition. Les flappers fumaient en public, fréquentaient les cinémas et les salles de danse; elles se coupaient les cheveux à la garçonne, se maquillaient et raccourcissaient leurs robes. Dans l'ensemble, elles semblaient préférer les distractions à la préparation de leur futur rôle de femme et de mère. Elles devaient ce court intermède d'indépendance insouciante entre l`école et le mariage à l'ouverture de nouveaux emplois dans le secteur des services - dactylo, standardiste, secrétaire ou employée de bureau.
Cette période de liberté idéalisée abritait des rêves de mariage tout aussi idéalisés - une forme de fuite, renforcée par le cinéma hollywoodien et le roman sentimental.
"Rien ni personne n'était plus a sa place, tout était possible", écrivait le philosophe allemand Helmut Kuhn, évoquant les changements survenus en Europe après la guerre. Le changement était trop rapide. Et si déjà bien avant 1914 la moralité individuelle était devenue l'affaire de tous - intérêt qui s'était traduit par de nouveaux types de réformes sociales passant par l'intermédiaire de l'Etat -, l'après-guerre vit la convergence de formes plus actives de contrôle étatique, tandis que la notion de "droits de l`individu" se voyait peu à peu supplantée par les intérêts de classe ou l`opportunisme politique. En ce qui concerne les femmes, cette transformation se mesure clairement à la façon dont, y compris chez les féministes. on utilisait beaucoup moins les termes de "droit" et de "justice" pour réclamer le droit de vote des femmes, alors que les impératifs moraux prenaient le devant de la scène. Ainsi, certaines municipalités américaines interdisaient le "bain indécent" et dans d'autres le "badinage amoureux"...
Le féminisme des années vingt?
Le droit de vote, accordé aux femmes peu après la guerre dans la plupart des pays occidentaux, fut célébré comme une grande victoire sur la voie de leur libération. Dans le même temps, pourtant, les politiciens comme les partisans du droit de vote des femmes, voyaient là un moyen de contrôle de la société dans l'intérêt d'une portion "stable de la société : les classes moyennes.
En définitive, les femmes se virent accorder le droit de vote soit pour éviter une révolution prolétarienne ou, comme l'écrivait sir John Hall, le principal défenseur néo-zélandais du vote des femmes, parce que ce droit "accroîtrait l'influence du colon et du père de famille, par rapport au fainéant de célibataire".
La mise à l'honneur par les féministes de l'après-guerre de la maternité comme rôle premier de la femme s'intégrait dans une réorientation à long terme de l'idéologie féministe. Les féministes avaient débuté en tant qu'individualistes libérales niant toute différence innée de raisonnement et de capacités entre l'homme et la femme, luttant pour une "égalité des chances"; elles reculaient désormais sur une position dans laquelle les différences innées devenaient la base de leurs revendications. Cette évolution allait s'avérer cruciale dans tous les pays en voie d'industrialisation, dans la mesure où elle accréditait le concept de sphères d'activité distinctes pour l'homme et la femme. Le nouveau raisonnement des féministes s'appuyait sur l'idée ancienne d`une supériorité morale innée des femmes. tenant à leur fonction de mère. Aussi devait-on leur accorder le droit de vote, car dans un gouvernement elles contribueraient à lutter contre l'immoralité et le désordre.
Le virage à droite du féminisme et l'abandon de son libéralisme entraient dans le cadre d'un changement de nature du libéralisme. À l'époque, les libéraux en étaient venus, pour préserver la paix sociale, à approuver l'interventionnisme étatique et les solutions collectivistes - souvent pour prendre la gauche de vitesse. Le libéralisme était devenu une "idéologie politique à tête de Janus", comme l'a écrit Richard Evans, et le féminisme partageait ses caractéristiques : "La manière dont les problèmes de contrôle social étaient manifestes dans l`octroi du droit de vote aux femmes illustre combien les féministes étaient redevables de ce que nombre d'entre elles appelaient la victoire suprême à ces implications plus conservatrices du credo libéral..."
1922 - Les Enfants du Jazz (Tales of the Jazz Age)
Recueil de 11 nouvelles réparties en trois catégories, "My Last Flappers" ("The Jelly-Bean", "The Camel's Back", "May Day", "Porcelain and Pink"), "Fantasias", oeuvres de pur divertissement ("The Diamond as Big as the Ritz", et le fameux "The Curious Case of Benjamin Button"), puis "The Lees of Happiness", "Mr. Icky", "Jemina"..
La nouvelle "May Day", qui suit la parution de "This Side of Paradise", montre la maîtrise de Fitzgerald dans la saisie de la réalité sociale. Elle nous montre le 1er Mai 1920, nous restitue l'atmosphère de ce printemps insensé où les jeunes américains sont revenus de guerre, et où Fitzgerald cherchant vainement du travail, buvait plus que de raison, transposant dans le personnage de Gordon Sterrett son sentiment d'échec...
There had been a war fought and won and the great city of the conquering people was crossed with triumphal arches and vivid with thrown flowers of white, red, and rose. All through the long spring days the returning soldiers marched up the chief highway behind the strump of drums and the joyous, resonant wind of the brasses, while merchants and clerks left their bickerings and figurings and, crowding to the windows, turned their white-bunched faces gravely upon the passing battalions.
Never had there been such splendor in the great city, for the victorious war had brought plenty in its train, and the merchants had flocked thither from the South and West with their households to taste of all the luscious feasts and witness the lavish entertainments prepared—and to buy for their women furs against the next winter and bags of golden mesh and varicolored slippers of silk and silver and rose satin and cloth of gold.
So gaily and noisily were the peace and prosperity impending hymned by the scribes and poets of the conquering people that more and more spenders had gathered from the provinces to drink the wine of excitement, and faster and faster did the merchants dispose of their trinkets and slippers until they sent up a mighty cry for more trinkets and more slippers in order that they might give in barter what was demanded of them. Some even of them flung up their hands helplessly, shouting:
Alas! I have no more slippers! and alas! I have no more trinkets! May Heaven help me, for I know not what I shall do!"
On avait fait la guerre et on l’avait gagnée et, par toute la grande ville des vainqueurs se dressaient des arcs de triomphe et ses rues s’animaient des taches blanches et rouges et roses des fleurs qui les jonchaient. Durant les longues, longues journées de ce printemps, les soldats revenus défilèrent sur la voie triomphale, derrière les roulements des tambours et les sonorités joyeuses des cuivres, et l’on vit les boutiquiers et les employés, oubliant querelles et calculs, se presser aux fenêtres et tourner leurs graves bouquets de visages blafards vers les régiments qui passaient. Jamais la grande ville n’avait connu une telle magnificence, car dans ses fourgons la victoire ramenait l’abondance et les commerçants accoururent en foule de l’est et du sud avec leurs maisonnées au grand complet pour goûter à tous les festins, pour être de toutes les orgies, pour ne rien perdre du faste des préparatifs et pour offrir à leurs femmes des fourrures en prévision de l’hiver et puis des mètres et des mètres de tissus dorés et des pantoufles de soie, d’argent, de satin rose et d’or. Si haut et si gaiement les chantres et les poètes du peuple vainqueur annoncèrent la prospérité et la paix à venir que des acheteurs de plus en plus nombreux accoururent des provinces pour s’enivrer du vin de la gaieté et que les boutiquiers virent leurs colifichets et leurs pantoufles partir de plus en plus vite.
Vint enfin un jour où ils se mirent à réclamer à cor et à cri plus de colifichets et plus de pantoufles pour satisfaire les exigences de la clientèle et quelques-uns d’entre eux levèrent les bras au ciel en signe de désespoir et ils disaient : « Las! Je n’ai plus de pantoufles! Et, las! Je n’ai plus de colifichets! Que le ciel me vienne en aide, sinon ne sais ce que ferai ! »
1922 - Beaux et damnés (The Beautiful and Damned)
Deux êtres beaux, jeunes et doués, Anthony Patch et Gloria Gilbert, forment un couple qui ressemble étrangement à celui de Fitzgerald et de Zelda. Comme l'auteur au début de son existence, ils sont obsédés par l'argent et aspirent à recueillir la fortune considérable de leur grand-père, un milliardaire, ancien «requin» de Wall Street, devenu moralisateur sur ses vieux jours, et qui essaie de les déshériter. Dans l'atmosphère insouciante du New York d'avant 1914, dans la frénésie de l'ivresse, la mélancolie des fêtes luxueuses d'un monde éphémère et fragile, l'amour et le mariage de ces deux jeunes «dieux» se dégradent lentement jusqu'à la catastrophe finale...
".... ANTHONY PATCH
En 1913, lorsque Anthony Patch eut vingt-cinq ans, cela faisait déjà deux ans que l’ironie, le Saint-Esprit de notre époque, était descendue sur lui — en théorie, du moins. L’ironie était le dernier coup de chiffon sur la chaussure, l’ultime coup de brosse sur l’habit, une sorte de « nous y voilà » intellectuel ; et pourtant, au début de cette histoire, Anthony Patch n’a pas encore dépassé le stade conscient. Tel que vous le découvrez, il se demande fréquemment s’il n’est pas dépourvu d’honneur et légèrement fou, mince pellicule honteuse, obscène, qui miroite à la surface du monde comme du pétrole sur l’eau propre d’un étang, mais ce sentiment alterne avec les moments où il se considère comme un jeune homme assez exceptionnel, d’un raffinement subtil, parfaitement adapté à son environnement et un peu plus remarquable que toutes les personnes de sa connaissance.
Tel était-il lorsqu’il était en pleine santé, ce qui le rendait joyeux, agréable, et aussi attachant pour les hommes intelligents que pour toutes les femmes. Dans cet état, il considérait qu’il accomplirait un jour sans bruit quelque chose de subtil que les élus estimeraient digne d’attention et, lorsqu’il s’éteindrait, il irait rejoindre les étoiles de moindre éclat dans un ciel nébuleux, incertain, à mi-chemin entre la mort et l’immortalité. En attendant que cela advienne, il demeurerait Anthony Patch — pas un homme modèle, mais une personnalité originale et dynamique, obstinée, dédaigneuse, fonctionnant de l’intérieur vers l’extérieur, quelqu’un qui savait que l’honneur n’existe pas, tout en étant homme d’honneur, qui savait que le courage est un leurre, tout en montrant de la bravoure.
UN HOMME DE MÉRITE ET SON FILS TALENTUEUX
Anthony tirait autant de légitimité sociale de sa qualité de petit-fils d’Adam J. Patch que s’il avait fait remonter sa lignée, au-delà des mers, jusqu’aux croisés. Une telle chose va de soi ; malgré l’exemple a contrario des Virginiens et des Bostoniens, une aristocratie fondée uniquement sur l’argent présuppose la fortune chez les individus qui la composent.
Or Adam J. Patch, plus familièrement connu sous le sobriquet de Patch-le-Grincheux, avait quitté la ferme de son père à Tarrytown au début de l’année 1861 pour s’enrôler dans un régiment de cavalerie de New York. Il revint de la guerre avec le grade de chef d’escadron, fonça sur Wall Street et, dans un tourbillon d’agitation, de rage, d’applaudissements et de malveillance, il amassa une somme de quelque soixante-quinze millions de dollars.
Cela mobilisa ses énergies jusqu’à l’âge de cinquante-sept ans. C’est alors qu’il décida, après une sévère attaque d’artériosclérose, de consacrer le restant de ses jours à la régénération morale de l’univers. Il devint le réformateur d’entre les réformateurs. Rivalisant avec les efforts magnifiques d’Anthony Comstock — à qui son petit-fils devait son prénom —, il décocha tout un assortiment d’uppercuts et de horions à l’alcool, à la littérature, au vice, à l’art, aux spécialités pharmaceutiques, et aux spectacles du dimanche. Son esprit, soumis à l’influence de cette moisissure sournoise qui finit par s’emparer de tout le monde, à quelques exceptions près, s’adonna à toutes les formes d’indignation que permettait l’époque. Du fauteuil de son bureau, dans sa propriété de Tarrytown, il dirigea contre ce formidable ennemi hypothétique, le péché, une campagne qui se poursuivit pendant quinze ans, et au cours de laquelle il se montra un monomaniaque impénitent, une peste universelle et un raseur de première classe. L’année où s’ouvre cette histoire le découvre en perte de vitesse. Sa campagne n’avait guère donné de résultats, et 1861 faisait place, à petits pas, à 1895. Ses pensées s’attardaient sans fin sur la guerre de Sécession, tant soit peu sur sa femme et son fils défunts, et dans une mesure infinitésimale, sur son petit-fils Anthony.
Au début de sa carrière, Adam Patch avait épousé une demoiselle anémique de trente ans, Alicia Withers, qui lui avait apporté une dot de cent mille dollars et l’accès aux milieux bancaires de New York. Aussitôt après, et non sans panache, elle lui avait donné un fils. Après quoi, comme totalement dévitalisée par une performance aussi magnifique, elle s’était effacée pour ne plus quitter l’ombre de la nursery. Le garçon, Adam Ulysse Patch, devint un incorrigible pilier de club, un fin connaisseur des bons usages et un conducteur de cabriolets à deux chevaux. À l’âge invraisemblable de vingt-six ans, il entreprit de rédiger ses Mémoires sous le titre « La Société new-yorkaise telle que je l’ai connue ». Sur la foi des rumeurs accompagnant sa conception, les éditeurs se l’arrachèrent, mais comme, après sa mort, on découvrit que cet ouvrage était d’une insupportable incontinence verbale et d’un ennui monumental, il ne fut jamais publié, même à compte d’auteur.
Ce Chesterfield de la Cinquième Avenue se maria à l’âge de vingt-deux ans. Il épousa Henrietta Lebrune, la « Contralto de Salon » de Boston, et, à la requête du grand-père, on donna à l’unique enfant né de cette union le nom de baptême d’Anthony Comstock Patch. Lorsqu’il alla à Harvard, le « Comstock » disparut dans les ténèbres de l’oubli et l’on n’en entendit plus jamais parler.
Le jeune Anthony avait une photo de son père et de sa mère pris ensemble. Il l’avait si souvent eue sous les yeux au cours de son enfance qu’elle avait acquis l’impersonnalité du mobilier, mais toutes les personnes qui pénétraient dans sa chambre la regardaient avec intérêt. Elle montrait un dandy des années 1890, mince, bel homme, au côté d’une grande dame brune portant un manchon et, apparemment, une tournure. Entre eux se tenait un petit garçon aux longues boucles châtaines, habillé dans un costume de velours à la petit Lord Fauntleroy. C’était Anthony à l’âge de cinq ans, l’année de la mort de sa mère.
Ses souvenirs de la contralto de Boston étaient flous, et d’ordre musical. C’était une dame qui chantait, chantait, chantait dans le salon de musique de leur maison à Washington Square, quelquefois entourée d’invités : les hommes, bras croisés, posés au bord des canapés, retenant leur souffle, les femmes, mains sur les genoux, chuchotant parfois quelque chose à l’oreille des hommes, et applaudissant en poussant des petits cris après chaque air. Souvent elle chantait pour Anthony seul, en italien ou en français, ou dans un dialecte étrange et barbare qu’elle supposait être la façon de parler des Noirs du Sud.
Ses souvenirs du bel Ulysse, le premier homme d’Amérique à avoir porté des vestons à col châle, étaient beaucoup plus vifs. Lorsque Henrietta Labrune Patch fut partie « rejoindre une autre chorale », comme le disait parfois le veuf d’une voix enrouée, père et fils allèrent s’installer chez le grand-père à Tarrytown. Tous les jours, Ulysse rendait visite à Anthony dans la nursery, et là, pendant parfois près d’une heure, il exhalait des mots agréables, fortement aromatisés. Il ne cessait de promettre à Anthony de l’emmener à la chasse, à la pêche et à Atlantic City : « Oh, bientôt, bientôt… », mais cela ne se concrétisa jamais. Ils firent tout de même un voyage. Quand Anthony avait onze ans, ils se rendirent à l’étranger, en Angleterre et en Suisse. Et là, dans le meilleur hôtel de Lucerne, son père mourut, non sans avoir beaucoup transpiré, geint et réclamé à grands cris de l’air, de l’air. On rapatria en Amérique un Anthony au comble du désespoir et de la terreur, et ayant contracté un fond de mélancolie qui ne devait plus le quitter de sa vie.
LE PASSÉ ET LA PERSONNALITÉ DU HÉROS
À onze ans, il avait une véritable horreur de la mort. Au cours de six de ses années d’enfance impressionnables, ses parents étaient morts et sa grand-mère avait décliné presque imperceptiblement jusqu’au jour où, pour la première fois depuis son mariage et pendant l’espace d’une journée, elle avait régné sans partage sur son propre salon. Ainsi, pour Anthony, la vie était une lutte contre la mort qui guettait, en embuscade, à chaque coin de rue. Cédant à son imagination hypocondriaque, il avait contracté l’habitude de lire au lit : cela l’apaisait. Il lisait jusqu’à être vaincu par la fatigue, et souvent il s’endormait avec la lumière allumée.
Jusqu’à l’âge de quatorze ans, sa distraction favorite fut sa collection de timbres. Une immense collection, aussi exhaustive que pouvait l’être celle d’un garçon de son âge — son grand-père considérait, assez sottement, que cela lui apprenait la géographie. Anthony entretint donc une correspondance avec une demi-douzaine de négociants en « timbres et médailles », et il était rare que le courrier ne lui apporte pas de nouveaux albums ou des offres de vente de timbres sur papier glacé. En proie à une fascination mystérieuse, il transférait interminablement ses acquisitions d’un album dans un autre. Ses timbres étaient son plus grand bonheur, et lorsqu’il jouait avec eux, quiconque se risquait à l’interrompre était accueilli par une grimace d’impatience. Chaque mois, ils dévoraient son argent de poche, et la nuit, il restait éveillé en les revoyant sans fin dans sa tête dans toute leur variété et leur splendeur multicolore.
Jusqu’à seize ans, il vécut presque exclusivement replié sur lui-même, s’exprimant avec difficulté, aussi peu américain que possible, et considérant ses contemporains avec une perplexité polie. Il avait passé deux ans en Europe avec un tuteur privé qui le persuada que Harvard était ce qu’il lui fallait. Cela lui « ouvrirait des portes », le stimulerait énormément et lui procurerait un nombre immense d’amis altruistes et dévoués. C’est donc à Harvard qu’il alla : il n’y avait pour lui pas d’autre issue logique.
N’ayant pas idée du système de castes en vigueur, il vécut un certain temps isolé, sans qu’on recherchât sa compagnie, dans une grande et belle chambre de Beck Hall — garçon brun, mince, de taille moyenne, à la bouche timide et sensible. L’argent de poche qu’on lui allouait était plus que suffisant. Il commença à se constituer une bibliothèque en achetant à un bibliophile ambulant des éditions originales de Swinburne, Meredith et Thomas Hardy, ainsi qu’une lettre autographe de Keats, jaunie et illisible, découvrant par la suite qu’on la lui avait fait payer une somme exorbitante. Il devint un dandy raffiné, amassa une collection extravagante de pyjamas de soie, de robes de chambre en brocart et de cravates trop flamboyantes pour être portées. Dans ces atours gardés secrets, il se pavanait devant une glace de sa chambre ou bien restait allongé, drapé dans du satin, sur la banquette devant la fenêtre qui donnait sur la cour carrée, avec une vague conscience de l’agitation qui y régnait, trépidante, immédiate, et à laquelle il semblait ne devoir jamais prendre part.
Bizarrement, il s’aperçut, au cours de sa quatrième année, qu’il avait acquis auprès de ses pairs une certaine réputation. Il apprit qu’on le considérait comme un personnage assez romantique, un érudit, un reclus, un puits de science. Cela l’amusa, mais lui fit secrètement plaisir. Il commença à sortir, un peu au début, puis beaucoup. ..."
1925 - Gatsby le magnifique (The Great Gatsby)
"Gatsby, son meilleur livre, selon les critiques. Il décrit avec ironie la vie à Long Island à un moment où le gin était la boisson nationale et le sexe
l'obsession nationale. Fitzgerald y donnait le meilleur de lui-même, sa faculté de saisir en une seule phrase la saveur d'une époque, le parfum d'une soirée, une bribe de vieille rengaine. Ce
sont les aventures, d'un jeune homme ambitieux, sans culture et romantique, issu d'une famille pauvre du Middle West. Gatsby est un aventurier sympathique. Sorti de la guerre de 1917-18 Gatsby
devient un super-bootlegger à la personnalité mystérieuse et l'éclat de sa réussite n'aura d'égale que la soudaineté de sa chute."
IN MY YOUNGER and more vulnerable years my father gave me some advice that I've been turning over in my mind ever since.
“Whenever you feel like criticizing any one,” he told me, “just remember that all the people in this world haven't had the advantages that you've had.”
He didn’t say any more, but we've always been unusually communicative in a reserved way, and I understood that he meant a great deal more than that. In consequence, I'm inclined to reserve all judgments, a habit that has opened up many curious natures to me and also made me the victim of not a few veteran bores. The abnormal mind is quick to detect and attach itself to this quality when it appears in a normal person, and so it came about that in college I was unjustly accused of being a politician, because I was privy to the secret griefs of wild, unknown men. Most of the confidences were unsought—frequently I have feigned sleep, preoccupation, or a hostile levity when I realized by some unmistakable sign that an intimate revelation was quivering on the horizon; for the intimate revelations of young men, or at least the terms in which they express them, are usually plagiaristic and marred by obvious suppressions. Reserving judgments is a matter of infinite hope. I am still a little afraid of missing something if I forget that, as my father snobbishly suggested, and I snob- bishly repeat, a sense of the fundamental decencies is parcelled out unequally at birth.
And, after boasting this way of my tolerance, I come to the admission that it has a limit. Conduct may be founded on the hard rock or the wet marshes, but after a certain point I don't care what it’s founded on. When I came back from the East last autumn I felt that I wanted the world to be in uniform and at a sort of moral attention forever; I wanted no more riotous excursions with privileged glimpses into the human heart. Only Gatsby, the man who gives his name to this book, was exempt from my reaction—Gatsby, who represented everything for which I have an unaffected scorn. If person- ality is an unbroken series of successful gestures, then there was something gorgeous about him, some heightened sensitiv- ity to the promises of life, as if he were related to one of those intricate machines that register earthquakes ten thousand miles away. This responsiveness had nothing to do with that flabby impressionability which is dignified under the name of the “creative temperament”—it was an extraordinary gift for hope, a romantic readiness such as I have never found in any other person and which it is not likely I shall ever find again. No— Gatsby turned out all right at the end; it is what preyed on Gatsby, what foul dust floated in the wake of his dreams that temporarily closed out my interest in the abortive sorrows and short-winded elations of men.
Quand j'étais plus jeune, ce qui veut dire plus vulnérable, mon père me donna un conseil que je ne cesse de retourner dans mon esprit :
— Quand tu auras envie de critiquer quelqu'un, songe que tout le monde n’a pas joui des mêmes avantages que toi.
Il n’en dit pas davantage, mais comme lui et moi avons toujours été exceptionnellement communicatifs tout en y mettant beaucoup de réserve, Je compris que la phrase impliquait beaucoup plus de choses qu’elle n’en exprimait. En conséquence, je suis porté à réserver mes jugements, habitude qui m’a ouvert bien des natures curieuses, non sans me rendre victime de pas mal de raseurs invétérés. Un esprit anormal est prompt à découvrir cette qualité et à s’y attacher, quand elle se montre chez quelqu'un de normal ; voilà pourquoi, à l’Université, on m'a injustement accusé de politicailler parce que J'étais le confident des chagrins secrets de garçons déréglés et inconnus. La plupart de ces confidences, je ne les avais pas recherchées — j’ai souvent feint le sommeil, la préoccupation ou une hostile légèreté quand, à un de ces signes qui ne trompent jamais, Je reconnaissais qu’une révélation d’ordre intime pointait à l’horizon ; car d'habitude les révélations intimes des jeunes hommes, ou tout au moins les termes dans lesquels 1ls les expriment, sont entachées de plagiat et gâtées par de manifestes suppressions. Réserver son jugement implique un espoir infini. J'aurais encore un peu peur de rater quelque chose si J’oubliais, comme le suggérait mon père avec snobisme et comme avec snobisme Je le répète ici, que le sentiment des décences fondamentales nous est réparti en naissant d’une manière inégale.
Or, ayant fait ainsi étalage de tolérance, j’en viens à l’aveu que la mienne a ses limites. Notre conduite peut avoir pour fondation un roc dur ou de fluides marécages, mais passé un certain point, peu me chaut sur quoi elle est fondée. Quand Je rentrai de New-York, l’automne dernier, j'aurais voulu que le monde entier portât un uniforme et se tint figé dans une sorte de garde à vous moral ; je ne souhaitais plus d’excursions tumultueuses avec coups d’œil privilégiés dans le cœur humain. De cette réaction, je n’excluais que Gatsby, l’homme qui donne son nom à ce livre. Gatsby représentait pourtant tout ce à quoi Je porte un mépris dénué d’affectation. S’il est vrai que la personnalité est une suite ininterrompue de gestes réussis, 1l y avait en cet homme quelque chose de magnifique, je ne sais quelle sensibilité exacerbée aux promesses de la vie, comme s’il s’apparentait à une de ces machines compliquées qui enregistrent les tremblements de terre à dix milles de distance. Une telle promptitude à réagir ne présentait rien de commun avec cette mollasse impressionnabilité qu’on dignifie du nom de «tempérament créatif » — c’était un don d’espoir extraordinaire, un romanesque état de préparation aux événements comme Jamais Je n’en avais trouvé de pareil chez un être humain et comme il n’est guère probable que Jj’en rencontre de nouveau. Non — en fin de compte, Gatsby se révéla sympathique ; c’est ce qui le rongeait, la poussière empoisonnée qui se levait derrière ses rêves, qui avait pour un temps fermé mon intérêt aux chagrins abortifs et aux Joies à courte haleine de l’humanité.
"The Great Gatsby" fit l'objet de nombreuses adaptations cinématographiques, dont "The Great Gatsby" (1974), réalisé par Jack Clayton, avec Robert Redford (Gatsby), Mia Farrow (Daisy), Sam Waterston (Nick Carraway), - une adaptation très fidèle, esthétiquement soignée, mais parfois jugée trop lente, oscar des meilleurs costumes et de la meilleure musique (Nelson Riddle) -, et "The Great Gatsby" (2013), réalisé par Baz Luhrmannn avec Leonardo DiCaprio (Gatsby), Carey Mulligan (Daisy), Tobey Maguire (Nick) : un film flamboyant, hyper-stylisé, avec une BO électro (Jay-Z, Lana Del Rey). Deux oscars, décors et costumes, et un accueil partagé ....
Mais ni "Tender is the Night" ni "This Side of Paradise" ne connurent des réalisations cinématographiques probantes, et "The Last Tycoon" (1976, avec Robert De Niro), basé sur son roman inachevé qui évoque Hollywood des années 1930, reste un film inabouti. Pourquoi Fitzgerald est-il difficile à adapter ? Son écriture repose sur une prose poétique et des nuances psychologiques qui semblent n'avoir jamais encore rencontré leur scénariste ...
1926 - Tous les jeunes hommes tristes (All the Sad Young Men)
Recueil de neuf nouvelles écrites à une époque de profonde désillusion, comprenant "The Rich Boy", "Winter Dreams", "The Baby Party", "Absolution", "Rags Martin-Jones and the Pr-nce of W-les", "The Adjuster", "Hot and Cold Blood", "The Sensible Thing" (1924, l'histoire de ses fiançailles rompues puis renouées avec Zelda Sayre), "Gretchen's Forty Winks".
"Le Garçon riche" (The Rich Boy, 1926), la première oeuvre sérieuse après l'achèvement de "Gatsby". De la complexité du comportement des gens très fortunés, du cheminement singulier de leur esprit. Anson Hunter partagé entre un sentiment de supériorité , qu'il nourrit constamment en captivant les autres, un sentiment qui le conduit à vouloir tout à la fois détruire les autres et les aider, mais jamais se livrer. Fitzgerald aura appris à leur contact l'ironie et l'art du sous-entendu...
"C'est à peine si l'on a le temps de commencer à décrire un individu que déjà il vous échappe: il devient un type. Malheureusement, quand on commence à décrire un type, on s'aperçoit qu'il devient... rien du tout! C'est que nous sommes tous des gens bizarres, bien plus bizarres derrière nos visages et nos voix que nous n'aimerions à ne le laisser paraître - voire à le penser nous-mêmes. Quand j'entends quelqu'un se présenter comme « un brave type, honnête, moyen, franc », j'ai aussitôt la certitude qu'il est affligé de quelque tare bien définie, et peut-être affreuse, qu'il a décidé de dissimuler, et je sais que ses protestations d'honnêteté, de franchise et de simplicité lui permettent de garder sa dissimulation présente à l'esprit.
Les types et les genres n'existent pas.. Mais il était une fois un garçon riche... Oui, et je vais vous conter son histoire qui est la sienne et non celle de ses frères. J'ai passé ma vie parmi ses frères, mais lui, c'était mon ami. Voudrais-je d'ailleurs parler de ses frères qu'il me faudrait d'abord régler leur compte à tous les mensonges que les pauvres ont fait circuler sur les riches, et que les riches ont accrédité à propos d'eux-mêmes. Ce monument de mensonges est tellement extravagant que notre instinct, lorsque nous ouvrons un livre sur les riches, nous prépare d'emblée à pénétrer dans un monde irréel. Les observateurs intelligents et passionnés eux-mêmes ont fait du monde des riches une terre de légendes féeriques.
C'est de gens très riches que je vais vous entretenir. Ils ne ressemblent ni à vous ni à moi. Ils possèdent et jouissent trop tôt, ce qui les rend mous lorsque nous sommes endurcis, cyniques lorsque nous sommes confiants, d'une manière incompréhensible à qui n'est pas né dans la richesse. Au fond d'eux-mêmes, ils pensent qu'ils valent mieux que nous, parce que nous avons dû découvrir par nous- mêmes les compensations et les douceurs secrètes de la vie. Et même lorsqu'ils pénètrent très avant dans notre monde ou qu'ils tombent plus bas que nous, ils persistent à penser qu`ils nous sont supérieurs. Ils sont différents. Ils sont autres. Le meilleur moyen, me semble-t-il, de décrire le jeune Anson Hunter, c'est de le considérer comme un étranger et de m'en tenir strictement à mon point de vue. Si j'acceptais le sien un seul instant, je serais perdu : je ne pourrais plus vous montrer qu'un film absurde....
(...)
(V) .. Comme tant de Jeunes filles de cette époque, Dolly était très « facile » et ne montrait ni retenue ni discrétion. Le non-conformisme de la génération précédente n'avait été qu'une des manifestations d'un mouvement de l'après-guerre visant à discréditer des manières de vivre surannées. Dolly était à la fois d'une génération plus âgée et plus fatiguée; et elle discerna chez Anson les deux extrêmes due la femme d'émotions instables recherche toujours: l'abandon au plaisir alternant avec une grande force protectrice. Dans son caractère, elle sentit le sybarite et l'homme stable: c'était de quoi satisfaire tous les besoins de sa nature.
Elle sentit que la partie allait être périlleuse, mais ,elle se trompa sur la raison véritable de cette difficulté: elle pensait qu'Anson et sa famille attendaient un mariage plus spectaculaire. Elle devina pourtant immédiatement que sa force à elle, c'était qu'Anson avait un goût immodéré pour la boisson.
Ils se rencontrèrent d'abord aux grands bals de débutantes, mais à mesure que son amour pour lui augmentait, ils s'arrangèrent pour se voir plus souvent. Comme la plupart des mères, Mrs. Karger croyait qu'Anson était un garçon en qui l'on pouvait avoir toute confiance, et elle permit à Dolly de l'accompagner à des sorties à la campagne, en banlieue, sans poser de questions précises sur leurs activités, sans rien dire quand ils rentraient très tard. Au début, ils auraient pu fournir des explications précises, mais les idées de Dolly sur Anson - jusque-là très convenables - furent bientôt noyées dans le flot montant de son émotion. Baisers à l'arrière des taxis, des voitures : cela ne lui suffisait plus; ils firent une chose curieuse.
Ils quittèrent leur milieu habituel un moment et s'en créèrent un autre juste au-dessous, dans lequel l'ivrognerie d'Anson et la conduite de Dolly pût appeler moins de commentaires et fût moins remarquée. Ce monde nouveau, ils le composèrent d'éléments variés : plusieurs amis de Yale et leurs femmes, deux ou trois jeunes courtiers en valeurs, quelques financiers, une poignée de jeunes diplômés sans attaches, riches et aimant le libertinage. Ce que le monde perdait en étendue et en intérêt, il le retrouvait à leurs yeux en leur permettant des libertés qu'il se permettait rarement lui-même. En outre, il eut le mérite de faire d'eux son centre et offrit à Dolly le luxe d'une certaine condescendance, plaisir qu'Anson, dont toute la vie depuis son enfance n'était faite que de condescendance, ne put partager.
Il ne l'aimait pas, et tout au long de l'hiver fiévreux de leur liaison, il ne se priva pas de le lui répéter. Au printemps, il se trouva las : il voulait retremper sa vie à une autre source; il voyait aussi très bien qu'il lui fallait rompre tout de suite ou risquer de passer pour un séducteur de bas étage. Ce fut l'attitude encourageante de la famille de Dolly qui précipita sa décision : un soir, Mr. Karger frappa discrètement à la porte de la bibliothèque pour lui dire qu'il lui avait laissé une bouteille de vieux cognac, et Anson sentit brusquement qu'il était presque coincé. Le soir même, il écrivit à Dolly une lettre fort brève dans laquelle il lui annonçait qu'il partait en vacances et qu'en raison des circonstances il était préférable qu'ils ne se revoient jamais...."
À sa sortie, "Tendre est la nuit" n'a pas eu le succès escompté (la Grande Dépression changeait les priorités des lecteurs). Mais aujourd'hui, il est considéré comme son chef-d'œuvre le plus profond, influençant des auteurs comme Bret Easton Ellis ou Donna Tartt.
Fitzgerald a un style lyrique et mélancolique, marqué par des phrases d'une grande beauté tout en reflétant la désillusion de la Génération perdue (Lost Generation). Son écriture saisit la splendeur et la décadence de l'American Dream, avec une sensibilité rare, et si les descriptions de la Riviera française dans "Tendre est la nuit" sont particulièrement envoûtantes, se cachent derrière cette luminosité, la folie, l'alcoolisme et l'échec.
Le roman a été réécrit plusieurs fois, et sa structure (d'abord chronologiquement désordonnée) a déconcerté les critiques. Fitzgerald voulait montrer la fragmentation de la vie et de l'esprit, une approche presque moderniste...
C'est l'un des premiers romans à explorer aussi finement la psyché humaine et les dynamiques de couple sous l'angle de la maladie mentale : "Tendre est la nuit" est inspiré de la relation tourmentée entre Fitzgerald et sa femme, Zelda, qui souffrait de troubles mentaux. Le personnage de Nicole reflète Zelda, tandis que Dick Diver, le psychiatre qui sombre, incarne les propres peurs de Fitzgerald face à l'auto-destruction ...
1934 - Tendre est la nuit (Tender is the Night)
Le titre du roman est tiré d'un vers d’Ode à un rossignol (Ode to a Nightingale), de John Keats, et fait allusion à la volonté d'échapper à l'éphémère qui obsède ses personnages. Car, au-delà de constituer la chronique d'une génération d'expatriés sur le Vieux Continent, Tendre est la Nuit révèle le mal de vivre d'une génération entière et, mieux, les besoins infinis de l'être humain dans un monde que toute transcendance a quitté.
"Tendre est la nuit est l'histoire, largement autobiographique, de la décomposition d'un être fait pour être aimé, trop romantique pour pouvoir résister à
son époque, trop tendre, malgré son apparente désinvolture, pour savoir sagement vieillir. C'est plus particulièrement l'histoire de l'amour
de Dick et de Nicole, dont nous faisons connaissance à travers les yeux émerveillés d'une jeune actrice qui ne résiste pas au charme de Dick. «Dick Diver la regardait de ses yeux bleus et froids
; ses lèvres, tendres et fermes, disaient, d’un ton réfléchi et décidé : "Cela faisait longtemps que je n’avais pas vu une fille qui ressemble vraiment, comme vous, à une fleur éclose." Ce couple
très uni cache un secret. Nicole a été soignée par Dick, médecin psychiatre. L'amour qu'elle a porté à Dick a fait de leur union une nécessité. Un jour viendra pourtant où ils devront se
séparer...
Mais le lecteur aura vécu avec eux les plus belles années d'une vie de loisir rendue magique par la richesse, les voyages. C'est un extraordinaire
témoignage sur la vie d'entre les deux guerres qui nous est offert, un témoignage qui ne va pas sans une douloureuse nostalgie, un livre ensorcelé."
"On the pleasant shore of the French Riviera, about half way between Marseilles and the Italian border, stands a large, proud, rose-colored hotel.
Deferential palms cool its flushed façade, and before it stretches a short dazzling beach. Lately it has become a summer resort of notable and fashionable people; a decade ago it was almost
deserted after its English clientele went north in April. Now, many bungalows cluster near it, but when this story begins only the cupolas of a dozen old villas rotted like water lilies among the
massed pines between Gausse's Hôtel des Étrangers and Cannes, five miles away.
The hotel and its bright tan prayer rug of a beach were one. In the early morning the distant image of Cannes, the pink and cream of old fortifications,
the purple Alp that bounded Italy, were cast across the water and lay quavering in the ripples and rings sent up by sea-plants through the clear shallows. Before eight a man came down to the
beach in a blue bathrobe and with much preliminary application to his person of the chilly water, and much grunting and loud breathing, floundered a minute in the sea. When he had gone, beach and
bay were quiet for an hour. Merchantmen crawled westward on the horizon; bus boys shouted in the hotel court; the dew dried upon the pines. In another hour the horns of motors began to blow down
from the winding road along the low range of the Maures, which separates the littoral from true Provençal France.
A mile from the sea, where pines give way to dusty poplars, is an isolated railroad stop, whence one June morning in 1925 a victoria brought a woman and
her daughter down to Gausse's Hotel. The mother's face was of a fading prettiness that would soon be patted with broken veins; her expression was both tranquil and aware in a pleasant way.
However, one's eye moved on quickly to her daughter, who had magic in her pink palms and her cheeks lit to a lovely flame, like the thrilling flush of children after their cold baths in the
evening. Her fine forehead sloped gently up to where her hair, bordering it like an armorial shield, burst into lovelocks and waves and curlicues of ash blonde and gold. Her eyes were bright,
big, clear, wet, and shining, the color of her cheeks was real, breaking close to the surface from the strong young pump of her heart. Her body hovered delicately on the last edge of
childhood--she was almost eighteen, nearly complete, but the dew was still on her.
As sea and sky appeared below them in a thin, hot line the mother said:
"Something tells me we're not going to like this place."
"I want to go home anyhow," the girl answered."
They both spoke cheerfully but were obviously without direction and bored by the fact--moreover, just any direction would not do. They wanted high excitement, not from the necessity of stimulating jaded nerves but with the avidity of prize-winning schoolchildren who deserved their vacations.
"We'll stay three days and then go home. I'll wire right away for steamer tickets."
At the hotel the girl made the reservation in idiomatic but rather flat French, like something remembered. When they were installed on the ground floor she walked into the glare of the French windows and out a few steps onto the stone veranda that ran the length of the hotel. When she walked she carried herself like a ballet-dancer, not slumped down on her hips but held up in the small of her back. Out there the hot light clipped close her shadow and she retreated--it was too bright to see. Fifty yards away the Mediterranean yielded up its pigments, moment by moment, to the brutal sunshine; below the balustrade a faded Buick cooked on the hotel drive.
Indeed, of all the region only the beach stirred with activity. Three British nannies sat knitting the slow pattern of Victorian England, the pattern of the forties, the sixties, and the eighties, into sweaters and socks, to the tune of gossip as formalized as incantation; closer to the sea a dozen persons kept house under striped umbrellas, while their dozen children pursued unintimidated fish through the shallows or lay naked and glistening with cocoanut oil out in the sun.
As Rosemary came onto the beach a boy of twelve ran past her and dashed into the sea with exultant cries. Feeling the impactive scrutiny of strange faces, she took off her bathrobe and followed. She floated face down for a few yards and finding it shallow staggered to her feet and plodded forward, dragging slim legs like weights against the resistance of the water. When it was about breast high, she glanced back toward shore: a bald man in a monocle and a pair of tights, his tufted chest thrown out, his brash navel sucked in, was regarding her attentively. As Rosemary returned the gaze the man dislodged the monocle, which went into hiding amid the facetious whiskers of his chest, and poured himself a glass of something from a bottle in his hand.
1935 - Extinction des feux à la diane (Taps at Reveille)
Recueil de 18 nouvelles, dernier recueil publié de son vivant et comprenant (Stories about Basil Duke Lee), "The Scandal Detectives", "The Freshest Boy", "He Thinks He's Wonderful", "The Captured Shadow", "The Perfect Life", (Stories about Josephine Perry), "First Blood"
"A Nice Quiet Place", "A Woman with a Past", (Others) "Crazy Sunday", "Two Wrongs", "The Night of Chancellorsville", "The Last of the Belles", "Majesty", "Family in the Wind", "A Short Trip Home", "One Interne", "The Fiend", "Babylon Revisited"
"La Dernière Jolie Fille" (The The Last of the Belles, 1929), ou le portrait d'Ailie Calhoun, jeune fille pleine de charme et de vanité professionnelle, dans une nouvelle qui abonde en réminiscences d'incidents remontant à l'époque des fiançailles de Fitzgerald et de Zelda. Comme d'autres nouvelles écrites à la même époque, domine le regret d'une émotion disparue, tempérée toutefois par le ridicule de certaines situations...
".. - Entrez... Je ne sais même pas votre nom...
C'était Ailie Calhoun, une fille du Sud dans toute sa pureté. J'aurais reconnu Ailie Calhoun même si je n'avais jamais entendu Ruth Draper ni lu Marse Chan. Elle avait une très grande finesse, masquée par une simplicité douce et bavarde; on devinait toute une tradition de pères dévoués, de frères et d'admirateurs qui remontait aux temps héroïques du Vieux Sud, et l'on voyait en elle le sang-froid infaillible acquis dans un combat incessant avec la chaleur. Sa voix avait des intonations qui évoquaient des ordres donnés à des esclaves, qui réduisaient en cendres un capitaine yankee de la guerre de Sécession, et puis, soudain, des notes douces, caressantes, qui se mêlaient dans une beauté inconnue avec la nuit.
Je la voyais à peine dans l'obscurité, mais lorsque je me levai pour partir - il était clair que je ne devais pas m'attarder -, je la vis se détacher dans la lumière orangée qui venait de la porte. Elle était petite et très blonde; il y avait sur son visage un peu trop de rouge - un rouge couleur fièvre - accentué, souligné par son nez, saupoudré d'une poudre blanche, comme celui d'un clown, mais à travers tout ce maquillage, elle brillait comme une étoile.
- Après le départ de Bill, je resterai assise ici tous les soirs. Vous m'emmènerez peut-être aux bals du country-club? » Cette prophétie pathétique fit rire Bill. «Une seconde, dit tout bas Ailie, vos armes sont en désordre! »
Elle redressa mon épingle de col et leva les yeux vers moi pendant une seconde avec un air qui dénotait plus que de la curiosité. C'était un regard interrogateur qui semblait vouloir dire: « Est-ce vraiment vous? » Comme le lieutenant Canby, je m'éloignai à contrecœur dans la nuit soudain insuffisante..."
La nouvelle "Babylon Revisited" est considérée comme la plus achevée de toutes les nouvelles de Fitzgerald, dans une période de doute extrême : il tentait alors de remettre un peu d'ordre dans sa vie, par la création...
"He was still trembling when he reached the street, but a walk down the Rue Bonaparte to the quais set him up, and as he crossed the Seine, fresh and new by the quai lamps, he felt exultant. But back in his room he couldn’t sleep. The image of Helen haunted him. Helen whom he had loved so until they had senselessly begun to abuse each other’s love, tear it into shreds. On that terrible February night that Marion remembered so vividly, a slow quarrel had gone on for hours. There was a scene at the Florida, and then he attempted to take her home, and then she kissed young Webb at a table; after that there was what she had hysterically said. When he arrived home alone he turned the key in the lock in wild anger. How could he know she would arrive an hour later alone, that there would be a snowstorm in which she wandered about in slippers, too confused to find a taxi ? Then the aftermath, her escaping pneumonia by a miracle, and all the attendant horror. They were reconciled", but that was the beginning of the end, and Marion, who had seen with her own eyes and who imagined it to be one of many scenes from her sister’s martyrdom, never forgot.
Going over it again brought Helen nearer, and in the white, soft light that steals upon half sleep near morning he found himself talking to her again. She said that he was perfectly right about Honoria and that she wanted Honoria to be with him. She said she was glad he was being good and doing better. She said a lot of other things—very friendly things—but she was in a swing in a white dress, and swinging faster and faster all the time, so that at the end he could not hear clearly all that she said.
He woke up feeling happy. The door of the world was open again. He made plans, vistas, futures for..."
"Il tremblait encore en arrivant dans la rue, mais après avoir descendu la rue Bonaparte jusqu’aux quais, il se sentit mieux et quand il traversa la Seine, fraîche et neuve sous les lumières du quai, il exultait de joie. Une fois rentré dans sa chambre, pourtant, il ne put dormir. L’image d’Helen le hantait. Helen qu’il avait tant aimée, jusqu’au jour où ils avaient commencé insensiblement à abuser tous les deux de leur amour et à le mettre en pièces. Cette nuit de février que Marion avait évoquée avec tant de violence, une sourde querelle les avait opposés, Helen et lui, pendant des heures. Il y avait eu une scène au Florida, puis il avait essayé de la ramener à la maison, puis elle avait embrassé ostensiblement le jeune Webb en plein restaurant. Après cela, il y avait eu tout ce qu’elle lui avait dit, en pleine crise d’hystérie. Quand il était rentré, seul, fou de colère, il avait tourné la clé dans la serrure. Comment aurait-il pu se douter qu’elle arriverait, seule, une heure plus tard, en pleine tempête de neige, après avoir erré en souliers du soir, sans parvenir à trouver un taxi? Après... après, il y avait eu les conséquences : Helen n’avait échappé à la pneumonie que par miracle, mais l’horreur avait suivi de près. Ils s’étaient « réconciliés », certes, mais c’était le début de la fin, et Marion, qui avait vu la scène de ses propres yeux, crut qu’elle venait d’assister à l’un des nombreux épisodes du martyre de sa sœur. Et elle n’oublia jamais.
Le fait de revivre tous ces souvenirs rendit la présence d’Helen plus proche. Et dans la pâle lumière blanche où l’on flotte, dans le demi-sommeil des approches de l’aube, il se surprit une fois de plus en train de lui parler. Elle lui répondait qu’il avait parfaitement raison au sujet d’Honoria, qu’elle voulait qu’Honoria vînt vivre avec lui. Elle lui dit qu’elle était heureuse de le voir devenu si sérieux, si raisonnable. Elle lui dit encore beaucoup de choses, des choses très gentilles, mais elle était sur une balançoire, vêtue d’une robe blanche, et elle se balançait de plus en plus vite, de plus en plus vite, si bien qu’à la fin, il n’entendait plus très bien ce qu’elle lui disait.
Il était tout heureux quand il se réveilla. Les portes du monde s’ouvraient à nouveau devant lui...."
1941 - Le dernier nabab (The Last Tycoon) – inachevé
"Monroe Stahr est un producteur jadis précoce, qui à la quarantaine est essoré. Sa femme est morte et il s'abrutit dans le travail, enchaînant les réunions
et les visionnages de rushes, prenant dix décisions à la minute, sur un rythme enivrant. Stahr souffre du coeur et n'a sûrement plus que quelques mois à vivre. Sa vie bascule lorsqu'il croise le
"sosie" de sa femme défunte pendant une inondation des studios. Il identifie Kathleen, une femme qui ne fait pas grand chose et en tombe amoureux." (Editions Gallimard)
La Fêlure, nouvelles (The Crack-Up and other short stories)
Seize nouvelles et textes autobiographiques qui résument à eux seuls la vie brillante et fertile en désastres du grand romancier américain des années vingt.
On va ainsi des charmantes histoires d'adolescence dont le héros, Basil Duke Lee, ressemble fort au jeune Scott, à la sombre expérience de La fêlure, un texte à l'accent pascalien, plein d'ironie
et de détresse, où Fitzgerald arrive même à écrire sur son impuissance d'écrire. Il pensait que sa vie, ses passions, ses souvenirs, ses malheurs devaient servir son œuvre, car il n'avait pas
d'autre foi que la littérature. C'est pourquoi tout ce qu'il raconte, avec tant de charme, fait de lui un écrivain exemplaire. (Editions Gallimard)