Novalis (1772-1801) - Friedrich von Schlegel (1772-1829) - August Wilhelm von Schlegel (1767-1845)  - Friedrich Schleiermacher (1768-1834) - Ludwig Tieck (1773–1853) - Johann Paul Friedrich Richter dit Jean Paul (1763-1825) - Friedrich Hölderlin (1770-1843) - Friedrich, baron de La Motte-Fouqué (1777-1843) - Carl Julius von Leypold (1806-1874)...

Last Update: 12/31/2016

German literature has the peculiarity of resisting the rationalism of the Enlightenment at a very early stage. Since 1770, it favours the exploration of the unconscious and an inescapable desire to blend into a mystical approach through the themes of dream, intuition and imagination.... La literatura alemana tiene la peculiaridad de resistir al racionalismo de la Ilustración en una etapa muy temprana. Desde 1770, favorece la exploración del inconsciente y el deseo ineludible de fundirse en un enfoque místico a través de los temas del sueño, la intuición y la imaginación...


La littérature allemande possède cette spécificité d'avoir très tôt résisté au rationalisme des Lumières. Dès 1770, elle privilégie l'exploration de l'inconscient et un désir inéluctable de se fondre dans une approche mystique via les thèmes du rêve, de l'intuition, de l'imaginaire. A partir de 1780 et pendant près de trente ans, le "Classicisme de Weimar" s'impose dans la culture allemande et se construit principalement autour de trois dates et de trois figures,  - Johann Gottfried Herder qui s'installe à Weimar en 1776, le début de l'amitié de Schiller et Goethe en 1794, Schiller achève sa trilogie Wallenstein, le plus grand drame historique jamais écrit en langue allemande - "Un matin, écrit Jean-Paul Richter, me vint du ciel cette idée : je suis un moi, qui dès lors ne me quitta plus ; mon moi s'était vu lui-même pour la première fois, et pour toujours..." Après 1820, cette attitude allemande du romantisme semble sombrer dans une sorte de nihilisme diffus. 

(Carl Julius von Leypold (1806-1874) - Wanderer in the Storm (1835) - Metropolitan Museum of Art - New York)

 

Friedrich Schiller (1759-1805) est le grand inspirateur de toute la poésie romantique allemande : il entend non seulement dépasser tout conflit entre nature sensible et nature spirituelle, mais aussi cette si grande déception que fut la Révolution française en prônant une esthétique, la recherche de la beauté et de la pureté comme possibilité de reconstituer une trame morale et politique à notre existence.

Friedrich Schiller by Ludovike Simanowiz (1759-1827)

"Furcht, die schreckliche Begleitung
Der Tyrannei, wird schaundernd vor dir herziehn,
Und jede Straße, wo du gehst, veröden.
Laß mich der neun Freiheit genießen,
Laß mich ein Lind sein, sei es mit!
Und auf dem grünen Teppich der Wiesen
Prüfen den leichten, geflügelten Schritt..."

 

"La terreur, seule compagne de la tyrannie, marchera
en frissonnant devant vous , et rendra déserts les
chemins où vous passerez.
Laisse-moi donc jouir de ma liberté neuve
Laisse-moi être enfant, et sois-le avec moi,
Et sur le vert tapis de ces prairies, je veux
Sentir mon pied léger, sentir mon pied ailé."
(Friedrich Schiller, Maria Stuart)

 


L'année 1793 marque, avec la "Wanderung" (Le périple) de Ludwig Tieck et de Wilhelm Heinrich Wackenroder, le début du romantisme en Allemagne : c'est le temps de la rupture avec le classicisme de Weimar et de la rencontre des deux grands poètes qui l'ont incarné,  Schiller et de Goethe, c'est le temps de la réhabilitation du Moyen Age et de son idéalisation. Le congrès de Vienne (1814-1815) scelle le retour de l'ordre ancien, la Confédération germanique est présidée par une Autriche conservatrice et le prince Klemens von Metternich  qui met fin au mouvement national-libéral né de l'opposition à Napoléon (die Karlsbader Beschlüsse)...

 

Trois cercles romantiques vont se succéder : 

Le cercle d'léna (Die Frühromantik), en quête d'harmonie, de réconciliation entre poésie et mythologie, sensible au mysticisme panthéiste ou chrétien. Il pose les fondements philosophiques du romantisme, influencés par l'idéalisme allemand dont les représentants sont Fichte (1762-1814), et son "Bestimmung des Menschen" (La Destination de I'Homme, 1800), Friedrich W.J. Schelling (1775-1854) et ses "Ideen einer Philosophie der Natur" (Idées d'une philosophie de la nature, 1797), et Friedrich Hegel (1770-1831)...

August Wilhelm Schlegel (1767-1845), - "Vorlesungen über dramatische Kunst und Literatur" (1808)-, Friedrich Schleiermacher (1768-1834), Friedrich Novalis (1772-1801), - "Heinrich von Ofterdingen" (1802), "Hymnen an die Nacht (Les Hymnes à la nuit, 1800), "Die Christenheit und Europa" (La Chrétienté et I'Europe, 1799) -, Friedrich Schlegel (1772-1829), -"Lucinde" (1799), "Rede über die Mythologie" (1800) -, Wilhelm Heinrich Wackenroder (1773-1798), Ludwig Tieck (1773-1853), - "Leben und Tod der heiligen Genoveva" (1800) -,...

Le cercle de Heidelberg (Die Heidelberger Romantik), considéré comme l'apogée du romantisme, privilégiant poèmes populaires et légendes anciennes comme autant  de sources d'un patrimoine national à défendre face à l'occupation française.

Clemens Brentano (1178-1842) et Achim von Arnim (1781-1831), - "Des Knaben Wunderhorn" (Le Cor merveilleux de l'enfant) (1806-1808)-, Joseph Görres (1776-1848), "Die deutschen Volksbücher" (Les Livres populaires allemands) (1807) -, les frères Grimm, Jacob (1785-1863) et Wilhelm (1786-1859), - Kinder- und Hausmärchen (Contes) (1812-1814) et Die Deutschen Sagen (Légendes allemandes) (1816), Karoline von Günerode (1780-1806) ...

Le cercle de Berlin (der Spätromantik), le plus tardif, se distingue des deux cercles qui l'ont précédé par l'attrait pour la part mystérieuse, plus sombre et plus inquiétante de l'individu (die Schauerromantik).

Friedrich de la Motte Fouqué (1777-1843), - "Der Held des Nordens" (1808) -, E.T.A.Hoffmann (1776-1822), - "Phantasiestücke in Callots Manier" (Contes fantastiques à la manière de Callot, 1813-1815), "Nachtstücke" (Pièces nocturnes, 1817), "Die Serapionsbrüder"  (Les Frères Sérapion), "Die Elixiere des Teufels" (Les Elixirs du diable, 1816) -, Adalbert von Chamisso (1781-1838), - "Peter Schlemihls wundersame Geschichte" -, Joseph von Eichendorff (1788-1857), - "Das Marmorbild" (1819, La Statue de marbre), "Aus dem Leben eines Taugenichts" (1826, Scènes de la vie d'un propre à rien) -, ...

 

L'année 1832 marque la mort de Johann Wolfgang von Goethe et l'achèvement de la seconde partie de son "Faust", la première partie ayant été publiée en 1808 : à cette date, Goethe n'a pratiquement plus aucune influence sur les nouvelles générations qui fondent le romantisme. C'est sur l'insistance de Friedrich von Schiller que Goethe a repris l'écriture de son Faust, et Schiller, son inséparable compagnon de Weimar meurt en 1808, une période s'achève. Le Faust de Goethe reprend les nombreuses légendes populaires qui circulent depuis le XVIe siècle et mettent en scène le fameux pacte par lequel l'homme vend son âme au diable. Le Faust I se déroule dans le petit monde du Dr Faust et de l'Allemagne du XVIe siècle, la seconde partie va se déployer à l'échelle de l'univers.

(Carl Christian Vogel von Vogelstein - David d'Angers sculptant le portrait de Ludwig Tieck.) 


Novalis (1772-1801)
Novalis ne vécut pas trente ans et son oeuvre conçue sur à peine six années, restée inachevée, livre une intuition, "le chemin mystérieux mène vers l'intérieur", nous possédons un irrésistible besoin de "merveilleux" que nous partageons avec le monde que nous habitons. L'expression d' "idéalisme magique" naît d'une interprétation très particulière de l'idéalisme de Fichte : il y a certes la logique, qui est l'art de penser, mais il y a aussi un art de plus grande ampleur, l'art de réaliser nos rêves, cet art intuitif qui nous permet de penser l'univers comme un immense organisme au sein duquel le poète entend battre la pulsion divine. Ce monde fantastique, cette puissance imaginative - la célèbre "Blaue Blume" - nous révèle la vaste harmonie du monde et des hommes, aujourd'hui détruite par les forces de la discorde, et que la poésie seule peut régénérer : "le monde devient rêve, le rêve devient monde"..

Né à Wiederstedt, près de Halle, John Friedrich von Hardenberg est élevé dans un milieu piétiste (les Frères Moraves), fait des études de droit à Iéna puis Leipzig où il rencontre Friedrich Schlegel. En 1795, la disparition de Sophie von Kühn, jeune fille de treize ans qu'il aime passionnément, semble renforcer une exaltation quasi mystique : ce juriste (rapidement abandonné), géologue, minéralogiste et ingénieur des Mines (Freiberg) prend le pseudonyme de Novalis et ses intuitions poétiques vont se nourrir de l'idéalisme de Fichte, des écrits théosophiques de Franz von Baader (1765-1841), de la "Naturphilosophie" du minéralogiste Abraham Gottlob Werner (1749-1817), son maître d'étude. Le Wilhelm Meister de Goethe, qui circule alors largement, apparaît trop prosaïque, loin de cette quête poétique qui entend déchiffrer le sens suprême de notre existence qui se donne dans l'expérience sensible ou la contemplation intérieure.

En 1798, Novalis publie un ensemble de fragments poétiques, "Blüthenstaub", dans la revue des frères August Wilhelm et Friedrich Schlegel, l'Athenaeum, compose " Glauben und Liebe oder der König und die Königin" et un récit, "Die Lehrlinge zu Sais", esquisse de la "Naturphilosophie" d'un Werner ou d'un Schelling qui tentent alors d'englober dans une même interprétation de l'univers les mondes matériels et sprituels. Novalis est en effet lui aussi en quête d'une synthèse absolue entre connaissance et perception de la Nature et spéculations philosophiques et religieuses et écrit sur ce thème nombre de fragments littéraires : "Das Allgemeine Brouillon". Suivent les "Geistliche Lieder", "Die Christenheit oder Europa" (1799), et débute l'écriture de "Heinrich von Ofterdingen". Il meurt à 29 ans, frappé par la tuberculose et alors qu'il allait épouser Julie von Charpentier, ultime réincarnation de Sophie de Kühn ..

"Heinrich von Ofterdingen" (Henri d'Ofterdingen, roman inachevé, 1802, posthume)
"Foncièrement et par nature, Henri était né pour être poète. Tous les hasards semblaient converger et s'unir pour sa formation, et rien encore n'était venu contrarier le vif éveil de sa vie intérieure. Tout ce qu'il voyait, tout ce qu'il entendait n'était que pour, semblait-il, lui ôter un nouveau verrou au-dedans de lui-même, lui ouvrir une fenêtre nouvelle. Il voyait devant lui s'étaler le monde dans toute l'étendue et la diversité de ses modalités entremêlées et sans cesse changeantes. Mais c'était un monde encore muet, et son âme, la parole, n'y était toujours pas éveillée. Or, déjà s'approchait un poète qui tenait par la main une adorable jeune fille, afin que, par les sons de la langue maternelle et la caresse exquise et douce d'une tendre bouche, s'ouvrissent les lèvres stupides et qu'en mélodies infinies se développât le simple accord." (Gallimard) Novalis, critique à l'égard du "Wilhelm Meisters Lehrjahre", de Goethe, de son prosaisme et de son manque d'ambition. "Wilhelm Meisters Lehrjahre sind gewissermaBen durchaus prosaisch und modern. Das Romantische geht darin zu Grunde - auch die Naturpoesie, das Wunderbare - Er handelt bloss von gewöhnlichen menschlichen Dingen - die Natur und der Mystizism sind ganz vergessen". Novalis conçoit au contraire "Heinrich von Ofterdingen"  comme celui d'un héros qui ne renonce pas à l'affirmation de son moi pour se fondre dans la société, mais au contraire se fait pleinement "poète".

 

Roman initiatique, mais inachevé, écrit au seuil de la mort, par lequel le ménestrel Henri, auteur présumé des Nibelungen, tente d'atteindre la connaissance suprême de la vie au travers d'une série de rêves prophétiques et de rencontres déterminantes. Deux parties, "L'Attente", "L'Accomplissement". Dans la première partie, le héros débute sa quête poétique par une première vision, celle d'une fleur bleue, (la célèbre "Blaue Blume"), introduction symbolique à une représentation des destinées individuelles.

"Die blaue Blume" (la fleur bleue ) dans le roman "Heinrich von Ufterdingen" de Novalis, devient l'emblème de tout le mouvement romantique, symbole de l'aspiration à I'infini, du dépassement des limites et de la réconciliation entre l'homme et la nature, mystérieuse et insondable...

"Die Eltern lagen schon und schliefen, die Wanduhr schlug ihren einförmigen Takt, vor den klappernden Fenstern sauste der Wind; abwechselnd wurde die Stube hell von dem Schimmer des Mondes. Der Jüngling lag unruhig auf seinem Lager, und gedachte des Fremden und seiner Erzählungen. »Nicht die Schätze sind es, die ein so unaussprechliches Verlangen in mir geweckt haben«, sagte er zu sich selbst; »fern ab liegt mir alle Habsucht: aber die blaue Blume sehn' ich mich zu erblicken. Sie liegt mir unaufhörlich im Sinn, und ich kann nichts anderes dichten und denken. So ist mir noch nie zumute gewesen: es ist, als hätt ich vorhin geträumt, oder ich wäre in eine andere Welt hinübergeschlummert; denn in der Welt, in der ich sonst lebte, wer hätte da sich um Blumen bekümmert, und gar von einer so seltsamen Leidenschaft für eine Blume hab' ich damals nie gehört. 

"Les parents étaient déjà endormis, l'horloge murale frappait son rythme uniforme, le vent se précipitait devant les fenêtres qui claquaient ; alternativement, la pièce devenait lumineuse avec le scintillement de la lune. Le jeune homme s'allongeait sans cesse sur son camp, pensant à l'étranger et à ses histoires. "Ce ne sont pas les trésors qui ont éveillé en moi un désir si indicible, se dit-il en lui-même, loin de moi toute avidité, mais la fleur bleue que je désire ardemment voir. Cela me vient sans cesse à l'esprit, et je ne peux ni écrire, ni penser à quoi que ce soit d'autre. C'est comme si j'avais déjà rêvé ou si j'avais dormi dans un autre monde, car dans le monde où j'ai vécu, qui se serait soucié des fleurs, et je n'avais jamais entendu parler d'une passion aussi étrange pour une fleur. 


Wo eigentlich nur der Fremde herkam? Keiner von uns hat je einen ähnlichen Menschen gesehn; doch weiß ich nicht, warum nur ich von seinen Reden so ergriffen worden bin; die andern haben ja das nämliche gehört, und keinem ist so etwas begegnet. Daß ich auch nicht einmal von meinem wunderlichen Zustande reden kann! Es ist mir oft so entzückend wohl, und nur dann, wenn ich die Blume nicht recht gegenwärtig habe, befällt mich so ein tiefes, inniges Treiben: das kann und wird keiner verstehn. Ich glaubte, ich wäre wahnsinnig, wenn ich nicht so klar und hell sähe und dächte, mir ist seitdem alles viel bekannter. Ich hörte einst von alten Zeiten reden; wie da die Tiere und Bäume und Felsen mit den Menschen gesprochen hätten. Mir ist gerade so, als wollten sie allaugenblicklich anfangen, und als könnte ich es ihnen ansehen, was sie mir sagen wollten. 

D'où venait l'étranger ? Aucun d'entre nous n'a jamais vu un homme semblable ; mais je ne sais pas pourquoi j'étais le seul à être saisi par ses discours ; les autres ont entendu la même chose, et aucun d'entre nous n'a rencontré une telle chose. Que je ne peux même pas parler de mon état étrange ! C'est souvent si délicieux pour moi, et ce n'est que lorsque j'ai la fleur qui n'est pas tout à fait présente qu'une agitation aussi profonde et sincère m'arrive : personne ne peut et ne veut comprendre cela. Je pensais que je serais en colère si je ne voyais pas et ne pensais pas si clairement et si brillamment, tout m'est beaucoup plus familier depuis lors. J'ai entendu parler du bon vieux temps, quand les animaux, les arbres et les rochers parlaient aux hommes. Pour moi, c'est comme s'ils voulaient commencer immédiatement, et comme si je pouvais regarder ce qu'ils voulaient me dire.


Cette quête se poursuit en cheminant dans le monde et en s'abandonnant à cette approche que Novalis privilégie à toute autre, l'intuition mystique, celle qui permet, seule, de saisir les principes agissant en ce monde, au-delà des apparences. Il s'agit surtout de faire coïncider dans une même vision significative tous les siècles et tous les mondes. La transfiguration du poète se nourrit des contes et légendes, de la rencontre du le poète-mage Kingsohr et de sa fille Mathilde (incarnation de la Fleur bleue, qui meurt comme Sophie, se réincarne Cyane, comme Julie). La deuxième partie va révéler le secret de la "romantisation du monde" et la découverte du poète caché en tout individu. Le cercle de l’existence est ainsi parcouru, le poète a pu recueillir les images de toutes choses en ce monde : il ne lui reste plus qu'à "rentrer en son âme comme on rentre dans sa patrie"...

"Wenn nicht mehr Zahlen und Figuren
Sind Schlüssel aller Kreaturen
Wenn die, so singen oder küssen,
Mehr als die Tiefgelehrten wissen,
Wenn sich die Welt ins freye Leben
Und in die Welt wird zurück begeben,
Wenn dann sich wieder Licht und Schatten
Zu ächter Klarheit werden gatten,
Und man in Mährchen und Gedichten
Erkennt die wahren Weltgeschichten,
Dann fliegt vor Einem geheimen Wort
Das ganze verkehrte Wesen fort."

 

"Quand ce ne seront plus des nombres, des figures,
Qui donneront la clé de toutes créatures;
Quand ceux qui chantent ou qui s'aiment acquerront
Un savoir plus profond que celui des plus doctes;
Quand le monde reviendra vers la vie libre
Et rentrera dans l'univers intérieur;
Lorsque enfin ombre et lumière se marieront
Pour donner à nouveau la clarté véritable,
Et que dans les poèmes et les contes légendaires
On aura reconnu les vraies cosmogonies,
Alors il suffira d'un mot mystérieux
Pour mettre en fuite ces créations contre-nature."


Geistliche Lieder (Cantiques)
Composés vers 1799, certains de ces cantiques ont été intégrés dans la "liturgie" luthérienne : "Wenn alle untreu werden, Wenn ich ihn nur hab", "Unter tausend frohen Stunden".

Wenn alle untreu werden,
So bleib ich dir doch treu;
Daß Dankbarkeit auf Erden
Nicht ausgestorben sei.
Für mich umfing dich Leiden,
Vergingst für mich in Schmerz;
Drum geb ich dir mit Freuden
Auf ewig dieses Herz.

Oft muß ich bitter weinen,
Daß du gestorben bist,
Und mancher von den Deinen
Dich lebenslang vergißt.
Von Liebe nur durchdrungen
Hast du so viel getan,
Und doch bist du verklungen,
Und keiner denkt daran.

 


Hymnen an die Nacht (Hymnes à la nuit, 1800)
Ce cycle de 6 Hymnes, écrits en vers libres, simples, concis, fut inspiré par cette célèbre "vision", faite d'angoisse et d'extase, que Novalis eut le 13 mai 1797 au crépuscule, sur la tombe, située à Grüningen. de son premier et grand amour, la très jeune Sophie von Kühn. Il s'agit de l'un des plus grands textes lyriques du premier romantisme allemand, mêlant avec originalité, dit-on, ses nombreuses lectures, dont Shakespeare, Schiller, et le poète Edward Young (1681-1765), célèbre pour ses "The Complaint, or Night-Thoughts on Life, Death and Immortality". Le Premier Hymne introduit à la possible médiation entre cet Ici-bas plongé dans une lumière splendide mais fallacieuse, et cet Au-delà dans lequel toute contradiction s'abolit dans la nuit, sujet du Deuxième Hymne. Les Hymnes suivants embrassent toute l'histoire de l'humanité jusqu'au dernier poème, "Sehnsucht nach dem Tode" (Nostalgie de la mort), qui célèbre une mort-délivrance et nous permet d'atteindre cette "nuit éternelle" qui constitue l'authenticité de notre existence.

 

Sehnsucht nach dem Tode

Hinunter in der Erde Schoß,
Weg aus des Lichtes Reichen,
Der Schmerzen Wut und wilder Stoß
Ist froher Abfahrt Zeichen.
Wir kommen in dem engen Kahn
Geschwind am Himmelsufer an.

Gelobt sei uns die ewge Nacht,
Gelobt der ewge Schlummer.
Wohl hat der Tag uns warm gemacht,
Und welk der lange Kummer.
Die Lust der Fremde ging uns aus,
Zum Vater wollen wir nach Haus.

Was sollen wir auf dieser Welt
Mit unsrer Lieb' und Treue.
Das Alte wird hintangestellt,
Was soll uns dann das Neue.
O! einsam steht und tiefbetrübt,
Wer heiß und fromm die Vorzeit liebt.

Die Vorzeit wo die Sinne licht
In hohen Flammen brannten,
Des Vaters Hand und Angesicht
Die Menschen noch erkannten.
Und hohen Sinns, einfältiglich
Noch mancher seinem Urbild glich.

Die Vorzeit, wo noch blütenreich
Uralte Stämme prangten,
Und Kinder für das Himmelreich
nach Qual und Tod verlangten.
Und wenn auch Lust und Leben sprach,
Doch manches Herz für Liebe brach.


Cet appel de I'infini, ce besoin d'harmonie avec le monde, caractéristiques de la littérature romantique, n'est-il le plus intérieurement ressenti lorsque s'étend la nuit, le règne de la nuit est intemporel et sans espace, faut-il toujours que le matin revienne ? 

Muß immer der Morgen wiederkommen?

Endet nie des Irdischen Gewalt?

Unselige Geschäftigkeit verzehrt

den himmlischen Anflug der Nacht.

Wird nie der Liebe geheimes Opfer ewig brennen?

Zugemessen ward dem Lichte seine [Zeit];

aber zeitlos [und raumlos] ist der Nacht Herrschaft. -- 

Ewig ist die Dauer des Schlafs.

[Heiliger Schlaf -- beglücke zu selten nicht

der Nacht Geweihte in diesem irdischen Tagewerk.

 

Nur die Toren verkennen dich und wissen 

von keinem Schlafe, als dem Schatten,

den du in jener Dämmerung der wahrhaften Nacht

mitleidig auf uns wirfst. Sie fühlen dich nicht

in der goldenen Flut der Trauben --

in des Mandelbaums Wunderöl,

und dem braunen Safte des Mohnes.

Sie wissen nicht, daß du es bist

der des zarten Mädchens Busen umschwebt

und zum Himmel den Schooss macht --

[ahnden] nicht, daß aus alten Geschichten

du himmelöffnend entgegentrittst

und den Schlüssel trägst zu den Wohnungen 

der Seligen, unendlicher Geheimnisse schweigender Bote.



Friedrich Schleiermacher (1768-1834)

Schleiermacher est le théologien de l'école, il tente une synthèse entre rationalisme, supra-naturalisme et piétisme, entre foi et culture, et tente de fonder la religion sur l'intuition (Anschauung) et sur le sentiment (Gefühl). Né à Breslau, en 1768, Frédéric Schleiermacher était fils et petit-fils de pasteur, "la religion est le sein maternel  qui a nourri mon enfance", dira-t-il. Il fut envoyé, en 1785, au séminaire des frères moraves à Barby, où régnait une discipline étroite, systématiquement hostile à toute curiosité scientifique. Alors éclata la crise qui se préparait en lui depuis quelque temps, cette crise de la foi que des penseurs sincères ont éprouvée avant et après lui. Chez Schleiermacher, nature calme et méditative, elle n'eut rien de violent, elle ne fut accompagnée d'aucun déchirement intérieur. Il fit immédiatement la part de ce que sa conscience lui commandait d'admettre ou de rejeter, mettant d'un côté le sentiment religieux et le sentiment moral, qui portent leur nécessité en eux-mêmes et qui se suffisent à eux-mêmes, et de l'autre le dogme, résultat d'une intervention malencontreuse de la philosophie dans le domaine de la foi. Ses deux années d'études à l'université de Halle (1787-1789), la lecture de Kant et de Spinoza, le confirmèrent dans ces idées. En 1796, il fut nommé prédicateur à Berlin. Schleiermacher est tout entier dans deux écrits qu'il composa vers sa trentième année, à l'époque de sa pleine maturité : les Discours sur la religion (Über die Religion, 1799) et les Monologues (Monologen, 1800).

De même que Kant avait proclamé l'autonomie de la conscience morale, de même Schleiermacher veut que la religion soit enfin constituée pour elle-même, qu'elle soit séparée de ce qu'elle n'est pas. Elle n'est ni une métaphysique ni une morale, elle ne cherche pas, comme la première, à expliquer le système du monde, elle n'aspire pas davantage, comme la seconde, à continuer l'œuvre du créateur par l'activité libre des créatures. Elle est pure contemplation ou intuition de l'univers, sens et goût de l'infini. En tant que contemplation, elle n'a rien de discursif, comme le raisonnement, mais se répète indéfiniment et coule d'une source inépuisable. Plus singulièrement encore, Schleiermacher s'affirme comme individualiste en religion, longtemps avait-il cru avec Kant qu'il n'y avait qu'un seul devoir pour tous (les lois de la morale se fondent sur la conscience, mais ne peuvent jamais la remplacer, avait déjà dit Jacobi), mais, en attendant que cet idéal soit devenu une réalité pour tous, ses Monologues constituent en fait un véritable journal intime le montrant exerçant sa liberté et être ce qu'il est le plus complètement possible : "il y a tant de choses en moi que les hommes ne comprennent pas..."


August Wilhelm von Schlegel (1767-1845)

Les fondateurs de l'école romantique furent les deux frères Schlegel et Louis Tieck. L'aîné des Schlegel, Auguste Wilhelm, est le moins romantique des trois. Comme son père, Jean Adolphe Schlegel, l'un des collaborateurs des Contributions de Brême, ce fut bien moins un génie inventif et original qu'un esprit souple, parfois pénétrant, cédant facilement à l'impulsion d'autrui, capable aussi, à l'occasion, de faire prévaloir une idée ou de susciter une vocation. Venu tard dans la littérature, et à une de ces époques où l'on peut croire que tout est dit, il jugea d'abord que le moyen de se distinguer c'était de perfectionner la forme. Il fut un styliste de premier, ordre, et le sentiment qu'il eut de sa supériorité en ce genre lui fit illusion sur sa valeur réelle comme écrivain. Il dut sa première notoriété, comme plusieurs de ses collègues en romantisme, et à l'inverse des Vrais poètes, à des traductions et à des études critiques.

Né à Hanovre, en 1767, et destiné à la théologie, il fut envoyé à l'université de Gœttingue. L'influence du philologue Heyne le tourna vers  carrière des lettres. Il se mit en rapport avec Gottfried August Bürger, et il écrivit sous son inspiration des chansons, des romances, des sonnets. En même temps, il fournissait des articles à "l'Almanach des Muses" de Gœttirigue. Bürger l'appela "son fils en poésie". Il y a loin, cependant, de la froide élégance des premiers essais de Wilhelm Schlegel à la verve inégale, mais parfois très puissante, de l'auteur de Lénore. Schlegel est toujours égal lui-même; mais il ne monte jamais bien haut. Rien ne heurte dans ses vers bien rimés et bien rythmés, mais on n'y sent pas la flamme qui échauffe et le mouvement qui entraîne. Schlegel fut trop parfait à son début. Comme poète, il ne changea plus; il appliqua seulement son facile talent à des forme plus variées. Il est plus intéressant comme critique, et, sous ce rapport du moins, on peut suivre chez lui un vrai développement. Il étendit de bonne heure son champ d'observation. Il entreprit, en 1795, pour une revue dirigée par Bürger (Akademie der schönen Redekünste), une étude approfondie et détaillée de la Divine Comédie de Dante, où se révèle pour la première fois son talent de traducteur. Il y donne des indications sur sa méthode critique. "Peu importe, dit-il, de louer et surtout de blâmer, d'échafauder un système de règles morales et esthétiques, comme on dresse un bûcher, pour prononcer ensuite un solennel auto-da-fé. On ne peut atteindre une œuvre qu'à travers l'auteur, et l'on ne peut atteindre l'auteur qu'à travers l'époque. Il faut pénétrer dans la contexture intime d'un génie étranger, tacher de reconnaître ce qu'il est et comment il est devenu ce qu'il est." Pour Dante, il faut se faire Guelfe ou Gibelin. Cette méthode n'était autre, au fond, que la méthode historique inaugurée par Johann Gottfried von Herder (1744-1803), et Schlegel n'est pas le seul qui l'ait découverte après lui. Elle est infaillible, à condition que l'historien dispose, de tous les moyens d'information et qu'il en use sans parti pris. Mais quel est l'historien qui a toujours rempli ces deux conditions, la dernière surtout? L'étude de Schlegel sur la Divine Comédie de Dante fut remarquée par Schiller, et Schlegel passa de l'influence de Burger sous celle de Schiller. Il écrivit alors ses meilleures ballades, "Pygmalion", "Prométhée", surtout "Afton" (4798), et, pendant quelque temps, on put le considérer comme le porte-voix de l'école de Weimar. Après avoir été trois ans précepteur dans la famille d`un banquier d'Amsterdam, il était venu, en 1796, s'établir à léna. ll avait épousé Caroline Michaëlis, veuve du docteur Bœhmer, une femme d`esprit, qui devint sa collaboratrice (elle épousa Schelling, en 1803, après avoir divorcé de Wilhelm Schlegel et mourut en 1809). 

Wilhelm Schlegel vécut de sa plume, comme autrefois Lessing. Il fit de la critique une fonction, pour ne pas dire un métier. Ses articles se multiplièrent dans la "Gazette litteraire d'Iéna" et dans les "Heures"; la plupart se rapportaient à des écrits aujourd'hui oubliés; quelques-uns ont gardé leur valeur : telles sont, par exemple, les études détaillées sur "Hermann et Dorothée" de Gœthe et sur la traduction d'Homère de Voss. Les jugements de Schlegel empruntaient une partie de leur autorité à l'élégance de la forme. Son procédé habituel est celui d'une analyse diversement nuancée, qui porte en elle-même l'éloge ou le blâme, et où une œuvre se définit en quelque sorte par son propre contenu. Son point de vue, à cette époque, est encore celui de l'hellénisme. Son plus grand dédain est pour le naturalisme bourgeois d'un Kotzebue (August von Kotzebue, dramaturge et agent au service de l'Empire russe, "Die Leiden der Ortenbergischen Familie", 1785), "Geschichte meines Vaters", 1788).  Schlegel se sentit très tôt attiré par Shakespeare, et se lance dans sa traduction, indique qu'il faut, pour le traduire, le suivre pas à pas, surtout quand c'est un poète, comme lui, à mille faces, En 1797, il entreprit Roméo et Juliette, aidé  d'une plume féminine, celle de Caroline Bœhmer, huit volumes, contenant seize pièces, parurent ensuite jusqu'en 1801, tant le succès alla toujours croissant. Le poète anglais fut ainsi désormais naturalisé dans la littérature allemande, comme il ne l'a été et comme il ne pouvait l'être dans aucune autre. Schlegel avait reproduit ce qui pouvait l'être et avait suppléé parfois à ce qui était intraduisible. Il tenait désormais une clef avec laquelle il pouvait tenter d'ouvrir toutes les littératures, et il publia encore, en 1803, plusieurs pièces du théâtre espagnol et un choix de poésies et de fragments tirés de l'italien, en restant fidèle à son principe, de ne se mesurer qu'avec les grandes œuvres, dignes de l'effort d'une traducteur : Shakespeare, Dante, Pétrarque, Calderon, Cervantes. Puis ce fut Euripide, Ion, la tentative de produire pour le public une oeuvre antique, non pas une simple traduction mais une "adaptation" allant à l'essentiel, la tragédie fut présentée à Weimar en 1802, ce fut l'échec.

Puis les liens de Wilhelm Schlegel avec Weimar se relâchèrent, par la faute de son frère Frédéric qui avait pris à partie en 1796, dans une revue de Berlin, l'Almanach des Muses de Schiller et les Heures. Ils fondèrent ensemble, deux ans après, l'Athenäum, qui devint l'organe de l'école (1798). C'est dans cette revue que paraîtront les 451 "fragments" contenant les fondements de la théorie du Premier romantisme allemand, le "Frühromantik" (1797-1802) ou Cercle d'Iéna, dans lequel on retrouve, outre les frères Schlegel, et leurs compagnes,  Dorothea Veit et Caroline Böhmer, Novalis, Ludwig Tieck, Friedrich Schleiermacher, Johann Gottlieb Fichte. Mais alors Wilhelm Schlegel s'efforçait de rester encore l'homme de la mesure, son frère, Tieck, de Novalis et Schleiermacher, poussait la littérature dans les voies du symbolisme, du mysticisme, de l'idéalisme sans frein. En février 1801, Wilhelm Schlegel se rendit à Berlin, l'école romantique tenant de plus en plus séance dans cette ville, les salons y étaient plus émancipés, et les écoles rivales bien représentées, la vieille école rationaliste défendant l'héritage de Lessing, celle de Weimar regroupée autour de l'oeuvre si diversifiée de Goethe. 

Wilhelm Schlegel quitta Berlin, en 1803, en compagnie de Mme de Staël, qui venait de Weimar, et avec laquelle il visita, dans les années suivantes, l'Italie, le Danemark et la Suède. C'est aussi l'époque de ses Leçons, "Vorlesungen über dramatische Kunst und Literatur (Leçons du cours sur l'art dramatique et la littérature, 1808). Le roi de Suède l'anoblit en 1809, il suivit le prince Bernadotte à la campagne de Saxe, en 1813, et écrivit plusieurs brochures, en français et en allemand pour défendre la politique suédoise. Après  la paix, il alla retrouver Mme de Staël à Coppet. Appelé, en 1818, à une chaire de littérature à Bonn, il s`occupa d'études indiennes.Mais, depuis ses conférences de de Berlin, la littérature avait évolué,  l'âge du romantisme était passé, et l'Allemagne revenait à ses anciens dieux. Wilhelm Schlegel mourut en 1845, poète médiocre, critique partial, mais traducteur de génie.

Friedrich von Schlegel (1772-1829)

Frédéric Schlegel était une nature plus riche que son frère, un littérateur doublé d'un aspirant philosophe, raisonnant en poésie plus qu'il ne la sentait, souvent paradoxal à force de vouloir creuser une idée, il s'entraînait lui-même, et il entraînait les autres après lui. Il eut une vraie influence dans le groupe romantique, moins par la portée de son esprit que par la forme tranchante de ses jugements. Les théories que Wilhelm Schlegel développait dans ses conférences de Berlin et de Vienne étaient en partie celles de son frère, dépouillées de ce qu'elles avaient de trop paradoxal. Les deux Schlegel se ressemblent en un seul point: ils manquent d`invention, et Frédéric lui-même, tout en se disant esthéticien et philosophe, n'a jamais su présenter une théorie complète de l'art et de la poésie. 

Né en 1772, Frédéric Schlegel était de cinq ans plus jeune que son frère, il fut d'abord destiné au commerce, et c'est à Leipzig, où il devait faire son apprentissage, que se décide brusquement sa vocation littéraire. Une lecture de l' Histoire de l'art dans l'antiquité, de Winckelmann, l'entraîna immédiatement à entreprendre d'étudier la sculpture, l'architecture, puis la littérature et la philosophie grecque. Platon et Sophocle lui ouvrirent, dit-il, un monde nouveau. Il écrivit à Dresde, après avoir visiter la galerie des antiques, son premier article important, "Von den Schulen der griechischen Poesie : Berlinische Monaísschríft", 1794. Mais il se détachait d'une étude aussi rapidement qu'il s' adonnait : "Geschichte der Poesie der Griechen und Römer" n'alla pas au-delà du premier volume (1798). Esprit vif, il se montra excellent collaborateur de revue et commença à se faire une langue à lui, inégale et heurtée, mais colorée et visant l'effet. Rejoignant son frère à Iéna, en 1796, il n'apprécia pas l'opinion de Schiller à propose de son style et répondit en attaquant le sentimentalisme du grand poète. La querelle aurait été un des milles épisodes quotidiens de la vie littéraire si elle n'avait pas rompu une tradition, les jeunes génies ne s'appuyaient plus sur leurs illustres aînés. 

Frédéric Schlegel quitta Iéna pour Berlin en 1797 et y publie le roman de l'école romantique, "Lucinde", qui fait scandale au pays du rationalisme. "Lucinde, Bekenntnisse eines Ungeschickten" (1799), dont l'intrigue tourne autour de l'amour de Julius et Lucinde, constitue en fait la mise en pratique de sa théorie du roman qui consiste à utiliser diverses formes littéraires (lettres, dialogues, aphorismes, extraits de journaux). Dans sa lettre sur le roman, "Brief über den Roman" (1800), Friedrich Schlegel écrira: "Ja ich kann mir einen Roman kaum anders denken, als gemischt aus Erzählung, Gesang und anderen Formen" (je ne peux guère penser à un roman autrement qu'à un mélange de récit, de chanson et d'autres formes). Il s'agit pour Schlegel de réhabiliter la littérature romanesque et d'en faire une œuvre d'art totale (Gesamtkunstwerk).

Il décrit sa conception dans le 116e fragment de I'Athenäum, il s'agit de poétiser l'esprit et la société dans son ensemble, de laisser tomber toutes les barrières formelles qui pourrait en interdire une diffusion absolue :  "Die romantische Poesie ist eine progressive Universalpoesie. Ihre Bestimmung ist nicht bloss, alle getrennten Gattungen der Poesie zu vereinigen und die Poesie mit der Philosophie und Rhetorik in Berührung zu setzen. Sie will und soll auch Poesie und Prosa, Genialität und Kritik, Kunstpoesie und Naturpoesie bald mischen, bald verschmelzen, die Poesie lebendig und gesellig und das Leben und die Gesellschaft poetisch machen, den Witz poetisieren und die Formen der Kunst mit gediegenem Bildungsstoff jeder Art anfüllen und sättigen und durch die Schwingungen des Humors beseelen. Sie umfasst alles, was nur poetisch ist, von den gröliten, wieder mehrere Systeme in sich enthaltenden Systemen der Kunst bis zu dem Seufzer, dem Kuss, den das dichtende Kind aushaucht in kunstlosem Gesang". Friedrich Schlegel est en quête d'une esthétique lui permettant de définir la relation entre l'artiste, le créateur, et sa production, l'oeuvre d'art, une recherche esthétique qualifiée par le terme de "romantische Ironie" : Ironie "bedeutet die Ironie eben nichts andres, als dieses Erstaunen des denkenden Geistes über sich selbst, was sich oft in ein leises Lächeln auflöst" (l'ironie ne signifie rien d'autre que cet étonnement de l'esprit qui pense à lui-même, qui se dissout souvent dans un sourire tranquille)...

Dans son discours sur la mythologie, "Rede über die Mythologie" (1800), Friedrich Schlegel convie son lecteur à prendre distance avec la rationalité et à se plonger dans l'irrationnel de la mythologie antique : "Denn das ist der Anfang aller Poesie, den Gang und die Gesetze der vernünftig denkenden Vernunft aufzuheben und uns wieder in die schöne Verwirrung der Fantasie, in das ursprüngliche Chaos der menschlichen Natur zu versetzen, für das ich kein schöneres Symbol bis jetzt kenne, als das bunte Gewimmel der alten Götter. Warum wollt Ihr Euch nicht erheben, diese herrlichen Gestalten des groBen Altertums neu zu beleben ? - Versucht es nur einmal die alte Mythologie voll vom Spinosa und von jenen Ansichten, welche die ietzige Physik in iedem Nachdenkenden erregen muiš, zu betrachten, wie Euch alles in neuem Glanz und Leben erscheinen wird." (Car c'est le début de toute poésie, pour abolir la démarche et les lois de la raison rationnelle et nous replonger dans la belle confusion de la fantaisie, dans le chaos originel de la nature humaine, dont je ne connais pas de plus beau symbole que l'essaim coloré des anciens dieux. Pourquoi ne voulez-vous pas vous lever pour faire revivre ces personnages glorieux de la grande antiquité ?) En 1808, Friedrich Schlegel se passionne, un temps, pour la poésie et les mythes hindous, les divinités sont ici innombrables :  "Uber Sprache und Weisheit der Inder (De la langue et de la sagesse des Hindous)...


Ludwig Tieck (1773–1853)
Pour Nodier, Sainte-Beuve, Balzac, ou Musset, Ludwig Tieck est le principal représentant de l'école romantique allemande. Pourtant, tant sa production que sa vie ne l'impose pas comme une figure majeure de la créativité romantique, si ce n'est, comme on l'a dit, le "goût romantique". Tieck introduit dans la littérature allemande les premiers éléments d'une "poétisation" de la réalité par le biais du voyage d'initiation ou de formation (Wanderlust), à petites touches, avec distanciation: la "forêt" devient ainsi, par exemple, un thème romantique...

A la mort de Frédéric II de Prusse en 1786, accède au trône un Frédéric-Guillaume II de Prusse soumis à d'obscurs illumistes, tel que Johann Christoph von Wöllner (1732 - 1800), qui n'est pas sans conséquence sur le climat de l'époque qui règne dans la société prussienne. C'est dans ce contexte que Johann Ludwig Tieck semble avoir développé une certaine distanciation vis-à-vis des modes et luttes d'influence. Né à Berlin, Ludwig Tieck entreprend des études de littérature à Halle et Göttingen, puis Erlangen, où il retrouve Wilhelm Heinrich Wackenrode, mort très jeune à 26 ans, en 1798, et connu pour son goût quelque peu excessif pour le Moyen Âge et le Renaissance, goût partagé par certains romantiques allemands et que stigmatisera  Heinrich Heine. En 1793, Tieck se passionne donc pour Dürer et la Renaissance allemande et l'on retrouve trace de cette premier enthousiasme dans "Franz Sternbalds Wanderungen ". En 1798, il publie "Prinz Zerbino, oder die Reise nach dem guten Geschmack" et "Franz Sternbalds Wanderungen". "Fantasien über die Kunst" (1799) encourage à une fusion de tous les arts, musique, peinture, et poésie. De 1799 à 1800, Tieck séjourne à Iéna et rencontre les frères Schlegel et Novalis, puis à Weimar, Schiller et Goethe. Cet homme de très grande culture, traducteur de Shakespeare, Cervantès ou Calderon, s'est plu à adapter des contes et des parodies de comédies ("Barbe-Bleue" (1797), Ritter Blaubart; "Le Monde à l'envers" (1798), Die verkehrte Welt, 1798; "Le Chat botté" (1797), Der gestiefelte Kater) ou à donner libre court à des pièces médiévales adaptées au goût romantique (L'Empereur Octavien (1804), Kaiser Octavianus).

Mais le cercle romantique se disloque, et Tieck vit avec difficulté la période 1804-1814. Après un long voyage en Italie (1804-1806), en Angleterre, et en France (1817), Tieck cherche des protections. En 1819, il s'installe à Dresde avec sa femme et la comtesse Henriette von Finkenstein, qui organise un des salons littéraires les plus courus de la Saxe, voire de l'Allemagne. Tieck termine son parcours en publiant des "Novellen", peinture d'une société de bourgeois et d'aristocrates libéraux qui mènent une vie des plus feutrée, et un roman historique considéré comme son chef d'oeuvre, "Vittoria Accorombona" (1840).

 

Franz Sternbalds Wanderungen (Les Pérégrinations de Franz Sternbald, 1798)
Le Wilhelm Meister de Goethe essaime mais dans une orientation différente, ici s'affirme le goût romantique du voyage : "Les Pérégrinations de Franz Sternbald", ou "Une histoire du temps de la Renaissance allemande", constituent un "Künstlerroman", en l'occurrence le récit des voyages d'un jeune peintre qui décide de parfaire ses connaissances artistiques en parcourt les Pays-Bas et l'Italie. Le roman est parsemé de poèmes évoquant les différents états d'âme du héros découvrant une palette de styles artistiques, de la Renaissance allemande, de sa religiosité nordique à la sensualité italienne.

"So ist die Seele des Künstlers oft von wunderlichen Träumereien befangen, denn jeder Gegenstand der Natur, jede bewegte Blume, jede ziehende Wolke ist ihm eine Erinnerung oder ein Wink in die Zukunft."

"Nur ein Künstler kann die Welt und ihre Freuden auf die  wahre und edelste Art genießen, er hat das große Geheimnis erfunden, alles in Gold zu verwandeln"

"Ainsi, l'âme de l'artiste est souvent prisonnière de rêveries singulières, car chaque objet de la nature, chaque fleur bercée par le vent, chaque nuage qui passe lui semble être un souvenir ou un signe dirigé vers l'avenir."

"Seul un artiste peut savourer le monde et ses joies de la manière la plus vraie et la plus noble qui soit : il est l'auteur du grand secret qui permet de tout transformer en or."



Johann Paul Friedrich Richter dit Jean Paul (1763-1825)
Le Moi romantique, celui des aspirations infinies de l'âme, ne peut totalement se départir du Moi englué dans les limitations insignifiantes du quotidien, l'Allemagne traverse alors une période de latence intellectuelle et politique, le Saint Empire romain germanique expirera en 1806... 

Johann Paul Friedrich Richter (qui signera plus tard Jean Paul, sans doute en mémoire de Jean-Jacques) est à part, entre classicisme et romantisme, attardé de la période Sturm-ind-Drang, poète et humoriste, la célébrité est venue tard. Il naît et grandit dans des bourgades du nord-est de la Bavière (Wunsiedel), où son père, luthérien rigoureux, tient d'humbles emplois de maître d'école, d'organiste, de pasteur. Friedrich Richter restera terriblement marqué par une éducation réprimant tout désir, et par des enseignements qui ne faisaient guère appel qu'à la mémoire,  le monde des rêves restera dès lors le refuge ultime.  A seize ans il entre au gymnase de Hof qui conduit naturellement à des études de théologie. Mais en 1779, son père meurt, à la pauvreté succède la misère, mais aussi la liberté de rompre avec la voie tracée par son père. Il se détourne de la théologie et de l'université (Leipzig), se tourne vers son ami Johann Bernhard Hermann, étoffe sa culture philosophique avec la lecture de Hamann, Herder, Jacobi, Kant, Laurence Sterne, qu'il admire. Il entend vivre de sa plume et publie deux premiers recueils d'essais satiriques, "Grönländische Prozesse" (1783) et "Auswahl aus des Teufels Papieren" (1789). Mais l'esprit satirique version Jonathan Swift ne rencontre aucun succès, le voici se tournant vers Laurence Sterne, un style narratif ponctué d'aphorismes et de commentaires, ( ce qu'on nomme "érudition ludique"), et un humour sentimental qui traduit à sa manière son expérience de la misère et de la mort de proches (Johann Bernhard Hermann, son frère Heinrich). Entretemps, sans doute inspiré par sa proximité intellectuel avec Jean-Jacques Rousseau, Johann Richter devient aussi Jean Paul, et entend  «jouir de son moi en se dédoublant». Le personnage du double va ainsi réapparaître dans tous ses romans. «Un matin, me vint du ciel cette idée : je suis un moi, qui dès lors ne me quitta plus ; mon moi s'était vu lui-même pour la première fois, et pour toujours».  Le 15 novembre 1790, Friedrich Richter est le fruit d'une vision hallucinatoire, celle de sa propre mort, le simulacre de la mort viendra ainsi enrichir la thématique du "double" (Siebenkäs). Entre un quotidien misérable et pesant et le sublime de l'imagination, Jean-Paul cherche sa voie sans éviter les contradictions, mêlant sentimentalisme et ironie , goût du tragique et du fantastique, s'abandonnant à d'infinies digressions et périphrases. Sa réputation débute avec "Die unsichtbare Loge" (1793) et "Hesperus oder 45 Hundposttage" (1795), qui est comparé au "Die Leiden des jungen Werther" de Goethe.

C'est en 1796 que débute la fameuse correspondance entre Jean-Paul et Charlotte von Kalb, la "Femme fatale" du classicisme de Weimar et si "proche" de Friedrich Schiller : les figures féminines ont une place prépondérante dans toute l'oeuvre de Jean Paul (la reine prussienne Luise fut une lectrice enthousiaste de ses romans). En 1800, il côtoie à Berlin les frères August Wilhelm et Friedrich Schlegel, Johann Ludwig Tieck, Friedrich Daniel Ernst Schleiermacher et Johann Gottlieb Fichte. En 1801, il épouse Karoline Mayer et s'installe en 1804 à Bayreuth pour le reste de sa vie. Il publiera sept romans, dont "Siebenkäs" (Blumen-, Frucht-, und Dornenstücke, 3 vol., 1796), "Das Leben des Quintus Fixlein" (1796), "Der Jubelsenior" (1797), "Das Kampaner Tal" (1797), puis le célèbre et volumineux "Titan" (4 vol., 1800-1803), les "Flegeljahre" (1804-1805, les «années où jeunesse se passe»). Dans sa dernière période, Jean-Paul a vu s'achever avec quelque désillusion classicisme et romantisme, reste le sentimentalisme teinté d'ironie, un humour qui le rendit très populaire en son temps,  "Katzenbergers Badereise" et "Des Feldpredigers Schmelzle Reise nach Flätz" marquant l'année 1809. Mais la singularité de son style, infiniment digressif, truffé de péripéties invraisemblables, le précipita rapidement dans l'oubli, reste sa profonde humanité...

Vie du joyeux maître d'école Marie Wuz à Auenthal

(1793, Leben des vergnügten Schulmeisterlein Maria Wutz)

Peut-être son chef-d'œuvre, Jean-Paul y a mis beaucoup de lui-même, un pasteur de village, un maître d'école, des personnages, naïfs et purs, que le souffle du monde n'a pas touchés... 

"Le rêve que l'aube lui apportait le menait doucement du sommeil à la veille, comme fait le murmure d'une mère au chevet de son enfant. A l'heure où le soleil crée à nouveau la terre, et où tous deux se fondent ensemble dans une mer de volupté, il aspirait à pleine poitrine les mille bruits de la nature. Puis, de ce flot matinal de la vie et de la joie, il revenait à sa chambrette obscure, et il retrempait ses forces dans des joies plus petites..." 

 

"La Loge invisible" (Die unsichtbare Loge, 1793),

"Hespérus" (1795) 

Les deux romans tournent autour d'une seule idée, le contraste entre l'idéal et le réel, entre les aspirations d'une âme pure et les mécomptes de l'expérience. Dans "La Loge invisible", Jean-Paul semble s`inspirer par endroits du Werther de Gœthe et de l'Émile de Rousseau, tout en mêlant à son récit toutes sortes d'ingrédients merveilleux. Un enfant noble, Gustave de Falkenberg, est élevé sous la direction d'un frère morave, dans une galerie souterraine, loin du contact des hommes. A dix ans, on lui dit qu'il va mourir, mais que ce sera pour son bonheur. On le fait monter, en effet, à la lumière du jour, et on lui. apprend qu'il est ressuscité. Cela veut-il dire que la terre où nous marchons serait pour nous un paradis, que nous pourrions y vivre comme des ressuscités, si nous savions en jouir? Comme le jeune Gustave n'a rien fait pour mériter son bonheur, il ne peut rien faire non plus pour le conserver. A la première tentation, il succombe. Il se serait sans doute relevé dans la suite, mais le roman est inachevé. Jean-Paul n'avait aucun scrupule de s'arrêter au beau milieu d'un récit.

Dans "Hespérus", Victor, le principal personnage de ce roman, est un Gustave un peu mûri, mais pas assez. Il est le médecin et le conseiller d'un petit prince allemand; il a trois âmes, une âme humoristique, une âme sentimentale et une âme philosophique, mais aucune volonté. Il finit par se consoler de son impuissance par l'amour d'une jeune fille, Clotilde, aussi candide que lui. "Deviens  visible, mon Hespérus, petite étoile tranquille (So werde denn sichtbar, kleiner stiller Hesperus!). Tu me rendras heureux pour la seconde fois, si tu es, pour le lecteur défleuri, une étoile du soir, et, pour celui qui pousse sa première fleur, une étoile du matin. Couche-toi avec le premier, lève-toi avec le second. Brille entre les nuages qui, pour le premier, enveloppent le soir de la vie; étends  douce lumière sur le chemin qu'il a monté et qui est maintenant derrière lui, afin qu'il reconnaisse encore les fleurs lointaines de sa jeunesse, et qu`il rajeunisse ses  vieux souvenirs pour en faire des espérances. Calme le jeune homme dans le premier élan de sa vie, et sois pour lui « la fraîche étoile du matin, avant que le soleil ne verse sur lui ses flammes desséchantes..."

 

Titan (1800-1803)

"Il arriva au crépuscule sur la colline qui surplombait la ville, celle qui devait devenir l'arène et la scène de ses futures prouesses. Mais cette fois il la contempla avec d'autres yeux : il avait désormais une patrie en Allemagne – les hommes qui l'entouraient étaient les enfants de son pays" - Roman d'éducation, roman inclassable tenu pour le chef d'oeuvre de Jean Paul, le roman retrace les années de jeunesse d'un aristocrate idéaliste, Albano, prince héritier de Hohenfliess, l'une des multiples principautés de l'Empire allemand, qui découvre, au cours de mille rebondissements et digressions, tant l'univers des petites cours et de la bourgeoisie allemandes que l'individualisme exacerbé du fameux «titanisme» de la jeune génération du Sturm und Drang. Deux personnages s'imposent, Roquairol, personnage cynique et faustien, et Linda, trop sensuelle, trop active, et sans doute incarnation de Charlotte von Kalb.