Globalization - Ronald Findlay, Kevin H O’Rourke, "Power and Plenty : Trade, War, and the World Economy in the Second Millennium" (2007) - Samuel Huntington (1927-2008), ""No Easy Choice: Political Participation in Developing Countries" (1976), ""The Third Wave : Democratization in the Late Twentieth Century" (1991), "The Clash of Civilizations and the Remaking of World Order" (1996), "Who Are We?: The Challenges to America’s National Identity" (2004) - Barry Eichengreen,"The Populist Temptation: Economic Grievance and Political Reaction in the Modern Era" (2018) - Peter Singer, "One World : The Ethics of Globalization" (2002) - Jeffry Frieden, "Global Capitalism: Its Fall and Rise in the Twentieth Century" (2006). - ..

Last update : 2023/11/11


Mais qu’est-ce que donc que la mondialisation? Un phénomène paradoxal au creux duquel se déroulent désormais nos existences et dont les interprétations multiples nous laissent totalement démunis, du moins pour le penser et tenter de le maîtriser. C'est à cette mondialisation, foncièrement économique, que certains prêtent avec emphase la diffusion de la démocratie et des droits de l'homme aux quatre coins de notre planète. Rien n'est pourtant moins évident. L'interconnection des peuples accroît les inégalités et génèrent des radicalisations dont l'amplitude génère de sourdes inquiétudes et des selfies par millions...

Derrière la mondialisation économique, quelle qu’elle soit, se trouve une certaine structure de pouvoir politique, donc une certaine vision du monde et non une création ex nihilo surgie comme naturellement de l'instinct de troc et d'échange qui caractériserait toute l'histoire de notre humanisation. 

A mesure que ces configurations ont changé et évolueront, s'imposeront sans doute des types de mondialisation économique quelque peu différents. Ainsi la période d’après-guerre immédiate, la période de mondialisation économique de Bretton Woods, fut soutenue par la domination politique américaine dans l’économie mondiale : la Banque mondiale, le FMI, le GATT et l’OMC ont été créés à l’image de ce que les États-Unis voulaient construire; il s’agissait, fondamentalement, d’une extension de la puissance américaine, tout comme la mondialisation du XIXe siècle était une extension de la puissance navale britannique et de l’impérialisme britannique. Cela signifie que, à mesure que la puissance américaine recule et que nous entrons dans un système mondial multipolaire ...

Et si le commerce international a bien façonné le monde moderne, si l’expansion et la contraction de l’économie mondiale ont été directement liées à l’interaction du commerce et de la géopolitique, la guerre et la paix en furent des déterminants critiques sur le très long terme, sans omettre les stratégies de menaces diverses et les inégalités fondamentales mises en oeuvre par les puissances de cette planète.  En s’appuyant largement sur des données empiriques et en les analysant systématiquement à l’aide de réflexions issues de la théorie économique contemporaine, nous verrons par exemple Findlay et O’Rourke démontrer les liens étroits entre commerce et guerre, l’interdépendance mutuelle des différentes régions du monde, et le rôle crucial que ces facteurs ont joué dans l’explication de la croissance économique moderne. ..

(Yue Minjun (1962), 2000, "The Sun " ...)


"Power and Plenty : Trade, War, and the World Economy in the Second Millennium", Ronald Findlay, Kevin H O’Rourke (2007)

 "Pouvoir et abondance", une étude magistrale des mille dernières années de la mondialisation, de la façon dont le commerce et le développement économique ont été influencés par les conflits militaires, le pouvoir politique et les changements technologiques au cours du dernier millénaire. Ecrit par deux économistes qui sont historiens, le livre montre que la mondialisation a bel et bien une histoire et que cette histoire ne remonte pas seulement à 1980, ni même à 1945, ni même à la première ère de mondialisation du XIXe siècle, mais dès les temps qui marquèrent la création des réseaux commerciaux intercontinentaux

Mais le livre montre plus encore, que le pouvoir politique et la mondialisation économique ont toujours été étroitement liés. La mondialisation économique n'est pas quelque chose qui émerge purement de l’instinct humain, d'un simple besoin de troc et d'échange. Les flux et reflux que l'on observe tout au long de cette histoire de la mondialisation montre que celle-ci est intimement liée aux conflits militaires et à l’essor du pouvoir politique, à la concurrence entre les grandes puissances

 

"This book was written in the belief that you cannot make sense of today’s world economy, or indeed of the world more generally, without understanding the history that produced it. Contemporary globalization, and its economic and political consequences, have not arisen out of a vacuum, but from a worldwide process of uneven economic development that has been centuries, if not millennia, in the making. In turn, this process has been critically shaped by the changing ways in which the various world regions have interacted with each other, not only through trade, migration, and investment, but also politically and culturally, over time. Understanding this twoway interaction between the pattern and evolution of interregional trade, on the one hand, and long-term global economic and political developments, on the other, is the main purpose of this volume. (...) A feature of the book that may strike some economists as odd or surprising, but will seem entirely commonplace to historians, is its sustained emphasis on conflict, violence, and geopolitics. 

(...)

 

Ce livre a été écrit dans la conviction qu’on ne peut pas comprendre l’économie mondiale d’aujourd’hui, ou même le monde en général, sans comprendre l’histoire qui l’a produite. La mondialisation contemporaine et ses conséquences économiques et politiques ne sont pas nées d’un vide, mais d’un processus mondial de développement économique inégal qui a mis des siècles, voire des millénaires à se mettre en place. Ce processus a été à son tour fondamentalement façonné par les changements dans la manière dont les différentes régions du monde ont interagi entre elles, non seulement par le commerce, la migration et l’investissement, mais aussi sur le plan politique et culturel. Comprendre cette interaction bidirectionnelle entre la configuration et l’évolution du commerce interrégional, d’une part, et les développements économiques et politiques mondiaux à long terme, d’autre part, est le principal objectif de ce volume (...) (...) Une caractéristique du livre qui peut sembler étrange ou surprenante à certains économistes, mais qui semblera tout à fait ordinaire aux historiens, est son accent soutenu sur le conflit, la violence et la géopolitique. 

(...)

 

Le livre débute par une discussion sur l’économie mondiale avant 1500, en se concentrant sur les réseaux commerciaux qui relient différentes régions. Il met en évidence l’importance de la route de la soie, le commerce dans l’océan indien et l’influence des empires tels que les Mongols et la montée de l’islam sur les routes commerciales. Les auteurs soulignent le rôle de la stabilité politique, ou son absence, dans la facilitation ou l’entrave du commerce. 

Suit l'âge de la découverte et de l’expansion coloniale - La période après 1500 est marquée par l’expansion européenne et l’établissement d’empires coloniaux. Les auteurs examinent comment les puissances européennes, en particulier l’Espagne, le Portugal, les Pays-Bas, la France et la Grande-Bretagne, ont établi des réseaux commerciaux mondiaux par l’exploration et la conquête maritimes. Sont discutées des conséquences économiques du colonialisme, y compris l’exploitation des colonies pour leurs ressources, le commerce transatlantique d’esclaves et le flux mondial d’argent en provenance des Amériques, qui ont eu un impact profond sur les systèmes commerciaux et monétaires mondiaux.

L’ouvrage traite, dans un troisième temps, de la révolution industrielle et du passage au capitalisme moderne, en soulignant comment les progrès technologiques ont transformé la production, le transport et la communication. Cette période a vu l’émergence de nouvelles puissances économiques, en particulier la Grande-Bretagne, qui dominait le commerce mondial grâce à sa suprématie industrielle et navale. Les auteurs explorent comment l’industrialisation a entraîné une inégalité mondiale accrue, les puissances occidentales bénéficiant de manière disproportionnée du commerce mondial tandis que de nombreuses régions d’Asie, d’Afrique et d’Amérique latine sont devenues de plus en plus marginalisées.

Enfin XXe siècle et mondialisation acquièrent visibilité - Le XXe siècle est marqué par deux guerres mondiales, la Grande Dépression et la guerre froide, qui ont toutes eu des effets profonds sur le commerce mondial et l’économie mondiale. Les auteurs analysent le rôle des institutions internationales comme la Banque mondiale (World Bank), le FMI (IMF) et le GATT (plus tard l’OMC, WTO) dans la formation de l’économie mondiale d’après-guerre. Le livre ne manque pas d'examiner également la mondialisation rapide qui s’est produite à la fin du XXe siècle, poussée par les progrès technologiques, la libéralisation des échanges et l’intégration des marchés émergents dans l’économie mondiale.

 

The Future of Globalization: Economic Challenges

As we saw in chapter 9, it seemed by the end of the twentieth century as though the world might finally be heading toward a more balanced economic system, with more and more countries starting to converge on the world’s technological frontier, and the “Great Specialization” becoming a thing of the past, a temporary by-product of the disequilibrium created by the Industrial Revolution two hundred years previously. Looking ahead, therefore, it seems natural to suppose that more and more countries will experience the benefits of industrialization and modern economic growth, and that trade flows will increasingly involve the mutual exchange of manufactured goods,with primary-product exports now reflecting particularly favorable resource endowments, rather than backward manufacturing sectors. The benevolent trends that we have just described are what would be predicted if the economic system is allowed to evolve smoothly in the future, but nothing is in fact less certain.

 

Comme nous l'avons vu au chapitre 9, à la fin du vingtième siècle, il semblait que le monde se dirigeait enfin vers un système économique plus équilibré, de plus en plus de pays commençant à converger vers la frontière technologique mondiale, et la « grande spécialisation » devenant une chose du passé, un sous-produit temporaire du déséquilibre créé par la révolution industrielle deux cents ans plus tôt. Pour l'avenir, il semble donc naturel de supposer que de plus en plus de pays connaîtront les avantages de l'industrialisation et de la croissance économique moderne, et que les flux commerciaux impliqueront de plus en plus l'échange mutuel de produits manufacturés, les exportations de produits primaires reflétant désormais des dotations en ressources particulièrement favorables, plutôt que des secteurs manufacturiers en retard de développement. Les tendances bienveillantes que nous venons de décrire sont celles que l'on peut prédire si l'on laisse le système économique évoluer sans heurts à l'avenir, mais rien n'est moins sûr. 

 

If anything, history suggests that globalization is a fragile and easily reversible process, with implications not just for international trade, but for the international division of labor and economic growth as well. To contemporary observers, the late-nineteenth-century globalization described in chapter 7 must have seemed the natural order of things, but the Great War showed how false such an assumption was. Not only was trade disrupted during the conflict itself, but the interwar era which followed saw a steady proliferation of tariff and nontariff barriers to trade in the richest countries of the world, and this was in turn followed by inwardlooking antitrade policies in developing countries which lasted until the 1970s or 1980s. Even more worryingly from today’s perspective, no one in 1913 saw these disasters coming (Ferguson 2005).

 

Au contraire, l'histoire suggère que la mondialisation est un processus fragile et facilement réversible, avec des implications non seulement pour le commerce international, mais aussi pour la division internationale du travail et la croissance économique. 

Pour les observateurs contemporains, la mondialisation de la fin du XIXe siècle décrite au chapitre 7 a dû sembler être l'ordre naturel des choses, mais la Grande Guerre a montré à quel point cette hypothèse était erronée. Non seulement le commerce a été perturbé pendant le conflit lui-même, mais l'entre-deux-guerres qui a suivi a vu une prolifération constante des barrières tarifaires et non tarifaires au commerce dans les pays les plus riches du monde, suivie à son tour par des politiques anti-commerce tournées vers l'intérieur dans les pays en développement, qui ont duré jusqu'aux années 1970 ou 1980. Plus inquiétant encore dans la perspective d'aujourd'hui, personne en 1913 n'a vu venir ces catastrophes (Ferguson 2005).

 

What sorts of stresses might emerge to test the global economy of the early twenty-first century? We can think of several, some economic and others political. One obvious potential risk in the medium to long run is that oil will become significantly dearer, for one of two reasons. The first is that world oil production will peak, and then start to decline, as has been argued by several prominent scientists (for a readable account, see Deffeyes (2001)). Such a trend, in combination with rapid Southern industrialization, would clearly lead to a dramatic and sustained rise in oil prices. The second is that current concerns over global warming will lead to the imposition of high carbon taxes. Since current transportation technologies are heavily oil-intensive, transport costs would rise under either of these scenarios, with the extent of the increase depending on how rapidly technologies evolved in response. Sufficient increases in transport costs would lead to less intercontinental trade in very bulky commodities, which would in turn be good news for some producers, such as European farmers, and bad news for others. A key policy concern would then be to ensure that those developing countries which are already hampered by relatively high transport costs not be excessively harmed by even higher ones.

 

Quels types de tensions pourraient mettre à l'épreuve l'économie mondiale au début du XXIe siècle ? Nous pouvons en envisager plusieurs, certains d'ordre économique et d'autres d'ordre politique. Un risque potentiel évident à moyen et long terme est que le pétrole devienne sensiblement plus cher, pour l'une des deux raisons suivantes. 

La première est que la production mondiale de pétrole atteindra son maximum, puis commencera à décliner, comme l'ont affirmé plusieurs scientifiques éminents (pour un compte rendu lisible, voir Deffeyes (2001)). Une telle tendance, combinée à l'industrialisation rapide du Sud, conduirait clairement à une hausse spectaculaire et soutenue des prix du pétrole. 

La deuxième hypothèse est que les préoccupations actuelles concernant le réchauffement de la planète conduiront à l'imposition de taxes élevées sur le carbone. Les technologies de transport actuelles étant fortement consommatrices de pétrole, les coûts de transport augmenteraient dans l'un ou l'autre de ces scénarios, l'ampleur de l'augmentation dépendant de la rapidité de l'évolution des technologies. Une augmentation suffisante des coûts de transport entraînerait une diminution des échanges intercontinentaux de marchandises très volumineuses, ce qui serait une bonne nouvelle pour certains producteurs, tels que les agriculteurs européens, et une mauvaise nouvelle pour d'autres. L'une des principales préoccupations politiques serait alors de veiller à ce que les pays en développement qui sont déjà gênés par des coûts de transport relativement élevés ne soient pas excessivement pénalisés par des coûts encore plus élevés.

 

Late-nineteenth-century experience is particularlyinstructive when thinking about a second category of potential economic stresses. That period saw continents with very different factor proportions being drawn into ever-tighter economic contact. The result was large distributional shifts favoring New World landowners and European workers, and hurting European landowners and American workers. The result, as chapter 7 showed, was agricultural protection in Europe, which persists to this day, and protection for manufacturing industries throughout the New World, as well as restrictions on immigration (O’Rourke and Williamson 1999).

In contrast, the more regional liberalization of 1945–80 mostly involved OECD economies, which were relatively similar in terms of economic development, capital–labor ratios, and living standards.  Trade between them was largely intraindustry in nature, rather than being driven by strong factor endowment differences between trading partners. It thus involved less dramatic distributional consequences than late-nineteenth-century trade, and thismade it easier to continue removing trade barriers. Notably, there remained one dimension along which factor endowments were significantly different among OECD economies, namely land–labor ratios. Not coincidentally, agriculture was exempt from the general trade liberalization of the period, suggesting that potential losers from free trade remained as powerful politically as they had been in the late nineteenth century.

 

L'expérience de la fin du XIXe siècle est particulièrement instructive lorsqu'il s'agit de réfléchir à une deuxième catégorie de tensions économiques potentielles. Au cours de cette période, des continents présentant des proportions de facteurs très différentes ont été amenés à avoir des contacts économiques de plus en plus étroits. Il en est résulté d'importants changements dans la répartition, qui ont favorisé les propriétaires terriens du Nouveau Monde et les travailleurs européens, et qui ont nui aux propriétaires terriens européens et aux travailleurs américains. Comme le montre le chapitre 7, il en est résulté une protection de l'agriculture en Europe, qui persiste encore aujourd'hui, et une protection des industries manufacturières dans l'ensemble du Nouveau Monde, ainsi que des restrictions à l'immigration (O'Rourke et Williamson, 1999).

En revanche, la libéralisation plus régionale de 1945 à 1980 a surtout concerné les économies de l'OCDE, qui étaient relativement similaires en termes de développement économique, de ratio capital-travail et de niveau de vie.  Les échanges entre ces pays étaient en grande partie de nature intra-industrielle, plutôt que motivés par de fortes différences de dotation en facteurs entre les partenaires commerciaux. Ils avaient donc des conséquences moins dramatiques sur la répartition que les échanges de la fin du XIXe siècle, ce qui facilitait la poursuite de la suppression des barrières commerciales. Notamment, il restait une dimension sur laquelle les dotations factorielles différaient sensiblement entre les économies de l'OCDE, à savoir les ratios terre/travail. Ce n'est pas une coïncidence si l'agriculture a été exemptée de la libéralisation générale des échanges de la période, ce qui suggère que les perdants potentiels du libre-échange sont restés aussi puissants politiquement qu'ils l'étaient à la fin du dix-neuvième siècle.

 

As we have seen, the 1980s, and especially the 1990s, were very different in nature, involving as they did trade liberalization in much of the Third World, an increase in the South’s share of manufactured exports, and a switch in the composition of North–South trade, with the South shifting from an almost exclusive reliance on exporting primary products to exporting larger volumes and a wider range of manufactured goods. Once again, therefore, globalization waslinking continents with very different factor proportions, the South having substantially lower capital–labor ratios and less well-educated workforces than the North. The question which then arises is: will this recent globalization give rise to distributional shifts, in particular hurting unskilled workers in Northern economies? And if so, can we expect a political backlash on the lines of what happened during the late nineteenth century?

 

Comme nous l'avons vu, les années 80, et surtout les années 90, ont été d'une nature très différente, impliquant une libéralisation des échanges dans une grande partie du tiers monde, une augmentation de la part du Sud dans les exportations de produits manufacturés et un changement dans la composition du commerce Nord-Sud, le Sud passant d'une dépendance presque exclusive à l'égard de l'exportation de produits primaires à l'exportation de volumes plus importants et d'une gamme plus large de produits manufacturés. Une fois de plus, donc, la mondialisation relie des continents dont les proportions de facteurs sont très différentes, le Sud ayant des ratios capital-travail nettement inférieurs et une main-d'œuvre moins bien formée que le Nord. La question qui se pose alors est la suivante : cette mondialisation récente va-t-elle donner lieu à des changements dans la répartition, en particulier au détriment des travailleurs non qualifiés dans les économies du Nord ? Et si c'est le cas, peut-on s'attendre à un retour de bâton politique à l'instar de ce qui s'est passé à la fin du XIXe siècle ?

 

It is certainly true that there has been a distributional shift in rich countries against unskilled workers and in favor of the higher skilled, as the simple Heckscher–Ohlin trade theory we relied on in chapter 7 would predict. The U.S. experience is particularly well-known (and dramatic): between 1979 and 1995, real wages of workers with less than twelve years of education fell by 20.2%; real wages of workers with twelve years of education fell by 13.4%; real wages of workers with sixteen or seventeen years of education rose by 1.0%; and real wages of workers with eighteen years of education or more rose by 14% (Katz and Autor 1999, cited in Feenstra and Hanson 2004). 

 

Il est certainement vrai qu'il y a eu un changement de répartition dans les pays riches au détriment des travailleurs non qualifiés et en faveur des travailleurs plus qualifiés, comme le prévoyait la théorie simple du commerce de Heckscher-Ohlin sur laquelle nous nous sommes appuyés au chapitre 7. L'expérience américaine est particulièrement bien connue (et spectaculaire) : entre 1979 et 1995, les salaires réels des travailleurs ayant moins de douze ans d'études ont chuté de 20,2% ; les salaires réels des travailleurs ayant douze ans d'études ont chuté de 13,4% ; les salaires réels des travailleurs ayant seize ou dix-sept ans d'études ont augmenté de 1,0% ; et les salaires réels des travailleurs ayant dix-huit ans d'études ou plus ont augmenté de 14% (Katz et Autor 1999, cité dans Feenstra et Hanson 2004). 

 

However, international trade is just one possible cause of this rise in inequality. Technological change that was skill-using and unskilled-labor-saving would have precisely the same effect. Trying to distinguish between these two possibilities has given rise to a lively academic controversy. While much of the initial research suggested that trade has played only a small role in raising inequality, more recent work focusing on the role of imported intermediate inputs has generated larger estimates of the (negative) impact of trade on unskilled wages in rich countries.

Certainly, history shows that some of the arguments made in the context of the present debate do not hold water. Thus, the argument that trade is too small a share of GDP to have a significant effect on factor prices cannot be right, since trade was typically an even smaller share of GDP in the late nineteenth century, when as we have seen commodity price convergence led to substantial distributional shifts across the world. And besides, the evidence which we saw in chapter 9 suggests that the situationis evolving so rapidly thatit would be unwise to conclude too much about the future from evidence going back to the 1980s or even the 1970s, which is what of necessity most empirical studies to date have had to rely upon.

 

Cependant, le commerce international n'est qu'une des causes possibles de cette augmentation des inégalités. Un changement technologique qui utiliserait les compétences et épargnerait la main-d'œuvre non qualifiée aurait exactement le même effet. La tentative de distinction entre ces deux possibilités a donné lieu à une vive controverse universitaire. Alors qu'une grande partie de la recherche initiale suggérait que le commerce n'avait joué qu'un rôle mineur dans l'augmentation des inégalités, des travaux plus récents axés sur le rôle des intrants intermédiaires importés ont produit des estimations plus importantes de l'impact (négatif) du commerce sur les salaires des travailleurs non qualifiés dans les pays riches.

Certes, l'histoire montre que certains des arguments avancés dans le contexte du débat actuel ne tiennent pas la route. Ainsi, l'argument selon lequel le commerce représente une part trop faible du PIB pour avoir un effet significatif sur les prix des facteurs ne peut être fondé, puisque le commerce représentait généralement une part encore plus faible du PIB à la fin du XIXe siècle, lorsque, comme nous l'avons vu, la convergence des prix des produits de base a entraîné des modifications substantielles de la répartition à travers le monde. En outre, les éléments que nous avons vus au chapitre 9 suggèrent que la situation évolue si rapidement qu'il serait imprudent de tirer trop de conclusions sur l'avenir à partir d'éléments remontant aux années 1980 ou même aux années 1970, ce qui est nécessairement le cas de la plupart des études empiriques réalisées jusqu'à présent.

 

Even more relevant, perhaps, to the future of globalization is the fact that voters appear to hold opinions about trade that are precisely what would be predicted if trade were generating distributional changes in line with Heckscher–Ohlin theory. In a series of recent papers, authors such as Mayda and Rodrik (2005) and O’Rourke and Sinnott (2001) have shown that individual voter preferences are fully consistent with the predictions of Heckscher–Ohlin theory. That is, in rich (skillabundant) countries, unskilled workers are much more protectionist than skilled workers, but this effect gets weaker in poorer countries, and disappears (or even reverses) in the very poorest countries. If unskilled workers in rich countries believe that they are being hurt by international trade, this could by itself be sufficient to produce a backlash, even if these beliefs are not accurate.

 

Plus important encore, peut-être, pour l'avenir de la mondialisation est le fait que les électeurs semblent avoir des opinions sur le commerce qui correspondent précisément à ce que l'on pourrait prédire si le commerce générait des changements de distribution conformément à la théorie de Heckscher-Ohlin. Dans une série d'articles récents, des auteurs tels que Mayda et Rodrik (2005) et O'Rourke et Sinnott (2001) ont montré que les préférences individuelles des électeurs sont parfaitement compatibles avec les prévisions de la théorie de Heckscher-Ohlin. 

En d'autres termes, dans les pays riches (où les compétences sont abondantes), les travailleurs non qualifiés sont beaucoup plus protectionnistes que les travailleurs qualifiés, mais cet effet s'affaiblit dans les pays plus pauvres et disparaît (voire s'inverse) dans les pays les plus pauvres. Si les travailleurs non qualifiés des pays riches pensent qu'ils sont lésés par le commerce international, cela pourrait suffire à produire une réaction brutale, même si ces croyances ne sont pas exactes. 

(...)

 

Un thème central court tout au long du livre : la relation dynamique entre le pouvoir et l’économie. Les auteurs affirment que la prospérité économique et la puissance militaire ont souvent été indissociables, des États puissants utilisant leur puissance militaire pour protéger leurs intérêts économiques, tandis que les ressources économiques ont à leur tour soutenu leurs ambitions militaires. Le livre traite également du concept de "surtension impériale", où les États s’étendent au-delà de leurs moyens, ce qui conduit à un déclin, et de la façon dont la concurrence économique a entraîné des conflits tout au long de l’histoire.

 

(...)

"In the light of all these problems it would be foolish, as we noted earlier, to simply assume that the remarkable progress achieved by globalization in the last few decades will be sustained into the future. Setbacks and disruptions from unforeseen events such as wars, revolutions, and natural catastrophes are bound to occur, along with financial crises and trade conflicts generated more directly by the process of globalization itself. Such setbacks need not inevitably imply the collapse of globalization, however, as some commentators such as John Gray (1998) imply. As in all human affairs, the choices that individual human beings make will matter, for better and for worse.

 

À la lumière de tous ces problèmes, il serait insensé, comme nous l'avons noté précédemment, de simplement supposer que les progrès remarquables réalisés par la mondialisation au cours des dernières décennies se poursuivront à l'avenir. Des revers et des perturbations dus à des événements imprévus tels que des guerres, des révolutions et des catastrophes naturelles ne manqueront pas de se produire, de même que des crises financières et des conflits commerciaux générés plus directement par le processus de mondialisation lui-même. Toutefois, ces revers ne signifient pas nécessairement l'effondrement de la mondialisation, comme le laissent entendre certains commentateurs tels que John Gray (1998). Comme dans toutes les affaires humaines, les choix faits par les individus auront de l'importance, pour le meilleur et pour le pire.

 

"At the time of writing, a major short-run security threat seemed to be the mutual suspicion underlying relations between the West and the Muslim World. Preventing the violence in Israel, Palestine, Lebanon, and Iraq, as well as isolated terrorist attacks in the West, from degenerating into something more widespread and dangerous was the major immediate problem facing the world’s leaders. In the longer run, the gradual rise of India and China to their natural roles as major economic and political superpowers was not only the best news for global human welfare in a generation, but promised to raise a variety of geopolitical challenges which as yet remain unpredictable.

 

« Au moment de la rédaction de ce rapport, la suspicion mutuelle qui sous-tend les relations entre l'Occident et le monde musulman semblait constituer une menace majeure à court terme pour la sécurité. Empêcher la violence en Israël, en Palestine, au Liban et en Irak, ainsi que les attaques terroristes isolées en Occident, de dégénérer en quelque chose de plus répandu et de plus dangereux, tel était le principal problème immédiat auquel étaient confrontés les dirigeants du monde. À plus long terme, la montée progressive de l'Inde et de la Chine vers leur rôle naturel de superpuissances économiques et politiques n'est pas seulement la meilleure nouvelle pour le bien-être de l'humanité depuis une génération, mais elle promet de soulever toute une série de défis géopolitiques qui restent encore imprévisibles.

 

Indeed, history suggests that this could turn out to be the greatest geopolitical challenge facing the international system in the twentyfirst century, forin the past the world has foundit very difficult to adjust to the emergence of industrial “latecomers,” new powers eager to play an equal role with the dominant nations of the day. Thus, German unification and industrialization during the late nineteenth century led to tensions with Britain and France over colonial and armament policy, while Japan’s rise to regional prominence during the interwar period, and its search for secure sources of raw materials, ended in war against the United States and its allies. Both precedents are worrying in their implications for the twenty-first century, for similar questions are posed today, both in terms of the rights of emerging nations to rival the established powers’ military capabilities (notably with regard to nuclear weapons), and in terms of the strategic importance to countries like China of ready access to oil supplies.

 

En effet, l'histoire suggère qu'il pourrait s'agir du plus grand défi géopolitique auquel le système international sera confronté au XXIe siècle, car dans le passé, le monde a eu beaucoup de mal à s'adapter à l'émergence de « retardataires » industriels, de nouvelles puissances désireuses de jouer un rôle égal à celui des nations dominantes de l'époque. Ainsi, l'unification et l'industrialisation de l'Allemagne à la fin du XIXe siècle ont entraîné des tensions avec la Grande-Bretagne et la France au sujet de la politique coloniale et de l'armement, tandis que la montée en puissance régionale du Japon pendant l'entre-deux-guerres et sa recherche de sources sûres de matières premières se sont soldées par une guerre contre les États-Unis et leurs alliés. Ces deux précédents ont des implications inquiétantes pour le XXIe siècle, car des questions similaires se posent aujourd'hui, tant en ce qui concerne le droit des nations émergentes à rivaliser avec les capacités militaires des puissances établies (notamment en ce qui concerne les armes nucléaires), qu'en ce qui concerne l'importance stratégique, pour des pays comme la Chine, d'un accès rapide aux approvisionnements en pétrole.

(..)


L'interconnexion mondiale accrue de tous les individus, qu'emportent le pouvoir et l'économie, exacerbe les conflits culturels et civilisationnels, nous explique Samuel Huntington ("The Clash of Civilizations", 1996, "Who Are We?", 2004) : l'idée est que, pour tout être humain, il n'est de forme d'identité la plus élevée que l'appartenance à une "civilisation". Selon Huntington, plus large que l’identité nationale ou les groupes ethniques, les civilisations se différencient par des facteurs tels que l’histoire, la langue, la religion, les coutumes, les institutions et par l’auto-identification subjective des peuples qui la composent. Depuis notre entrée dans le monde de l’après-guerre froide, nous nous sommes de moins en moins identifier à des idéologies ou à des États-nations, et de plus en plus à nos civilisations respectives, particulièrement dans le contexte des interactions et des conflits mondiaux. Non seulement ces civilisations sont plus fondamentales et moins facilement conciliables que ce que nous observons en leur sein, mais surtout ceci implique qu'il n'existe aucune valeur commune permettant de nous comprendre les uns les autres au-delà de nos "frontières culturelles" respectives sur notre planète Terre ...

Et bien que la mondialisation facilite la communication et les échanges, Huntington croit qu’elle met également en évidence et intensifie les différences entre les civilisations, "les plus importants conflits à venir auront lieu le long des lignes de fracture culturelles qui séparent ces civilisations ...", ce qui pourrait mener à des conflits mondiaux plus importants dans l’avenir...

Bien des critiques crient à l'imposture et dénoncent de tels propos, imposture que penser que tout être humain est déterminé sans équivoque par sa "civilisation", danger que d'exacerber par de telles visions les comportements de rejets des uns envers les autres?

Certes, mais sur cette planète Terre que peuple l'être humain sans considération pour ce qu'est l'Autre, tout n'est que paradoxe : l'interconnexion mondiale suscite tout à la fois une grossière standardisation des comportements et du paraître, - sophistication du contexte matériel et technologique, approximation frustre du spirituel et de l'intellectuel-, et des conflits d'identités qui se cherchent et tentent de s'affirmer en quête d'un socle qui pourrait être bien ce qu'on appelle la "culture", mais de quelle "culture" s'agit-il?...


Samuel P. Huntington (1927–2008) 

Natif de New York, Huntington a poursuivi ses études à l’université de Yale, obtenu une maîtrise de l’université de Chicago et un doctorat de l’université Harvard. Sa carrière universitaire de Huntington est largement associée à Harvard, où il enseigne pendant plusieurs décennies et contribue de façon significative au domaine des sciences politiques. Il a été reconnu très tôt avec son livre "The Soldier and the State" (1957), qui examine les relations entre civils et militaires et demeure un travail de premier plan sur le terrain.

L’un de ses travaux les plus influents fut "Political Order in Changing Societies" (1968), qui remettait en question la théorie de la modernisation en affirmant que la stabilité politique est souvent plus importante que l’établissement d’institutions démocratiques dans les pays en développement. Il y soulignait l’importance de la solidité des institutions pour maintenir l’ordre dans les sociétés en mutation rapide. Le livre devint, dans un premier temps, une référence clé dans l’étude du développement politique et de la politique comparée, notamment pour comprendre les défis auxquels font face les pays en développement dans la réalisation de la stabilité politique.

 

On Political Stability :

"The most important political distinction among countries concerns not their form of government but their degree of government. The primary problem is not liberty but the creation of a legitimate public order. Men may, of course, have order without liberty, but they cannot have liberty without order."

On Modernization and Political Instability :

"The most dangerous periods of political instability are those of rapid social change combined with the slow development of political institutions. It is in these periods that the capacity of political systems to manage societal demands and the expectations of rising groups is stretched to the limit."

 

La thèse centrale de Huntington est donc que l’ordre politique et la stabilité sont plus importants que la simple existence d’institutions démocratiques. Pensée politique paradoxale mais qui ne peut être négligée. Elle fait valoir que les changements sociaux rapides et le développement économique conduisent souvent à une instabilité politique si les institutions politiques ne sont pas assez fortes pour gérer ces changements. Cette instabilité, ou "décadence politique", survient lorsque les systèmes politiques ne parviennent pas à s’adapter aux nouvelles exigences sociales.

Huntington est conduit à mettre met en évidence le fossé entre augmentation de la mobilisation sociale (les demandes croissantes de la population pour la participation et les avantages) et rythme plus lent du développement politique (la capacité des institutions à canaliser et gérer ces demandes). Lorsque cet écart s’élargit, les sociétés risquent de connaître l’instabilité politique, la violence et même la révolution.

D'où, pour Huntington, l’importance cruciale d’institutions politiques fortes et adaptables qui peuvent gérer le changement et maintenir l’ordre. Il définit l’institutionnalisation comme le processus par lequel les organisations et les procédures acquièrent stabilité et légitimité. Pour Huntington, l’ordre politique dépend du degré d’institutionnalisation plutôt que de la forme de gouvernement (démocratique ou autoritaire).

Selon Huntington, les partis politiques sont essentiels au processus d’institutionnalisation. Ils servent de véhicules pour la participation politique, intègrent des groupes sociaux divers et aident à gérer les conflits au sein d’une société. Les systèmes de partis faibles ou fragmentés sont considérés comme une cause majeure d’instabilité politique.

Et contrairement aux vues optimistes de nombreux théoriciens de la modernisation de l’époque, Huntington va soutenir que la modernisation ne mène pas nécessairement à la démocratie ou à la stabilité politique. Mais au contraire, que la modernisation, surtout lorsqu’elle se produit rapidement, peut déstabiliser les sociétés si elle n’est pas accompagnée du développement d’institutions politiques fortes.

Huntington introduit le bien singulier concept de "prétorianisme" (praetorianism), une condition dans laquelle les militaires ou d’autres groupes puissants interviennent en politique en raison de la faiblesse des institutions politiques. Dans ces sociétés, la politique est dominée par la force plutôt que par le consensus. conduisant à des coups d’État fréquents et à un régime autoritaire.

Huntington discute enfin de l’importance de la différenciation dans les systèmes politiques, soit du développement d’institutions spécialisées pour diverses fonctions du gouvernement. Il souligne également la nécessité pour les systèmes politiques de s’adapter à l’évolution des conditions sociales afin de maintenir la stabilité. Huntington conclut en critiquant le point de vue centré sur l’Occident selon lequel toutes les sociétés suivront un chemin linéaire vers la démocratie à mesure qu’elles se modernisent. Il fait valoir que différentes sociétés peuvent se développer selon des voies différentes et que le modèle occidental n’est pas universellement applicable...


"No Easy Choice : Political Participation in Developing Countries", Samuel P. Huntington 1976

"No Easy Choice", publié en 1968, reflète les préoccupations de Huntington à propos des risques que comporterait tout changement politique rapide dans les pays en développement. Il souligne la nécessité de disposer d’institutions politiques fortes pour gérer les pressions de la modernisation et soutient que la participation politique, bien qu’elle soit souhaitable, doit être soigneusement contrôlée afin d’éviter l’instabilité. Une vision, dit-on, réaliste mais pessimiste du développement politique dans un contexte dont on connaît la complexité et les difficultés d'interprétation dès lors que nous y posons notre regard d'occidental. 

Et bien que « No Easy Choice » n’ait pas suscité autant de controverse que certaines des autres œuvres de Huntington (tel que « The Clash of Civilizations »), - ce qui semble singulier compte tenu du sujet -,  il a néanmoins suscité des débats dans bien des domaines, ne serait-ce que parce que le travail de Huntington a influencé la politique étrangère des É.-U. et plus particulièrement la géopolitique de la guerre froide. Ses idées sur les dangers d’une participation politique rapide ont parfois été utilisées pour justifier le soutien aux régimes autoritaires dans les pays en développement, que les É.-U. considéraient comme des remparts contre le communisme.  

Sources de débats, de même, les hypothèses normatives de Huntington sur ce qui constitue un système politique "développé" et ses vues sur les résultats souhaités de la participation politique. Faut-il aligner tout l’objectif du développement politique sur le modèle de la démocratie libérale de style occidental ou ne peut-on envisager, ou du moins tenter d'envisager, d’autres formes de gouvernance qui pourraient être plus appropriées pour différents contextes culturels et historiques?

 

L’approche de Huntington dans "No Easy Choice" puise dans la théorie de la modernisation, qui postule que le développement économique mène au développement politique, souvent dans une progression linéaire vers la démocratie. Cette perspective a été critiquée par bien des chercheurs qui ont soutenu qu’elle simplifiait à outrance la relation entre le changement économique et politique et négligeait les contextes culturels, historiques et sociaux uniques des pays en développement. 

Mais on peut sans doute répondre que ce qui semble préoccuper Huntington dans ce qu'il appelle le dilemme de la modernisation auquel sont confrontés les pays en développement, c'est que la modernisation entraîne inéluctablement une demande plus forte de participation politique : des demandes qui peuvent être déstabilisantes si elles se produisent plus rapidement que le développement des institutions politiques. Ainsi, tente-t-il, sans véritable jugement péremptoire, de mettre en évidence la tension entre le besoin de participation et le besoin d’ordre, suggérant qu’il n’y a pas de choix facile entre eux...

Quant à l'argument de Huntington selon lequel une participation politique accrue dans les pays en développement pourrait entraîner une instabilité, elle est sujet à controverse. Il a laissé en effet entendre que la participation politique prématurée ou excessive pourrait déstabiliser les systèmes politiques fragiles, conduisant à l’autoritarisme ou aux coups d’état militaires. Une  vision qui semble soutenir implicitement les régimes autoritaires en décourageant la participation populaire et le pluralisme politique au nom de la stabilité. On peut souligner qu'un des thèmes clés de la position de Huntington est l’importance qu'il attribue à l’institutionnalisation dans la gestion de la participation politique. Il soutient ainsi que sans institutions solides et stables, une participation politique accrue peut mener au chaos et à l’agitation. Pour Huntington, le développement des institutions politiques doit aller de pair avec les efforts visant à accroître la participation afin que celle-ci contribue à la stabilité plutôt qu’au désordre. Dans ce contexte, les partis politiques sont considérés comme essentiels au processus d’intégration de nouveaux groupes sociaux dans le système politique et à la gestion de la participation d’une manière qui contribue à la stabilité. Huntington avertit donc que, en l’absence d’institutions fortes, une participation politique accrue peut conduire à un "prétorianisme", où les militaires ou d’autres groupes puissants dominent la politique, conduisant souvent à des régimes autoritaires. Cela est particulièrement probable dans les sociétés où les institutions politiques sont faibles ou sous-développées.

 Enfin, de fait, on a pu aisément reprocher à Huntington son ethnocentrisme, arguant que son cadre était fortement biaisé en faveur des modèles occidentaux de développement et de participation politique. Mais c'est la prudence qui autorise semble-t-il Huntington à faire valoir que dans certains cas, il peut être nécessaire de limiter temporairement la participation pour laisser le temps au développement d’institutions solides. La question qui reste pendante est sans doute de savoir si toute démocratisation peut avoir besoin d’être progressive et contrôlée...


"The Third Wave : Democratization in the Late Twentieth Century", Samuel P. Huntington, 1991

"La troisième vague", célèbre et si controversé en son temps, porte sur le mouvement de démocratisation qui s'est opéré du milieu des années 1970 au début des années 1990, et que Samuel P. Huntington distingue des vagues précédentes dans l’histoire du monde. Trois vagues donc successives sont ainsi mises en perspective : une première vague (1828-1926), - caractérisée par une démocratisation progressive, à partir du début du XIXe siècle, principalement en Europe occidentale et en Amérique du Nord; une deuxième vague (1943-1962), survenue après la Seconde Guerre mondiale, une vague qui a vu l’établissement de démocraties dans des pays qui avaient été vaincus par la guerre, ainsi que dans d’anciennes colonies européennes. La métaphore des vagues aide sans doute à comprendre les grandes tendances et les modèles mondiaux, même si elle ne peut pas capturer toutes les nuances...

Enfin, cette fameuse "troisième vague" (1974-1990), qui débute avec la révolution des œillets au Portugal en 1974, puis s’étend à l’Europe du Sud, à l’Amérique latine, à l’Asie et plus tard à certaines parties de l’Europe de l’Est et de l’Afrique. Huntington va se concentrer sur cette période, en explorant les raisons de son apparition, sa propagation et ses implications pour la politique mondiale.

 

Le passage suivant introduit le concept de "third wave" et entend poser les bases pour comprendre le phénomène plus global de la démocratisation mondiale : "A wave of democratization is a group of transitions from nondemocratic to democratic regimes that occur within a specified period of time and that significantly out number transitions in the opposite direction during that period of time" (Une vague de démocratisation est un groupe de transitions de régimes non démocratiques vers des régimes démocratiques qui se produisent au cours d'une période donnée et qui sont beaucoup plus nombreuses que les transitions en sens inverse au cours de cette période).

"The causes of the third wave of democratization are complex and multifaceted. They include the legitimacy problems of authoritarian regimes, economic development, changes in the international environment, and the demonstration effect of transitions elsewhere." Plusieurs facteurs ont contribué à cette troisième vague : l’érosion de la légitimité des régimes autoritaires due à une mauvaise performance économique et au manque de liberté politique; la revendication d'une participation politique accrue compte tenu de l'augmentation des niveaux d’éducation et de revenu et de l’émergence d’une classe moyenne; le rôle de l’Église catholique, en particulier après le Concile Vatican II, qui a soutenu les droits de la personne et les valeurs démocratiques; le rôle des acteurs internationaux, dont les États-Unis, la Communauté européenne et le déclin de l’Union soviétique, dans la promotion de la démocratie; enfin, un effet d'entraînement global, le succès de la démocratisation dans un pays inspirant des mouvements dans les pays voisins.

Outre l’accent mis par sur les facteurs culturels dans les processus de démocratisation, au détriment, lui a-t-on reproché, de l’importance des facteurs économiques, sociaux et politiques, Huntington attribue aux élites politiques un rôle fondamental dans la conduite du changement démocratique : sous-estimant sans doute le rôle des mouvements populaires et de la société civile.

 

"While the spread of democracy in the third wave is impressive, it is not irreversible. Authoritarianism may return where democratic institutions are fragile or where democracy does not meet the people's expectations" - Mais si cette troisième vague a provoqué des transitions démocratiques importantes, Huntington souligne également les défis à relever pour soutenir par la suite ce phénomène, tels que les crises économiques, la corruption politique et la montée du populisme. Il met ainsi en garde contre le risque de régression qui peuvent toujours frapper l'un ou l'autre des pays nouvellement acquis à la démocratie. Des facteurs culturels et régionaux sont ici à prendre en compte. Et l'auteur d'analyser les différences culturelles et régionales pouvant affecter le processus de démocratisation. 

Huntington soutient que si la démocratie peut s’enraciner dans diverses cultures, le processus et la stabilité de la démocratie peuvent varier en fonction des contextes historiques, culturels et sociaux ("The limits of cultural obstacles - Conceivably Islamic and Confucian cultures pose insuperable obstacles to democratic development. Several reasons exist, however, to question the severity of these obstacles.")

Et dans ce cadre, Huntington met l’accent sur l’impact des influences mondiales, en particulier le rôle des acteurs externes dans le soutien aux efforts de démocratisation, qui est un thème clé tout au long du livre : "External actors, including powerful democratic states, international organizations, and transnational movements, played a significant role in promoting and sustaining democratic transitions during the third wave".

Il conclut en considérant l’avenir de la démocratie mondiale et reconnaît que la troisième vague a fait de la démocratie une norme mondiale, mais qu’elle n’est pas irréversible. L’avenir de la démocratisation dépend de la capacité des nouvelles démocraties à s’attaquer aux problèmes sociaux et économiques, à maintenir la stabilité politique et à résister aux défis autoritaires ...

Un ouvrage qui continue d’être l’objet de débats et de critiques, reflétant les complexités et la nature évolutive de la politique mondiale...

(...)

"Formidable obstacles to the expansion of democracy exist in many societies. The third wave, the "global democratic revolution" of the late twentieth century, will not last forever. It may be followed by a new surge of authoritarianism constituting a third reverse wave.

That, however, would not preclude a fourth wave of democratization developing some time in the twenty-first century. Judging by the past record, the two key factors affecting the future stability and expansion of democracy are economic development and political leadership.

 

De nombreux pays sont confrontés à des obstacles redoutables à l’expansion de la démocratie. La troisième vague, la "révolution démocratique mondiale" de la fin du XXe siècle, ne durera pas éternellement. Elle peut être suivie par une nouvelle vague d’autoritarisme constituant une troisième vague inverse. Cela n’empêcherait pas, cependant, une quatrième vague de démocratisation qui se développerait quelque temps au cours du XXIe siècle. À en juger par les résultats passés, les deux facteurs clés qui influent sur la stabilité future et l’expansion de la démocratie sont le développement économique et le leadership politique.

 

Most poor societies will remain undemocratic so long as they remain poor. Poverty, however, is not inevitable. In the past, nations such as South Korea were assumed to be mired in economic backwardness and then have astonished the world by their ability to become prosperous quickly. (...) Two cautions, however, are necessary. First, economic development for the very late developing countries, meaning largely Africa, may well be more difficult than it was for earlier developers because the advantages of backwardness are outweighed by the widening and historically unprecedented gap between rich countries and poor countries. Second, new forms of authoritarianism could emerge that are suitable for wealthy, information-dominated, technologybased societies. If possibilities such as these do not materialize, economic development should create the conditions for the progressive replacement of authoritarian political systems by democratic ones. Time is on the side of democracy.

 

La plupart des sociétés pauvres resteront non démocratiques tant qu’elles demeureront pauvres. Cependant, la pauvreté n’est pas inévitable. Par le passé, on supposait que des nations comme la Corée du Sud étaient plongées dans un retard économique et qu’elles ont ensuite étonné le monde de leur capacité à devenir rapidement prospères. (...) Deux mises en garde sont toutefois nécessaires. Premièrement, le développement économique des pays en développement très tardifs, c’est-à-dire essentiellement l’Afrique, Il est probable que la situation sera plus difficile que pour les promoteurs précédents, car les avantages du retard sont compensés par l’écart grandissant et historiquement sans précédent entre les pays riches et les pays pauvres. Deuxièmement, de nouvelles formes d’autoritarisme pourraient émerger qui conviennent aux sociétés riches, dominées par l’information et basées sur la technologie. Si de telles possibilités ne se matérialisent pas, le développement économique devrait créer les conditions pour le remplacement progressif des systèmes politiques autoritaires par des systèmes démocratiques. Le temps joue en faveur de la démocratie.

 

Economic development makes democracy possible; political leadership makes it real. For democracies to come into being, future political elites will at a minimum have to believe that democracy is the least worse form of government for their societies and for themselves. They will also have to have the skills to bring about the transition to democracy against both radicals and standpatters who inevitably will exist and who persistently will attempt to undermine their efforts. Democracy will spread in the world to the extent that those who exercise power in the world and in individual countries want it to spread. 

 

Le développement économique rend la démocratie possible ; le leadership politique la rend réelle. Pour que les démocraties voient le jour, les futures élites politiques devront au minimum être convaincues que la démocratie est la forme de gouvernement la moins pire pour leur société et pour elles-mêmes. Elles devront également avoir les compétences nécessaires pour mener à bien la transition vers la démocratie face aux radicaux et aux partisans de l'immobilisme qui existeront inévitablement et qui tenteront obstinément de saper leurs efforts. La démocratie se répandra dans le monde dans la mesure où ceux qui exercent le pouvoir dans le monde et dans les différents pays le souhaitent. 

 

For a century and a half after Tocqueville observed the emergence of modem democracy in America, successive waves of democratization washed up on the shore of dictatorship. Buoyed by a rising tide of economic progress, each wave advanced further and ebbed less than its predecessor. History, to shift the metaphor, does not move forward in a straight line, but when skilled and determined leaders push, it does move forward."


"The Clash of Civilizations and the Remaking of World Order", Samuel P. Huntington, Samuel P. Huntington, 1996.

 "Le choc des civilisations et la reconstruction de l’ordre mondial" s’appuie sur l’article de 1993 de Huntington dans Foreign Affairs, où il soutient que la principale source de conflit dans le monde d’après-guerre froide sera culturelle plutôt qu’idéologique ou économique.

Sa thèse selon laquelle les différences culturelles et de civilisation, plutôt que les différences idéologiques ou économiques, seront la principale source de conflit a suscité un vaste débat et demeure pertinente dans les discussions contemporaines sur la politique mondiale. Le livre conteste la notion d’un monde univoque  et met l’accent sur le pouvoir durable des identités culturelles dans la formation des relations internationales. On sait qu'au lendemain des attentats du 11 septembre 2001, le livre connut aux Etats-Unis une réimpression conséquente ...

 

The Clash of Civilizations? Les futurs conflits mondiaux ne naîtront pas, nous dit Huntington, de différences idéologiques ou économiques, mais de conflits culturels et civilisationnels. Il identifie plusieurs grandes civilisations, 

- Western Civilization (Europe, North America, and Australasia)

- Sinic Civilization (China and the Chinese cultural sphere)

- Islamic Civilization (The Muslim world)

- Hindu Civilization (India and Nepal)

- Orthodox Civilization (Russia and Eastern Europe)

- Latin American Civilization (Central and South America)

- African Civilization (Sub-Saharan Africa, though Huntington was less certain about this as a distinct civilization)

- Japanese Civilization (Japan)

Ce faisant, les civilisations telles que nous les représentent l'auteur (selon Huntington, les civilisations se différencient par des facteurs tels que l’histoire, la langue, la religion, les coutumes, les institutions et par l’auto-identification subjective des peuples qui la composent), semblent ne pas tenir compte de la nature dynamique et évolutive de la plupart des cultures. Huntington soutient ensuite que les conflits les plus importants se produiront le long des "lignes de faille" (fault lines) où ces civilisations se rencontrent, en particulier entre l’Occident et l’Islam. Il voit ces frontières culturelles comme les nouvelles frontières des conflits à venir dans la politique mondiale. Pourtant les conflits de l'après-guerre froide ont été motivés, soutiennent les détracteurs de cette thèse, par des facteurs politiques, économiques ou locaux plutôt que par de larges affrontements entre civilisations, l'hypothèse n'est donc pas acquise. D'autant que l’importance des conflits au sein des civilisations est loin d'être négligeable, tels que le printemps arabe ou les guerres yougoslaves, qui ont été largement motivés par des divisions internes politiques et ethniques.

 

On Civilizational Identity, A MULTIPOLAR, MULTICIVILIZATIONAL WORLD ...

"... In the late 1980s the communist world collapsed, and the Cold War international system became history. In the post-Cold War world, the most important distinctions among peoples are not ideological, political, or economic. They are cultural. Peoples and nations are attempting to answer the most basic question humans can face: Who are we? And they are answering that question in the traditional way human beings have answered it, by reference to the things that mean most to them. People define themselves in terms of ancestry, religion, language, history, values, customs, and institutions. They identify with cultural groups: tribes, ethnic groups, religious communities, nations, and, at the broadest level, civilizations. People use politics not just to advance their interests but also to define their identity. We know who we are only when we know who we are not and often only when we know whom we are against.

Nation states remain the principal actors in world affairs. Their behavior is shaped as in the past by the pursuit of power and wealth, but it is also shaped by cultural preferences, commonalities, and differences. The most important groupings of states are no longer the three blocs of the Cold War but rather the world’s seven or eight major civilizations (Map 1.3). Non Western societies, particularly in East Asia, are developing their economic wealth and creating the basis for enhanced military power and political influence. As their power and self-confidence increase, non-Western societies increasingly assert their own cultural values and reject those “imposed” on them by the West. The “international system of the twenty first century,” Henry Kissinger has noted, “… will contain at least six major powers — the United States, Europe, China, Japan, Russia, and probably India — as well as a multiplicity of medium-sized and smaller countries.”

 

« À la fin des années 1980, le monde communiste s'est effondré et le système international de la guerre froide est entré dans l'histoire. Dans le monde de l'après-guerre froide, les distinctions les plus importantes entre les peuples ne sont pas idéologiques, politiques ou économiques. Elles sont culturelles. Les peuples et les nations tentent de répondre à la question la plus fondamentale à laquelle l'homme puisse être confronté : Qui sommes-nous ? Et ils répondent à cette question de la manière traditionnelle dont les êtres humains y ont répondu, en se référant aux choses qui comptent le plus pour eux. Les gens se définissent en termes d'ascendance, de religion, de langue, d'histoire, de valeurs, de coutumes et d'institutions. Ils s'identifient à des groupes culturels : tribus, groupes ethniques, communautés religieuses, nations et, au niveau le plus large, civilisations. Les gens utilisent la politique non seulement pour promouvoir leurs intérêts, mais aussi pour définir leur identité. Nous ne savons qui nous sommes que lorsque nous savons qui nous ne sommes pas et, souvent, uniquement lorsque nous savons contre qui nous sommes.

Les États-nations restent les principaux acteurs des affaires mondiales. Leur comportement est façonné, comme par le passé, par la recherche du pouvoir et de la richesse, mais aussi par des préférences culturelles, des points communs et des différences. Les groupements d'États les plus importants ne sont plus les trois blocs de la guerre froide, mais plutôt les sept ou huit grandes civilisations du monde (carte 1.3). Les sociétés non occidentales, en particulier en Asie de l'Est, développent leur richesse économique et jettent les bases d'une puissance militaire et d'une influence politique accrues. À mesure que leur pouvoir et leur confiance en soi augmentent, les sociétés non occidentales affirment de plus en plus leurs propres valeurs culturelles et rejettent celles qui leur sont « imposées » par l'Occident. Le « système international du XXIe siècle », a noté Henry Kissinger, « ... comprendra au moins six grandes puissances - les États-Unis, l'Europe, la Chine, le Japon, la Russie et probablement l'Inde - ainsi qu'une multiplicité de pays de taille moyenne et de pays plus petits ».

 

Kissinger’s six major powers belong to five very different civilizations, and in addition there are important Islamic states whose strategic locations, large populations, and/or oil resources make them influential in world affairs. In this new world, local politics is the politics of ethnicity; global politics is the politics of civilizations. The rivalry of the superpowers is replaced by the clash of civilizations.

 

Les six grandes puissances de Kissinger appartiennent à cinq civilisations très différentes, auxquelles s'ajoutent d'importants États islamiques dont la situation stratégique, l'importance de la population et/ou les ressources pétrolières les rendent influents dans les affaires mondiales. Dans ce nouveau monde, la politique locale est la politique de l'ethnicité ; la politique mondiale est la politique des civilisations. La rivalité des superpuissances est remplacée par le choc des civilisations.

 

In this new world the most pervasive, important, and dangerous conflicts will not be between social classes, rich and poor, or other economically defined groups, but between peoples belonging to different cultural entities. Tribal wars and ethnic conflicts will occur within civilizations. Violence between states and groups from different civilizations, however, carries with it the potential for escalation as other states and groups from these civilizations rally to the support of their “kin countries.”

 

Dans ce nouveau monde, les conflits les plus répandus, les plus importants et les plus dangereux n'opposeront pas des classes sociales, des riches et des pauvres ou d'autres groupes économiquement définis, mais des peuples appartenant à des entités culturelles différentes. Les guerres tribales et les conflits ethniques se produiront au sein des civilisations. La violence entre États et groupes de civilisations différentes comporte toutefois un risque d'escalade, car d'autres États et groupes de ces civilisations se rallieront au soutien de leurs « pays frères ».

 

The bloody clash of clans in Somalia poses no threat of broader conflict. The bloody clash of tribes in Rwanda has consequences for Uganda, Zaire, and Burundi but not much further. The bloody clashes of civilizations in Bosnia, the Caucasus, Central Asia, or Kashmir could become bigger wars. In the Yugoslav conflicts, Russia provided diplomatic support to the Serbs, and Saudi Arabia, Turkey, Iran, and Libya provided funds and arms to the Bosnians, not for reasons of ideology or power politics or economic interest but because of cultural kinship. “Cultural conflicts,” Vaclav Havel has observed, “are increasing and are more dangerous today than at any time in history,” and Jacques Delors agreed that “future conflicts will be sparked by cultural factors rather than economics or ideology.”

 

L'affrontement sanglant entre clans en Somalie ne menace pas de déclencher un conflit plus large. L'affrontement sanglant de tribus au Rwanda a des conséquences pour l'Ouganda, le Zaïre et le Burundi, mais pas beaucoup plus loin. Les conflits sanglants entre civilisations en Bosnie, dans le Caucase, en Asie centrale ou au Cachemire pourraient devenir des guerres plus importantes. Dans les conflits yougoslaves, la Russie a apporté un soutien diplomatique aux Serbes et l'Arabie saoudite, la Turquie, l'Iran et la Libye ont fourni des fonds et des armes aux Bosniaques, non pas pour des raisons idéologiques, de politique de puissance ou d'intérêt économique, mais pour des raisons de parenté culturelle. « Les conflits culturels », a observé Vaclav Havel, “augmentent et sont plus dangereux aujourd'hui qu'à n'importe quel moment de l'histoire”, et Jacques Delors a convenu que “les conflits futurs seront déclenchés par des facteurs culturels plutôt que par l'économie ou l'idéologie”.

 

And the most dangerous cultural conflicts are those along the fault lines between civilizations.

In the post-Cold War world, culture is both a divisive and a unifying force. People separated by ideology but united by culture come together, as the two Germanys did and as the two Koreas and the several Chinas are beginning to. Societies united by ideology or historical circumstance but divided by civilization either come apart, as did the Soviet Union, Yugoslavia, and Bosnia, or are subjected to intense strain, as is the case with Ukraine, Nigeria, Sudan, India, Sri Lanka, and many others. Countries with cultural affinities cooperate economically and politically.

International organizations based on states with cultural commonality, such as the European Union, are far more successful than those that attempt to transcend cultures. For forty-five years the Iron Curtain was the central dividing line in Europe. That line has moved several hundred miles east. It is now the line separating the peoples of Western Christianity, on the one hand, from Muslim and Orthodox peoples on the other.

 

Et les conflits culturels les plus dangereux sont ceux qui se situent le long des lignes de fracture entre les civilisations. Dans le monde de l'après-guerre froide, la culture est à la fois une force de division et d'unification. Les peuples séparés par l'idéologie mais unis par la culture s'unissent, comme l'ont fait les deux Allemagnes et comme commencent à le faire les deux Corées et les différentes Chinas. Les sociétés unies par l'idéologie ou les circonstances historiques mais divisées par la civilisation se désagrègent, comme l'Union soviétique, la Yougoslavie et la Bosnie, ou sont soumises à d'intenses tensions, comme c'est le cas de l'Ukraine, du Nigeria, du Soudan, de l'Inde, du Sri Lanka et de bien d'autres pays. Les pays ayant des affinités culturelles coopèrent économiquement et politiquement.

Les organisations internationales fondées sur des États ayant des points communs culturels, comme l'Union européenne, sont beaucoup plus efficaces que celles qui tentent de transcender les cultures. Pendant quarante-cinq ans, le rideau de fer a été la principale ligne de démarcation en Europe. Cette ligne s'est déplacée de plusieurs centaines de kilomètres vers l'est. C'est désormais la ligne qui sépare les peuples de la chrétienté occidentale, d'une part, des peuples musulmans et orthodoxes, d'autre part.

 

The philosophical assumptions, underlying values, social relations, customs, and overall outlooks on life differ significantly among civilizations. The revitalization of religion throughout much of the world is reinforcing these cultural differences. Cultures can change, and the nature of their impact on politics and economics can vary from one period to another. Yet the major differences in political and economic development among civilizations are clearly rooted in their different cultures. East Asian economic success has its source in East Asian culture, as do the difficulties East Asian societies have had in achieving stable democratic political systems. Islamic culture explains in large part the failure of democracy to emerge in much of the Muslim world. Developments in the postcommunist societies of Eastern Europe and the former Soviet Union are shaped by their civilizational identities. Those with Western Christian heritages are making progress toward economic development and democratic politics; the prospects for economic and political development in the Orthodox countries are uncertain; the prospects in the Muslim republics are bleak.

 

Les hypothèses philosophiques, les valeurs sous-jacentes, les relations sociales, les coutumes et les perspectives générales sur la vie diffèrent considérablement d'une civilisation à l'autre. La revitalisation de la religion dans une grande partie du monde renforce ces différences culturelles. Les cultures peuvent changer et la nature de leur impact sur la politique et l'économie peut varier d'une période à l'autre. Cependant, les principales différences de développement politique et économique entre les civilisations sont clairement enracinées dans leurs cultures respectives. Le succès économique de l'Asie de l'Est trouve sa source dans la culture de cette région, tout comme les difficultés rencontrées par les sociétés de cette région pour mettre en place des systèmes politiques démocratiques stables. La culture islamique explique en grande partie l'échec de l'émergence de la démocratie dans une grande partie du monde musulman. L'évolution des sociétés postcommunistes d'Europe de l'Est et de l'ex-Union soviétique est déterminée par leur identité civilisationnelle. Celles qui ont un héritage chrétien occidental progressent vers le développement économique et la politique démocratique ; les perspectives de développement économique et politique dans les pays orthodoxes sont incertaines ; les perspectives dans les républiques musulmanes sont sombres.

 

The West is and will remain for years to come the most powerful civilization. Yet its power relative to that of other civilizations is declining. As the West attempts to assert its values and to protect its interests, nonWestern societies confront a choice. Some attempt to emulate the West and to join or to “bandwagon” with the West. Other Confucian and Islamic societies attempt to expand their own economic and military power to resist and to “balance” against the West. A central axis of post-Cold War world politics is thus the interaction of Western power and culture with the power and culture of non-Western civilizations.

In sum, the post-Cold War world is a world of seven or eight major civilizations. Cultural commonalities and differences shape the interests, antagonisms, and associations of states. The most important countries in the world come overwhelmingly from different civilizations. The local conflicts most likely to escalate into broader wars are those between groups and states from different civilizations. The predominant patterns of political and economic development differ from civilization to civilization. 

The key issues on the international agenda involve differences among civilizations. Power is shifting from the long predominant West to non-Western civilizations. Global politics has become multipolar and multicivilizational..."

 

L'Occident est et restera pendant des années encore la civilisation la plus puissante. Pourtant, sa puissance par rapport à celle des autres civilisations est en déclin. Alors que l'Occident tente d'affirmer ses valeurs et de protéger ses intérêts, les sociétés non occidentales sont confrontées à un choix. Certaines tentent d'imiter l'Occident et de se joindre à lui ou de le suivre. D'autres sociétés confucéennes et islamiques tentent de développer leur propre puissance économique et militaire afin de résister à l'Occident et de « faire contrepoids ». L'un des axes centraux de la politique mondiale de l'après-guerre froide est donc l'interaction entre le pouvoir et la culture de l'Occident et le pouvoir et la culture des civilisations non occidentales.

En résumé, le monde de l'après-guerre froide est un monde de sept ou huit grandes civilisations. Les points communs et les différences culturelles façonnent les intérêts, les antagonismes et les associations d'États. Les pays les plus importants du monde sont pour la plupart issus de civilisations différentes. Les conflits locaux les plus susceptibles de dégénérer en guerres plus vastes sont ceux qui opposent des groupes et des États de civilisations différentes. Les modèles prédominants de développement politique et économique diffèrent d'une civilisation à l'autre. 

Les principales questions à l'ordre du jour international impliquent des différences entre les civilisations. Le pouvoir passe de l'Occident, longtemps prédominant, aux civilisations non occidentales. La politique mondiale est devenue multipolaire et multicivilisationnelle... »

(...)

 

"The West won the world not by the superiority of its ideas or values or religion, but rather by its superiority in applying organized violence. Westerners often forget this fact; non-Westerners never do."

Première perspective dans ce contexte, le "déclin de l’Occident" : Huntington note que la civilisation occidentale, bien qu’encore dominante, fait face à un déclin de sa puissance relative à mesure que d’autres civilisations s’élèvent. Ce changement dans l’équilibre des pouvoirs mondiaux conduit à un monde où les civilisations non occidentales affirment de plus en plus leur indépendance culturelle et politique. 

Seconde perspective, la" résurgence de l’Islam" (Islamic resurgence) comme force significative dans la politique mondiale. Une analyse de l’islamisme enracinée dans une thèse plus large sur l’inévitabilité des affrontements culturels et civilisationnels dans un monde globalisé. Huntington discute ainsi de la façon dont la croissance de l’identité islamique, couplée aux changements démographiques et politiques, conduit à un "choc" potentiel avec l’Occident et d’autres civilisations. Cette notion de "résurgence islamique" fait en effet référence à la renaissance de l’identité, des valeurs et du pouvoir politique islamiques dans de nombreux pays à majorité musulmane au cours de la seconde moitié du XXe siècle : une résurgence qui traduit une réaction à l'encontre de l’occidentalisation et un désir, celui de revenir aux principes et à la gouvernance islamiques traditionnels.  Huntington considère ainsi l’islamisme comme un défi important pour l’Occident, notamment parce qu’il représente une alternative idéologique et civilisationnelle à la démocratie libérale occidentale. (Les vues de Huntington sur l’islamisme et la civilisation islamique ont été à la fois influentes et controversées : sa représentation de l’islamisme comme étant intrinsèquement conflictuel avec l’Occident est considérée par trop simpliste et déterministe, notamment l’une de ses idées les plus controversées est le concept des "frontières sanglantes de l’islam" (bloody borders) pour traduire le fait que  Il soutient que la civilisation islamique aurait eu des conflits plus fréquents et intenses avec d’autres civilisations, en particulier l’Occident, en raison de différences culturelles et religieuses profondément enracinées. Au final, il semble négliger la diversité au sein du monde islamique et le potentiel de coopération et de coexistence entre les sociétés islamiques et occidentales).

 

Huntington critique donc la croyance occidentale dans l’universalisation de ses valeurs, telles que la démocratie et les droits de l’homme et affirme que celle-ci n'aboutit en fin de compte qu'à dresser contre l'Occident d’autres civilisations qui ne partagent pas ces valeurs.

L’ouvrage introduit l’idée que les pays appartenant à une même civilisation (The Kin-Country Syndrome) sont susceptibles de se rassembler dans des conflits, formant des blocs basés sur la parenté culturelle. Ce phénomène pourrait conduire à des conflits plus vastes, fondés sur la civilisation plutôt qu’à des différends nationaux isolés.

 

Quelle politique mondiale est possible dans un monde multicivilisationnel (Multicivilizational World) : Huntington envisage un avenir où la politique mondiale est façonnée par les interactions entre diverses civilisations, chacune poursuivant ses propres intérêts et valeurs. Il suggère que la compréhension et la gestion de ces différences entre les civilisations seront cruciales pour maintenir la paix et la stabilité mondiales. Il est donc nécessaire  que l’Occident reconnaisse les limites de son influence et décide d'œuvrer pour un ordre mondial qui respecte la diversité culturelle et permet une coexistence pacifique entre les différentes civilisations. Si Huntington souligne l’inévitabilité des affrontements entre civilisations en raison de différences culturelles profondément ancrées, exacerbées par la mondialisation, il reste totalement sceptique quant à la capacité d’une puissance unique, y compris les États-Unis, d’imposer un ordre mondial uniforme compte tenu de ces divisions fondamentales, ce qui le différencie nettement des positions d'un Robert Kagan, le grand penseur néo-conservateur et un ardent défenseur de l’idée d’une primauté américaine dans les affaires mondiales ("Of Paradise and Power: America and Europe in the New World Order", 2003; "Dangerous Nation: America's Place in the World from Its Earliest Days to the Dawn of the Twentieth Century", 2006; "The World America Made", 2012). Ce faisant, la thèse de Huntington n'aboutit-elle pas à remettre fondamentalement en question le concept même du multiculturalisme et la possibilité d’une coexistence harmonieuse dans des sociétés diversifées?


"Who Are We?: The Challenges to America’s National Identity", Samuel P. Huntington, 2004

"Qui sommes-nous" explore la nature évolutive de l’identité nationale américaine et les défis auxquels elle doit faire face au XXIe siècle. Huntington examine les fondements historiques de l’identité américaine et met en garde contre les menaces que peuvent représenter pour cette identité divers changements sociaux, culturels et politiques, dont la mondialisation,  l’immigration et le multiculturalisme. Des forces bien réelles menacent de miner les valeurs fondamentales et l’unité des États-Unis. L'analyse est comme toujours controversée et provocatrice, mais a le mérite, une fois de plus, de soulever des questions importantes, ici au sujet de l’équilibre entre la diversité et l’unité dans un État-nation moderne, son identité nationale et sa stratégie d'intégration culturelle ...

"A nation is a body of people who feel that they are a nation. National identity is a product of a nation's history and its culture, and it is sustained by institutions that transmit that culture to succeeding generations." - Huntington commence par définir ce qu’il considère comme les composantes centrales de l’identité nationale américaine celle-ci est traditionnellement fondée sur la culture anglo-protestante, qui comprend la langue anglaise, les valeurs protestantes, l’individualisme, le droit et un engagement envers la liberté personnelle et civique. (Bien des critiques reprocheront à Huntington sa vision monolithique de l'identité américaine, centrée autour de la culture anglo-protestante, perspective ignorant la nature multiculturelle et multiethnique des États-Unis et les contributions importantes d’autres cultures à la société américaine contemporaine).

Or, selon l'auteur, cette identité est en train d’être érodée par plusieurs facteurs, dont la diversité culturelle croissante, la mondialisation et l’influence du multiculturalisme. L’affaiblissement d’une identité nationale unifiée, selon lui, mène à la destruction de la cohésion sociale et du tissu même de la société américaine.

Une partie importante du livre est consacrée à l’impact de l’immigration, en particulier de l’Amérique latine, sur l’identité américaine. Cette immigration à grande échelle, en particulier du Mexique, représente un défi pour l’identité américaine traditionnelle en raison des différences de langue, de culture et de valeurs. Il est particulièrement préoccupé par l’émergence d’une société bilingue et biculturelle, qui pourrait conduire à une nation divisée, à une société fragmentée. Huntington consacre une section du livre à ce qu’il appelle "The Hispanic Challenge", où il discute des défis uniques posés par la population hispanique croissante aux États-Unis. Il soutient que, contrairement aux vagues d’immigrants précédentes, les immigrés hispaniques ne s’assimilent pas aussi rapidement ou aussi complètement dans le courant dominant de la culture américaine, qu’il considère comme une menace potentielle pour l’unité nationale. (La représentation par Huntington de l’immigration hispanique et latino comme une menace fondamentale pour l’identité américaine a été largement critiquée en tant que xénophobe : la nature dynamique de l’identité américaine, façonnée par des vagues d’immigrants issus de milieux divers, contredit la vision statique que présente Huntington).

Huntington critique également les élites américaines, y compris les politiciens, les intellectuels et les chefs d’entreprise, pour avoir promu la mondialisation et le multiculturalisme au détriment de l’identité nationale. Il soutient que ces élites sont déconnectées des préoccupations des Américains ordinaires, qui apprécient une identité nationale forte et cohérente.

Dans sa conclusion, Huntington appelle à une réaffirmation de l’identité nationale des États-Unis basée sur son héritage anglo-protestant. Il soutient que c’est essentiel pour la survie de la nation en tant qu’entité unifiée. Huntington suggère que les institutions américaines, en particulier celles liées à l’éducation et à l’immigration, devraient promouvoir l’assimilation des immigrants dans cette identité traditionnelle.  L’ouvrage de Huntington a joué un rôle déterminant dans le débat public sur l’immigration, en particulier parmi les milieux conservateurs et nationalistes, mais le désir de conformité culturelle est-il  réellement de notre temps? 


"Global Capitalism: Its Fall and Rise in the Twentieth Century", Jeffry Frieden (2006).

Dans le "Capitalisme mondial : sa chute et son essor au XXe siècle", Jeffry Frieden se livre à une analyse exhaustive de l’évolution du capitalisme mondial tout au long du XXe siècle, retraçant l’histoire de la mondialisation économique, en examinant la montée, la chute et la résurgence du commerce mondial, des finances et des investissements à travers différentes époques. L'auteur soutient que le développement du capitalisme mondial a été cyclique, façonné par l’interaction des forces économiques, politiques et sociales.

 

The First Era of Globalization - La première ère de la mondialisation (fin du XIXe siècle - Première guerre mondiale) : Frieden commence par explorer la période initiale de la mondialisation, caractérisée par l’expansion du commerce international et des investissements, facilitée par les progrès dans le transport, la communication et la norme d’or. Cette période a vu l’intégration des marchés mondiaux et le mouvement des capitaux et du travail à travers les frontières.

The Collapse of Global Capitalism - L’effondrement du capitalisme mondial (période entre les deux guerres - Grande dépression) : Le livre traite ensuite de l’effondrement de cette première ère, déclenchée par la Première Guerre mondiale, la révolution russe et la Grande dépression. Ces événements ont entraîné la montée du protectionnisme, du nationalisme économique et un recul de l’intégration économique mondiale. Frieden met en lumière la façon dont l’effondrement de la coopération économique internationale a contribué à l’instabilité politique et au déclenchement éventuel de la Seconde Guerre mondiale.

The Post-War Economic Order - L’ordre économique de l’après-guerre (système de Bretton Woods - années 1970) : Après la seconde guerre mondiale, Frieden examine la reconstruction du capitalisme mondial sous le système de Bretton Woods, qui a établi des règles pour les relations économiques internationales, La fixation des taux de change et la création d’institutions comme le Fonds monétaire international (FMI) et la Banque mondiale. Cette période a été marquée par une croissance économique sans précédent et l’expansion du commerce mondial.

The Return of Global Capitalism - Le retour du capitalisme mondial (1970 - début du XXIe siècle) : Les dernières sections du livre traitent de la résurgence de la mondialisation à partir des années 1970, entraînée par la déréglementation, la libéralisation du commerce et des finances et les progrès technologiques. Frieden discute de l’impact de la mondialisation sur les différentes régions, mettant en évidence les opportunités et les défis qu’elle présente, tels que l’inégalité économique, les crises financières et la montée des multinationales.

 

À travers le livre, Frieden montre que la mondialisation économique n’était pas si inévitable que cela, et un long passage décrit cet effondrement de la mondialisation dans la période d’entre-deux-guerres au XXe siècle. Et l'on peut affirmer que l'on assiste à nouveau à la remise en question de cette mondialisation pour les mêmes raisons qui l’ont frappée et dépassée pendant l’entre-deux-guerres. 

Puis Frieden met l’accent sur la tension constante entre les forces de la mondialisation et le désir d’un contrôle national sur la politique économique. Il soutient que l’histoire du capitalisme mondial est marquée par des périodes d’intégration et de désintégration, influencées par les guerres, les crises économiques et les changements dans les idéologies politiques. La question fondamentale semble celle de savoir s’il est possible de concilier un système politique qui est encore organisé autour d’États-nations et une économie mondiale où les économies nationales sont interdépendantes et les marchés devenus mondiaux. On sait déjà que les marchés mondiaux sont fondamentalement hostiles à toute hétérogénéité sur ces questions, de sorte que la mondialisation économique tend à pousser vers l’uniformité, vers la similitude des normes et des réglementations. Est-ce souhaitable, sur le plan politique, sur le plan économique? Qui est en capacité de répondre clairement à ces questions et de justifier ses positions? A ce jour, personne ...


"The Populist Temptation: Economic Grievance and Political Reaction in the Modern Era", Barry Eichengreen (Oxford University Press, 2018)

Barry Eichengreen, largement reconnu pour ses recherches sur l’histoire du système monétaire et financier international (Golden Fetters: The Gold Standard and the Great Depression, 1919-1939, 1992), - et qui, dans "Globalizing Capital",nous avait offert une perspective historique sur le système monétaire international, mettant en évidence les tensions récurrentes entre la souveraineté nationale et l’intégration économique mondiale -, soutient ici que les bouleversements économiques, en particulier les effets de la mondialisation, du changement technologique et de l’augmentation des inégalités (the effects of globalization, technological change, and rising inequality), ont alimenté la résurgence du populisme. Beaucoup se sentent laissés pour compte par les changements économiques, ce qui entraîne ressentiments et montée en puissance de dirigeants qui promettent de perturber le statu quo. Un phénomène que Eichengreen appelle tout en soulignant la nécessité de solutions politiques équilibrées et inclusives pour contrer un telle menace.

Le populisme associe méfiance envers les élites, foi dans la "volonté du peuple" et un rejet des institutions politiques établies. Les populistes se présentent souvent comme défenseurs du peuple, s’opposant à une élite corrompue et hors sol. L'individu ordinaire est représenté à la merci de forces extra-nationales,  capital international, immigrants, cosmopolites et mondialistes, et le discours dégénère rapidement en démagogie et en xénophobie. 

Eichengreen replace la vague actuelle de populisme dans un contexte historique, en la comparant aux mouvements populistes antérieurs : populisme de la fin du XIXe siècle aux États-Unis, montée du fascisme en Europe. Au-delà des facteurs économiques, Eichengreen explore comment les questions culturelles et identitaires contribuent au populisme : craintes concernant l’immigration, le changement culturel et la perte de toute identité nationale. 

Eichengreen met alors en garde contre les dangers soulevés par le populisme, sa propension à saper les institutions démocratiques et à éroder l’Etat de droit. Les populistes, en concentrant le pouvoir et en s’attaquant aux freins et contrepoids du gouvernement, peuvent affaiblir les fondements mêmes de la démocratie.

Il n’existe pas de solution unique pour répondre aux dénonciations des populistes, mais un point de départ semble s'imposer : renforcer et améliorer l’état-providence afin qu’il soit mieux en mesure d’agir comme tampon pour ceux qui souffrent le plus pendant les ralentissements économiques.  L’auteur suggère que pour lutter contre la montée du populisme, il faut des politiques qui prennent en compte les griefs économiques et sociaux sous-jacents au nombre desquels s'imposent la réduction des inégalités, l’amélioration de la sécurité économique et la garantie d’une plus large répartition des avantages de la mondialisation.


"One World : The Ethics of Globalization", Peter Singer (2002)

Nous soucier de l'Autre ne devrait pas dépendre de notre situation de part et d'autre d'une frontière. Naïveté? Jusqu'où admettre notre responsabilité vis-à-vis d'une part du monde sur lequel nous n'avons aucune maîtrise? Mais quel est véritablement notre degré de maîtrise sur la parcelle de Monde sur laquelle nous nous employons à vivre? Peter Singer (1946), philosophe natif de Melbourne et professeur de bioethique à l'université de Princeton, auteur reconnu de  "Animal Liberation" (1975) et "The Life You Can Save"(2009), explore dans ce petit ouvrage les implications éthiques de la mondialisation car celle-ci affecte des questions essentielles telles  que la durabilité environnementale, la pauvreté mondiale, le droit international et les droits de l’homme, mais plus encore profite tout simplement aux plus riches et plus puissants, on en parle que peu tant la remarque semble dénuée de tout intérêt, ou pire, va de soi. Peter Singer est de ceux qui tentent de plaider pour une société mondiale plus juste et équitable et qui préconise des considérations éthiques pour guider le processus de mondialisation. Une approche globale de l’éthique, qui donne la priorité au bien-être de tous les peuples et de la planète, est nécessaire pour un avenir juste et durable. En préconisant des institutions mondiales plus fortes et des politiques plus équitables (Human Rights and Global Governance), Singer encourage les lecteurs à considérer leur rôle de citoyens d’une communauté mondiale (Ethical Cosmopolitanism). 

 

Dans "How Are We to Live?: Ethics in an Age of Self-Interest" (1993), Peter Singer expliquait déjà à quel point une "approche éthique de la vie" pouvait éclairer notre existence et lui donner sens dans un monde où l’intérêt personnel n'est que destructeur. Dans "Ethics in the Real World: 86 Brief Essays on Things that Matter" (2016), Singer appliquait sa logique éthique, parfois provocatrice, à la texture des problèmes qui nous sollicite de toutes part. Il revisite l'argumentaire de son célèbre "Animal Liberation" et de son combat à l'encontre de la souffrance animale.  Reprend le fil de son "The Life You Can Save: Acting Now to End World Poverty"(2009), dans lequel il avait tenté de montrer à quel point notre réponse actuelle à la pauvreté mondiale est non seulement insuffisante mais aussi éthiquement indéfendable. Aborde des questions controversées comme l’euthanasie, et discute des considérations éthiques entourant les décisions de fin de vie, en s’appuyant sur son cadre utilitaire pour soutenir l’autonomie et la dignité des individus. Rappelle que les questions de changement climatique et d'environnement sont bien des défis éthiques qui exigent une action collective pour protéger les générations futures et la vie non humaine. Une réflexion qui s'étend aux implications éthiques des technologies émergentes, y compris l’intelligence artificielle, le génie génétique et la biotechnologie.