American Psychotherapy - Carl R. Rogers (1902-1987) - Harry Stack Sullivan (1892- 1949) - Erik Erikson (1902-1994) - Abraham Maslow (1908-1970) - Nathan W. Ackerman (1908-1971) - Gregory Bateson (1904-1980) - Don D. Jackson (1920-1968) - Fritz Perls (1893-1970) - Frieda Fromm-Reichmann (1889-1957) - Albert Ellis (1913-2007) ...
Last update: 11/11/2016
L'American way of life naît après la Seconde guerre mondiale. Mais, paradoxalement, en pleine reprise économique et sociale, alors que la vie suburbaine devient la norme, alors que la consommation, les médias et les gadgets emplissent une existence vouée à un optimisme sans frein, que la quête de la prospérité matérielle engage l'existence sous le signe d'une approbation divine omniprésente, la psychothérapie pénètre la vie des classes moyennes américaines : le Life magazine de 1957 consacre une série d'articles "The age of Psychology in the U.S. - a new Life series", l'ère de la psychologie commence.
La reconstruction de l'existence ne se fait pas en effet sans anxiété, comment se préserver dans un monde dominé par the "Cold War" ("homegrown anti-communist propaganda spread throughout American culture, with illustrated ads, posters, and feature articles warning of the "Red" menace and what it would do to the American way of life"), et des banlieues menacées par les déviances sociales montantes, comment affronter les rapports de voisinages, comment jouir de cette santé mentale et de ce bonheur bien concret promis à chacun. Entrent alors en jeu thérapeutes et thérapies qui s'engagent d'emblée à maintenir ou à restaurer le plus rapidement possible cette promesse native que proclament les mythes fondateurs de la culture américaine.
New York, dans les années 1950, est le lieu de convergence de nombres de psychiatres et de psychologues, Kare Horney, Molly Harrower, Wilhelm Reich.. Quelque part, ici, c'est le concept d'homéostasie, inventé par Walter Bradford Cannon (1871-1945) avec le fameux "The Wisdom of the Body" (1932), précédé de dans "Bodily Changes in Pain, Hunger, Fear and Rage" (1915) : la notion est reprise dans le contexte de les nouvelles approches systémiques et cybernétiques et devient, enrichi, un mode opératoire qui s'applique parfaitement aux enjeux de compréhension thérapeutique de cette décennie : les mécanismes fonctionnels maintiennent entre eux un état d'équilibre, au niveau des éléments de notre "milieu intérieur" et sont en capacité de rétabli rétablir son harmonie lorsque celle-ci a été rompue. Carl Rogers, par exemple, reprend dans ses principes : "All individuals organisms exist in a continually changing world of experience (phenomenal field) of which they are the center..."
Dans ce contexte des années 1950, l'équilibre entre le monde intérieur de la middle class américaine, pour faire simple, et le monde extérieur, peuplé de gadgets, d'images, de menaces, de relations sociales, de tentations, de sollicitations, de contraintes, pose problème, est à construire. Ce qui est en jeu? le développement d'une certaine forme de conscience, "Awareness" : "self-awareness is the capacity for introspection and the ability to recognize oneself as an individual separate from the environment and other individuals". L'enjeu thérapeutique est donc ici, dans cette première décennie, de solidifier le moi, de le repositiver, pour optimiser sa relation à l'autre et s'ouvrir sans risque de perdre son identité ("The Amount of Trust you are able to give to an other is based on your experience with others..."). De plus, s'impose l'idée qu'à tout moment de la vie, la refondation de "soi" dans le tissu des relations humaines est possible.
Ces premiers courants de thérapie existentielles se développeront considérablement dans la décennie suivante, 1960s, engageant ce que l'on peut dénommer "the human potential movment", à charge pour le thérapeute d'agir avec de nouvelles techniques et de nouveaux concepts de répondre à la demande " "how to unlock the human potential.."
(Life picture)
C'est dans les années 1950, à une époque de consumérisme effréné, mais aussi de conformisme et de McCarthisme, qu'apparaît la psychologie humaniste, renvoyant dos-à-dos la psychanalyse, trop pessimiste, trop investie dans ses notions de sexuel inconscient et de pulsions agressives, le comportementalisme ou behaviorisme, qui privilégie le conditionnement et ignore la personne. Carl R. Rogers (1902-1987), avec sa thérapie centrée sur le client, et Abraham Maslow (1908-1970), et sa fameuse hiérarchie des besoins, vont privilégier une vision fondamentalement optimiste du potentiel humain, une capacité innée à la croissance psychologique : pour vivre en toute authenticité, il faut donc renouer avec nos véritables besoins humains, et pour se faire nous libérer du conformisme et du consumérisme qui obscurcissent notre potentiel existentiel. Le psychologue humaniste encourage son client à se porter sur les qualités qui peuvent le rendre plus "humain", la créativité, la responsabilité, le libre arbitre, l'imagination..
La fameuse photo de LIFE magazine de décembre 1952, qui non seulement illustre l'avance technologique américaine dans bien des domaines, y compris celui du cinéma, - avec ici la projection de "Bwana Devil" de Arch Oboler, le premier long métrage 3-D d'une vague de films qui déferla au début des années 50, - mais participe à ce nouveau contexte d'existence qui s'impose et se diffuse avec une profondeur et une rapidité jusque-là inégalée..
Pour tenter une généralisation rapide, on peut constater que ce courant de thérapies existentielles, qui se pose en quelque sorte en négation de la psychanalyse, est issu d'hommes et de femmes émigrés d'Allemagne, ayant fuit l'Allemagne nazie, mais surtout ayant connu, approché ou pratiqué eux-même la psychanalyse. Ce rejet de la psychanalyse, rejet motivé par l'expérience qu'ils en ont faite et son apparente inadéquation en terre américaine dans le contexte des années 1950 est une constante de Fritz Perl (analysé par Wilhem Reich), Erik Erikson (formé par Anna Freud), Alber Ellis, ...
Harry Stack Sullivan (1892-1949)
Dans les années 1930, le psychiatre et psychanalyste Harry Stack Sullivan travaille sur la schizophrénie et entend intégrer à son approche l'apport des sciences sociales (Ruth Benedict, Margaret Mead et Bronislaw Malinowski, Edward Sapir). Il est un des fondateurs du William Alanson White Institute, une des plus importante institutions indépendantes dans le domaine de la psychanalyse, et dirigea de 1936 à 1947 la Washington School of Psychiatry. Alors que Freud se concentre sur ce qui se passe à l'intérieur de nous-même, sur nos pulsions instinctives internes, sexuelles et agressives, Sullivan défend une approche interpersonnelle de la psychiatrie ("the self-concept is the product of social interaction"), et va jusqu'à mettre en évidence ce que l'on a pu traduire par : "l'empreinte de l'angoisse interpersonnelle". Il a très peu écrit : "The Interpersonal Theory of Psychiatry" (1953), "Conceptions of Modern Psychiatry" (1947/1966), "Schizophrenia as a Human Process" (1962), "The Fusion of Psychiatry and Social Science" (1964).
Au fond la notion de "personnalité" n'est en fait, dans cette approche, qu'une pure hypothèse. Tout ce que nous pouvons observer de cette personnalité, ce sont les relations humaines auxquelles elle participe. La personnalité est en fait constituée par les relations auxquelles elle prend part et par les structures de réciprocité que construisent ces relations. Ces structures sont des" systèmes auto-dynamiques", dont le rôle est de protéger chez l'individu son besoin de sécurité émotionnelle et soulager son angoisse. De plus, ces auto-systèmes suscitent réciproquement chez l'autre une réaction opposée. Le premier auto-système n'est constitué en fait que de la satisfaction des besoins fondamentaux, la faim, la soif, le sexe, le pouvoir. Le second veille sur le besoin de sécurité émotionnelle de l'organisme. Par empathie, l'enfant ressent l'indifférence ou comprend la désapprobation et l'angoisse maternelle et les punitions subtiles qui lui apprennent à se comporter par inhibition de cette angoisse : la structure de son moi est ainsi progressivement gravée par les très fines gradations de l'angoisse, maîtriser cette dernière est donc vital. Les relations humaines mettent ainsi en place une cartographie des différents auto-systèmes possibles qui nous animent lors de chacune de nos interactions : le profil directorial-tyrannique tend à faire naître la modestie et l'effacement de soi chez la personne à qui il s'adresse, et celle-ci, qui cherche à se conformer à un modèle, va l'inviter en retour à la dominer. Ces réactions réciproques peuvent être soit rigides et intenses, voire pathologiques, soit traduire un désir d'adaptation ou une relation d'affection. Dans les deux cas, il s'agit d'éviter les menaces qui pèsent sur sa sécurité émotionnelle. Mais les manifestations pathologiques des auto-systèmes vont tendre à dépasser la dimension autoritaire pour atteindre la dimension absolue, dépasser le scepticisme pour atteindre l'amertume et l'aversion.
Timothy Leary et Hubert S.Coffey ont interprété la théorie de Sullivan en dressant une cartographie des différentes interactions possibles de huit structures dynamiques considérées comme fondamentales : "brusque-agressif", "compétiteur-exploiteur", "directorial-tyrannique", "responsable-prodigue", "coopératif-hyper conformiste", "docile-dépendant", "modeste-effacé", "sceptique-méfiant". Une personne sera d'autant plus "libre" qu'elle sera capable d'entrer en relation avec ses huit profils, selon ses exigences interpersonnelles et son degré de tolérance à l'angoisse. Dans le cercle de Leary et Coffey, une mère marquée par une attitude hyper-maternante et généreuse (O,N) va susciter l'enfant scepticisme et méfiance (F,G).
Erik Erikson (1902-1994)
Né à Francfort-sur-le-Main (Allemagne), Erik Erikson s'installe à Vienne en 1927, suit les enseignements d'Anna Freud et entreprend une psychanalyse avec elle, s'initie à la méthode d'enseignement de Maria Montessori et publie des articles sur les relations entre la psychanalyse et la pédagogie. C'est à Vienne qu'il rencontre et épouse l'artiste américaine Joan Moivat Serson. Le couple se fixe aux États-Unis en 1933, lorsque Erikson est invité à enseigner et à pratiquer la psychanalyse d'enfants à Boston. Il y découvre les travaux de l'école culturaliste américaine, dont les partisans tentent de construire une théorie de la personnalité tenant compte de la relation entre les individus et le groupe. Tandis qu'il travaille dans les réserves indiennes pendant les années 1930, Erikson se rend compte que l'origine de certains problèmes des Indiens américains adultes est à chercher non pas dans la théorie psychanalytique traditionnelle, mais dans le sentiment de “déracinement” qu'ils éprouvent. Ce sentiment, dû à la rupture criante entre leur mode de vie dans les réserves et celui qui est dépeint dans l'histoire de leur tribu, est davantage lié au moi, à la culture et aux interactions sociales qu'aux pulsions sexuelles sur lesquelles Freud mettait l'accent.
Dans "Childhood and Society" (1950) Erikson est connu pour avoir postulé que le problème de l'identité est un défi majeur de l'adolescence : Qui suis-je? Que vais-je faire de ma vie? Comment m'intégrer dans ma famille et dans ce monde? , autant de questions qui dérivent directement d'un besoin de s'individualiser, de se différencier. On retrouve dans cette problématique des éléments biographiques d'Erikson qui lui-même découvrit tard dans son enfance que son père n'était pas son père biologique : et c'est lorsque Erik rentra dans la vie active, en Californie, qu'il décida de prendre en main son identité et changea son patronyme de Homburger, nom de son beau-père, en Erikson ("le fils d'Eric")...
Mais Erikson soutient aussi que le développement de l'identité personnelle se poursuit pendant la vie entière. Il nous faut donc constamment rassembler les moments importants de notre expérience, en faire une synthèse et demander à ceux qui ont un sens dans notre vie s'ils s'intègrent dans la configuration que nous sommes. A partir d'un environnement représentatif, Erikson propose une carte du cycle de la vie humaine, décrite sous forme de matrice. A gauche, sont indiquées les huit étapes de l'individu (stades oral, anal, phallique, latent, génital, début de l'âge adulte, maturité, âge adulte.), en diagonale leur correspondent les défis à affronter (confiance, autonomie..), et à droite les "vertus" déclinées en huit étapes réalisations (espoir, volonté, intentionnalité, compétence, fidélité, amour, attention, sagesse). Ce cycle de la vie montre qu'en tout individu l'enfant et l'adulte sont toujours présents, à nous de nous y positionner pour mesurer le chemin, les étapes, qui nous permettra enfin de nous offrir à l'autre.
Erikson a aussi développé le concept de "générativité" qui est l'attention avec laquelle on installe et guide la génération suivante. La relation Je-Tu, écrit Don S.Browning n'est pas seulement une rencontre d'adultes : "c'est l'adulte et l'enfant d'une personne qui rencontre l'adulte et l'enfant de l'autre personne."
Ses ouvrages principaux : Childhood and Society (1950), Insight and Responsibility (1964), Identity, Youth and Crisis (1968), Gandhi's Truth (1969), Autobiographical Notes on the Identity Crisis (1970), Dimensions of a New Identity (1974), The Life Cycle Completed (1982).
Carl R. Rogers (1902-1987)
L'influence de Carl Rogers s'étendit bien au-delà des Etats-Unis à la fin des années 1960 (Client-Centered Therapy, 1951; On Becoming a Person, 1961; Freedom to Learn, 1969) : l'art de l'écoute et l'empathie eurent un écho d'autant plus important qu'il fut sans doute le premier thérapeute à utiliser les outils de communication alors en pleine expansion, enregistrant et diffusant ses séances, et entreprenant systématiquement un travail continu sur le processus thérapeutique mis en oeuvre et ses résultats. Carl Rogers avait grandi dans un environnement religieux, pentecôtiste, et étudié la théologie, mais c'est le travail thérapeutique avec des enfants qui l'amenèrent à cette idée d'instaurer un environnement positif pour assurer un développement psychologique qualifié de "sain" (The Clinical Treatment of the Problem Child,1939).
Au-delà des notions qui lui sont rattachées, la controversée "non-directivité", qui se base sur la relation d’aide (counseling) et ouvre ainsi psychothérapie aux professions non médicales, la fameuse thérapie "centrée sur le client", - qui se focalise non pas sur un problème particulier mais sur la personne en son entier, valorise l'écoute confiante et la compréhension emphatique pour libérer le potentiel d'épanouissement qui semble entravé -, Rogers vise à instaurer cette quasi compréhension mutuelle, pierre angulaire de la vie sociale équilibrée, qui permet de s'accepter et donc d'accepter l'autre en toute confiance, par un simple rééquilibrage de la surface existentielle, la confiance générant automatiquement la confiance..
Carl Rogers utilise ainsi deux cercles qui se chevauchent pour représenter la personnalité humaine, l'un représentant la "structure du soi", l'autre "l'expérience vécue", au bout du compte une structure de soi forgée par les relations humaines. Lorsque la structure inclut l'expérience, la personne est congruente avec ce qu'elle dit, dans le cas contraire, elle est non-congruente, ne peut donc être "présente" dans ce qu'elle dit, sa structure du soi est rigidifiée, sa personnalité souffre des contradictions dues à la séparation du soi et de l'expérience. Le "counseling" a donc pour objectif de permettre à la personnalité de changer en passant de la situation de non-congruence à celle de la congruence : le point d'évaluation se déplace alors vers l'intérieur du soi, un sentiment positif de prise en charge personnelle se développe, un sentiment de réconciliation et de soulagement de la tension s'empare de notre personnalité, nous parvenons à une plus grande acceptation de nous-même et des autres. Au centre du processus, un "counseling" qui respecte son client, jamais ne l'évalue ou ne le juge, et "plonge" celui-ci dans une totale acceptation positive et inconditionnelle, situation exceptionnelle jamais éprouvée, dans la plupart des cas, dans sa petite enfance ou son adolescence.
La diffusion dans tous les foyers américains de la télévision dans la décennie 1950 (on passe de 3 millions de détenteurs d'un poste de TV à 55 millions) s'accompagne étrangement d'un nouveau courant psychologique, la "thérapie familiale" (family therapy). Le "système familial", après la Seconde Guerre mondiale, devient une entité économique et psychologique à part entière, mais si la "pièce familiale" fait son entrée dans tous les foyers autour de son "Sofa Bed" et de sa Télévision, la vie familiale devient paradoxalement un système de relations interdépendantes qui génère un sentiment d'oppression, notamment pour les femmes, et produit délinquances et schizophrénies.
Désormais, nous ne sommes plus sur le terrain de la psychanalyse (quoique) ni sur celle de la thérapie centrée sur le client, les symptômes d'un individu sont en fait ceux d'un organisme auquel il appartient, le dispositif thérapeutique va donc se concentrer sur la communication et le style d'interaction de la famille. L'un des protagonistes de cette nouvelle approche est notamment Nathan W. Ackerman (1908-1971), qui fonde en 1957 la "Family Mental Health Clinic" et en 1960 le "Family Institute" (The Psychodynamics of Family Life, 1958).
Cette nouvelle perception d'une réalité sociale et psychologique qui marque les années 1950s et va par la suite connaître un développement considérable dans les années à suivre, a été rendue possible par une approche intellectuelle qui est aussi emblématique de la décennie, l'approche systémique. Pour l'anthropologue Gregory Bateson (1904-1980), nous le savons, s'interroger par exemple sur le sens du comportement d'un individu passe d'abord par la compréhension du système de relations dans lequel ce comportement fait sens. Les fameuses conférences interdisplinaires Macy, organisées à New York à l'initiative du neurologue Warren McCulloch et qui se réuniront à intervalles réguliers, de 1942 à 1953, et auxquelles participe Bateson, forgent de concert l'expression de la théorie systémique en sciences humaines et les bases de la thérapie familiale. Bateson, Don D. Jackson, Jay Haley et John H. Weakland formulent en 1956 dans " Towards a Theory of Schizophrenia" la fameuse notion de "double contrainte" (double bind) dans laquelle un individu assume et incarne, via des injonctions paradoxales, la communication pathologique de son milieu familial. Le psychiatre Don D. Jackson (1920-1968), fort de sa double filiation, pensée interactionnelle de Sullivan et approche systématique, ira jusqu'à montrer comment la pathologie du "système familial" peut non seulement s'incarner dans un individu, mais aussi se propager, en cas de défection de celui-ci, vers un autre membre de la famille pour assurer la défense et la cohérence de l'ensemble.
C'est en 1908 que le psychiatre Eugen Bleuler (1857-1919) inaugure le terme de "schizophrénie" (Dementia Praecox), trouble mental qui a sans doute accompagné toute l'histoire de l'homme et qui n'affecta pas tant l'intelligence mais la perception, les émotions, et donc le comportement : délires, hallucinations, pensées désorganisées, invention de néologismes, détournement de sens des mots, etc. Aucune origine de cette pathologie n'est à ce jour connue. Gregory Bateson (1904-1980) porte son regard dans les années 1950 sur les patterns de communication des familles dont l'un des enfants est atteint de schizophrénie : il découvre que ces enfants sont dans une situation de vulnérabilité dont ils ne peuvent s'échapper et émet la fameuse hypothèse de la "double contrainte" comme éventuelle explicitation du déclenchement de la schizophrénie. La perturbation fondamentale, et dont la thématique sera reprise bien au-delà de la schizophrénie, et que la personne en situation de schizophrénie reçoit de ses proches des messages ambigus et ambivalents, des messages qu'il ne peut ignorer mais auxquels il ne peut véritablement réagir. Ces messages en général se situent à deux niveaux, le niveau verbal et le niveau physique, le conflit ne peut être résolu, et l'enfant, l'individu, se retire dans un état psychotique. L'hypothèse de la double contrainte aura un impact immense tant pour les thérapeutes que pour les individus que nous sommes, confrontés à de nombreuses variantes de ce schéma sidérant pour notre équilibre et notre liberté de penser et d'agir.
Frieda Fromm-Reichmann (1889-1957)
En 1948, la psychanalyste Frieda Fromm-Reichmann (1889-1957), élabore un travail de fonds sur les schizophrènes et leurs familles, filmant leurs interactions, elle tente un premier décodage de leurs comportements et de leurs modes de communication (Principles of Intensive Psychotherapy, 1950). Pour Frieda Fromm-Reichmann, si la psychanalyse ne peut rien pour les patients schizophrènes, dans l'incapacité qu'ils sont de construire une relation de transfert, il n'est nul patient, quelque soit la profondeur de ses troubles, qui ne puisse être traité par une psychothérapie dite positive faite d'implication personnelle et de dialogues, refusant toute démarche pharmacologique.
L'une de ses plus jeunes patientes à Chesnut Lodge (Rockville, Maryland), Joanne Greenberg écrivit une semi-biographie, certes quelque peu contestée mais qui connut un immense succès, "I Never Promised You a Rose Garden" (1964), qui conte sa "maladie", son traitement et sa "guérison", et décrit le "style thérapeutique" de Frieda Fromm-Reichmann. Elle est alors l'une des rares thérapeutes à considérer pleinement que les symptômes du patient ont un sens pour lui et adopte ainsi une démarche de compréhension positive. Son approche, loin d'être théorisable, semble s'enraciner dans son propre parcours familial : d'une famille nombreuse de confession juive orthodoxe, l'exploration de son enfance fut l'objet de nombre de publications, elle épouse en 1926 d'Erich Fromm et s'enracine très tôt dans des recherches psychosomatiques menées dans le cadre du Lahmann-Sanatorium Weisser Hirsch (Dresden) ou de la clinique psychiatrique de l'université de Munich...
Fritz Perls (1893-1970)
Fritz et Lara Perls, ayant fui l'Allemagne nazie pour l'Afrique du Sud en 1933, puis s"installent à New York en 1948. Ils fondent une nouvelle psychothérapie humaniste, la Gestalt-therapie, en s'inspirant notamment des travaux du neuropsychiatre Kurt Goldstein (1878-1965). Celui-ci a en effet adopté une vision holistique, conformément à la Gestalt-théorie dont il est l'un des protagonistes les plus influents (Aufbau der Organismus, 1934), dans ses recherches thérapeutiques cliniques : ses travaux sur l'aphasie synthétisent apports médical, physiologique, et psychologique, et par là même Goldstein réintroduit la subjectivité dans un domaine où s'imposait alors la vision mécaniste des psychophysiciens et des expérimentalistes associationnistes.
Dans la Gestalt-thérapie, le postulat de base est donc holiste, s'appuyant sur une vision globale de soi, esprit, corps, âme, mais aussi une vision globale de soi et du monde, en interactions permanentes, ici, on ne se préoccupe guère de l'inconscient ou des éléments fondateurs de l'enfance : le patient travaille sur ses problèmes du moment présent et doit apprendre ou ré-apprendre une dynamique d'ajustement continuel à ce monde et aux autres, esprit et corps. Perls a développé une technique qui a suscité nombre de réactions, la technique de la "chaise vide" (hot seat) : c'est dans la véracité physique du dialogue que surgissent le plus rapidement la difficulté ou l'émotion du moment, aussi le patient doit imaginer être assis à côté d'une personne importante de sa vie et entamer un dialogue avec elle pour reprendre contact avec lui-même, reprendre conscience (awareness) de soi dans sa totalité, une totalité relationnelle incluant le soi, les autres, le monde ... Deux ouvrages fondateurs du mouvement, "Gestalt Therapy: Excitement and Growth in the Human Personality", écrit en 1951 par Perls et Paul Goodman, et la fameuse Gestalt prayer de 56 mots, publiée dans "Gestalt Therapy Verbatim" (Fritz Perl, 1969) : "I do my thing and you do your thing. I am not in this world to live up to your expectations, and you are not in this world to live up to mine. You are you, and I am I, and if by chance we find each other, it's beautiful. If not, it can't be helped".
Albert Ellis (1913-2007)
Né à Pittsburgh, en Pennsylvanie, Albert Ellis étudie à l'université Columbia, où obtient un doctorat en psychologie en 1947 et fait paraître en 1950 son premier ouvrage, "An Introduction to the Principles of Scientific Psychoanalysis". Ellis est de ceux qui, après avoir pratiqué la psychanalyse, sous l'influence de personnalités comme Alfred Adler, Karen Horney, ou Erich Fromm, finissent par la rejeter pour une raison commune à cette génération de thérapeutes des années 1950 : sonder les expériences traumatiques de l'enfance ne débouche sur rien d'immédiat et de tangible, autant oublier ce "passé traumatisant" et se concentrer sur les problèmes existentiels les plus concrets à résoudre.
Ellis porte donc son attention sur la façon dont les individus peuvent s'embourber dans leurs problèmes par leurs propres pensées et représentations d'eux-mêmes, par exemple en se focalisant de façon irrationnelle sur des obligations qui n'en sont pas. Il théorise ainsi une nouvelle approche, la psychothérapie rationnelle émotive, qui a pour finalité d'aider les individus à surmonter des attentes qui s'avèrent irréalistes et des croyances irrationnelles. Notre souffrance, notre un mal-être émotionnel ne sont pas provoquées par une situation ou par un destin contraire, mais s'ancrent dans nos croyances et nos pensées.
En 1955, Ellis théorise donc la fameuse "Rational Emotive Behavior Therapy" (REBT), première élaboration de la "thérapie cognitive" (cognitive behavior therapy) qui apprend aux patients à évacuer les pensées qui s'avèrent autodestructrices et se concentrer sur celles qui s'avèrent les plus bénéfiques et permettent d'atteindre l'acceptation de soi ("an action-oriented psychotherapy that teaches individuals to identify, challenge, and replace their self-defeating beliefs with healthier ones that promote emotional well-being and goal achievement").
Cette approche s'applique notamment dans le traitement des individus souffrant d'angoisse et de dépression. Nombre d'ouvrages (75) et d'interventions jalonnent son parcours : "How to Live with a Neurotic" (1957, Comprendre la névrose et aider les névrosés), "How to Stubbornly Refuse to Make Yourself Miserable About Anything – Yes, Anything !" (1988), "How to Keep People from Pushing Your Buttons"(1994), "How to control your anger before it controls you" (1997).
Ellis fonde en 1959 l' "Institute for Rational Living" mais c'est le psychiatre Aaron Temkin (1921) qui par la suite, dans les années 1960, fonde véritablement la "thérapie cognitive" ( cognitive behavioral therapies, CBT)et diffuse dans le monde entier ces fameux critères d'une approche qui vise à identifier et remettre en cause des pensées automatiqus mais dysfonctionnelles : se basant pour se faire sur un modèle cognitif à trois niveaux, "Automatic thought", "Intermediate belief", "Core belief or basic belief".
Ellis travailla dès le début de son parcours sur la sexualité humaine, et quelque part, les thérapies cognitives s'appliqueront aux problèmes de couples. En lien avec le fameux zoologiste Alfred Kinsey (1894-1956), - spécialiste pour la postérité des habitudes sexuelles et auteurs des deux livres les plus polémiques dans l'histoire des Etats-Unis, "Sexual Behavior in the Human Male" (1948), "Sexual Behavior in the Human Female" (1953) - Ellis publiera deux ouvrages à succès, "The American Sexual Tragedy" (1954) et "Sex Without Guilt" (1958). Se basant sur des entretiens, Kinsey remet en cause le discours de la middle class sur la sexualité en banalisant un comportement sexuel qui met en jeu d'autres pratiques comme l'homosexualité et la masturbation. C'est une étape fondamentale dans la fameuse révolution dite sexuelle des années 1960. Si Ellis évolua fortement, et très tardivement, dans sa façon d'appréhender l'homosexualité ("Sex and the Liberated Man", 1976), il défendit fortement par ailleurs une attitude très libérale, trop, écriront certains, sur la sexualité.
C'est toujours dans cette même décennie, en 1957, que la psychologue Evelyn Gentry Hooker (1907-1996) présente au congrès de l'American Psychological Association ses travaux sur le fait que les hommes homosexuels ne peuvent être distingués des hommes hétérosexuels sur le critère dit de l'ajustement psychologique ("The Adjustment of the Male Overt Homosexual"). Mais l'homosexualité ne sera retiré de l' "American Psychiatric Association's Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders" que dans les années 1970...