Expressionistische Film & Stummfilm - Georg Wilhelm Pabst (1895-1967) - Paul Wegener (1874-1948) - Friedrich Wilhelm Murnau (1888-1931) -  Fritz Lang (1890-1976) - Paul Leni (1885-1929) - Karl Grune (1890-1962) - Bruno Rahn (1898-1929) - Joe May (1880-1954) - Bruno Rahn (1898-1929) - Lil Dagover (1887-1980) - Greta Garbo (1905-1990) - Brigitte Helm (1906-1996) - Louise Brooks (1906-1985) - Asta Nielsen (1881-1972) -  Emil Jannings (1884-1950) - ...

Last update: 10/09/2017

 

Deutschen Expressionismus - L'expressionnisme apparaît avec la création à Dresde du groupe Die Brücke réunissant des artistes tels que Ernst Ludwig Kirchner, Karl Schmidt-Rottluff, Emil Nolde, Max Pechstein, et se propage à tous les arts. Dans la revue Sturm, en 1910, son directeur Herwald Walden définit l'expressionnisme comme "un art qui donne forme à une expérience vécue au plus profond de soi-même." L'artiste doit non pas représenter l'extérieur, mais ce que celui-ci imprime en lui : "l'expressionnisme n'est pas un style ou un mouvement, c'est une vision du monde" (Weltanschaung).

L'expressionnisme allemand apparaît vers 1910, à Munich, et envahit Berlin après la défaite de 1918 : dans un contexte de traumatismes physiques et psychologiques, s'installe, pour une petite dizaine d'années, l'époque du grand cinéma muet allemand, un cinéma hanté par la présence de la mort, l'artificialité d'un monde proprement humain et technicisé, des hommes et des femmes qui nouent entre eux des relations de fascination et d'hypnose qui les entraînent, à un moment ou un autre, au bord de la folie. Une vision raisonnable du monde est en fin de compte totalement impossible...

 

Deutschen Expressionism - Expressionism appears with the creation in Dresden of the Die Brücke group, which brings together artists such as Ernst Ludwig Kirchner, Karl Schmidt-Rottluff, Emil Nolde, Max Pechstein, and spreads to all the arts. In Sturm magazine in 1910, its director Herwald Walden defined expressionism as "an art that shapes an experience lived in the depths of one's self. The artist must not represent the exterior, but what it imprints in him:"Expressionism is not a style or movement, it is a vision of the world" (Weltanschaung). German expressionism appeared around 1910 in Munich, and invaded Berlin after the defeat of 1918: in a context of physical and psychological trauma, the era of the great German silent cinema, a cinema haunted by the presence of death, the artificiality of a world that was properly human and technicised, for a decade or so, was set up for men and women who forged relations between themselves of A reasonable vision of the world is ultimately totally impossible...

Deutschen Expressionismus - El expresionismo aparece con la creación en Dresde del grupo Die Brücke, que reúne a artistas como Ernst Ludwig Kirchner, Karl Schmidt-Rottluff, Emil Nolde, Max Pechstein, y se extiende a todas las artes. En la revista Sturm de 1910, su director Herwald Walden definió el expresionismo como "un arte que da forma a una experiencia vivida en lo más profundo de uno mismo". El artista no debe representar el exterior, sino lo que imprime en él:"El expresionismo no es un estilo o movimiento, es una visión del mundo" (Weltanschaung). El expresionismo alemán apareció alrededor de 1910 en Munich, e invadió Berlín después de la derrota de 1918: en un contexto de trauma físico y psicológico, la era del gran cine mudo alemán, un cine atormentado por la presencia de la muerte, la artificialidad de un mundo propiamente humano y técnico, durante una década más o menos, fue creado para hombres y mujeres que forjaron relaciones entre ellos mismos de Una visión razonable del mundo es finalmente totalmente imposible...

 


Une centaine de films serviront l'imagination de ce cinéma soutenu par un art consommé de l'éclairage. L'industrie allemande a pris conscience de l'importance du décor, de nouveaux métiers et une nouvelles générations de dessinateurs et de décorateurs, tous plus géniaux les uns que les autres apparaissent (Andrei Andrejew, Otto Erdmann, Emil Hasler, Otto Hunte, Walter Röhrig..) et vont travailler avec les grands cinéastes allemands Fritz Lang, Friedrich Wilhelm Murnau, Georg Wilhelm Pabst, Paul Leni, etc. L'atmosphère (Stimmung) oppressante est accentuée par la multiplicité des trucages élaborés, tout y est démoniaque, le vivant comme l'inerte, le noir triomphe de la lumière, l'horreur, l'hallucination, le crime, la mort sont les thèmes omniprésents. L'acteur doit extérioriser le pathétique par des gestes excessifs dans des rapports sans rapport avec la réalité, et dans lesquels ce sont les ombres qui animent les objets. 

 

A hundred films will serve the imagination of this cinema supported by a consummate art of lighting. The German industry has become aware of the importance of décor, new professions and a new generation of designers and decorators, all of them more brilliant than the others (Andrei Andrejew, Otto Erdmann, Emil Hasler, Otto Hunte, Walter Röhrig...) and will work with the great German filmmakers Fritz Lang, Friedrich Wilhelm Murnau, Georg Wilg The oppressive atmosphere (Stimmung) is accentuated by the multiplicity of elaborate trickery, everything is demonic, the living as inert, the black triumph of light, horror, hallucination, crime, death are the omnipresent themes. The actor must externalize the pathetic by excessive gestures in relations unrelated to reality, and in which it is the shadows that animate the objects...

Un centenar de películas servirán a la imaginación de este cine apoyado por un arte consumado de la iluminación. La industria alemana ha tomado conciencia de la importancia de la decoración, de las nuevas profesiones y de una nueva generación de diseñadores y decoradores, todos ellos más brillantes que los demás (Andrei Andrejew, Otto Erdmann, Emil Hasler, Otto Hunte, Walter Röhrig...) y trabajará con los grandes cineastas alemanes Fritz Lang, Friedrich Wilhelm Murnau, Georg Wilg y otros. La atmósfera opresiva (Stimmung) es acentuada por la multiplicidad de trucos elaborados, todo es demoníaco, los vivos como inertes, el triunfo negro de la luz, el horror, la alucinación, el crimen, la muerte son los temas omnipresentes. El actor debe externalizar lo patético por gestos excesivos en relaciones ajenas a la realidad, y en las que son las sombras las que animan los objetos...

 


Le nazisme mettra fin à cette extraordinaire révolte métaphysique, cinéma d'apocalypse, nourri de théâtre et de peinture, aux décors convulsifs, aux perspectives distordues, aux personnages démoniaques et hallucinés : l'expressionnisme, un expressionnisme muet, a comme pressenti les angoisses d'un monde qui se sentait alors basculer dans l'horreur à venir, toute la stylistique macabre de la propagande nazie et ses mouvements de foules asservies sont déjà contenues dans chacune de ces oeuvres des années 1920. "Jamais auparavant, écrira Wim Wenders, dans aucun pays, les images et le langage n'ont été autant déformés sans scrupule qu'ici. Nulle part ailleurs, les gens ont autant souffert de ne plus pouvoir croire en leurs propres images, en leurs propres histoires et mythes". Le nazisme va en effet imprégné un nombre considérable de films de 1949 jusqu'en 1989, pratiquement et le point de départ est le fameux "Cabinet du docteur Caligari" (1919), caractéristique du cinéma allemand des années 1920 avec ses perspectives faussées et ses clair-obscur.  ...

 

"Der Student von Prag" (L'étudiant de Prague), réalisé en 1913 par Stellan Rye et Paul Wegener, est un des films les plus annonciateurs du style expressionniste, l'étincelle qui va initier la passion du cinéma allemand pour le surnaturel et sa traduction en images par l'expressionnisme. Paul Wegener interprète ici le pauvre étudiant amoureux de la fille d'un comte  qui, pour parvenir à ses fins, vend son image à un magicien. 

 

Le Berlin des années 20 - "Dans cette atmosphère, où le Diable reconnaîtrait les siens, régnait un penchant toujours présent pour le fantastique, le mysticisme, le macabre, pour la terreur angoissante de l'obscurité. Le cinéma allemand refléta cette époque dans des films sombres et menaçants. Les pensionnaires de l'étrange asile d'aliénés et son sinistre directeur, dans Caligari, le vampire porteur de mort de Nosferatu, ou Le Golem, ne pouvaient être inventés que dans ces années" (cité par Lotte H.Eisner, Fritz Lang). Et le "Berlin: Die Sinfonie der Großstadt", filmé par Walter Ruttmann en 1927, grouille de vie et d'activité et toute une génération, vaincue par une guerre sanglante, s'abandonne à tout ce qui peut délivrer de l'angoisse du lendemain, le coût des plaisirs entrant dans un cycle d'inflation qui semble ne pouvoir s'achever que dans une implosion totale...


Robert Wiene (1873-1938)

Metteur en scène allemand, d'origine tchèque,  Robert Wiene est souvent représenté comme un simple exécutant livré à l'imaginaire expressionniste des scénariste Carl Mayer (1894-1944) et Hans Janowitz (1890-1954), des décorateurs Herman Warm, Walter Röhrig et Walter Reimann, y compris des acteurs tels que Werner Krauss, Lil Dagover ou Conrad Veidt...

 

 

"Das Kabinet des Dr. Caligari" 

(1919, Robert Wiene, Le Cabinet du docteur Caligari)

Avec Werner Krauß (Dr. Caligari), Conrad Veidt (Cesare), Friedrich Fehér (Franzis), Lil Dagover (Jane) 

"Le Cabinet du docteur Caligari", de Robert Wiene d'après un scénario de Carl Meyer et Hans Janowitz, est le film manifeste de l'expressionnisme allemand, il se veut une métaphore de la Grande Guerre (Caligari incarne la toute puissance de l'Etat), et son style est inspiré par la peinture et le théâtre et va inspirer non seulement le cinéma allemand des dix années suivantes, mais aussi tous les films d'horreur en général. Dans ce film, un savant devenu tyran est l'incarnation du mal. Il pousse un homme ordinaire, sous l'emprise de son pouvoir hypnotique, à tuer son semblable. Seule alternative à ces crimes successifs, la folie ou la mort. Dans un décor stylisé, dans lequel des obliques inattendues viennent rompre la perspective et dramatiser la réalité (les fonctionnaires sont perchés sur des sièges élevés, les ombres sont peintes sur les murs, les formes anguleuses sont prédominantes, les extérieurs ostensiblement artificiels), Caligari, le maître démoniaque, et Cesare, la victime somnambule, sont entraînés par la fatalité du destin chaotique de l'homme. L'architecture expressionniste arrache le spectateur à sa vie quotidienne et l'entraîne dans une atmosphère qui va créer toutes les conditions qui rendent possible une intelligibilité psychologique de cette descente fantastiques aux enfers...

Caligari (Werner Kraus), montreur de foire, a hypnotisé Cesare (Conrad Veidt), devenu son serviteur et esclave, pour en faire un tueur. Mais le somnambule Cesare, au lieu de tuer Jane (Lil Dagover), la fiancée du héros (Friedrich Feher), va se contenter de l'enlever. Caligari est en fait le directeur d'un asile psychiatrique, dont le héros est un patient, comme Cesare et Jane. Les décors et les éclairages soulignent l'aliénation mentale : les perspectives sont faussées, déformées à l'excès, les maisons son tordues, les rues de travers, les noirs et blancs très contrastés, des décors qui veulent avoir un effet hypnotisant sur le public....


Lil Dagover (Maria Antonia Seubert, 1887-1980) est une actrice étroitement liée à l'histoire du cinéma allemand et a pu franchir sans problèmes majeurs les années de guerre et le drame du nazisme. Elle a débuté avec "Die Spinnen", de Fritz Lang, en 1919,  et Robert Wiene lui offre le rôle de Jane, en 1920, dans "Das Cabinet des Dr. Caligari" (1920, Jane Olsen). La belle Lil Dagover continuera ainsi à jouer dans les principales productions allemandes des années 1920 ("Toteninsel","Der müde Tod", "Dr. Mabuse, der Spieler ", "Luise Millerin", "Phantom", Zur Chronik von Grieshuus", "Die Brüder Schellenberg" ..) et passera du muet au parlant sans le moindre accroc, incarnant le plus souvent une héroïne particulièrement fragile et menacée. Elle traversera quelques productions françaises ("Monte-Cristo" (1928) de Henri Fescourt, "Le tourbillon de Paris" (1928) de Julien Duvivier) et américaines (" The woman from Monte Carlo" (1931), Michael Curtiz) pour se voir récompenser dans une Allemagne nazie pour "Die Kreutzersonate" de Veit Harlan, et en 1953, dans une Alleamgne en reconstruction, pour "Königliche Hoheit" de Harald Braun ...


Paul Wegener (1874-1948) 

Fils d'un hobereau prussien, Paul Wegener étudie l'histoire de l'art et la philosophie tout en se lançant dans le théâtre, comme la plupart des réalisateurs, scénaristes et acteurs de cette génération expressionniste : il se révèle de plus un acteur particulièrement présent, ne joue-t-il pas lui-même le Golem...

"Der Golem : Wie er in die Welt kam" (1920, Wegener) 

Avec Paul Wegener (Le Golem), Albert Steinrück (le grand rabbin Loew), Lyda Salmonova (Miriam), Ernst Deutsch (le jeune apprenti de Loew), Hans Stürm (le grand rabbin Yehoudah, chef de la communauté juive), Otto Gebühr (L'empereur), Lothar Müthel (Le chevalier Florian), Loni Nest (La petite fille)

Précurseur du Frankenstein, de James Whale (1931), "Le Golem" est un roman de Gustav Meyrink (1915) qui raconte l'une des apparitions de la créature du Golem, humanoïde informe façonné pour assister Dieu dans la culture hébraïque, qui revient tous les 33 ans dans le quartier juif du Vieux Prague. Les ruelles sombres du ghetto sont le théâtre de forfaits inexplicables, dans une atmosphère de superstition et de sorcellerie. Paul Wegener (1874-1948) façonne une atmosphère totalement expressionniste dans laquelle, au décor réel, se superpose l'image hideuse du vampire accentué par l'artifice du maquillage (crâne tondu, yeux exorbités). La caméra filme en contre-plongée et multiplie le sentiment d'étrangeté. "Prague, XVIe siècle. Le grand rabbin Loew lit dans les étoiles qu'un grand malheur menace la communauté juive. Il en avertit le rabbin Yehoudah qui rassemble le peuple pour une grande prière. Rien n'y fait : L'empereur Rodolphe II publie un décret exigeant le départ des juifs loin du ghetto qu'ils occupent aux portes de la ville. Le chevalier Florian est chargé de porter ce décret. Il tombe amoureux de Miriam la fille de Loew. Celui-ci, philosophe et alchimiste, fabrique dans son laboratoire une créature d'argile dotée d'une force prodigieuse qui pourra être animé, à partir d'un mot magique, obtenu en invoquant les puissances du mal...."


Friedrich Wilhelm Murnau (1888-1931) 

 F. W. Murnau (Friedrich Wilhelm Plumpe) se tue dans un accident d'automobile le 11 mars 1931 : invité par William Fox, Murnau était arrivé à Hollywood en 1937 pour tourner "L'Aurore" (Sunrise) - il tournera par la suite "4 Devils" (1926), "City Girl" (1930), "Tabu" (1931) - . Ses deux premières oeuvres, soutenues par le producteur Erich Pommer, sont des contes surnaturels expressionnistes, "Nosferatu le vampire" (1932) et "Le Dernier des Hommes" (1924), mais avec la volonté de tourner le plus possibles dans des décors naturels et non sans critique sociale. Jouant du réalisme et de l'allégorie, Murnau réalisa par ailleurs, en Allemagne, dont beaucoup sont perdus, "Der Knabe in Blau" (1919), "Satanas" (1920), "Der Bucklige und die Tänzerin" (1920), "Der Januskopf. Eine Tragödie am Rand der Wirklichkeit" (1920), "Abend – Nacht – Morgen" (1920), "Der Gang in die Nacht" (1921), "Sehnsucht" (1921), "Schloß Vogelöd" (1921), "Marizza, genannt die Schmuggler-Madonna" (1921), "Der brennende Acker" (1921), "Die Austreibung" (1923), "Die Finanzen des Großherzogs" (1924), "Herr Tartüff" (1925), "Faust" (1926)...  "L'Aurore" (Sunrise) est pour Murnau l'occasion d'allier à son génie de la lumière et de l'éclairage, la fluidité de la caméra à l'américaine...

"Nosferatu, eine Symphonie des Grauens" (1922, Murnau)

Avec Max Schreck (le vampire Count Orlok), Gustav von Wangenheim (Thomas Hutter), Greta Schröder (Ellen Hutter), Alexander Granach (Knock), 

C'est avec Nosferatu le vampire, d'après le roman Dracula de l'écrivain irlandais Bram Stoker écrit en 1897, que Friedrich Wilhelm Plumpe, dit Murnau (1888-1931) connaît la notoriété, et la première apparition du vampire Dracula constitue la plus magique de toutes les adaptations des contes surnaturels. Murnau et son opérateur F.A. Wagner filment l'épouvante, non pas avec les artifices scéniques du "Cabinet du docteur Caligari" (Robert Wiene, 1919), mais avec le réalisme de l'indicible, celui des éléments naturels, comme autant de messagers de la mort, ainsi le vent qui agite les bosquets en fleurs dès les premières images et qui gonflera ensuite les voiles du navire convoyant les cercueils jusqu'au port paisible de la petite ville hanséatique. Murnau va utiliser aussi des effets spéciaux comme l'accéléré et du film négatif pour rendre plus fantomatique la course en carriole, par exemple. A noter que la veuve de Bram Stoker ayant refusé de céder les droits du livre au scénariste Henrik Galeen et à Murnau, ceux-ci ont été dans l'obligation de changer le nom du monstre et inventer le principe selon lequel le vampire meurt sous la lumière diurne.

 "Vers 1830, à Wisborg, Thomas Hutter, confie sa jeune femme Ellen à l'armateur Harding et à sa sœur Annie avant de partir pour le château de Nosferatu dans les Carpates: il y est envoyé par son patron, Knock, notaire et agent immobilier, pour rendre visite au comte Orlock (Nosferatu) qui veut acquérir une maison à Wisborg. De relais en relais, Hutter arrive à destination et, dans la taverne où il dîne, se voit mettre en garde par tous les clients lorsqu'il déclare  se rendre au plus vite au château du comte Orlock. Il passe donc la nuit dans la taverne et découvre dans sa chambre "Le livre des vampires" qu'il ne prend pas au sérieux. Le lendemain Hutter se rend en voiture à cheval chez le comte, mais le cocher (qui n'est autre que Nosferatu déguisé) l'abandonne non loin du château : c'est Nosferatu qui l'accueille et, le soir tombant, lui offre de rester. Hutter se réveille dans un fauteuil, le lendemain matin, découvre deux morsures à son cou qu'il mentionne dans la lettre qu'il écrit à sa femme et s'enfuit épouvanté. Mais Nosferatu l'y a précédé..."

"Phantom" (F. W. Murnau, 1922)

Avec Alfred Abel (Lorenz Lubota), Grete Berger (Pfandleiherin Schwabe/Pawnbroker Schwabe), Lil Dagover (Marie Starke), Lya De Putti (Veronika Harlan/Mellitta), adapté par Thea von Harbou d'un roman de Gerhart Hauptmann

Lorenz Lubota (Alfred Abel), greffier dans un petit bureau du gouvernement, à Breslau, poète et membre d'une famille menée par une main de fer par une mère qui soupçonne que sa fille, Melanie, se prostitue. Un jour, alors que Lorenz se rend au travail à pied, une femme (Lya De Putti) conduisant deux chevaux blancs le renverse dans la rue, et s'il n'est pas blessé, cette femme (Veronika), inatteignable compte tenu de sa modeste condition sociale, va désormais l'obséder, bouleverser son existence étriquée, poursuivre en rêve l'attelage fantôme, sans jamais parvenir à le rattraper. Il en perd son emploi, pense pouvoir vivre de ses poésies, reprend espoir, emprunte de l'argent à sa tante Schwabe (Grete Berger), prêteur sur gage particulièrement impitoyable. Compromis dans une affaire de cambriolage, Lorenz est condamné aux travaux forcés, perd sa mère, et tente de refaire sa vie à sa libération...

"Der letzte Mann" (1924, Murnau)

Avec Emil Jannings, Maly Delschaft

Murnau décrit ici la vie d'un homme, un vieillard, tourmenté et ne vivant que dans le regard d'autrui. Il nous livre, en reconstitution de studio pour accentuer sa maîtrise du clair-obscur et long travelling parcourant les couloirs, entrecoupées de scènes éthyliques prises sur le vif, la déchéance d'un vieux portier d'hôtel (Emil Jannings, dans une de ses plus grandes performances) : celui-ci, si fier de ses prérogatives, se retrouve reléguer dans les toilettes de l'établissement pour ne pas sombrer totalement, mais cette situation devient rapidement la pire des humiliations. Pourtant, Murnau conclut son film par un rebondissement des plus inattendus : un milliardaire américain excentrique, qui succombe à une crise cardiaque dans les lavabos de l'hôtel, lègue son immense fortune à l'homme qui l'a assisté dans ses derniers moments...

"Faust – Eine deutsche Volkssage" (1926, Murnau)

Avec  Gösta Ekman (Faust), Emil Jannings (Mephisto), Camilla Horn (Gretchen/Marguerite), Frida Richard(la mère), Wilhelm Dieterle (son frère),  Yvette Guilbert(Marthe Schwerdtlein)

Le film fut l'un des plus coûteux de la société de production Universum Film Aktiengesellschaft, Murnau entendant fait oeuvre d'artiste peintre au travers de chacun de ses plans, la lumière y est l'élément déterminant (Murnau se réclame de Rembrandt), modelant avec une précision rarement atteinte chaque visage, corps, ou éléments. Face à l'Archange de lumière, symbole du Bien, se dresse Méphisto, le Mal incarné,  qui entend triompher par ses maléfices de l'intelligence humaine : il choisit comme victime le Dr Faust, vieil alchimiste célèbre par ses travaux et sa piété. Pour ce faire, Méphisto déchaîne la peste sur le monde et Faust, se voyant impuissant à conjurer le fléau, invoque le Prince des Ténèbres, et finit par vendre son âme. Devenu plus jeune par l'entremise de Méphisto, Faust séduit Marguerite, une pure jeune fille, amour qui la conduit au bûcher. Désespéré, Faust maudit le piège dans lequel il est tombé, le charme se rompt, il redevient un vieillard et, dans un ultime accès de courage, s'en va mourir sur le bûcher auprès de sa bien-aimée, qui l'a reconnu: "l'amour expie les pêchés des Hommes"...

 "Sunrise: A Song of Two Humans"  (L'Aurore,  Murnau,1927)

Avec George O'Brien (The Man), Janet Gaynor (The Wife), Margaret Livingston (The Woman From the City)

Fort des succès de ses films allemands, Murnau part pour New York en 1926 et s'engage avec la Fox à Hollywood. C'est en 1927 qu'il réalise "L'Aurore", échec commercial mais chef-d'œuvre reconnu de l'univers de Murnau, magnifiant les éléments naturels et montrant une extraordinaire inventivité dans le mouvement  de ses différents plans. Un homme et une femme forment un couple uni, vivant à la campagne au bord d'un lac. Arrive de la ville une étrangère, aussi noire de chevelure que l'épouse est blonde , qui séduit le fermier. Celui-ci décide non seulement d'abandonner sa femme, mais de la tuer au cours de la traversée du lac. Il n'arrive pas à mettre le projet à exécution et sa femme s'enfuit, épouvantée, vers la ville. Il la rattrape et la journée se passe à la reconquérir. Réconciliés, ils se retrouvent dans une église et c'est comme s'ils se mariaient à nouveau… Mais, au retour, un orage éclate, la barque chavire et il croit sa femme noyée. Fou de douleur, il veut étrangler sa maîtresse, quand on lui annonce que sa femme est saine et sauve. L'étrangère retourne à la ville, l'homme et la femme sont réunis, c'est l'aurore…


 Fritz Lang (1890-1976) 

Issu d'une veille famille bourgeoise, natif de Vienne, Fritz Lang se destine à la peinture tout en étudiant l'architecture, profession de son père, sur l'ordre de ce dernier, mais il fugue, découvre le cinéma à Bruges (1909), s'installe à Paris, qu'il doit quitter pour faire la guerre (1914).  Blessé sur le front italien, il termine la guerre dans un hôpital viennois, et écrit ses premiers scénarios, films d'aventures historiques et exotiques, sans succès, et fait ses début de réalisateur sous la responsabilité d'Erich Pommer. Son premier film important sera "les Araignées" (Die spinnen), puis "les  Trois lumières " (Der müde tod, 1922), la même année que "Mabuse le joueur", étude d'une société en décadence, tournage durant lequel  durant il perd accidentellement l'œil droit. Il écrit ses films en collaboration avec Thea von Harbou, sa seconde épouse jusqu'en 1934, qui, elle, rejoindra le parti nazi. Le succès de ses films impressionne ces derniers, dont le très wagnérien "Die Nibelungen" (1921). Mais la série des "Mabuse" (1922), "Metropolis" (1922), qui présente une ville futuriste clivée entre ouvriers esclaves et maîtres sans concession, "M le Maudit", récit critique d'un infanticide, à travers leur ambiguïté, semblent dénoncer le nouveau pouvoir: convoqué par Goebbels en 1933, Lang doit fuir l'Allemagne pour Paris, il y dirige "Liliom" (1934), avec Charles Boyer, puis gagne Hollywood. Lang reprend ses thèmes pur on premier film américain, "Fury" (1936), avec Spencer Tracy et Sylvia Sidney, "You only live once" (1937), avec Sylvia Sidney et Henry Fonda, "You and me" (1938), "Man Hunt" (1941), avec Walter Pidgeon, Joan Benett, George Sanders, "Hangman also die" (Les Boureaux meurent aussi, 1943), son unique film avec la collaboration de Berthold Brecht, - à Prague, un résistant tue un nazi et des centaines d'otages seront exécutés s'il ne se dénonce pas. Mais Lang doit se soumettre aux diktats des producteurs d'Hollywood, MGM et Warner imposent des "happy ending" : malgré cela, Lang tournera de splendides films de meurtres et de vengance avec un art visuel dépouillé qui rappelle l'expressionnisme allemand (Ministry of fear, The woman in the window, 1944, Scarlet Street, 1946, Cloak and Dagger, Secret Beyond the Door (1948), Rancho notorious (1952), Clash by night, 1952, The Big Heat, 1953, Human Desire, 1954...). Le réalisateur se montre un froid entomologiste mais qui ne peut se départir d'un grand sens moral. Dans sa période allemande, Lang oppose le Mal au Bien et ce dernier parvient toujours à triompher, le sacrifice menant à la rédemption. Dans sa période américaine, Lang devient le grand cinéaste des apparences ...

 

"Der müde tod" (Les trois lumières, Fritz Lang,1921)

Avec Bernhard Goetzke (La Mort), Lil Dagover (l'héroïne), Walter Janssen

Aux abords d'une petite ville, la mort, sous les apparences d'un étranger à la silhouette longiligne et au visage grave et triste, monte dans une diligence où se trouve déjà un couple d'amoureux. Le mystérieux voyageur s'installe dans cette ville, y achète un terrain près du cimetière, s'entoure d'une impressionnante muraille, et  la jeune fille voit le spectre de son amoureux pénétrer dans l'étrange demeure : elle supplie la Mort de lui rendre son bien-aimé, et celle-ci lui montre alors trois lumières dont chacune représente une vie, à elle d'en sauver au moins une pour vaincre le destin du jeune homme...

"Dr. Mabuse, der Spieler" (1922, Le docteur Mabuse, Fritz Lang) 

Avec Rudolf Klein-Rogge (Dr Mabuse), Aud Egede Nissen (Cara Carozza), Alfred Abel (comte Told), Gertrude Welckler (comtesse Dusy Told)

Adapté d'un roman-feuilleton de Norbert Jacques publié dans le Berliner illustrierte Zeitung, "Dr. Mabuse der Spieler" apporta, avec la portée mystique de cette histoire mettant en scène la Mort lasse de prendre des vies, une renommée internationale à  Fritz Lang et Théa von Harbou, co-scénariste. Fritz Lang venait juste de terminer "Der Müde Tod" (les Trois lumières), un ambitieux conte philosophique et métaphysique. Dans les temps troublés de la République de Weimar, le mystérieux docteur Mabuse use de ses pouvoirs psychiques pour perpétrer des crimes audacieux dans le plus grand anonymat. Sur les traces de ce génie du mal, le procureur Von Wenck se lie d’amitié avec Gerhard Hull, jeune industriel fortuné. Ce dernier, qui a été la victime d’une extraordinaire arnaque au jeu, va l’introduire dans le milieu sombre et démoniaque du Berlin nocturne. Dans le premier épisode, "Der Gosse Spieler- Ein Bild der Zeit",  le docteur Mabuse, spéculateur et faux-monnayeur, dérobe un traité de commerce secret entre les Pays-Bas et la Suisse, et provoque l'effondrement des valeurs boursières. Dans le second, "Inferno, ein spiel von menschen unserer zeit", le comte Told,  accablé par la disparition de sa femme, sombre dans la dépression. Le procureur von Wenk lui conseille de recourir aux services d'un psychanalyste, qui n'est autre que Mabuse, un Mabuse qui est en fait l'auteur de l'enlèvement de la femme dudit comte...  

 Metropolis (Fritz Lang, 1927)

Avec Brigitte Helm (Maria et le robot), Alfred Abel (Joh Fredersen), Gustav Fröhlich (Freder)

 

 Le viennois Fritz Lang  a rejeté l'offre des nazis de diriger le cinéma allemand et, malgré "Der Müde Tod" (1921), où il utilise abondamment le clair obscur et des fondus qui soulignent l'inutile tentative de l'homme d'échapper à la mort, il a toujours refusé de se définir comme expressionniste. "Metropolis", adapté du roman de Thea von Harbou, doit beaucoup à sa formation d'architecte et aux oeuvres d'Erich Kettelhut, mais aussi au travail remarquable du chef éclairagiste Eugen Schüfftan qui associa décors réels et maquettes : dans une cité de fiction, dominée par des maîtres oisifs qui ne vivent que grâce à la sueur et au sang de milliers d’ouvriers qui se tuent à activer des machines qui ne produisent rien, le  film conte l'échec de la révolte des automates humains fomentée par le robot Eve. On sait que le film de Fritz Lang avait nécessité deux ans de travail, 9 mois de tournage, 36000 figurants, pour un film de 210 minutes qui mena la société U.F.A. (Universum Film Aktien Gesellshaft), force dominante dans l'industrie cinématographique allemande, au bord de la faillite, que seuls 15.000 Berlinois assistèrent à la projection en janvier 1927, et qu'il ne trouva sa notoriété mondiale qu'après la fin de la Seconde Guerre mondiale. Le film est devenu un chef d'oeuvre du cinéma mondial et les interprétations de sa symbolique, religieuse, politique ou psychanalytique, ne se comptent plus : on a pu le voir comme une allégorie du totalitarisme. La fin heureuse, reniée par l'auteur, voit capitalistes et travailleurs se réconcilier grâce à l'amour qu'éprouve le fils du despote (Gustav Frohlich) pour une jolie ouvrière (Brigitte Helm). 

"Spione" (Fritz Lang, Les espions, 1928)

avec Rudolf Klein-Rogge (Haghi/Nemo), Gerda Maurus (Sonja Baranikowa), Willy Fritsch (Donald Tremaine)

Thea von Harbou s'est inspirée d'une affaire d'espionnage qui avait fait grand bruit à Londres en 1926  ("Arcos Raid"), Scotland Yard découvrant que derrière une société de commerce soviétique se cachait un véritable nid d'espions. Semblant tourner le dos à l'expressionnisme, Lang multiplie rebondissements et morceaux de bravoure (un train percutant un wagon à l'arrêt, une bombe explosant contre un mur, une voiture terminant sa course folle dans une maison..). Le héros est ici le n°326, Donald Tremaine, qui va s'opposer à Sonja, la belle et troublante collaboratrice du chef du réseau d'espionnage, Haghi, aux yeux de tout le monde un banquier couronné de succès quoique infirme ...

 

"Die Frau im Mond" (Fritz Lang, La femme sur la lune, 1929)

Avec Gerda Maurus (L'Etudiante en Astrologie, Friede Velten), Willy Fritsch (Wolf Helius)

Dernière œuvre muette de Fritz Lang et ultime superproduction des studios UFA frappés par la crise de 1929, Thea von Harbou met en scène un film de science-fiction qui, derrière sa poésie parfois naïve mais mouvementée, puise son réalisme technique auprès de deux futurs artisans de la conquête spatiale,Hermannn Oberth et Fritz von Hoppel. Wolf Helius veut construire une fusée pour se rendre sur l'astre mort, et cherche des commanditaires...

 

"M, Eine Stadt sucht einen Mörder" (Fritz Lang, M le maudit, 1931)

Avec Peter Lorre (Hans Beckert), Gustaf Gründgens (Schraenker), Ellen Widmann (Madame Beckmann), Inge Landgut (Elsie Beckmann), Otto Wernicke (Inspecteur Karl Lohmann), Franz Stein (le Ministre), Theodor Loos (le Commissaire Groeber), Friedrich Gnaß (Franz le voleur), Theo Lingen (Bauernfaenger), Rosa Valetti (Elisabeth Winkler).

Premier film parlant du réalisateur et décors de Karl Vollbrecht et d'Emil Hasler, "M le maudit" s'inspire d'un fait divers d'infanticide pour démonter le mécanisme progressif qui voit  toute une société se liguer pour éliminer un être nuisible, le psychopathe, effrayant et pitoyable, qu'incarne un extraordinaire Peter Lorre. Le film commence par une comptine : "Attends encore un peu, le méchant homme noir viendra avec sa petite hache. Il fera du hachis de toi... Tu es dehors." La petite fille, au centre, joue le rôle du bourreau et élimine de la vie les autres enfants. Dans un second cercle, elle entraîne le mouvement de la camera pour amorcer l'histoire du film : celle de la petite Elsie Beckmann qui va être tuée par le véritable méchant homme noir. Le commissaire Lohmann n'aboutissant guère dans son enquête si ce n'est en désorganisant la pègre, cette dernière décide, à l'instigation de son chef, Schranker, de faire surveiller la ville par les mendiants et les clochards: et c'est un aveugle qui va identifier M. grâce à un air de Grieg... 

"Toujours.. toujours il faut que j'aille dans les rues... Et je sens toujours qu'il y a quelqu'un derrière moi.. C'est moi-même... Et il me suit.." - Peter Lorre (László Löwenstein, 1904-1964) a créé des personnages de psychopathes inoubliables : son interprétation de l'infanticide dans "M la Maudit", rendue avec un réalisme si malsain, a servi de modèle pour bien des acteurs en charge d'incarner, par exemple, des tueurs en série. Le rôle le rend célèbre en Allemagne immédiatement et le populse dans une carrière internationale après avoir fui l'Allemagne nazie :  "L'homme qui en savait trop" (The Man Who Knew Too Much) d'Alfred Hitchcock (1934), "Le Faucon maltais", de John Huston, où il joue à la perfection de la lâcheté et de la cupidité, et "Casablanca" de Michael Curtiz, en 1942, où il est sans doute au sommet de toute l'ambiguïté de son personnage, poltron, lâche, mais dramatique. Naturalisé américain en 1941, Peter Lorre connaît une traversée du désert au cinéma après la Seconde Guerre mondiale...

"Das testament des Dr. Mabuse"

(Fritz Lang, Le testament du docteur Mabuse , 1933)

Avec Rudolf Klein-Rogge (Dr. Mabuse), Otto Wernicke (Le comminssaire Lohmann), Gustav Diessl (Thomas Kent) , Oscar Beregi (Le professeur Baum) Wera Liessem (Lilli)

 Dernier film allemand de Lang qui sera interdit par Goebbels, sans doute troublé par le personnage métaphysique de Mabuse. En effet, Mabuse, devenu fou, est interné dans un hôpital psychiatrique, mais, par l'intermédiaire de Baum, directeur de l'asile qu'il tient sous son pouvoir hypnotique,  parvient à diriger les actions d'une bande de malfaiteurs qui commettent de nombreux crimes. Le commissaire Karl Lehmann, bon vivant et personnage fort sympathique, réussira après divers événements à vaincre le réseau grâce à l'aide d'un jeune couple.. On a pu voir, dans une des scènes au cours de laquelle le fantôme de Mabuse dicte au directeur de l'asile sa stratégie criminelle, une évocation particulièrement sordide de la méthode employée par les nazis dans leur prise de pouvoir : "L'âme des hommes doit être effrayée jusqu'au plus profond d'elle-même par des crimes inexcusables et apparemment absurdes ; car le but ultime du crime est d'instaurer le règne absolu du crime, de créer un état total d'insécurité et d'anarchie fondé sur la destruction des idéaux d'un monde condamné au naufrage. Quand les hommes envahis par la terreur du crime seront devenus fous d'épouvante et d'effroi, quand le chaos sera la loi suprême alors sera venue l'heure de l'empire du crime".


 Karl Grune (1890-1962)

Karl Grune fait ses débuts de réalisateur en 1919 avec "Menschen in Ketten", puis en 1923, "Schlagende Wetter", la Ruhr des mineurs, dans un style plus naturaliste, souvent très minutieux, qu'expressionniste. Il est de ces réalisateurs qui font du Straßenfilm, un genre du cinéma muet allemand des années 1920 qui stylise le monde de la rue, lieu de fascination aventureuse pour le petit-bourgeois, ici de larges plans autour des personnages jouent de nuit, entre ombres et lumières, le pavé est brillant, la lumière des réverbères est blafarde, la prostituée suscite dans l'ombre tous les désirs les plus coupables. Mais le petit bourgeois revient toujours à son foyer. "Die Straße" est considéré comme l'un des meilleurs films de Karl Grune. "Am Rande der Welt" (Au bord du monde), en 1927, se veut plaidoyer pacifiste. Il émigre en Angleterre en 1933 ("Abdul the Damned", 1935)...

 

"Die Straße" (1923, Karl Grune, La Rue)

Avec Eugen Klöpfer,  Lucie Höflich, Anton Edthofer, Aud Egede-Nissen, Max Schreck  

"La Rue", de Carl Grune, inspiré par Carl Mayer, est le lieu de toutes les tentations: elle attire par ses lumières vacillantes le bourgeois qui espère en vain échapper à la monotonie du quotidien et éprouver les sensations fortes de rencontres aléatoires, voleurs , des prostituées, et autres prédateurs. L'atmosphère naturalo-expressionniste rend palpable le cauchemar de la situation, c'est au fond la rue elle-même qui observe notre héros et joue avec ses peurs... En regardant, fasciné, le trafic nocturne de la ville, le petit bourgeois de "Die Strasse" quitte sa femme pour une prostituée, le petit et naïf aventurier est soupçonné à tort de meurtre et arrêté...

Dans "La Tragédie de la rue" (1927) de Bruno Rahn, Asta Nielsen joue une prostituée vieillissante dont la compassion se finit dans une maison de parias par un assassinat et le suicide. La côté démoniaque de la rue est ici stylisé dans des images oniriques. Le style est celui d'un genre à l'honneur dans les années 1920, les "films de rue" (Strassenfilm). Dans "Asphalte" (1929), Joe May traite la rue de façon optimiste. L'occasion pour l'aventure et le changement est au premier plan, le héros trouve à travers la sincérité de ses sentiments malgré les dangers de la vie dans la rue une fin heureuse avec sa maîtresse.

Parmi les autres films de ce genre, on peut citer "Crise" de Pabst (1928), "Polizeibericht Überfall" d'Ernő Metzner (1928), "Kinder der Straße" de Carl Boese (1929), "Die Carmen von St. Pauli" d'Erich Waschneck (1928), "Berlin-Alexanderplatz - Die Geschichte Franz Biberkopfs" de Phil Jutzi (1931) ou encore "Razzia in St Pauli" de Werner Hochbaum (1932).


Paul Leni (1885-1929) 

Paul Leni intègre la troupe de Max Reinhardt dans les années 1910 et devient l’un des plus grands décorateurs de la scène théâtrale allemande, puis de l'art et du cinéma expressionniste dans les années 1920, connu pour ses diagonales saccadées, ses courbes inattendues, la structure parfois délirante de ses ambiances. Il commence à diriger des films en 1916, et c’est entre 1921 et 1929 que s’épanouit son œuvre de cinéaste. Appelé par Universal Studios, il gagnera Hollywood en 1927 ("The Man Who Laughs", avec Conrad Veidt)...

 

"Das Wachsfigurenkabinett" (Paul Leni, Le Cabinet des figures de cire, 1924)

Avec Emil Jannings, Conrad Veidt, Werner Krauß, Olga Belajeff

 Dans "Le cabinet des figures de cire", un jeune homme est engagé par le directeur d'une baraque foraine pour rédiger des contes illustrant la vie de trois mannequins exhibés dans son "Panoptikum" (Musée de Cire) : Haroun al-Rachid, Ivan le Terrible et Jack l'Éventreur. Amoureux de la fille du directeur, le jeune homme va se projeter avec elle dans chacune des aventures qu'il compose...


Georg Wilhelm Pabst (1895-1967) 

Georg Wilhelm Pabst, d'abord comédien, en Suisse puis à Berlin, a séjourné aux États-Unis jusqu'en 1919, puis, en 1920, tout en continuant à travailler pour le théâtre, fonde, avec Carl Froelich une maison de production, dans laquelle il débute comme réalisateur en 1923 avec l'expressionniste "Der Schatz". Ses grands succès au muet seront "Die freudlose gasse", un "kammerspiel" (film de chambre) façon Max Reinhardt,  avec Greta Garbo, "Geheimnisse einer Seele", "Die liebe der Jeanne Ney", "Abwege" (1928), "Die Büsche der Pandora" et "Das tagebuch einer verlorenen" (avec Louise Brooks), films plus réalistes qu'expressionnistes, dénonçant la dégradation de l'homme et de la femme dans un monde corrompu, mais aussi influencés par la psychanalyse et abordant avec franchise les problèmes de la sexualité. Au début du parlant, il défend un certain pacifisme lyrique, avec "Westfront 1918", "Kameradschaft" (1932), après avoir mis en scène le célèbre "Opéra de quat'sous" (1931), d'après Bertold Brecht, avec une musique de Kurt Weil, "L'Atlantide" (1932), avec Brigitte Helm, "Salonique nid d'espions" (1937), avec Pierre Blanchar et Pierre Fresnay, "Le drame de Shanghaï" (1938), avec Raymond Rouleau et Louis Jouvet (Ivan). Pabst, à la différence de nombre de ses collègues, n'a pas rompu avec le régime nazi - il a signé trois films historiques sous ce régime -, et on le retrouve après la guerre tentant d'exorciser les démons du nazisme, avec notamment "Le procès" (1948), violente attaque de l'antisémitisme, et "Der letzte Akt" (1952), qui reconstitue les derniers moments vécus par Hitler et ses proches dans l'abri souterrain en avril 1945. Il cesse de tourner en 1956 et meurt, presque oublié, le 29 mai 1967 à Vienne (Autriche).

 

"Die Freudlose Gasse" (Pabst, La rue sans joie, 1925)

Avec Greta Garbo (Greta Rumfort) , Asta Nielsen (Maria Lechner) 

Georg Wilhelm Pabst a sa propre vision des formes expressionnistes : si "Der Schatz" (Le Trésor) est en 1923 un film très marqué par "Le Cabinet du docteur Caligari", Pabst s'oriente plus vers le mélodrame naturaliste pendant le reste de la décennie. Dans "La Rue sans joie", G.W.Pabst va suivre le destin croisés de quelques quinze personnages, et accentuer le pathétique par l'outrance des contrastes d'ombre et de lumière, qui sculptent les ruelles dans lesquelles s'insinue la misère humaine. Dans cet univers évoluent la jeune suédoise Greta Garbo et la danoise Asta Nielsen. Vienne, au lendemain de la défaite de 1918, est en proie au spectre de l'inflation et de la débauche. Dans une boutique de mode (Valeska Gert) qui se transforme la nuit en maison de passe, à l’intérieur de laquelle les jeunes femmes qui veulent sortir de la misère trouvent toutes à qui parler se retrouvent le soir. Tout près de là, une boucherie tenue par un margoulin sans scrupules, Greitiger (Werner Krauss) , devant laquelle font queue les déshérités, et qui utilise également le même type de méthode en permettant aux jeunes femmes sans le sou de coucher avec lui contre de la viande. Dans ce décor sans joie vient échouer la famille du conseiller Rumfort, qui s'est ruiné à la suite de spéculations boursières : sa fille aînée, Grete Rumfort (Greta Garbo), fait de son mieux pour subvenir aux besoins des siens sans se laisser aller aux sollicitations de la rue. Une compagne de détresse, Marie (Asta Nielsen) , lui donne l'exemple de la déchéance : amoureuse d'un affairiste, elle va jusqu'à commettre un meurtre avant de se dénoncer à la police. La révolte gronde contre la double exploitation de la tenancière et du boucher. Greta, acculée au désespoir, est sur le point de se prostituer; elle est sauvée in extremis grâce à un lieutenant de la Croix-Rouge qui est tombé amoureux d'elle.


"Geheimnisse einer Seele" (Pabst, Les mystères d'une âme, 1926)

Avec Werner Krauss (Martin Fellman), Ruth Weyher (sa femme), Ilka Grüning (la mère), Jack Trevor (Erich), Pavel Pavlov (Dr. Orth)

C'est l'un des premiers films qui tente d'illustrer les théories de Freud sur l'inconscient, Karl Abraham et Hanns Sachs ont collaboré au scénario, inspiré de fait réels. Alors qu'un meurtre brutal vient d'avoir lieu dans son quartier, Martin Fellman (Werner Krauss), un chimiste, apprend que le cousin de sa femme (Ruth Weyher) va revenir en Allemagne après un long séjour en Inde. La nouvelle semble déclencher chez lui des rêves terribles, entre autres un cauchemar récurrent où il assassine son épouse. Peu après, son rêve manque de devenir réalité. Terrifié par son propre geste, l'homme quitte précipitamment le domicile conjugal et se réfugie chez sa mère (Ilka Grüning), qui lui conseille de consulter un psychanalyste. Au fil de nombreuses séances resurgissent des souvenirs qui permettent à l'analyste, le Dr Orth, de rassembler les morceaux du puzzle et de décrypter les secrets enfouis au plus profond de l'âme de son patient : une phobie des couteaux associée à une pulsion criminelle, elle-même liée à un traumatisme enfantin...

"Die Liebe der Jeanne Ney" (Pabst, L'Amour de Jeanne Ney, 1927)

Avec Édith Jéhanne (Jeanne Ney), Eugen Jensen (Vater Alfred Ney), Fritz Rasp (Chalybieff), Uno Henning (Andreas), Brigitte Helm (Cousine Gabriele Ney), musique originale de Hans May

Inspiré du roman éponyme d’Ilja Ehrenburg publié en 1924, "L’amour de Jeanne Ney" est un mélodrame expressionniste particulièrement bien construit. Le correspondant français Alfred Ney et sa fille Jeanne vivent en Crimée depuis quelques années alors que la Révolution russe est dans son processus final : Alfred Ney veut quitter le pays, se procure une liste d'agents bolcheviques, via Chalybieff, l'espion de la Garde Blanche, dans laquelle figure le nom de l'amant de sa fille, Andreas Labov. Ce dernier finit par exécuter le père de Jeanne qui, terrorisée, tente tout de même de sauver la vie d'Andreas. Elle fuit à Paris et trouve refuge chez oncle, détective, Raymond Ney, dont la fille, Gabriele, est aveugle. L'opportuniste Chalybieff réapparaît à Paris, et ne reculera devant rien pour tenter de séduire Jeanne, malgré le retour d'Andreas Labov, et de s'accaparer la fortune de l’oncle …

 

"Abwege" (Pabst, Crise, 1928)

Avec Brigitte Helm (Irene Beck), Gustav Diessl (Thomas Beck), Hertha von Walther (Liane)

Kammerspiel mené avec une rigueur stylistique intemporelle, Irene Beck, une femme de la bonne bourgeoisie berlinoise, se sent délaissée par son mari, Thomas, qui est avocat, et croit avoir découvert la passion avec le peintre Walter Frank : le mari fait échec à leur tentative de rencontre, et, frustrée, Irène plonge dans la vie nocturne et trépidante de Berlin, se livrant à tous les excès, s'abandonnant à une relation sans importance, pense renouer avec Walter Frank, mais retrouve au bout de son errance, Thomas...


"Die Büchse der Pandora" (Pabst, Loulou, 1929)

Avec Louise Brooks (Loulou) Fritz Kortner (Dr Schön), Franz Lederer (Alwa Schön)

Ce chef d'oeuvre de GW.Pabst, tiré de deux pièces de Frank Wedekind, est mondialement connu pour avoir inventé le personnage de Loulou et mise en scène l'américaine Louise Brooks qui s'impose comme la première icône de la sensualité au cinéma. Sa présence était si forte qu'elle n'est jamais parvenue à passer à des rôles parlants : son jeu est exceptionnellement naturel dans le Berlin moderniste des années 1920 puis un Londres noyé dans le brouillard où, devenue prostituée, elle séduit Jack L'éventreur qui ne peut résister à son besoin irrépressible de la tuer. L'intrigue est fragmentée en actes, comme une pièce de théâtre. Loulou est une jeune femme qui ne s'encombre d'aucun préjugé et vit pour l'amour et le plaisir. Ses amis sont nombreux. Elle en a de tous les âges et de toutes les conditions. Elle est présentement la maîtresse en titre du Dr Schön, propriétaire de plusieurs journaux. Ce jour là Schön fait grise mine en annonçant son prochain mariage avec la fille du ministre de l'intérieur. Il lui dit que sa liaison avec elle mettrait sa carrière en péril. Avant qu'il n'arrive, Loulou avait reçu la vieux Schigolch qu'elle présente à Schön comme son plus ancien mécène. Une fois Schön parti, Schigoch fait monter Rodrigo Quast, un trapéziste célèbre qui propose à Loulou d'être sa partenaire. Loulou réussit par ses intrigues à faire rompre le docteur Schön, avec sa fiancée et à s'en faire épouser, tout en poursuivant ses autres liaisons. Le soir même des noces, son mari la surprend avec son propre fils. Il tend un revolver à l'infidèle, pour qu'elle se supprime. Mais au cours de la dispute, c'est lui qui est tué. Accusée de meurtre, Loulou est acquittée grâce à des protecteurs influents. Elle continue à mener une vie aventureuse avec son beau-fils, qui se ruine au jeu pour elle. Elle échoue finalement dans les bas-fonds de Londres, avec des compagnons de débauche. Un soir de brume et de cafard, elle racole un inconnu qui n'est autre que le maniaque Jack l'Éventreur. Celui-ci l'entraîne dans sa mansarde et la poignarde...

"Das tagebuch einer verlorenen" (Pabst, Le journal d'une fille perdue, 1929)

Avec Louise Brooks (Thymiane), André Roanne (le comte Osdorff)

La seconde collaboration entre Louise Brooks et Georg Willem Pabst est tirée d’un roman de Margarete Böhme dans lequel l'héroïne n’a pas la perversité d’une Loulou mais qui, confrontée trop tôt à un monde qu’elle aura du mal à comprendre, sombre sans y trouver sa place. Thymiane (Louise Brooks ) a eu seize ans et fête sa communion. Son père, veuf, le respectable pharmacien Henning, vient de renvoyer sa gouvernante. Le jour de la cérémonie, on apprend qu'elle s'est suicidée. A l'annonce de cette nouvelle, Henning et son associé, le préparateur Meinert, échangent un regard complice. Le soir-même, Meinert séduit Thymiane. Thymiane est enceinte. Le préparateur refuse le mariage, estimant que la dot ne sera pas suffisante. Déshonorée, la famille Henning décide de placer Thymiane en maison de redressement, et l'enfant en nourrice. Soumise en permanence aux brimades et aux vexations d'une discipline de fer, Thymiane s'enfuit avec son amie Erika. En arrivant chez la nourrice, elle apprend la mort de son enfant. Erika l'entraîne alors dans une maison close où elle semble trouver la chaleur et la protection qui lui faisaient défaut. Pourtant, un jour, après la mort de son père, Thymiane change de vie en épousant le comte Osdorff, un jeune aristocrate désargenté, vieil ami de la famille. Unique héritière, Thymiane abandonne la fortune de son père à ses demi frère et soeur, devant ce geste, Osdorff se suicide. L'oncle du jeune comte prend en charge Thymiane qui, devenue dame patronnesse, visite son ancienne maison de redressement.

"Die weiße Hölle vom Piz Palü" (Pabst, L'enfer blanc du Pitz Palu, 1929)

Avec Gustav Diessl (Dr. Johannes Krafft), Leni Riefenstahl (Maria Maioni), Ernst Petersen (Hans Brandt), Ernst Udet (Flieger Udet), Mizzi Götzel (Maria Krafft), Otto Spring (Christian Klucker)

Co-réalisé par Arnold Fanck et Georg Wilhelm Pabst, le film a pour cadre la chaîne de la Bernina, en Suisse. Johannes Krafft, sa femme Maria et leur guide Christian se lancent à l'assaut de la paroi nord du Piz Palu, un sommet suisse. Un bloc de glace se détache et sectionne la corde qui reliait les alpinistes. La jeune femme est précipitée dans le vide et disparaît, et chaque année, Krafft grimpe sur le Piz Palu le jour de la mort de sa bien-aimée...

Les "films de montagne" sont un genre qui apparaît en cette fin des années 1920 et qui permet d'exprimer la lutte de l'homme contre la nature. Leni Riefenstahl, qui joue dans "Die weiße Hölle vom Piz Palü" de Pabst, réalisera "La Lumière bleue" (1932) qui appartient aussi à ce genre.  


Pabst se révèle un découvreur de talents...

Greta Garbo (Die Freudlose Gasse, 1925), 

Greta Garbo (Greta Lovisa Gustafson, 1905-1990), "la Divine", beauté légendaire à la voix grave, déesse élégante et sophistiquée, apparaît, alors adolescente, dans des courts métrages, un premier rôle publicitaire, "Herr och fru Stockholm" (Monsieur et Madame Stockholm, 1920, Ragnar Ring) et "Konsum Stockholm Promo", puis Mauritz Stiller lui ouvre la porte du cinéma, l'initie à l'art dramatique et lui offre le rôle d'une jeune comtesse italienne, Elizabeth Dohna, dans "Gösta Berlings Saga" (1924, Mauritz Stiller). Elle incarne ensuite Greta Rumfort, jeune femme désespérée tentée par la prostitution, dans "La Rue sans joie" (Die freudlose Gasse, G.W.Pabst, 1925), puis traverse l'Atlantique et devient cette beauté enigmatique et distante qui va interpréter des rôles comme autant de facettes cachées de sa personnalité : entretemps, son physique hors du commun aura été remodelé aux attendus esthétiques hollywoodiens. Son visage lui permet alors d'enchaîner les rôles : "Le Torrent" (Torrent, Monta Bell, 1926),  Elena, une femme fatale du grand monde, dans "La Tentatrice" (The Temptress, Fred Niblo, 1926), "Flesh and the Devil" (1926, Clarence Brown, "Anna Karénine" (1927, Edmund Goulding), "The Divine Woman" (1928, Victor Sjöström), "The Mysterious Lady" (1928, Fred Niblo),  "A Woman of Affairs" (1928, Clarence Brown), "Wild Orchids" (1929, Sidney Franklin), "Anna Christie". En 1930, enfin son premier rôle dans le parlant (Clarence Brown), puis "Grand Hotel" (1932, Edmund Goulding), "As You Desire Me" (1932, George Fitzmaurice), "Queen Christina" (1933, Rouben Mamoulian), "Anna Karenina" (1935, Clarence Brown), "Le Roman de Marguerite Gautier" (Camille, 1936, George Cukor), "Ninotchka" (1939, Ernst Lubitsch),  "Two-Faced Woman" (1941, George Cukor). Les rôles sont tous dramatiques, thématique peu recherchée dans le cinéma américain de l'époque, et c'est grâce à l'Europe que sa renommée s'étend, et sa carrière s'achève au début de la Seconde Guerre mondiale, pour vivre recluse à New York, elle aura entre-temps partagé ses passions avec Mimi Pollak et Mercedes de Acosta...


Pabst se révèle un découvreur de talents...

Brigitte Helm (Die liebe der Jeanne Ney, 1928), 

Brigitte Helm (Brigitte Eva Gisela Schittenhelm, 1906-1996) devient une des plus célèbres "Femme Fatale" du cinéma allemand après son interprétation des personnages de Maria et de la femme robot dans le "Metropolis" de Fritz Lang, incarnant les deux visages du bien et du mal, chaste "Jungfrau Maria" et "Maschinen-Maria" corps sexuel mécanisé livré au délire érotique. Par suite, refusant toutes les offres de vampires qui lui étaient proposées depuis sa performance, elle jouera dans 29 films, allemands, français ou anglais, et incarne, notamment, Magda, dans "Am Rande der Welt" (1927) de Karl Grune, Gabriele Ney, aveugle impuissante, dans "Die Liebe der Jeanne Ney" (1928), de Georg Wilhelm Pabst, et Antinéa,  souveraine d'un royaume des morts, dans "L'Atlantide" du même réalisateur Pabst (1932), Irene Beck, femme gâtée et sophistiquée sur le point de détruire sa vie par ennui, dans "Abwege" (1928) de Pabst, aventurière dans l'un de ses plus grands succès dans "Die Gräfin von Monte Christo" (1932), Marion, la femme de Pedro (Jean Gabin) devenue chanteuse de cabaret à Palma, dans "L'Étoile de Valencia" de Serge de Poligny (1933), Olga, la belle aventurière qui séduit Jean Gabin, dans "Adieu les beaux jours" (1933) d'André Beucler et Johannes Meyer, et quitte l'Allemagne nazie en 1935 pour disparaître totalement des écrans... Elle sera devenue, dans les années 1930, l'incarnation de la femme riche et moderne, une silhouette élancée, extérieurement froide et promesse de fièvre...


Pabst se révèle un découvreur de talents...

Louise Brooks (Loulou, 1928, Das tagebuch einer verlorenen, 1929),

Icône des années 1920, l'américaine Louise Brooks (1906-1985) débute à quinze ans, danseuse dans les Ziegfeld Follies, à New-York, et va tourner dès ses dix-neuf ans près de 24 films entre 1925 et 1938. C'est Pabst qui, dans "Loulou" (1928) lui ouvre la notoriété, son magnétisme érotique, sa coiffure noire  coupée au casque (the bobbed haircut), sa liberté, son audace l'imposent et inspirent de nombreuses femmes (les fameuses "flappers") : et à l'encontre des critiques, elle rétorquera "They expected a femme fatale, a siren, a slinking woman with lascivious looks and leers... Lulu does nothing. She just dances through the film, she's a young girl, she leads a life she's always liked. She was a whore when she was 12 and she dies a whore when she's eighteen. How can an audience expect a girl at that age to reflect, to suffer?". Sa carrière au cinéma est fulgurante : "The American Venus" (1926, film perdu), "Just Another Blonde" (1926, fragmentaire), "A Girl in Every Port" (1928, Howard Hawks), le film qui la fit remarquer aussitôt par Pabst, qui la préférait à Marlene Dietrich, déjà trop âgée, "Beggars of Life" (1928, William A. Wellman), "Pandora's Box" et "Diary of a Lost Girl" (1929, Pabst), "Miss Europe" (1930, Augusto Genina), "It Pays to Advertise" (1931, Frank Tuttle), "God's Gift to Women" (1931, Michael Curtiz), "Empty Saddles" (1936, Lesley Selander), mais quasiment mis au ban de la profession par les studios pour son indépendance, et sans doute pour son refus de céder aux avances des grands patrons et intermédiaires de l'époque, elle met fin à sa carrière cinématographique après 1938, devient vendeuse, "kept woman" de quelques hommes d'affaire, et manque de sombre dans le dénuement le plus complet. En 1955, on se souvient à nouveau d'elle, et elle entame une carrière de critique et de commentatrice : "Most people die before things like that happen- to find that to a certain extent you are admired. It's a wonderful blessing. But I was perfectly willing to face that I'd made my own personal hell..... I knew I'd done it all myself"...


Asta Nielsen (1881-1972)

L'actrice danoise Asta Nielsen, qui subit une enfance particulièrement tragique, est devenue un phénomène cinématographique à elle seule en Allemagne entre les années 1910 et 1920. Connue simplement sous le nom de "L'Asta",  son érotisme subtil et le style naturaliste de ses interprétations la propulse au rang de star européenne, voire mondiale. Son premier film muet, "Afgrunden" (Abgründe, The Abyss), réalisé en 1910 par Urban Gad, qu'elle épousera, sera censuré aux États-Unis pour cause d'érotisme : sa danse très suggestive menée tout contre et autour d'un gaucho de music-hall est restée dans les mémoires des passionnés du cinéma muet, son personnage de Magda Vang crève l'écran par son naturel sans frein et se consume sous les yeux des spectateurs. Elle ne jouera certes pas dans des chefs d'oeuvre, mais ses multiples interprétations bousculent les conventions. Elle incarnera ainsi Stella, une acrobate équestre convoitée par deux hommes, dans "Den sorte drøm" (1911, The Black Dream), Paula Müller, dans "Zu Tode gehetzt" (Jaget til døde) réalisé en 1912 par Urban Gad, Nelly Panburne, dans "Die Suffragette" (1913), Jesta, une jeune fille qui joue la petite fille dans "Engelein" (Little Angel), de Urban Gad (1914), Helene Netzler, une spéculatrice qui tente par la séduction de s'imposer dans un monde des affaires dominé par les mâles, dans "Die Börsenkönigin" d'Edmund Edel (1918), Sonja Waler, une journaliste au bord de la rupture ("Nach dem Gesetz bin ich schuldig, doch ich fühle mich frei"), dans un très étrange "Nach dem Gesetz" (1919), Henriette Mauclerc, dans "Rausch", de Ernst Lubitsch (1919), un singulier Hamlet travesti, dans "Hamlet", de Svend Gade et Heinz Schall (1921), Mary Verhag, une ouvrière qui devient la maîtresse d'une millionnaire, dans "Die Geliebte Roswolskys" de Mary Verhag (1921), une étonnante Marie-Madeleine, dans "I.N.R.I." (Crown of Thorns) réalisé par Robert Wiene en 1923, et partage la distribution de "Die Freudlose Gasse" (La Rue sans joie, 1924) de Georg Wilhelm Pabst, avec Greta Garbo, qu'elle éclipse totalement, enfin Vera Holgk, dans "Unmögliche Liebe" d'Erich Waschneck en 1932. Le passage au parlant lui est tout autant fatal que la prise du pouvoir par les Nazis : elle décline une offre de Goebbels et se retire au Danemark pour débuter une carrière littéraire à 65 ans. Ses Mémoires (The Silent Muse, Den tiende Muse) publiées en 1946 confirment une personnalité hors du commun...


 

"Asphalt" (May, 1929)

Avec Gustav Fröhlich (Albert Holk) , Betty Amann (Elsa Kramer) , Hans Adalbert Schlettow (l'ami d'Elsa)

Le jeune et naïf Albert Holk, agent de police débutant, arrête Elsa Kramer, une demi-mondaine séductrice qui arrondit ses fins de mois en volant des bijoux. La belle séductrice parvient à l'attirer chez elle et à le neutraliser par ses charmes. C'est alors que surgit le complice d'Elsa. Suit une violente scène de jalousie et le malheureux Albert tue malencontreusement Elsa : il avoue son crime à son père, policier à la retraite, qui le livre aussitôt à la justice...

Le réalisateur de "Asphalt" est Joe May (1880-1954) - Joe May produit à Berlin, dès 1914, une série de films noirs, puis se tourne, après la Première Guerre mondiale, vers les films d'aventures et exotiques (Veritas vincit, 1919, Die Herrin der Welt, 1920, Das indische Grabmal, Le Tombeau hindou, 1921) et les mélodrames (Trag ö Meurent der Liebe, 1922-23). A la fin des années 1920, il se tourne vers le réalisme et se montre sensible à l'expressionnisme dont on retrouve tous les ingrédients dans son film policier, "Asphalte" (1929). Il change encore de style en 1930 avec une comédie musicale, "Ihre Majestät die Liebe", puis en 1933 fuit l'Allemagne nazie pour les Etats-Unis...

La si jolie Betty Amann (Philippine Amann, 1907-1990), dont la famille émigra aux Etats-Unis en 1908, vint en Allemagne débuter une carrière cinématographique encore timide, en 1929 : Erich Pommer la fait tourner dans "Asphalt" et ce rôle lui ouvre les portes du cinéma allemand du début des années 1930. S'enchaînent "Der Sträfling aus Stambul" (1929), "Der weiße Teufel" (1930), "Niebezpieczny romans" (Bas-fonds, 1930), "Das Lied der Nationen" (1931), "Der Große Bluff" (1933), "Schleppzug M 17" (1933), où elle rencontre l'une des grandes actrices allemandes des années 1930, Berta Drews, mais elle doit quitter l'Allemagne nazie et, après un détour en Angleterre pour jouer sous la direction de Alfred Hitchcock dans "Rich and Strange" (1931), regagne les Etats-Unis en 1937 pour tomber dans l'oubli après un dernier rôle, celui d'une prostituée dans "Isle of Forgotten Sins" de Edgar G. Ulmer (1943)...


Le cinéma américain des années 1930 et les films noirs apparus au milieu des années 1940 doivent beaucoup à l'expressionnisme allemand des années 1920 : mais au-delà, les créatures et décors expressionnistes nous ouvrent une nouvelle perception de la réalité, un autre monde, connexe au nôtre, mais qui semble nous signifier que nous sommes en fait piégés à l'intérieur même de notre esprit et menacé dans nos existences par un totalitarisme né de nos angoisses et de nos incertitudes..