Digital around the world in 2020
La planète Terre est depuis le début de ce XXIe siècle très nettement divisé en deux "mondes", un monde "en ligne" et un monde "hors ligne". Le premier n'est que le miroir déformé du second, simplifié à l'extrême, constitué d'une multitude de réseaux qui se chevauchent et s'entrecroisent, des réseaux qui bénéficient d'un contexte favorable à leur surdétermination, des réseaux qu'empruntent seconde par seconde plus de la moitié de la population mondiale, au gré des fuseaux horaires et des évènements les plus divers, - les deux tiers de la population mondiale utiliseront l'internet d'ici à la fin de 2023 -, des réseaux qui pénètrent radicalement dans les sphères tant publiques que privées et dans les mille et un actes de l'existence quotidienne et des gestes publiques ("The new digital age : reshaping the future of people, nations and business", E. Schmidt, J. Cohen, 2014). Nous savons que les interactions entre les individus façonnent la manière dont nos sociétés vivent et se développent, d'où la fascination que l'on peut observer à l'égard de ces réseaux sociaux qui viennent, selon une dynamique qui leur est propre, prolonger, amplifier notre bonne vieille "vie réelle", le monde "hors ligne", avec ses hiérarchies, ses frontières, ses habitudes, ses institutions, ses règlements, ses inégalités, ses solitudes, ses cohabitations, ses confrontations voulues ou subies, et qui poursuit inexorablement son cycle de vie sur la planète Terre. L'extrême importance de ce phénomène et des bouleversements à venir tient au fait que ces nouvelles technologies, structurées en réseaux de communication interactifs, capturant des significations, construisant de l'opinion, stimulant de l'imagination, à la différence des technologies de l'ère industrielle, ont un impact direct sur notre intelligence et la formation de notre pensée. Du moins le pressentons-nous, mais jusqu'à quel degré et que peut-on en déduire ...
L'une des difficultés à conduire toute analyse vient de ce que le réseau social n'est pas seul en cause, l'impact de la mondialisation, des flux d'informations temps réel, un certain épuisement de la culture dite traditionnelle que rien à ce jour ne vient remplacer ...
Ainsi, par exemple, les Etats-nations semblent n'être plus tout à fait les structures portantes de la société, ce n'est pas tant à ces réseaux qu'on le doit, mais à l'expansion mondiale du capitalisme et à la prolifération des multinationales qui ont multiplié les instances de pouvoir. Vient par la suite consolider cette orientation désormais jugée sans alternative à court ou moyen terme, - c'est dire que notre horizon du monde semble se refermer -, une évolution massive et rapide des médias sociaux alimentée tout simplement par cette formidable impulsion humaine à communiquer de soi à soi, et de soi aux autres, - et par les progrès de la technologie numérique. Il ne s'agit, encore et toujours, que d'établir et d'entretenir des liens personnels à grande échelle, dans un espace que l'on semble maîtriser, y être reconnu pour se reconnaître, et pour une grande part tout simplement EXISTER, le temps d'une connexion. En 2005, l'année qui a suivi la création de Facebook, 5 % des adultes Américains utilisaient une forme ou une autre de médias sociaux, en 2019, ils étaient 72 %.(Pew Research Center) ...
"We are on the cusp of a revolution. Mobile phones, computers and iPods are commonplace in hundreds of millions of households worldwide, influencing how we think and shaping how we interact. In the future, smart machines will compete with clever people for employment and even human affection. We are shifting to a world where knowledge will be automated and people will be rewarded instead as conceptual and creative thinkers. Hence being able to think and act in ways that machines cannot will become vital. Ideas are the currency of this new economy and curiosity and imagination are among the key raw materials. But what happens to the rigour of our thinking in a world where we never really sit still or completely switch off? What are some of the unexpected consequences of digital information on the 100 billion cells and quadrillion connections inside our brains? Future Minds illustrates how to maximise the potential of digital technology and minimise its greatest downside, addressing the future of thinking and how we can ensure that we unleash the extraordinary potential of the human mind."
"Nous sommes à l'aube d'une révolution. Les téléphones mobiles, les ordinateurs et les iPods sont monnaie courante dans des centaines de millions de foyers à travers le monde, influençant notre façon de penser et façonnant notre façon d'interagir). À l'avenir, les machines intelligentes rivaliseront avec les personnes intelligentes pour l'emploi et même pour l'affection humaine. Nous évoluons vers un monde où le savoir sera automatisé et où les personnes seront récompensées en tant que penseurs conceptuels et créatifs. Il sera donc vital de pouvoir penser et agir d'une manière que les machines ne peuvent pas. Les idées sont la monnaie de cette nouvelle économie et la curiosité et l'imagination en sont les principales matières premières. Mais qu'advient-il de la rigueur de notre pensée dans un monde où nous ne restons jamais vraiment assis ou complètement déconnectés ? Quelles sont les conséquences inattendues de l'information numérique sur les 100 milliards de cellules et les quadrillions de connexions de notre cerveau ? Future Minds montre comment maximiser le potentiel de la technologie numérique et minimiser ses plus grands inconvénients, en abordant l'avenir de la pensée et la façon dont nous pouvons nous assurer que nous libérons le potentiel extraordinaire de l'esprit humain."
FUTURE MINDS? Le réseau social donne à l'individu une seconde chance, il peut en effet, dans un monde extérieur qu'il ne maîtrise pas, instable, inégalitaire, élitiste, et potentiellement dangereux, exister par la communication et la mise en scène de ce qu'il pense être dans un autre. Peut-on de là franchir une étape dans l'analyse, et voir effectivement émerger de l'interconnection de ses individus multiples une sorte d'intelligence collective supérieure, comme le soutient Steven Johnson, "Emergence, The connected lives of ants, brains, cities and software" (2001)? Reprenons l'un de ces si nombreux ouvrages portant l'annonce d'une évolution majeure de notre pensée depuis que la technologie accompagne nos existences, "Future minds : how the digital age is changing our minds, why this matters, and what we can do about it" (R. Watson, 2010) ...
"We have little control over who we algorithmically are"? - "Les algorithmes sont partout, organisant les données quasi illimitées qui existent dans notre monde, écrit John Cheney-Lippold (We are data : algorithms and the making of our digital selves, 2017). Dérivés de chaque recherche, " like, click, and purchase", les algorithmes déterminent les nouvelles que nous recevons, les publicités que nous voyons, les informations qui nous sont accessibles et même l'identité de nos amis. Ces configurations complexes ne forment pas seulement le savoir et les relations sociales dans le monde numérique et physique, mais déterminent également qui nous sommes et qui nous pouvons être, à la fois en ligne et hors ligne. Les algorithmes nous créent et nous recréent, en utilisant nos données pour attribuer et réattribuer notre sexe, notre race, notre sexualité et notre statut de citoyen. Ils peuvent nous reconnaître comme des célébrités ou nous marquer comme des terroristes. À l'ère de la surveillance omniprésente, la collecte de données contemporaine ne se limite pas à la collecte d'informations sur nous. Des entités telles que Google, Facebook et la NSA décident également de la signification de ces informations, construisant ainsi nos mondes et les identités que nous habitons. Nous avons peu de contrôle sur ce que nous sommes algorithmiquement. Nos identités sont rendues utiles non pas pour nous, mais pour quelqu'un d'autre. L'auteur entend ici inspire les lecteurs-utilisateurs qui veulent retrouver un peu de liberté dans notre monde de plus en plus surveillé et construit par des algorithmes....
En 2005 (La singularité est proche ), Ray Kurzweil prédisait encor et toujours une transformation technologique du monde au cours de notre vie, à défaut de tenter comprendre l'impact sur notre pensée et les raisons de ces transformations : Kurzweil affirme que l'intelligence des ordinateurs dépassera bientôt la pensée humaine, nous encoderons alors nos esprits, les téléchargerons et ne ferons plus qu'un avec notre technologie, atteignant ainsi la "singularité" - mais de quels "contenus" d'esprits parle-t-on?. À ce moment-là, la courbe du progrès technologique commencera à monter en ligne droite. Finalement, omnipotents, n'étant plus mortels, n'étant plus de chair, nous transformerons toute la matière de l'univers en conscience, en nous. (Ray Kurzweil, The Singularity is Near : When Humans Transcend Biology, New York, Penguin). Penser le futur est le plus souvent un exercice contesté et saturé d'intérêts contradictoires, les contraintes à long termes et les interdépendances sont par trop complexes à maîtriser, ajoute John Urry (What is the future?, 2016). Il n'empêche, quelque soit le continent sur notre planète Terre, à des degrés divers et des rythmes certes différents, une même "humanité" se construit autour des technologies de communication et de représentation de soi, une certaine homogénéisation des comportements et de ce qui reste de pensée, - mais de quelle humanité s'agit-il?
Utilisant les mêmes outils technologiques, branchés en permanence tout au long de nos existences quotidiennes, géolocalisables, des millions d'individus de part le monde enregistrent et échangent ce qu'ils voient, ce qu'ils ressentent, ce qu'ils découvrent, se nourrissant les uns les autres de ce qui se vend, de ce qui s'achète, de ce qui s'expose, de leurs souvenirs, de leur physique, de leur intimité, de ces quelques certitudes glanées ici ou là dans un monde réel qu'ils ne maîtrisent pas ou plus encore tout simplement dans le vaste stockage des données les plus diverses que dispensent en flots continus ces même réseaux sociaux...
Using the same technological tools, permanently connected throughout our daily lives, geolocatable, millions of individuals around the world record and exchange what they see, what they feel, what they discover, feeding each other with what is sold, what is bought, their memories, their physical appearance, their intimacy, the few certainties gleaned here and there from a real world they don't control, or even more simply from the vast storage of the most diverse data dispensed in continuous streams by these very social networks. ..
En fait, on sait observer l'émergence, la croissance et la disparition d'un réseau social ou d'une technologie, mais on n'en comprend toujours pas la dynamique ni l'impact sur notre développement intellectuel et notre comportement. On le voit donc, l'analyse n'est pas si simple, et on peut, par exemple, rendre le réseau social responsable de tout, contribution à une révolution majeure de la pensée humaine ou déflagration cosmique de nos démocraties et de notre tissu social, mais le réseau social ne fait en fin de compte que prolonger la grande illusion d'une révolution cognitive de notre humanité, et plus encore, réalité bien concrète, l'installation triomphante, définitive, d'une mondialisation faite d'un capitalisme incontournable et dominant, d'une communauté globale interconnectée et structurée en blocs idéologiques : le réseau russe n'est pas le réseau américain ou chinois , l'islam n'est pas l'athéisme, l'Afrique, l'Amérique du Sud ou l'Europe ne sont que bien peu de choses dans un monde que construisent l'Asie et l'Amérique du Nord. L'Asie du Sud, de l'Est et du Sud-Est représente déjà plus de la moitié du nombre total d'utilisateurs de l'internet dans le monde, quand bien même le taux de pénétration de l'internet dans ces régions serait encore bien inférieur à la moyenne mondiale. Les inégalités sont omniprésentes sur notre planète Terre, un peu plus de 40 % de la population mondiale totale (environ 3,2 milliards de personnes) n'est toujours pas connectée, plus d'un milliard d'entre eux vivent en Asie du Sud et 870 millions en Afrique..
Le Réseau social, sous ses différentes instances, contribue à structurer notre monde et donc, une certaine façon de le penser, et de nous penser, mais selon quelles modalités et jusqu'à quel point, ou plus encore peut-il constituer l'un des piliers de la pensée des générations en devenir? Marshall McLuhan, qui avait prédit l'internet et inventé l'expression "village planétaire" au début des années 1960, entendait explorer la manière dont les changements technologiques nous modifient. Fut évoqué par la suite la notion, bien discutable, de "société de la connaissaissance", que supporte notre nouveau monde numérique, un monde qui se lance avec frénésie dans une numérisation croissante de tout ce qui peut l'être, posant de redoutables problèmes tant juridiques que tout simplement critique et de pertinence.
Dans "Mind change : how digital technologies are leaving their mark on our brains", Susan Greenfield évoque les technologies omniprésentes qui nous entourent aujourd'hui et dont nous tirons des informations instantanées, une identité connectée, une diminution de la vie privée et des expériences exceptionnellement vivantes. Selon elle, ces technologies créent un nouvel environnement, avec de vastes implications, car nos esprits s'adaptent physiquement : ils sont reconnectés. Qu'est-ce que cela peut signifier et comment pouvons-nous exploiter, plutôt qu'être exploités par, notre nouveau milieu technologique pour créer de meilleures alternatives et des vies plus significatives ? S'appuyant sur les recherches les plus récentes, il s'agit ici susciter le débat, d'améliorer nos capacités mentales et notre bien-être, mais nullement d'étayer une réflexion quelque peu critique. La quantité d'informations personnelles numérisées continue de croître de manière exponentielle, le nombre d'ouvrages portant sur les avantages qu'il y a à les exploiter et les dangers qu'il y a à les utiliser à mauvais escient, suit la même courbe, mais on ne se demande guère ce que signifie numériser un passé de moins en moins intellectuellement maîtrisé, ou décrire en pages conséquentes des stratégies numériques d'acquisition dans un monde où fondamentalement c'est encore et toujours le sens qui vient à manquer...
Andrew Keen affirmait dans "The cult of the amateur : how today's internet is killing our culture" (2007) que le nouveau Web 2.0 participatif menaçait nos valeurs, notre économie et, en fin de compte, l'innovation et la créativité qui forment le tissu de la réussite américaine. Dans la culture actuelle de l'autodiffusion, où l'amateurisme est célébré et où toute personne ayant une opinion, même mal informée, peut publier un blog, poster une vidéo sur YouTube ou modifier une entrée sur Wikipédia, la distinction entre l'expert formé et l'amateur non informé devient floue. Lorsque les blogueurs et les vidéastes, sans contrainte de normes professionnelles ou de filtres éditoriaux, peuvent manipuler l'opinion publique, la vérité devient une marchandise qui peut être achetée, vendue, conditionnée et réinventée. L'anonymat qu'offre le Web 2.0 remet en question la fiabilité des informations que nous recevons et crée un environnement dans lequel les prédateurs sexuels et les voleurs d'identité peuvent circuler librement. Keen nous invitait alors à réfléchir aux conséquences d'une culture qui cautionne le plagiat et le piratage et affaiblit les médias traditionnels et les institutions créatives.... Dans "The internet is not the answer" (2015), Andrew Keen retrace l'histoire technologique et économique d'Internet, de sa fondation dans les années 1960 à la création du World Wide Web en 1989, en passant par les vagues de start-ups et la montée en puissance des entreprises de big data, jusqu'aux tentatives croissantes de monétisation de presque toutes les activités humaines. Les entreprises Internet prospères ont produit des retours sur investissement astronomiques, et le capital-risque ainsi que la recherche du profit sont devenus les principaux moteurs de l'innovation. Dans ce récit vif et spirituel, qui s'appuie sur les travaux d'autres écrivains et journalistes, sur des études universitaires récentes ainsi que sur ses propres recherches et entretiens, Keen nous fait découvrir le monde de la technologie sous toutes ses coutures, des millionnaires à capuche en rupture de ban à la surveillance en ligne omniprésente de la NSA, en passant par l'impact d'Internet sur le chômage et l'inégalité économique. C'est une vue d'ensemble de ce qu'Internet fait à notre société et une enquête sur ce que nous pouvons faire pour essayer de nous assurer que les décisions que nous prenons sur la reconfiguration de notre monde ne conduisent pas à des répliques désagréables et imprévues....
Une question reste toujours pendante, des centaines de milliers d'ouvrages plus tard, l'impact du "réseau social" sur notre façon d'être, de vivre et de penser. Mais des réseaux sociaux qui ne sont à vrai dire que des amplificateurs individualisés d'une autre grande vibration de notre monde humain, celui des médias temps réel, omniprésentes et orchestrées par des instances de pouvoir dont le contrôle et la transparence soulèvent bien des interrogations ...
L' être humain à la sociabilité dévorante est donc désormais connecté à un monde social digitalisé, immédiat, volatile et simplificateur, qui n'est pas tout à fait la Réalité mais en épouse les contours et va jusqu'à nous la réinterpréter, en l'état, à chaud, sans recul critique. "On" écrit des ouvrages, donc "on" pense ce nouvel univers, mais comment le pense-t-on? A vrai dire, principalement en terme d'usage, de plaisir et de déplaisir, sans plus ...
"The Internet of Us: Knowing More and Understanding Less in the Age of Big Data", Michael Patrick Lynch, 2016
We used to say “seeing is believing”; now googling is believing. With 24 7 access to nearly all of the world’s information at our fingertips, we no longer trek to the library or the encyclopedia shelf in search of answers. We just open our browsers, type in a few keywords and wait for the information to come to us. Indeed, the Internet has revolutionized the way we learn and know, as well as how we interact with each other. And yet this explosion of technological innovation has also produced a curious paradox: even as we know more, we seem to understand less.
Le discours ambiant : nous avions l'habitude de dire "voir, c'est croire" ; aujourd'hui, "googler", c'est croire. Avec un accès 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7 à la quasi-totalité des informations mondiales, nous n'avons plus besoin de nous rendre à la bibliothèque ou au rayon des encyclopédies pour trouver des réponses. Il nous suffit d'ouvrir notre navigateur, de taper quelques mots-clés et d'attendre que l'information vienne à nous (En fait, il faut sans doute nuancer cela, viennent à nous certaines informations, déjà filtrées, déjà orientées, les plus récentes supprimant les plus anciennes).
Reprenons le discours ambiant : "Indeed, the Internet has revolutionized the way we learn and know, as well as how we interact with each other. And yet this explosion of technological innovation has also produced a curious paradox: even as we know more, we seem to understand less. While a wealth of literature has been devoted to life with the Internet, the deep philosophical implications of this seismic shift have not been properly explored until now..." - En effet, l'internet a révolutionné notre façon d'apprendre et de savoir, ainsi que notre façon d'interagir les uns avec les autres...
Et pourtant?
Et pourtant, cette explosion d'innovations technologiques a également produit un curieux paradoxe : alors même que nous en savons plus, nous semblons comprendre moins de choses (even as we know more, we seem to understand less). Alors qu'une abondante littérature a été consacrée à la vie avec l'internet, les implications philosophiques profondes de ce changement sismique n'ont pas été correctement explorées jusqu'à présent...
Démontrant que la connaissance fondée sur la raison joue un rôle essentiel dans la société et que le "savoir" ne se limite pas à l'acquisition d'informations, le philosophe Michael Patrick Lynch montre comment notre mode de vie numérique nous amène à surévaluer certaines façons de traiter l'information par rapport à d'autres, et risque ainsi de déformer ce que signifie être un être humain. L'argumentation de M. Lynch, dont les implications sont considérables, trace un chemin qui va de la caverne de Platon à la théorie mathématique de l'information de Shannon, en passant par les Google Glass, et montre que la technologie elle-même n'est ni le problème, ni la solution...
C'est plutôt la façon dont nous adapterons notre esprit à ces nouveaux outils qui déterminera si l'"Internet des objets" - tous ces gadgets à nos poignets, dans nos poches et sur nos genoux - sera ou non un gain net pour l'humanité. En cours de route, M. Lynch utilise une optique de philosophe pour examiner certaines des questions les plus urgentes auxquelles la vie numérique est confrontée aujourd'hui, notamment la façon dont les médias sociaux révolutionnent notre conception de la vie privée, les raisons pour lesquelles une plus grande dépendance à l'égard de Wikipédia et de Google ne rend pas nécessairement le savoir "plus démocratique", et les dangers de l'utilisation exclusive des "big data" pour prédire les tendances culturelles. Promettant de moderniser notre compréhension de ce que signifie être humain à l'ère numérique, The Internet of Us s'appuie sur les ouvrages précédents de Nicholas Carr, James Gleick et Jaron Lanier pour nous donner un guide indispensable sur la façon de naviguer dans le bourbier philosophique qu'est l'ère de l'information....
"C'est indéniable : la technologie modifie notre façon de penser. Mais est-ce pour le mieux ? Au milieu d'un chœur de prophètes de malheur, Clive Thompson répond par un "oui" retentissant dans "Smarter than you think : how technology is changing our minds for the better" (2013). L'ère de l'internet a donné naissance à un style radicalement nouveau d'intelligence humaine, qui mérite à la fois d'être célébré et analysé. Nous apprenons plus et retenons plus longtemps, nous écrivons et pensons avec des audiences mondiales, et nous acquérons même une conscience du monde qui nous entoure semblable à celle d'un ESP (Electronic Stability Program). Les technologies modernes nous rendent plus intelligents, mieux connectés et souvent plus profonds, à la fois en tant qu'individus et en tant que société, assène l'auteur. Chaque innovation technologique - de l'écriture au télégraphe en passant par l'imprimerie - a provoqué les mêmes angoisses que celles qui nous assaillent aujourd'hui. Nous paniquons à l'idée que la vie ne sera plus jamais la même, que notre attention s'érode, que la culture se banalise. Mais comme par le passé, nous nous adaptons, nous apprenons à utiliser le nouveau tout en conservant ce qu'il y a de bon dans l'ancien. Thompson nous présente une série de personnages extraordinaires qui augmentent leur esprit de manière inventive. Il y a le millionnaire de soixante-seize ans qui enregistre numériquement chacun de ses moments d'éveil, ce qui lui permet de se rappeler instantanément les événements et les idées de sa vie, même en remontant des dizaines d'années en arrière. Il y a un groupe d'étudiants chinois courageux qui ont organisé un mouvement en ligne qui a entraîné la fermeture d'une usine de cuivre toxique d'une valeur de 1,6 milliard de dollars. Il y a des experts et des amateurs, notamment un groupe mondial de joueurs qui a résolu en un mois une énigme qui avait déconcerté les scientifiques spécialistes du VIH pendant une décennie. Et Thompson de traiter de la façon dont nos outils numériques - de Google à Twitter en passant par Facebook et les smartphones - nous offrent de nouvelles façons d'apprendre, de parler et de partager nos idées. Thompson s'appuie sur les dernières découvertes en sciences sociales (un socle de références souvent évoqué, mais quelles sont ces fameuses "découvertes"?) pour explorer la manière dont la technologie numérique s'empare de nos habitudes de pensée de longue date, les poussant dans de nouvelles directions. Notre façon de penser continuera d'évoluer au fur et à mesure que de nouveaux outils entreront dans nos vies. "Smarter Than You Think embraces and extols this transformation, presenting an exciting vision of the present and the future...."
- On pense "techniquement" le réseau social, - c'est l'orientation la plus élémentaire -, avec ses plateformes, ses applications, ses outils et ses guerres technico-commerciales, et quand on rêve, on parle de "réalité virtuelle" ou de "métavers". C'est pour les technophiles un monde idéalisé à l'extrême et des objets de reconnaissance sociale infaillibles pour les autres, et créer une part de soi dans le réseau social via les multiples gadgets de personnalisation mis à disposition plus ou moins librement. Ajoutons-y un peu d'intelligence dite "artificielle" (chatbots) pour articuler les quêtes et requêtes des moteurs de recherche, et c'est ainsi que les plateformes chinoises représentent en 2023 plus de la moitié des 20 premiers sites web du monde en termes de volume de trafic...
Réseaux sociaux, dit-on, l'anglais, souvent plus subtil en ces matières, distingue "social media" et "social network", de gigantesques plates-formes supportent donc sur internet deux mondes qui cohabitent et constituent notre nouvelle réalité. Les médiaux sociaux (social media) sont des plates-formes de diffusions d'informations (for broadcasting information), les réseaux sociaux (social network) des plates-formes de communication bi- ou multi-directionnelle (for communicating with one another). Les médias d'information traditionnels, les entreprises, les organisations les plus diverses sont des "médiaux sociaux", internet est un vecteur de leur présence au monde, et les voici ouvrant souvent des possibilités d'interaction avec chacun d'entre nous. Ils constituent des sujets d'étude bien spécifiques pour tout apprenti sociologue. L''individu, être humain, est quant à lui le fondement de l'activité du "réseau social", utilisateur-sujet lui aussi objet de bien des interrogations universitaires, politiques, marketing ou apparentées...
Plus subtilement encore, on peut distinguer parmi les réseaux sociaux, les "médias sociaux" (social media channels), tels que Facebook Instagram ou TikTok, voués à la création et la publication de contenus générés par l’utilisateur et le développement de réseaux sociaux en ligne, et les "réseaux sociaux" (sens plus restreint de "social networks channels"), tels que Twitter ou Linkedin, supports de liens entre des individus ou des organisations structurés autour d'une même finalité de communication...
- "On" peut penser économiquement et stratégiquement le "réseau social" : le commerce ne repose-t-il pas fondamentalement sur l'interaction humain? Jamais peut-être n'a-t-on pu observer avec les médiaux sociaux des leviers de croissance aussi productifs en tant que forces sociologiques et commerciales ("Sociable! : how social media is turning sales and marketing upside-down", Shane Gibson & Stephen Jagger, 2009; "Convert every click : make more money online with holistic conversion rate optimization", Benji Rabhan, 2013; "textsWeb copy that sells : the revolutionary formula for creating killer copy that grabs their attention and compels them to buy", Maria Veloso, 2013). . En moins d'une génération, les médias sociaux sont passés du stade de "direct electronic information exchange" à celui de lieu de rassemblement virtuel, de plateforme de vente, d'e-commerce et d'outils de marketing associés, des incontournables en ce XXIe siècle et justificatifs à eux seuls de ce nouveau monde qui double et organise nos sociétés. Comment les médias sociaux sont-ils parvenus à affecter la vie de milliards de personnes, comment les entreprises se sont-elles adaptées si rapidement au mode de vie numérique des consommateurs? "Before Twitter and Facebook, There Was Morse Code" rappelait le Washington Post en 2017, 1844, certes, 1969, puis ces années 1980 et 1990 qui voient avec la croissance de l'internet, l'introduction de services de communication en ligne (LiveJournal, 1999, Friendster, 2001). La scène médiatique se met en place. C'est alors que l'intérêt migre des entreprises aux simples utilisateurs, les téléphones cellulaires se transforment en "smartphones", l'internet sans fil à haut débit pénètre les foyers et les espaces publics, en retour les entreprises tirent parti de cette nouvelle mobilité des consommateurs en proposant à leurs clients de nouvelles méthodes d'interaction, plus simples, et de nouvelles façons d'acheter des biens et des services. Le premier iPhone d'Apple, lancé par Steve Jobs en 2007, a contribué à déplacer le centre d'intérêt de la création de communautés en ligne vers le mobile. Facebook, Twitter, Snapchat, Instagram, TikTok et d'autres services de médias sociaux ont prospéré dans l'environnement des applications mobiles. Et au fur et à mesure que les entreprises de médias sociaux augmentaient le nombre de leurs utilisateurs pour atteindre des centaines de millions, les applications commerciales de Facebook, Twitter et d'autres plateformes sociales ont commencé à prendre véritablement forme, ces entreprises ont eu ainsi accès à certaines des données d'utilisateurs les plus riches jamais conçues. C'est que l'utilisateur ne se contente plus de se connecter et de naviguer, il laisse trace de son empreinte privée, son nom, son lieu de vie, ce qu'il aime et ce qu'il connaît, le tout dans une stratégie continue de relations personnalisées, instantanées et prédictives (How to Build Your Social Media Marketing Strategy, The Guide for Social Media Marketing for Businesses ..).
"Know me, like me, follow me : what online social networking means for you and your business" - "If you think simply having a presence in social media will help you grow your business, you are wrong. Online networks are the new model for creating connections, so you'd better start by ditching your old ways of thinking.", nous dit Penny Power (2009). "Si vous pensez qu'une simple présence sur les médias sociaux vous aidera à développer votre entreprise, vous vous trompez. Les réseaux en ligne sont le nouveau modèle de création de liens, et vous feriez mieux de commencer par abandonner vos anciennes façons de penser. La présence en ligne n'est pas une question de technologie, mais de personnes. La technologie n'est qu'un outil. Nouer des relations profondes et faire partie d'une communauté où l'on obtient ce que l'on investit est au cœur de la compréhension de ce média en pleine évolution....
La seule question à laquelle répondre n'est donc plus de savoir s'il faut lancer son entreprise sur les plateformes de médias sociaux, mais comment le faire rapidement, efficacement, en respectant un budget, avec des objectifs intelligents et une feuille de route pour réussir. Dans "Advanced Social Media Marketing : How to Lead, Launch, and Manage a Successful Social Media Program", T.Funk (2013) nous révèle, une fois de plus, l'adoption et le suivi de mesures de performance clés, l'élaboration de campagnes publicitaires en ligne ou la création d'applications Facebook telles que des jeux, des concours et des sweepstakes capables de devenir viraux. La popularité du réseau social fournit un avantage concurrentiel que viennent redoubler ces fameux "influenceurs" (influencers) qui partagent des messages et des offres de produits avec leurs adeptes. On retrouve en fait toujours et encore le marketing d'influence ou tout simplement de propagande, rien de fondamentalement changé depuis deux siècles. Aujourd'hui, 2023, plus de 3,2 milliards d'utilisateurs de médias sociaux dans le monde, pour lesquels il faut trouver des influenceurs dont l'audience correspond à la niche de consommateurs de l'entreprise, des concepteurs qui structurent la navigation de l'utilisateur - un consommateur transplanté dans un univers de phrases clés et de communication visuelle et interactive -, et concevoir des analyses approfondies qui permettent aux spécialistes du marketing numérique de cibler des groupes démographiques spécifiques. Le marketing vidéo semble ici une nouvelle option ...
Mais le média social, s'il peut faire la fortune de l'entreprise en sachant efficacement s'emparer de quelques éléments de vie du consommateur-utilisateur de réseaux, l'entreprise est elle-même constituée d'hommes et de femmes en inter-relations spécifiques, orientés et hiérarchisés : se pose alors la question du fameux équilibre entre vies professionnelle et familiale, une même structure médiatique semble alimentée l'une et l'autre, ouvrant de nombreuses interrogations ("Balancing the big stuff : finding happiness in work, family, and life", Miriam Liss (2014), "The myth of balance : thriving in the tension of ministry, work, and life", Frank Bealer, 2017). Il y a à ce jour, dans le monde, environ 1 milliard de personnes engagées dans l' "économie dite de la connaissance", par rapport à une main-d'œuvre totale de 3,3 milliards de personnes (Gartner)...
"On" pense donc ici le réseau social, en terme d'usage différencié essentiellement, que l'on soit manager ou collaborateur, mais avec encore et toujours une redoutable ambiguïté.
L'interaction entre réseau social, monde digital, et monde du travail, livrerait des individus plus ouverts, en capacité de travailler avec différents types de personnes, de former des équipes, de gérer les émotions et de savoir persuader les autres (Corina Yen, Clifford Ivar Nass, "The man who lied to his laptop : what machines teach us about human relationships", 2012). A contrario le média social semble de fait la technique la plus achevée pour réaliser cette fameuse "intrusion des valeurs corporatives dans notre intimité" (M. Perreault, 2011).
- "On" peut penser le réseau social sous l'angle psycho-sociologique, teinté d'un peu de philosophie : "avoir l'impression d'exister parce qu'on écrit sur Facebook ou que l'on accroît sa popularité au gré des nouveaux effets selfies de Snapchat .." Domine le sentiment que les réseaux sociaux viennent se substituer à un espace technocratique qui n'invente pas mais ne se construit que pour maintenir à flot les inégalités et les dominations économiques et financières, moteur du capitalisme mondialisé et de la consommation ostentatoire, sans âme politique, sans trajectoire sociale, mais sachant combler le scepticisme, la résignation ou l'abstentionnisme de l'immense majorité des classes moyennes - résignées à vivre comme elles peuvent -, en redistribuant ce qu'il semble nécessaire de pouvoir de consommation et de divertissement. Une certaine perte d'identité se reconstitue momentanément au gré de Facebook, de Twitter, des vidéos de YouTube et des Selfies version Snapchat ou Instagram.
"The digital turn : how the internet transforms our existence" (2014), de Wim Westera évoque médias numériques et parle de nous. Il entend expliquer comment le flot sans cesse croissant des médias numériques affecte notre perception du monde, modifie nos comportements et finit par transformer notre existence même. À l'ère de Facebook, Twitter, Google et Apple, être en ligne est la norme. Nous passons de nombreuses heures par jour à regarder nos écrans, à parcourir le monde virtuel et à publier nos tweets, nos tags et nos "j'aime". Des milliards d'années d'évolution nous ont préparés à la vie dans les savanes. Il nous a fallu moins de deux décennies pour transformer radicalement notre biotope. Être en ligne n'est rien de moins qu'un mode d'existence fondamentalement différent. Elle risque de produire une vision fragmentée, détachée et déformée du monde. Quelle sera notre compréhension du monde lorsque toutes les certitudes résultant de la vie dans un monde matériel deviendront inutiles ? Quels seront notre rôle et notre position lorsque l'intelligence informatique dépassera l'intelligence humaine ? Comment pouvons-nous éviter de perdre le sens de l'identité, de l'amitié, de l'engagement social et, finalement, de la vie en général ? Ce livre explique les mécanismes et les conséquences de l'engagement dans les espaces en ligne. Il entend offrir un moyen accessible de mieux comprendre la manière dont les médias numériques influencent nos vies.
The e-personality? Qu'il s'agisse de partager des photos ou de suivre les marchés financiers, nous sommes nombreux à passer un temps fou en ligne, écrit Elias Aboujaoude (Virtually you : the dangerous powers of the e-personality, 2011). Si Internet peut améliorer le bien-être, l'auteur a passé des années à traiter des patients dont la vie a été profondément perturbée par Internet. Le danger réside en partie dans la façon dont Internet nous permet d'agir avec une confiance, un sex-appeal et un charisme exagérés (with exaggerated confidence, sexiness, and charisma). Ce nouveau moi, qu'Aboujaoude appelle notre "e-personality", se manifeste dans tous les courriels que nous envoyons, les "friends" que nous nous faisons sur Facebook et les boutons "buy now" sur lesquels nous cliquons. Trop puissants pour être confinés en ligne, les traits de l'e-personnalité s'infiltrent également hors ligne, nous rendant impatients, déconcentrés et motivés par l'envie, même après notre déconnexion (making us impatient, unfocused, and urge-driven even after we log off). Ce premier examen du pouvoir de transformation du monde virtuel sur notre psychologie nous montre comment la vie réelle est reconfigurée à l'image d'une salle de chat, et comment notre identité ressemble de plus en plus à celle de notre avatar ..."
Dans les années 1990, l'apparition du Web contribue à rendre Internet accessible au grand public, puis en 2004, avec le Web 2.0, les internautes deviennent "créateurs", en 2012, peut-être avons-nous basculé véritablement dans un autre monde, celui d'une connectivité totale qui enchaîne désormais notre existence (Tolentino) ... Vingt et dix ans plus tard, 2023, la planète Terre compte plus de 8 milliards d'habitants, le nombre de personnes utilisant internet dans le monde est passé à 4,54 milliards.
Premier niveau d'appréhension du réseau social, porte d'entrée ou frontière vers l'AUTRE monde, simples et transparent: les ouvrages les plus techniques consacrés à la conception de l'interface utilisateur des systèmes interactifs ont leurs classiques depuis des décennies, depuis que l'être humain conçoit du logiciel ("Human factors : understanding people-system relationships", B.H. Kantowitz, 1983; "Using computers : the human factors of information systems", R.S. Nickerson, 1986; "Designing the user interface : strategies for effective human--computer interaction", 1993; "Designing the user interface", B. Shneiderman, 2009; Steve Krug, "Don't make me think, revisited : a common sense approach to Web usability", 2014).
Puis vient l'immersion proprement dite, la grande et nouvelle expérience relationnelle, dont on ne cesse de nous répéter qu'elle peut devenir addictive et que nous sommes exposés sur la toile web à bien des menaces. Nombre de guide des médias sociaux vont ainsi couvrir nos moindres activités inter-humaines, les affaires, les loisirs et tout ce qui se trouve entre les deux, des guides que se concentrent sur les deux services les plus populaires et les plus personnels de médias sociaux, Facebook et Twitter, des guides qui accompagnent les lecteurs tant dans la configuration et la maintenance de leurs nouveaux compagnons techniques que dans la conduite à tenir dans ces nouvelles communautés qui nous attendent ("The Rough Guide to social media for beginners : getting started with Facebook, Twitter and Google+", Sean Mahoney, 2012; "The online community blueprint : a 9-step guide to planning an online community for your customers, members, or partners", Katie Bapple, 2015).
Pour traduire ce nouvel usage des réseaux sociaux à des fins d'interaction entre individus ou organisations, on use du terme de "social networking", qui englobe à la fois socialisation, activité professionnelle et divertissement, un terme traduit depuis 2011 par "réseautage social", bien difficile à reprendre en l'état (cf Grand Dictionnaire terminologique Office québécois de la langue française). Et les lieux communs sont désormais depuis deux à trois décennies bien connus : l'internet rend enfin possible à tout individu, si modeste soit-il, ce que la mondialisation porte en elle pour les privilégiés de ce monde, des communications possibles au-delà des frontières, interactives, gratuites, libres d'accès, sans engagement, sans obligations, de nouvelles opportunités relationnelles ou professionnelles, et l'accès à des communautés virtuelles partageant les mêmes intérêts ou orientations, le tout via des sites conviviaux, à la navigation simple. A cela s'ajoute deux élements essentiels, au succès avéré, et que l'on ne peut guère rencontrer que dans le réseau social, le fameux bouton "LIKE" par lequel, depuis 2005, l'utilisateur peut exprimer son opinion sur un message, un contenu ou même un produit, et la "popularité", élément constitutif du réseau social qui peut permettre à tout individu une incursion, certes volatile, dans la vie réelle, nous sommes à l'image de cette sur-représentation des "peoples" de toute espèce qui peuplent les bas-fonds des TV networks du monde entier...
Globalement, dans ce nouvel univers des réseaux sociaux qui double notre monde réel et au travers duquel nous nous exprimons et nous échangeons sur le monde, la "culture" requise y est a minima, la représentation de soi omniprésente et réductrice à ce qu'offre la technologie présente et à venir. L'histoire humaine est ici celle des évolutions technologiques qu'offrent plates-formes et outils logiciels, le temps est de l'instantané, le temps d'une colère ou d'un mouvement de solidarité, d'une prise de conscience sans conscience, on effleure ce qui demande trop à penser ou requiert des connaissances préalables, on se met en scène tant extérieurement qu'intérieurement, au gré des fonctionnalités applicatives et des évènements suscitant des réactions immédiates, le contenu semble dérisoire par rapport à la forme ...
S'étant constitué une identité, un profil, un espace de vie numérique, des liens et relations, une thématique, et des applicatifs associés offrant des possibilités de création aussi divertissantes que possibles, l'illusion d'être que nous fournit le réseau social culmine avec la mise à disposition par celui-ci d'outils de contrôle nous permettant de régner sur notre monde, d'écarter de notre univers ce qui ne nous convient pas, de bannir des utilisateurs, d'éliminer des connexions jugées intempestives, voir de signaler tel ou tel profil suspect. Et nous continuerons ainsi à survivre dans ce nouveau monde tant que nous resterons en ligne, connecté, en contact, tandis que notre corps physique continue d'arpenter la réalité de notre planète Terre...
MOTEUR DE RECHERCHE - Nous sommes des êtres profondément sociaux, notre soif de reconnaissance de soi et de rapport à l'autre est infinie. La moitié des heures que nous passons, nous les privilégiés de cette planète, à utiliser leur téléphone portable chaque jour est consacrée à l'utilisation d'applications sociales et de communication. Et c'est bien une nouvelle sociabilité qui se construit ainsi sur le web, elle porte en elle les germes d'une nouvelle "culture", d'un nouveau mode d'appropriation du monde, de soi et des autres. Cette socialisation n'est pas le seul moteur de l'utilisation des médias sociaux, le divertissement l'est tout autant, dans nos sociétés d'opulence et d'inégalités de conditions largement entretenues par nos gouvernants, "occuper son temps libre", "trouver des contenus amusants et divertissants" sont les deuxième et troisième raisons les plus fréquemment citées pour l'utilisation des médias sociaux, tout autant que la recherche de produits et services dans la suite de notre quête perpétuelle de la consommation. Les "search engines", les moteurs de recherche sont incontournables, leur usage s'inscrit désormais dans ce ce que nous pensons concevoir de notre liberté (Google, Microsoft Bing, Yahoo, Baidu, Yandex, DuckDuckGo, Ask.com, Ecosia, Aol.com, Internet Archive ..).
En juin 2017, Facebook devient le premier réseau social au monde à dépasser la barre des 2 milliards d'utilisateurs tous les mois et revendique désormais plus de 2,6 milliards d'utilisateurs actifs mensuels, tandis que 2 milliards de personnes utilisent sa principale plateforme de messagerie, WhatsApp. Les spécialistes du marketing atteignent par son intermédiaire près d'un tiers des adultes du monde entier âgés de 18 ans et plus, et plus de la moitié des adultes du monde entier âgés de 18 à 34 ans...
FACEBOOK (2004, Mark Zuckerberg et ses camarades de l'université Harvard, puis Meta), 3 milliards d'utilisateurs actifs par mois (avril 2023), 2 milliards se connectant chaque jour, avec 369.9 million d'utilisateurs en Inde, 186.4 million aux Etats-Unis (75% des U.S. adults visite le site), 135.1 million en Indonésie, 114.2 million au Brésil, 93.3 million au Mexique, 91.9 million aux Philippines...
YOUTUBE (2005, par Steve Chen, Chad Hurley et Jawed Karim, trois anciens employés de PayPal, et racheté par Google en octobre 2006) partage de vidéos en streaming, 2,5 milliards d'utilisateurs actifs par mois (avril 2023) et 31% de la population de la planète Terre l'utilisant quotidiennement, dont 467 millions en Inde, 246 aux Etats-Unis (69% des U.S. adults visite le site), 142 au Brésil, 139 en Indonésie, 81 au Mexique, 78 au Japon, 71 au Pakistan, 70 en Allemagne ..
WHATSAPP (2009, par Jan Koum et Brian Acton, deux anciens employés de la société américaine Yahoo, et racheté par Facebook en 2014), système de messagerie instantanée. Au moins 2 milliards d'utilisateurs par mois, dont 487.5 millions en Inde, 118.5 au Brésil, 84.8 en Indonésie, plus de 79 millions aux Etats-Unis (2021)..
INSTAGRAM (2010, Kevin Systrom, Michel Mike Krieger, racheté par Meta en 2012) service de partage de photos et de vidéos, devenu l'application de prédilection des utilisateurs de médias sociaux intéressés par les voyages, les divertissements, la mode et d'autres sujets à caractère visuel. On compte 1,62 milliards d'utilisateurs actifs par mois (avril 2023), dont 326.6 millions en Inde, 168.6 aux Etats-Unis (75% des U.S. adults visite le site), 132.6 au Brésil, 106.0 en Indonésie, 56.4 en Turquie, 54.7 au Japon ...
WECHAT, développée par Tencent Holdings Limited, concurrents directs de Facebook Messenger et de Whatsapp, 1,31 milliards d'utilisateurs par mois. Une innovation chinoise qui a ouvert la voie au reste du monde en transformant une messagerie instantanée en un package global de médias sociaux aux paiements mobiles, le commerce direct transforme le secteur de la vente au détail grâce à un mélange subtil d'achats instantanés et de divertissement, 4,6 milliards d'habitants, dont 2,7 milliards sont des utilisateurs de l'internet mobile ...
TIKTOK, application mobile de partage de vidéo et de réseautage social lancée en septembre 2016, développée par l'entreprise chinoise ByteDance pour le marché non chinois et porte en Chine le nom de Douyin, 800 millions à 1 milliards d'utilisateurs actifs mensuels dont plus de 60 % vivent en Chine, 19% de la population l'utiliserait quotidiennement, 116.5 million d'utilisateurs actifs/mois aux Etats-Unis, 113 en Indonésie, 84 au Brésil, 62 au Mexique, 51 en Russie ..
FACEBOOK MESSENGER (2011, système de messagerie instantanée créé par la société Facebook (Meta), et incorporé aux réseaux sociaux Facebook et Instagram, refondu en 2015, les publicitaires pourraient atteindre un plus d'un milliard d'utilisateurs via ce réseau, avec toujours l'Inde, le Mexique, le Brésil, les Philippines en grands consommateurs ...
LINKEDIN, 2002, fondé en tant que site de réseautage pour les professionnels soucieux de leur carrière, racheté par Microsoft en 2016, le site de médias sociaux de prédilection pour les demandeurs d'emploi et les responsables des ressources humaines à la recherche de candidats qualifiés, 922 millions d'utilisateurs actifs par mois (avril 2023), dont 200 millions aux Etats-Unis, 100 en Inde, 62 au Brésil, 60 en Chine, 36 au Royaume-Uni, 27 en France ...
SNAPCHAT, 2011, Even Spiegel et des étudiants de l'université Stanford en Californie, application de partage de photos et de vidéos, 654 millions d'utilisateurs actifs par mois (avril 2023) et 283 millions d'utilisateurs par jour, l'Inde compte 182 million d'utilisateurs actifs/mois, 108 aux Etats-Unis (73% des U.S. adults visite le site), 26 au Pakistan, 26 en France, 23 au Royaume-Uni, 21 en Arabie saoudite, 18 en Allemagne ..., et son chatbot se nomme My AI ..
TELEGRAM, 2013, Nikolaï et Pavel Dourov, fondateurs de VKontakte, le réseau social dominant en Russie, service de messagerie instantanée multiplateforme en freemium, 700 millions d'utilisateurs par mois, dont (2023) 70.48 millions en Inde, 24 en Russie, 20 aux Etats-Unis, 19 en Indonésie, 18 au Brésil, 11 en Egypte, 8 au Mexique, 7 en Ukraine ...
KUAISHOU, 2011, application mobile de partage de vidéos courtes, réseau social et éditeur d'effets spéciaux vidéo (Kwa), développée par Beijing Kuaishou Technology, 640 millions d'utilisateurs par mois ..
SINA WEIBO, 2009, site chinois de microblogage entre Twitter et Facebook, 586 millions d'utilisateurs par mois ..
QQ, 1999, système de messagerie instantanée propriétaire le plus utilisé en Chine après WeChat, la deuxième communauté virtuelle la plus importante au monde derrière Facebook, dit-on, 572 millions d'utilisateurs par mois ...
PINTEREST, 2010, système de partage de photographies numériques, Palo Alto, Californie, 463 millions d'utilisateurs actifs par mois (avril 2023), dont 90 millions aux Etats-Unis, 34 au Brésil, 23 au Mexique, 16,8 en Allemagne, 12,7 en France, 10 au Royaume-Uni ..
TWITTER, 2006, Jack Dorsey, Evan Williams, Biz Stone, Noah Glass, réseau social de microblogage et source d'information populaire, en particulier pour les habitants des pays anglophones, 372 millions d'utilisateurs actifs par mois (avril 2023), dont 64.9 millions actifs aux Etats-Unis, 51.8 au Japon, 16,6 au Brésil, 16,1 au Royaume-Uni, 15 en Inde, 14,8 en Indonésie, 13,8 en Turquie, 11,4 en Arabie saoudite, 9,5 en France ...
Twitter, rebaptisé "X", ce qui est en soit bien singulier, que l'on aime ou pas le XXe siècle, perd une bonne partie de sa crédibilité et se voit contestée par une nouvelle application, lancée le 14 décembre 2023 en Europe, "Threads", de l'univers Meta. Dès les sept premières heures de son lancement en juillet de la même année, l'application comptait plus de 10 millions de téléchargements ...
- "On" peut penser le réseau social sous l'angle politique, Manuel Castells concluera sa trilogie de l'âge de l'information (1999 : L'Ère de l'information. Vol. 3, Fin de millénaire, Fayard) en examinant comment le développement de cette société en réseaux mondialisés vient percuter d'immenses transformations géo-politiques de notre planète, l'effondrement de l'Union soviétique, l'émergence potentielle de la région Asie-Pacifique en tant que prochaine grande puissance mondiale, la croissance rapide d'un "Quart Monde", autant de "trous noirs du capitalisme informationnel" (des zones qui ont été coupées du flux de richesses et d'informations dans l'économie mondiale) qui refuse de se limiter aux frontières nationales - aussi susceptible d'apparaître dans les centres-villes américains qu'en Afrique sub-saharienne. Il évoque également le spectre d'une "économie criminelle mondiale", pendant obscur des sociétés transnationales, et s'interroge sur l'éventuel effondrement culturel de l'ordre moral traditionnel et la reconnaissance implicite d'une nouvelle société, composée d'une identité communautaire et d'une concurrence débridée...
Les évolutions politiques que pousse le réseau social sont ainsi les plus souvent traitées sous deux aspects, avec à l'origine un constat commun : le réseau social construit de la "relation sociale", de la "communauté", en fait un nombre innombrables de "communautés d'intérêt", de possibilité de reconnaissance de soi et de prise de parole; on peut enfin s'exprimer, penser qu'on est écouté, atteindre une certaine consécration parce que l'on est suivi pour ce que l'on dit, pour ce que l'on fait, et plus encore atteint-on le nirvana médiatique en devenant "influenceur", au pire "populaire". Et lorsque Ben Mezrich reconstitue la création de Facebook ("The Accidental Billionaires: The Founding of Facebook, a Tale of Sex, Money, Genius, and Betrayal", 2009, Ben Mezrich), au fond que nous décrit-il, un petit groupe sans génie mais entreprenant et en quête de reconnaissance sociale. Toutes ces fameuses industries sociales qui peuplent désormais notre planète ont acquis une influence totalement incompréhensible au regard de leur connaissance et de leurs réfllexions sur le monde : mais les faits sont là. Il ne faut donc guère s'étonner du vide intellectuel, nous sommes au pays romancé des fameux "people" dont le scandale n'est pas tant qu'il gagne de l'argent, mais qu'ils en gagnent trop pour ce qu'ils sont et font.
Le premier impact prêté au réseau social est donc fortement teinté de pessimisme , on reprend ici la thématique de la menace planétaire, une constante depuis des décennies de notre littérature. Richard Seymour analyse ainsi la "machine à tweeter" ("The Twittering Machine", 2019), et les effets destructeurs d'une machinerie dite "industrie sociale": les "alertes" qu'elles génèrent, sont conçues pour perpétuer des cycles d'engagement addictifs et dépressifs, sa construction de micro-célébrité plonge une individualité dans un cycle perpétuel d'auto-entretien au risque de se détruire, susciter constamment l'attention encourage le trolling et le politique réactionnaire, tout autant qu'une dégradation insidieuse de l'information proprement dite. Shoshana Zuboff montre bien comment des entreprises technologiques en fin de compte se construisent en collectant des données personnelles et en fournissant des outils de valorisation de certains de nos comportements, parviennant ainsi à exproprier et à monétiser les quelques contenus de penser qu'il nous restent, le tout avec notre complicité la plus explicite (The Age of Surveillance Capitalism, Shoshana Zuboff, 2019).
Et comme toujours dans l'histoire humaine, les situations vécues se révèlent contradictoires et paradoxales. Ces médias sociaux tant décriés ont permis la publication et la liberté d'expression de personnes ayant des opinions marginales ou dissidentes, donnant aux mouvements sociaux de nouveaux moyens de diffusion hors limitations traditionnelles, convenues ou réglementées. Paolo Gerbaudo, dans "Tweets and the Streets" (2012), évoque cette fameuse année 2011, dénommée "year of the protester" par Time magazine, qui permet de pousser au devant de la scène mondiale tout à la fois le "printemps arabe", le "mouvement des indignés" en Espagne et le mouvement Occupy aux Etats-Unis comme de nouvelles libertés dans un monde politiquement sclérosé. A-t-on sous-estimé ou va-t-on surestimer le potentiel révolutionnaire des médias sociaux, l'activisme numérique est une réalité, mais le meilleur comme le pire peuvent s'y côtoyer (l'Etat islamique, 2014-2015). Cet activisme peut trouver dans les réseaux sociaux une extraordinaire caisse de résonance dans le monde entier, mais la caractéristique du réseau social est d'être volatile...
Ainsi, en venons-nous, semble-t-il, à cet apport politique des réseaux sociaux, dans un contexte social à courts de nouvelles idées et en quête d'un second souffle pour une démocratie en régression insidieuse : le réseau social tend à "privilégier les communications horizontales sur l'organisation verticale". Se montrer plus attentif à ce qui semble être du vécu personnel ou des réactions suscitées par des évènements à forte charge symbolique, n'est-ce pas permettre à l'utilisateur d'acquérir un pouvoir social inédit ainsi que de nouvelles façons de s'organiser et d'échanger instantanément? Encore faut-il que ces nouvelles libertés puissent franchir la frontière entre réseau social et réalité socio-politique, quitter le monde du virtuel, de la volalité, de l'instantané, pour s'inscrire dans la durée humaine et sociale, s'institutionnaliser, devenir, de pensée, une pratique ...