Jane Austen (1775-1817), "Sense and Sensibility" (1811), "Pride and Prejudice" (1813), "Mansfield Park" (1814), "Emma" (1815) , "Persuasion" (1818) - ......
Last update 12/18/2016
"For what do we live, but to make sport for our neighbours, and laugh at them in our turn?" (Pride and Prejudice - Pourquoi sommes-nous sur terre, sinon pour fournir quelque distraction à nos voisins, et en retour, nous égayer à leurs dépens ?) - Le roman des moeurs apparaît en Angleterre à la charnière entre le XVIIIe et le XIXe siècle, un genre nouveau qui, à l'opposé des débordements passionnels d'un romantisme en plein essor, va s'attacher à disséquer les comportements et les attitudes des hommes et femmes en société, - de la gentry britannique dans le cas de Jane Austen : on y voit la toute la sottise de ces classes dites "supérieures" uniquement préoccupées de l'obsession de leur rang et des jeux de préséance qui se déploient à partir des visites et potins, sans omettre la stigmatisation de toute infériorité sociale.
Et les héroïnes de Jane Austen - parce que ses personnages principaux sont majoritairement des femmes, combien a pu être jugée superficielle et futile son oeuvre -, sont soumises aux contraintes et aux influences de ce milieu. Jane Austen parvient ainsi à dresser six portraits particulièrement subtils de six de ces femmes : Fanny Price (Mansfield Park), traitée en parente pauvre dans sa famille, si douce et emplie d'humilité; Elinor Dashood (Raisons et Sentiments), réfléchie, fait passer ses devoirs avant les sentiments, tandis que Marianne Dashood donne au contraire libre cours à ses émotions; Anne Elliot (Persuasion) est bouleversée par le retour de l'ancien amour de sa vie; Emma Woodhouse (Emma) joue l'entremetteuse sans véritablement prendre en compte les sentiments des autres; enfin Catherine Morland (L'Abbaye de Northanger) se prend pour une véritable héroïne gothique.... Quelques trente années plus tard, en 1847-1848, William Makepeace dénoncera avec ironie les hypocrisies et les turpitudes de la vie sociale à travers les exploits de la sulfureuse Becky Sharp (La Foire aux vanités) ...
George III (1738-1820) monte sur le trône en 1760 et affronte les débuts de la révolution industrielle, celle des villes où s'amasse une population
misérable, les actes d'enclosure qui font disparaître la petite propriété rurale et la classe des cultivateurs libres au profit des grands domaines, la perte des colonies de Nouvelle-Angleterre,
menant à la création des États-Unis, de longues guerres contre la révolution française, puis l'empire napoléonien. William Pitt le Jeune (1759-1806) domine de sa personnalité toute cette période.
En 1811, la folie du roi amène la création d'une régence en faveur de son fils aîné, le futur George IV.
Entre le XVIIIe et le XIXe siècles, alors que les romantismes entrent au devant de la scène littéraire, deux genres nouveaux viennent à naître, en
Angleterre, le "roman des moeurs", qui, loin des débordements passionnels, plonge son regard dans les attitudes et les comportements de la "bonne société", et dont les auteurs sont en
grande majorité des femmes... et dans la lointaine Ecosse, le '"roman historique", qui va gagner toute l'Europe ..
(Gilbert Stuart - 1804 - Elizabeth Patterson Bonaparte)
John Constable - circa 1809 - East Bergholt House - Tate Britain - London.
Jane Austen naquit huit ans avant Stendhal et "Persuasion", le dernier de ses romans, fut publié quatorze ans avant que Stendhal n'écrive "Le Rouge et le Noir". Jane Austen n'était ni une romantique ni une réaliste, écrira Ford Madox Ford, "elle était simplement "romancière" (novelist) comme l'étoile polaire est l'étoile du Nord". Presque seule avec Trollope - et peut-être Mrs. Gaskell - elle a partagé cette distinction dans l' "Anglo-Saxondom" jusqu'au jour où l'influence de Flaubert et de Stendhal pénétrèrent dans les îles britanniques et aux Etats-Unis. Et notre critique d'ajouter que "vous ne trouverez aucun autre écrivain anglais, avant Henry James, qui ait eu son talent - le plaisir de son génie - pour dessiner des personnages avec des touches aussi délicates", "as delicate as silverpoint and as impervious to the tooth of time as the statues of the Pharaohs". On cite comme son prédécesseur le plus immédiat, Frances (Fanny) Burney (1752-1840), dont "Evelina : or a Young Ladys Entrance into the World" (1778) a été écrit lorsque Jane Austen avait trois ans, et reste un livre divertissant mais qui accepte alors sans se poser de questions les normes de son époque plus que douteuse. Jane Austen est, elle, exempte de toute préoccupation morale qui trouble tant la littérature de ses prédécesseurs, de Richardson lui-même. Et si elle ne dénonce pas les vices de son époque, son humour continu qui se joue des faiblesses de ses personnages les plus importants sur le plan social est en soi un point d'interrogation continuel quant à la fine fleur des produits sociaux de son époque. Son "influence" dans le monde anglo-saxon fut, pour autant que nous le sachions, tout simplement nulle, bien qu'un public moins académique l'ait toujours appréciée, un peu comme on peut aimer "a delicious aunt"...
La critique académique la méprisera parce que tout simplement ses sujets ne sont que "domestiques", tandis qu'un Balzac, par exemple, écrit une foule de romans qui prétendent décrire une société entière, ce qui est inexact. Pourtant "Pride and Prejudice" ou "Mansfield Park" nous dépeint une société humaine de manière si vivante que nous avons l'impression de la côtoyer, et c'est une représentation sociale, qui, au fil des années de la reine Victoria, va incarner progressivement pour nombre de lecteurs du monde entier la parfaite représentation de ce qui fait en matière de "cynisme social". On y voit deux extrêmes celui du "confort" et du souci du "décorum", alors que depuis un siècle environ, le monde, en tout cas, le monde entre Rome et San Francisco, s'était lassé de l'héroïsme, des exploits, des grands idéaux, des grandes moralités. Son idéal ? Le manoir des classes dirigeantes anglaises, ses domestiques et sait-on que pendant des années, le Sud américain a acheté plus d'exemplaires de Trollope que tout le reste du monde réuni, alors qu'il ignorait Dickens.
La quintessence de ce stade idéal de la société a été rendue parfaitement visible par Jane Austen : qui ne voit, assis dans un fauteuil de Mansfield Park, un Sir Thomas faire une irruption fatidique sur la scène qui avait été érigée dans son propre sanctuaire, ou une Mme Norris préparer des conserves alors que nous écoutons tant les ragots de famille au sein même des classes dirigeantes anglaises que les problèmes de voisinage. Un Anthony Trollope (1815-1882), l'un des plus prolifiques romanciers de l'ère victorienne, passait, dit-on, extraordinairement invisible qu'il soit dans un bureau de poste ou dans les meilleurs clubs côtoyant les familles les plus emblématiques de son temps. Il a laissé derrière lui une Comédie Humaine, qui, comparée à celle de Jane Austen, est une véritable réussite. Et tous deux ont sans doute ceci en commun, c'est que la littérature ne semble pas avoir été pour eux une vocation essentielle à la réalisation de leur nature, ils écrivent, ils ont écrit, point, on ne connaît absolument pas ni leur raisons ni leur but ....
Jane Austen (1775-1817)
Loin des agitations révolutionnaires et des guerres napoléoniennes qui déchirent alors le continent et des romantismes qui s'emparent du paysage littéraire,
loin des drames, du pittoresque ou des histoires touffues que goûtent tant les lecteurs de son temps, Jane Austen porte un regard réaliste et simple, sans remise en question mais sans
complaisance, sur la vie quotidienne, sentimentale, de la petite noblesse provinciale du Royaume-Uni du début du XIXe siècle.
Dans "Orgueil et préjugés" (1813), Jane Austen résume toute la superficialité de la société qui s'impose alors : "Pourquoi sommes-nous sur terre, sinon
pour fournir quelque distraction à nos voisins, et en retour, nous égayer à leurs dépens?" ("For what do we live, but to make sport for our neighbours, and laugh at them in our
turn?")
Septième enfant et seconde fille de pasteur, ayant vécu toute sa vie dans le comté d'Hampshire (Steventon), sur la côte sud de la Grande-Bretagne, en face
de l'île de Wight. Jane Austen mène à l'ombre de ses frères une vie de vieille fille rangée, sans évènements marquants, dévorant tous les auteurs d'une époque qui mêle sentimentalisme et réalisme
social : Samuel Richardson (1689-1761), Samuel Johnson (1709-1784), Henry Fielding (1707-1754), Charlotte Lennox (1730-1804). En 1795, après de nombreuses tentatives littéraires, elle se lance
dans un roman épistolaire intitulé "Elinor et Marianne", qui devient en 1811, révisé, "Raison et sentiments" (Sense and Sensibility), puis son chef d'oeuvre, "Orgueil et préjugés" (Pride and
Prejudice, 1813), "Mansfield Park" (Mansfield Park, 1814), "Emma" (Emma, 1816). "Northanger AbbeyNorthanger Abbey", écrit en 1803, et "Persuasion" seront publiés à titre posthume en 1818. "The
Watsons", enfin, est un roman inachevé dont Jane Austen débuta la rédaction en 1804. Peu connue du grand public, la reconnaissance littéraire de Jane Austen ne prendra effet qu'au début du XXe
siècle.
Dans sa campagne anglaise, façon Constable, la gentry vit hors des agitations de l'histoire et n'a pour seules préoccupations, l'amour, la consolidation des fortunes familiales, l'élévation sociale par le mariage. Jane Austen, installée à Bath, qu'elle n'aimera guère, depuis 1801, retrace ainsi avec une technique narrative très fine, mais non sans ironie, la naissance du sentiment amoureux, les hésitations, les élans du coeur. Si à l'ombre des préjugés et des conventions, les intrigues se nouent et se dénouent sans tragédie excessive, bien des vanités et bien des illusions s'écroulent lorsque les personnages ouvrent enfin les yeux sur leurs propres illusions : "There are few people whom I really love, and still fewer of whom I think well. The more I see of the world, the more am I dissatisfied with it; and every day confirms my belief of the inconsistency of all human characters, and of the little dependence that can be placed on the appearance of merit or sense" (Pride and Prejudice).
(Adèle Romany - 1807 - A family portrait in a river landscape)
A la veille des révolutions industrielles et économiques qui bouleverseront les peuples et les consciences individuelles, et alors que les échos de Waterloo et Trafalgar annoncent la montée en puissance de l'empire britannique, Jane Austen décrit une société qui influence fortement les individus par les conventions sociales, et dans lequel la femme ne peut sauver sa fortune, et donc sa liberté, que par le mariage, "the road to marital bliss" qu'elle n'emprunta jamais.
Si ses héroïnes sont toutes soumises aux contraintes et aux influences sociales de leur époque, Jane Austen les dépeint avec une infinie subtilité : Fanny Price (Mansfield Park), traitée en parente pauvre, est douce et bonne; Elinor Dashwood (Raison et Sentiments), fait passer les devoirs avant les sentiments; Marianne Dashwood (Raisons et Sentiments) donne libre cours à toutes ses émotions; Anne Elliot (Persuasion) montre le visage de la femme bouleversée par le retour de son ancien amour; Catherine Morland (L'Abbaye de Northanger) se prend littéralement pour une héroïne gothique; enfin, Emma Woodhouse (Emma) joue les entremetteuse mais ignore les sentiments de ses protagonistes...
“I had not seen "Pride and Prejudice," till I read that sentence of yours", écrira Charlotte Brontë : "and then I got the book. And what did I find? An accurate daguerreotyped portrait of a common-place face; a carefully fenced, highly cultivated garden, with neat borders and delicate flowers; but no glance of a bright, vivid physiognomy, no open country, no fresh air, no blue hill, no bonny beck. I should hardly like to live with her ladies and gentlemen, in their elegant but confined houses.”
L'Abbaye de Northanger (Northanger Abbey, 1803)
Catherine Morland [Northanger Abbey] est l'un des trois romans majeurs que Jane Austen écrivit avant sa vingt-cinquième année et qui n'a été publié qu'en
1818, un an après sa mort. C'est l'histoire d'une jeune et naïve provinciale de bonne famille envoyée à Bath prendre les eaux, pour faire l'apprentissage du monde, et qui interprète tout ce qui
l'entoure à travers Les Mystères d'Udolphe de Mrs. Radcliffe, alors qu'elle se lie d'amitié avec la jeune et inconstante Isabelle Thorpe et son frère, le présomptueux John qui se pose rapidement
en prétendant de Catherine. Elle y rencontre également Henry Tilney et sa charmante soeur Eléonore. Catherine n'est pas insensible au charme de Henry. Aussi, quand le père d'Henry invite
Catherine à passer quelques jours dans sa maison, elle est au comble du bonheur ...
Raison et sentiments (ou Le Coeur et la Raison) (Sense and Sensibility, 1811)
"The more I know of the world, the more I am convinced that I shall never see a man whom I can really love. I require so much!", écrit ici Jane
Austen. "Sense and Sensibility est le premier roman que publia Jane Austen (1811). Le livre procède, si l'on considère le titre, d'une opposition entre deux traits fondamentaux : le bon
sens et la sensibilité, qui seraient incarnés par deux sœurs, Elinor et Marianne. Mais l'une et l'autre sont bien pourvues de ces deux qualités, si Elinor possède plus de jugement, et si
Marianne, en adepte du romantisme, a tendance à cultiver les élans de sa sensibilité. Notamment lorsqu'elle tombe aveuglément amoureuse du héros de ses rêves, Willoughby, un homme superficiel,
tourné vers l'argent, qui va la décevoir profondément. La sage, la raisonnable Elinor, qui l'avait mise en garde, avait-elle donc raison? Et le secret du bonheur serait-il dans l'usage du
jugement? C'est l'être isolé affrontant la société, qu'analyse Jane Austen. La raison consiste à s'ajuster au monde, et non à le braver, à observer des règles qu'on ne peut changer, plutôt
qu'à cultiver des rêves et des états d'âme condamnés à rester sans réponse. " (Gallimard) : "Marianne Dashwood was born to an extraordinary fate. She was born to discover the falsehood of
her own opinions, and to counteract, by her conduct, her most favourite maxims" ("Marianne Dashwood était venue au monde pour jouir d'un destin extraordinaire. Elle était née pour découvrir la
fausseté de ses propres opinions et pour contredire par sa conduite ses maximes les plus chères")...
"Lord! my dear Miss Dashwood! have you heard the news?" - "Sense and Sensibility by Jane Austen, Chapter 37", est l'un des chapitres les plus appréciés tant s'entremêlent tension dramatique et notations humoristiques : alors que les personnages principaux sont enfermés dans la maison de Berkeley Street, les mini-drames se succèdent apportant un extraordinaire lot de révélations...
"Mrs. Palmer was so well at the end of a fortnight, that her mother felt it no longer necessary to give up the whole of her time to her; and, contenting
herself with visiting her once or twice a day, returned from that period to her own home, and her own habits, in which she found the Miss Dashwoods very ready to resume their former
share.
About the third or fourth morning after their being thus resettled in Berkeley Street, Mrs. Jennings, on returning from her ordinary visit to Mrs.
Palmer, entered the drawing-room, where Elinor was sitting by herself, with an air of such hurrying importance as prepared her to hear something wonderful; and giving her time only to form that
idea, began directly to justify it, by saying,
"Lord! my dear Miss Dashwood! have you heard the news?"
"No, ma'am. What is it?"
"Something so strange! But you shall hear it all.--When I got to Mr. Palmer's, I found Charlotte quite in a fuss about the child. She was sure it was
very ill--it cried, and fretted, and was all over pimples. So I looked at it directly, and, 'Lord! my dear,' says I, 'it is nothing in the world, but the red gum--' and nurse said just the same.
But Charlotte, she would not be satisfied, so Mr. Donavan was sent for; and luckily he happened to just come in from Harley Street, so he stepped over directly, and as soon as ever he saw the
child, be said just as we did, that it was nothing in the world but the red gum, and then Charlotte was easy. And so, just as he was going away again, it came into my head, I am sure I do not
know how I happened to think of it, but it came into my head to ask him if there was any news. So upon that, he smirked, and simpered, and looked grave, and seemed to know something or other, and
at last he said in a whisper, 'For fear any unpleasant report should reach the young ladies under your care as to their sister's indisposition, I think it advisable to say, that I believe there
is no great reason for alarm; I hope Mrs. Dashwood will do very well.'"
"What! is Fanny ill?"
"That is exactly what I said, my dear. 'Lord!' says I, 'is Mrs. Dashwood ill?' So then it all came out; and the long and the short of the matter, by all
I can learn, seems to be this. Mr. Edward Ferrars, the very young man I used to joke with you about (but however, as it turns out, I am monstrous glad there was never any thing in it), Mr. Edward
Ferrars, it seems, has been engaged above this twelvemonth to my cousin Lucy!--There's for you, my dear!--And not a creature knowing a syllable of the matter, except Nancy!--Could you have
believed such a thing possible?--There is no great wonder in their liking one another; but that matters should be brought so forward between them, and nobody suspect it!-- that is strange!--I
never happened to see them together, or I am sure I should have found it out directly. Well, and so this was kept a great secret, for fear of Mrs. Ferrars, and neither she nor your brother or
sister suspected a word of the matter;--till this very morning, poor Nancy, who, you know, is a well-meaning creature, but no conjurer, popt it all out. 'Lord!' thinks she to herself, 'they are
all so fond of Lucy, to be sure they will make no difficulty about it;' and so, away she went to your sister, who was sitting all alone at her carpet-work, little suspecting what was to come--for
she had just been saying to your brother, only five minutes before, that she thought to make a match between Edward and some Lord's daughter or other, I forget who. So you may think what a blow
it was to all her vanity and pride. She fell into violent hysterics immediately, with such screams as reached your brother's ears, as he was sitting in his own dressing-room down stairs, thinking
about writing a letter to his steward in the country. So up he flew directly, and a terrible scene took place, for Lucy was come to them by that time, little dreaming what was going on. Poor
soul! I pity her . And I must say, I think she was used very hardly; for your sister scolded like any fury, and soon drove her into a fainting fit. Nancy, she fell upon her knees, and cried
bitterly; and your brother, he walked about the room, and said he did not know what to do. Mrs. Dashwood declared they should not stay a minute longer in the house, and your brother was forced to
go down upon his knees too, to persuade her to let them stay till they had packed up their clothes. Then she fell into hysterics again, and he was so frightened that he would send for Mr.
Donavan, and Mr. Donavan found the house in all this uproar. The carriage was at the door ready to take my poor cousins away, and they were just stepping in as he came off; poor Lucy in such a
condition, he says, she could hardly walk; and Nancy, she was almost as bad...."
"Mrs. Palmer allait si bien, au bout d’une quinzaine, que sa mère estima qu’il n’était plus nécessaire qu’elle lui consacrât la totalité de son
temps ; et, se contentant d’aller la voir une ou deux fois par jour, retourna dès lors chez elle, et à ses propres habitudes, parmi lesquelles elle trouva les demoiselles Dashwood toutes
disposées à réassurer leur part d’antan. Dans la matinée du troisième ou quatrième jour où elles avaient ainsi repris leurs habitudes dans Berkeley Street, Mrs. Jennings, rentrant de sa visite
ordinaire à Mrs. Palmer, pénétra dans le salon, où Elinor était assise toute seule, avec un tel air d’importance pressée, que celle-ci se prépara à entendre quelque chose de merveilleux ; et, ne
lui laissant que le temps nécessaire à concevoir cette idée, elle commença aussitôt à la justifier en disant :
– Juste ciel, ma chère miss Dashwood ! Avezvous appris la nouvelle ? – Non, madame ; de quoi s’agit-il ? – D’une chose bien étrange ! Mais vous allez
tout savoir. Quand je suis arrivée chez Mr. Palmer, j’ai trouvé Charlotte toute bouleversée au sujet de l’enfant. Elle était sûre qu’il était très malade, – il pleurait, il s’agitait, il était
tout couvert de boutons. Alors je l’ai tout de suite examiné, et j’ai dit : « Mon Dieu, ma chérie, ce n’est rien du tout, que le feu des dents », et la nourrice a dit exactement de même. Mais
Charlotte refusait de se satisfaire de cette explication, si bien qu’on a fait appeler Mr. Donavan ; et, heureusement, il se trouvait qu’il venait de rentrer de Harley Street : alors il est venu
tout de suite, et dès qu’il eut vu l’enfant, il a dit exactement la même chose que nous, que ce n’était absolument rien du tout, que le feu des dents, et alors Charlotte a été tranquillisée. Et
puis, juste au moment où il s’en allait, il m’est venu à l’idée – je suis bien sûre que je ne sais pas comment je me suis trouvée y penser – mais il m’est venu à l’idée de lui demander s’il y
avait des nouvelles. Là-dessus, il s’est mis à faire des simagrées et des minauderies, à prendre un air grave, et il a paru savoir une chose ou une autre, et en fin de compte il m’a dit tout bas
: « De peur qu’aucun bruit désagréable ne parvienne aux jeunes filles dont vous avez la garde, au sujet de l’indisposition de leur sœur, je crois utile de dire que je crois qu’il n’y a pas de
raison sérieuse de s’alarmer ; j’espère que Mrs. Dashwood va très bien. » – Comment ! Fanny est malade ? – Voilà exactement ce que j’ai dit, ma chérie. « Seigneur ! ai-je dit, Mrs. Dashwood
est-elle malade ? » Et alors, tout a été dévoilé ; et le fond de toute l’affaire, d’après ce que j’ai pu apprendre, le voici : Mr. Edward Ferrars, le jeune homme même au sujet duquel je vous
plaisantais jadis (mais, étant donnée la tournure des événements, je suis joliment contente qu’il n’y ait rien eu là-dessous !), Mr. Ferrars, paraît-il, est fiancé depuis plus d’un an à ma
cousine Lucy ! Voilà pour vous, ma chérie ! Et personne ne connaissait le moindre mot de l’affaire, à part Nancy ! Auriez-vous pu croire une telle chose possible ? Il n’y a rien de bien étonnant
à ce qu’ils s’aiment ; mais que les choses en soient arrivées à ce point-là entre eux, sans que personne ne le soupçonne ! voilà qui est étrange ! Je n’ai jamais eu l’occasion de les voir
ensemble, sinon j’aurais découvert ça tout de suite... Et voilà ; tout cela a été tenu parfaitement secret, par crainte de Mrs. Ferrars ; et ni elle, ni votre frère, ni votre sœur, n’ont
soupçonné un mot de l’affaire, – jusqu’à ce matin même, quand cette pauvre Nancy, qui, n’est-ce pas, est une personne pleine de bonnes intentions, mais pas très fine, a découvert tout le pot aux
roses, « Mon Dieu ! s’est-elle dit, ils aiment tous tellement Lucy, que, bien sûr, ils ne feront pas de difficultés là-dessus » ; et la voilà qui va trouver votre sœur, qui était occupée toute
seule à sa tapisserie, se doutant fort peu de ce qui allait venir, – car elle venait justement de dire à votre frère, il n’y avait pas cinq minutes, qu’elle songeait à un mariage entre Edward et
la fille de quelque lord – j’oublie qui. Alors, vous pouvez vous imaginer quel coup ç’a été pour sa vanité et son orgueil. Elle a eu aussitôt une crise d’hystérie violente, en poussant des cris
qui sont parvenus aux oreilles de votre frère, tandis qu’il était dans son cabinet de toilette du rez-de-chaussée, réfléchissant à une lettre à écrire à son régisseur, à la campagne. Alors il est
monté en toute hâte, et il y a eu une scène terrible, car Lucy s’était déjà rendue auprès d’eux, se doutant fort peu de ce qui se passait. Pauvre âme ! Je la plains. Et je dois le dire : à mon
avis, elle a été bien durement traitée ; car votre sœur l’a tancée comme une furie, et n’a pas tardé à la faire défaillir. Nancy, elle, est tombée à genoux, et a pleuré à fendre l’âme ; et votre
frère, il s’est promené à travers la pièce, en disant qu’il ne savait que faire. Mrs. Dashwood a déclaré qu’elles ne resteraient pas une minute de plus chez elle, et votre frère a été obligé de
se mettre à genoux, lui aussi, pour la persuader de leur permettre de rester jusqu’à ce qu’elles aient fait leurs malles. Alors elle a eu une nouvelle attaque d’hystérie, et il a eu tellement
peur qu’il a fait appeler Mr. Donavan, et Mr. Donavan a trouvé la maison dans tout cet émoi ! La voiture était à la porte, prête à emmener mes deux cousines, et elles y montaient au moment même
où il est parti ; la pauvre Lucy dans un tel état, dit-il, qu’elle pouvait à peine marcher ; et Nancy, que c’était presque aussi épouvantable...."
Orgueil et préjugés (Pride and Prejudice, 1813)
"A lady's imagination is very rapid; it jumps from admiration to love, from love to matrimony in a moment", écrit ici Jane Austen. "Orgueil et préjugés est
le roman le plus populaire de Jane Austen. L'histoire en est simple : Elizabeth Bennet, qui se croit dédaignée par Darcy, jeune homme riche et hautain, s'amourache d'un bel officier, Wickham. Au
roman sentimental et de coup de foudre, Jane Austen substitue celui qui décrit l'évolution d'une psychologie plus complexe, où se mêlent la raison, le sentiment de gratitude, la méfiance à
l'égard des «premières impressions». L'abondance des menus événements fait l'un des charmes du roman britannique. Elle se combine avec la finesse d'une analyse entièrement intégrée à la
description du comportement, et avec un humour discret, mais toujours présent. " (traduction Gallimard) Fière de ses privilèges et de son rang social, Mrs. Bennett, mère de cinq filles, veut à
tout prix les marier... Elle n'hésite pas à faire la cour à son nouveau voisin, Mr. Bingley, jeune homme riche qu'elle aurait aimé donner comme époux à sa fille aînée Jane. S'ébauche une idylle
entre Jane et Mr. Bingley, qui pourrait bien aboutir à un mariage. Elisabeth, soeur cadette de Jane, se réjouit de cet amour naissant. Mais c'est sans compter le dédain et la méfiance de l'ami
intime de Bingley, Mr. Darcy qui, n'appréciant pas les manières de Mrs. Bennett et de ses filles, empêche Bingley de se prononcer. Elisabeth de tempérament fort et franc, consciente de la valeur
et du mérite de son milieu, affronte Mr. Darcy...
"Orgueil et préjugés " s'ouvre sur l'une des plus habiles introductions de la littérature : "It is a truth universally acknowledged, that a single man in possession of a good fortune, must be in want of a wife. However little known the feelings or views of such a man may be on his first entering a neighbourhood, this truth is so well fixed in the minds of the surrounding families, that he is considered the rightful property of some one or other of their daughters...." ("C’est une vérité universellement reconnue qu’un célibataire pourvu d’une belle fortune doit avoir envie de se marier, et, si peu que l’on sache de son sentiment à cet égard, lorsqu’il arrive dans une nouvelle résidence, cette idée est si bien fixée dans l’esprit de ses voisins qu’ils le considèrent sur-le-champ comme la propriété légitime de l’une ou l’autre de leurs filles"). Mais au-delà, Austen nous laisse entendre que la nature humaine de chacun d'entre nous est définie selon certains modèles, liés à l'éducation ou au statut social, mais qu'au bout du compte cette nature reste si bien ancrée en nous qu'elle ne peut changer, quoiqu'il arrive. Elizabeth et Darcy vont devoir lutter pour surmonter leurs façons d'être afin de pouvoir enfin se rencontrer, mais, loin de remettre en question leur nature profonde, c'est aux fausses impressions qu'ils peuvent donner l'un de l'autre qu'ils choisissent de s'attaquer....
Mansfield Park (1814)
"About thirty years ago Miss Maria Ward, of Huntingdon, with only seven thousand pounds, had the good luck to captivate Sir Thomas Bertram, of Mansfield Park, in the county of Northampton, and to be thereby raised to the rank of a baronet's lady, with all the comforts and consequences of an handsome house and large income." - Bien des amateurs de Jane Austen n'apprécièrent que peu ce roman et son personnage principal, Fanny Price. "Fanny Price souffre d'une disgrâce majeure – Jane Austen l'annonce d'emblée – elle est pauvre. Elle n'est en outre ni jolie ni brillante, mais timide et effacée. Recueillie par charité à Mansfield Park, la splendide demeure de sir Thomas Bertram, Fanny y est négligée, voire maltraitée. Mais elle va effectuer une ascension inattendue. Et cette évolution semble reposer sur ses seuls mérites, sa rigueur, son jugement infaillible, son indépendance d'esprit.
On a dit que ce roman était l'une des œuvres majeures de la littérature occidentale, l'une des premières à se pencher sur la personnalité au sens moderne du terme. Jane Austen y excelle à confronter diverses sphères sociales, à peindre des personnages dont les qualités ne sont qu'un vernis, tandis que Fanny, sa discrète héroïne, observe, résiste et ne transige pas. C`est aussi le premier roman écrit par J. Austen après une longue période de silence. Commencé en 1812, il fut terminé en juin 1813 et se rattache à la période de pleine maturité littéraire de l`auteur. En 1810, Thomas Egerton avait accepté de publier "Le Coeur et la Raison", ce qui voulait dire pour Jane Austen, qu'en écrivant "Mansfield Park", elle était assurée d'être lue. De plus, le contexte politique et social était particulièrement critique : entre 1809 et 1811, on sait que l'époque désespérait plus que jamais d'une Angleterre face à Napoléon : l'Autriche était vaincue, le tasr avait traité avec Napoléon, le blocus continental empêchait tout commerce avec l'Europe. Il s'agissait alors pour l'écrivain de participer au "réarmement moral" de son pays : nous ne sommes plus dans la lignée d' "Orgueil et préjugé". On a souligné à quel point son héroïne n'est plus ici cette femme faillible éduquée par l'erreur, comme le furent Catherine Morland, Madame Dashwood, Elizabeth Bennet: Fanny Price, qui ne peut supporter ce qui est, pour elle, "inhabituel", assume pleinement sa force d'âme et son ... infaillibilité, ce qui ne signifie pas perfection, Jane Austen n'a jamais aimé les personnages parfaits....
Enfin, on a déjà souligné la force et la subtilité de la construction de "Mansfield Park". Jane Austen montre ici à quel point, elle aime, elle sait, faire évoluer les sentiments et les états d'esprit de ses personnages, radicalement mais si subtilement et de manière progressive. Nous verrons ainsi une Fanny arriver à Mansfield démunie, déconsidérée, désorientée, et le lecteur peut penser que son destin est scellé, promis à l'obscurité. Or, c'est elle qui va montrer aux autres le droit chemin, acquérir l'estime de tous et devenir la fille préféré de Sir Thomas. Son mariage avec l'un de ses cousins nous est présenté par Mme Norris comme improbable, son oncle approuve son sentiment, la suite leur donnera tort. L'impression produite par Henry Crawford sur les soeurs Bertram est d'abord défavorable ...
(I, I) "About thirty years ago Miss Maria Ward, of Huntingdon, with only seven thousand pounds, had the good luck to captivate Sir Thomas Bertram, of Mansfield Park, in the county of Northampton, and to be thereby raised to the rank of a baronet’s lady, with all the comforts and consequences of an handsome house and large income. All Huntingdon exclaimed on the greatness of the match, and her uncle, the lawyer, himself, allowed her to be at least three thousand pounds short of any equitable claim to it. She had two sisters to be benefited by her elevation; and such of their acquaintance as thought Miss Ward and Miss Frances quite as handsome as Miss Maria, did not scruple to predict their marrying with almost equal advantage. But there certainly are not so many men of large fortune in the world as there are pretty women to deserve them. Miss Ward, at the end of half a dozen years, found herself obliged to be attached to the Rev. Mr. Norris, a friend of her brother-in-law, with scarcely any private fortune, and Miss Frances fared yet worse. Miss Ward’s match, indeed, when it came to the point, was not contemptible: Sir Thomas being happily able to give his friend an income in the living of Mansfield; and Mr. and Mrs. Norris began their career of conjugal felicity with very little less than a thousand a year. But Miss Frances married, in the common phrase, to disoblige her family, and by fixing on a lieutenant of marines, without education, fortune, or connexions, did it very thoroughly. She could hardly have made a more untoward choice. Sir Thomas Bertram had interest, which, from principle as well as pride—from a general wish of doing right, and a desire of seeing all that were connected with him in situations of respectability, he would have been glad to exert for the advantage of Lady Bertram’s sister; but her husband’s profession was such as no interest could reach; and before he had time to devise any other method of assisting them, an absolute breach between the sisters had taken place. It was the natural result of the conduct of each party, and such as a very imprudent marriage almost always produces. To save herself from useless remonstrance, Mrs. Price never wrote to her family on the subject till actually married. Lady Bertram, who was a woman of very tranquil feelings, and a temper remarkably easy and indolent, would have contented herself with merely giving up her sister, and thinking no more of the matter; but Mrs. Norris had a spirit of activity, which could not be satisfied till she had written a long and angry letter to Fanny, to point out the folly of her conduct, and threaten her with all its possible ill consequences. Mrs. Price, in her turn, was injured and angry; and an answer, which comprehended each sister in its bitterness, and bestowed such very disrespectful reflections on the pride of Sir Thomas as Mrs. Norris could not possibly keep to herself, put an end to all intercourse between them for a considerable period..."
"Il y a environ trente ans de cela, Mlle Maria Ward, de Huntingdon, qui ne pouvait se prévaloir que de sept mille livres, eut la bonne fortune de rendre sensible à son charme Sir Thomas Bertram, de Mansfield Park, dans le comte de Northampton, et de se voir ainsi élevée au rang d'épouse de baronnet, avec toutes les commodités et toute la conséquence que procurent une belle maison et un confortable revenu. Dans tout Huntingdon, ce ne fut qu'un cri devant la magnificence de ce parti. Son oncle lui-même, le notaire, concéda qu'il s'en fallait d`au moins trois mille livres pour qu'elle pût à bon droit y prétendre. Elle avait deux soeurs auxquelles son élévation était susceptible de profiter et, parmi les gens qui les connaissaient, ceux qui pensaient Mlle Ward et Mlle Frances tout aussi jolies que Mlle Maria n'hésitèrent pas à prédire qu'elles trouveraient à se marier presque aussi avantageusement. Mais il n'y a certainement pas dans le monde autant d'hommes opulents qu'il y a de jolies femmes à mériter les avoir pour maris. Mlle Ward, au bout de six années, se trouva dans l'obligation de s'attacher au révérend M. Norris, un ami de son beau-frère, qui n'avait presque rien en fait de fortune personnelle. Quant à Mlle Frances, son sort fut plus déplorable encore. Le mariage de Mlle Ward, en effet, se révéla en fin de compte n'être pas à dédaigner, Sir Thomas, par bonheur, pouvant assurer un revenu à son ami en lui donnant le bénéfice de Mansfield, si bien que M. et Mme Norris, à l'aube de leur bonheur conjugal, purent disposer, à quelque chose près, de mille livres par an. Mais Mlle Frances, elle, se maria, comme on dit communément, pour désobliger sa famille et, en fixant son choix sur un lieutenant de fusiliers marins, sans éducation ni fortune, ni parents capables de l'aider, ne fit pas les choses à moitié. Il lui eût été difficile de choisir moins opportunément. Sir Thomas avait de l'inluence. Tant par principe que par orgueil, parce qu'il cherchait toujours à faire ce qu'il devait et souhaitait voir tous ceux qui lui étaient apparentés occuper des situations honorables, il aurait aimé servir les intérêts de la sœur de Lady Bertram. Mais la profession de son mari était telle que nul crédit ne pouvait l'atteindre et, avant qu'il eût trouvé le temps d'imaginer quelque autre moyen de leur venir en aide, la rupture la plus totale entre les trois sœurs avait été consommée. C'était ce qui ne pouvait que résulter de la conduite de chacune des parties, et ce à quoi aboutit presque toujours un mariage fort imprudent. Pour s'épargner de vaines remontrances, Mme Price n'écrivit pas un mot à sa famille sur le sujet avant d'avoir changé de nom. Lady Bertram, qui était une femme difficile à émouvoir, d'un naturel accommodant et nonchalant, aurait volontiers accepté de se borner à rompre avec sa sœur pour ensuite n'y plus penser du tout. Mais Mme Norris avait en elle un besoin d'activité qui ne pouvait être satisfait avant d'avoir écrit à Fanny une longue lettre indignée, afin de bien lui montrer la folie de sa conduire et de la ménager de tous les effets néfastes que l'on pouvait en attendre. A son tour, Mme Price ressentit outrage et indignation, et une réponse, qui en son aigreur n'épargnait aucune de ses deux sœurs et comportait des remarques si irrévérencieuses sur l'orgueil de Sir Thomas que Mme Norris ne put les garder pour elle, mit un terme à tout rapport entre les trois femmes pour une durée considérable.
Leurs habitations étaient si éloignées l'une de l'autre et les milieux dans lesquels elles évoluaient si différents que, pendant les onze années qui suivirent, il leur fut presque impossible de trouver un moyen d'apprendre quelque chose sur leurs existences respectives...." .
(I) Reprenons l'histoire : sous le couvert de l`anonymat, Sir Thomas Bertram, pour aider une belle-sœur qui se trouve dans une grande gêne, accueille donc chez lui sa nièce, Fanny Price, et décide de l'élever avec ses propres enfants, Tom, Edmund, Maria et Julia. La tristesse et la douleur que cause à Fanny la séparation d`avec sa famille sont vite allégées par l`amitié que lui témoigne le second de ses cousins, Edmund. Les premiers chapitres jettent un regard assez critique sur cette nouvelle problématique de mobilité sociale et de la gentry qui s'imposent comme le sujet de la plupart des romans écrits aux XVIIIe et XIXe siècles. Le mariage de Sir Thomas et de Lady Bertram aurait pu conclure l'un des romans d'Austen, une belle jeune femme sans fortune qui gagne le coeur d'un noble, tandis que sa jeune sœur "s'installe" auprès d'un aimable ecclésiastique à la vie confortable. Mais Lady Bertram devient ici une quasi hypocondriaque névrosée qui dort presque toute la journée, tandis que Mme Norris est une fureteuse indiscrète et sans doute l'un des personnages les plus ennuyeux de toute la littérature. Et lorsque Fanny arrive à Mansfield Park, si Mme Norris et Lady Bertram font acte de charité en l'accueillant, ce n'est certes pas pour lui permettre d'atteindre le niveau social qu'elles ont réussi à installer et qui les satisfait pleinement...
(I) Le départ de Sir Thomas - Les années passent. la situation financière de sir Bertram n`est plus aussi florissante et il se voit obligé de faire un long voyage d`affaires aux lndes. Austen aborde ici l'un des problèmes majeurs de l'aristocratie britannique confrontée à un endettement croissant pour suivre les modes de l'époque. (Chapters 4-8) En l'absence de Sir Thomas, presque tout le monde à Mansfield Park joue la comédie. Alors que Fanny le fait pour survivre, les autres le font pour s'amuser ou pour "s'entraîner" à être des adultes. Abusée par tous et tirée dans toutes les directions, Fanny doit essayer de plaire à tout le monde en même temps, ce qui la place dans une position où elle ne peut pas être elle-même, sauf peut-être à certains moments avec le très compréhensif Edmund. La famille s'épanouit donc en l'absence de Sir Thomas. Edmond prend la tête de la famille, Marie et Julie deviennent la coqueluche du voisinage, Mme Norris supervise leurs sorties et sélectionne les prétendants potentiels. Lady Bertram sort rarement, et Fanny devient sa compagne et son assistante. Marie se fiance à Mr. Rushworth, jeune homme riche mais assez insignifiant, qui a une propriété dans les parages de Mansfield, où habitent les Bertram. Peu après le dix-huitième anniversaire de Fanny, Mansfield Park accueille deux nouveaux venus - le frère et la soeur de Mme Grant, la femme du curé. Mary Crawford est belle et charmante, tandis que son frère Henry, bien que moins beau, est l'héritier d'un grand domaine et partage le charisme de sa sœur, mais se révèle rapidement un don Juan frivole et irresponsable. Mary Crawford, plus difficile à cerner, mais de moralité assez douteuse, jette immédiatement son dévolu sur Tom et son vaste domaine, bien qu'elle le trouve ennuyeux. Mme Grant décide de jouer les entremetteuses pour Henry et Julia Bertram, malgré l'aversion d'Henry pour le mariage. Les Bertram et les Crawford deviennent immédiatement amis, et Henry semble attiré par Maria malgré ses fiançailles. Fanny est une énigme pour les Crawford, qui ne sont pas certains de son statut dans la famille. Mary Crawford se tourne par la suite vers Edmund qui très rapidement s`éprend d'elle, au grand chagrin de Fanny : l`affection pour son cousin s`est transformée en un sentiment plus profond...
(I, Chapters 12-15) En prévision du retour de Sir Thomas, Tom revient à Mansfield Park, un bal est organisé, le premier de Fanny, puis il est proposé que le groupe monte une pièce de théâtre : c'est en fait la maison entière qui est physiquement transformée en théâtre, confirmant la puissante influence du jeu sur la vie de ces personnes. D'autant plus que nous savons déjà que certains de ces personnages agissent selon des motifs cachés (Maria épouse Rushworth pour son argent, tout en essayant de faire en sorte que Crawford lui déclare son amour, par exemple).D'une certaine manière, la pièce se révèle plus "réelle" que la vie "réelle" de ces personnages, les comportements affichées sur scène plus en cohérence avec les émotions ressenties et dans ce jeu de relations qui devient jeux de rôles et qui permet à chacun de tenter de se positionner, Fanny devient progressivement le personnage central : on lui a refusé, elle a refusé, tout rôle, mais reste fascinée par les répétitions, connaît presque tous les rôles par cœur et elle admet que cela lui procure un plaisir "innocent". Le plaisir de Fanny n'est cependant pas totalement innocent, la voici impliquée dans la plupart des intrigues passionnels de la troupe. Lorsque le moment viendra de faire répéter ensemble Edmund et Mary Crawford, de devenir à leur demande juge et critique, de tout son être elle n'aspirera qu'à se dérober (I, 18)...
(II) Le retour de Mr. Bertram d'Antigua permet de rétablir l'équilibre de l'ensemble de la maisonnée. Et son retour dramatique signifie la fin du premier volume du roman. Épuisé par son voyage, Sir Thomas veut être seul avec sa famille. Au détour des conversations marquant son retour, on observera bien des questions effleurant la traite négrière et d’autres aspects moralement douteux du commerce des plantations. On devine ainsi que c'est bien de l'esclavagisme que les Bertrams tirent les moyens de mener un train de de vie aussi somptueux. Sir Thomas précipitera le départ de Yates, à l'origine de la quête théâtrale des chapitres précédents, et voudrait même bannir Henry et Mary Crawford, bien que sa famille s'y oppose. Il accueille Fanny avec une gentillesse particulière, ce qui la surprend, - elle est devenue il est vrai une femme séduisante -, remet à sa place Mme Norris et tente de d'opposer au mariage de Maria et de Rushworth. Attitude exemplaire, le bonheur de sa fille semble lui importer. Henry Crawford parti, et bien que Maria n'aime guère Rushworth, elle épouse ce dernier : le couple part pour Brighton, une station balnéaire à la mode, accompagné de Julia. Les deux filles Bertram étant parties, Fanny devient la favorite à Mansfield, indispensable à Lady Bertram, dont elle s'est prise d'affection, et adorée par son oncle. Bientôt, elle devient aussi la favorite de la maison des Grants, où Mary Crawford séjourne toujours. Après avoir été obligée de s'y réfugier un jour de pluie, Fanny se lie d'amitié avec Mary et sera invitée à dîner chez les Grants en compagnie d'Edmund. Mme Norris en profitera pour s'interroger, non sans méchanceté, sur la "place" de Fanny dans la famille. Mais Fanny est tout autant manipulée par Mary Crawford qui continue à poursuivre Edmund de ses avances, refuse qu'il reste un pauvre pasteur de campagne et veut le voir changer d'avis sur sa carrière, d'où ses commentaires sur l'argent comme meilleure recette du bonheur.
(II, VI-X) Henry Crawford est de retour et annonce à sa soeur Mary qu'il va rester à Mansfield pendant un certain temps. Son divertissement, lui dit-il, sera de faire en sorte que Fanny tombe amoureuse de lui. Mais Henry a à peine le temps de commencer à courtiser Fanny qu'il reçoit une lettre lui annonçant que son frère William, qui est dans la marine, sera bientôt en Angleterre, invité à Mansfield et ne laissant pas insensible Fanny. L'intrigue se joue entre Henry, William et Fanny, d'une part, Edmund et Mary, d'autre part. Un bal est organisé, et Fanny prend désormais un certain ascendant, William, Edmond et Henry rivalisent sans le savoir autour d'elle tandis que Mary tente toujours d'attirer à elle Edmund. (II, XI-XIII) William et Henry partent, suivis quelques jours plus tard par Edmund, restent à Mansfield Park Sir Thomas et Lady Bertram qui commencent à apprécier Fanny plus que jamais. Celle-ci connaît maintenant les intentions de Mary Crawford à l'égard d'Edmund. A la fin du volume II (chap.XIII), tout comme le retour de Sir Thomas, la proposition de mariage d'Henry s'affirme comme un tournant dans l'existence de Fanny ..
Le volume III de Mansfield Park s'ouvre sur une inquiétude : Fanny espère avoir définitivement découragé Henry Crawford mais à son grand désarroi, il vient voir son oncle, Sir Thomas, pour plaider sa cause. Fanny est à l'étage dans la chambre d'enfant lorsque son oncle vient lui parler. Il s'étonne qu'elle n'ait pas de feu dans la chambre froide de l'étage (Mme Norris l'avait auparavant interdit) et lui dit qu'elle en aura un à partir de maintenant. Il lui demande également de descendre avec lui pour parler à Henry, qui l'attend. Sir Thomas ne comprend pas pourquoi Fanny rejette un jeune homme aussi charmant et riche, mais accepte sa décision après une dernière tentative de rencontre...
(III, I - XXXII) Fanny had by no means forgotten Mr. Crawford when she awoke the next morning; but she remembered the purport of her note, and was not less sanguine as to its effect than she had been the night before. If Mr. Crawford would but go away! That was what she most earnestly desired: go and take his sister with him, as he was to do, and as he returned to Mansfield on purpose to do. And why it was not done already she could not devise, for Miss Crawford certainly wanted no delay. Fanny had hoped, in the course of his yesterday’s visit, to hear the day named; but he had only spoken of their journey as what would take place ere long. Having so satisfactorily settled the conviction her note would convey, she could not but be astonished to see Mr. Crawford, as she accidentally did, coming up to the house again, and at an hour as early as the day before. His coming might have nothing to do with her, but she must avoid seeing him if possible; and being then on her way upstairs, she resolved there to remain, during the whole of his visit, unless actually sent for; and as Mrs. Norris was still in the house, there seemed little danger of her being wanted.
She sat some time in a good deal of agitation, listening, trembling, and fearing to be sent for every moment; but as no footsteps approached the East room, she grew gradually composed, could sit down, and be able to employ herself, and able to hope that Mr. Crawford had come and would go without her being obliged to know anything of the matter.
Nearly half an hour had passed, and she was growing very comfortable, when suddenly the sound of a step in regular approach was heard; a heavy step, an unusual step in that part of the house: it was her uncle’s; she knew it as well as his voice; she had trembled at it as often, and began to tremble again, at the idea of his coming up to speak to her, whatever might be the subject. It was indeed Sir Thomas who opened the door and asked if she were there, and if he might come in. The terror of his former occasional visits to that room seemed all renewed, and she felt as if he were going to examine her again in French and English.
She was all attention, however, in placing a chair for him, and trying to appear honoured; and, in her agitation, had quite overlooked the deficiencies of her apartment, till he, stopping short as he entered, said, with much surprise, “Why have you no fire to-day?”
There was snow on the ground, and she was sitting in a shawl. She hesitated.
- “I am not cold, sir: I never sit here long at this time of year.” - “But you have a fire in general?” - “No, sir.” - “How comes this about? Here must be some mistake. I understood that you had the use of this room by way of making you perfectly comfortable. In your bedchamber I know you cannot have a fire. Here is some great misapprehension which must be rectified. It is highly unfit for you to sit, be it only half an hour a day, without a fire. You are not strong. You are chilly. Your aunt cannot be aware of this.”
Fanny would rather have been silent; but being obliged to speak, she could not forbear, in justice to the aunt she loved best, from saying something in which the words “my aunt Norris” were distinguishable.
"Lorsqu'elle s'éveilla le lendemain matin, Fanny n'avait aucunement oublié M. Crawford. Cependant, elle se souvenait de la teneur de son billet, et gardait la même confiance en son effet que la veille. Si seulement M. Crawford voulait bien s'en aller! C'était là ce qu'elle désirait le plus ardemment. S'il partait en emmenant sa sœur, comme il était supposé le faire, et comme il était revenu à Mansfield tout exprès pour que ce fût fait! Pourquoi cela ne s'était pas déjà exécuté, elle ne pouvait se l'expliquer, car Mlle Crawford à coup sûr ne souhaitait aucun retard. Fanny avait espéré, au cours de la visite qu'il leur avait faite le jour précédent, l'entendre fixer une date. Mais il n'avait parlé de leur voyage que comme d'une chose qui ne tarderait guère à se produire.
Ayant disposé d'une manière aussi satisfaisante de l'influence déterminante que devait avoir son billet, elle ne put que s'étonner, en jetant un coup d'œil par hasard, de voir M. Crawford qui revenait au château, et ce à une heure aussi matinale que la veille. Il se pouvait que sa venue n'eût aucun rapport avec elle. Mais il fallait l`éviter, si possible. Elle montait alors l'escalier. Elle décida de rester en haut, pendant toute la durée de sa visite, à moins qu'on ne lui demandât de descendre. Mme Norris était encore dans la maison : il paraissait donc y avoir peu de chances pour que l`on eût besoin d'elle.
Pendant quelque temps, elle demeura en proie à une grande agitation, l'oreille aux aguets, tremblant, et craignant à tout moment qu'on ne l'envoyât chercher. Mais, comme aucun bruit de pas n'approchait de la chambre de l'Est, peu à peu elle se rasséréna, put s'asseoir, s'employer et entretenir l'espoir que M. Crawford était venu et partirait sans qu'elle fût obligée d'en être informée en aucune façon.
Près d'une demi-heure s'écoula. Elle retrouvait toute sa tranquillité d'esprit quand soudain elle entendit marcher. L'allure était régulière, le pas pesant, phénomène peu fréquent dans cette partie de la maison. C'était son oncle. Elle reconnut le pas, aussi sûrement que si c'eût été la voix. Il l'avait si souvent fait trembler. Elle se mit d'ailleurs à frémir de nouveau, à la pensée que cet oncle montait lui parler, quel que pût être le sujet. Ce fut effectivement Sir Thomas qui ouvrit la porte et demanda si elle était là, et s'il pouvait entrer. La terreur engendrée par les visites faites autrefois de temps à autre à cette pièce sembla renaître avec la même intensité, et elle eut l'impression qu'il allait encore une fois l'interroger en français et en anglais.
Cela ne l'empêcha pas de se montrer pleine d'attentions. Elle avança une chaise et tenta de paraître honorée. Dans son trouble elle oubliait complètement les lacunes de son appartement quand, s'arrêtant net à l'entrée, il dit d'une voix étonnée: "Pourquoi n'avez-vous pas de feu aujourd'hui?"
Le sol était couvert de neige. Elle était assise avec un châle. Elle hésita. - "Je n'ai pas froid, monsieur. Je ne reste jamais longtemps assise ici à cette époque de l'année. - Mais... le plus souvent vous avez du feu? - Non, monsieur. - Comment cela se fait-il? Il doit y avoir une erreur. Je pensais que vous aviez l'usage de cette pièce pour que vous y fussiez parfaitement à l'aise. Dans votre chambre, je sais que l'on ne peut faire de feu. Il y a là un malentendu d'importance, auquel il faudra remédier; il n'est pas à envisager que vous restiez assise quelque part, quand ce ne serait qu'une demi-heure par jour, sans disposer d'un feu. Vous n'êtes pas robuste. Vous êtes frileuse. Il ne se peut pas que votre tante soit au courant de cette situation."
Fanny eût mieux aimé se taire mais, réduite à parler, elle ne put s'abstenir, afin de rendre justice à la tante qu'elle préférait, de dire quelque chose, où l'on put distinguer les mots de "ma tante Norris".
“I understand,” cried her uncle, recollecting himself, and not wanting to hear more: “I understand. Your aunt Norris has always been an advocate, and very judiciously, for young people’s being brought up without unnecessary indulgences; but there should be moderation in everything. She is also very hardy herself, which of course will influence her in her opinion of the wants of others. And on another account, too, I can perfectly comprehend. I know what her sentiments have always been. The principle was good in itself, but it may have been, and I believe has been, carried too far in your case. I am aware that there has been sometimes, in some points, a misplaced distinction; but I think too well of you, Fanny, to suppose you will ever harbour resentment on that account. You have an understanding which will prevent you from receiving things only in part, and judging partially by the event. You will take in the whole of the past, you will consider times, persons, and probabilities, and you will feel that they were not least your friends who were educating and preparing you for that mediocrity of condition which seemed to be your lot. Though their caution may prove eventually unnecessary, it was kindly meant; and of this you may be assured, that every advantage of affluence will be doubled by the little privations and restrictions that may have been imposed. I am sure you will not disappoint my opinion of you, by failing at any time to treat your aunt Norris with the respect and attention that are due to her. But enough of this. Sit down, my dear. I must speak to you for a few minutes, but I will not detain you long.”
Fanny obeyed, with eyes cast down and colour rising. After a moment’s pause, Sir Thomas, trying to suppress a smile, went on.
“You are not aware, perhaps, that I have had a visitor this morning. I had not been long in my own room, after breakfast, when Mr. Crawford was shewn in. His errand you may probably conjecture.”
Fanny’s colour grew deeper and deeper; and her uncle, perceiving that she was embarrassed to a degree that made either speaking or looking up quite impossible, turned away his own eyes, and without any farther pause proceeded in his account of Mr. Crawford’s visit.
"Je vois", s'écria son oncle en se ressaisissant, et sans chercher à en entendre davantage, «je vois. Votre tante Norris s'est toujours faite l'avocate, et fort judicieusement, je le reconnais, d'une éducation de la jeunesse exempte de toute indulgence inutile. Mais il ne faut jamais excéder la mesure. Ajoutons à cela qu'elle-même est très endurante, ce qui naturellement influe sur l'opinion qu'elle se fait des besoins d'autrui. Pour une autre raison encore, je la comprends parfaitement. Je sais ce qu'elle a toujours pensé. Le principe en lui-même était bon, mais il se peut que...
Je crois que l'on a exagéré son application en ce qui vous concerne. Je suis sensible au fait que parfois, sur certains points, on a opéré une distinction qui était mal venue. Cependant, j'ai pour vous trop d'estime, Fanny, pour m'imaginer que vous en gardiez jamais de la rancune. Vous disposez d'une intelligence qui vous empêchera de ne considérer qu'un aspect des choses et de borner votre jugement à l'appréciation du résultat. Vous prendrez en compte l'ensemble du passé, vous vous souviendrez de l'époque, des personnes, de ce qui paraissait probable, et vous conclurez que n'étaient pas vos amis les moins véritables ceux qui vous élevaient et vous préparaient avec en l'esprit la condition modeste qui semblait devoir être la vôtre. Leur précaution pourra se révéler sans nécessité aucune, mais l'intention était bonne, et vous pouvez être assurée de ceci: tous les avantages de la fortune seront doublés au souvenir des petites privations et restrictions qui auront pu vous être imposées. Je suis certain que vous ne décevrez pas l'idée que je me fais de vous en venant un jour à ne pas donner à votre tante Norris tout le respect et tous les égards qui lui sont dus. Mais assez parlé sur ce sujet. Asseyons-nous, ma chère. Il faut que je vous entretienne quelques instants. Je ne vous retiendrai pas longtemps."
Fanny obéit, les yeux baissés, le rouge lui montant au visage. Après une courte pause, Sir Thomas, tentant de réprimer un sourire, poursuivit: - "Peut-être ne savez-vous pas que j'ai eu un visiteur ce matin. Il n'y avait pas longtemps que c'étais dans mon cabinet, après le petit déjeuner, quand on a introduit M. Crawford. Vous pouvez sans doute deviner l'objet de sa visite."
Fanny s'empourpra toujours davantage. Son oncle, voyant qu'elle était embarrassée au point de ne pouvoir absolument ni parler, ni lever les yeux, détourna les siens et, sans observer d'autre interruption, continua de rendre compte de son entrevue avec M. Crawford.
Mr. Crawford’s business had been to declare himself the lover of Fanny, make decided proposals for her, and entreat the sanction of the uncle, who seemed to stand in the place of her parents; and he had done it all so well, so openly, so liberally, so properly, that Sir Thomas, feeling, moreover, his own replies, and his own remarks to have been very much to the purpose, was exceedingly happy to give the particulars of their conversation; and little aware of what was passing in his niece’s mind, conceived that by such details he must be gratifying her far more than himself. He talked, therefore, for several minutes without Fanny’s daring to interrupt him. She had hardly even attained the wish to do it. Her mind was in too much confusion. She had changed her position; and, with her eyes fixed intently on one of the windows, was listening to her uncle in the utmost perturbation and dismay. For a moment he ceased, but she had barely become conscious of it, when, rising from his chair, he said, “And now, Fanny, having performed one part of my commission, and shewn you everything placed on a basis the most assured and satisfactory, I may execute the remainder by prevailing on you to accompany me downstairs, where, though I cannot but presume on having been no unacceptable companion myself, I must submit to your finding one still better worth listening to. Mr. Crawford, as you have perhaps foreseen, is yet in the house. He is in my room, and hoping to see you there.”
Le but de la démarche de celui-ci était de déclarer son amour pour Fanny, de faire à son sujet de claires propositions cle mariage et de solliciter le consentement de l'oncle qui semblait lui tenir lieu de père. Il avait fait tout cela si bien, si ouvertement, si généreusement, d'une manière si convenable, que Sir Thomas, qui trouvait de surcroît que ses propres réponses et ses propres remarques avaient été des plus appropriées, éprouvait une grande satisfaction à donner les détails de leur entretien et, sans guère se douter de ce qui se passait dans la tête de sa nièce, pensait que par de telles particularités il lui faisait beaucoup plus de plaisir qu'il ne s'en faisait à lui-même. Il parla donc ainsi plusieurs minutes sans que Fanny osât l'interrompre. C'était à peine si elle en était arrivée au point de le souhaiter. Ses idées pour cela étaient trop confuses. Elle avait changé d'attitude et, les yeux rivés sur l'une des fenêtres, écoutait parler son oncle, en proie au trouble le plus profond et à la terreur la plus grande. Un court instant il s'arrêta, mais elle venait seulement d'en prendre conscience quand, se levant, il dit: - "Et maintenant, Fanny, m'étant acquitté d'une partie de ma charge et vous ayant fait part d'une situation où tout repose sur une base des plus solides et des plus satisfaisantes, je niai plus qu'à exécuter le reste en obtenant que vous m'accompagniez en bas où, même si, je présume, vous n'avez pas pu ne pas trouver en moi une compagnie acceptable, il me faut tolérer que vous découvriez quelqu'un de plus agréable encore à écouter. M. Crawford, comme vous l'avez peut-être deviné, n'a pas quitté la maison. Il est dans mon appartement, et il espère vous y voir."
There was a look, a start, an exclamation on hearing this, which astonished Sir Thomas; but what was his increase of astonishment on hearing her exclaim—“Oh! no, sir, I cannot, indeed I cannot go down to him. Mr. Crawford ought to know—he must know that: I told him enough yesterday to convince him; he spoke to me on this subject yesterday, and I told him without disguise that it was very disagreeable to me, and quite out of my power to return his good opinion.”
- “I do not catch your meaning,” said Sir Thomas, sitting down again. “Out of your power to return his good opinion? What is all this? I know he spoke to you yesterday, and (as far as I understand) received as much encouragement to proceed as a well-judging young woman could permit herself to give. I was very much pleased with what I collected to have been your behaviour on the occasion; it shewed a discretion highly to be commended. But now, when he has made his overtures so properly, and honourably—what are your scruples now?”
- “You are mistaken, sir,” cried Fanny, forced by the anxiety of the moment even to tell her uncle that he was wrong; “you are quite mistaken. How could Mr. Crawford say such a thing? I gave him no encouragement yesterday. On the contrary, I told him, I cannot recollect my exact words, but I am sure I told him that I would not listen to him, that it was very unpleasant to me in every respect, and that I begged him never to talk to me in that manner again. I am sure I said as much as that and more; and I should have said still more, if I had been quite certain of his meaning anything seriously; but I did not like to be, I could not bear to be, imputing more than might be intended. I thought it might all pass for nothing with him.”
She could say no more; her breath was almost gone.
Il y eut, quand elle entendit cela, un regard, un sursaut, une exclamation qui surprirent Sir Thomas. Mais son étonnement ne s'augmenta pas qu'à demi lorsqu'elle s'exclama: - "Oh, non, monsieur, je ne peux pas, vraiment, je suis incapable de descendre pour le rencontrer ! M. Crawford devrait savoir - il sait assurément - je lui en ai dit assez hier pour le convaincre - il m'a parlé hier à ce sujet - et je lui ai répondu très clairement que cela m'était fort désagréable et qu'il m'était tout à fait impossible de répondre à son estime.
- "Je ne comprends pas ce que vous voulez dire, repartit Sir Thomas en se rasseyant. Impossible de répondre à son estime! Que signifie tout cela? Je sais qu'il vous a entretenue hier et (à ce que j'ai pu comprendre) a reçu de vous autant d'encouragement à poursuivre que peut s'autoriser à en donner une jeune femme possédant assez de jugement. J'ai été très satisfait de ce que j'ai cru qu'avait été votre conduite en la circonstance. Elle montrait une prudence fort louable. Mais, à présent que ses propositions sont si conformes à ce que l'on devait en attendre, si honorables, quels sont donc vos scrupules?
- "Vous vous trompez, monsieur, s'écria Fanny, contrainte par l'anxiété du moment d'aller jusqu'à dire à son oncle qu'il était dans l'erreur. "Vous vous trompez complètement. Comment M. Crawford a-t-il pu s'exprimer de la sorte ? Je ne lui ai donné hier aucun encouragement. Au contraire, je lui ai dit - je ne puis me rappeler les termes exacts - mais je suis sûre de lui avoir dit que je me refusais à l'écouter, qu'à tous égards son langage m'était très déplaisant, et que je le priais de ne jamais plus s'adresser à moi de cette façon-là. Je suis certaine de lui avoir dit tout cela, et davantage. Je lui en aurais dit plus encore si j'avais eu la certitude qu'íl parlait sérieusement. Mais je ne voulais pas - je ne supportais pas d'y voir plus de choses que ce qu'il y mettait. Je croyais qu'avec lui tout cela était susceptible de ne compter pour rlen."
Elle fut incapable d'ajouter quoi que ce fût. Le souffle lui manquait.
- “Am I to understand,” said Sir Thomas, after a few moments’ silence, “that you mean to refuse Mr. Crawford?”
- “Yes, sir.”
- “Refuse him?”
- “Yes, sir.”
- “Refuse Mr. Crawford! Upon what plea? For what reason?”
- “I ... I cannot like him, sir, well enough to marry him.”
- “This is very strange!” said Sir Thomas, in a voice of calm displeasure. “There is something in this which my comprehension does not reach. Here is a young man wishing to pay his addresses to you, with everything to recommend him: not merely situation in life, fortune, and character, but with more than common agreeableness, with address and conversation pleasing to everybody. And he is not an acquaintance of to-day; you have now known him some time. His sister, moreover, is your intimate friend, and he has been doing that for your brother, which I should suppose would have been almost sufficient recommendation to you, had there been no other. It is very uncertain when my interest might have got William on. He has done it already.”
- “Yes,” said Fanny, in a faint voice, and looking down with fresh shame; and she did feel almost ashamed of herself, after such a picture as her uncle had drawn, for not liking Mr. Crawford.
- “You must have been aware,” continued Sir Thomas presently, “you must have been some time aware of a particularity in Mr. Crawford’s manners to you. This cannot have taken you by surprise. You must have observed his attentions; and though you always received them very properly (I have no accusation to make on that head), I never perceived them to be unpleasant to you. I am half inclined to think, Fanny, that you do not quite know your own feelings.”
- “Oh yes, sir! indeed I do. His attentions were always—what I did not like.”
Sir Thomas looked at her with deeper surprise. “This is beyond me,” said he. “This requires explanation. Young as you are, and having seen scarcely any one, it is hardly possible that your affections”
He paused and eyed her fixedly. He saw her lips formed into a no, though the sound was inarticulate, but her face was like scarlet. That, however, in so modest a girl, might be very compatible with innocence; and chusing at least to appear satisfied, he quickly added, “No, no, I know that is quite out of the question; quite impossible. Well, there is nothing more to be said.”
And for a few minutes he did say nothing. He was deep in thought. His niece was deep in thought likewise, trying to harden and prepare herself against farther questioning. She would rather die than own the truth; and she hoped, by a little reflection, to fortify herself beyond betraying it.
- "Dois-je comprendre, dit Sir Thomas après un silence de quelques instants, que votre intention est de refuser M. Crawford?
- "Oui, monsieur.
- "De le refuser?
- "Oui, monsieur.
- "Refuser M. Crawford! En alléguant quoi? Pour quel motif?
- "Je. .. je ne puis l'aimer suffisamment, monsieur, pour l'épouser.
- "Voilà qui est étrange, dit Sir Thomas, d'une voix calme qui laissait percer le déplaisir. "Il y a là-dedans quelque chose qui défie mon entendement. Nous avons là un jeune homme qui désire vous faire sa cour. Il a tout pour le servir. Non seulement sa position dans la société plaide en sa faveur, ainsi que sa fortune, son caractère, mais il plaît davantage que la plupart des gens. Ses manières, sa conversation sont goûtées de tout le monde. Outre cela, vous ne le connaissez pas d'aujourd'hui. Cela fait quelque temps que vous le fréquentez. J'ajoute que sa sœur est votre amie intime et qu'il a rendu à votre frère un service dont j'aurais cru qu'il eût suffi à vous le recommander, en l'absence de toute autre chose. Je ne sais quand mon crédit aurait pu promouvoir William. Il y a d'ores et déjà réussi.
- "Oui, dit Fanny, faiblement et en baissant les yeux sous l'effet d'une confusion renouvelée. Elle avait presque honte de ne pas aimer M. Crawford, après le tableau que son oncle venait de dresser. `
- "Vous n'avez pas pu ne pas noter, continua Sir Thomas au bout d'un instant, "vous n'avez pas pu, depuis quelque temps déjà, ne pas noter une particularité dans les manières de M. Crawford à votre égard. Cela ne peut vous avoir prise au dépourvu. Vous avez dû remarquer ses attentions et, quoique vous les ayez toujours accueillies exactement comme il convenait (je n'ai pas d'accusation à formuler sur ce point), je n'ai jamais observé qu'elles vous fussent désagréables. J'ai tendance à croire, Fanny, que vous ne connaissez pas très bien la nature de vos sentiments.
- "Oh si, monsieur, je les connais bien! Ses attentions n'ont pas cessé... de m'être déplaisantes."
Sir Thomas la regarda, avec une surprise plus grande encore. - «Cela me dépasse, dit-il, et nécessite une explication. Jeune comme vous l'êtes, ayant à peine eu l'occasion de rencontrer qui que ce soit, on ne voit guère comment votre affection..."
Il s'arrêta, et son regard se fixa sur elle. Il vit sa bouche dessiner un "non". Le son demeura inarticulé, mais son visage devint écarlate. Cela, pourtant, chez une jeune fille aussi pudique pouvait être parfaitement compatible avec l'innocence. Il préféra se donner l'air au moins d'être satisfait et ajouta promptement: - "Non, non, je sais que c'est une hypothèse à écarter absolument - c'est tout à fait impossible. Eh bien, tout a été dit."
Effectivement, durant quelques instants, il resta silencieux. Il était tout à ses pensées. Sa nièce aussi méditait de même manière. Elle essayait de s'endurcir et de se préparer, dans l'attente d'autres interrogations. Elle serait morte plutôt que d'avouer la vérité, et elle espérait, par un peu de sérieuse considération, se pourvoir d'assez de résolution pour ne pas la trahir.
- “Independently of the interest which Mr. Crawford’s choice seemed to justify” said Sir Thomas, beginning again, and very composedly, “his wishing to marry at all so early is recommendatory to me. I am an advocate for early marriages, where there are means in proportion, and would have every young man, with a sufficient income, settle as soon after four-and-twenty as he can. This is so much my opinion, that I am sorry to think how little likely my own eldest son, your cousin, Mr. Bertram, is to marry early; but at present, as far as I can judge, matrimony makes no part of his plans or thoughts. I wish he were more likely to fix.” Here was a glance at Fanny. “Edmund, I consider, from his dispositions and habits, as much more likely to marry early than his brother. He, indeed, I have lately thought, has seen the woman he could love, which, I am convinced, my eldest son has not. Am I right? Do you agree with me, my dear?”
- “Yes, sir.”
- "Indépendamment de l'intérêt que ce choix de M. Crawford paraissait justifier, dit Sir Thomas, en revenant à la charge sans perdre son calme, "le seul fait qu'il veuille se marier si tôt selon moi plaide en sa faveur. Je suis partisan des mariages précoces, lorsque les moyens d'existence le permettent, et j'aimerais que tous les jeunes gens disposant de revenus suffisants s'établissent dès qu'ils le peuvent, passé vingt-quatre ans. Je suis à ce point attaché à cette opinion que j'ai regret de penser combien il est peu probable que mon propre fils aîné, votre cousin, M. Bertram, se marie de bonne heure. A présent, pour autant que j'en puis juger, le mariage ne fait pas, hélas, partie de ses projets ou de ses préoccupations. J'aurais aimé qu'il eût été davantage à envisager de le voir se fixer (à ce moment il jeta un coup d'œil à Fanny). En fonction de son caractère et de ses habitudes de vie, je pense qu'Edmund a beaucoup plus de chances que son frère de se marier tôt. Lui, je crois, a vu la femme qu'il peut aimer. Tel a été mon sentiment ces temps-ci. Je suis convaincu que ce n'est pas le cas pour l'aîné. Est-ce que je me trompe? Etes-vous de mon avis, ma chère?
- "Oui, monsieur."
Ce fut dit sans beaucoup de vigueur, mais calmement, et Sir Thomas eut l'esprit en repos en ce qui concernait les cousins. Mais la disparition e ses craintes ne fut pas bénéfique à sa nièce. Comme il se confirmait que son attitude était inexplicable, son mécontentement s'accrut. Il se leva, arpenta la pièce, en fronçant le sourcil d'une manière que Fanny parvenait à se représenter, même si elle n'osait pas lever les yeux. Peu après, sur un ton d'autorité, il dit: - "Avez-vous quelque motif, mon enfant, de vous faire une mauvaise opinion du caractère de M. Crawford?
- "Non, monsieur" . Elle eût aimé ajouter ..: "mais j'en ai de me défier de ses principes". Cependant, le courage lui manqua devant la perspective terrifiante d'avoir à discuter, expliquer, pour sans doute finalement ne pas convaincre. Le jugement défavorable qu'elle portait sur lui se fondait principalement sur une observation dont, à cause de ses cousines, il lui était presque impossible d'oser dire quoi que ce fût à leur père. Maria et Julia, mais surtout Maria, se trouvaient mêlées de si près à l'inconduite de M. Crawford qu'elle ne pouvait dévoiler la nature du personnage, telle qu'elle se la figurait, sans devoir les trahir. Elle avait espéré qu'à un homme comme son oncle, si judicieux, si honorable, si bon, le seul aveu d'une répugnance marquée de sa part eût suffi. Son chagrin fut immense de découvrir qu'il n'en était rien.
Sir Thomas se dirigea vers la table où elle était assise, tremblante et désolée, et, d'une voix où il entrait beaucoup de froide sévérité, il dit: - «Il ne sert à rien, je vois, de parler avec vous. Mieux vaut mettre un terme à un entretien aussi affligeant. Je ne dois pas plus longtemps faire attendre M. Crawford. Il ne me reste donc plus qu'à ajouter, car je pense de mon devoir de vous faire connaître mon opinion de votre conduite, que vous venez de décevoir tous les espoirs que j'avais formés et que vous vous montrez sous un jour entièrement différent de ce que j'avais supposé. J'avais, Fanny, ainsi que mon attitude vous en avait sûrement informée, conçu une idée très favorable de vos mérites depuis mon retour en Angleterre. Je vous tenais pour exempte, plus que bien d'autres, d'entêtement, de vanité et de toute tendance à manifester l'indépendance d'esprit qui prévaut tant de nos jours, même chez les jeunes femmes et qui, chez elles en particulier, est déplaisante et choquante, plus que tout ce qui peut s'observer communément d'outrageant. Mais vous venez de me montrer que vous pouviez être têtue, obstinée dans l'erreur, que vous étiez capable et désireuse de décider seule, sans considération ni respect pour ceux qui assurément ont quelque droit à vous guider - sans même leur demander leur avis. Vous vous révélez différente, très différente, de tout ce que j'imaginais. L'avantage ou le désavantage de votre famille - de votre père et de votre mère, de vos frères et sœurs - ne semble pas avoir eu en la circonstance la moindre part dans vos motifs. Le profit qu'ils auraient pu en tirer, le plaisir qu'ils n'auraient pu manquer de ressentir en présence pour vous d'un établissement de cette nature n'ont pas compté à vos yeux. Vous ne pensez qu'à vous-même. Parce que vous n'éprouvez pas pour M. Crawford exactement ce que l'échauffement d'une imagination juvénile suppose nécessaire à l'existence de la félicité, vous prenez la décision de le refuser d'emblée, sans même souhaiter un peu de temps pour y penser, un petit peu plus de temps pour une réflexion à tête reposée et un examen sérieux de vos propres inclinations. Dans un moment de fol égarement, vous rejetez l'occasion d'une position pour la vie entière, souhaitable, honorable, magnifique, et telle que, sans doute, vous ne retrouverez jamais. Vous avez là un jeune homme qui possède bon sens, bonne réputation, bon caractère, bonnes manières, qui est riche, vous est extrêmement attaché et recherche votre main de la manière la plus louable et la plus désintéressée qui soit. Et laissez-moi vous dire, Fanny, que vous pourrez vivre dix-huit ans de plus dans le monde sans que vous demande un homme avec la moitié des biens de M. Crawford, ou le dixième de ses mérites. C'est avec joie que je lui aurais donné l'une ou l'autre de mes filles. Maria est superbement mariée, mais si M. Crawford avait voulu épouser Julia, je lui aurais dit oui avec au cœur plus de véritable contentement que lorsque j'ai consenti au mariage de Maria avec M. Rushworth.»
Il s'arrêta un court instant. - «Et j'aurais été très surpris si l'une ou l'autre de mes filles, recevant à un moment quelconque une offre de mariage apparaissant comme moitié moins souhaitable que celle-ci, lui avait, sans réfléchir et de manière péremptoire, sans faire l'honneur à mon opinion ou à mon affection de prendre mon avis, opposé un refus déterminé. Grande aurait été ma surprise, et grande aussi mon offense devant un tel procédé. J'aurais pensé qu'il s'agissait d'une violation grossière de l'obéissance et du respect qui m'étaient dus. Vous, c'est vrai, n'avez pas â être jugée selon les mêmes règles. Vous ne me devez pas ce que me doit l'un de mes enfants. Néanmoins, Fanny, si votre cœur peut vous exonérer du reproche d'ingratitude ...»
Il s'interrompit. Fanny alors poussait de tels sanglots que, malgré sa colère, il ne voulut pas insister là-dessus. Son cœur était près de se briser devant l'image qu'il lui montrait de ce qu'elle apparaissait à ses yeux, devant de telles accusations, si lourdes, si multiples, et devenant sans cesse d'un` poids plus écrasant: têtue, obstinée, égoïste, ingrate! Il lui voyait chacun de ces défauts. Elle avait déçu son attente, perdu son estime. Qu'allait-elle devenir?
- «Je suis désolée, dit-elle à travers ses larmes, d'une voix inarticulée. "Je suis absolument désolée.
- «Désolée! Ah, oui, j'espère bien que vous êtes désolée, et vous aurez sans doute des raisons de l'être longtemps de ce qui s'est passé aujourd'hui.
- «S'il m'était possible de faire autrement, dit-elle au prix d'un autre effort d'importance, mais je suis tellement sûre de ne jamais pouvoir le rendre heureux, et de moi-même être malheureuse.»
Il y eut un autre accès de larmes. Pourtant, en dépit de ces sanglots, et malgré en préambule le grand mot lâché de "malheureuse", son caractère tragique, Sir Thomas se prit à penser que pourrait s'y voir un signe de fléchissement, le début d'un changement dans ses inclinations, et à augurer favorablement des instances faites par le jeune homme lui-même. Il connaissait Fanny pour être très timide, extrêmement nerveuse, et considérait comme une éventualité à ne pas écarter qu'elle fût dans un tel état que d'un peu de temps, de sollicitations, de patience, d'impatience, un judicieux mélange de tout cela du côté du soupirant, on pût attendre l'effet que ces choses-là ont d'ordinaire. Si le prétendant consentait seulement à persévérer, s'il aimait seulement assez pour le faire, Sir Thomas crut qu'il pouvait se mettre à espérer. Ces réflexions lui ayant traversé l'esprit et procuré du réconfort: «Bon, dit-il sur un ton de gravíté qu'il jugeait approprié, mais avec moins d'irritation dans la voix, «bon, mon enfant, séchez vos larmes. Elles ne servent à rien. Elles ne peuvent faire aucun bien. Il faut maintenant que vous descendiez avec moi. Il n'y a que trop de temps déjà que M. Crawford a été laissé à attendre. C'est à vous à lui donner votre réponse. Nous ne saurions espérer de lui qu'il pût se contenter de moins. Vous seule êtes en mesure de lui expliquer l'origine de cette fausse idée de vos sentiments que, malheureusement pour lui, il s'est certainement mise en l'esprit. Pour ma part, je m'avoue tout à fait incapable de le faire.»
Fanny, cependant, manifesta tant de réticence, tant de désarroi, à la pensée de devoir descendre pour aller le trouver que Sir Thomas, après y avoir un instant réfléchi, jugea préférable de lui donner satisfaction. Les espoirs qu'il plaçait dans chacune des deux parties subirent de ce fait un léger amoindrissement. Malgré tout, quand il jeta un regard à sa nièce et vit en quel état ses pleurs avaient mis les traits de son visage et la beauté de son teint, il considéra que le tort causé par une entrevue dans l'immédiat était susceptible d'en égaler le profit. Il dit quelques mots, en conséquence, sans grande signification, et partit seul, laissant sa pauvre nièce pleurer en paix sur tout ce qui s'était produit, dans l'affliction la plus grande.
But Fanny shewed such reluctance, such misery, at the idea of going down to him, that Sir Thomas, after a little consideration, judged it better to indulge her. His hopes from both gentleman and lady suffered a small depression in consequence; but when he looked at his niece, and saw the state of feature and complexion which her crying had brought her into, he thought there might be as much lost as gained by an immediate interview. With a few words, therefore, of no particular meaning, he walked off by himself, leaving his poor niece to sit and cry over what had passed, with very wretched feelings.
Her mind was all disorder. The past, present, future, everything was terrible. But her uncle’s anger gave her the severest pain of all. Selfish and ungrateful! to have appeared so to him! She was miserable for ever. She had no one to take her part, to counsel, or speak for her. Her only friend was absent. He might have softened his father; but all, perhaps all, would think her selfish and ungrateful. She might have to endure the reproach again and again; she might hear it, or see it, or know it to exist for ever in every connexion about her. She could not but feel some resentment against Mr. Crawford; yet, if he really loved her, and were unhappy too! It was all wretchedness together.
In about a quarter of an hour her uncle returned; she was almost ready to faint at the sight of him. He spoke calmly, however, without austerity, without reproach, and she revived a little. There was comfort, too, in his words, as well as his manner, for he began with, “Mr. Crawford is gone: he has just left me. I need not repeat what has passed. I do not want to add to anything you may now be feeling, by an account of what he has felt. Suffice it, that he has behaved in the most gentlemanlike and generous manner, and has confirmed me in a most favourable opinion of his understanding, heart, and temper. Upon my representation of what you were suffering, he immediately, and with the greatest delicacy, ceased to urge to see you for the present.”
Le désordre régnait en son esprit. Passé, présent, avenir, tout lui faisait peur. Mais c'était la colère de son oncle qui lui donnait le plus de peine. Egoïste et ingrate: dire que c'était ainsi qu'il l'avait vue! Son malheur ne pouvait finir. Elle n'avait personne pour prendre son parti, la conseiller, ou lui parler. Son seul ami était absent. Il aurait pu adoucir son père. Mais tous, tous, peut-être, allaient la taxer d'égoïsme et d'ingratitude. Il se pourrait qu'elle eût à subir ce reproche sans cesse, à l'entendre, ou à le déceler, ou à savoir qu'il existait, toujours, en chacun des membres de la famille auprès d'elle. Il lui était impossible de ne pas en concevoir du ressentiment envers M. Crawford. Et pourtant, s'il l'aimait vraiment, n'allait-il pas lui aussi être malheureux! C'était donc partout la même désolation.
Au bout d'un quart d'heure environ, son oncle fut de retour. A sa vue, elle faillit ne pouvoir se soutenir. Il parla calmement, toutefois, sans sévérité, sans reproche, et elle se sentit revivre un peu. Ses paroles aussi lui apportèrent du réconfort, autant que son attitude. Il commença en ces termes : «M. Crawford est parti. Il vient de me quitter. Il est inutile que je vous répète notre conversation. Je ne désire pas ajouter à ce que vous pouvez maintenant éprouver, en vous rapportant ce qu'ont été ses réactions. Il suffira de vous dire qu'il s'est conduit de la manière la plus digne et la plus généreuse et m'a confirmé dans l'opinion extrêmement favorable que j'entretenais de son intelligence, de son cœur et de son caractère. Lorsque je lui eus représenté ce que vous souffriez, aussitôt, avec la plus grande délicatesse, il n'a plus voulu insister pour vous voir maintenant.»
Here Fanny, who had looked up, looked down again.
A ce moment Fanny, qui avait levé les yeux, les baissa de nouveau. «Evidemment, poursuivit son oncle, on ne peut imaginer qu'il ne demande pas à vous parler en privé, quand ce ne serait que cinq minutes. C'est une requête trop naturelle, une prétention trop légitime pour qu'on lui oppose un refus. Mais aucune date n'est fixée, ce peut être demain, ou à un moment quelconque, lorsque vous serez suffisamment tranquille. Pour l'instant, vous n'avez qu'à retrouver votre calme. Retenez ces larmes : elles ne servent qu'à vous épuiser. Si, comme je suis prêt à le croire, vous désirez vous accorder un peu à mes souhaits, vous ne céderez pas à ces émotions, mais tenterez de vous raisonner pour atteindre à plus de fermeté. Je vous conseille de sortir. Le grand air vous fera du bien. Sortez une heure sur l'allée sablée, vous aurez le bosquet d'arbustes pour vous seule, avec le grand air et l'exercice vous vous sentirez mieux. En outre, Fanny (il fit quelques pas en arrière), je ne dirai rien en bas de tout cela, même à votre tante Bertram. Je ne vois pas l'intérêt d'étendre la déconvenue. N'en dites rien non plus.»
C'était là un ordre auquel on pouvait se conformer avec joie, un geste de bonté qui toucha Fanny profondément. Ne pas avoir à subir les interminables reproches de sa tante Norris! Il partit en laissant son cœur débordant de gratitude. Rien ne pouvait être plus insupportable que de tels reproches. Même la vue de M. Crawford serait une épreuve moins accablante.
Elle sortit sans attendre, ainsi que son oncle le lui avait recommandé, et suivit son conseil, dans la mesure où cela lui était possible. Elle retint ses larmes, fit de son mieux pour rétablir son calme et se montrer plus forte. Son souhaít était de lui prouver qu'elle désirait vraiment sa tranquillité et cherchait à regagner sa faveur. Il lui avait par ailleurs fourni une autre bonne raison de s'efforcer, en empêchant toute connaissance de cette affaire de parvenir aux oreilles de ses tantes. Ne pas provoquer les soupçons par sa mine ou par son comportement était à présent un but qui valait d'être atteint. Elle se sentait capable de presque n'importe quoi pour échapper à sa tante Norris.
She was struck, quite struck, when, on returning from her walk and going into the East room again, the first thing which caught her eye was a fire lighted and burning. A fire! it seemed too much; just at that time to be giving her such an indulgence was exciting even painful gratitude. She wondered that Sir Thomas could have leisure to think of such a trifle again; but she soon found, from the voluntary information of the housemaid, who came in to attend it, that so it was to be every day. Sir Thomas had given orders for it.
Elle fut surprise, stupéfaite même, lorsqu'en revenant de sa promenade et en rentrant dans la chambre de l'Est, la première chose qui frappa son regard fut la lueur d'un feu que l'on avait allumé. Du feu! Cela lui parut excessif. En un pareil moment lui montrer une telle bienveillance était éveiller en elle une reconnaissance presque douloureuse. Elle se demanda comment Sir Thomas avait pu trouver le loisir de se souvenir d'une bagatelle de cette sorte. Mais elle ne tarda pas à découvrir, sur l'information que la femme de chambre qui vint en prendre soin communiqua d'elle-même, que ce feu devait être rallumé chaque jour. Sir Thomas avait donné des ordres en ce sens.
«Il faut que je sois dénuée de toute sensibilité si je puis véritablement me montrer ingrate! se dit-elle. Le Ciel m'épargne de l'être ! »
Elle ne vit ensuite rien de son oncle, ni de sa tante Norris, jusqu'au moment du dîner. Le comportement de Sir Thomas avec elle fut alors aussi proche que possible de ce qu'il avait été précédemment. Elle fut certaine qu'il n'entrait pas dans ses intentions de faire sentir un changement, et que seule sa conscience pouvait en imaginer un. Cependant, Mme Norris eut tôt fait de la gourmander. Aussi, quand elle considéra quel usage excessif et déplaisant pouvait être tiré du seul fait qu'elle fût sortie à l'insu de sa tante, elle comprit quelle raison elle avait de se réjouir de la bonté qui la mettait à l'abri de cette même acrimonie s'exerçant sur un sujet de plus d'importance.
«Si j'avais su que tu sortais, dit Mme Norris, je t'aurais fait aller jusqu'à ma maison, pas plus loin, avec des instructions pour Nancy que depuis, ce qui m'a beaucoup gênée, j'ai été obligée de lui porter moi-même. Je n'avais vraiment pas le temps, et tu m'aurais rendu service si seulement tu avais eu la bonté de nous faire savoir que tu sortais. Je pense que cela t'aurait été égal de marcher dans le bosquet d'arbustes ou d'aller jusqu'à ma maison.
- C'est moi qui ai recommandé le bosquet à Fanny, dit Sir Thomas, comme l'endroit le moins humide.
- Ah! fit Mme Norris, interloquée, c'était très gentil de votre part, Sir Thomas, mais vous ne savez pas comme le sentier qui mène à ma maison est dépourvu d'humidité. Fanny y aurait fait une promenade tout aussi satisfaisante, je vous assure, avec l'avantage de se rendre utile et d'oublier sa tante. Tout cela est sa faute. Si seulement elle nous avait fait savoir qu'elle sortait! Mais il y a chez Fanny quelque chose que j'ai déjà eu l'occasion d'observer: elle aime travailler à sa manière. Elle n'aime pas qu'on lui dise ce qu'elle doit faire. Elle se promène de son côté sitôt qu'elle en a la possibilité. Il y a en elle, à coup sûr, une tendance au secret, à n'en faire qu'à sa tête, à se conduire en dépit du bon sens, que je lui conseillerais vivement de dominer. »
En fait de reproche s'appliquant à l'ensemble de la conduite de Fanny, Sir Thomas pensa que rien n'était plus injuste, bien qu'il eût lui-même exprimé les mêmes sentiments si peu de temps auparavant, et il essaya de détourner la conversation. Il lui fallut faire plusieurs tentatives en ce sens avant de réussir, car Mme Norris n'avait pas assez de discernement pour comprendre, ou alors à tout autre moment, à quel point il avait bonne opinion de sa nièce, ou comme il était loin de souhaiter voir les mérites de ses propres enfants mis en valeur par la dépréciation de ceux de Fanny. Pendant la moitié du repas, elle s'en prit à la jeune fille et lui tint rigueur de s'être promenée seule. Cela, cependant, eut une fin, et la soirée commença avec, pour Fanny, plus de tranquillité d'esprit et plus de confiance en elle-même qu'elle n'aurait pu en espérer après une matinée aussi tumultueuse. Elle pensait, en premier lieu, avoir bien agi, ne pas avoir été égarée par son jugement. Elle était prête à répondre de la pureté de ses intentions. En second lieu, l'espoir lui était laissé, croyait-elle, d'un degré moindre dans la contrariété de son oncle. Celle-ci pourrait encore diminuer davantage, lorsqu'il considérerait la question avec plus d'impartialité et verrait, ainsi que sa bonté l'y amènerait tôt ou tard, combien il était malheureux, impardonnable, désespéré, pervers, de se marier sans affection.
Lorsque serait passée la rencontre dont elle était menacée pour le lendemain, comment pouvait-elle ne pas se flatter que ce sujet serait définitivement écarté? M. Crawford une fois parti de Mansfield, tout serait bientôt revenu au même point que si pareille question n'avait jamais été soulevée. Elle ne voulait ni ne pouvait croire que les sentiments de M. Crawford seraient de nature à le tourmenter longtemps. Il n'était pas ce genre d'homme. Londres ne tarderait pas à le guérir. Une fois dans la capitale, il apprendrait vite à s'étonner de sa folie et se féliciterait de la droite raison qui, en elle, lui avait épargné de funestes conséquences.
Tandis que Fanny caressait ces espoirs, peu après le thé on demanda son oncle, et il sortit de la pièce. L'incident était trop banal pour retenir son attention, et elle cessa d'y penser, jusqu'à ce que le majordome, revenant dix minutes après et s'avançant vers elle d'un pas décidé, lui dit : «Sir Thomas voudrait vous parler, Madame, dans son appartement.» Il lui vint alors à l'esprit une éventualité. Un soupçon la saisit, qui ôta toute couleur à ses joues. Elle se levait aussitôt et se préparait à obéir quand Mme Norris lui cria: «Mais non, Fanny, ne bouge pas! Que fais-tu? Où vas-tu? Ne sois pas si pressée. Crois-moi, ce n'est pas de toi que l'on a besoin. C'est de moi (avec un regard en direction du majordome). Mais tu es toujours prête à te mettre en avant. Pourquoi Sir Thomas te demanderait-il? C'est de moi qu'il s'agit, n'est-ce pas, Baddeley, assurément. J'arrive à l'instant. je suis certaine que c'est de moi qu'il s'agit, Baddeley. Sir Thomas me demande, moi, et non Mlle Price.»
Baddeley fut très ferme. «Non, madame, c'est Mlle Price, je suis certain qu'il veut voir Mlle Price.» Un demi-sourire accompagnait ses paroles, qui signifiait: «Je ne crois pas que vous feriez l'affaire, si peu que ce soit.» Mme Norris, fort contrariée, n'eut plus qu'à se reprendre et à se remettre a son ouvrage. Quant à Fanny, elle partit, inquiète de ce qui l'attendait, pour se retrouver un instant plus tard, ainsi qu'elle l'avait prévu, en tête a tête avec M. Crawford...."
Henry se présente donc pour tenter une nouvelle fois sa chance. Ses expressions de sincérité font impression sur Sir Thomas. Il rappelle à nouveau à Fanny le rôle qu'il a joué dans la promotion de William, et Fanny a bien du mal à le renier. Mais elle le fait. Sir Thomas lui dit qu'il respectera sa volonté, mais qu'il informera Mme Norris et Lady Bertram de sa position. Leur condamnation sera immédiate. De retour à Mansfield après son ordination, Edmund apprend de Sir Thomas la demande d'Henry. Les Crawford doivent quitter Mansfield, et Sir Thomas souhaite vivement que Fanny change d'avis. Il demande à Edmond d'intervenir. Edmond accepte à contrecœur. Les émotions de Fanny sont tumultueuses lorsqu'elle parle à Edmond de la situation (III-V). Il lui dit qu'il est d'accord avec sa conduite, mais il l'exhorte à reconsidérer sa décision....
(III, IV - ou XXXV) “I am come to walk with you, Fanny,” said he. “Shall I?” Drawing her arm within his. “It is a long while since we have had a comfortable walk together.”
She assented to it all rather by look than word. Her spirits were low.
“But, Fanny,” he presently added, “in order to have a comfortable walk, something more is necessary than merely pacing this gravel together. You must talk to me. I know you have something on your mind. I know what you are thinking of. You cannot suppose me uninformed. Am I to hear of it from everybody but Fanny herself?”
Fanny, at once agitated and dejected, replied, “If you hear of it from everybody, cousin, there can be nothing for me to tell.”
“Not of facts, perhaps; but of feelings, Fanny. No one but you can tell me them. I do not mean to press you, however. If it is not what you wish yourself, I have done. I had thought it might be a relief.”
“I am afraid we think too differently for me to find any relief in talking of what I feel.”
“Do you suppose that we think differently? I have no idea of it. I dare say that, on a comparison of our opinions, they would be found as much alike as they have been used to be: to the point—I consider Crawford’s proposals as most advantageous and desirable, if you could return his affection. I consider it as most natural that all your family should wish you could return it; but that, as you cannot, you have done exactly as you ought in refusing him. Can there be any disagreement between us here?”
“Oh no! But I thought you blamed me. I thought you were against me. This is such a comfort!”
“This comfort you might have had sooner, Fanny, had you sought it. But how could you possibly suppose me against you? How could you imagine me an advocate for marriage without love? Were I even careless in general on such matters, how could you imagine me so where your happiness was at stake?”
“My uncle thought me wrong, and I knew he had been talking to you.”
“As far as you have gone, Fanny, I think you perfectly right. I may be sorry, I may be surprised—though hardly that, for you had not had time to attach yourself—but I think you perfectly right. Can it admit of a question? It is disgraceful to us if it does. You did not love him; nothing could have justified your accepting him.”
Fanny had not felt so comfortable for days and days
" ... Voyez-vous, je croyais que vous me désapprouvíez. je pensais que vous étiez contre moi. Ce que vous me dites est très réconfortant. - "C'est un réconfort, Fanny, dont vous auriez pu bénéficier plus tôt, si vous l'aviez recherché. Mais comment avez-vous pu supposer que j'étais contre vous? Comment avez-vous pu faire de moi un avocat du mariage sans amour? Quand même je serais de manière générale négligent sur ces sujets-là, comment croire que je pourrais l'être quand votre bonheur est en jeu?
- "Mon oncle me donnait tort, et je savais qu'il avait eu un entretien avec vous. - "Jusqu'à maintenant, Fanny, moi, je vous donne entièrement raison. Je puis avoir des regrets, en concevoir de la surprise - encore que cela ne soit guère possible, car vous n'avez pas eu le temps de vous attacher. Mais j'estime que l'on ne peut en rien vous blâmer. Comment le mettre en doute? Ce serait une honte pour nous de le faire. Vous ne l'aimiez pas: il aurait été impossible de justifier votre acceptation."
Il y avait bien longtemps que Fanny ne s'était pas sentie aussi soulagée.
“So far your conduct has been faultless, and they were quite mistaken who wished you to do otherwise. But the matter does not end here. Crawford’s is no common attachment; he perseveres, with the hope of creating that regard which had not been created before. This, we know, must be a work of time. But” (with an affectionate smile) “let him succeed at last, Fanny, let him succeed at last. You have proved yourself upright and disinterested, prove yourself grateful and tender-hearted; and then you will be the perfect model of a woman which I have always believed you born for.”
“Oh! never, never, never! he never will succeed with me.” And she spoke with a warmth which quite astonished Edmund, and which she blushed at the recollection of herself, when she saw his look, and heard him reply, “Never! Fanny!—so very determined and positive! This is not like yourself, your rational self.”
“I mean,” she cried, sorrowfully correcting herself, “that I think I never shall, as far as the future can be answered for; I think I never shall return his regard.”
- "Jusqu'à ce jour votre conduite a été sans défaut, et ceux qui voulaient vous voir en tenir une autre se trompaient lourdement. Cependant, cette affaire ne se termine pas là. L'attachement de Crawford sort de l'ordinaire. Il persévère, dans l'espoir de faire naître cette affection qui ne s'est pas encore manifestée. Ce ne peut être obtenu, nous le savons bien, qu'avec l'aide du temps. Néanmoins, Fanny (avec un sourire affectueux), permettez-lui de réussir en fin de compte, permettez-le-lui. Vous avez fait la preuve de votre droiture et de votre désintéressement. Montrez-vous tendre et reconnaissante. Vous serez alors en tout point le modèle féminin que je vous ai toujours crue capable d'incarner.
- "Jamais! jamais il n'aura de succès auprès de moi !"
Elle y mit une chaleur qui stupéfia Edmund. Elle rougit elle-même en se la rappelant, lorsqu'elle le vit réagir et l'entendit répondre: - "Jamais, Fanny! Tant de détermination, tant d'assurance! Cela ne vous ressemble pas. je ne reconnais pas là votre bon sens.
- "Je veux dire, s'écria-t-elle avec regret, en se corrigeant, que mon sentiment est que jamais, dans la mesure où l'on peut préjuger de l'avenir, jamais je ne pourrai lui rendre son affection.
- “I must hope better things. I am aware, more aware than Crawford can be, that the man who means to make you love him (you having due notice of his intentions) must have very uphill work, for there are all your early attachments and habits in battle array; and before he can get your heart for his own use he has to unfasten it from all the holds upon things animate and inanimate, which so many years’ growth have confirmed, and which are considerably tightened for the moment by the very idea of separation. I know that the apprehension of being forced to quit Mansfield will for a time be arming you against him. I wish he had not been obliged to tell you what he was trying for. I wish he had known you as well as I do, Fanny. Between us, I think we should have won you. My theoretical and his practical knowledge together could not have failed. He should have worked upon my plans. I must hope, however, that time, proving him (as I firmly believe it will) to deserve you by his steady affection, will give him his reward. I cannot suppose that you have not the wish to love him—the natural wish of gratitude. You must have some feeling of that sort. You must be sorry for your own indifference.”
- “We are so totally unlike,” said Fanny, avoiding a direct answer, “we are so very, very different in all our inclinations and ways, that I consider it as quite impossible we should ever be tolerably happy together, even if I could like him. There never were two people more dissimilar. We have not one taste in common. We should be miserable.”
- "Il me faut espérer mieux. Je me rends compte, plus facilement que Crawford ne peut le faire, que l'homme qui a pour ambition de se faire aimer de vous (en vous supposant dûment avertie de ses intentions) se verra confronté à une tâche très rude. Il aura contre lui tous les attachements de vos premières années et vos habitudes premières, en ordre de bataille. Avant qu'il obtienne votre coeur pour son propre usage, il aura à le détacher de tous les liens avec les objets, animés et inanímés, qu'au cours de toutes ces années la vie a consolidés, et qu'en ce moment l'idée même de la séparation resserre considérablement. Je sais que la crainte d'avoir à quitter Mansfield pendant quelque temps va vous armer contre lui. je déplore qu'il ait dû vous avouer le but de ses efforts. J'aurais aimé qu'il eût de vous, Fanny, la même connaissance que la mienne. A nous deux, je crois que nous vous aurions conquise. Ce que je savais en théorie s'alliant à ses connaissances dans la pratique, ensemble nous n'aurions pas pu échouer. Il aurait dû agir selon mes plans. Il me faut espérer, toutefois, que le temps, en apportant la preuve (comme je crois fermement qu'il le fera) qu'il vous mérite par la constance de son affectíon, lui donnera sa récompense. Je ne puis croire que vous n'ayez pas au moins le souhait de l'aimer, ce souhait qui vient naturellement à la gratitude. Vous ne pouvez ne pas éprouver de sentiment de ce genre. Vous devez regretter votre indifférence."
- "Nous sommes tellement dissemblables", dit Fanny, en évitant une réponse directe, "tellement, tellement différents dans nos inclinations et nos habitudes, que je considère comme absolument impossible que nous soyons jamais à peu près heureux ensemble, même à supposer que je puisse l'aimer. Jamais deux personnes n'ont eu aussi peu de choses en commun. Nous ne partageons pas le moindre goût. Notre vie serait misérable.
“You are mistaken, Fanny. The dissimilarity is not so strong. You are quite enough alike. You have tastes in common. You have moral and literary tastes in common. You have both warm hearts and benevolent feelings; and, Fanny, who that heard him read, and saw you listen to Shakespeare the other night, will think you unfitted as companions? You forget yourself: there is a decided difference in your tempers, I allow. He is lively, you are serious; but so much the better: his spirits will support yours. It is your disposition to be easily dejected and to fancy difficulties greater than they are. His cheerfulness will counteract this. He sees difficulties nowhere: and his pleasantness and gaiety will be a constant support to you. Your being so far unlike, Fanny, does not in the smallest degree make against the probability of your happiness together: do not imagine it. I am myself convinced that it is rather a favourable circumstance. I am perfectly persuaded that the tempers had better be unlike: I mean unlike in the flow of the spirits, in the manners, in the inclination for much or little company, in the propensity to talk or to be silent, to be grave or to be gay. Some opposition here is, I am thoroughly convinced, friendly to matrimonial happiness. I exclude extremes, of course; and a very close resemblance in all those points would be the likeliest way to produce an extreme. A counteraction, gentle and continual, is the best safeguard of manners and conduct.”
Full well could Fanny guess where his thoughts were now: Miss Crawford’s power was all returning. He had been speaking of her cheerfully from the hour of his coming home. His avoiding her was quite at an end. He had dined at the Parsonage only the preceding day.
After leaving him to his happier thoughts for some minutes, Fanny, feeling it due to herself, returned to Mr. Crawford, and said, “It is not merely in temper that I consider him as totally unsuited to myself; though, in that respect, I think the difference between us too great, infinitely too great: his spirits often oppress me; but there is something in him which I object to still more. I must say, cousin, that I cannot approve his character. I have not thought well of him from the time of the play. I then saw him behaving, as it appeared to me, so very improperly and unfeelingly—I may speak of it now because it is all over—so improperly by poor Mr. Rushworth, not seeming to care how he exposed or hurt him, and paying attentions to my cousin Maria, which—in short, at the time of the play, I received an impression which will never be got over.”
“My dear Fanny,” replied Edmund, scarcely hearing her to the end, “let us not, any of us, be judged by what we appeared at that period of general folly. The time of the play is a time which I hate to recollect. Maria was wrong, Crawford was wrong, we were all wrong together; but none so wrong as myself. Compared with me, all the rest were blameless. I was playing the fool with my eyes open.”
- "Vous faites erreur, Fanny. Les dissemblances ne sont pas aussi fortes. Vous vous ressemblez dans une certaine mesure. Il y a. des goûts que vous partagez, en matière de morale et de littérature. L'un et l'autre, vous avez le cœur tendre, vous montrez de la bienveillance, et puis, Fanny, qui vous croira incapables de vivre ensemble après l'avoir entendu lire et vous avoir vue écouter Shakespeare l'autre soir? Vous ne tenez pas compte de vous-même. Il existe une différence marquée entre vos tempéraments, je le reconnais. Il est plein de vivacité, vous de sérieux. Mais c'est tant mieux, sa belle humeur vous aidera a conserver la vôtre. Vous êtes d'une nature à céder facilement au découragement et à imaginer les difficultés plus grandes qu'elles ne sont. Son enjouement contrebalancera cela. Lui ne voit d'obstacles nulle part. Son affabilité, sa gaieté vous seront d'un grand secours. La dissemblance qui se voit maintenant entre vous, Fanny, ne laisse nullement présager l'improbabilité de votre bonheur ensemble. N'allez pas le croire. Pour ma part, je suis convaincu que c'est une circonstance qui serait plutôt favorable. je suis absolument persuadé qu'il vaut mieux qu'il y ait une différence dans les tempéraments, je veux dire par là dans l'humeur, les manières, le goût pour une société nombreuse ou restreinte, la tendance à parler peu ou beaucoup, à être grave ou enjoué. Une certaine opposition en ces matières, mon opinion est faite là-dessus, concourt au bonheur conjugal. J'exclus les extrêmes, bien entendu, mais une ressemblance trop poussée dans ces articles-là serait la meilleure façon de parvenir à un conflit. Une action contraire, s'exerçant avec modération et continuité, assure la sauvegarde la plus efficace des manières et de la conduite."
Il n'était pas difficile pour Fanny de deviner où allaient ses pensées maintenant. L'ascendant de Mlle Crawford se faisait à nouveau sentir dans toute sa force. Depuis qu'il était revenu, il n'avait cessé de parler d'elle avec espoir. Il avait entièrement fini de l'éviter. La veille encore, il avait dîné au presbytère. Fanny l'abandonna quelques instants à ses considérations plus souriantes puis, sentant que cela lui était dû, elle revint à M. Crawford. - "Ce n'est pas seulement par son tempérament que je le trouve me disconvenir tout à fait. Sous ce rapport, mon opinion est que la différence entre nous est trop grande, infiniment trop grande. Son entrain souvent m'accable. Mais il y a quelque chose en lui qui m'est plus désagréable encore. Je dois vous dire, mon cousin, que c'est l'homme que je ne puis approuver. Depuis l'époque du théâtre je lui ai retiré mon estime. Je l'ai vu se conduire alors, ce fut du moins l'impression que j'en eus, d'une manière si peu convenable et si cruelle - je puis en parler maintenant parce que tout cela est du passé - si peu convenable à l'égard du pauvre M. Rushworth, sans paraître se soucier de la façon dont il le rendait ridicule ou le blessait, en donnant des soins à ma cousine Maria qui. .. Bref, à ce moment, il m'a fait une impression qui ne s'effacera jamais.
- "Ma chère Fanny", repartit Edmund, en l'écoutant à peine jusqu'au bout, "il ne faut pas que nous tous, tant que nous sommes, soyons jugés sur l'impression que nous donnions en cette période d'extravagance généralisée. L'époque du théâtre, je déteste me la rappeler. Maria était dans l'erreur, Crawford aussi, nous faisions tous fausse route. Mais personne ne s'égarait plus que moi. En comparaison de moi, aucun des autres n'était à blâmer. je déraisonnais, les yeux grands ouverts.
“As a bystander,” said Fanny, “perhaps I saw more than you did; and I do think that Mr. Rushworth was sometimes very jealous.” - “Very possibly. No wonder. Nothing could be more improper than the whole business. I am shocked whenever I think that Maria could be capable of it; but, if she could undertake the part, we must not be surprised at the rest.” - “Before the play, I am much mistaken if Julia did not think he was paying her attentions.” - “Julia! I have heard before from some one of his being in love with Julia; but I could never see anything of it. And, Fanny, though I hope I do justice to my sisters’ good qualities, I think it very possible that they might, one or both, be more desirous of being admired by Crawford, and might shew that desire rather more unguardedly than was perfectly prudent. I can remember that they were evidently fond of his society; and with such encouragement, a man like Crawford, lively, and it may be, a little unthinking, might be led on to - there could be nothing very striking, because it is clear that he had no pretensions: his heart was reserved for you. And I must say, that its being for you has raised him inconceivably in my opinion. It does him the highest honour; it shews his proper estimation of the blessing of domestic happiness and pure attachment. It proves him unspoilt by his uncle. It proves him, in short, everything that I had been used to wish to believe him, and feared he was not.”
- "En tant que spectatrice, dit Fanny, peut-être ai-je pu remarquer plus de choses que vous. je suis persuadée que parfois M. Rushworth était très jaloux. - "C'est tout à fait possible, et cela n'a rien d'étonnant. Rien ne pouvait être plus inconvenant que toute cette affaire. Je suis scandalisé, chaque fois que je pense à ce que Maria a pu faire. Mais, dès lors qu'elle avait cru pouvoir se charger du rôle, le reste ne doit pas nous surprendre. - "Avant la pièce, je me trompe fort si Julia n'avait pas le sentiment que c'était à elle qu'il donnait ses soins. - "Ah, oui, Julia! Quelqu'un m'a dit, je crois, qu'il était amoureux de Julia, mais pour ma part je n'ai jamais rien pu observer de pareil. J'espère rendre justice aux qualités que possèdent mes sœurs, Fanny, mais cela ne m'empêche pas d'envisager la possibilité que l'une ou l'autre, ou même les deux, aient recherché l'admiration de Crawford et laissé paraître leur souhait plus indiscrètement que ne le permettait une stricte prudence. Je me souviens. leur avoir vu manifester du goût pour sa société. Nanti d'un tel encouragement, quelqu'un comme Crawford, de fringant, d'un peu étourdi peut-être, pouvait bien être amené à... rien de très frappant, assurément, car il ne prétendait à rien. Son cœur, il le gardait pour vous, et je dois dire que c'est quelque chose qui l'a fait monter de manière inimaginable dans mon estime. Cela l'honore au plus haut point, démontre qu'il apprécie comme il convient ces bénédictions du Ciel que sont le bonheur domestique et une pure affection. Cela prouve que son oncle n'a pas réussi à le corrompre, bref, qu'il est bien tel que je le souhaitais, tout en craignant de me tromper."
- “I am persuaded that he does not think, as he ought, on serious subjects. - “Say, rather, that he has not thought at all upon serious subjects, which I believe to be a good deal the case. How could it be otherwise, with such an education and adviser? Under the disadvantages, indeed, which both have had, is it not wonderful that they should be what they are? Crawford’s feelings, I am ready to acknowledge, have hitherto been too much his guides. Happily, those feelings have generally been good. You will supply the rest; and a most fortunate man he is to attach himself to such a creature - to a woman who, firm as a rock in her own principles, has a gentleness of character so well adapted to recommend them. He has chosen his partner, indeed, with rare felicity. He will make you happy, Fanny; I know he will make you happy; but you will make him everything.” - “I would not engage in such a charge,” cried Fanny, in a shrinking accent; “in such an office of high responsibility!” - “As usual, believing yourself unequal to anything! fancying everything too much for you! Well, though I may not be able to persuade you into different feelings, you will be persuaded into them, I trust. I confess myself sincerely anxious that you may. I have no common interest in Crawford’s well-doing. Next to your happiness, Fanny, his has the first claim on me. You are aware of my having no common interest in Crawford.”
- "Je suis persuadée qu'íl n'a pas, sur les sujets sérieux, les opinions qu'il devrait avoir. - "Dites plutôt qu'il n'y a pas du tout réfléchi, ce que je crois correspondre largement à la réalité. Comment pourrait-il en être autrement, avec l'éducation qu'il a reçue et le conseiller qu'il a eu? Avec les désavantages qu'incontestablement l'un et l'autre ont dû supporter, n'est-il pas étonnant qu'ils soient ce qu'ils sont? Je suis prêt à l'admettre, Crawford, jusqu'à maintenant, s'est trop laissé mener par ses sentiments. Heureusement, ils ont en général été bénéfiques. Vous procurerez le reste. Il a beaucoup de chance de s'être attaché à quelqu'un comme vous, à une femme qui, ferme comme un roc en ses principes, possède une douceur apte à les recommander. Le choix qu'il a fait de sa partenaire, assurément, l'a été avec un bonheur peu commun. Il vous rendra heureuse, Fanny, je sais qu'il vous rendra heureuse. Mais vous le transformerez complètement. - "Je n'accepterais pas aisément une pareille charge", s'écria Fanny, sa voix marquant un mouvement de recul, "un office engageant pareille responsabilité! - "Comme d'habitude, vous vous croyez incapable de tout, imaginez que tout est au-dessus de vos forces ! Mais, si moi, je ne puis vous gagner à un état d'esprit différent, je gage qu'en définitive vous vous laisserez persuader. J'avoue que sincèrement je souhaite de tout cœur qu'il en aille ainsi. Le succès de Crawford m'importe tout particulièrement. Après votre bonheur, Fanny, le sien est au premier rang de mes préoccupations. Vous devez vous rendre compte que le sort de Crawford ne peut m'être indifférent."
Fanny was too well aware of it to have anything to say; and they walked on together some fifty yards in mutual silence and abstraction. Edmund first began again..
Fanny s'en rendait trop bien compte pour avoir un avis à exprimer. Ils marchèrent côte à côte pendant une vingtaine de toises, l'un et l'autre silencieux et absorbés par leurs pensées.
“I was very much pleased by her manner of speaking of it yesterday, particularly pleased, because I had not depended upon her seeing everything in so just a light. I knew she was very fond of you; but yet I was afraid of her not estimating your worth to her brother quite as it deserved, and of her regretting that he had not rather fixed on some woman of distinction or fortune. I was afraid of the bias of those worldly maxims, which she has been too much used to hear. But it was very different. She spoke of you, Fanny, just as she ought. She desires the connexion as warmly as your uncle or myself. We had a long talk about it. I should not have mentioned the subject, though very anxious to know her sentiments; but I had not been in the room five minutes before she began introducing it with all that openness of heart, and sweet peculiarity of manner, that spirit and ingenuousness which are so much a part of herself. Mrs. Grant laughed at her for her rapidity.” - “Was Mrs. Grant in the room, then?” - “Yes, when I reached the house I found the two sisters together by themselves; and when once we had begun, we had not done with you, Fanny, till Crawford and Dr. Grant came in.” -
Ce fut Edmund qui reprit le premier: - "Hier, j'ai été ravi de sa façon de parler de cela, vraiment ravi. je ne m“étais pas attendu à ce qu'elle eût sur tout un point de vue aussi satisfaisant. Je savais l'affection qu'elle avait pour vous. Pourtant, je craignais qu'elle ne mesurât point à sa juste valeur tout le profit que son frère pouvait retirer de son mariage avec vous, et qu'elle regrettât qu'il n'eût pas plutôt choisi une femme distinguée par le rang ou la fortune. Je redoutais la prévention causée par ces maximes du monde qu'elle n'a eu que trop d'occasions d'entendre. Mais ce fut entièrement différent. Elle parla de vous, Fanny, précisément comme il le fallait. Elle désire cette union d'aussi grand cœur que votre oncle ou que moi-même. Nous avons eu là-dessus une longue conversation. J'aurais évité ce sujet-là, encore que souhaitant vivement savoir ce qu'elle en pensait, mais je n'avais pas été cinq minutes dans la pièce qu'elle l'attaqua, l'abordant avec cette cordiale franchise, cette gentillesse particulière, cette vivacité et cette ingénuité qui la caractérisent si bien. Mme Grant se moqua de sa promptitude. - "Mme Grant était donc dans la pièce? - "Oui. Lorsque j'arrivai à la maison, je trouvai les deux sœurs ensemble, sans personne avec elles. Mais une fois que nous eûmes commencé, il ne nous fut plus possible d'en finir avec vous, Fanny, avant l'entrée de Crawford et du docteur Grant.
“It is above a week since I saw Miss Crawford.” - “Yes, she laments it; yet owns it may have been best. You will see her, however, before she goes. She is very angry with you, Fanny; you must be prepared for that. She calls herself very angry, but you can imagine her anger. It is the regret and disappointment of a sister, who thinks her brother has a right to everything he may wish for, at the first moment. She is hurt, as you would be for William; but she loves and esteems you with all her heart.” - “I knew she would be very angry with me.”
- "Je n'ai pas vu Mlle Crawford depuis plus de huit jours. - "Oui. Elle le déplore, tout en reconnaissant que c'est peut-être mieux ainsi. Vous la verrez, cependant, avant qu'elle parte. Elle est très fâchée contre vous, Fanny; il faut vous y préparer. Elle se dit très en colère, mais vous pouvez imaginer ce qu'il en est. Il s'agit des regrets et de la déception d'une sœur, qui juge que son frère peut prétendre à tout, dès l'instant où il le désire. Elle est blessée, comme vous le seriez dans le cas de William. Mais elle vous aime et vous estime sans réserve aucune. - "Je savais qu'elle serait très fâchée contre moi.
“My dearest Fanny,” cried Edmund, pressing her arm closer to him, “do not let the idea of her anger distress you. It is anger to be talked of rather than felt. Her heart is made for love and kindness, not for resentment. I wish you could have overheard her tribute of praise; I wish you could have seen her countenance, when she said that you should be Henry’s wife. And I observed that she always spoke of you as ‘Fanny,’ which she was never used to do; and it had a sound of most sisterly cordiality.”
“And Mrs. Grant, did she say—did she speak; was she there all the time?”
“Yes, she was agreeing exactly with her sister. The surprise of your refusal, Fanny, seems to have been unbounded. That you could refuse such a man as Henry Crawford seems more than they can understand. I said what I could for you; but in good truth, as they stated the case—you must prove yourself to be in your senses as soon as you can by a different conduct; nothing else will satisfy them. But this is teasing you. I have done. Do not turn away from me.”
- "Très chère Fanny", s'écria Edmund en rapprochant son bras du sien, "il ne faut pas que vous vous fassiez du souci à l'idée de sa colère. C'est la colère de la conversation plutôt que celle du cœur. Le sien est fait pour l'amour et la bienveillance, non pour le ressentiment. Je regrette que vous n'ayez pu entendre l'hommage qu'elle vous a rendu, voir l'expression de sa physionomie quand elle assurait qu'il fallait que vous fussiez l'épouse de Henry. J'ai observé qu'elle faisait toujours allusion à vous comme à "Fanny", ce qui n'était pas le cas avant, et sa voix alors avait les accents de la cordialité la plus fraternelle.
- "Et Mme Grant, a-t-elle dit, a-t-elle parlé, était-elle là pendant tout ce temps ?
- "Oui, et elle donnait toute son approbation aux paroles de sa soeur. Votre refus, Fanny, semble leur avoir causé une immense surprise. Que vous ayez pu refuser un homme tel que Henry Crawford apparemment les confond. J'ai plaidé pour vous comme j'ai pu. Cependant, il faut avouer que, de la manière dont elles représentaient les choses... Il importe que vous montriez que vous avez toute votre raison au plus tôt, en adoptant une conduite différente; rien d'autre ne les satisfera. Mais je vous taquine, j'en ai terminé. Ne vous détournez pas de moi.
- “I should have thought,” said Fanny, after a pause of recollection and exertion, “that every woman must have felt the possibility of a man’s not being approved, not being loved by some one of her sex at least, let him be ever so generally agreeable. Let him have all the perfections in the world, I think it ought not to be set down as certain that a man must be acceptable to every woman he may happen to like himself. But, even supposing it is so, allowing Mr. Crawford to have all the claims which his sisters think he has, how was I to be prepared to meet him with any feeling answerable to his own? He took me wholly by surprise. I had not an idea that his behaviour to me before had any meaning; and surely I was not to be teaching myself to like him only because he was taking what seemed very idle notice of me. In my situation, it would have been the extreme of vanity to be forming expectations on Mr. Crawford. I am sure his sisters, rating him as they do, must have thought it so, supposing he had meant nothing. How, then, was I to be—to be in love with him the moment he said he was with me? How was I to have an attachment at his service, as soon as it was asked for? His sisters should consider me as well as him. The higher his deserts, the more improper for me ever to have thought of him. And, and—we think very differently of the nature of women, if they can imagine a woman so very soon capable of returning an affection as this seems to imply.”
- "J'aurais cru", dit Fanny, après une pause pendant laquelle elle se ressaisit et fit effort sur elle-même, "que toute femme devait envisager la possibilité qu'un homme pût ne pas être accepté, ne pas être aimé au moins, par une autre femme, quel que fût le charme qu'en général on lui reconnût. Quand il aurait toutes les perfections du monde, mon opinion est que l'on ne saurait considérer comme assuré qu'il va recevoir un accueil favorable de la part de toutes celles qui se trouveront lui plaire. Mais, à supposer que je me trompe, et que M. Crawford ait bien tous les atouts en main que ses sœurs lui croient posséder, comment pouvais-je être prête à le rencontrer avec des sentiments de nature à répondre aux siens ? Il m'a prise entièrement de court. Je ne pouvais penser que sa conduite précédente envers moi sígnifiât quelque chose. Assurément je ne devais pas m'appliquer à l'aimer pour la seule raison qu'il me prêtait, selon toute apparence, une attention sans aucun motif sérieux. Dans la position qui est la mienne, c'eût été le comble de la vanité d'attendre quoi que ce soit de M. Crawford. Je suis certaine que ses sœurs, le plaçant aussi haut qu'elles le font, n'auraient pu échapper à ce jugement-là s'il n'avait songé à rien de particulier. Comment donc aurais-je pu m'éprendre de lui, aussitôt qu'il aurait dit qu'il était épris de moi? Comment pouvais-je mettre un sentiment d'affection à sa disposition, à l'instant où il me serait demandé? Ses sœurs devraient tenir compte de moi, aussi malséant de ma part de jamais penser à lui. Et puis, nous avons de la nature des femmes une conception fort différente, si elles imaginent l'une d'elles capable aussi promptement d'aimer en retour que cela semble le donner à croire.
- “My dear, dear Fanny, now I have the truth. I know this to be the truth; and most worthy of you are such feelings. I had attributed them to you before. I thought I could understand you. You have now given exactly the explanation which I ventured to make for you to your friend and Mrs. Grant, and they were both better satisfied, though your warm-hearted friend was still run away with a little by the enthusiasm of her fondness for Henry. I told them that you were of all human creatures the one over whom habit had most power and novelty least; and that the very circumstance of the novelty of Crawford’s addresses was against him. Their being so new and so recent was all in their disfavour; that you could tolerate nothing that you were not used to; and a great deal more to the same purpose, to give them a knowledge of your character. Miss Crawford made us laugh by her plans of encouragement for her brother. She meant to urge him to persevere in the hope of being loved in time, and of having his addresses most kindly received at the end of about ten years’ happy marriage.”
- "Ma chère, ma très chère Fanny, à présent je tiens la vérité. Je sais que ce que vous me dites correspond à la réalité, et de tels sentiments sont bien dignes de vous. Je n'avais pas attendu ce jour pour vous les attribuer. J'avais à l'idée que je vous comprenais. Vous venez de me donner précisément l'explication que je me suis hasardé à faire à votre place pour le bénéfice de votre amie et de Mme Grant. Cela aida à les satisfaire l'une et l'autre, même si, vive comme est la première, elle resta encore quelque peu emportée par l'enthousiasme de son affection pour Henry. Je leur dis que de toutes les créatures humaines vous étiez celle sur laquelle l'habitude avait le plus d'empire et la nouveauté le moins. Le fait même que vous n'étiez pas accoutumée à une cour comme celle de Crawford était contraire à ses desseins. Si inattendue, si récente, elle ne pouvait qu'en souffrir. Vous ne pouviez supporter ce qui vous était inhabituel. J'ai ajouté à cela beaucoup d'autres choses dans la même intention, afin de les informer de votre caractère. Mlle Crawford nous fit rire avec ses projets pour encourager son frère. Elle voulait l'engager à persévérer, dans l'espoir d'être aimé un jour, et de voir un accueil des plus aimables donné à ses soins au terme d'environ dix ans de mariage heureux."
Fanny could with difficulty give the smile that was here asked for. Her feelings were all in revolt. She feared she had been doing wrong: saying too much, overacting the caution which she had been fancying necessary; in guarding against one evil, laying herself open to another; and to have Miss Crawford’s liveliness repeated to her at such a moment, and on such a subject, was a bitter aggravation.
Edmund saw weariness and distress in her face, and immediately resolved to forbear all farther discussion; and not even to mention the name of Crawford again, except as it might be connected with what must be agreeable to her. On this principle, he soon afterwards observed—“They go on Monday. You are sure, therefore, of seeing your friend either to-morrow or Sunday. They really go on Monday; and I was within a trifle of being persuaded to stay at Lessingby till that very day! I had almost promised it. What a difference it might have made! Those five or six days more at Lessingby might have been felt all my life.”
- “You were near staying there?”
Ce fut avec difficulté que Fanny consentit à accorder le sourire qui lui était alors demandé. Sa sensibilité tout entière se rebellait. Elle craignait d'avoir mal jugé de ce qu'il lui fallait faire, d'en avoir trop dit, d'avoir exagéré la prudence qu'elle avait imaginée nécessaire, en cherchant à se protéger d'un mal de s'être exposée à un autre. S'entendre répéter en un pareil moment et sur un pareil sujet le trait de vivacité de Mlle Crawford envenimait sérieusement les choses. Edmund lut sur son visage la lassitude et le désarroi. Aussitôt il décida de s'abstenir d'agiter le sujet davantage et de ne pas même mentionner à nouveau le nom des Crawford, sauf s'il venait à être lié a quelque chose d'assurément agréable pour elle. Dans cet esprit, peu après il fit remarquer: - "Ils partent lundi. Vous pouvez donc compter voir votre amie demain ou dimanche. Dire qu'à coup sûr lundi ils seront partis, et que j'étais à deux doigts de me laisser persuader de demeurer à Lessingby jusqu'à ce jour-là! Je m'y étais presque engagé. Quelle différence cela aurait pu créer ! C'est toute ma vie que j'aurais pu ressentir le changement apporté par ces cinq ou six jours de plus passés à Lessingby.
- "Vous avez failli rester là-bas? - " Mais oui. On m'avait très aimablement pressé de le faire, et j'étais près d'accepter. Si j'avais reçu une lettre de Mansfield me donnant des nouvelles de vous tous, je crois que sûrement j'aurais prolongé ma visite. Mais je ne savais rien de ce qui s'était passé ici depuis une quinzaine et trouvai que mon absence avait assez duré. - "Vous avez eu là-bas un séjour agréable. - "Oui, enfin je ne puis m'en prendre qu'à moi seul s'il a pu en être autrement. Tout le monde s'est montré charmant. Je crains qu'ils n'aient pas eu la même impression en ce qui me concerne. L'inquiétude ne m'a pas lâché, et je n'ai pas réussi à m'en défaire avant de retourner à Mansfield. - "Les demoiselles Owen... Elles vous ont plu, n'est-ce-pas ? - "Oui, beaucoup, des jeunes filles aimables, enjouées, sans affectation. Mais je ne supporte plus, Fanny, la compagnie de femmes comme on en rencontre partout. Enjouement et simplicité ne suffisent pas à qui est accoutumé à la société de femmes de jugement. Il s'agit de créatures de deux ordres différents. Mlle Crawford et vous m'avez rendu trop difficile."
Still, however, Fanny was oppressed and wearied; he saw it in her looks, it could not be talked away; and attempting it no more, he led her directly, with the kind authority of a privileged guardian, into the house.
Malgré tout, Fanny demeurait accablée et sans ressort. Il le vit à sa mine. Il était impossible d'y changer quelque chose avec des mots. Renonçant à le tenter, il la ramena sans plus tarder à l'intérieur de la maison, en usant de la bienveillante autorité d'un tuteur privilégié.
(III, V) Edmund se croyait à présent parfaitement informé de tout ce que Fanny pouvait dire, ou laisser à deviner, de ses sentiments, et il s'estimait satisfait. Crawford avait été, comme il l'avait supposé, trop hâtif dans sa démarche. Il fallait donner à sa cousine assez de temps pour qu'elle pût se familiariser avec son projet, puis lui trouver de l'attrait. D'abord elle devait s'habituer à l'idée qu'il était amoureux d'elle. Ensuite la réciprocité ne serait peut-être plus bien longue à venir. Ce fut l'opinion qu'il communiqua à son père, comme résultant de la conversation. Il recommanda de ne plus en parler à Fanny, de ne pas faire d'autre tentative pour l'influencer ou la persuader. Tout devrait être confié aux soins diligents de Crawford et aux opérations naturelles de l'esprit chez la jeune fille. Sir Thomas promit que ce serait ainsi que les choses se passeraient. Il se montrait prêt à croire que l'état fait par Edmund des dispositions de Fanny correspondait à la réalité. Il s'imaginait bien que tels étaient ses sentiments. Mais il ne pouvait que le déplorer. Moins enclin que son fils à se fier à l'avenir, il ne pouvait s'empêcher de craindre que, s'il fallait octroyer à sa nièce un délai aussi long pour s'accoutumer à la situation, il ne fût impossible d'exclure qu'elle n'acceptât de faire bon accueil aux sollicitations du jeune homme que lorsque son envie de solliciter aurait disparu. Il ne restait rien à entreprendre, pourtant: on devait se soumettre sans rien dire et espérer dans un heureux dénouement....
Edmund et Fanny semblent tous deux été sauvés par le départ des Crawford. Chacun bénéficie des conseils de l'autre, bien qu'aucun n'affronte encore ses sentiments de l'un pour l'autre . Pourtant, Sir Thomas et les Crawford persistent encore à comploter. Sir Thomas espère que Fanny commencera à regretter Henry en son absence. Edmund est plus réaliste quant aux chances d'Henry, mais il est surpris que Fanny ne semble pas regretter Mary, mais Fanny est désemparée par le fait que Mary et Edmund semblent plus proches du mariage que jamais. William, de nouveau en congé, vient à Mansfield Park et tout le monde décide que Fanny doit l'accompagner à Portsmouth pour pouvoir notamment rendre visite à sa famille et peut-être mieux réflechir ainsi à sa situation personnelle. William prévient Fanny que la maison familiale lui paraîtra bien rude en comparaison de celle qu'elle a vécu à Mansfield, et cet avertissement s'avèrera tout à fait fondé : ni Mansfield ni Portsmouth ne sont parfaits, mais cependant, Fanny confirmera que Mansfield est bien sa véritable famille (la seule consolation de Fanny sera sa sœur Susan, âgée de quatorze ans, qui finira par s'installer elle aussi à Mansfield).
Conscient que l'absence de Fanny sera une épreuve pour ses parents, Edmund retarde son voyage à Londres, voyage au cours duquel il doit demander Mary en mariage, et informe Fanny de son intention.
Henry écrit à Fanny par l'intermédiaire de sa sœur, William, conscient du rôle d'Henry dans sa promotion, souhaite qu'elle l'accepte, Mary lui écrit souvent, décrivant le tourbillon social de Londres et ses visites rendues à Maria et Julia. Le nombre de lettres que s'échange les personnages dans ces chapitres et les suivants montre tout le pouvoir de persuasion et d'influence de l'écrit. Dans la plupart des romans d'Austen, les lettres occupent une place prépondérante comme moyen de se justifier ou de communiquer des informations importantes, elles requièrent profondeur et réflexion tant dans leur écriture que dans la lecture qui en est ensuite faite. Bien différente de la conversation, la lettre va jouer un rôle décisif dans la suite de l'intrigue à cette étape du roman.
Un jour, Henry Crawford se présente à la maison de Fanny à Portsmouth, il est alors présenté à la famille comme le bienfaiteur de William et annonce à Fanny qu'Edmond vient d'arriver à Londres, où se trouve Mary. Fanny continue ainsi d'être soumise à une pression constante de tous. Une première lettre d'Edmund indique tout son désarroi vis-à-vis de Mary, Mary qui, au détour de ses lettres, lors de la maladie de Tom, l'héritier de Sir Thomas, montre à quel point son intérêt personnel l'emporte sur toute autre considération. La maladie de Tom Bertram et les réactions qu'elle suscite ouvre un nouveau chapitre dans une certaine prise de conscience de la famille Bertram. C'est donc au tour d'Edmund de se retrouver dans une situation difficile. Son éducation ne l'a pas préparé à une femme comme Mary et celle-ci, certaine d'avoir gagné le cœur d'Edmund et à ses conditions, ne cache plus ses sentiments bien ambigüs à l'égard de Fanny.
Les événements vont alors se précipiter : Marie s`enfuit avec Henri et Julia quitte la maison avec un amoureux peu recommandable, Mr. Yates. L'attitude de Marie, en cette occasion, ouvre les yeux d`Edmond, qui comprend finalement son erreur, et cherche réconfort auprès de Fanny, s'en éprend et l'épouse : une fin rapide qui établit définitivement la place de Fanny dans le monde - elle est désormais la fille des Bertrams, à la fois par mariage et par adoption -, une fin heureuse qui montre que ce roman n'est en partie, en fin de compte, que le fruit de la chance. Jane Austen termine ses romans sans vraiment les terminer ...
"On that event they removed to Mansfield; and the Parsonage there, which, under each of its two former owners, Fanny had never been able to approach but with some painful sensation of restraint or alarm, soon grew as dear to her heart, and as thoroughly perfect in her eyes, as everything else within the view and patronage of Mansfield Park had long been."
Emma (1815)
"I, I - Emma Woodhouse, handsome, clever, and rich, with a comfortable home and happy disposition, seemed to unite some of the
best blessings of existence; and had lived nearly twenty-one years in the world with very little to distress or vex her". (Emma Woodhouse, avec sa beauté, son esprit et sa fortune, une
maison confortable et un naturel heureux, semblait réunir quelques-uns des biens les plus précieux que la vie puisse offrir. Et en près de vingt et un ans d'existence elle avait connu peu de
douleurs et de tracas) ...
En 1816, Emma est le quatrième et dernier roman qui paraît du vivant de Jane Austen et retrace les manipulations d' "une héroïne que je serai la seule à aimer vraiment": "I may have lost my heart, but not my self-control", écrit-elle. "Emma Woodhouse n'a jamais été amoureuse. Elle revendique hautement le célibat, mais elle adore marier les autres. Il y a de multiples intrigues dans Emma : celles que la jeune fille invente, celles qu'elle fomente, celles qui existent et qu'elle ne voit pas, celles qu'elle contrecarre, celles qu'on lui suggère. Partant d'un groupe limité de jeunes gens, le roman parcourt l'ensemble des couples possibles selon une logique combinatoire assez comique qui évoquerait presque l'arbre des probabilités. Pour le lecteur français, ce roman brillant et drôle, centré sur les manigances d'une «marieuse», les dégâts «collatéraux» qu'elle suscite, la manière dont l'amour frappe, la manière dont on y succombe – ou dont on cherche à s'en préserver –, peut évoquer le meilleur des comédies de Marivaux, qui se donnait pour tâche de débusquer l'amour des niches où il se cache dans le cœur humain, et la finesse de Musset. " (traduction Gallimard)
(I, chap.X) "After a mutual silence of some minutes, Harriet thus began again - “I do so wonder, Miss Woodhouse, that you should not be married, or going to be married! so charming as you are!” -
Emma laughed, and replied,
- “My being charming, Harriet, is not quite enough to induce me to marry; I must find other people charming - one other person at least. And I am not only, not going to be married, at present, but have very little intention of ever marrying at all.”
- “Ah! - so you say; but I cannot believe it.”
- “I must see somebody very superior to any one I have seen yet, to be tempted; Mr. Elton, you know, (recollecting herself,) is out of the question: and I do not wish to see any such person. I would rather not be tempted. I cannot really change for the better. If I were to marry, I must expect to repent it.”
- “Dear me!—it is so odd to hear a woman talk so!”
- “I have none of the usual inducements of women to marry. Were I to fall in love, indeed, it would be a different thing! but I never have been in love; it is not my way, or my nature; and I do not think I ever shall. And, without love, I am sure I should be a fool to change such a situation as mine. Fortune I do not want; employment I do not want; consequence I do not want: I believe few married women are half as much mistress of their husband’s house as I am of Hartfield; and never, never could I expect to be so truly beloved and important; so always first and always right in any man’s eyes as I am in my father’s.”
- “But then, to be an old maid at last, like Miss Bates!”
- “That is as formidable an image as you could present, Harriet; and if I thought I should ever be like Miss Bates! so silly - so satisfied- so smiling- so prosing - so undistinguishing and unfastidious - and so apt to tell every thing relative to every body about me, I would marry to-morrow. But between us, I am convinced there never can be any likeness, except in being unmarried.”
- “But still, you will be an old maid! and that’s so dreadful!”
- “Never mind, Harriet, I shall not be a poor old maid; and it is poverty only which makes celibacy contemptible to a generous public! A single woman, with a very narrow income, must be a ridiculous, disagreeable old maid! the proper sport of boys and girls, but a single woman, of good fortune, is always respectable, and may be as sensible and pleasant as any body else. And the distinction is not quite so much against the candour and common sense of the world as appears at first; for a very narrow income has a tendency to contract the mind, and sour the temper. Those who can barely live, and who live perforce in a very small, and generally very inferior, society, may well be illiberal and cross. This does not apply, however, to Miss Bates; she is only too good natured and too silly to suit me; but, in general, she is very much to the taste of every body, though single and though poor. Poverty certainly has not contracted her mind: I really believe, if she had only a shilling in the world, she would be very likely to give away sixpence of it; and nobody is afraid of her: that is a great charm.”
- “Dear me! but what shall you do? how shall you employ yourself when you grow old?”
"... Après quelques minutes d'un silence partagé, Harriet reprit ainsi: - "Je m'étonne beaucoup, mademoiselle Woodhouse, que vous ne soyez pas mariée ni en passe de l'être, charmante comme vous êtes."
Emma répondit avec un rire: - «Que je sois charmante ne suffit pas à m'inciter au mariage. Il me faudrait trouver d'autres personnes charmantes, une au moins. Non seulement je ne vais pas me marier maintenant, mais j'ai fort peu l'intention de le faire jamais.
- Ah, c'est ce que vous dites, mais je ne vous crois pas !
- Il faudrait, pour que je fusse tentée, que ce fût quelqu'un de très supérieur à tous ceux que j'ai rencontrés jusqu'ici. Comme vous le savez, se reprit-elle, il ne saurait être question de M. Elton. Et je ne désire nullement trouver une telle personne. Je préfère ne pas être tentée. Un changement ne m'apporterait, en fait, aucune amélioration. Si je devais me marier, je risquerais fort de le regretter.
- Mon Dieu! C'est drôle d'entendre une femme parler ainsi !
- Je n'ai aucun des motifs qui poussent habituellement les femmes à rechercher le mariage. Certes, si je tombais amoureuse, ce serait différent. Mais je n'ai jamais été amoureuse; ce n'est pas mon genre ni ma nature, et je ne pense pas que cela m'arrive jamais. Sans amour il faudrait vraiment être sotte pour quitter une situation comme la mienne. Je ne manque ni de fortune, ni d'occupations, ni de considération. Je crois bien que peu de femmes mariées ont dans la maison de leur mari autant d'autorité que moi à Hartfield. Jamais, non jamais je ne pourrais espérer trouver auprès d'un autre l'affection dont m'entoure mon père, avoir pour lui la même importance, être celle qui compte le plus à ses yeux, qui a toujours raison.
- Oui, mais finir vieille fille comme Mlle Bates !
- Vous ne pouviez évoquer image plus effrayante, Harriet. Si je pensais devoir jamais ressembler à Mlle Bates, être aussi sotte, béate, souriante, radoteuse, aussi peu perspicace et exigeante, aussi disposée à tout colporter sur mon entourage, je me marierais demain. Mais je suis convaincue qu'il ne pourra jamais y avoir de ressemblance entre nous, sinon que nous ne serions mariées ni l'une ni l'autre.
- Quand même, vous resteriez vieille fille, et c'est si épouvantable !
- Ne vous inquiétez pas, Harriet, je ne serai pas une vieille fille pauvre. Seule la pauvreté rend le célibat méprisable aux yeux du public généreux! La célibataire affligée de ressources modiques est forcément une vieille fille ridicule et désagréable, promise à la juste moquerie des garçons et des filles. Mais la célibataire nantie d'une fortune confortable est toujours respectable et peut être aussi sensée et agréable qu`une autre. Cette différence d'attitude ne condamne pas autant qu'il y paraît à première vue la bienveillance et le bon sens du monde, car la modicité des ressources tend à rétrécir l'âme et à aigrir le caractère. Celles qui ont juste de quoi vivre et qui doivent se contenter d'une société étriquée et, en général, très inférieure, risquent fort d'être mesquines et revêches. Cela ne s`applique toutefois pas à Mlle Bates. Elle est simplement trop accommodante et trop sotte pour mon goût, mais elle plaît en général à tout le monde, ben que célibataire et pauvre. La pauvreté ne lui a assurément pas rétréci l'âme; je crois vraiment que, si elle n'avait qu'un sou pour toute fortune, elle en donnerait très certainement la moitié. Et puis, elle ne fait peur à personne: c'est un grand charme.
- Mon Dieul Mais que ferez-vous? Comment vous occuperez-vous lorsque vous deviendrez vieille?
Emma est orpheline de mère et vit avec son père, Mr. Woodhouse, souvent malade. Restée seule et maîtresse de maison, après le mariage de sa gouvernante et celui de sa sœur, elle se sent pleine d'importance et cherche à diriger le petit monde qui l'entoure, avec une bonne volonté un peu envahissante et prétentieuse. C'est ainsi qu'elle voudrait combiner un bon mariage entre une jeune fille qu'elle a recueillie chez elle comme compagne, Harriet Smith, et le jeune pasteur de l'endroit. Celui-ci, interprétant mal ses amabilités, demande la main d`Emma et est repoussé. Entre-temps, Frank Churchill, beau-fils de la gouvernante d'Emma et secrètement fiancé à Jane Fairfaix, se montre plein d'attentions envers Emma afin de dissimuler cet attachement. Emma croit être amoureuse de lui. Mais les fiançailles secrètes sont dévoilées, et la jeune fille connaît une nouvelle déception. Elle souffre encore plus lorsqu'elle découvre qu'Harriet espère épouser Mr. Knightley, une des rares personnes qui connaissent les défauts d'Emma et qui osent les lui reprocher; mais cette souffrance a une raison : Emma aime Mr. Knightley. Une heureuse conclusion survient, puisque Knightley demande Emma en mariage : d`autre part, Harriet accepte d'épouser Robert Martin, repoussé une premiere fois sur les conseils d`Emma qui le considérait comme un parti trop modeste. Tout l'intérêt de l'ouvrage est donc bien centré sur l'héroïne dont Jane Austen a tracé le caractère avec beaucoup d'habileté et de vérité humaine : Emma est le type de ces jeunes femmes de la moyenne et haute bourgeoisie ou de la petite noblesse, orgueilleuse, un peu envahissante, mais remplie de bonne volonté et prête à s'amender....
(III, V) "In this state of schemes, and hopes, and connivance, June opened upon Hartfield. To Highbury in general it brought no material change. The Eltons were still talking of a visit from the Sucklings, and of the use to be made of their barouche-landau; and Jane Fairfax was still at her grandmother’s; and as the return of the Campbells from Ireland was again delayed, and August, instead of Midsummer, fixed for it, she was likely to remain there full two months longer, provided at least she were able to defeat Mrs. Elton’s activity in her service, and save herself from being hurried into a delightful situation against her will.
Mr. Knightley, who, for some reason best known to himself, had certainly taken an early dislike to Frank Churchill, was only growing to dislike him more. He began to suspect him of some double dealing in his pursuit of Emma. That Emma was his object appeared indisputable. Every thing declared it; his own attentions, his father’s hints, his mother-in-law’s guarded silence; it was all in unison; words, conduct, discretion, and indiscretion, told the same story. But while so many were devoting him to Emma, and Emma herself making him over to Harriet, Mr. Knightley began to suspect him of some inclination to trifle with Jane Fairfax. He could not understand it; but there were symptoms of intelligence between them—he thought so at least—symptoms of admiration on his side, which, having once observed, he could not persuade himself to think entirely void of meaning, however he might wish to escape any of Emma’s errors of imagination. She was not present when the suspicion first arose. He was dining with the Randalls family, and Jane, at the Eltons’; and he had seen a look, more than a single look, at Miss Fairfax, which, from the admirer of Miss Woodhouse, seemed somewhat out of place. When he was again in their company, he could not help remembering what he had seen; nor could he avoid observations which, unless it were like Cowper and his fire at twilight,
“Myself creating what I saw,”
brought him yet stronger suspicion of there being a something of private liking, of private understanding even, between Frank Churchill and Jane.
C'est dans ce climat de projets, d'espoirs et d'entente tacite que le mois de juin arriva à Hartfield. D'une façon générale, il n'apporta aucun changement important à Highbury. Les Elton continuaient à parler d'une visite des Suckling et de la façon dont leur barouche-lancdau serait utilisé. Jane Fairfax était toujours chez sa grand-mère et, comme le retour d'Irlande des Campbell avait encore été remis et que la date en avait été fixée au mois d'août au lieu de la Saint-Jean, il était probable qu`elle y resterait deux bons mois de plus, si du moins elle parvenait à déjouer les efforts déployés par Mme Elton à son profit et à éviter d'être précipitée malgré elle dans une situation délicieuse.
M. Knightley, qui, pour une raison mieux connue de lui seul, avait certainement éprouvé très tôt de l'aversion pour Frank Churchill, ne faisait que le détester davantage. Il commençait a soupçonner qu'en faisant sa cour à Emma le jeune homme menait un double jeu. Celle-ci semblait indiscutablement être l'objet de ses hommages. Tout le prouvait; les égards qu'il avait pour elle, les allusions de son père, le silence prudent de sa belle-mère, tout concordait: propos, conduite, discrétion et indiscrétion contaient la même histoire. Pourtant, alors que tant de personnes le liaient à Emma et qu'Emma elle-même le cédait à Harriet, M. Knightley commença à le soupçonner de vouloir s'amuser de Jane Fairfax. Il ne comprenait pas vraiment, mais il y avait entre eux - du moins le pensait-il - des signes d'intelligence, et, chez le jeune homme, des marques d'admiration. Une fois qu'il eut observé de tels indices, M. Knightley ne put se persuader qu'ils fussent entièrement dénués de sens, quel que fût son désir d'échapper aux erreurs de l'imagination dont Emma était coutumière. Celle-ci n'était pas là quand ce soupçon vint pour la première fois. Il dînait chez les Elton avec Jane et la famille de Randalls. Il avait remarqué un regard, plusieurs, en fait, adressés à Mlle Fairfax et ces regards paraissaient quelque peu déplacés de la part de l'admirateur de Mlle Woodhouse. Lorsqu'ïl se retrouva avec eux, il ne put s`empêcher de se rappeler ce qu'ïl avait vu, ni éviter de faire des observations qui, à moins de les assimiler à celles de Cowper devant son feu au crépuscule,
"Créant moi-même ce que je voyais"
avivèrent ses soupçons. Il lui sembla qu'il existait entre Frank Churchill et Jane un penchant, voire une entente secrète.
He had walked up one day after dinner, as he very often did, to spend his evening at Hartfield. Emma and Harriet were going to walk; he joined them; and, on returning, they fell in with a larger party, who, like themselves, judged it wisest to take their exercise early, as the weather threatened rain; Mr. and Mrs. Weston and their son, Miss Bates and her niece, who had accidentally met. They all united; and, on reaching Hartfield gates, Emma, who knew it was exactly the sort of visiting that would be welcome to her father, pressed them all to go in and drink tea with him. The Randalls party agreed to it immediately; and after a pretty long speech from Miss Bates, which few persons listened to, she also found it possible to accept dear Miss Woodhouse’s most obliging invitation.
As they were turning into the grounds, Mr. Perry passed by on horseback. The gentlemen spoke of his horse. - “By the bye,” said Frank Churchill to Mrs. Weston presently, “what became of Mr. Perry’s plan of setting up his carriage?”
Mrs. Weston looked surprized, and said, “I did not know that he ever had any such plan.” “Nay, I had it from you. You wrote me word of it three months ago.” - “Me! impossible!” -“Indeed you did. I remember it perfectly. You mentioned it as what was certainly to be very soon. Mrs. Perry had told somebody, and was extremely happy about it. It was owing to her persuasion, as she thought his being out in bad weather did him a great deal of harm. You must remember it now?” - “Upon my word I never heard of it till this moment.” - “Never! really, never!—Bless me! how could it be?—Then I must have dreamt it—but I was completely persuaded—Miss Smith, you walk as if you were tired. You will not be sorry to find yourself at home.”
Comme il le faisait souvent après dîner, il etait venu un jour passer la soirée a Hartfield. Emma et Harriet partaient se promener; il se joignit a elles et, au retour, ils tombèrent sur un groupe plus important de promeneurs qui, comme eux, avaient jugé plus sage de partir tôt pour prendre de l'exercice, car la pluie menaçait. Il s'agissait de M. et Mme Weston et de leur fils, ainsi que de Mlle Bates et de sa nièce, qu'ils avaient rencontrées par hasard. Ils firent route ensemble et, lorsqu'ils arrivèrent devant le portail de Hartfield, Emma, qui savait que c'était exactement le genre de visite qr'apprécierait son père, les pria d'entrer prendre le the avec lui. La famille de Randalls accepta immédiatement et, après un assez long, discours, que presque personne n'écouta, Mlle Bates finit elle aussi par juger possible d'accepter l'invitation si aimable de cette chère Mlle Woodhouse.
Alors qu'ils entraient dans le parc, M. Perry passa à cheval. Les messieurs parlèrent de son cheval. - "A propos, dit bientôt Frank Churchill à Mme Weston, qu'en est-il du projet qu'avait M. Perry d'acheter une voiture?"
Mme Weston eut l'air surpris et dit: "Je ne lui connaissais pas cette intention. - Mais c'est de vous que je le tiens. Vous m'avez écrit à ce propos il y a trois mois! - Moi? Impossible! - Mais si, je m'en souviens parfaitement. Vous avez mentionné cela comme devant se produire bientôt. Mme Perry en avait parlé à quelqu'un et en était très heureuse. Elle avait réussi à en persuader son mari, car elle pensait que ses tournées par mauvais temps étaient très mauvaises pour sa santé. Vous devez vous en souvenir, maintenant. - Je vous assure que c'est la première fois que j'en entends parler. - Jamais, vraiment jamais! Mon Dieu, comment cela peut-il se faire? Alors, j'ai du le rêver... mais j'étais vraiment persuadé... Mademoiselle Smith, à votre démarche vous paraissez fatiguée. Vous ne serez pas mécontente d'être à la maison.
“What is this?—What is this?” cried Mr. Weston, “about Perry and a carriage? Is Perry going to set up his carriage, Frank? I am glad he can afford it. You had it from himself, had you?”
“No, sir,” replied his son, laughing, “I seem to have had it from nobody.—Very odd!—I really was persuaded of Mrs. Weston’s having mentioned it in one of her letters to Enscombe, many weeks ago, with all these particulars—but as she declares she never heard a syllable of it before, of course it must have been a dream. I am a great dreamer. I dream of every body at Highbury when I am away—and when I have gone through my particular friends, then I begin dreaming of Mr. and Mrs. Perry.”
“It is odd though,” observed his father, “that you should have had such a regular connected dream about people whom it was not very likely you should be thinking of at Enscombe. Perry’s setting up his carriage! and his wife’s persuading him to it, out of care for his health—just what will happen, I have no doubt, some time or other; only a little premature. What an air of probability sometimes runs through a dream! And at others, what a heap of absurdities it is! Well, Frank, your dream certainly shews that Highbury is in your thoughts when you are absent. Emma, you are a great dreamer, I think?”
Emma was out of hearing. She had hurried on before her guests to prepare her father for their appearance, and was beyond the reach of Mr. Weston’s hint.
- Quoi donc? De quoi s`agit-il? s`écria M. Weston. Perry, une voiture? Est-ce que Perry va faire l'achat d'une voiture, Frank ? je suis heureux qu'il puisse se le permettre. C'est de lui que vous tenez la nouvelle, non?
- Non, père, répondit son fils en riant, il semble que je ne la tienne de personne... C'est fort étrange !... J'étais vraiment persuadé que Mme Weston avait mentionné la chose dans une des lettres qu'elle a envoyées à Enscombe, il y a plusieurs semaines, en donnant tous ces détails... mais comme elle affirme qu'elle n'en a jamais entendu parler avant aujourd'hui, il va de soi qu'il ne peut s'agir que d`un rêve. Je suis un grand rêveur. je rêve de tout le monde à Highbury, quand je ne suis pas ici... et une fois que j'ai fait le tour de tous mes amis personnels, alors je me prends à rêver de M. et Mme Perry.
- C'est étrange, pourtant, fit remarquer son père, que vous ayez fait un rêve aussi raisonnable et cohérent à propos de personnes auxquelles vous aviez peu de raisons de penser à Enscombe. Perry qui achèterait une voiture! Et son épouse qui l'en aurait persuadé par souci de sa santé... exactement ce qui se produira un jour ou l`autre, c'est certain ; mais seulement un peu prématuré. Un rêve a parfois un tel air de vraisemblance! Et quel amas d'absurdités d'autres fois ! Eh bien, Frank, votre rêve montre assurement que Highbury occupe vos pensées lorsque vous êtes absent. Emma, vous êtes une grande rêveuse, je crois ?"
Emma ne pouvait entendre. Elle s'était précipitée en avant de ses invités pour préparer son père à leur arrivée et se trouvait hors de portée de l'insinuation de M. Weston.
“Why, to own the truth,” cried Miss Bates, who had been trying in vain to be heard the last two minutes, “if I must speak on this subject, there is no denying that Mr. Frank Churchill might have—I do not mean to say that he did not dream it—I am sure I have sometimes the oddest dreams in the world—but if I am questioned about it, I must acknowledge that there was such an idea last spring; for Mrs. Perry herself mentioned it to my mother, and the Coles knew of it as well as ourselves—but it was quite a secret, known to nobody else, and only thought of about three days. Mrs. Perry was very anxious that he should have a carriage, and came to my mother in great spirits one morning because she thought she had prevailed. Jane, don’t you remember grandmama’s telling us of it when we got home? I forget where we had been walking to—very likely to Randalls; yes, I think it was to Randalls. Mrs. Perry was always particularly fond of my mother—indeed I do not know who is not—and she had mentioned it to her in confidence; she had no objection to her telling us, of course, but it was not to go beyond: and, from that day to this, I never mentioned it to a soul that I know of. At the same time, I will not positively answer for my having never dropt a hint, because I know I do sometimes pop out a thing before I am aware. I am a talker, you know; I am rather a talker; and now and then I have let a thing escape me which I should not. I am not like Jane; I wish I were. I will answer for it she never betrayed the least thing in the world. Where is she?—Oh! just behind. Perfectly remember Mrs. Perry’s coming.—Extraordinary dream, indeed!”
- "A vrai dire", s'écria Mlle Bates, qui avait essayé en vain de se faire entendre au cours des dernières minutes, "si j'avais à parler de cela, on ne peut pas nier que M. Frank Churchill ait pu... Je ne veux pas dire qu'il ne l'ait pas rêvé... C'est sûr, il m'arrive de faire les rêves les plus étranges du monde... Mais si l'on m'nterroge sur cette affaire, je dois reconnaître que c'est un projet dont il a été question au printemps dernier. En effet, Mme Perry elle-même en a parlé à ma mère, et les Cole étaient au courant aussi bien que nous... mais c'était vraiment un secret, que personne d'autre ne connaissait, et on n`y a pensé que quelques jours. Mme Perry souhaitait beaucoup que son mari ait une voiture et elle est venue voir ma mère un matin. Elle était de très bonne humeur parce qu'elle pensait avoir réussi à le décider. Jane, ne vous souvenenez-vous pas que grand-mère nous en a parlé à notre retour? Je ne me rappelle plus ou nous étions allées nous promener... sans doute à Randalls. Oui, je pense que c'était à Randalls. Mme Perry a toujours eu beaucoup d'affection pour ma mère - à vrai dire, je ne connais personne qui n`en ait - et lui avait mentionné la chose en confidence. Elle ne voyait pas d'inconvénient à ce qu'elle nous en parle, bien sûr, mais il ne fallait pas l'ébruiter, et, jusqu'à ce jour, je n'en ai, à ma connaissance, parlé à personne. En même temps, il n'est pas absolument garanti que je n'y aie jamais fait allusion. Parfois, je sais, les choses m'échappent inconsciemment. Enfin, je parle beaucoup; je suis très bavarde et, de temps en temps, il m'est arrivé de laisser échapper ce que j'aurais dû garder pour moi. Je ne suis pas comme Jane; si seulement je lui ressemblais. Je suis certaine que, de son côté, elle n'a jamais trahi le moindre secret. Où est-elle? Oh, juste derrière. Je me rappelle parfaitement que Mme Perry est venue ... Extraordinaire, ce rêve, vraiment!"
They were entering the hall. Mr. Knightley’s eyes had preceded Miss Bates’s in a glance at Jane. From Frank Churchill’s face, where he thought he saw confusion suppressed or laughed away, he had involuntarily turned to hers; but she was indeed behind, and too busy with her shawl. Mr. Weston had walked in. The two other gentlemen waited at the door to let her pass. Mr. Knightley suspected in Frank Churchill the determination of catching her eye—he seemed watching her intently—in vain, however, if it were so—Jane passed between them into the hall, and looked at neither.
There was no time for farther remark or explanation. The dream must be borne with, and Mr. Knightley must take his seat with the rest round the large modern circular table which Emma had introduced at Hartfield, and which none but Emma could have had power to place there and persuade her father to use, instead of the small-sized Pembroke, on which two of his daily meals had, for forty years been crowded. Tea passed pleasantly, and nobody seemed in a hurry to move.
“Miss Woodhouse,” said Frank Churchill, after examining a table behind him, which he could reach as he sat, “have your nephews taken away their alphabets—their box of letters? It used to stand here. Where is it? This is a sort of dull-looking evening, that ought to be treated rather as winter than summer. We had great amusement with those letters one morning. I want to puzzle you again.”
Ils entraient dans le vestibule. Avant même Mlle Bates, M. Knightley avait jeté un coup d'oeil à Jane. Instinctivement, après avoir cru voir sur le visage de Frank Churchill un embarras vite dominé ou masqué par le rire, il s'était tourné vers elle. Mais Jane se trouvait effectivement en arrière, trop occupée avec son châle. M. Weston était entré. Les deux autres messieurs attendirent à la porte pour la laisser passer. M. Knightley eut le sentiment que Frank Churchill cherchait son regard - il semblait avoir l'oeil rivé sur elle -, en vain, toutefois, si telle était bien son intention. Jane passa entre eux deux pour entrer dans le vestibule et ne les regarda ni l'un ni l'autre.
Le temps manquait pour d'autres observations ou d'autres explications. Il fallait se contenter de celle du rêve, et M. Knightley dut s'asseoir avec les autres autour de la grande table circulaire moderne qu'Emma avait introduite à Hartfield. Elle seule aurait pu la faire installer dans cette maison et persuader son père de l'utiliser à la place de la petite Pembroke à abattants où, pendant quarante ans, il avait pris à l'étroit deux de ses repas journaliers. Le thé se passa agréablement et personne ne semblait pressé de s'en aller.
-"Mademoiselle Woodhouse", dit Frank Churchill, après avoir examiné une table derrière lui, qu'il pouvait atteindre depuis son siège, "vos neveux ont-ils emporte leurs alphabets... leur boîte de lettres? Elle était là autrefois. Où se trouve-t-elle? C'est là une de ces soirées maussades qu'il conviendrait de traiter en soirée d'hiver plutôt que d'été. Ces lettres nous avaient bien divertis un matin. J'aimerais à nouveau vous poser des devinettes."
Emma was pleased with the thought; and producing the box, the table was quickly scattered over with alphabets, which no one seemed so much disposed to employ as their two selves. They were rapidly forming words for each other, or for any body else who would be puzzled. The quietness of the game made it particularly eligible for Mr. Woodhouse, who had often been distressed by the more animated sort, which Mr. Weston had occasionally introduced, and who now sat happily occupied in lamenting, with tender melancholy, over the departure of the “poor little boys,” or in fondly pointing out, as he took up any stray letter near him, how beautifully Emma had written it.
Frank Churchill placed a word before Miss Fairfax. She gave a slight glance round the table, and applied herself to it. Frank was next to Emma, Jane opposite to them—and Mr. Knightley so placed as to see them all; and it was his object to see as much as he could, with as little apparent observation. The word was discovered, and with a faint smile pushed away. If meant to be immediately mixed with the others, and buried from sight, she should have looked on the table instead of looking just across, for it was not mixed; and Harriet, eager after every fresh word, and finding out none, directly took it up, and fell to work. She was sitting by Mr. Knightley, and turned to him for help. The word was blunder; and as Harriet exultingly proclaimed it, there was a blush on Jane’s cheek which gave it a meaning not otherwise ostensible.
L'idée plut à Emma; elle apporta la boîte, et la table fut vite couverte de lettres, avec lesquels ils semblaient plus disposés que les autres à jouer. Ils furent vite occupés à composer des mots l'un pour l'autre ou pour quiconque se plaisait aux devinettes. C'était un jeu paisible, qui convenait particulièrement à M. Woodhouse. Ce dernier avait été souvent indisposé par la version plus animée qu'en avait parfois proposée M. Weston. Il était maintenant heureusement occupé à déplorer avec une douce mélancolie le départ des deux "pauvres petits garçons", ou à faire remarquer tendrement, en prenant les lettres qui s'égaraient à portée de sa main, comme Emma les avait joliment calligraphiées.
Frank Churchill plaça un mot devant Jane Fairfax. Après avoir jeté un bref coup d'oeil autour de la table, elle se mit à l'examiner. Frank était a côté d'Emma, Jane en face d'eux et M. Knightley placé de façon à les voir tous, son dessein étant d'observer le plus possible, en donnant le moins possible l'impression de regarder. Le mot fut déchiffré et repoussé avec un léger sourire. Si son intention était de le faire disparaître en le mêlant immédiatement aux autres, elle aurait dû regarder la table et non en face d`elle, car il ne se mélangez pas. Harriet, passionnée de tous les mots nouveaux et incapable d'en déchiffrer aucun, s'en saisit aussitôt. Elle était assise auprès de M. Knightley et lui demanda son aide. ll s'agissait du mot "bévue", et lorsque Harriet l'annonça triomphalement, Jane rougit; le mot prit de ce fait une signification qui ne serait pas apparue autrement.
Mr. Knightley connected it with the dream; but how it could all be, was beyond his comprehension. How the delicacy, the discretion of his favourite could have been so lain asleep! He feared there must be some decided involvement. Disingenuousness and double dealing seemed to meet him at every turn. These letters were but the vehicle for gallantry and trick. It was a child’s play, chosen to conceal a deeper game on Frank Churchill’s part.
With great indignation did he continue to observe him; with great alarm and distrust, to observe also his two blinded companions. He saw a short word prepared for Emma, and given to her with a look sly and demure. He saw that Emma had soon made it out, and found it highly entertaining, though it was something which she judged it proper to appear to censure; for she said, “Nonsense! for shame!” He heard Frank Churchill next say, with a glance towards Jane, “I will give it to her—shall I?”—and as clearly heard Emma opposing it with eager laughing warmth. “No, no, you must not; you shall not, indeed.”
M. Knightley vit qu'il avait un rapport avec le rêve, mais ne réussit pas à saisir le lien. A quel point la finesse et la prudence de sa préférée avaient-elles pu être prises en défaut ! Il craignait qu'il n'y eût vraiment quelque intrigue. Il semblait ne rencontrer à tout instant que fourberie et double jeu. Ces lettres ne servaient que de truchement à des manœuvres galantes ; c'était un jeu d'enfants, choisi pour masquer un manège plus profond de Frank Churchill.
M. Knightley continuait observer ce dernier avec une vive indignation et à surveiller aussi avec beaucoup d'inquiétude et de méfiance ses deux compagnes aveuglées. Il vit préparer à l'intention d'Emma un mot court, qui lui fut présenté avec un air sournois et faussement grave. Emma, il le vit, ne fut pas longue à le deviner et s'en amusa fort; mais c'était quelque chose qu'elle se crut obligée de paraître désapprouver, car elle dit: "Quelle sottise! Vous devriez avoir honte!" Il entendit Frank Churchill dire ensuite avec un coup d'oeil en direction de Jane: "je lui donne... non?" et, tout aussi clairement, Emma s'y opposer vivement en riant: "Non, non, certainement pas; ne faites pas cela!"
It was done however. This gallant young man, who seemed to love without feeling, and to recommend himself without complaisance, directly handed over the word to Miss Fairfax, and with a particular degree of sedate civility entreated her to study it. Mr. Knightley’s excessive curiosity to know what this word might be, made him seize every possible moment for darting his eye towards it, and it was not long before he saw it to be Dixon. Jane Fairfax’s perception seemed to accompany his; her comprehension was certainly more equal to the covert meaning, the superior intelligence, of those five letters so arranged. She was evidently displeased; looked up, and seeing herself watched, blushed more deeply than he had ever perceived her, and saying only, “I did not know that proper names were allowed,” pushed away the letters with even an angry spirit, and looked resolved to be engaged by no other word that could be offered. Her face was averted from those who had made the attack, and turned towards her aunt.
“Aye, very true, my dear,” cried the latter, though Jane had not spoken a word—“I was just going to say the same thing. It is time for us to be going indeed. The evening is closing in, and grandmama will be looking for us. My dear sir, you are too obliging. We really must wish you good night.”
ll le fit pourtant. Ce jeune galant, qui semblait aimer sans éprouver de sentiment et se faire apprécier sans montrer de prévenance, tendit aussitôt le mot à Jane Fairfax, et pria celle-ci de l'examiner avec une courtoisie particulièrement tranquille. M. Knightley était tellement curieux de savoir ce qu'était ce mot qu`il saisit toutes les occasions d'y porter son regard et eut tôt fait de découvrir qu'il s'agissait de "Dixon". Jane Fairfax parut en prendre conscience en même temps que lui. Elle était certainement plus capable que lui de saisir le sens caché, de comprendre la signification profonde de ces cinq lettres ainsi disposées; visiblement, cela lui déplut. Elle leva les yeux et, voyant qu'on l'observait, devint plus rouge qu'il ne l'avait jamais vue, et, disant seulement: "je ne savais pas que l'on pouvait utiliser les noms propres", repoussa les lettres d'un geste qui traduisait même de la colère, puis sembla bien décidée à ne plus s'intéresser aux mots qui pourraient lui être désormais présentés. Elle se détourna de ceux qui l'avaient attaquée, et se tourna vers sa tante.
- "Oui, rien de plus vrai, ma chérie", s'écria cette dernière, bien que Jane n'eût pas prononcé une parole, "c'est justement ce que j'allais dire. Il est temps, en effet, que nous partions. Le soir descend et grand-mère va nous attendre. Cher monsieur, vous êtes trop aimable. Il faut vraiment que nous vous disions bonsoir."
Jane’s alertness in moving, proved her as ready as her aunt had preconceived. She was immediately up, and wanting to quit the table; but so many were also moving, that she could not get away; and Mr. Knightley thought he saw another collection of letters anxiously pushed towards her, and resolutely swept away by her unexamined. She was afterwards looking for her shawl—Frank Churchill was looking also—it was growing dusk, and the room was in confusion; and how they parted, Mr. Knightley could not tell.
Jane réagit avec une promptitude qui prouva qu'elle était aussi prête que sa tante l'avait d'avance imaginé. Elle fut aussitôt debout, désireuse de quitter la table. Mais ils étaient si nombreux à partir en même temps qu'elle dut attendre, et M. Knightley eut l'impression que l'on poussait fébrilement vers elle un autre groupe de lettres et qu'elle les écartait d'une main ferme, sans un regard. Après cela, elle s'occupa à chercher son châle, Frank Churchill aussi.
He remained at Hartfield after all the rest, his thoughts full of what he had seen; so full, that when the candles came to assist his observations, he must—yes, he certainly must, as a friend—an anxious friend—give Emma some hint, ask her some question. He could not see her in a situation of such danger, without trying to preserve her. It was his duty.
Le soir tombait, la confusion régnait dans la pièce et M. Knightley ne sut comment ils se quittèrent. Il resta à Hartfield après le départ de tous les autres, l'esprit plein de ce qu'il avait vu, au point que, lorsque les chandelles vinrent éclairer ses observations, il ressentir le besoin de faire à Emma quelque suggestion, de lui poser une question. ll le devait vraiment, en tant qu'ami et, de plus, ami inquiet. ll ne pouvait la voir dans une situation aussi périlleuse sans essayer de la protéger. C'était son devoir.
“Pray, Emma,” said he, “may I ask in what lay the great amusement, the poignant sting of the last word given to you and Miss Fairfax? I saw the word, and am curious to know how it could be so very entertaining to the one, and so very distressing to the other.”
Emma was extremely confused. She could not endure to give him the true explanation; for though her suspicions were by no means removed, she was really ashamed of having ever imparted them. - “Oh!” she cried in evident embarrassment, “it all meant nothing; a mere joke among ourselves.” - “The joke,” he replied gravely, “seemed confined to you and Mr. Churchill.”
He had hoped she would speak again, but she did not. She would rather busy herself about any thing than speak. He sat a little while in doubt. A variety of evils crossed his mind. Interference—fruitless interference. Emma’s confusion, and the acknowledged intimacy, seemed to declare her affection engaged. Yet he would speak. He owed it to her, to risk any thing that might be involved in an unwelcome interference, rather than her welfare; to encounter any thing, rather than the remembrance of neglect in such a cause.
- "S'il vous plaît Emma, puis-je vous demander ce qu'il y avait de si amusant dans le dernier mot qui vous a été proposé, à vous et à Mlle Fairfax, et ce qui le rendait si mordant ? J'ai vu ce mot et suis curieux de savoir comment il a pu paraître si drôle à l'une et si pénible à l'autre".
Emma fut extrêmement gênée. Elle n'eut pas le courage de lui donner la vraie raison, car, bien qu'elle eût conservé ses soupçons, elle avait vraiment honte de les avoir jamais exprimés. - "Ohl s'écria-t-elle avec un embarras évident, ce n'est rien, une simple plaisanterie entre nous. - " La plaisanterie, répondit-il gravement, semblait n'en être une que pour vous et M. Churchill."
ll avait espéré qu'elle continuerait sur ce sujet, mais elle n`en fit rien. Elle préféra s'affairer à n'importe quoi plutôt que de parler. ll demeura un moment assis en proie au doute. Plusieurs perspectives fâcheuses se presentèrent à son esprit. lntervenir... fût-ce en pure perte. La confusion d'Emma, sa complicité avouée avec le jeune homme semblaient indiquer qu'elle lui avait accorde son affection. Pourtant, il parlerait. C'était une chose qu'il lui devait : s'exposer aux conséquences d'une intervention importune plutôt que de compromettre le bonheur d'Emma, affronter tout plutôt que le souvenir d'avoir été coupable de négligence en pareil cas.
“My dear Emma,” said he at last, with earnest kindness, “do you think you perfectly understand the degree of acquaintance between the gentleman and lady we have been speaking of?” - “Between Mr. Frank Churchill and Miss Fairfax? Oh! yes, perfectly.—Why do you make a doubt of it?” - “Have you never at any time had reason to think that he admired her, or that she admired him?” - “Never, never!” she cried with a most open eagerness—“Never, for the twentieth part of a moment, did such an idea occur to me. And how could it possibly come into your head?” - “I have lately imagined that I saw symptoms of attachment between them—certain expressive looks, which I did not believe meant to be public.”
- "Ma chère Emma", dit-il enfin avec une gravité pleine de bonté, "pensez-vous être parfaitement au courant des rapports qu'entretiennent le monsieur et la demoiselle dont nous venons de parler? - "M. Frank Churchill et Mlle Fairfax? Oui, sans doute. Qu'est-ce qui vous en fait douter? - " N`avez-vous jamais eu lieu de penser qu'il l'admirait ou était admiré d'elle? - "Jamais, à aucun moment", s'écria-t-elle dans un élan de franchise spontanée. "Jamais, pas une seule seconde ne m'est venue une telle idée. Mais comment avez-vous pu penser cela? - "J'ai cru voir entre eux dernièrement des signes d'affection... des regards expressifs qui, m'a-t-il semblé, étaient destinés à eux seuls.
“Oh! you amuse me excessively. I am delighted to find that you can vouchsafe to let your imagination wander—but it will not do—very sorry to check you in your first essay—but indeed it will not do. There is no admiration between them, I do assure you; and the appearances which have caught you, have arisen from some peculiar circumstances—feelings rather of a totally different nature—it is impossible exactly to explain:—there is a good deal of nonsense in it—but the part which is capable of being communicated, which is sense, is, that they are as far from any attachment or admiration for one another, as any two beings in the world can be. That is, I presume it to be so on her side, and I can answer for its being so on his. I will answer for the gentleman’s indifference.”
She spoke with a confidence which staggered, with a satisfaction which silenced, Mr. Knightley. She was in gay spirits, and would have prolonged the conversation, wanting to hear the particulars of his suspicions, every look described, and all the wheres and hows of a circumstance which highly entertained her: but his gaiety did not meet hers. He found he could not be useful, and his feelings were too much irritated for talking. That he might not be irritated into an absolute fever, by the fire which Mr. Woodhouse’s tender habits required almost every evening throughout the year, he soon afterwards took a hasty leave, and walked home to the coolness and solitude of Donwell Abbey.
- "Oh, vous m'amusez au plus haut point. Cela me réjouit de vous voir lâcher la bride à votre imagination. Mais vous vous trompez. Désolée de vous arrêter à votre première tentative, mais franchement, c'est une erreur. Il n'y a entre eux aucune admiration, je vous assure, et les apparences auxquelles vous vous êtes laissé prendre sont dues à des circonstances particulières... à des sentiments qui sont vraiment d'une tout autre nature. C'est impossible à expliquer exactement : il y entre pas mal d'enfantillage, mais ce qu'il est permis de révéler - et qui est parfaitement raisonnable - est qu'ils sont aussi loin qu'on peut l'être d'éprouver l'un pour l'autre de l'attachement ou de l'admiration. Je présume, du moins, qu'il en est ainsi pour elle et puis me porter garante en ce qui le concerne lui. Je puis répondre de l'indifférence du monsieur".
Elle s'exprimait avec une assurance qui déconcerta M. Knightley et un air satisfait qui le fit taire. Elle était d'humeur joyeuse et aurait volontiers prolonge la conversation; elle eût aimé apprendre le détail de ses soupçons, entendre décrire chaque regard, savoir où et comment s'était produit un événement qui la divertissait fort. Mais il ne partageait pas sa gaieté. Il constatait qu'il ne pouvait être utile, et l'exaspération de ses sentiments était trop grande pour qu'il pût poursuivre la conversation.
Pour éviter que cette irritation ne devint une vraie fièvre sous l'effet du feu qu'imposaient presque chaque soir, tout au long de l'année, les habitudes douillettes de M. Woodhouse, il prit hâtivement congé peu de temps après et retourna à la fraicheur et à la solitude de Donwell Abbey."
Persuasion (1818)
"I hate to hear you talk about all women as if they were fine ladies instead of rational creatures. None of us want to be in calm waters all our lives",
écrit ici Jane Austen. "La très jeune Anne Elliot s’est laissé persuader de rompre ses fiançailles avec Frederick Wentworth, ce dernier n’étant ni assez riche ni assez titré. Il lui faudra
traverser plus de sept années de douloureuse inexistence – long automne où elle pense à jamais rester enfermée – avant qu’une seconde chance lui soit offerte. C’est ce bonheur, inattendu et
complet, survenant après qu’on l’a cru à jamais perdu, qui fait de Persuasion, dernier roman achevé de Jane Austen, en général jugé comme mélancolique, un livre au contraire profondément
satisfaisant, un rêve d’accomplissement en forme de revanche sur la vie. " (traduction Gallimard)
Veuf et père de trois filles, le baronnet Walter Eliot est ruiné. Il doit laisser sa propriété en location pour se retirer à Bath. Sa fille Elisabeth
le suit tandis que ses deux autres filles restent dans la région, Anne toujours célibataire à 28 ans trouvant refuge chez sa soeur Mary. Les nouveaux locataires de la propriété arrivent, il
s'agit de l'amiral Croft et de sa femme. Celle-ci a un frère, le Capitaine Wentworth, qui a été fiancé il y a quelques années avec Anne. Celle-ci n'avait pas donné suite à cette liaison, suivant
l'avis de son amie, Lady Russell, qui trouvait le capitaine d'un rang inférieur indigne d'Anne. Mais les années ont passé, le capitaine rend visite à sa soeur, il a réussi et s'est enrichi, il
cherche à se marier. Anne n'a pas oublié Wentworth...
"Persuasion" est le dernier roman écrit par J. Austen ; commencé en 1815, il fut terminé en 1816, et mieux que dans ses autres œuvres se révèle ici la caractéristique principale de l`art de J. Austen, la faculté de décrire avec pénétration et une vérité totale des scènes de la vie courante. Les caractères sont moins nettement dessinés que dans les autres romans de l'auteur, mais l'intérêt se concentre sur l`étude des rapports entre les personnages et des réactions des différents caractères....
(I, VI) ".. Anne had not wanted this visit to Uppercross, to learn that a removal from one set of people to another, though at a distance of only three
miles, will often include a total change of conversation, opinion, and idea. She had never been staying there before, without being struck by it, or without wishing that other Elliots could have
her advantage in seeing how unknown, or unconsidered there, were the affairs which at Kellynch-hall were treated as of such general publicity and pervading interest; yet, with all this
experience, she believed she must now submit to feel that another lesson, in the art of knowing our own nothingness beyond our own circle, was become necessary for her;--for certainly, coming as
she did, with a heart full of the subject which had been completely occupying both houses in Kellynch for many weeks, she had expected rather more curiosity and sympathy than she found in the
separate, but very similar remark of Mr. and Mrs. Musgrove--"So, Miss Anne, Sir Walter and your sister are gone; and what part of Bath do you think they will settle in?" and this, without much
waiting for an answer;--or in the young ladies' addition of, "I hope we shall be in Bath in the winter; but remember, papa, if we do go, we must be in a good situation--none of your Queen-squares
for us!" or in the anxious supplement from Mary, of "Upon my word, I shall be pretty well off, when you are all gone away to be happy at Bath!"
She could only resolve to avoid such self-delusion in future, and think with heightened gratitude of the extraordinary blessing of having one such truly
sympathising friend as Lady Russell.
The Mr. Musgroves had their own game to guard, and to destroy; their own horses, dogs, and newspapers to engage them; and the females were fully
occupied in all the other common subjects of house-keeping, neighbours, dress, dancing, and music. She acknowledged it to be very fitting, that every little social commonwealth should dictate its
own matters of discourse; and hoped, ere long, to become a not unworthy member of the one she was now transplanted into.--With the prospect of spending at least two months at Uppercross, it was
highly incumbent on her to clothe her imagination, her memory, and all her ideas in as much of Uppercross as possible..."
"... Anna n’avait pas besoin de cette visite pour savoir qu’un changement de société amène un changement total de conversation, d’opinions et d’idées.
Elle aurait voulu que les Elliot pussent voir combien leurs affaires, traitées avec une telle solennité à Kellynch, avaient ici peu d’importance. Cependant elle sentit qu’elle avait encore besoin d’une leçon, car elle avait compté sur plus de curiosité et de sympathie qu’elle n’en trouva.
On lui avait bien dit : « Ainsi, miss Anna, votre père et votre soeur sont partis ? » Ou bien : « J’espère que nous irons aussi à Bath cet hiver ; mais nous comptons loger dans un beau quartier. » Ou bien, Marie disait : « En vérité ! comme je m’amuserai seule ici pendant que vous serez à Bath ! »
Anna se promettait de ne plus éprouver à l’avenir de telles déceptions, et pensait avec reconnaissance au bonheur inexprimable d’avoir une amie vraie et
sympathique comme lady Russel.
Cependant elle trouvait très juste que chaque société dictât ses sujets de conversation.
Les messieurs Musgrove avaient leur chasse, leurs chevaux, leurs chiens, leurs journaux. Les dames avaient les soins d’intérieur, la toilette, les voisins, la danse et la musique. Anna, devant passer deux mois à Uppercross, devait meubler son imagination et sa mémoire avec les choses d’Uppercross. Elle ne redoutait pas ces deux mois. Marie était abordable et accessible à son influence. Anna était sur un pied de bonne amitié avec son beau-frère ; les enfants l’aimaient presque autant et la respectaient plus que leur mère. Ils étaient pour elle une source d’intérêt, d’amusement et d’occupation..."
Sir Walter Elliot, homme rempli de lui-même, et orgueilleux de ses ancêtres, a trois filles : Elisabeth, Anne et Mary, mariée à Charles Musgrove. Resté veuf de bonne heure, sir Elliot a confié Anne à des amis qui ont pris soin de son éducation. S`étant èprise d'un jeune oflicier de marine, Frédéric Wentworth, Anne a été quelque temps fiancée avec lui; mais sur les conseils d`une amie de confiance, lady Russell. elle a rompu ses fiançailles à cause du manque total de fortune de son futur mari. lntelligente et sensible, elle est toujours restée fidèle au souvenir de son fiancé. Celui-ci, devenu riche, retourne en Angleterre pour s`y établir et fonder une famille. ll courtise tout d`abord une des sœurs de Charles Musgrove, mais bien vite se ravive son ancienne passion pour Anne. Pendant ce temps, Elisabeth cherche à conquérir William-Walter Elliot, qui, à la mort de sir Walter Elliot, héritera du titre et des biens de son oncle. Mais celui-ci courtise assidûment Anne ; et Wentworth, arrivé à Bath où vivent Mr. Elliot et sa famille, trouve la jeune fille pressée par ce nouveau soupirant. Très vite on découvre la fausseté de William-Walter Elliot et Anne, qui du reste n`avait jamais songé à le préférer à son ancien fiancé, épousera Wentworth...
(chapitre XXIII - ou II, XI) L'un des derniers chapitres de "Persuasion" offre l'une des scènes les plus poignantes du livre. Jane Austen utilise ici la "miniature" pour transmettre non sans subtilité des informations de fond ou pour faire avancer l'histoire tout en finesse (un procédé utilisé par Ann Radcliffe ou William Lennox). Dans "Orgueil et Préjugés", par exemple, on montre à Elizabeth des miniatures de M. Wickham et de M. Darcy pendant sa visite de Pemberley. "And that, said Mrs. Reynolds, pointing to another of the miniatures, is my master – and very like him. It was drawn at the same time as the other – about eight years ago". Dans "Persuasion", le capitaine Harville est chargé de faire recadrer un portrait miniature du capitaine Benwick afin qu'il puisse être offert à sa nouvelle fiancée. Et comme il le dit à Anne Elliot : "This was drawn at the Cape. He met with a clever young German artist at the Cape, and in compliance with a promise to my poor sister, sat to him, and was bringing it home for her; and I have now the charge of getting it properly set for another!". Et c'est par le biais de cette la conversation autour de cette miniature qui, entendue par le capitaine Wentworth, l'incite à écrire les célèbres vers : "Dare not say that man forgets sooner than woman, that his love has an earlier death. I have loved none but you" (N'osez pas dire que l'homme oublie plus tôt que la femme, que son amour a une mort plus précoce. Je n'ai aimé que vous)....
"CHAPITRE Xl- Une seule journée s'était écoulée depuis la conversation qu'Anne avait eue avec Mme Smith; mais ce qui s'était ensuite présenté inspirait un intérêt plus vif et elle se sentait à présent si peu concernée par la conduite de M. Elliot, sinon par les effets qu'elle avait dans certain domaine, qu'il devint naturel, le lendemain matin, de retarder à nouveau sa visite d'explication à Rivers Street. Elle avait promis de rester avec les Musgrove du petit déjeuner au dîner. Elle avait donné sa parole et il fallait donc que la réputation de M. Elliot, comme la tête de la sultane Schéhérazade, demeurât sauve une journée de plus.
Elle ne parvint cependant pas à arriver à l'heure à son rendez-vous; le temps n'était pas favorable et elle eut occasion de déplorer la pluie à cause de ses amis et de beaucoup la regretter pour elle-même, avant qu'elle ne pût même songer à sortir. Quand elle arriva au Cerf blanc et à l'appartement qu'elle cherchait, elle se rendit compte qu'elle n'était ni tout à fait à l'heure ni la première. La compagnie devant elle se composait de Mme Musgrove qui parlait à Mme Croft, et du capitaine Harville en conversation avec le capitaine Wentworth; elle apprit d'entrée que Mary et Henrietta, trop impatientes pour attendre, étaient sorties dès que le temps s'était dégagé, mais reviendraient bientôt, et que les instructions les plus fermes avaient été laissées à Mme Musgrove pour qu'elle la retînt jusqu'à leur retour. Elle n'eut qu'à se soumettre, à s'asseoir, à paraître tranquille et à se sentir aussitôt jetée dans des agitations qu'elle ne s'attendait à connaître qu'un peu avant la fin de la matinée. Il n'y avait aucun délai, aucune perte de temps. Elle fut sur-le-champ plongée dans le bonheur d'une telle souffrance, ou dans le malheur d'une telle joie.
Deux minutes après son entrée dans la pièce, le capitaine Wentworth dit: - "Nous allons rédiger la lettre dont nous parlions, Harville, tout de suite, si vous voulez bien me donner de quoi écrire." Tout ce qu'il fallait était à portée de main, sur une table à part; il y alla et, tournant presque le dos à tout le monde, il s'absorba dans sa tâche. Mme Musgrove faisait à Mme Croft l'historique des fiançailles de sa fille aînée et précisément sur un ton de voix embarrassant, parce qu'il était tout à fait compréhensible, bien qu'il se fît passer pour un murmure. Anne s'estimait de trop dans cette conversation et pourtant, comme le capitaine Harville paraissait songeur et peu disposé à parler, elle ne pouvait s'empêcher de surprendre de nombreux détails qu'elle n'eût pas désiré connaître: "comment M. Musgrove et mon beau-frère Hayter s'étaient maintes fois rencontrés pour en discuter; ce que mon beau-frère avait dit un jour, ce que M. Musgrove avait proposé le lendemain, ce qui était venu à l'idée de ma sœur, ce que les jeunes gens avaient souhaité, ce dont j”avais dit que je n'y consentirais jamais et dont on m'a ensuite persuadée que cela serait très bien", ainsi que beaucoup d'autres choses de ce genre qui se disent dans un moment d'expansion. C'étaient autant de menus détails qui, même parés des avantages du goût et de la délicatesse dont la bonne Mme Musgrove était bien incapable, ne pouvaient vraiment concerner que les principaux intéressés. Mme Croft écoutait avec beaucoup de bonne humeur et, aux rares occasions où elle parlait, c'était toujours avec un grand bon sens. Anne espérait que les messieurs étaient trop occupés, chacun de son côté, pour entendre.
- "Donc, ainsi, madame, toutes choses bien considérées", murmura Mme Musgrove de sa voix puissante, "nous aurions peut-être préféré que les choses se passent autrement mais, en fin de compte, nous n'avons pas trouvé juste de persister plus longtemps dans notre refus; car Charles Hayter en perdait plus ou moins la tête et Henrietta presque autant que lui; nous avons alors estimé qu'il valait mieux qu'ils se marient tout de suite et qu'ils s'en accommodent, comme beaucoup d'autres avant eux. De toute manière, ai-je dit, ce sera mieux que de longues fiançailles.
- "C'est exactement ce que j'allais faire observer, s'écria Mme Croft. Je préfère que les jeunes gens s'installent avec un petit revenu et soient forcés de faire face ensemble à quelques difficultés, au lieu de s'engager dans des fiançailles interminables. Je crois toujours qu'un mutuel... - "Oh! chère madame", s'écria Mme Musgrove, incapable de la laisser finir, "il n'y a rien que j'abomine autant que de longues fiançailles pour les jeunes gens. Je m'y suis toujours opposée pour mes enfants. Comme je disais toujours, c'est parfait quand les jeunes se fiancent, s'ils sont certains de pouvoir se marier dans six mois, ou même dans un an, mais de longues fiançailles! - "Oui, chère madame, dit Mme Croft, ou des fiançailles incertaines; des fiançailles qui peuvent durer. Se lier sans savoir si, à un moment donné, on aura les moyens de se marier est, à mon sens, très dangereux et très imprudent et ce que les parents, je crois, devraient éviter du mieux qu'ils le peuvent."
Anne trouva à cela un intérêt inattendu. Elle en sentit la pertinence pour elle-même, en un frémissement nerveux qui la parcourut tout entière, et, au moment même où ses yeux se portaient instinctivement sur la table au loin, la plume du capitaine Wentworth cessa de courir sur le papier: il leva la tête, s'arrêta, écouta, se retourna un instant plus tard pour jeter un regard un regard rapide et entendu dans sa direction. Les deux dames continuèrent de parler, d'alléguer les mêmes vérités admises et de les étayer sur ces funestes exemples produits par des agissements contraires qu'elles avaient eu l'occasion d'observer, mais Anne n'entendit rien distinctement; ce n'était qu'un bourdonnement de mots dans ses oreilles, son esprit était en confusion.
Captain Harville, who had in truth been hearing none of it, now left his seat, and moved to a window, and Anne seeming to watch him, though it was from thorough absence of mind, became gradually sensible that he was inviting her to join him where he stood.
He looked at her with a smile, and a little motion of the head, which expressed, “Come to me, I have something to say;” and the unaffected, easy kindness of manner which denoted the feelings of an older acquaintance than he really was, strongly enforced the invitation. She roused herself and went to him. The window at which he stood was at the other end of the room from where the two ladies were sitting, and though nearer to Captain Wentworth’s table, not very near. As she joined him, Captain Harville’s countenance re-assumed the serious, thoughtful expression which seemed its natural character.
Le capitaine Harville qui, de fait, n'avait rien entendu, quitta a présent son siège et alla à une fenêtre; Anne, qui paraissait l'observer, bien que cela fût, en réalité, parce qu'elle avait l'esprit complètement absent, comprit peu à peu qu'il l'invitait à venir le rejoindre là où il était. Il la regarda avec un sourire et un petit mouvement de la tête qui voulait dire: "Venez, j'ai quelque chose à vous raconter"; cette façon d'agir, aimable, simple, naturelle, qui dénotait les sentiments d'une plus vieille connaissance qu'il ne l'était en réalité, donna encore plus de force à cette invitation. Elle se secoua et alla vers lui. Dans la pièce, la fenêtre devant laquelle il se tenait était à l'opposé de l'endroit où les deux dames étaient assises et, bien qu'elle fût plus proche de la table du capitaine Wentworth, elle n'était pas vraiment à proximité. Quand elle le rejoignit, le capitaine Harville reprit ce visage sérieux et pensif qui lui paraissait naturel.
- “Look here,” said he, unfolding a parcel in his hand, and displaying a small miniature painting, “do you know who that is?” - “Certainly: Captain Benwick.” - “Yes, and you may guess who it is for. But,” (in a deep tone,) “it was not done for her. Miss Elliot, do you remember our walking together at Lyme, and grieving for him? I little thought then—but no matter. This was drawn at the Cape. He met with a clever young German artist at the Cape, and in compliance with a promise to my poor sister, sat to him, and was bringing it home for her; and I have now the charge of getting it properly set for another! It was a commission to me! But who else was there to employ? I hope I can allow for him. I am not sorry, indeed, to make it over to another. He undertakes it;” (looking towards Captain Wentworth,) “he is writing about it now.” And with a quivering lip he wound up the whole by adding, “Poor Fanny! she would not have forgotten him so soon!” - “No,” replied Anne, in a low, feeling voice. “That I can easily believe.” - “It was not in her nature. She doted on him.” -
“It would not be the nature of any woman who truly loved.”
- "Regardez ceci, dit-il, en dépliant un paquet qu'il avait dans la main et en montrant une petite peinture en miniature, savez-vous qui c'est? - "Certainement, c'est le capitaine Benwick. - "Oui, et vous pouvez deviner quel en est le destinataire. Mais, dit-il d'une voix grave, ceci ne lui était pas destiné. Mademoiselle, vous rappelez-vous notre promenade à Lyme et comme nous nous affligions à son sujet? Je ne pensais guère à l'époque... mais peu importe. Ceci a été peint au Cap. Il a rencontré là-bas un jeune artiste allemand fort habile et, conformément à une promesse faite à ma pauvre sœur, il a posé pour lui et il la rapportait à son intention. Et j'ai désormais mandat de la faire bien encadrer pour une autre! C'est à moi de m'acquitter de cette mission! Mais qui d'autre aurait-on pu employer? J'espère parvenir à lui trouver des circonstances atténuantes. Je ne regrette vraiment pas de m'en dégager. Il s'en charge, dit-il en regardant en direction du capitaine Wentworth, il est en train d'écrire à ce sujet." La lèvre tremblante, il conclut en ajoutant: "Pauvre Fanny! Elle ne l'aurait pas oublié si vite! - "Non", répondit Anne, à voix basse et sur un ton ému. "Cela, je n'ai aucune peine à le croire. - "Ce n'était pas dans sa nature. Elle l'adorait. - "Ce ne serait pas dans la nature d'une femme qui aime vraiment."
Captain Harville smiled, as much as to say, “Do you claim that for your sex?” and she answered the question, smiling also, “Yes. We certainly do not forget you as soon as you forget us. It is, perhaps, our fate rather than our merit. We cannot help ourselves. We live at home, quiet, confined, and our feelings prey upon us. You are forced on exertion. You have always a profession, pursuits, business of some sort or other, to take you back into the world immediately, and continual occupation and change soon weaken impressions.”
Le capitaine Harville sourit, comme pour dire: "Revendiquez-vous cela pour vos semblables?" et elle répondit à cette question, elle aussi avec un sourire: "Oui. Nous ne vous oublions certainement pas aussi vite que vous nous oubliez. Peut-être est-ce le fait de notre destinée plutôt que de notre mérite. Nous ne savons comment faire autrement. Nous vivons à la maison, dans le calme et la réclusion, et nos sentiments nous tourmentent. Vous êtes contraints à l'actíon. Vous avez toujours une profession, des intérêts, des affaires d'une sorte ou d'une autre, pour vous replonger aussitôt dans le monde, et l'occupation continuelle et le changement émoussent vite les impressions".
- "En admettant, comme vous l'affirmez, que le monde exerce tous ces effets si promptement sur les hommes (ce que je ne vous accorderai pas, je crois), cela ne s'applique pas à Benwick. Il n'a pas été contraint à l'action de quelque manière que ce soit. La paix l'a débarqué aussitôt et, depuis, il vit avec nous, dans notre petit cercle de famille.
- "C'est vrai, dit Anne, tout à fait exact; je ne m'en souvenais pas; mais que dirons-nous maintenant, capitaine? Si ce changement ne tient pas aux circonstances extérieures, il doit venir de l'intérieur; ce doit être la nature, la nature de l'homme, qui a fait effet sur le capitaine Benwick.
- “No, no, it is not man’s nature. I will not allow it to be more man’s nature than woman’s to be inconstant and forget those they do love, or have loved. I believe the reverse. I believe in a true analogy between our bodily frames and our mental; and that as our bodies are the strongest, so are our feelings; capable of bearing most rough usage, and riding out the heaviest weather.”
- “Your feelings may be the strongest,” replied Anne, “but the same spirit of analogy will authorise me to assert that ours are the most tender. Man is more robust than woman, but he is not longer lived; which exactly explains my view of the nature of their attachments. Nay, it would be too hard upon you, if it were otherwise. You have difficulties, and privations, and dangers enough to struggle with. You are always labouring and toiling, exposed to every risk and hardship. Your home, country, friends, all quitted. Neither time, nor health, nor life, to be called your own. It would be hard, indeed” (with a faltering voice), “if woman’s feelings were to be added to all this.”
- "Non, non, ce n'est pas la nature des hommes. Jamais je ne reconnaîtrai que la nature de l'homme le porte, davantage que celle de la femme, à l'inconstance et à l'oubli de ceux qu'il a aimés ou aime vraiment. Je crois le contraire. Je crois en une véritable analogie entre nos constitutions physique et mentale; et que, comme nos corps sont plus forts, nos sentiments le sont aussi; tous deux sont capables de supporter les traitements les plus durs et d'affronter les plus gros temps. - "Vos sentiments sont peut-être les plus forts, répondit Anne, mais le même principe d'analogie m'autorisera à affirmer que les nôtres sont les plus tendres. L'homme est plus robuste que la femme, mais il ne vit pas plus longtemps; ce qui, précisément, illustre mon opinion sur la nature de leurs attachements. Non, ce serait trop dur pour vous s'il en allait autrement. Vous devez affronter bien assez de difficultés, de privations et de dangers. Vous ne cessez de travailler et de peiner, exposés comme vous l'êtes à tous les périls et à toutes les tribulations. Foyer, patrie, amis - vous les avez tous quittés. Temps, santé, vie - rien ne vous appartient en propre. Ce serait vraiment trop dur, dit-elle d'une voix tremblante, si, à tout cela, vous ajoutiez les sentiments d'une femme.
- "Nous ne nous accorderons jamais sur cette question..." commençait à dire le capitaine Harville, quand un léger bruit attira leur attention du côté de la pièce, jusque-là parfaitement silencieux, où se trouvait le capitaine Wentworth. Ce n'était que sa plume qui était tombée, mais Anne sursauta en le découvrant plus (près qu'elle ne l'aurait imaginé, et elle fut presque tentée e soupçonner que la plume ne lui avait échappé que parce qu'il s'intéressait à eux et s'efforçait de surprendre des paroles, dont elle ne pensait pourtant pas qu'il avait pu les entendre.
- "Avez-vous terminé votre lettre? dit le capitaine Harville. - "Pas tout à fait, encore quelques lignes. J'aurai terminé dans cinq minutes. - "Je ne suis pas pressé. Simplement, je serai prêt quand vous le serez. J'ai trouvé un excellent mouillage ici, dit-il en souriant à Anne, de bonnes provisions et je ne manque de rien. Je n'ai pas hâte de voir le signal. Eh bien, mademoiselle, fit-il en baissant la voix, comme je le disais, nous ne nous accorderons jamais sur ce point, je suppose. Aucun homme et aucune femme ne le feraient sans doute. Mais permettez-moi d'observer que toutes les chroniques sont contre vous, toutes les histoires en prose et en vers. Si j'avais autant de mémoire que Benwick, je pourrais en un instant vous opposer cinquante citations en faveur de mon argument, et de ma vie je ne crois[pas avoir ouvert un livre qui n'eût pas quelque chose à dire sur l'inconstance des femmes. Chansons et proverbes, tous parlent de l'humeur volage des femmes. Mais peut-être direz-vous que tous ont été écrits par des hommes.
... Songs and proverbs, all talk of woman’s fickleness. But perhaps you will say, these were all written by men.”
- “Perhaps I shall. Yes, yes, if you please, no reference to examples in books. Men have had every advantage of us in telling their own story. Education has been theirs in so much higher a degree; the pen has been in their hands. I will not allow books to prove anything.”
- “But how shall we prove anything?”
- “We never shall. We never can expect to prove any thing upon such a point. It is a difference of opinion which does not admit of proof. We each begin, probably, with a little bias towards our own sex; and upon that bias build every circumstance in favour of it which has occurred within our own circle; many of which circumstances (perhaps those very cases which strike us the most) may be precisely such as cannot be brought forward without betraying a confidence, or in some respect saying what should not be said.”
- "Oui, peut-être. Oui, oui, s'il vous plaît, pas d'exemples tirés des livres. En comparaison de nous, les hommes ont bénéficié de tous les avantages en racontant leur version de l'histoire. L'éducation leur a été réservée, infiniment plus qu'à nous ; la plume est depuis toujours entre leurs mains. Je ne permettrai pas que les livres servent la moindre démonstration.
- "Mais comment démontrer quoi que ce soit?
- "Cela demeurera à jamais impossible. Sur ce point, il est inutile d'espérer établir la moindre chose. C'est une différence d'opinion qui ne souffre pas de démonstration. Sans doute chacun d'entre nous commence-t-il avec un léger préjugé en faveur de son propre sexe et, à ce préjugé, nous ajoutons tous ces détails propres à le renforcer qui se sont présentés dans notre environnement immédiat; nombre de ces détails, et peut-être dans les cas mêmes qui nous frappent le plus, sont précisément tels qu'ils ne peuvent etre produits sans trahir une confidence, ou sans dire, d'une manière ou d'une autre, ce qu'il ne faudrait pas révéler.
- "Ah, s'écria le capitaine Harville avec beaucoup d'émotion, "si seulement je parvenais à vous faire comprendre ce que souffre un homme quand il jette un dernier regard à sa femme et à ses enfants, quand il observe, aussi longtemps qu'elle reste visible, la chaloupe dans laquelle il les renvoie a terre, et quand il se détourne enfin pour dire: “Dieu sait si nous nous reverrons!” Aussi, si je pouvais vous faire partager l'ardeur de son âme quand il les revoit; quand, de retour peut-être après un an d'absence et obligé de relâcher dans un autre port, il calcule quand il pourra les faire venir au plus tôt, tout en feignant de s'abuser et de se dire: “Ils ne peuvent être ici avant tel jour”, mais espère toujours qu'ils viendront douze heures plus tôt; quand, enfin, comme si le Ciel leur avait donné des ailes, il les voit arriver encore de nombreuses heures en avance! Si je pouvais vous expliquer tout cela, et tout ce qu'un homme peut endurer et faire, ce qu'il se glorifie de réaliser pour ceux qui sont les trésors de sa vie! Je ne parle, vous le savez, que de ces hommes qui ont du cœur !", dit-il en pressant la main contre le sien avec émotion.
“Oh!” cried Anne eagerly, “I hope I do justice to all that is felt by you, and by those who resemble you. God forbid that I should undervalue the warm and faithful feelings of any of my fellow-creatures! I should deserve utter contempt if I dared to suppose that true attachment and constancy were known only by woman. No, I believe you capable of everything great and good in your married lives. I believe you equal to every important exertion, and to every domestic forbearance, so long as—if I may be allowed the expression—so long as you have an object. I mean while the woman you love lives, and lives for you. All the privilege I claim for my own sex (it is not a very enviable one; you need not covet it), is that of loving longest, when existence or when hope is gone.”
« Oh! s'écria Anne avec enthousiasme, j'espère rendre justice à tout ce que vous ressentez, vous et ceux qui vous ressemblent. Dieu me garde de mésestimer les sentiments ardents et fidèles d'un seul de mes semblables. je mériterais le mépris absolu si j'osais supposer qu'attachements et constance véritables n'appartiennent qu'aux femmes. Non, je vous crois capables de tout ce qu'il y a de grand et de bon, lorsque vous êtes mariés. Je vous crois à la hauteur de tous les efforts importants et de toute l'indulgence que demande la vie domestique, aussi longtemps, si je puis m'autoriser cette expression, aussi longtemps que vous avez un objet. Je veux dire, tant que la femme que vous aimez vit, et vit pour vous. Le seul privilège que je revendique pour mon propre sexe (inutile de le convoiter, il n'est guère enviable) est d'aimer le plus longtemps, quand vie ou espoir sont évanouis."
Elle n'aurait pu prononcer tout de suite une autre phrase; elle avait le cœur trop gros et la respiration trop oppressée. - "Vous êtes une bonne âme", s'écria le capitaine Harville en mettant la main sur son bras cle manière très affectueuse. "Il n'y a pas moyen de se disputer avec vous. Et quand je songe à Benwíck, ma langue est liée." Leur attention fut attirée vers les autres. Mme Croft prenait congé. - "Bien, Frederick, je crois que nous nous séparons, vous et moi, dit-elle. Je rentre et vous avez un engagement avec votre ami. Ce soir, nous aurons peut-être le plaisir de tous nous retrouver à votre soirée, dit-elle en se tournant vers Anne. Nous avons eu le carton de votre sœur hier et, à ce que j'ai compris, Frederick en a reçu un, lui aussi, bien que je ne l'aie pas vu - et vous êtes libre, Frederick, comme nous, n'est-ce pas ?". Le capitaine Wentworth, qui pliait une lettre en grande hâte, ne put ou ne voulut répondre de manière plus explicite: "Oui, dit-il, tout à fait; c'est ici que nous nous séparons, mais Harville et moi, nous vous suivrons bientôt - enfin, Harville, si vous êtes prêt, je le serai dans trente secondes. Je sais que vous ne serez pas mécontent de partir. Je serai à votre service dans trente secondes."
Mme Croft les quitta et le capitaine Wentworth, après avoir cacheté sa lettre très vite, fut effectivement prêt et, à voir son air pressé et agité, parut même impatient de sortir. Anne ne savait comment interpréter cela. Elle eut le plus aimable "Bonne matinée, Dieu vous bénisse" du capitaine Harville, mais pas un mot, pas un regard de lui. Il avait quitté la pièce sans un regard! Mais elle n'eut que le temps de s'approcher de la table devant laquelle il s'était installé pour écrire, quand des pas se firent entendre; quelqu'un revenait; la porte s'ouvrit ; c'était lui. Il les pria de l'excuser, mais il avait oublié ses gants; il traversa aussitôt la pièce pour aller à la table où il avait écrit puis, en tournant le dos à Mme Musgrove, il sortit une lettre de sous les papiers éparpillés et la mit devant Anne, en posant un moment sur elle des yeux emplis d'une ardente prière; puis, après avoir pris ses gants en hâte, il ressortir de l'appartement, presque avant que Mme Musgrove eût compris qu'il était revenu. Ce fut l'œuvre d'un instant!
The revolution which one instant had made in Anne, was almost beyond expression. The letter, with a direction hardly legible, to “Miss A. E.—,” was evidently the one which he had been folding so hastily. While supposed to be writing only to Captain Benwick, he had been also addressing her! On the contents of that letter depended all which this world could do for her. Anything was possible, anything might be defied rather than suspense. Mrs Musgrove had little arrangements of her own at her own table; to their protection she must trust, and sinking into the chair which he had occupied, succeeding to the very spot where he had leaned and written, her eyes devoured the following words:
La révolution que cet instant avait provoquée en elle était presque indescriptible. La lettre, avec son adresse à peine lisible, "Mlle A. E*****", était manifestement celle qu'il avait pliée de manière si précipitée. Tandis qu'on le croyait seulement en train d'écrire au capitaine Benwick, il s'adressait aussi à elle! Du contenu de cette lettre, dépendait tout ce que ce monde pouvait lui apporter! Tout était possible, tout pouvait être affronté, sauf l'incertitude. Mme Musgrove avait ses petites occupations personnelles à sa propre table; Anne devait donc s'en remettre à la protection de ces dernières et, en se laissant tomber sur le siège qu'il avait occupé et en lui succédant à l'endroit même où il s'était penché pour écrire, ses yeux dévorèrent les mots suivants ...
“I can listen no longer in silence. I must speak to you by such means as are within my reach. You pierce my soul. I am half agony, half hope. Tell me not that I am too late, that such precious feelings are gone for ever. I offer myself to you again with a heart even more your own than when you almost broke it, eight years and a half ago. Dare not say that man forgets sooner than woman, that his love has an earlier death. I have loved none but you. Unjust I may have been, weak and resentful I have been, but never inconstant. You alone have brought me to Bath. For you alone, I think and plan. Have you not seen this? Can you fail to have understood my wishes? I had not waited even these ten days, could I have read your feelings, as I think you must have penetrated mine. I can hardly write. I am every instant hearing something which overpowers me. You sink your voice, but I can distinguish the tones of that voice when they would be lost on others. Too good, too excellent creature! You do us justice, indeed. You do believe that there is true attachment and constancy among men. Believe it to be most fervent, most undeviating, in
F. W.
“I must go, uncertain of my fate; but I shall return hither, or follow your party, as soon as possible. A word, a look, will be enough to decide whether I enter your father’s house this evening or never.”
Je ne peux plus écouter en silence. Je dois vous parler par les moyens qui sont en mon pouvoir. Vous me percezl'âme. Je suis entre le supplice et l'espoir. Ne dites que j'arrive trop tard, que des sentiments aussi précieux ont disparu à jamais. De nouveau, je m'offre à vous, avec un coeur qui est vôtre, plus encore que lorsque vous fûtes au bord de le briser, il y a huit ans et demi. N'osez pas dire que l'homme oublie plus promptement que la femme, que son amour meurt plus vite. Je n'ai jamais aimé une autre que vous. Injuste, peut-être l'ai-je été, faible et rancunier je le fus, mais jamais inconstant. Vous seule m'avez amené à Bath. Pour cela seule, je réfléchis et je forme des projets. Ne l'avez-vous pas vu? Est-il possible que vous n'avez pu comprendre mes espoirs? Je n'aurais même pas attendu ces dix jours, si j'avais pu lire vos sentiments, comme, je le crois, vous n'avez pas manqué de déchiffrer les miens. C'est à peine si je parviens à écrire. J'entends à chaque instant quelque chose qui me bouleverse. Vous baissez la voix mais je sais discerner les tons de cette voix, quand ils échapperaient à d'autres. Créature trop bonne, trop parfaite ! Vous nous rendez bien justice ! Vous croyez vraiment qu'il existe, parmi les hommes, attachements et constance véritables ! Croyez qu'ils sont les plus fervents et les plus faibles chez
F.W.
Je dois partir, incertain de mon sort; mais je reviendrai ici, ou je suivrai votre compagnie, dès que possible. Un mot, un regard suffiront à décider si j'entre dans la maison de votre père ce soir, ou jamais.
Such a letter was not to be soon recovered from. Half an hour’s solitude and reflection might have tranquillized her; but the ten minutes only which now passed before she was interrupted, with all the restraints of her situation, could do nothing towards tranquillity. Every moment rather brought fresh agitation. It was overpowering happiness. And before she was beyond the first stage of full sensation, Charles, Mary, and Henrietta all came in.
The absolute necessity of seeming like herself produced then an immediate struggle; but after a while she could do no more. She began not to understand a word they said, and was obliged to plead indisposition and excuse herself. They could then see that she looked very ill, were shocked and concerned, and would not stir without her for the world. This was dreadful. Would they only have gone away, and left her in the quiet possession of that room it would have been her cure; but to have them all standing or waiting around her was distracting, and in desperation, she said she would go home.
Se remettre de pareille lettre demandait quelque temps. Une demi-heure de solitude et de réflexion aurait pu la tranquilliser; mais les dix minutes seulement qui s'écoulèrent avant qu'elle ne fût de nouveau dérangée, ajoutées aux exigences de sa situation, ne suffirent pas à la tranquilliser. Au contraire, chaque instant apportait un nouvel émoi. Son bonheur était irrésistible. Avant qu'elle eût dépassé cette première étape où elle prit toute la mesure de ses sensations, Charles, Mary et Henrietta firent leur entrée. Devant la nécessité absolue d'apparaître dans son état normal, elle essaya d'abord de lutter; mais bientôt elle ne se trouva plus en mesure de poursuivre. Elle commença à ne plus comprendre un mot de ce qu'ils disaient, elle fut contrainte de plaider une indisposition et de s'excuser. Ils furent alors en mesure de voir qu'elle paraissait très mal -ils s'en dirent atterrés, soucieux - ils ne voulurent bouger pour rien au monde sans elle. C'était affreux! S'ils avaient seulement consenti à partir et à la laisser disposer tranquillement de cet appartement, elle aurait été guérie; mais cela la rendait folle de les avoir tous debout autour d'elle à attendre et, de désespoir, elle annonça qu'elle désirait rentrer chez elle.
- "Mais, bien sûr, ma chère enfant, s'écria Mme Musgrove, retournez vite a la maison et prenez soin de vous pour être bien ce soir. Si seulement Sarah était là pour vous soigner, car j'en suis bien incapable. Charles, sonnez pour demander une chaise à porteurs. Il ne faut pas qu'elle marche."
Mais cela ne conviendrait jamais. Ce serait pire que tout! Elle ne supportait pas de laisser échapper l'occasion de dire deux mots au capitaine Wentworth, tandis que, tranquille et seule, elle retraverserait la ville, où elle était presque certaine de le rencontrer. Elle refusa énergiquement la chaise. Mme Musgrove, qui ne songeait qu'à une sorte de maladie, s'étant d'abord assurée, non sans quelque inquiétude, qu'en l'occurrence il n'y avait pas eu de chute, qu'Anne n'avait glissé à aucune occasion dans le passé récent, qu'elle n'avait pas reçu de coup sur la tête et qu'elle était parfaitement convaincue de n'être pas tombée, parvint volontiers à la quitter et à espérer qu'elle irait mieux ce soir-là.
Soucieuse de n'oublier aucune précaution possible, Anne prit sur elle-même et dit: -"Je crains, madame, qu'il n'y ait quelque malentendu. Je vous prie d'avoir la bonté de signaler aux autres messieurs que nous espérons tous votre présence ce soir. J'ai peur qu'il n'y ait eu quelque erreur; et je vous demande particulièrement d'assurer au capitaine Harville et au capitaine Wentworth que nous les attendons tous deux. - "Oh! ma chère enfant, c'est parfaitement compris, je vous en donne ma parole. Le capitaine Harville ne songe pas à autre chose. - "Croyez-vous? Mais j'ai quelques craintes; et j'en serais tellement désolée! Me promettez-vous de leur en parler quand vous les reverrez? Sans doute les retrouverez-vous tous deux ce matin. Allez, promettez-le-moi. - "Bien volontiers, si vous y tenez. Charles, si vous rencontrez le capitaine Harville où que ce soit, pensez à lui transmettre le message de Mlle Anne. Mais, vraiment, ma chérie, il est inutile de vous inquiéter. Le capitaine Harville se considère comme totalement engagé, j'en réponds ; ainsi que le capitaine Wentworth, bien sûr." Anne ne pouvait en faire plus; mais son coeur prophétisait quelque infortune pour compromettre sa parfaite félicité. Cela ne pourrait pas durer, cependant. Même s'il ne venait pas lui-même à Camden Place, il serait toujours en son pouvoir de transmettre un signe d'intelligence, par l'intermédiaire du capitaine Harville.
Une contrariété supplémentaire se présenta momentanément. Charles, poussé par ses réelles inquiétudes et son bon cœur, tenait à la raccompagner; il n'y eut pas moyen de l'en empêcher. C'était presque, de la cruauté! Mais son ingratitude ne pouvait être de longue durée; pour lui être utile, il sacrifiait un rendez-vous chez un armurier; elle partit donc avec lui en ne laissant transparaître d'autre sentiment que la gratitude.
Ils étaient dans Union Street quand un pas plus rapide derrière eux, et dont le bruit avait quelque chose de familier, lui laissa deux secondes pour se préparer à la vue du capitaine Wentworth. Il arriva a leur hauteur; mais, comme s'il ne savait pas s'il allait les rejoindre, ou poursuivre son chemin, il ne dit rien - il se contenta de regarder. Anne parvint à se dominer assez pour rencontrer ce regard sans le repousser. Les joues, qui étaient pâles, rougirent à présent et les mouvements hésitants se firent décidés. Il se mit à marcher à côté d'elle. Charles, frappé par une idée soudaine, dit bientôt:
“Captain Wentworth, which way are you going? Only to Gay Street, or farther up the town?”
« Capitaine, de quel côté allez-vous ? Seulement jusqu'à Gay Street, ou plus haut dans la ville? - "Je ne sais pas vraiment, répondit, surpris, le capitaine Wentworth. - "Vous allez aussi haut que Belmont? près de Camden Place? Car, en ce cas, je n'aurai aucun scrupule à vous demander de prendre ma place et de donner votre bras à Anne jusqu'à la porte de son père. Elle a plutôt son compte ce matin, et elle ne doit pas aller si loin sans assistance. Et je devrais déjà être chez ce garçon, place du marché. Il a promis de me montrer un fusil épatant qu'il s'apprête à expédier; il m'a dit qu'il attendrait le tout dernier moment pour l'emballer, afin que je puisse le voir; si je ne rebrousse pas chemin tout de suite, je n'aurai aucune chance. D'après sa description, cela ressemble à mon deux-coups, de calibre moyen, avec lequel vous avez chassé un jour, près de Winthrop."
There could not be an objection. There could be only the most proper alacrity, a most obliging compliance for public view; and smiles reined in and spirits dancing in private rapture. In half a minute Charles was at the bottom of Union Street again, and the other two proceeding together: and soon words enough had passed between them to decide their direction towards the comparatively quiet and retired gravel walk, where the power of conversation would make the present hour a blessing indeed, and prepare it for all the immortality which the happiest recollections of their own future lives could bestow. There they exchanged again those feelings and those promises which had once before seemed to secure everything, but which had been followed by so many, many years of division and estrangement. There they returned again into the past, more exquisitely happy, perhaps, in their re-union, than when it had been first projected; more tender, more tried, more fixed in a knowledge of each other’s character, truth, and attachment; more equal to act, more justified in acting.
Aucune objection ne pouvait être soulevée. Seuls l'empressement le plus convenable et la complaisance la plus obligeante apparaissaient aux yeux des spectateurs; intérieurement, ce n'étaient que sourires contenus et esprits qui dansaient secrètement de joie. Trente secondes plus tard, Charles se retrouva au bas d'Union Street et les deux autres poursuivirent leur chemin de concert; ils eurent bientôt échangé assez de mots pour diriger leurs pas vers l'allée de gravier, en comparaison calme et retirée, où l'effet de la conversation ferait de cette heure un bonheur entre tous, et pour promettre à tout cela l'immortalité que lui accorderaient sans doute, dans leur vie future, leurs souvenirs les plus heureux. Ce fut là qu'ils échangèrent de nouveau ces effusions et ces promesses qui, une fois déjà, avaient paru tout assurer, mais qui avaient été suivies par tant et tant d'années de séparation et d'éloignement. Là, ils se tournèrent de nouveau vers le passé, avec une joie peut-être plus grande encore, parce qu'ils étaient réunis, que lors de leurs premiers projets; plus tendres, mieux éprouvés, plus assurés de mieux connaître leur caractère, leur sincérité, leur attachement respectifs; plus à même d'agír et plus justifiés à le faire.
Là encore, en remontant lentement la pente douce, sans prêter attention à tous les groupes qui les entouraient, sans voir ni les hommes politiques qui flânaient, ni les gouvernantes affairées, ni les jeunes filles qui jouaient aux coquettes, ní les bonnes accompagnées d'enfants, ils purent se livrer à ces examens rétrospectifs, ces remerciements et surtout expliquer des événements qui avaient immédiatement précédé le moment présent, et qui présentaient un intérêt si poignant et si inépuisable.
All the little variations of the last week were gone through; and of yesterday and today there could scarcely be an end. She had not mistaken him. Jealousy of Mr Elliot had been the retarding weight, the doubt, the torment. That had begun to operate in the very hour of first meeting her in Bath; that had returned, after a short suspension, to ruin the concert; and that had influenced him in everything he had said and done, or omitted to say and do, in the last four-and-twenty hours. It had been gradually yielding to the better hopes which her looks, or words, or actions occasionally encouraged; it had been vanquished at last by those sentiments and those tones which had reached him while she talked with Captain Harville; and under the irresistible governance of which he had seized a sheet of paper, and poured out his feelings.
Toutes les menues variations de la semaine précédente furent examinées; sur la veille et la journée même, il ne pouvait guère y avoir de fin à leurs débats. Elle ne s'était pas trompée sur lui. Sa jalousie de M. Elliot avait été l'élément retardateur, le doute et le tourment. Cela avait commencé de l'affecter dès la première heure de sa rencontre avec elle à Bath; cela était revenu, après une brève interruption, lui gâcher le' concert; cela l'avait influencé dans tout ce qu'il avait dit et fait, ou omis de dire et de faire, au cours des dernières vingt-quatre heures. Cela avait peu à peu cédé aux espoirs plus favorables qu'elle encourageait parfois par ses regards, ses paroles ou ses actions ; cela avait été enfin vaincu par les sentiments et les intonations qui lui étaient parvenus, tandis qu'elle parlait avec le capitaine Harville, et qui l'avaient irrésistiblement mené à saisir une feuille de papier pour donner libre cours à ses sentiments.
Of what he had then written, nothing was to be retracted or qualified. He persisted in having loved none but her.
Il ne voulait rien retirer à ce; qu'il avait alors écrit, ou même apporter de réserves. Il maintenait qu'il n'avait aimé qu'elle. Elle n'avait jamais été supplantée. Il croyait même n'avoir jamais rencontré son égale. Il fut même obligé de reconnaître qu'il avait été constant sans s'en rendre compte, voire sans le souhaiter; qu'il avait voulu l'oublier et croyait y être parvenu. Il s'était imaginé indifférent quand il n'était qu'irrité; et il avait été injuste envers ses mérites, parce qu'il en avait souffert. Son caractère était maintenant fixé dans son esprit comme la perfection même, car il maintenait l'équilibre le plus charmant entre la force d'âme et la douceur; mais, il devait le reconnaître, ce n'était qu'à Uppercross qu'il avait appris à lui rendre justice et a Lyme qu'il avait commencé de se comprendre.
A Lyme, il avait reçu plus d'une leçon. L'admiration passagère de M. Elliot l'avait au moins aiguillonné, et ce qui s'était passé au Cobb et chez le capitaine Harville avait établi sa supériorité.
Lors de ses précédentes tentatives pour s'attacher à Louisa Musgrove, qu'il fallait d'ailleurs attribuer à l'orgueil blessé, il protesta qu'il avait toujours considéré la chose comme impossible; qu'il n'éprouvait rien et ne pourrait jamais rien éprouver pour Louisa; cependant, jusqu'à ce jour-là et jusqu'à ce qu'il eût ensuite le loisir d'y réfléchir, il n'avait pas compris la suprême perfection d'un esprit avec lequel celui de Louisa souffrait tant d'être comparé, ou deviné l'empire sans partage et sans rival qu'il exerçait sur le sien. Il avait alors appris à distinguer entre la fermeté dans les principes et l'obstination opiniâtre, entre les audaces de l'insouciance et la résolution d'un esprit maître de soi. Il avait alors vu que tout concourait à placer très haut dans son estime la femme qu'il avait perdue, et c'était alors qu'il avait commencé de déplorer l'orgueil, la sottise, la folie d'un ressentiment qui l'avait empêché d'essayer de la reconquérir quand elle s'était, de nouveau, trouvée sur son chemin.
Depuis cette période, sa pénitence était devenue sévère. Il ne s'était pas plus tôt libéré de l'horreur et du remords qui avaient accompagné les premiers jours de l'accident de Louisa, il n'avait pas plus tôt commencé à se sentir revivre qu'il se sentit vivant, mais privé de liberté.
- "Je découvris, dit-il, que Harville me considérait fiancé! Que ni Harville ni sa femme ne doutaient le moins du monde de notre attachement mutuel. J'en fus alarmé, bouleversé. Dans une certaine mesure, je pouvais démentir sur-le-champ; mais, quand je commençai à me faire la réflexion que d'autres avaient pu penser la même chose - sa propre famille, qui sait ?, peut-être elle-même, je cessai de disposer de moi. L'honneur m'obligeait à lui appartenir, si elle le souhaitait. J'avais commis une imprudence. Je n'avais jamais sérieusement réfléchi à ce problème. Je n'avais pas considéré qu'à force de familiarité excessive, je m'exposais à des conséquences fâcheuses par de nombreux côtés: que je n'avais pas le droit de vérifier si je parvenais à m'attacher à l'une ou l'autre des jeunes filles, au risque de faire naître des bruits désagréables, quand bien même il n'y aurait pas d'autres effets indésirables. J'avais eu grand tort et je devais en subir les conséquences."
Bref, il avait découvert trop tard qu'il s'était compromis; au moment même où il commençait à acquérir la certitude qu'il ne tenait à Louisa en aucune manière, il devait se considérer comme lié à elle, si ses sentiments pour lui étaient tels que les Harville supposaient. Cela le détermina à quitter Lyme pour attendre ailleurs le complet rétablissement de la jeune fille. Son intention était d'affaiblir, par tous les moyens honorables, tous les sentiments et toutes les spéculations qui pouvaient bien exister sur son compte; il se rendit donc chez son frère, tout en projetant de revenir à Kellynch au bout de quelque temps, et de se comporter comme l'exigeraient les circonstances...."
(...)
At last Anne was at home again, and happier than any one in that house could have conceived. All the surprise and suspense, and every other painful part of the morning dissipated by this conversation, she re-entered the house so happy as to be obliged to find an alloy in some momentary apprehensions of its being impossible to last. An interval of meditation, serious and grateful, was the best corrective of everything dangerous in such high-wrought felicity; and she went to her room, and grew steadfast and fearless in the thankfulness of her enjoyment. The evening came, the drawing-rooms were lighted up, the company assembled.
Anne se retrouva enfin chez elle, et plus heureuse que quiconque dans cette maison ne l'eût imaginé. Une fois que cette conversation eut dissipé toute la surprise, l'incertitude et ce que la matinée lui avait encore apporté de chagrins, elle fut obligée, en rentrant, de tempérer son bonheur en imaginant quelques instants que cela ne pouvait durer. Une période de méditation sérieuse et reconnaissante était le meilleur correctif à tout ce qu'une félicité aussi exaltée avait de dangereux; elle alla dans sa chambre pour que la gratitude qu'elle éprouvait à cause de son bonheur se fît peu à peu plus ferme et plus assurée.
Le soir venu, les salons s'illuminèrent et la compagnie s'assembla. Ce n'était qu'une partie de cartes, un amalgame de gens qui ne s'étaient jamais rencontrés et de gens qui le faisaient trop souvent - un groupe banal, trop nombreux pour que l'on fût entre soi, trop limité pour autoriser la variété; mais jamais Anne n'avait trouvé une soirée plus courte. Rayonnante, ravissante de tendresse et de bonheur, et généralement plus admirée qu'elle n'y pensait ou ne s'en souciait, elle témoignait bonne humeur ou indulgence à tous ceux qui l'entouraient. M. Elliot était présent: elle l'évita, mais parvint à le plaindre. Les Wallis l'amusèrent: elle les comprenait. Lady Dalrymple et Mlle Carteret seraient bientôt pour elle des cousines inoffensives. Elle ne se souciait pas de Mme Clay, et il n'y avait rien qui la fît rougir dans le comportement public de son père et de sa soeur. Avec les Musgrove, elle bavarda avec une parfaite et joyeuse familiarité; avec le capitaine Harville, ses relations étaient bienveillantes, comme celles d'un frère et d'une sœur; avec Lady Russell, elle amorça des conversations qu'interrompait un délicieux embarras; avec l'amiral et Mme Croft, elle témoigna, en toutes occasions, une cordialité particulière et un intérêt fervent que ce même embarras cherchait à dissimuler; avec le capitaine Wentworth, enfin, si quelques occasions de parler se produisaient continuellement, elle en espérait toujours de nouvelles et le sentait toujours à ses côtés!
It was in one of these short meetings, each apparently occupied in admiring a fine display of greenhouse plants, that she said ...
Ce fut au cours d'une de ces brèves rencontres, alors qu'ils étaient ostensiblement occupés à admirer une belle présentation de plantes de serre, qu'elle lui dit: - "J'ai réfléchi au passé et essayé d'assigner impartialement les torts, en ce qui me concerne, bien sûr; or, il me faut croire que j'ai eu raison, même si j'en ai beaucoup souffert, que j'étais parfaitement justifiée de me laisser guider par une amie que vous aimerez plus que vous ne le faites à présent. Elle me tenait lieu de mère. Ne vous méprenez pas, cependant. je ne suis pas en train d'affirmer que ses conseils n'étaient pas entachés d'erreur. Il s'agissait peut-être d'un de ces cas dans lesquels les conseils sont bons ou mauvais, selon l'issue des événements ; quant à moi, jamais je ne donnerais pareil conseil, dans des circonstances suffisamment semblables. Mais je veux dire que j'ai eu raison de me soumettre à sa volonté et que, si j'avais agi différemment, j'aurais plus souffert en ne brisant pas mes fiançailles que je ne l'ai fait en y renonçant, parce que j'aurais souffert dans ma conscience. Je n'ai, à présent, rien à me reprocher, pour autant qu'un tel sentiment soit permis à la nature humaine; si je ne m'abuse, un grand sens du devoir n'est pas à dédaigner dans ce qu'une femme apporte en mariage à son époux."
... a strong sense of duty is no bad part of a woman’s portion". He looked at her, looked at Lady Russell, and looking again at her, replied, as if in cool deliberation ...
Il regarda Anne, puis Lady Russell, puis Anne de nouveau et répondit comme s'il y avait réfléchi froidement: - "Pas encore. Mais il y a quelque espoir de la voir pardonnée avec le temps. Je suis certain que, bientôt, je lui voudrai du bien. Mais, moi aussi, j'ai réfléchi au passé et la question se pose de savoir si je n'ai pas eu un ennemi plus redoutable encore que cette dame: moi-même. Dites-moi, lorsque je revins en Angleterre en 1808, avec quelques milliers de livres, et que je fus promu capitaine de vaisseau sur la Laconie, si je vous avais écrit, auriez-vous répondu à ma lettre? Bref, auriez-vous alors accepté de renouveler nos fiançailles ?"
- "Aurais-je accepté! " fut toute sa réponse; mais ses accents étaient suffisamment nets.
- "Seigneur, mon Dieu! s'écria-t-il, vous l'auriez fait! Ce n'était pas que je n'y pensais pas ou ne le désirais pas, comme le seul couronnement possible à tous mes autres succès. Mais j'étais orgueilleux, trop orgueilleux pour vous solliciter de nouveau. Je ne vous comprenais pas. J'ai fermé les yeux, refusé de vous comprendre, ou de vous rendre justice. C'est là un souvenir qui devrait m'amener à pardonner à tout le monde plus vite qu'à moi-même. Six années de séparation et de souffrances auraient pu être épargnées. En plus, c'est un genre de douleur que j'ignorais jusqu'à présent. J'étais accoutumé au plaisir de croire que je méritais tous les bienfaits dont je jouissais. Je me suis estimé à l'aune de mes fatigues honorables et de mes justes récompenses. Comme d'autres grands hommes face aux revers, ajouta-t-il avec un sourire, il me faut tenter de soumettre mon esprit à ma fortune. Je dois apprendre à supporter d'être plus heureux que je ne le mérite." (.I must learn to brook being happier than I deserve).
Dernier chapitre du roman ; Qui pourrait douter de ce qui arriva? ...
"Who can be in doubt of what followed? When any two young people take it into their heads to marry, they are pretty sure by perseverance to carry their point, be they ever so poor, or ever so imprudent, or ever so little likely to be necessary to each other’s ultimate comfort. This may be bad morality to conclude with, but I believe it to be truth.."