Positivisme - Auguste Comte (1798-1857), "cours de Philosophie positive" (1830-1842), "Discours sur l'esprit positif" (1844), "Système de Politique positive ou Traité de sociologie instituant la Religion de l'Humanité" (1851-1854), "Catéchisme positiviste" (1852) - ....

Last update: 02/02/2022


C'est par l'idée qu'il se fait de la science, non plus seulement comme une somme de connaissances mais comme LA Connaissance définissant le rapport global de l'être humain au monde, devenue véritable principe et système de croyances sur lequel peut s'édifier une organisation sociale, qu'Auguste Comte eut une influence durable, quoique discutable, et finalement peu discutée, au moins dans ses conséquences extrêmes.

Il a bien toutefois inauguré ce règne de l'esprit positif, qui a dominé en France de 1852 à 1870, et qu'on retrouve dans le bon sens terre à terre, l'utilitarisme bourgeois, le goût des satisfactions matérielles, et l'incompréhension artistique et poétique de cette période du second Empire.

En terme de personnalité, Auguste Comte nous révèle lui-même cette singulière trajectoire intellectuelle  qui fut la sienne, s'efforçant dans un premier temps de transformer la Science en philosophie (Cours de philosophie positive), puis, "regénéré moralement" en 1845 « sous la sainte influence de Mme de Vaux", travaillant à transformer tout simplement la philosophie en religion...

 

Dans le courant de l'année 1817, Auguste Comte est présenté au comte Henri de Saint-Simon (1760-1825), de la famille du fameux duc, homme singulier rempli d'idées des plus originales sur le rôle que la science et l'industrie sont appelées à jouer dans les sociétés modernes, l'influence est extrême sur Comte de 20 à 24 ans, le voici estimant qu'il faut mettre fin à la grande crise ouverte par la Révolution, crise qui s'aggrave d'autant plus que règne un désaccord profond de ce qui peut penser de l'époque pour y mettre un terme : les "opinion" sont bien l'élément moteur du système ....

"Le mécanisme social repose sur des opinions. Ce n'est pas aux lecteurs de cet ouvrage que  je croirai jamais devoir prouver que les idées gouvernent et bouleversent le monde ou, en d'autres termes, que tout le mécanisme social repose finalement sur des opinions. Ils savent surtout que la grande crise politique et morale des sociétés actuelles tient, en dernière analyse, à l'anarchie intellectuelle. Notre mal le plus grave consiste, en effet, dans cette profonde divergence qui existe maintenant entre tous les esprits relativement à toutes les maximes fondamentales dont la fixité est la première condition d'un véritable ordre social. Tant que les intelligences individuelles n'auront pas adhéré par un assentiment unanime à un certain nombre d'idées capables de former une doctrine sociale commune, on ne peut se dissimuler que l'état des nations restera, de toute nécessité, essentiellement révolutionnaire, malgré tous les palliatifs politiques qui pourront être adoptés et ne comportera réellement que des institutions provisoires. ll est également certain que si cette réunion des esprits dans une même communion de principes peut une fois être obtenue, les institutions convenables en découleront nécessairement, sans donner lieu à aucune secousse grave, le plus grand désordre étant  dissipé par ce seul fuit. C'est donc là que doit se porter principalement l'attention de tous ceux qui sentent l'importance d'un état de choses vraiment normal." (Cours de philosophie positive, I.)

Pour Comte, dans ce grand "système mental et social" qui règne alors sur la France, et qui regroupe tant les opinions que les moeurs et les institutions, il ne faut plus compter ni sur l'autorité de la religion, ni sur celle qu'au XVIIIe siècle a tenté d'exercer la philosophie. L'esprit humain a définitivement dépassé les stades de la pensée théologique et de la pensée métaphysique, et ne reconnaît plus qu'une seule autorité, celle de la science. Mais pour que la science puisse asseoir son influence sur tous les esprits, et pour qu'elle puisse en particulier imposer ses certitudes dans le domaine social et politique, faudrait-il encore, d'une part montrer que les différentes sciences s'enrichissent en un système, désormais capable de fournir des conceptions positives sur toutes les grandes classes de phénomènes naturels, et d'autre part d'achever ce système en y ajoutant la dernière science qui reste à constituer, la physique sociale ou sociologie, d'où l'on pourra tirer un art politique rationnel. Rien de nouveau sous notre soleil, deux siècles plus tard la technocratie et ses piètres serviteurs reprennent le ton du positivisme, profitant de la grande désertification de la pensée politique, ou de la pensée tout court ...

Au fur et à mesure qu'il avance dans sa vie, retranché dans son rêve de grande unification de l'Humanité, Comte pense réconcilier le monde, en faisant simplement "prévaloir l`influence paisible et certaine, mais indirecte et graduelle, du sentiment et de la raison, secondée par une sage opinion publique, sous l`impulsion systématique des philosophes, assistés d`une libre adhésion populaire ...". Et c'est donc d'abord dans les idées qu'il pensera ainsi remettre de l'ordre, et cet ordre pénètrera ensuite  dans les moeurs  pour s'introduire enfin dans les institutions. Dès 1844, on attribuera à l'influence de cette énigmatique et dramatique amour platonique qui l'attira vers Clotilde de Vaux une certaine réorientation de sa pensée vers une religiosité dont le modèle était le catholicisme, "chef d'oeuvre de sagesse politique", réinterprété à sa manière, un pouvoir spirituel confié aux savants, un pouvoir temporel remis aux mains des personnalités les plus compétentes et les plus efficaces, le tout animé par une prise de conscience de l'Humanité comme d'un "Grand-Être"...

(Auguste Comte, Louis Jules Etex (1810-1889), Temple de la Religion de l'Humanite, Paris)

 


Réagissant contre la philosophie spiritualiste, celle d'un Maine de Biran (1766-1824), l'auteur des "Considérations sur les rapports du physique et du moral de l'homme" (1834), ou de Victore Cousin (1792-1887),le fondateur de l'éclectisme, système philosophique qui consiste à répudier tout système nouveau et à emprunter aux systèmes antérieurs ce qu'ils paraissent avoir eu de meilleur, Comte fonde donc le positivisme : celui-ci renonce aux recherches métaphysiques pour se consacrer uniquement à l'étude des faits....

 

Né à Montpellier, Auguste Comte est reçu à Polytechnique en 1814 et sera quelques temps secrétaire cle Casimir Périer, rencontre au Palais-Royal Caroline Massin, une prostituée que plus tard il épousera, se proposant peut-être de la sauver de ses anciennes "erreurs". Puis, "sorti de l'Ecole polytechnique, il reste à Paris, et, tandis qu'il donne des leçons pour vivre, il complète son instruction scientifique auprès de Delambre, de Blainville, du baron Thénard. Il lit assidûment Fontenelle, d'Alembert, Diderot, surtout Condorcet, qui a extrait et clarifié la substance philosophique du XVIIIe siècle. Tout en étudiant Descartes, et les grands mathématiciens qui sont venus après lui, il suit aussi avec attention les travaux des naturalistes et des biologistes, de Lamarck, par exemple, de Cuvier, de Gall, de Cabanis, de Bichat, de Broussais et de tant d'autres. Il comprend l'importance philosophique de ces sciences nouvelles, que Diderot avait déjà signalée. Mais il ne néglige pas pour cela les études historiques et sociales. Il a lu les idéologues, parmi lesquels il estime surtout Destutt de Tracy. Sans abandonner Montesquieu ni Condorcet, il étudie les traditionnalistes : M. de Bonald, ce "penseur énergique" et, plus que tous les autres, Joseph de Maistre, qui a fait sur son esprit l'impression la plus profonde et la plus durable. Avant donc de connaître Saint-Simon, — et sa correspondance avec son ami Valat en fait foi, — Comte possédait déjà une bonne partie des matériaux de son futur système" (Lucien Lévy-Bruhl).

Dès le mois dès le mois d'août 1817, Comte entre dans l'équipe de l'Industrie, publication fondée par Saint-Simon et destinée à mettre en rapports les banquiers, les producteurs et les savants. En 1819, "L'Organisateur" publie la fameuse "Parabole" où Saint-Simon montre que la France perdrait moins à la disparition de la famille royale et de toute la noblesse, qu'à celle de ses savants, de ses industriels et de ses agriculteurs. Saint-Simon dissipera toute sa fortune dans ces diverses tentatives, ruiné tentera de se suicider et sera secouru par certains de ses disciples, dont Auguste Comte, A.Thierry et Enfantin. Durant cette époque saint-simonienne, Auguste Comte publia la "Séparation générale entre les opinions et les désirs" (1819), la "Sommaire Appréciation de l'ensemble du passé moderne" (1820), et le "Plan des travaux scientifiques nécessaires pour réorganiser la société".

En 1824, Saint-Simon fait paraître son "Catéchisme des Industriels" et Comte y sera chargé de la rédaction du troisième volume, grande collaboration mais aussi dernier témoignage d'une relation, tant la divergence de vues entre les deux sur les moyens à mettre en oeuvre pour réaliser le programme du mouvement, est profond. Ce qui avait attiré Comte vers Saint-Simon était l'idée de la prépondérance de l`industrie, d'ailleurs inséparable de la science, et l'idée complémentaire d'une rénovation spirituelle, d'un "nouveau christianisme" fondé sur une justice distributive. Mais quant au problème pratique de la réorganisation de la société, alors que Saint-Simon pensait pouvoir l'aborder tout de suite, sans autres recherches théoriques, Comte souhaitait au contraire l'approfondir préalablement par de nouvelles études. Il fallait avant tout, pensait-il, donner à l'intelligence les nouvelles habitudes qu`exige l'état des sciences. Et pour cela il faut d`une part fonder une science des phénomènes sociaux, et d'autre part s`habituer à une connaissance encyclopédique des sciences dont l'ensemble seul rend possible l`étude particulière de ladite science sociale. A ces deux thèmes essentiels de la pensée de Comte, s`ajoutait une notion que le saint-simonisme n`a pu que fortifier dans son esprit, celle de l'antithèse des époques critiques ou révolutionnaires et des époques organiques ou stables. Ces époques s`opposaient comme l'idée de l'individu à celle du pouvoir, et Comte appuiera toujours ce qui accroît et fortifie le pouvoir, allant jusqu'à justifier la dictature, seule capable, dans la diversité des opinions, d'assurer la marche du progrès....

 

1818-1821 - Auguste Comte fut d'abord saint-simonien et publie en 1822, sans nom d'auteur, un opuscule qui constitua en le 3e fascicule du" Catéchisme des industriels" de Saint-Simon. C'est là qu'il formule pour la première fois sa « loi des trois états» : toute connaissance humaine passe par trois états successifs, l'état théologique, l'état métaphysique et l'état positif. Cette loi est applicable d'après lui à la sociologie comme aux autres sciences. La société est également passée par ces trois états, l'état théologique, qui correspond à la période médiévale, en Europe, caractérisée par sa croyance dans le surnaturel, et qui a pris fin à l'avènement du protestantisme, l'état métaphysique, qui voit se développer la spéculation sur la nature de la réalité et dont la Révolution a marqué l'apogée, et l'état positif; l'âge positiviste, au seuil du XIXe siècle une attitude purement scientifique  s'élabore, fondée sur l'observation de phénomènes réguliers er récurrents, et qui débouchera sur une complète réorganisation sociale. 

 

1822, SYSTEME DE POLITIQUE POSITIVE, troisième cahier du "Catéchisme des industriels", ou "Plan des travaux scíentifiques pour réorganiser la société"...

Disciple de Saint-Simon (1760-1852), Auguste Comte signe d'abord un petit opuscule intitulé "Système de politique positive" qui constituait la troisième partie du "Catéchisme des industriels", 4 cahiers publiés entre 1822-1824 et inspirés  par la nécessité d'étudier, dans la vie moderne, les éléments qui facilitent le progrès et ceux qui empêchent toute forme de saine politique. L'étude du caractère et du pouvoir des industriels permettait ainsi, par exemple, d'expliquer l'utilité de l'industrie bancaire. Les savants et les industriels sont bien de grands contributeurs au rêve de rédemption et de bonheur de l'humanité. Après sa brouille avec Saint-Simon, Comte donnera ce même titre à son œuvre maîtresse...

Lors de sa réédition (1824), Comte voulut marquer la séparation entre sa pensée et celle de son maître, et malgré sa forme obscure et souvent paradoxale, l`exposé de cette nouvelle "politique positive"  permet de juger ce qui distingue ces deux grandes théories, saint-simonisme et positivisme, qui vont exercer une énorme influence en France au XIXe siècle. Comte y examine l`histoire de l`humanité, depuis les origines jusqu`à son temps, et sous l`influence de Hegel, la partage en différentes époques, théologique, métaphysique et positive, lorsqu'enfin l'être humain parvint à formuler clairement un certain nombre de lois positives, c`est-à-dire liées à l`étude des phénomènes qui ressortissent à l`expérience. Cette nouvelle époque. qui est l'époque moderne, met fin aux incertitudes et aux divagations des époques antérieures; mais ainsi que dans les sciences on laisse de côté, comme entièrement inutile, toute vaine recherche sur les causes et les effets (sur la création du monde et sur la finalité de l`Univers), de même doit-on agir en politique. L`être humain doit dominer les phénomènes en connaissant leurs lois : à l'instar du physicien qui ne songe plus à la  finalité de Ia chute des corps mais étudie avec précision les lois de la nature sans rechercher la vérité en dehors d`elle, il doit en politique laisser de côté les préjugés religieux et moraux hérités du passé et s`occuper uniquement d`en fixer les lois ; c`est à cette méthode que l'astronomie, la chimie et les autres sciences doivent leurs progrès. Les phénomènes de la société moderne méritent, eux aussi, d`être étudiés d`une manière nouvelle et plus complète : la Révolution a ouvert à la recherche un champ illimité. Utile jadis contre le système théologico-féodal, la politique métaphysique doit être abandonnée, la liberté de conscience et la souveraineté du peuple constituent autant de mythes qui ne servent plus

à rien (au détour, la soumission de Comte à Napoléon III sera déplorée par ses meilleurs disciples).Dans le domaine social, on a le choix entre l`ancien système de guerres entre les peuples et une intensification rationnelle de la production dans l`intérêt commun. Il va de soi que seule cette dernière est conforme au principe positiviste. ll convient d'organiser la production dans ses différents secteurs, de la production à la distribution.

C`est contre ce point de vue purement technocratique en matière d`organisation du travail que s`éleva Saint-Simon : il fera observer que. tout en se conformant strictement à sa doctrine, son disciple en avait oublié les principes moraux et religieux, et fit à ce sujet une nouvelle mise au point dans le quatrième cahier du Catéchisme des industriels. Comte, 

de son côté, republia son essai dans le quatrième volume de son Système de politique positive en revendiquant l'originalité de son système....

 

1824, Auguste Comte s'habille désormais intégralement en noir et cultive une image d'austérité. En 1826, ayant épousé Caroline Massin mais aux prises avec de grandes difficultés matérielles, Comte décide d'ouvrir dans son appartement même un cours de philosophie positive : dès la première séance, il rencontre un grand succès, jusqu'à ce fameux troisième cours où il est victime d`une violente crise cérébrale, est mis en traitement à Enghien, et reprend à nouveau ses Cours, en 1829, 159, rue Saint-Jacques, son médecin, Esquirol, est désormais parmi ses élèves.

En 1830, Comte enseigne à l`Athénée, et en juillet de cette même année, il publie le premier tome de son "Cours de philosophie positive", qui en comptera six, et qui paraîtront en 1835, 1838, 1839 et 1842. Il y expose cette réforme intellectuelle dont Comte faisait la condition d`une société rénovée. Les sciences positives sont le contenu et le moyen de cette réforme. Mais celle-ci en retour exige d`elles qu`elles s'engagent dans certaines directions et s'astreignent à certaines limites. Comte se déclare-t-il ainsi totalement hostile au calcul des probabilités, aux recherches sur la composition physique des astres ou intime de la matière, aux théories de l`évolution des espèces ou de l'origine historique des sociétés. On l'oublie, mais c'est que la science, selon Comte, doit rechercher des relations entre phénomènes, mais se doit d'ignorer la nature profonde et la raison d`être des choses réelles, et ce d'autant plus qu'elle a pour but de hâter le passage des conceptions subjectives de l'âge métaphysique aux conceptions objectives....

 

COURS DE PHILOSOPHIE POSITIVE (1830-1842)

Exposé systématique et encyclopédique de la science philosophique positive, - sans doute le plus solide de tous les textes de l'auteur -,  que Comte fait précéder cet sa fameuse  "loi des trois états", ou phases successives par lesquelles passe le développement de la pensée humaine : 1) l'état "théologique", dans lequel l'esprit recherche la nature première des choses, les essences et les causes finales, et se représente les phénomènes comme des produits de l'action directe et continue d'agents surnaturels; 2) l`état "métaphysique" (ou abstrait), simple modification de l'état précédent ; les agents surnaturels deviennent des forces abstraites, "des abstractions personnifiées", considérées comme capables de produire toutes seules les phénomènes; dans cet état, "expliquer" les phénomènes signifie attribuer à chacun l`abstraction correspondante; 3) enfin l'état "positif", dans lequel l'esprit humain renonce à rechercher l'origine et le but des choses (causes premières et causes finales) et, combinant expérience et raisonnement, se contente de déterminer les lois effectives des phénomènes, c'est-à-dire leurs relations invariables de succession et de similitude. Expliquer les phénomènes signifie dès lors établir un lien entre les divers phénomènes particuliers et certains faits généraux, dont le progrès de la science cherche toujours à diminuer le nombre. La philosophie positive considère donc tous les phénomènes comme des objets soumis à des lois naturelles invariables et élimine le problème des causes comme inexistant. 

Le but de la science est la prévision, "savoir pour prévoir". Dans toutes les branches de la connaissance. la philosophie positive a donc remplacé la mentalité théologique et métaphysique, seule la philosophie des phénomènes sociaux (la "physique sociale") n`a pas encore atteint ce stade : c'est donc le grand but que doit se proposer notre époque. Mais la philosophie sociale englobe l'ensemble du système des sciences; c`est pourquoi l'exposé des lignes fondamentales d'une telle philosophie doit être précédé de l'exposé des sciences considérées sous leur aspect philosophique : c'est-à-dire dans leur rapport avec le système unitaire du savoir, autrement dit en se plaçant au double point de vue des méthodes et des résultats.

Les sciences se classent selon un ordre naturel de généralité et de simplicité décroissantes, qui correspond historiquement aux diverses époques auxquelles elles sont parvenues au stade positif : les mathématiques, l'astronomie, la physique, la chimie, la biologie, enfin la philosophie sociale, base et couronnement de tout le système, et objet propre de la philosophie. Dans cette dernière science, Auguste Comte rassemble la philosophie de l'histoire, de la culture, la gnoséologie et la religion elle-même. En effet tout le savoir est privé de sens s'il ne finit pas par être rapporté à l'être humain; mais pour Auguste Comte, comme pour Marx, ce dernier n'est pas l'objet de la philosophie en tant qu'individu isolé; c'est l'être humain au sein de la société qu`il faut considérer.

C'est pourquoi le réalisme et l'objectivisme qui se trouvent à la base de la philosophie d`Auguste Comte ne rappellent pas le réalisme dogmatique de la philosophie pré-kantienne, mais un objectivisme qui développe de façon originale certaines conquêtes de Hegel et de son école. La sociologie positiviste est encore incertaine; elle regarde l'histoire de sociétés humaines du point de vue de la loi des trois états : pour elle, l'histoire de la société se ramène tout d'abord à la libération progressive du mythe de la transcendance, puis à l'organisation juridique et politique fondée sur l`idée de possession, enfin au culte de l'humanité dans lequel les êtres humains, sur un plan d'égalité, se gouverneront démocratiquement.

La politique du Cours est encore intellectualiste ; par la suite, dans le "Système de politique positive" et dans le "Catéchisme positiviste", les éléments sentimentaux prévaudront, et le problème posé par la sociologie philosophique se perdra dans une théorie utopique....

 

La Philosophie positive - Refusant de séparer science et philosophie, Comte fait de la philosophie une sorte de science des sciences ...

 

"J'emploie le mot philosophie dans l'acception que lui donnaient les anciens, et particulièrement Aristote, comme désignant le système général des conceptions humaines [...]. Par philosophie positive, comparée à sciences positives, j'entends seulement l'étude propre des généralités des différentes sciences, conçues comme soumises à une méthode unique, et comme formant les différentes parties d'un

plan général de recherches...

Il suffit  (...) de faire de l'étude des généralités scientifiques une grande spécialité de plus. Qu'une classe nouvelle de savants, préparés par une éducation convenable, sans se livrer à Ia culture spéciale d'aucune branche particulière s'occupe uniquement, en considérant les diverses sciences positives dans leur état actuel, à déterminer exactement l'esprit de chacune d'elles, à découvrir leurs relations et leur enchaînement, à résumer, s'il est possible, tous leurs principes propres en un moindre nombre de principes communs, en se conformant sans cesse aux maximes fondamentales de la méthode positive..."

(Cours de philosophie positive, I.)

 

De la si fameuse "LOI DES TROIS ETATS" - Le développement de la pensée, aussi bien pour l'individu que pour l'espèce humaine, obéit å la loi des trois états ...

 

"Pour expliquer convenablement la véritable nature et le caractère propre de la philosophie positive, il est indispensable de jeter d'abord un coup d'oeil général sur la marche progressive de l'esprit humain, envisagée dans son ensemble : car une conception quelconque ne peut être bien connue que par son histoire.

En étudiant  le développement total de l'intelligence humaine dans ses diverses sphères d'activité, depuis son premier essor, le plus simple, jusqu'à nos jours, je crois avoir découvert une grande loi fondamentale, à laquelle il est assujetti par une nécessité invariable, et qui me semble pouvoir être solidement établie, soit sur les preuves rationnelles fournies par la connaissance de notre organisation, soit sur les vérifications historiques résultant d`un examen attentif du passé. Cette loi consiste en ce que chacune de nos conceptions principales, chaque branche de nos connaissances, passe successivement par trois états théoriques différents : l'état théologique ou fictif; l'état métaphysique, ou abstrait; l'état scientifique, ou positif.

En d'autres termes, l'esprit humain, par sa nature, emploie successivement dans chacune de ses recherches trois méthodes de philosopher, dont le caractère est essentiellement différent et même radicalement opposé : d'abord la méthode théologique. ensuite la méthode métaphysique, et enfin la méthode positive. 

De là, trois sortes de philosophies, ou de systèmes généraux de conceptions sur l'ensemble des phénomènes, qui s'excluent mutuellement : la première est le point de départ nécessaire de l'intelligence humaine, la troisième son état fixe et définitif, la seconde est uniquement destinée à servir de transition.

Dans l'état théologique, l`esprit humain dirigeant essentiellement ses recherches vers la nature intime des êtres, les causes premières et finales de tous les effets qui le frappent, en un mot vers les connaissances absolues, se représente les phénomènes comme produits par l'action directe et continue d'agents surnaturels plus ou moins nombreux, dont l'intervention arbitraire explique toutes les anomalies apparentes de l'univers.

Dans l'état métaphysique, qui n'est au fond qu'une simple modification générale du premier, les agents surnaturels sont remplacés par des forces abstraites, véritables entités (abstractions personnifiées) inhérentes aux divers êtres du monde, et conçues comme capables d'engendrer par elles-mêmes tous les phénomènes observés, dont l'explication consiste alors à assigner pour chacun l'entité correspondante.

Enfin, dans l'état positif, l'esprit humain, reconnaissant l'impossibilité d`obtenir des notions absolues, renonce à chercher l'origine et la destination de l'univers, et à connaître les causes intimes des phénomènes, pour s`attacher uniquement à découvrir, par l'usage bien combiné du raisonnement et de l'observation, leurs lois effectives, c'est-a-dire leurs relations invariables de succession et de similitude. L'explication des faits, réduite alors à ses termes réels, n'est plus désormais que la liaison établie entre les divers phénomènes particuliers et quelques faits généraux, dont les progrès de la science tendent de plus en plus à diminuer le nombre.

Le système théologique est parvenu à la plus haute perfection dont il soit susceptible, quand il a substitué l'action providentielle  d'un être unique au jeu varié des nombreuses divinités indépendantes qui avaient été imaginées primitivement. De même, le dernier terme du système métaphysique consiste à concevoir, au lieu des différentes entités particulières, une seule grande entité générale, la nature, envisagée comme la source unique de tous les phénomènes. Pareillement, la perfection du système positif, vers laquelle il tend sans cesse, quoiqu'il soit très probable qu'il ne doive jamais l'atteindre, serait de pouvoir se représenter tous les divers phénomènes observables comme des cas particuliers d'un seul fait général, tel que celui de la gravitation, par exemple ...

(...) Cette révolution générale de l'esprit humain peut d'ailleurs être aisément constatée aujourd'hui, d'une manière très sensible, quoique indirecte, en considérant le développement de l'intelligence individuelle. Le point de départ étant nécessairement le même dans l'éducation de l'individu que dans celle de l'espèce, les diverses phases principales de la première doivent représenter les époques fondamentales de la seconde. Or, chacun de nous, en contemplant sa propre histoire, ne se souvient-il pas qu'il a été successivement, quant à ses notions les plus importantes, théologien dans son enfance, métaphysicien dans sa jeunesse et physicien dans sa virilité? Cette vérification est facile aujourd'hui pour tous les hommes au niveau de leur siècle...."

(ibid, I.)

 

La sociologie - Successivement les Mathématiques, l'Astronomie, la Physique, la Chimie, la Biologie sont parvenues à l`état positif. Il reste une dernière discipline à constituer scientifiquement, la Sociologie ou Physique sociale ....

 

"Sans admirer ni maudire les faits politiques et en y voyant essentiellement, comme en toute autre science, de simples sujets d'observation, la physique sociale considère donc chaque phénomène sous le double point de vue élémentaire de son harmonie avec les phénomènes coexistants, et de son enchaînement avec l'état antérieur et l'état postérieur du développement humain; elle s'efforce, à l'un et à l'autre titre, de découvrir, autant que possible, les vraies relations générales qui lient entre eux tous les faits sociaux; chacun d'eux lui paraît expliqué, dans l'acception vraiment scientifique du terme, quand il a pu être convenablement rattaché, soit à l'ensemble de la situation correspondante, soit à l'ensemble du mouvement précédent, en écartant toujours soigneusement toute vaine et inaccessible recherche de la nature intime et du mode essentiel de production des phénomènes quelconques. Développant au plus haut degré le sentiment social, cette science nouvelle, selon la célèbre formule de Pascal, dès lors pleinement réalisée, représente nécessairement d'une manière directe et continue la masse de l'espèce humaine, soit actuelle, soit passée, soit même future, comme constituant, à tous égards, et de plus en plus, ou dans l'ordre des lieux ou dans celui des temps, une immense et éternelle unité sociale, dont les divers organes individuels ou nationaux. unis sans cesse par une intime et universelle solidarité, concourent inévitablement, chacun suivant un mode et un degré déterminés, ä l`évolution fondamentale de l'humanité, conception vraiment capitale et toute moderne qui doit devenir ultérieurement la principale base rationnelle de la morale positive...."

(Ibid. IV)

 

Les sciences - Si Comte affirme que la science est au service de l'action, il n'en maintient pas moins qu'elle répond d'abord à une curiosité naturelle de l'intelligence humaine ...

 

"Quand on envisage l'ensemble complet des travaux de tout genre de l'espèce humaine, on doit concevoir l'étude de la nature comme destinée à fournir la véritable base rationnelle de l'action de l`homme sur la nature, puisque la connaissance des lois des phénomènes, dont le résultat constant est de nous faire prévoir, peut seule évidemment nous conduire, dans la vie active, à les modifier à notre avantage, les uns par les autres. Nos moyens naturels et directs pour agir sur les corps qui nous entourent sont extrêmement faibles, et tout à fait disproportionnés a nos besoins. Toutes les fois que nous parvenons à exercer une grande action, c'est seulement parce que la connaissance des lois naturelles nous permet d'introduire, parmi les circonstances déterminées sous l'influence desquelles s`accomplissent les divers phénomènes, quelques éléments modificateurs, qui, quelque faibles qu'ils soient en eux-mêmes, suffisent, dans certains cas, pour faire tourner à notre satisfaction les résultats définitifs de l'ensemble des causes extérieures, En résumé, science, d'où prévoyance; prévoyance, d`où action :  telle est la formule très simple qui exprime d'une manière exacte, la relation générale de la science et de l'art, en prenant ces deux expressions dans leur acception totale.

Mais, malgré l'importance capitale de cette relation, qui ne doit jamais être méconnue, ce serait se former des sciences une idée bien imparfaite que de les concevoir seulement comme les bases des arts, et c`est à quoi malheureusement on n`est que trop enclin de nos jours. Quels que soient les immenses services rendus à l'industrie par les théories scientifiques, quoique, suivant l'énergique expression de Bacon, la puissance soit nécessairement proportionnée à la connaissance, nous ne devons pas oublier que les sciences ont, avant tout, une destination plus directe et plus élevée, celle de satisfaire au besoin fondamental qu`éprouve notre intelligence de connaître les lois des phénomènes. Pour sentir combien ce besoin est profond et impérieux, il suffit de penser un instant aux effets physiologiques de l'étonnement, et de considérer que la sensation la plus terrible que nous puissions éprouver est celle qui se produit toutes les fois qu'un phénomène nous semble s`accomplir contradictoirement aux lois naturelles qui nous sont familières. Le besoin de disposer les faits dans un ordre que nous puissions concevoir avec facilité (ce qui est l'objet propre (le toutes les théories scientifiques) est tellement inhérent à notre organisation que, si nous ne parvenions pas à le satisfaire par des conceptions positives, nous retournerions inévitablement aux explications théologiques et métaphysiques auxquelles il a primitivement donné naissance, comme je l'ai exposé dans la dernière leçon..."

(Ibid, l, 2.)

 

L'homme - Contre les psychologues de son temps, Comte affirme que la connaissance de l'homme ne saurait résulter de l'introspection ...

 

"Ils ont imaginé, dans ces derniers temps, de distinguer, par une subtilité fort singulière, deux sortes d'observation d`égale importance, l'une extérieure, l'autre intérieure, et dont la dernière est uniquement destinée à l'étude des phénomènes intellectuels. Ce n`est point ici le lieu d'entrer dans la discussion spéciale de ce sophisme fondamental. Je dois me borner à indiquer la considération principale qui prouve clairement que cette prétendue contemplation directe de l`esprit par lui-même est une pure illusion.

On croyait, il y a encore peu de temps, avoir expliqué la vision, en disant que l'action lumineuse des corps détermine sur la rétine des tableaux représentatifs des formes et des couleurs extérieures. A cela les physiologistes ont objecté avec raison que, si c'était comme images qu'agissaient les impressions lumineuses, il faudrait un autre oeil pour les regarder. N'en est-il pas encore plus fortement de même, dans le cas présent?

ll est sensible, en effet, que, par une nécessite invincible, l`esprit humain peut observer directement tous les phénomènes, excepté les siens propres. Car, par qui serait faite l'observation?  (...) Le meilleur moyen de connaitre les passions sera toujours de les observer en dehors; car tout état de passion très prononcé, c'est-à-dire précisément celui qu'il serait le plus essentiel d'examiner, est nécessairement incompatible avec l'état d'observation  Quant à observer  les phénomènes intellectuels pendant qu`ils s'exécutent, il y a impossibilité manifeste. L'individu pensant ne saurait se partager en deux, dont l`un raisonnerait, tandis que l'autre regarderait raisonner. L'organe observé et l`organe observateur étant, dans ce cas, identiques, comment l'observation pourrait-elle avoir lieu? 

Cette prétendue méthode psychologique est donc radicalement nulle dans son principe. Aussi, considérons à quels procédés profondément contradictoires elle conduit immédiatement ! D'un côté, on vous recommande de vous isoler, autant que possible, de toute sensation extérieure; il faut surtout vous interdire tout travail intellectuel; car, si vous étiez seulement occupés à faire le calcul le plus simple, que deviendrait l'observation intérieure? D'un autre côté, après avoir, enfin, à force de précautions, atteint cet état parfait de sommeil intellectuel, vous devrez vous occuper à contempler les opérations qui  s`exécuteront dans votre esprit lorsqu'il ne s'y passera plus rien! Nos descendants verront sans doute de telles prétentions transportées un jour sur la scène...."

(ibid, 1.)

 

En 1831, Comte échoue à la candidature ouverte à la chaire d'analyse de l'Ecole Polytechnique mais devient l'année suivante répétiteur à l'Ecole, et c'est de ce métier qu'il va désormais, péniblement, vivre. En 1842 il se sépare définitivement de Caroline. Sa préface du sixième de ses Cours ayant attaqué vivement Carnot, il perd en 1844 son poste d'examinateur et se retrouve sans ressources. A partir de ce moment, Comte vivra surtout des contributions volontaires de ceux que le positivisme a séduits, ce seront John Stuart Mill et de riches Anglais, puis Emile Littré qui ouvre une souscription à son intention....

 

1844 - Evènement capital dans la vie d'Auguste Comte, sa rencontre avec Clotilde de Vaux. A sa mort en 1846, Comte lui vouera un véritable culte, elle deviendra la patronne du positivisme. Clotilde de Vaux était alors âgée de trente ans, mariée mais avec un mari qui a quitté la France à la suite d'une escroquerie. Elle est phtisique et se sait condamnée. De 1844 à sa mort, qui survient en avril 1846, Comte sera son confident et son ami, et par la suite attribuera un rôle prééminent à la femme dans sa doctrine. Auguste Comte rêve d'une religion de l`Humanité, dont il se proclame le grand prêtre, et dont les rites se placent sous le signe du souvenir de Clotilde, une pensée religieuse qui découle de l'application à la philosophie de l'histoire de la loi comtienne des trois états. Réalisation d'un destin final, d`une religion, conçue comme le pouvoir de rallier les volontés individuelles, et qui remplace la "régence de Dieu" par le règne du concept d'humanité. Il y a toujours, dans cette pensée dernière de Comte, le souvenir du messianisme saint-simonien, et une réflexion sur le sentiment, distinct de l'intelligence et de la volonté, et qui devient la véritable origine de ce culte et du lien futur des êtres humains mes entre eux. Ce souci religieux va l'entraîner dans des aménagements assez contestables de sa doctrine,  le voici faisant place dans le positivisme aux rites et aux sacrements, et même à la notion d'une Vierge-Mère et à celle de la Trinité, une trinité positiviste formée du Grand Milieu, qui est l'espace, du Grand Fétiche, qui est la terre, et du Grand Etre, qui est l`humanité...

 

1848 - Alors que la Révolution de 1848 voit éclore dans Paris un grand nombre de clubs, les évènements conduisent Comte à penser que ce qu'il appelle l'âge positif est sur le point d'advenir : en février 1848 il élabore un projet d'Association libre pour l'instruction positive du peuple dans tout l'Occident européen, avec une devise, Ordre et Progrès, un projet qui ne sera pas autorisé. Comte regroupe alors autour de lui ses disciples dans une Société positiviste, et fait un cours sur l'histoire de l'humanité. 

1851 - Alors critique vis-à-vis du prince Louis-Napoléon, voici Comte soutenir le coup d'État du 2 décembre 1851 dans l'espoir de le convertir au positivisme, son fameux «tournant conservateur» qui l'isole un peu plus. De 1851 à 1854, il publie son "Système de philosophie positive ou traité de sociologie instituant la religion de l'Humanité, sa doctrine devenue essentiellement religieuse trouve d`ailleurs son expression naturelle dans un "Catéchisme positiviste" (1852), "onze entretiens systématiques entre une Femme et un prêtre de l'Humanité". Et Comte lui-même vit maintenant comme un prêtre.  En 1856, il publie la "Synthèse subjective ou système universel des conceptions propres à l'état normal de l'humanité" et meurt en 1857 sans avoir pu achever son oeuvre...

 

SYSTÈME DE POLITIQUE POSITIVE 

ou Traité de sociologie instituant la religion de l'humanité. 

Cet ouvrage de quinze cents pages, paru de 1851 à 1854, est la bible du positivisme français dans laquelle Auguste Comte expose sa conception philosophique et prophétique de l'`humanité. En cette époque de grand espoir scientifique et politique, qui vit naître une extraordinaire floraison d'ouvrages sur l`avenir du monde et de la société, Auguste Comte va se distinguer par le caractère purement philosophique et abstrait de sa pensée. 

Il se distingue en particulier des socialistes de son temps, en reléguant tous les problèmes concrets de la politique et de l'économie au rang de détails pratiques, en gardant sa foi pour la seule éducation philosophique : pour réconcilier le monde, il suffira de "faire prévaloir l`influence paisible et certaine, mais indirecte et graduelle, du sentiment et de la raison, secondée par une sage opinion publique, sous l`impulsion systématique des philosophes, assistés d`une libre adhésion populaire". L`omnipotence de la philosophie abstraite est telle que la science devient superflue :"Les sciences vraiment concrètes resteront toujours interdites à notre faible intelligence et inutiles à notre sage activité [...] Ces stériles travaux zoologiques et géologiques consument mal à propos des forces qu`il importe de réserver pour leur sainte destination : le Grand Être". 

C'est donc une religion abstraite que Comte propose et prévoit pour sauver l`humanité de la guerre, des antagonismes sociaux et du "théologisme ". L`ouvrage va développer dans toutes ses dimensions cet acte de foi en un Grand Être rationnel. 

Un premier volume d`introduction expose la démarche positiviste : la philosophie positiviste est l'accomplissement de la pensée humaine après sa lente progression à travers les sciences de plus en plus complexes, de la cosmologie (mathématiques, physique, chimie) à la biologie, et jusqu`à leur synthèse finale : la sociologie. 

Le second volume, "Statique sociale, ou Traité abstrait de l`ordre humain", étudie la structure sociale. La "théorie positiviste de la famille" prévoit l`extension du sentiment familial aux groupes humains les plus étendus : pour subordonner l`égoïsme à l`altruisme, il faudra "systématiser l`influence spontanée du sentiment féminin sur l`activité masculine". La "théorie positiviste du langage" prévoit l'unification des moyens d`expression vers leur sainte destination; le rôle de l`art sera d`idéaliser le passé et d`offrir "des tableaux anticipés de la régénération humaine". La "théorie positiviste de l`organisme humain" affirme sa foi dans un renforcement graduel de la cohésion sociale sous l`autorité bénéfique des philosophes, qui devront cependant "rester toujours aussi étrangers à la fortune qu`à la domination". La "théorie positiviste de l`existence sociale systématisée par le sacerdoce"  expose le rôle futur du prêtre de l`humanité; il dirigera l'éducation universelle et corrigera toute erreur "en invoquant le sentiment puis la raison chez quiconque s'égarera". En conclusion. le progrès de l`humanité est défini comme "la régularisation croissante de l`ordre humain par l`aptitude progressive des hommes à systématiser leur destinée". 

Le troisième volume, intitulé "Dynamique sociale ou Traité général de progrès humain" expose la philosophie positiviste de l'histoire. Comte y reprend sa célèbre distinction des âges de l'humanité. Le quatrième volume est un "Tableau synthétique de l`avenir humain" : la grande clarté positiviste étant descendue sur tous les êtres humains, l`humanité formera enfin un tout sans défaut, s`ordonnant harmonieusement dans toutes ses activités :  l`industrie pour s`enrichir, la science et l'éducation pour se connaître, les beaux-arts pour s`embellir et la religion pour s'aimer. Cette apothéose de l`humanité est aussi apothéose de l`ordre.... Et l'ouvrage ordonné en classifications abstraites et catégories rigoureuses, dans une démarche plus mécanique que dialectique, - "la constance des relations naturelles résulte de la conciliation permanente des lois biologiques avec les lois cosmologiques" -, ici, rien ne se crée, le progrès n`est jamais que le renforcement continu de l`ordre...

 

C'est dans la biologie et dans la sociologie que nous découvrons la vérité de l'être humain. Et notamment, c'est parce qu'il est un être social que l'être humain est être humain ...

 

"Quoique beaucoup de races soient douées de la sociabilité, cette éminente aptitude ne se développe réellement que dans le genre humain. Là, seulement elle offre ses deux attributs caractéristiques, une entière solidarité, et surtout une continuité éternelle.

Quoique toute espèce sociable tende spontanément à former un Grand-Être, une seule peut réellement y parvenir. Cette unité sociocratique résulte directement de deux attributs d'immensité et d'éternité qui caractérisent l'organisme collectif. A chacun de ces titres, les divers Grands-Êtres ainsi possibles deviennent nécessairement incompatibles. Le plus puissant d`entre eux doit donc subjuguer bientôt tous les autres, ou même détruire les plus indisciplinables. Ce conflit est d'autant moins évitable que, comme je vais l'indiquer, l'espèce

prépondérante est naturellement carnassière. Elle se trouve ainsi forcée de soumettre les herbivores qui doivent assurer sa nutrition, et de surmonter la concurrence des autres carnivores. Si donc l'intelligence animale s'arrête spontanément sur le seuil de notre premier degré encyclopédique, cela tient moins à sa propre infériorité qu'au défaut de société convenable  On a beaucoup exagéré l'infériorité mentale des animaux, faute de distinguer assez entre les aptitudes individuelles et les résultats sociaux. Par exemple, l'institution du langage, d'abord naturel, puis artificiel, qui a tant influé sur notre essor intellectuel, doit être surtout rapportée à la société, comme l'indique leur marche simultanée, L`infériorité intellectuelle de plusieurs races peut donc tenir moins à leur imperfection cérébrale qu'à l`impossibilité de leur développement collectif..."

(Système de Politique positive, I.)

 

"La décomposition de l'humanité en individus proprement dits ne constitue qu'une analyse anarchique, autant irrationnelle qu'immorale, qui tend à dissoudre l`existence sociale au lieu de l'expliquer, puisqu'elle ne devient applicable que quand l'association cesse. Elle est aussi vicieuse en sociologie que le serait, en biologie, la décomposition chimique de l'individu lui-même en molécules irréductibles, dont la séparation n'a jamais lieu pendant la vie. A la vérité, quand l`état social se trouve profondément altéré, la dissolution pénètre, à un certain

degré, jusqu'à la constitution domestique, comme on ne le voit que trop aujourd'hui. Mais, quoique ce soit la le plus grave de tous les symptômes anarchiques, on peut alors remarquer, d'une part, la disposition universelle à maintenir autant que possible les anciens liens domestiques, et, d'une autre part, la tendance spontanée à former de nouvelles familles, plus homogènes et plus stables. Ces cas maladifs confirment donc eux-mêmes l'axiome élémentaire de la sociologie statique : la société humaine se compose de familles et non d`individus. 

Suivant un principe philosophique posé, depuis longtemps, par mon ouvrage fondamental, un système quelconque ne peut être formé que d`éléments semblables à lui et seulement moindres. Une société n`est donc pas plus décomposable en individus qu'une surface géométrique ne l`est en lignes, ou une ligne en points. La moindre société, savoir la famille, quelquefois réduite à son couple fondamental, constitue donc le véritable élément sociologique. De là dérivent ensuite les groupes plus composés qui, sous le nom de classes et de cités, deviennent, pour le Grand-Être, les équivalents des tissus et des organes biologiques."

(Ibid, II.)

 

Une étude positive de l'être humain nous révèle aussi qu'il doit "agir par affection et penser pour agir", l'esprit étant toujours "le ministre du cœur" ...

 

"Même dans la vie privée, il ne peut régner entre nos diverses tendances une harmonie continue que par l'universelle prépondérance du sentiment qui nous inspire la volonté sincère et habituelle de faire le bien. Ce penchant est, sans doute, comme tout autre, essentiellement aveugle, et il a besoin du secours de la raison pour connaître les vrais moyens de se satisfaire, de même que l'activité lui devient ensuite indispensable pour les appliquer. Mais l'expérience journalière prouve néanmoins qu'une telle impulsion constitue, en effet, la principale condition du bien, parce que, d'après le degré ordinaire d'intelligence et d`énergie que présente notre nature, cette stimulation soutenue suffit pour diriger avec fruit les recherches de l'une et les entreprises de l`autre. Privées d'un tel mobile naturel, toutes deux s'épuiseraient nécessairement en tentatives stériles ou incohérentes, et retomberaient bientôt dans leur torpeur initiale. Notre existence morale ne comporte donc une véritable unité qu'autant que l'affection domine à la fois la spéculation et l'action.

[...] Au fond, les superbes aspirations de l'intelligence à la domination universelle, depuis que la grande unité théologique s'est irrévocablement rompue, n'ont jamais pu comporter aucune réalisation, et n'étaient susceptibles que d'une efficacité insurrectionnelle contre un régime devenu rétrograde. L'esprit n'est pas destiné à régner, mais à servir :  quand il croit dominer, il rentre au service de la personnalité, au lieu de seconder la sociabilité, sans qu'il puisse nullement se dispenser d`assister une passion quelconque. En effet, le commandement réel exige, par-dessus tout, de la force, et la raison n`a jamais que de la lumière; il faut que l'impulsion lui vienne d'ailleurs. Les utopies métaphysiques, trop accueillies chez les savants modernes, sur la prétendue perfection d'une vie purement contemplative, ne constituent que d'orgueilleuses illusions, quand elles ne couvrent pas de coupables artifices. Quelque réelle que soit, sans doute, la satisfaction attachée à la seule découverte de la vérité, elle n'a jamais assez d'intensité pour diriger la conduite habituelle; l`impulsion d'une passion quelconque est même indispensable à notre chétive intelligence pour déterminer et soutenir presque tous ses efforts...."

(ibid, I.)

 

La morale - Les deux instincts fondamentaux de l'être humain étant la personnalité ou égoïsme, et la sociabilité ou altruisme, la morale consiste dans le triomphe de celle-ci sur celle-là ..

 

"Le positivisme conçoit directement l'art moral comme consistant à faire, autant que possible, prévaloir les instincts sympathiques sur les impulsions égoïstes, la sociabilité sur la personnalité (...)

Ainsi, la morale positive se distingue, non seulement de la morale métaphysique, mais aussi de la morale théologique, en prenant pour principe universel la prépondérance directe du sentiment social. Elle représente le bonheur humain, tant privé que public, comme consistant surtout dans le plus grand essor possible des affections bienveillantes, qui sont à la fois les plus douces à éprouver et les seules dont l'expansion puisse être simultanée chez tous les individus..."

(Ibid, Discours préliminaire.)

 

"Tout individu, homme ou animal, qui, n'aimant rien au dehors, ne vit réellement que pour lui-même, se trouve, par cela seul, habituellement condamné à une malheureuse alternative d`ignoble torpeur et d'agitation déréglée (...) C`est pourquoi le bonheur et le mérite, même personnels, dépendent surtout d'un juste ascendant des instincts sympathiques. Vivre pour autrui devient ainsi le résumé naturel de toute la morale positive (...).

(Ibid, Introduction fondamentale.)

 

L'Amour pour principe, l'Ordre pour base, et le Progrès pour but - De la religion nouvelle, la religion de l'Humanité ....

 

"Le digne concours du cœur avec l'esprit fit enfin surgir, au centre de l'anarchie moderne, le dogme fondamental de l'Humanité, seule base possible de la religion universelle, vainement cherchée, depuis vingt siècles, en Occident et en Orient. Notre unité consiste dès lors à rapporter toujours notre existence, privée ou publique, à cet être immense et éternel, spontanément composé de toutes les individualités vraiment assimilables. Sa destinée normale, constamment subordonnée aux lois immuables de l`ordre universel, domine sans cesse l'essor, personnel ou social, de nos sentiments, de nos pensées, et de nos actions qui ne peut se régulariser pleinement qu`en se consacrant à l`aimer et le connaître afin de le servir. De sa seule notion générale, résulte aussitôt la formule sacrée de la religion positive : l'Amour pour principe, l'Ordre pour base, et le Progrès pour but. Afin de mieux guider la vie réelle, cette règle universelle s`y décompose en deux devises usuelles; l'une, morale et esthétique, Vivre pour autrui; l`autre, politique et scientifique, Ordre et Progrès; spécialement propres au sexe affectif et au sexe actif." (Ill, Préface.)

 

D'une politique nouvelle qui substitue "à l'orageuse discussion des droits la détermination paisible des devoirs"...

 

"Suivant son exacte appréciation de l'ensemble de nos vraies destinées, le positivisme doit enfin régénérer la politique en la réduisant au culte actif de l`Humanité, comme la morale en constitue le culte affectif, et la science avec la poésie le culte contemplatif (...).

Cette régénération décisive consiste surtout à substituer toujours les devoirs aux droits, pour mieux subordonner la personnalité à la sociabilité. Le mot "droit" doit être autant écarté du vrai langage politique que le mot "cause" du vrai langage philosophique. De ces deux notions théologico-métaphysiques, l'une est désormais immorale et anarchique, comme l`autre irrationnelle et sophistique. Egalement incompatibles avec l`état final, elles ne convenaient, chez les modernes, qu'a la transition révolutionnaire, par leur action dissolvante sur le système antérieur. Il ne put exister de droits véritables qu'autant que les pouvoirs réguliers émanèrent de volontés surnaturelles. Pour lutter contre ces autorités théocratiques, la métaphysique des cinq derniers siècles introduisit de prétendus droits humains, qui ne comportaient qu'un office négatif, Quand on tente de leur donner une destination vraiment organique, ils ont bientôt manifesté leur nature anti-sociale, en tendant toujours à conserver l'individualité. Dans l'état positif, qui n`admet plus de titres célestes, l'idée de droit disparaît irrévocablement. Chacun a des devoirs, et envers tous; mais personne n`a aucun droit proprement dit. Les justes garanties individuelles résultent seulement de cette universelle réciprocité d`obligation, qui reproduit l'équivalent moral des droits antérieurs, sans offrir leurs graves dangers politiques. En d'autres termes, nul ne possède plus d'autre droit que celui de toujours faire son devoir. C'est uniquement ainsi que la politique peut enfin se subordonner réellement à la morale ..."

(l, Discours préliminaire.)

 

SYNTHESE SUBJECTIVE (1857)

ou Système universel des conceptions propres à l'état normal de l'humanité

Seule l'introduction de la première partie, le Système de logique positive ou Traité de l'éducation universelle, a été publiée. Il s'agit de préparer les esprits, par des habitudes de précision et de clarté, à aborder l'étude de la morale, mais comme on ne peut se dispenser de faire appel non seulement à nos facultés d'abstraction, mais surtout aux sentiments. Le but à atteindre est le Grand Être, c'est-à-dire la plénitude du genre humain, et Comte est ainsi amené à introduire des éléments religieux, tout en n'abdiquant rien des exigences de l'esprit scientifique. Tout veut être ordonné pour institué une époque "organique" à laquelle il aspire plus que tout...

 

Et pour ne pas finir, citons Lucien Lévy-Bruhl (1913) ..

Par sa philosophie proprement dite, Auguste Comte fut un homme représentatif de son siècle tout entier. "Est- il nécessaire de le prouver ? L'histoire intellectuelle de ce siècle en témoigne à chaque pas. De tous les systèmes nés en France au XIXe siècle, celui-là est le seul qui ait franchi les frontières, et qui ait fortement marqué de son empreinte des penseurs étrangers. La philosophie de Comte fut accueillie d'abord, en Angleterre et en Hollande, avec plus de sympathie qu'en France même. J. S. Mill, Herbert Spencer, George Lewes, George Eliot, nombre de philosophes et d'écrivains anglais s'en sont plus ou moins inspirés. Aujourd'hui encore (1913), elle est défendue en Angleterre par des hommes de grand talent. Aucun philosophe allemand, il est vrai, n'a eu avec Comte les mêmes relations personnelles que J. S. Mill; mais, en fait, depuis trente ans, l'esprit positif a gagné de proche en proche dans les universités allemandes. îl suffit, pour s'en convaincre, de voir comme la métaphysique y est délaissée, et quelle méthode y pratiquent les sciences morales et sociales. Dans les pays latins des deux hémisphères, l'influence de Comte s'est exercée avec plus de force encore, en Espagne, au Portugal, dans l'Amérique du Sud. Enfin l'Amérique du Nord a aussi ses sociétés positivistes. Déjà Comte, de son vivant, y avait trouvé quelques-uns de ses disciples les plus dévoués. En France, la philosophie positive a eu pour «véhicule» principal les œuvres des deux écrivains qui furent en leur temps les plus aimés du public. Renan et Taine, sans être positivistes, ont peut-être fait plus, pour la diffusion des idées et de la méthode de Comte, que Littré et les autres positivistes ensemble...."