Network Society - Manuel Castells (1942), "L'Ere de l'information", "I, La Société en réseaux" (1996), "II, Le Pouvoir de l'identité" (1997), "III, Fin de millénaire" (1998) - "La Galaxie Internet" (2001, "The Internet Galaxy") - "Communication et Pouvoir" (2009, "Communication Power") - "Rupture. La Crise de la démocratie libérale" (2018, "Rupture: The Crisis of Liberal Democracy") - "Networks of outrage and hope : social movements in the Internet age" (2012) - ...

Last update : 2023/11/11


Dès les années 1990, Manuel Castells a perçu qu'Internet deviendrait un méta-réseau restructurant l'économie (capitalisme informationnel), la politique (mouvements en réseau) et l'identité. Evitant l'écueil "la technologie décide tout", il nous explique que le pouvoir émerge de l'interaction entre technologie, culture et structures sociales. Ses concepts ("espace des flux", "temps intemporel", "État-réseau") sont ainsi devenus des outils d'analyse transversaux (sociologie, sciences politiques, urbanisme).

L'œuvre de Manuel Castells se distingue par son caractère fondateur et visionnaire dans l'analyse des sociétés contemporaines, marquée par trois innovations majeures qui en font un penseur incontournable ...

 

1. La "Société en Réseaux", un Nouveau Paradigme

C'est une innovation radicale et sa marque de fabrique : Castells identifie dès les années 1990 (dans L'Ère de l'information, sa trilogie fondatrice) que les technologies de l'information ne sont pas de simples outils, mais l'infrastructure réorganisant toute la société.  Ce qui le distingue, c'est qu'il a été l'un des premiers à analyser sérieusement l'impact des nouvelles technologies sur la structure sociale, bien avant que ce ne soit à la mode. Et contrairement aux théories marxistes (focalisées sur le capital) ou postmodernes (fragmentaires), il propose un cadre systémique unifié : l'économie, le pouvoir et la culture se reconstruisent désormais via des réseaux décentralisés et globaux.

 

2. L'Espace des Flux vs. l'Espace des Lieux, une Géographie Inédite

C'est un concept révolutionnaire : Il théorise la dualité spatiale des sociétés modernes, soit l'espace des flux, - Réseaux virtuels (financiers, informationnels) où le pouvoir se concentre (ex : villes globales comme Londres/New York) -, et l'espace des lieux, - desTerritoires locaux vécus au quotidien, souvent marginalisés. Aucun penseur avant lui n'avait ainsi articulé la dématérialisation du pouvoir avec ses ancrages géographiques concrets.

 

3. Mouvements Sociaux à l'Ère Numérique, l''Essor des "Identités Résistantes"

Dès les années 2000, Castells analyse comment les réseaux numériques permettent l'émergence de contre-pouvoirs fondés sur des identités partagées (ex : altermondialisme, printemps arabes, #MeToo). Alors que Habermas ou Bourdieu étudiaient les structures établies, Castells capte la dynamique des mobilisations horizontales et déhiérarchisées, anticipant l'activisme digital.

 

Sa trilogie "L'ère de l'information" va faire référence et ce qui est frappant chez lui, c'est qu'il ne se contente pas de décrire les changements technologiques : il montre comment ils recomposent le pouvoir, le travail, la culture. Comparé à des théoriciens des médias comme McLuhan, Castells est plus politique. Et face aux marxistes traditionnels, il introduit cette dimension technologique absente chez eux. Son analyse des mouvements sociaux à l'ère numérique reste ultra pertinente aujourd'hui avec les mobilisations connectées.

 

 Castells a fourni le cadre théorique le plus complet pour penser la transition vers l'âge informationnel. Sa force réside dans sa capacité à relier macro-structures (économie globale) et micro-pratiques (usages numériques quotidiens), tout en révélant les nouveaux rapports de force. Aucun autre sociologue n'a offert une grille d'analyse aussi puissante pour décrypter le XXIᵉ siècle naissant - ce qui rend son œuvre aussi essentielle que celle de Weber ou Durkheim en leur temps.

 

Fusionnant sociologie, économie, science politique et études digitales, Castells reste le penseur qui a sans doute le mieux saisi la transition entre société industrielle et société informationnelle, offrant une grille de lecture indispensable pour le XXIᵉ siècle. Ses concepts (réseaux, identités résistantes) expliquent le monde actuel mieux que ceux de Habermas ou Bourdieu.

 

Sa force est d'avoir offert un cadre global ; ses limites tiennent à la complexification du pouvoir technologique depuis 30 ans. Convaincant ? Oui, comme fondation. Suffisant ? Non, car le paysage du pouvoir numérique a évolué vers plus d'opacité, de concentration et de conflictualité ...


Comment le pouvoir est exercé dans les réseaux, s'interroge Castells, pourquoi ce pouvoir est-il accepté sans questionnement, réplique Couldry ...

Une comparaison entre Manuel Castells (Communication Power, 2009) et Nick Couldry (Media, Society, World, 2012) permet de penser le pouvoir médiatique au-delà des institutions et des contenus, pour le comprendre comme une structure diffuse, incarnée dans les pratiques, les récits et les dispositifs. Pour le premier, le pouvoir contemporain repose sur la programmation des réseaux de communication et sur la reprogrammation des esprits à travers des récits diffusés dans les espaces de flux. Pour le second, le pouvoir des médias ne réside pas seulement dans leurs contenus, mais dans le fait qu’ils sont reconnus socialement comme la "voix légitime" du réel – ce qu’il appelle le "media power".

Les deux auteurs déplacent le pouvoir de l’économie et de la politique vers la communication, 

- Castells : le pouvoir est la capacité à structurer la cognition collective à travers les réseaux numériques.

- Couldry : le pouvoir médiatique repose sur le monopole symbolique de la représentation, c’est-à-dire le fait d’être reconnu comme "digne de parler du monde".

Mais Couldry va plus loin dans la critique de la légitimité médiatique comme construction sociale, 

- Castells parle de programmateurs (ceux qui créent les récits dominants) et de switchers (ceux qui contrôlent les flux de ces récits).

- Couldry parle de "mythe de la médiation" : la société a construit une croyance selon laquelle les médias représentent naturellement le monde. Cette croyance naturalise le pouvoir.

Les deux convergent vers une défense de la pluralité narrative et des formes alternatives de représentation, 

- Castells valorise les mouvements sociaux utilisant la mass self-communication pour résister au pouvoir centralisé.

- Couldry insiste sur la nécessité de multiples voix médiatiques, en dénonçant les effets de la concentration médiatique (cf. Murdoch, Fox, etc.).

Lorsque Castells nous montre comment les réseaux diffusent le pouvoir, Couldry nous éclaire pourquoi ces réseaux sont perçus comme légitimes, en analysant les pratiques culturelles et symboliques qui les soutiennent.

Et Castells, attentif à la technologie comme vecteur de pouvoir (internet, algorithmes), peut être complété par un Couldry qui attire notre attention sur les croyances invisibles (comme "les médias disent la vérité") qui renforcent le pouvoir sans recours à la technologie.

 

Toute technologie devient une arme de pouvoir si elle échappe au contrôle démocratique - Manuel Castells est une figure majeure pour avoir conceptualisé, en son temps, la technologie comme infrastructure de pouvoir, notamment dans "La Société en réseaux" (1996).

Sa force réside dans l'anticipation du rôle structurant d'Internet et des réseaux dans la transformation sociale, économique et politique. Mais il n'est ni le seul, ni incontesté, et sa pensée présente des limites importantes. Commençons par rappeler Michel Foucault qui , dans les années 1970, reste, quoiqu'on en dise, un incontournable ( les mécanismes disciplinaires) : il a théorisé le pouvoir comme un réseau diffus ("micro-pouvoirs"), bien avant Internet. Ses concepts de surveillance, disciplinarisation et gouvernementalité fondent l'analyse critique des algorithmes. Evgeny Morozov, dès 2010, va nous montrer que la technologie n'a pas de valeur politique intrinsèque mais ne fait, au fond qu'amplifier ce qui existe, et que, quoi qu'on ait pu dire, Internet n’a pas libéré le monde mais a offert aux multiples tyrans de notre petit monde des outils de domination inédits..


Penseur "Global", transnational (il a travaillé dans 7 pays, écrit en 4 langues (espagnol, français, anglais, catalan), interdisciplinaire (il croise sociologie, économie, urbanisme, sciences politiques et digitales) et assez prophétique (il anticipera la crise des démocraties), Castells est né en 1942 à Hellín (Espagne), sous le franquisme, a fuit l'Espagne à 20 ans pour ses activités antifranquiste et s'est installé à Paris. Arrivé en France à 20 ans comme réfugié politique (1962), devenu Docteur en sociologie (Paris-Sorbonne, 1967), professeur à l'EHESS (Paris), il quitte le pays pour les États-Unis en 1979 (UC Berkeley , USC Annenberg, Los Angeles), il restera proche des mouvements sociaux (altermondialistes, indignés espagnols).

C'est pour l'Espagne, un intellectuel engagé, une figure de référence pour la gauche progressiste, et un conseiller informel du gouvernement catalan (2015-2017). Ses travaux sur l'identité catalane (Le Pouvoir de l'identité) ont nourri le débat sur l'indépendantisme. Il incarne l’exilé revenu en "savant global", célébré par les médias (El País) et les universités (Barcelone, Madrid). En France, il reste un penseur fondateur mais sous-estimé : la traduction de ses oeuvres majeures y attendront les années 1990. 

Aux États-Unis, on peut le considérer comme l'architecte des "Digital Studies". A Berkeley, il va former des générations de chercheurs (dont beaucoup d’Asiatiques et de Latino-Américains). "La Société en réseaux" est devenu un texte obligatoire en sociologie, urbanisme, et communication. Il a inspiré des  travaux sur l’activisme numérique (Clay Shirky, Naomi Klein).

En Amérique Latine, on peut le voir comme un théoricien de l'Émancipation : une référence au Brésil pour les études sur les favelas (rapports espace/pouvoir) et conseiller sur les politiques numériques inclusives au Chili (gouvernement de Bachelet, 2006-2010). Il est considéré dans un contexte asiatique (Corée du Sud, Chine) comme visionnaire technocritique.


"La Question Urbaine" (1972)

"The Urban Question" (1977, traduction anglaise ; écrit initialement en français, 1972), est un ouvrage pionnier qui influencera David Harvey et les études urbaines radicales : une sociologie urbaine  marxiste critique qui analyse, contre les approches culturalistes, le rôle économique et politique des villes dans le capitalisme, contre les approches culturalistes. Devenu un classique des études urbaines, il fut pourtant lors de sa publication vertement critiqué par les marxistes orthodoxes français (Althusser) pour son "structuralisme" jugé trop éloigné de la lutte des classes et tout autant marginalisé par l'école bourdieusienne, dominante dans la sociologie française des années 1970-80, qui voyait ses travaux comme trop "économistes".

 

La France a "produit" Castells (il y a écrit son premier livre), mais ne l'a pas adopté. ...

La "Trilogie L'Ère de l'information" (1996-1998) de Manuel Castells, - son Œuvre phare qui révolutionne la sociologie numérique -, est d'abord traduite en anglais. Les chercheurs français ne le découvriront qu'après les Anglo-Saxons ou les Espagnols. Il faut ajouter que son interdisciplinarité est alors particulièrement mal aimée en France : les disciplines y sont cloisonnées (ex: les SIC - Sciences de l'Information et de la Communication - longtemps considérées comme "mineures") et son approche globale sera perçue comme trop "américaine" (empirique, peu théorique au sens français du terme). 

En France, dans les années 1990-2000, l'espace médiatique et académique est monopolisé par Pierre Bourdieu (sociologie critique),  Alain Touraine (mouvements sociaux) et Bruno Latour (anthropologie des sciences. Castells, installé à Berkeley, devient pour les médias français un "penseur de l'étranger" ...

D'autre part, dans ces mêmes années 1990, la France est singulièrement en retard sur les enjeux numériques : le fameux Minitel limite la perception d'Internet jusqu'en 2000 ert le débat public se focalise sur la "fracture sociale", et certes pas sur la "société en réseaux". Castells ne peut apparaître alors que comme un prophète d'un monde lointain (la Silicon Valley), peu connecté aux réalités françaises. Sa reconnaissance sera tardive (Années 2010) et il reste (et restera sans doute) moins cité que dans le monde anglophone ou hispanophone....

Castells illustre ainsi les angles morts de l'exception intellectuelle française : un pays fécond en théories, mais parfois frileux face aux penseurs hybrides, globaux, et "déterritorialisés". Son cas n'est pas isolé : Edgar Morin ou Bruno Latour ont aussi mis des décennies à y être pleinement reconnus...


"Trilogie L'Ère de l'information" 1996-1998)

Tome 1 : "La Société en réseaux" (Titre original : "The Rise of the Network Society", 1996).

C'est un texte incontournable pour comprendre la mondialisation et le capitalisme numérique.

Il nous livre ici le concept fondateur de la "société en réseaux" et une théorisation de l'économie informationnelle, de la culture de la virtualité réelle et de l'espace des flux.

L’ouvrage est divisé en cinq grandes parties (chapitres), précédées d’une préface méthodologique et suivies d’une conclusion générale. Dans sa Préface, Castells explique son approche : une sociologie compréhensive à large spectre, fondée sur l'analyse empirique, interdisciplinaire et comparative. Il affirme ne pas décrire une société de l’information abstraite, mais étudier la manière dont les technologies de l'information restructurent les relations de pouvoir, d’économie et de culture à l’échelle mondiale.

 

Castells voit la "société en réseaux" comme la structure sociale de l'âge de l'information, marquée par la centralité des réseaux informatiques globaux, la logique des flux et la transformation des dimensions fondamentales de l'existence humaine (espace, temps, pouvoir, identité). 

Sa théorie reste un outil fondamental, bien que débattu, pour comprendre le monde contemporain, ses dynamiques de connectivité et de fragmentation, et ses enjeux de pouvoir et d'exclusion. Ses limites invitent à des analyses complémentaires plus fines et actualisées.

 

Le contexte historique est celui des années 1970-1980 avec l'émergence conjointe de, 

- La révolution des technologies de l'information (TIC) : Microélectronique, informatique, télécommunications, Internet.

- La restructuration du capitalisme : Passage du fordisme (production de masse standardisée) à un modèle flexible, mondialisé et financiarisé.

- Les Mouvements socio-culturels : Montée des identités (genre, écologie, religion, nationalisme) contestant les institutions traditionnelles.

- Et un mécanisme d'interaction fondamentale  : ces trois dynamiques convergent pour former un nouveau paradigme techno-économique et social.

 

Les caractéristiques fondamentales de cette "société en réseaux" peuvent ainsi formulées :

- Le réseau comme structure organisationnelle dominante : Les organisations (entreprises, institutions, mouvements sociaux) adoptent une structure en réseau (décentralisée, flexible, adaptable) plutôt que hiérarchique ou centralisée.

- L'information comme matière première : La production, le traitement et la transmission de l'information deviennent les sources principales de productivité, de pouvoir et de richesse.

- La logique des flux : Les éléments structurants (capital, information, images, symboles, personnes) circulent en continu dans des réseaux globaux ("space of flows"), transcendant les frontières géographiques ("space of places").

- Une Globalisation sélective : Connexion en temps réel des éléments stratégiques (marchés financiers, R&D, médias) à l'échelle mondiale, tandis que d'autres espaces et populations sont exclus ou marginalisés.

- Des transformations spatio-temporelles : un espace des flux qui remplace partiellement l'espace des lieux comme espace dominant d'organisation sociale et économique, un temps intemporel voit l'accélération des échanges etla  compression du temps (travail 24/7, marchés financiers globaux), créant un sentiment de "temps sans séquence".

- Une reconfiguration des relations de pouvoir : Le pouvoir réside dans la capacité à contrôler les connexions et les flux dans les réseaux (programmateurs) et à définir les codes de communication. Les États-nations voient leur pouvoir relatif diminuer face aux réseaux globaux.

- Enfin, l'émergence de l'identité comme enjeu central : Face à la déstructuration des cadres traditionnels (famille, Église, État, classe), les individus se reconstruisent autour de projets identitaires (résistants, légitimisateurs ou projets).

 

Quels sont les apports majeurs de la théorie?

- un cadre d'analyse puissant : Offre une grille de lecture cohérente pour comprendre les transformations sociales, économiques et politiques majeures de la fin du XXe siècle/début du XXIe.

- une offre d'intégration de la technologie et de la société convaincante : elle montre que la technologie n'est pas neutre mais façonnée par des forces sociales, et qu'elle transforme en retour profondément la société.

- l'importance donnée à la dimension spatiale et temporelle : conceptualisation novatrice de l'impact des réseaux sur l'espace ("space of flows") et le temps ("timeless time").

- une méthode de compréhension de la globalisation : analyse la globalisation comme un processus structuré par les réseaux, sélectif et générateur d'inégalités.

- une explication probable des nouvelles formes de pouvoir et de contre-pouvoir : met en lumière comment le pouvoir circule dans les réseaux et comment les mouvements sociaux utilisent aussi les réseaux pour se mobiliser ("société civile en réseaux").

 

Ses limites et critiques peuvent ainsi formulées ...

- Un déterminisme technologique trop exclusif? Bien que Castells insiste sur l'interaction société-technologie, certains critiques lui reprochent de surévaluer le rôle causal des TIC dans la transformation sociale.

- Une vision parfois trop globale et abstraite : la théorie peut sembler éloignée des expériences concrètes des individus et des réalités locales variées. Le "space of places" est parfois négligé.

- Une sous-estimation systématique des résistances et inerties : les institutions traditionnelles (États, grandes bureaucraties, cultures locales) persistent et s'adaptent parfois mieux que prévu. Le capitalisme financier globalisé n'efface pas toutes les autres formes.

- L'usage de la dichotomie Inclusion/Exclusion : Si la notion de "black holes" est importante, la complexité des formes d'exclusion différentielle (être connecté à certains réseaux mais pas à d'autres, avec des conséquences variées) mériterait plus de nuances.

- La prépondérance donnée au traitement de l'identité : l'accent mis sur les projets identitaires comme réponse principale à la société en réseaux est discuté. D'autres formes d'appartenance et de solidarité persistent ou émergent.

- L'évolution rapide des technologies : La théorie, développée dans les années 90/2000, doit être actualisée face à l'explosion des réseaux sociaux, de l'IA, de l'économie des plateformes et des nouvelles formes de surveillance et de contrôle algorithmique.


"Trilogie L'Ère de l'information" 1996-1998)

Tome 2 : "Le Pouvoir de l'identité" (Titre original : "The Power of Identity", 1997).

Un livre dense (près de 500 pages) dans lequel Castells développe une thèse complexe selon laquelle l'identité devient le nouveau champ de bataille politique dans la société en réseaux. ...

Castells livre une thèse visionnaire et puissante : dans le chaos de la mondialisation en réseaux, la quête de sens et d'appartenance à travers l'identité devient le cœur de l'action politique et sociale. Il identifie avec acuité l'émergence des mouvements identitaires (écologistes, féministes, ethno-nationaux, religieux radicaux) comme forces centrales du nouveau siècle et montre comment ils utilisent/combattent les réseaux.

Si certaines catégories paraissent aujourd'hui trop binaires (résistance/légitimation) et si le livre a pu sous-estimer la résilience de l'État ou la complexité des appartenances, son diagnostic central sur la centralité politique de l'identité reste profondément actuel pour décrypter les conflits et les mobilisations du monde contemporain. C'est un ouvrage fondateur pour comprendre les dynamiques sociopolitiques à l'ère numérique.

 

Dans la société en réseaux globalisée et déstabilisante, l'identité devient la source principale de sens et le principal champ de bataille politique pour les individus et les groupes. Face à la dissolution des cadres traditionnels (État, classe, famille, Église), les acteurs sociaux se reconstruisent autour de projets identitaires qui deviennent les moteurs des conflits et des changements sociaux du XXIe siècle.

 

Un message clé : Le pouvoir ne réside plus seulement dans les structures économiques ou politiques, mais dans la capacité à construire, affirmer et défendre des identités collectives qui résistent à la logique impersonnelle des réseaux globaux ou qui cherchent à la légitimer.

 

Les différentes étapes de l'argumentaire sont les suivantes, 

 

- Le constat de la crise des Institutions Traditionnelles, que l'on traduit  ...

a) en déficit de Légitimité : L'État-nation, les partis politiques, les syndicats, les institutions religieuses traditionnelles perdent leur capacité à fournir un sens collectif et une protection face aux flux globaux (capital financier, informations, crises). 

b) déficit de Légitimité : L'État-nation, les partis politiques, les syndicats, les institutions religieuses traditionnelles perdent leur capacité à fournir un sens collectif et une protection face aux flux globaux (capital financier, informations, crises).

c) en individualisation Forcée : Les individus sont "désencastrés" des structures sociales stables, laissés à eux-mêmes pour trouver du sens et de la sécurité.

 

- L'Émergence des "Projets Identitaires" comme réponse ...

a) Un projet identitaire est un processus par lequel un acteur social (individu ou collectif) construit du sens en s'appuyant sur un ensemble d'attributs culturels (réels ou inventés) qu'il valorise par-dessus toutes les autres sources de sens.

b) deux Logiques Fondamentales sont distinguées, des identités de Légitimation (Projet), - qui visent à rationaliser et défendre l'ordre social dominant issu des réseaux globaux (ex : nationalisme compétitif, discours managérial global, certaines formes de religiosité institutionnelle), et des Identités de Résistance (Projet), qui se construisent contre la logique dominante des réseaux globaux perçue comme oppressive, déshumanisante ou excluante. C'est le cœur du livre.

 

- Les Formes Majeures d'Identités de Résistance, des études de cas ...

a) des Mouvements Sociaux "Nouveaux" : Écologie (Greenpeace, etc.), comme résistance à la logique productiviste destructrice, Féminisme, le combat contre le "patriarcalisme informationnel" et pour la revalorisation du féminin, Mouvements Religieux Fondamentalistes, une réaction défensive contre la modernité sécularisante et la perte d'identité (ex : islamisme, christianisme évangélique conservateur, intégrismes : Castells analyse leur capacité à utiliser les réseaux (contre-réseaux).

b) des Mouvements Ethno-Nationaux (Nationalismes Sub-Étatiques) : Revendications basées sur l'ethnicité, la langue, la culture contre l'État-nation homogénéisant (ex : Zapatistes au Chiapas - cas central -, Catalans, Québécois). Les Zapatistes sont présentés comme un modèle de résistance en réseau "informationnelle".

c) des Communautés en Ligne Émergentes : Espaces de construction d'identités alternatives (ex: premiers réseaux LGBTQ+), montrant le potentiel des TIC pour la résistance.

d) des "Ghettos Urbains" (Exclus des Réseaux) : Développement d'identités de résistance localisées et souvent défensives face à la marginalisation économique et sociale (ex : gangs).

 

Mais le Rôle Ambivalent des Réseaux ne peut être ignoré ...

- Des outils de Résistance : Les technologies de l'information permettent aux identités de résistance de se connecter, de coordonner des actions globales et de diffuser leur message en contournant les médias traditionnels (ex: usage pionnier d'Internet par les Zapatistes).

- et des vecteurs de la Logique Dominante : les mêmes réseaux diffusent aussi les valeurs et la logique du capitalisme global et de la culture dominante.

 

Que reste-t-il de ces thèses ...

- une prévision confirmée : la centralité des luttes identitaires (genre, race, religion, nation, orientation sexuelle, écologie) comme axes majeurs du conflit politique et social est plus évidente aujourd'hui qu'en 1997 (#MeToo, BLM, populismes nationalistes, crispations religieuses, mouvements trans, etc.).

- le modèle des Zapatistes validé : vu comme précurseur des mouvements altermondialistes et des stratégies de "mouvements en réseau" utilisant les médias numériques.

- l'analyse des fondamentalismes comme réactions identitaires défensives à la mondialisation reste pertinente.

- le cadre pour penser comment les identités se forment et s'expriment via et contre les réseaux numériques est fondamental pour comprendre les réseaux sociaux actuels.

- son analyse de l'environnementalisme comme mouvement identitaire de résistance systémique anticipe l'importance de l'écologie politique.

 

Mais on pourra reprocher au livre de Castells ...

- son tropisme pour les "Nouveaux" Mouvements (sous-estimation de la persistance des conflits de classe et des mouvements sociaux traditionnels, même s'ils se recomposent).

- une vision parfois Idéalisée de la Résistance : son analyse des Zapatistes ou des communautés en ligne a été critiquée pour son optimisme, occultant parfois leurs contradictions internes ou leurs limites pratiques.

- la dichotomie Légitimation/Résistance Trop Rigide ? La réalité est plus nuancée, des identités peuvent mêler les deux logiques (ex : certains nationalismes). La catégorie "identité projet" est moins développée.

- bien qu'il inclut des cas non-occidentaux (Chiapas, Islam), le cadre général et les exemples restent largement ancrés dans une perspective occidentale/moderniste.

- certains lui reprocheront d'avoir trop vite annoncé le déclin de l'État-nation comme acteur central. L'État reste un enjeu crucial pour les projets identitaires (contrôle des frontières, politiques identitaires).

- la complexité des Appartenances : Les individus naviguent souvent entre multiples identités (hybridation) plutôt qu'un seul projet exclusif, ce que le modèle peut simplifier....


"Trilogie L'Ère de l'information" 1996-1998)

Tome 3 : "Fin de millénaire" (Titre original : End of Millennium, 1998).

Quatre piliers structurent le tome 3, 1) l'effondrement soviétique, 2) l'essor des économies asiatiques, 3) la montée du crime global, 4) l'exclusion sociale en Afrique et dans les villes. Castells y développe sa vision d'un système mondial en mutation accélérée à la fin du XXe siècle. Ce qui est frappant dans ce volume, c'est son caractère prophétique : il annonce dès 1998 des phénomènes comme la financiarisation toxique ou les pandémies mondiales. Mais en même temps, certaines analyses ont vieilli - comme sa vision trop optimiste de la "dragon economy" asiatique avant la crise de 1997.

 

Une thèse Fondamentale : La transition vers la société en réseaux à la fin du XXe siècle s'accompagne de turbulences profondes, de fractures et de crises systémiques qui redessinent violemment l'ordre mondial. Castells explore les "zones d'ombre" et les contradictions du nouveau paradigme à travers quatre phénomènes majeurs illustrant l'interaction destructrice/créatrice entre la globalisation par les réseaux et les structures sociales, politiques et économiques existantes.

Un message Clé : La "fin de millénaire" n'est pas une simple période chronologique, mais un moment de rupture historique où les promesses du progrès technologique et de la globalisation se heurtent à des réalités brutales d'effondrement, d'exclusion, de criminalité et d'inégalités, révélant les limites et les coûts sociaux du nouveau système.

 

Castells analyse quatre processus emblématiques de cette période de transition turbulente ...

 

1) L'Effondrement de l'Union Soviétique et la Transition Chaotique :

L'URSS n'est pas tombée sous les coups de l'Occident, mais victime de son incapacité à s'adapter au paradigme informationnel. Son système hiérarchique, bureaucratique et fermé était incompatible avec la flexibilité, l'innovation et la connectivité requises.

Conséquences : une transition brutale vers un "capitalisme de prédateurs" générant chaos, criminalité organisée, appauvrissement massif et perte d'identité collective. Castells montre comment la désintégration d'un système étatique rigide nourrit les réseaux criminels globaux.

 

2) L'Émergence du "Quatrième Monde" et la réalité d'une exclusion Structurelle :

La société en réseaux n'intègre pas tout le monde ; elle produit une exclusion systémique et multiforme. On peut en citer quelques évidentes manifestations, 

- Les "Trous Noirs" du Capitalisme Informationnel : Régions entières (notamment l'Afrique subsaharienne, mais aussi des zones rurales ou urbaines marginalisées ailleurs) sont structurellement déconnectées des réseaux de valeur, de savoir et de pouvoir, plongeant dans la pauvreté absolue et la désintégration sociale.

- La Segmentation Sociale dans les Métropoles Globales : Castells analyse les ghettos urbains (ex : quartiers pauvres de Los Angeles) où se concentrent pauvreté, violence, économie informelle et populations stigmatisées (minorités ethniques, immigrés). Ces espaces sont "connectés" à l'économie globale principalement par la criminalité ou le travail précaire.

Ce qui signifie que l'exclusion n'est pas un résidu, mais un produit nécessaire de la logique de compétitivité et de concentration du capital dans la globalisation en réseaux.

 

3) La Montée en Puissance du Crime Global Organisé :

Le crime organisé (mafias, cartels, triades) a su adopter avant même les États et les entreprises légitimes la structure en réseau et la logique globale, devenant un acteur majeur de l'économie mondiale. Il su profiter de la dérégulation financière et la fluidité des capitaux, de la porosité des frontières et les failles des États affaiblis, et de la demande mondiale pour ses produits et services (drogue, armes, trafics, blanchiment).

Le crime global n'est pas en marge, mais intégré au système économique global. Il forme une "économie criminelle globale" interconnectée avec l'économie légale, corrompant les institutions et menaçant la stabilité des États (ex : Colombie, Russie, Italie).

 

4) L'Asie Pacifique : Le "Miracle" et ses Contradictions :

La croissance spectaculaire des "dragons" et "tigres" asiatiques (Japon, Corée du Sud, Taïwan, Singapour, puis Malaisie, Thaïlande, etc.) n'était pas un simple rattrapage, mais l'émergence d'un modèle de développement spécifique adapté à l'ère informationnelle.

Ses caractéristiques : le rôle central de l'État développeur (dirigiste, investisseur, planificateur), l'intégration agressive dans les réseaux de production globaux, le capitalisme relationnel (alliances État-grands groupes, réseaux d'entreprises - chaebols, keiretsu) et la valorisation culturelle de l'éducation, du travail collectif et de la discipline.

Castells pointe les limites dès 1998 (avant la crise asiatique de 1997) : autoritarisme politique, exploitation sociale, vulnérabilité aux flux financiers globaux spéculatifs, tensions entre modernité et traditions. Le "miracle" porte en lui ses fragilités.

 

La crise financière de 2008 (non traitée évidemment) a confirmé ses craintes sur la financiarisation et la volatilité des flux, mais a aussi montré des mécanismes nouveaux. L'impact du numérique ubiquitaire et des plateformes sur l'exclusion et le crime mériterait une mise à jour. Les nouvelles pandémies globales (COVID-19) illustrent tragiquement les connexions et les fractures du système.


"La Galaxie Internet" (2001, "The Internet Galaxy, Reflections on the Internet,  Business, and Society").

C'est le texte de référence pour les digital studies, avant l'essor des réseaux sociaux. Il nous offre la première synthèse sociologique sur l'impact d'Internet (démocratie, travail, vie privée, démystifie la "fracture numérique" et analyse les nouveaux modèles communautaires. Publié en 2001, "The Internet Galaxy" paraît au moment où l’Internet devient un phénomène mondial de masse.

Et de fait, Castells offre l’un des premiers cadres sociologiques cohérents pour penser Internet comme infrastructure, culture et espace de pouvoir, avec des implications politiques, économiques et sociales.

Il ne s’agit pas d’un livre technique ou technophile : Castells mobilise l’économie, la sociologie, la science politique, la théorie des réseaux, les études culturelles et l’histoire des technologies. Le livre synthétise de manière plus accessible sa trilogie monumentale. L'ouvrage a été traduit dans plus de 20 langues, cité dans des milliers d’articles scientifiques. Il a influencé les politiques numériques (ONU, UE), les travaux en communication, urbanisme, géopolitique, et économie de l’innovation.

 

"The Network is the Message" - Internet n’est pas un média comme les autres, mais une forme d’organisation sociale. Il est né de la recherche militaire (ARPANET), mais s’est développé via une culture collaborative, hacker, académique. Le "message" est la structure décentralisée et réticulaire du réseau lui-même, en écho à McLuhan ("The medium is the message").

"Where the Internet Came From" - L’histoire de l’Internet révèle l’importance des cultures alternatives et des valeurs libertaires (analyse des rôles du MIT, de la DARPA, des communautés open source) et résulte d’un mélange d’utopie libertaire, de pragmatisme technique, et d’innovation sociale.

 

"The Culture of the Internet" - L’Internet véhicule une culture propre, marquée par : la méritocratie technique, la liberté d’expression, l'auto-régulation, le partage de savoirs. Castells montre que cette culture est en tension avec les logiques de marché et d’État.

 

" Technological systems are socially produced. Social production is culturally informed. The Internet is no exception. The culture of the producers of the Internet shaped the medium. These producers were, at the same time, its early users. However, in the present stage of global diffusion of the Internet, it makes sense to differentiate between the producers/users and the consumers/users of the Internet. By producers/users I refer to those whose practice of the Internet feeds directly back into the technological system; while consumers/users are those recipients of applications and systems who do not interact directly with the development of the Internet, although their uses certainly have an aggregate effect on the evolution of the system. In this chapter I deal with the culture of the producers/users at the source of the Internet's creation and configuration.

 The Internet culture is the culture of the creators of the Internet.

 By culture I understand a set of values and beliefs informing behavior. Repetitive patterns of behavior generate customs that are enforced by institutions, as well as by informal social organizations. Culture is different from ideology, psychology, or individual representations. While culture is explicit, it is a collective construction that transcends individual preferences, while influencing the practices of people in the culture, in this case the Internet producers/users.

 The Internet culture is characterized by a four-layer structure:  the techno-meritocratic culture, the hacker culture, the virtual communitarian culture, and the entrepreneurial culture. Together  they contribute to an ideology of freedom that is widespread in the Internet world. However, this ideology is not the founding culture because it does not interact directly with the development of the technological system: freedom has many uses. These cultural layers are hierarchically disposed: the techno-meritocratic culture becomes specified as a hacker culture by building rules and customs into networks of cooperation aimed at technological projects. The virtual communitarian culture adds a social dimension to technological sharing, by making the Internet a medium of selective social interaction and symbolic belonging. The entrepreneurial culture works on top of the hacker culture, and on the communitarian culture, to diffuse Internet practices in all domains of society by way of money-making. Without the techno-meritocratic culture, hackers would simply be a specific countercultural community of geeks and nerds. Without the hacker culture, communitarian networks in the Internet would be no different from many other alternative communes. Similarly, without the hacker culture, and communitarian values, the entrepreneurial culture cannot be characterized as specific to the Internet.

 

« Les systèmes technologiques sont socialement produits. La production sociale est culturellement informée. Internet n'échappe pas à cette règle. La culture des producteurs d'Internet a façonné le média. Ces producteurs étaient simultanément ses premiers utilisateurs. Cependant, à l'ère actuelle de diffusion mondiale d'Internet, il est pertinent de distinguer les producteurs/utilisateurs des consommateurs/utilisateurs du réseau. Par producteurs/utilisateurs, j'entends ceux dont la pratique d'Internet alimente directement le système technologique ; tandis que les consommateurs/utilisateurs sont les bénéficiaires d'applications et de systèmes qui n'interagissent pas directement avec le développement d'Internet, bien que leurs usages aient certainement un effet agrégé sur l'évolution du système. Ce chapitre traite de la culture des producteurs/utilisateurs à l'origine de la création et de la configuration d'Internet.

La culture Internet est la culture des créateurs d'Internet.

Par culture, j'entends un ensemble de valeurs et de croyances qui informent les comportements. Des schémas comportementaux répétitifs génèrent des coutumes appliquées par des institutions, ainsi que par des organisations sociales informelles. La culture se distingue de l'idéologie, de la psychologie ou des représentations individuelles. Bien qu'explicite, la culture est une construction collective qui transcende les préférences individuelles tout en influençant les pratiques des personnes concernées – en l'occurrence les producteurs/utilisateurs d'Internet.

La culture Internet se caractérise par une structure à quatre niveaux : la culture techno-meritocratique, la culture hacker, la culture communautaire virtuelle et la culture entrepreneuriale. Ensemble, elles contribuent à une idéologie de la liberté très répandue dans le monde numérique. Cependant, cette idéologie n'est pas la culture fondatrice car elle n'interagit pas directement avec le développement du système technologique : la liberté a de multiples usages. Ces strates culturelles sont hiérarchisées :

La culture techno-meritocratique se spécifie en culture hacker en instituant des règles et coutumes au sein de réseaux de coopération dédiés à des projets technologiques.

La culture communautaire virtuelle ajoute une dimension sociale au partage technologique, faisant d'Internet un média d'interaction sociale sélective et d'appartenance symbolique.

La culture entrepreneuriale s'appuie sur la culture hacker et la culture communautaire pour diffuser les pratiques internet dans tous les domaines de la société via la logique lucrative.

Sans la culture techno-meritocratique, les hackers ne seraient qu'une communauté geek et nerf contre-culturelle spécifique. Sans la culture hacker, les réseaux communautaires sur Internet ne différeraient pas d'autres communautés alternatives. De même, sans la culture hacker et les valeurs communautaires, la culture entrepreneuriale ne pourrait se caractériser comme spécifique à Internet. »

 

"E-Business and the New Economy" - Le capitalisme se restructure autour des flux informationnels globaux permis par l’Internet. L'analyse de la bulle Internet des années 1990 révèle l'importance des réseaux financiers, des plateformes et de la connectivité permanente. Internet ne supprime pas le capitalisme : il le renforce dans sa forme la plus flexible, globalisée, et spéculative.

 

"Virtual Communities or Networked Individualism?" - Les communautés en ligne ne remplacent pas la communauté physique, mais instaurent un individualisme connecté (terme repris de Barry Wellman). Internet transforme la sociabilité : plus fluide, plus choisie, mais aussi plus fragmentée. D’où une tension entre autonomie et isolement numérique.

 

"The Politics of the Internet I – Computer Networks, Civil Society, and the State - L’Internet redéfinit le rapport entre société civile et pouvoir institutionnel. Les mouvements sociaux (Zapatistes, Seattle 1999) s'affirment comme pionniers du cyberactivisme. L’État tente de réguler ou surveiller, mais les réseaux permettent aussi l’auto-organisation citoyenne.

 

'The Politics of the Internet II – Privacy and Liberty in the Internet Age" - L’Internet produit un nouveau champ de tension entre sécurité et liberté : ainsi des problèmes liés à la surveillance (État et entreprises), aux données personnelles. Les technologies de l’information posent des défis éthiques et juridiques nouveaux.

 

"Multimedia and the Internet – The Hypertext beyond Convergence" - Internet n’est pas simplement un média convergent, mais un média ouvert, non linéaire, marqué par l’hypertexte. 

 

Impact sur l’industrie du divertissement, la presse, l’éducation : Internet réinvente la narration, l’autorité éditoriale, la réception.

" The Digital Divide in a Global Perspective" - L’accès à Internet est profondément inégal – une fracture numérique Nord/Sud, mais aussi sociale, générationnelle, de genre. Le danger : la double exclusion (sociale + numérique). Appel à une politique globale de connectivité équitable.

 

Conclusion – "The Challenges of the Network Society"- Castells réaffirme que l’Internet est le cœur de la "société en réseau", et que ses usages détermineront l’avenir de la démocratie, de l’économie et de la culture.


"Communication et Pouvoir" (2009, "Communication Power")

Un texte considéré comme la synthèse la plus ambitieuse de Castells sur le pouvoir, offrant un cadre conceptuel original pour comprendre les transformations sociales à l'ère numérique.

Publié en 2009, ses concepts (mass self-communication, pouvoir relationnel, bataille des esprits) semblent d'importance pour décrypter les dynamiques politiques, médiatiques et sociales du 21ème siècle (printemps arabes, #MeToo, populismes en ligne, désinformation). L'ouvrage est dense, théorique et parfois difficile d'accès pour un non-spécialiste. Le style peut être perçu comme aride.

 

Castells développe ici une théorie globale du pouvoir à l'ère de l'information et des réseaux. Son argument central est que le pouvoir est relationnel (il s'exerce dans les relations entre acteurs) et que la communication est le champ fondamental où le pouvoir se construit, se conteste et se transforme dans la société en réseau.

Les thèses clés sont ...

1) La Société en Réseau comme Nouveau Paradigme ...

- La structure sociale dominante est désormais organisée en réseaux (économiques, technologiques, sociaux, culturels), dépassant les hiérarchies rigides. Ces réseaux sont globaux, décentralisés et flexibles.

- L'État-nation perd son monopole comme cadre exclusif de l'exercice du pouvoir face à des acteurs transnationaux (firmes globales, institutions financières, mouvements sociaux transnationaux, réseaux criminels).

2) La Communication comme Espace Central du Pouvoir ...

- Le pouvoir repose sur le contrôle des processus de communication : Qui produit le sens ? Qui contrôle les infrastructures et les flux d'information ? Qui façonne les esprits ?

- Les Médias de Masse Traditionnels : Sont analysés comme des outils cruciaux du pouvoir institutionnel (politique, économique) pour construire l'hégémonie culturelle (au sens de Gramsci), c'est-à-dire l'acceptation par la majorité de l'ordre social dominant via la production de sens et de cadres cognitifs.

3) L'Émergence de la "Mass Self-Communication" (Auto-Communication de Masse) ...

- Concept Phare : Internet et les technologies numériques permettent aux individus et aux groupes de produire et diffuser du contenu à une échelle potentiellement planétaire, en dehors des médias traditionnels.

- Caractéristiques : Potentiellement globale, interactive, horizontale, basée sur les réseaux, autonome (dans la production et la sélection des contenus).

- Impact sur le Pouvoir : Cette nouvelle forme de communication crée un espace public alternatif, contestant le monopole des médias institutionnels sur la production du sens. Elle est le terreau des contre-pouvoirs et des mouvements sociaux.

4) La Nouvelle Structure du Pouvoir ...

- Le Pouvoir est Réseauté : Il s'exerce dans et par les réseaux. Les acteurs dominants (les "programmateurs" - programmers) sont ceux qui contrôlent les règles et les objectifs des réseaux clés (financiers, technologiques, médiatiques).

- Le Contre-Pouvoir est Réseauté : Les acteurs contestataires utilisent les mêmes réseaux (notamment l'auto-communication de masse) pour déprogrammer les flux de sens dominants et reprogrammer des significations alternatives.

- La Bataille Décisive est la Bataille des Esprits : Le conflit central est celui de la construction de sens dans l'espace communicationnel. Le pouvoir se gagne ou se perd dans la capacité à influencer les processus cognitifs et émotionnels.

5) L'État dans la Société en Réseau ...

- Il reste un acteur crucial, mais son pouvoir est relativisé et transformé. Il doit négocier avec d'autres acteurs puissants (marchés globaux, médias) et gérer des flux transnationaux.

- Il devient souvent un "État en réseau", agissant lui-même à travers des réseaux complexes et décentralisés.

6) Mouvements Sociaux et Changement ...

Les mouvements sociaux contemporains (altermondialistes, écologistes, etc.) sont analysés comme des acteurs essentiels du contre-pouvoir, utilisant stratégiquement l'auto-communication de masse pour mobiliser, construire une identité collective et défier les discours dominants. Ils opèrent souvent dans l'espace des flux (réseaux numériques) et l'espace des lieux (occupations physiques).

 

Refusant une vision purement coercitive ou institutionnelle, Castells nous montre que le pouvoir circule dans les relations et dépend de la capacité à contrôler les flux communicationnels.  Mais si la technologie offre des potentialités nouvelles pour le pouvoir et le contre-pouvoir, rien ne permet de prédire un résultat inéluctable. Certains (comme Garnham) reprochent à Castells de ne pas accorder assez de poids aux structures économiques capitalistes et aux rapports de classe traditionnels dans sa théorie du pouvoir, privilégiant parfois trop la dimension culturelle et communicationnelle ..


"Power in the network city" - Castells soutient que le pouvoir dans la société contemporaine est façonné par la logique des réseaux de communication, et que le contrôle de l’information, de la signification et des processus cognitifs est la forme centrale du pouvoir dans la société en réseau.

On remarquera que 

- Castells voit le pouvoir comme relationnel et cognitif, axé sur la capacité à modeler la conscience collective via les technologies de la communication. Ce pouvoir s’exerce dans des espaces de flux, c’est-à-dire des réseaux numériques, financiers, médiatiques — en rupture avec les espaces traditionnels des institutions. Pour Castells, la communication crée du pouvoir en produisant des récits dominants qui façonnent la subjectivité (framing, storytelling, reprogrammation mentale). Il  valorise de même les contre-narrations numériques (ex : mouvements sociaux comme le 15-M, Occupy), qui perturbent le récit dominant.

- Foucault conçoit le pouvoir comme immanent, diffus, exercé à travers les discours, pratiques, et dispositifs disciplinaires. Il localise le pouvoir dans des dispositifs précis : prison, école, hôpital, où se déploie le pouvoir disciplinaire ou biopolitique. Les discours sont constitutifs de la réalité sociale — ils définissent ce qui peut être dit, su, fait. (Foucault, M. (1977). "Discipline and Punish", Vintage).

- Habermas distingue entre pouvoir communicatif (positif, légitime) et pouvoir stratégique ou systémique (lié à l'argent et au pouvoir politique), insistant sur la rationalité délibérative. Il fait appel dans ce contexte à un espace public normatif, fondé sur la discussion libre et rationnelle — idéal plus que réel. La communication est le fondement d’un pouvoir légitime si elle respecte les conditions d’une discussion non coercitive (éthique de la discussion). (Habermas, J. (1989), "The Structural Transformation of the Public Sphere", MIT Press).

 

Castells commence par définir le pouvoir comme la capacité relationnelle d’un acteur social à influencer de manière asymétrique les décisions d’autres acteurs dans des relations institutionnelles ou interpersonnelles.

Il distingue le pouvoir (capacité d’imposer sa volonté) du  contre-pouvoir (capacité de résister, d’inverser ou de neutraliser le pouvoir établi).

Dans le contexte de la mondialisation et des technologies numériques, le pouvoir change de nature. Il devient réseau-centric : il se déploie à travers les réseaux sociaux, économiques, politiques et médiatiques. Il n’est plus localisé, mais dispersé et modulable, selon la logique de la connectivité et de l’inclusion/exclusion dans les réseaux.

Castells développe l’idée que la ville contemporaine illustre ce changement de structure du pouvoir. L’ancienne forme de la ville (hiérarchique, centralisée) est remplacée par une ville-réseau, où le pouvoir est exercé par l’infrastructure de communication et les flux d’information. Il parle de la "space of flows" (espace des flux), qui remplace le "space of places" : le pouvoir se déplace des lieux fixes (bâtiments, institutions) vers les flux interconnectés de capital, d'information et de décisions. Exemple : dans une ville comme New York ou Tokyo, le pouvoir économique ou politique ne dépend plus de la géographie mais de la capacité d’accéder, de filtrer, et de transmettre l’information dans des réseaux globaux.

Castells insiste sur le fait que la communication est le vecteur clé du pouvoir dans la société en réseau. Les médias traditionnels (TV, journaux) et les nouveaux médias (Internet, réseaux sociaux) deviennent les sites de production du pouvoir symbolique. Celui qui contrôle le cadre narratif dominant (framing) contrôle la perception des événements, des identités, des menaces, des légitimités. Le pouvoir devient "communicationnel", dans la mesure où il dépend de la capacité à encoder et diffuser une signification partagée. Une vision qui prépare les chapitres suivants, qui analysent les stratégies narratives et les processus de reprogrammation mentale.

Castells affirme que si le pouvoir se restructure par les réseaux de communication, la résistance aussi. Les mouvements sociaux, les activismes numériques, les "contre-récits" (counter-narratives) surgissent dans les interstices du réseau, par le biais de blogs, de réseaux sociaux, de vidéo virale. Il introduit ici le concept de contre-pouvoir communicationnel, comme la capacité des groupes sociaux à imposer leurs propres récits dans l’espace de la communication. Une notion qui sera évoquée plus en profondeur dans les chapitres suivants sur les mouvements sociaux numériques.

 

"Communication in the Digital Age" - Castells montre que la révolution numérique a fondamentalement transformé les systèmes de communication, en donnant naissance à un nouveau type de communication : la "mass self-communication". Ce phénomène redistribue le pouvoir de façon inédite, tout en étant intégré dans les logiques du capitalisme global.

Castells y présente la "mass self-communication" (Auto-Communication de Masse) comme la nouvelle forme dominante de communication dans la société en réseau. Il la définit comme un système de communication où le message est produit par l'utilisateur lui-même, potentiellement adressé à une audience globale, et diffusé via des réseaux décentralisés, interactifs et accessibles. Il oppose clairement cette forme aux communication Interpersonnelle (limitée en portée et en audience), à la communication de Masse Traditionnelle (centralisée, contrôlée par des institutions (médias de masse), unidirectionnelle (un vers plusieurs), peu interactive). La "mass self-communication" combine le potentiel de portée globale de la communication de masse avec la capacité de production autonome et interactive de la communication interpersonnelle.

Le pouvoir ne vient plus seulement des médias traditionnels mais aussi des utilisateurs capables de mobiliser l’attention, créer des récits, faire pression. C'est dire combien le monopole du pouvoir symbolique par les médias traditionnels (TV, presse) est bousculé par l’horizontalisation des processus communicationnels : Un adolescent avec un smartphone peut atteindre des millions de personnes. Mais Castells nuance cette vision : ces outils peuvent être récupérés ou intégrés dans des logiques de pouvoir économique (publicité, influence, manipulation algorithmique). Il souligne une toute nouvelle tension qui voit, d'une part le numérique libérant les voix, permettant les mobilisations sociales (ex. : mouvement Zapatista, YouTube activism, Twitter revolutions), mais aussi renforcer le contrôle, via les algorithmes, la surveillance, le data mining, le pouvoir des plateformes ..


"Networks of Mind and Power" - Castells explore la manière dont le pouvoir est exercé dans et par les réseaux communicationnels, en se concentrant sur la production de la signification dans l’esprit humain. Le pouvoir réside dans la capacité à programmer ou reprogrammer ces réseaux cognitifs et symboliques. Cela donne naissance à deux figures clés : les programmateurs et les déprogrammateurs ou commutateurs (switchers).

 

Le cerveau est le véritable nœud du pouvoir : l'enjeu n’est pas seulement de transmettre un message mais de modifier les représentations mentales. Castells s’appuie sur les sciences cognitives, les neurosciences et les études en communication pour souligner que "Power is primarily exercised by the construction of meaning in the human mind"...

C'est dans ce chapitre que Castells définit formellement et développe le plus explicitement ces deux concepts clés comme des éléments centraux de sa théorie relationnelle du pouvoir dans la société en réseau. Il les présente comme les acteurs clés opérant au sein des réseaux qui structurent le pouvoir ...

 

- Les Programmateurs (Programmers) : Ce sont les acteurs (institutions, entreprises, groupes) qui définissent les règles, les objectifs et les valeurs fondamentales d'un réseau donné (réseau financier, réseau médiatique, réseau politique, réseau technologique). Ils contrôlent la "logique de fonctionnement" du réseau et orientent ses flux (d'argent, d'information, de pouvoir). Exemples : Les grandes banques d'investissement dans le réseau financier global, les directions des grands groupes médiatiques traditionnels, les gouvernements des États puissants, les dirigeants de grandes plateformes numériques.

 

- Les Déprogrammateurs (Switchers) : Ce sont les acteurs qui possèdent la capacité cruciale de connecter différents réseaux entre eux. Ils agissent comme des "commutateurs" ou des "nœuds d'interconnexion". Leur pouvoir réside dans leur position stratégique à l'interface de plusieurs réseaux, leur permettant de faciliter (ou d'entraver) les flux entre eux et ainsi d'en influencer mutuellement la logique. Exemples : Les gouvernements (connectant réseaux économiques, politiques, militaires, légaux), les grands médias (connectant réseaux politiques, économiques, culturels), les grandes entreprises de conseil ou de lobbying, les plateformes numériques dominantes (connectant utilisateurs, annonceurs, créateurs de contenu, données).

 

Le pouvoir est alors décrit comme un processus de reprogrammation mentale, tout à sa capacité à reprogrammer les esprits via les réseaux :

- Framing, soit la sélection des thèmes perçus comme importants.

- Agenda setting, ou hiérarchisation des problèmes.

- Priming, la préparation cognitive à certaines lectures de la réalité.

- Emotional contagion, ou l'affectivité virale dans les réseaux sociaux.

 

Manuel Castells illustre systématiquement son argumentaire par plusieurs études de cas, afin de montrer comment le pouvoir s’exerce concrètement dans les réseaux à travers les figures des programmateurs et des switchers ...

Ainsi la guerre d’Irak (2003) et le contrôle narratif par les États-Unis ..

L'objectif est de montrer comment un récit dominant est programmé et diffusé pour légitimer une action politique, et ce en lien avec 

- des Programmateurs : gouvernement américain, médias comme Fox News, CNN, New York Times.

- des Switchers : agences de presse, plateformes numériques (Google News), qui ont amplifié ou étouffé certains récits.

L’argument des armes de destruction massive a valeur d'exemple : Castells montre comment une narration fictive a été construite et implantée dans l’opinion via les grands médias. Il analyse la circulation des récits entre l’administration Bush, les think tanks, les journalistes intégrés, comme une chaîne de programmation cognitive. La guerre devient ainsi acceptable pour une partie de l’opinion mondiale, malgré l’absence de preuves tangibles – grâce à un effet de framing narratif à grande échelle.

Un exemple de contre-pouvoir communicationnel utilisant la mass self-communication est  illustré par le mouvement zapatiste (EZLN, Mexique) qui, malgré sa faiblesse militaire, devient un acteur global symbolique - preuve que la narration dans le réseau peut créer du pouvoir réel. La mobilisation anti-globalisation à Seattle (1999) montre comment des réseaux activistes peuvent connecter différentes causes via Internet et créer une convergence dans la rue.

 

On le voit, Castells ne théorise jamais de manière abstraite : ses concepts de "programmateurs" et "switchers" sont testés empiriquement à travers des situations médiatiques et politiques concrètes. Il veut ainsi montrer, au final, que ...

- Le pouvoir contemporain est structurellement ancré dans la capacité à faire circuler certains récits plutôt que d’autres.

- Les technologies de communication offrent des opportunités de résistance – mais aussi des moyens de domination beaucoup plus sophistiqués.

 

"...  the public mind is constructed by networking individual minds,  such as yours. Thus, if you think differently, communication networks  will operate differently, on the condition that not only you, but I and a multitude choose to build the networks of our lives." - « L'esprit public se construit par la mise en réseau des esprits individuels, comme le vôtre. Ainsi, si vous pensez différemment, les réseaux de communication évolueront différemment — à condition que non seulement vous, mais moi et une multitude choisissions de tisser les réseaux de nos vies. »


"Rupture. La Crise de la démocratie libérale" (2018, "Rupture: The Crisis of Liberal Democracy")  

"Communication et Pouvoir" était une œuvre théorique (fondamentale) au cours de laquelle Castells développait ses concepts clés, "Rupture" se veut plus un diagnostic de crise. Castells offre une lecture globale et interconnectée de phénomènes souvent analysés séparément (populisme, crise des médias, rôle des réseaux, mouvements sociaux) pour comprendre les turbulences politiques actuelles ...

La démocratie libérale est en crise car elle ne parvient plus à canaliser la conflictualité sociale ni à intégrer les demandes citoyennes exprimées via de nouveaux canaux (réseaux, mouvements).

L'avenir est ouvert : soit vers un renouveau démocratique par l'innovation politique (démocratie participative renforcée, nouveaux mouvements), soit vers des régimes autoritaires ou post-démocratiques portés par les populismes.

Sa thèse est que la crise de légitimité est fondamentalement une crise de communication entre les institutions et les citoyens, exacerbée par la révolution numérique. Il théorise de même comment les réseaux permettent aux individus de produire, diffuser et recevoir de l'information à grande échelle en dehors des médias traditionnels, transformant radicalement l'espace public. Son analyse des identités réactives (populistes) et projectives (mouvements sociaux) comme moteurs clés de la politique contemporaine est intéressante.

 

Castells diagnostique une crise systémique de la démocratie libérale, provoquée par la convergence de plusieurs ruptures fondamentales :

1) La Rupture de Légitimité des Institutions ...

- Le Mépris des élites : Les citoyens perçoivent les élites politiques et économiques comme corrompues, déconnectées et incapables de répondre à leurs besoins fondamentaux (inégalités, précarité, services publics).

- Le Déficit démocratique : Le système représentatif est vu comme un leurre où le vrai pouvoir échappe au contrôle populaire (influence des lobbies, marchés financiers, technocraties).

- L'Échec de la "Gouvernance" : Le modèle de gouvernance post-politique, basé sur le consensus technique et l'expertise, est rejeté pour son manque de vision et sa soumission aux forces du marché.

2) La Rupture Médiatique et Communicationnelle ...

- La Fin du "Quatrième Pouvoir" : Les médias traditionnels perdent leur crédibilité (accusés de partialité, de collusion avec le pouvoir) et leur monopole sur l'information.

- La Montée des Réseaux Sociaux : Ils deviennent l'espace central de formation de l'opinion publique, permettant une communication horizontale, autonome et mass-autocommunication.

- La Crise de la Vérité : L'écosystème numérique favorise la viralité des émotions, des rumeurs, des théories du complot et des "fake news", fragmentant la réalité et rendant le dialogue rationnel difficile. L'affect prime sur les faits.

3) La Rupture Sociale et Identitaire ...

- Des Inégalités Exacerbées : La globalisation financière et le néolibéralisme creusent les écarts de richesse et de pouvoir, générant un profond sentiment d'injustice et d'abandon chez les "laissés-pour-compte".

- La Crise des Identités Collectives : Les identités traditionnelles (classe, nation, religion) sont bousculées. En réponse, émergent des identités réactives/projectives :

- Des Identités Réactives (Populismes) : Basées sur le rejet (de l'élite, des étrangers, de l'UE...) et la défense d'une identité nationale ou culturelle mythifiée ("le peuple" vs "les autres"). Elles exploitent la peur et la colère.

- Des Identités Projectives (Mouvements Sociaux) : Aspirent à construire un avenir différent (mouvements écologistes, féministes, pour les droits humains...), souvent transnationaux et utilisant massivement les réseaux.

4) La Rupture vers de Nouvelles Formes Politiques ...

- Le Rejet des Partis Traditionnels : Perçus comme tous semblables et inefficaces.

- La Montée des Mouvements Sociaux Autonomes : Utilisant les réseaux pour s'auto-organiser, mobiliser rapidement (comme les Indignés, Occupy, Nuit Debout...) et contourner les structures politiques établies. Ils privilégient l'horizontalité et la délibération.

- Le Succès des Populismes (de gauche et de droite) : Ils captent la colère et l'anxiété en proposant des réponses simples, émotionnelles et identitaires, s'appuyant sur des leaders charismatiques et un discours anti-système.

 

Castells articule ainsi constamment le local, le national et le global, montrant comment les forces transnationales (marchés, réseaux) impactent les démocraties nationales. Il ne cherche pas un coupable unique, mais montre l'enchevêtrement des facteurs économiques, technologiques, culturels et politiques dans la crise. Certains critiques lui reprochent un ton parfois trop pessimiste et une vision où la technologie (les réseaux) semble déterminer la crise politique plus qu'être un outil utilisé dans un contexte socio-économique préexistant. L'accent sur la communication, les réseaux et les identités pourrait laisser dans l'ombre le poids persistant des structures économiques et du pouvoir matériel (capitalisme financier) dans la crise.