William Blake (1757-1827), "Songs of Experience" (1794), "Livres prophétiques" (1790-1795) - ...
Last update 12/18/2016


William Blake fut pratiquement incompréhensible pour son siècle et fait aujourd'hui figure de génie sans mesure, tant par sa poésie que par son art de graveur et de peintre. D'ascendance irlandaise (du côté paternel), fils de bonnetiers londoniens, Blake donne le spectacle d'une vie dépouillée dr toute aventure, vivant surtout de son talent de graveur. Connu d'une minorité, il fut l'artiste des expositions presque désertes (celle de 1809 en est un exemple...) qu'exploitèrent marchands et éditeurs. Publiant souvent ses poèmes en feuilles gravées et colorées, à l'usage de quelques souscripteurs, Blake fit d'abord paraître en 1783 les "Poetícal Sketches" (dont certains furent composés à l'âge de 14 ans). Suivirent en 1789 les "Songs of Innocence", et, en 1794 les "Songs of Experience". De 1790 à 1795 parurent les "Livres Prophétiques", parmi lesquels figure "The Marriage of Heaven and Hell".

Affilié comme ses parents à la Nouvelle Eglise Swedenborgienne très influencé par les théories du théosophe suédois, Blake fait de l'invisible la seule réalité, et croit à ses propres visions. Il réagit ainsi contre toutes les doctrines sensualistes de son époque, et particulièrement contre la philosophie de Locke. La Bible, Shakespeare et Milton l'inspirent simultanément.

Que dire du mysticisme de Blake si ce n'est reconnaître que son génie créateur est indubitable, que ses images sont en général d'une intensité peu commune, et que sa poésie la plus fulgurante résulte, au-delà de la misère urbaine («Londres»), de la puissance de l'instinct («le Tigre»),  de l'abandon de l'être («le Petit Garçon perdu», «la Petite Fille perdue»), du rejet de la mère charnelle («Tirzah»), de plongées des plus inquiétantes, fantastiques et subversives, une exploration qui se poursuit sur tous les registres dans les abîmes de la conscience et de l'Univers....


William Blake (1757-1827)
Le statut de William Blake, dans la poésie comme dans la peinture, est unique, mondialement reconnue avec une intensité proche de la mythologie et pourtant ce qu'il peut nous transmettre n'est pas directement accessible voire compréhensible. Via un symbolisme anthropomorphique souvent complexe, parfois déroutant, Blake traite des grands problèmes de l'existence tels qu'ils heurtent la sensibilité humaine à cette période charnière de fin XVIIIe et début XIXe siècle : le mal, le salut, la chute, le divin, la culpabilité, l'éternité. Et plus encore, l'interrogation qu'il pose à travers les quelques siècles qui nous séparent de lui, est celle de l'énergie créatrice, de cette potentialité d'imagination poétique dont tout être humain, certains plus d'autres, est la proie indubitable, qu'il sait exprimer, qu'il doit exprimer sans en connaître l'origine, et au fond la finalité. 

(Portrait de Blake - Thomas Phillips,1807)
Né à Londres, fils d'un simple bonnetier, mais  d'une très grande sensibilité et marqué par la Bible dès son plus jeune âge, Blake aura toute sa vie des visions mystiques et ses déceptions vis-à-vis d'une révolution française confisquée par l'ambition napoléonienne ne feront qu'alimenter son repliement sur un univers mythologique tout personnel. Il met au point en 1789 sa propre méthode de gravure, l'eau-forte en relief, avec laquelle il va s'efforcer de développer et de faire partager sa capacité visionnaire...

(Works - Tate - London)

Reclus à Londres, loin de la "belle société", réalisme et symbolisme se mêlent en Blake tant pour clamer son rejet de la religion établie au profit de l'émotion transcendante, son indignation et son émerveillement face à la condition humaine, le pouvoir rédempteur de l'imagination, dans ses livres enluminés et prophétiques comme dans ses oeuvres graphiques : "Songs of Innocence and of Experience" (1789-1794), "The Book of Thel" (1789-1790), "The Marriage of Heaven and Hell" (190-1793), "The Book of Urizen" (1794), "The Four Zoas" (1795), "Milton" (1804-1810), "The Everlasting Gospel", "Jerusalem, or The Emanation of the Giant Albion" (1804–1820).

 

LES LIVRES PROPHÉTIQUES 

Si c'est sous ce titre, quelque peu arbitraire que l'on a coutume de grouper la presque totalité de l`œuvre de William Blake, soit dix-sept écrits d`importance inégale et quelque soixante-dix poésies et fragments divers. 

William Blake ne rejette pas la raison humaine, mais elle lui apparaît comme un moyen insuffisant de connaissance. La vérité totale ne peut jaillir que de la vision prophétique ; c`est pourquoi le poète la recherche à tout prix et la cultive par la lecture de La Bible et des œuvres de ces grands visionnaires que furent Jacob Boehme, Dante, Milton et Swedenborg. On sait que la presque totalité de l`œuvre de William Blake fut entièrement gravée par lui sur cuivre, texte et illustrations, et cela suivant un procédé personnel qui lui fut transmis en songe par son frère défunt. 

 

1788 - La première œuvre de Blake à voir le jour fut une série de deux fragments intitulée "No Natural Religíon" (Il n'y a pas de religion naturelle), suivie d`un troisième, également gravé en 1788, et qui a pour titre "All Religions are One" (Toutes les religions sont une). On les considère comme des œuvres de transition,  car si la vingtaine d`aphorismes qui en constituent le texte s`adresse encore à l`intelligence et au raisonnement du lecteur, Blake y affirme la valeur primordiale de ce qu'il nomme le "génie poétique universel", lequel donne naissance "à toutes les sectes de la philosophie".

 

"Songs of Innocence and of Experience" (1789-1794)

"The Songs of Innocence and Experience" de William Blake explorent ce qu'il appelle les "deux états contraires de l'âme humaine" ("The Two Contrary States of the Human Soul"). Les Chants d'Innocence (1789) évoquent l'innocence enfantine, perçue tant par les yeux de l'enfant qu'observée par ceux de l'adulte, un sentiment d'harmonie mais d'une si grande fragilité. Les Chants d'Expérience (1794) complètent les Chants de 1789: plus sombres, urbains et non plus champêtres, ils expriment toutes les expériences qui accompagnent la perte de l'innocence et de l'enfance, la peur, l'agression, l'oppression, la corruption, au Dieu d'amour se substitue le Dieu cruel de l'Ancien Testament. 


"The Tyger" (Songs of Experience) : quatorze questions, à déclamer pour en éprouver toute l'effrayante substance , et dont les réponses sont implicites pour confirmer tous nos préjugés sur la création divine et l'origine du Mal ...

Tyger Tyger, burning bright,
In the forests of the night;
What immortal hand or eye,
Could frame thy fearful symmetry?
In what distant deeps or skies.
Burnt the fire of thine eyes?
On what wings dare he aspire?
What the hand, dare seize the fire?
And what shoulder, & what art,
Could twist the sinews of thy heart?
And when thy heart began to beat,
What dread hand? & what dread feet?
What the hammer? what the chain,
In what furnace was thy brain?
What the anvil? what dread grasp,
Dare its deadly terrors clasp!
When the stars threw down their spears
And water'd heaven with their tears:
Did he smile his work to see?
Did he who made the Lamb make thee?
Tyger Tyger burning bright,
In the forests of the night:
What immortal hand or eye,
Dare frame thy fearful symmetry?

Tigre! Tigre! feu et flamme
Dans les forêts de la nuit,
Quelle main ou quel oeil immortel,
Put façonner ta formidable symétrie?
Dans quels abîmes, quels cieux lointains
Brûla le feu de tes prunelles?
Quelle aile osa y aspirer?
Quelle main osa saisir ce feu?
Quelle épaule, quel savoir-faire
tordirent les fibres de ton coeur?
Et quand ce coeur se mit à battre,
quelle terrible main? Quels terribles pieds ?
Quel fut le marteau ? Quelle la chaîne ?
Dans quel brasier fut ton cerveau ?
Sur quelle enclume ? Et quelle terrible étreinte
Osa enclore ses mortelles terreurs ?
Quand les étoiles jetèrent leurs lances
Et baignèrent le ciel de leurs larmes,
A-t-il souri à la vue de son oeuvre ?
Celui qui fit l’Agneau, est-ce lui qui te fit ?
Tigre ! Tigre ! feu et flamme
Dans les forêts de la nuit,
Quelle main, quel oeil immortel
Osèrent façonner ta formidable symétrie ?



"Rose malade" chante l'égoïsme de l'amour, "L'Héliotrope" est le symbole de l'éternelle imperfection de la création poétique. "London" (Songs of Experience), symbole de ce nouveau monde urbain, creuset de toutes les forces sociales où règnent corruption et pauvreté, où les rêves de l'enfance sont très tôt étouffés...

 

I wander thro' each charter'd street,
Near where the charter'd Thames does flow.
And mark in every face I meet
Marks of weakness, marks of woe.
In every cry of every Man,
In every Infants cry of fear,
In every voice: in every ban,
The mind-forg'd manacles I hear
How the Chimney-sweepers cry
Every blackning Church appalls,
And the hapless Soldiers sigh
Runs in blood down Palace walls
But most thro' midnight streets I hear
How the youthful Harlots curse
Blasts the new-born Infants tear
And blights with plagues the Marriage hearse

J'erre au fil des rues affrétées
Près des flots de la Tamise tant exploités,
Et remarque en toute visage rencontré
Des marques d'impuissance, des marques de douleur.
Dans chaque cri de chaque homme,
Dans chaque cri de terreur des enfants,
Dans chaque voix, dans chaque malédiction,
J’entends les chaînes forgées par l’esprit.
Comment le cri du ramoneur
Fait trembler les sombres églises
Et le soupir du malheureux soldat
Ruisselle du sang qui court sur les murs du palais
Mais surtout, à minuit, dans les rues j’entends
Comment de la jeune putain les jurons
Etouffent les pleurs du nouveau né
Et ravagent la couche funèbre du mariage



"The Book of Thel" (1789-1790), "The Marriage of Heaven and Hell" (190-1793)

Avec "The Book of Thel" (1789) débute le mode d'écrire symboliste, qui restera pour Blake la seule façon de transmettre ses visions aux humains ayant perdu le lien direct avec le Génie poétique universel. Le thème de ce poème est fourni par la révolte d`un pur esprit devant la pénible nécessité d`une incarnation. En effet, pour Thel - esprit pur que le graveur a représenté sous la forme d`une frêle jeune fille la naissance sur Terre est une mort dont la nécessité demeure pour elle un secret. Seules les choses humbles connaissent le secret de la vie et de la mort, ainsi que celui des deux principes primordiaux, Amour et Sagesse

 

Le "Mariage du Ciel et de l'Enfer" (1793) est le poème le plus important des Livres prophétiques, et celui que le lecteur le moins averti peut aborder sans avoir recours à une clé pour en déchiffrer les symboles. Le symbolisme s'accentuera avec "The Visions of the Daughters of Albion (1793) au point de devenir inexplicable tant le mythe finit par faire totalement corps avec la réalité spirituelle qu'il exprime en lui. La gravure principale de cette œuvre représente un homme, Bromion, et une femme, Oothoon. nus, liés dos à dos sur des rochers. sous les regards de Theotormon qui paraît être, d'après le texte, le responsable de cette punition. Les filles d'Albion aspirent à la liberté et semblent vouloir jouir des mêmes droits que Blake suppose avoir été obtenus par elles dans la libre Amérique. Tous les poèmes suivants auront un homme pour héros...

 

PROVERBS OF HELL

In seed time learn, in harvest teach, in winter enjoy.

Drive your cart and your plow over the bones of the dead.

The road of excess leads to the palace of wisdom.

Prudence is a rich ugly old maid courted by Incapacity.

He who desires but acts not, breeds pestilence.

The cut worm forgives the plow.

Dip him in the river who loves water.

A fool sees not the same tree that a wise man sees.

He whose face gives no light, shall never become a star

Eternity is in love with the productions of time.

The busy bee has no time for sorrow.

The hours of folly are measur'd by the clock, but of wisdom no clock can measure.

All wholesome food is caught without a net or a trap.

Bring out number weight & measure in a year of dearth.

No bird soars too high if he soars with his own wings.

A dead body revenges not injuries.

The most sublime act is to set another before you.

If the fool would persist in his folly he would become wise.

Folly is the cloke of knavery.

Shame is Pride's cloke.

Prisons are built with stones of Law, Brothels with bricks of Religion.

The pride of the peacock is the glory of God.

The lust of the goat is the bounty of God.

The wrath of the lion is the wisdom of God.

The nakedness of woman is the work of God.

Excess of sorrow laughs.

Excess of joy weeps.

The roaring of lions, the howling of wolves, the raging of the stormy sea, and the destructive sword, are portions of eternity too great for the eye of man.

The fox condemns the trap, not himself.

Joys impregnate. Sorrows bring forth.

Let man wear the fell of the lion, woman the fleece of the sheep.

The bird a nest, the spider a web, man friendship.

The selfish smiling fool, & the sullen frowning fool shall be both thought wise, that

they may he a rod.

What is now proved was once only imagin'd.

The rat, the mouse, the fox, the rabbit, watch the roots; the lion, the tyger, the horse,

the elephant, watch the fruits.

The cistern contains: the fountain overflows.

One thought fills immensity.

Always be reacly to speak your mind and a base man will avoid you.

Every thing possible to be believ'd is an image of truth.

The eagle never lost so much time as when he submitted to learn of the crow.

The fox provides for himself, but God provides for the lion.

Think in the morning. Act in the noon. Eat in the evening. Sleep in the night.

He who has suffer'd you to impose on him knows you.

As the plow follows words, so God rewards prayers.

The tygers of wrath are wiser than the horses of instruction.

Expect poison from the standing water.

You never know what is enough unless you know what is more than enough.

Listen to the fool's reproach! it is a kingly title!

 

PROVERBES DE L'ENFER

Au temps des semailles, apprends; à la moisson, enseigne; en hiver, jouis.

Fais passer ton char et ta charrue sur les os des morts.

Le chemin des excès conduit au palais de la sagesse.

La Prudence est une vieille fille riche et laide, courtisée par l'Incapacité.

Celui qui désire et n'agit pas, engendre la pestilence.

Le ver coupé en deux pardonne à la charrue.

Plongez-le dans la rivière, celui qui aime l'eau.

Un sot ne voit pas le même arbre qu'un sage.

Celui dont le visage ne rayonne pas ne deviendra jamais une étoile.

L'Eternité est amoureuse des travaux du temps.

L'abeille affairée n'a pas de loisirs pour le chagrin.

Les heures de folie sont mesurées par l'horloge; mais celles de la sagesse, aucune horloge ne peut les mesurer.

Toute nourriture saine est capturée sans filet et sans piège.

Donnez largement le nombre, le poids et la mesure dans les années de disette.

Aucun oiseau ne vole trop haut, s'il vole de ses propres ailes.

Un mort ne se venge pas des torts subis.

L'acte le plus sublime est de placer un autre plus haut que soi.

Si le sot persistait dans sa sottise, il deviendrait un sage.

La sottise est le manteau qui recouvre la canaillerie.

La Honte est le manteau qui recouvre l'Orgueil.

Les prisons sont bâties avec les pierres de la Loi, les Bordels avec les briques de la Religion.

La splendeur du paon est l'orgueil de Dieu.

La lascivité du bouc est la munificence de Dieu.

La fureur du lion est la sagesse de Dieu.

La nudité de la femme est le chef-d'œuvre de Dieu.

L'excès de douleur rit. L'excès de joie pleure.

Le rugissement du lion, le hurlement du loup, le courroux de la mer tempétueuse et l'épée meurtrière sont des parties de l'éternité trop grandes pour l'œil de l'homme.

Le renard s'en prend au piège, non à lui-même.

La joie engendre. La douleur met au monde.

Que l'homme revête la dépouille du lion, la femme, la toison du mouton.

Un nid pour l'oiseau, une toile pour l'araignée, pour l'homme, l'amitié.

Le sot égoïste et souriant, comme le sot maussade et renfrogné seront jugés sages, afin qu'ils puissent être un fléau.

Ce qui est maintenant prouvé fut jadis simplement imaginé.

Le rat, la souris, le renard, le lapin surveillent les racines; le lion, le tigre, le cheval, l'éléphant surveillent les fruits.

La citerne retient l'eau : la source déborde.

Une seule pensée emplit l'immensité.

Soyez toujours prêts à dire votre opinion, et les esprits vils vous éviteront.

Tout ce qu'il est possible de croire est une image de la vérité.

L'aigle ne perdit jamais mieux son temps que lorsqu'il se contraignit à imiter la corneille.

Le renard se procure sa pâture, mais Dieu procure au lion la sienne.

Pense le matin; agis l'après-midi; mange le soir; dors la nuit.

Quiconque vous a laissé lui en imposer vous connaît.

De même que la charrue suit les paroles, Dieu récompense les prières.

Les tigres du courroux sont plus sages que les chevaux de l'instruction.

Attendez-vous à trouver le poison dans l'eau stagnante.

Vous ne reconnaîtrez jamais ce qui est assez, à moins que vous ne connaissiez ce qui est trop.

Ecoutez les reproches d'un sot ! c'est un honneur royal !

 


"Le Chant de la liberté" (Song of Liberty, 1790), "La Révolution française" (The French Revolution, 1791) et "L'Amérique" (America, 1793), reflètent les événements contemporains et revèle l'énorme impact qu'eut la Révolution française sur ce poète qui ne rêvait qu`abolition de toutes les institutions religieuses et sociales qui maintiennent l'être humain dans un état d'esclavage permanent.N'admirait-il pas Milton parce qu'il avait combattu pour la liberté religieuse? "Song of Liberty", qui ne comporte que vingt-deux sentences, devait servir de conclusion au "Mariage". Le poème intitulé "The French Revolution" est écrit en visionnaire, avec la certitude de celui qui voit et ne peut que voir juste. "America" est le récit de la Révolution américaine, mais il ne se préoccupe plus ici des événements réels et presque tous les personnages du poème sont mythiques. La Révolution américaine est pour Blake la révolte d`Orc (esprit de la liberté) contre Urizen (esprit du despotisme). Le conflit éclate dans le plan éternel entre le "prince tuteur d`Albion", les anges des contrées et des villes, et les esprits de quelques hommes, Washington, Franklin, Paine Warren, Allen. Gates et Lee. La libération de l`Amérique n'est que le point de départ pour la libération et la régénération de l`Europe par la Liberté qui brisera "les cinq portes de leur ciel bâti de Lois, rempli d`idées destructrices et de la pourriture du désespoir, de maladies et d`appétits dévorants incapables d'arrêter les flammes d`Orc".  

"Europe = A Prophecy" (1794] est particulièrement obscure, elle tend à retracer l`histoire morale de l`Europe depuis le début de l`ère chrétienne, l'enfant qui apporte la paix est le Christ, mais c`est en même temps Orc, l`esprit de la liberté qui vient délivrer le monde de la domination d'Urizen, ou esprit de la théocratie. Les autres maux qui accablent l`Europe sont la culture classique et la religion naturelle, personnifiée par une femme d'une grande beauté physique, Enitharmon. La dernière bataille d'Orc contre les forces d`Urizen sera livrée "dans les vignobles de la France rouge"...

 

"The Book of Urizen" (1794), "The Four Zoas" (1795), "Milton" (1804-1810), "The Everlasting Gospel", "Jerusalem, or The Emanation of the Giant Albion" (1804–1820).

 

Nous retrouvons la figure d'Urizen dans le premier des livres "cosmogoniques",  "The Book of Urizen" (1794), qui est. en quelque sorte, le livre de la genèse des faux dieux. Le nouveau Moïse ne s`appelle plus Orc, mais Fuzon, il emmène les fils rebelles d`Urizen non plus pour recevoir les tables de la Loi au Sinaï, mais pour détruire le filet "dont les cordes étaient si bien tordues et si bien nouées  les mailles, tordues comme le cerveau humain", qui s'appelle la Religion. Les mêmes idées transparaissent dans "The Book of Ahania" (1795) dans lequel Urizen est nettement identifié avec Jéhovah, comme auteur du code mosaïque. Dans ce poème, Fuzon, "donnant à sa colère la forme d`un vaste globe", appelle à la rébellion contre la loi morale et tente de séparer la nature passive d`Urizen (Ahania) de sa nature active, le désir physique de l`acte énergétique. Mais il ne réussit pas dans son entreprise et est tué par Urizen qui cloue son cadavre "sur l`arbre maudit du Mystère".

"The Book of Los" (1795) ne fait que répéter l`histoire cosmogonique telle qu`elle est apparue à Blake : Los est pour lui le forgeron céleste qui enchaîne Urizen, séparé des éternels, et qui, travaillant sans cesse dans les flammes, forge le Soleil. C`est un poème dont le symbolisme pose problème de compréhension à tous les commentateurs du poète. "The Song of Los" (1795) est l'histoire de l'établissement des religions primitives par Urizen, d`abord en Afrique, puis en Asie, puis "ce furent là les Eglises. les Hôpitaux, les Châteaux. les Palais, semblables à des filets ,et à des pièges pour saisir les joies de l`Eternité [...] afin de détourner l`homme de son sentier, d`imposer des restrictions à l`enfant même dans les flancs de sa mère, de priver la cité de pain. pour que les autres apprennent à obéir". 

"Vala" est un poème qui, commencé en 1797, ne fut terminé qu'en 1804 sous un nouveau titre, "The Four Zoas", et Blake semble tenter d'y élaborer une sorte de psychologie de la révolution. Les deux grands poèmes, "Milton" (1804-1810) et "Jerusalem, or The Emanation of the Giant Albion" (1804–1820), furent gravés tous les deux en 1804. Ils appartiennent à l'époque où Blake se réconcilia avec le christianisme. "Milton" reprend le thème révolutionnaire des Quatre Zum : Milton s'étant tourné vers Dieu à la fin de sa vie, son esprit aurait pris possession de Blake pour lui dicter ces deux derniers grands poèmes ... et réparer l`erreur qu'il avait commise en écrivant "Le Paradis perdu" - n'avait-il pas été alors le jouet de Satan, ou pire, Satan lui-même ? D'un Milton régénéré, Blake devient le prophète d'une éthique nouvelle qui ne serait plus fondée sur la rétribution des bonnes actions et la punition des mauvaises, s`élevant contre la "religion naturelle" qu'il déclare satanique. Il prêche l`Evangile de Jésus. la loi du sacrifice et du pardon universel, et entreprend contre Satan une lutte pour restaurer cette liberté que possédait l'être humain lorsqu'il vivait dans le plan éternel et n`était restreint par aucune des lois de l`espace et du temps...